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Rapport | Doc. 12386 | 05 octobre 2010

La montée récente en Europe du discours sécuritaire au niveau national: le cas des Roms

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteure : Mme Anne BRASSEUR, Luxembourg, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Renvoi 3702 du 4 octobre 2010. 2010 - Quatrième partie de session

Résumé

Le rapport présente en détail la montée du discours sécuritaire associant les Roms à la criminalité et au trafic au cours des derniers mois. En même temps, il y a eu un durcissement des politiques et mesures sécuritaires visant directement les Roms, telles que le démantèlement de leurs campements et les vagues de renvois de migrants roms vers leur pays d’origine.

Confrontées à une recrudescence de la criminalité, les autorités de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe se voient contraintes de durcir les politiques visant à protéger l’ordre public et la sécurité de toutes les personnes qui vivent sur leur territoire. Le rapport souligne, cependant, qu’il convient d’établir dans le discours politique une distinction claire entre les individus qui ont commis des infractions et des groupes entiers de personnes, tels que les Roms ou toute autre minorité, y compris les migrants. Une responsabilité particulière incombe aux hommes politiques qui se doivent d’éliminer du discours politique les stéréotypes négatifs et les stigmatisations de minorités ou de groupes de migrants. Il leur appartient de promouvoir un message de non-discrimination, de tolérance et de respect vis-à-vis des personnes d’origines différentes.

La commission des questions politiques salue et soutient l’initiative du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe d’organiser une réunion de haut niveau pour convenir de mesures destinées à améliorer la situation des Roms dans toute l’Europe et l’invite à informer l’Assemblée parlementaire, dès que possible, des résultats de cette réunion. Elle propose de continuer à suivre avec attention la situation des Roms en Europe, y compris à la lumière des résultats de cet événement.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			.
Projet de résolution adopté par la commission le 5 octobre 2010.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire est consternée qu’à peine quelques semaines après l’adoption de sa Résolution 1740 (2010) sur la situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l’Europe, qui appelle les Etats membres à améliorer la situation des Roms et à veiller au respect plein et entier de leurs droits fondamentaux, des hommes politiques dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe, aient eu recours à une rhétorique anti-Roms, associant ces derniers à la criminalité et au trafic. Il s’en est suivi un durcissement des politiques et mesures sécuritaires visant directement les Roms, telles que le démantèlement de leurs campements et les vagues de renvois de migrants roms vers leur pays d’origine.
2. L’Assemblée partage les inquiétudes exprimées à cette occasion par son Président, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), les Nations Unies, l’Union européenne et d’autres organisations internationales, ainsi que par les défenseurs des droits de l’homme et les médias. Elle note à cet égard que la Commission européenne est en train d’évaluer le respect du droit communautaire par certains Etats membres de l’Union européenne.
3. Pour sa part, l’Assemblée s’inquiète particulièrement de la place de plus en plus importante qu’occupe la sécurité publique dans le débat politique, notamment à la suite de la crise économique, à la montée du chômage et à la recrudescence de la criminalité, et de l’emploi de plus en plus fréquent des discours sécuritaires en conjonction avec une forme d’expression discriminatoire qui tend à faire l’amalgame entre l’insécurité et certaines communautés ethniques, y compris les migrants, faisant de ces dernières des boucs émissaires, comme cela a été récemment le cas avec les Roms.
4. Alors que pendant longtemps les partis traditionnels ne sont pas parvenus à anticiper ou à relever les défis posés à l’ordre public et à la sécurité des personnes, les partis populistes extrémistes ont cherché à tourner à leur avantage les préoccupations d’ordre sécuritaire de la société en assimilant purement et simplement l’immigration à la criminalité et à l’insécurité.
5. L’Assemblée est particulièrement préoccupée de la double tendance qui se dessine en Europe: d’un côté, l’élection de plus en plus fréquente dans les parlements nationaux de partis d’extrême droite; et de l’autre, les partis traditionnels qui, tentant de dissuader leur électorat de se tourner vers les partis extrémistes et de regagner un soutien populaire, empruntent certains traits des discours radicaux, xénophobes et discriminatoires de ces derniers.
6. Si l’Assemblée reconnaît que dans bon nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe, les autorités, confrontées à une recrudescence de la criminalité, se voient contraintes de durcir les politiques visant à protéger l’ordre public et la sécurité de toutes les personnes qui vivent sur leur territoire, elle souligne qu’il convient d’établir dans le discours politique une distinction claire entre les individus qui ont commis des infractions et des groupes entiers de personnes, tels que les Roms ou tout autre minorité ou groupe de migrants.
7. L’Assemblée condamne fermement l’utilisation d’un langage à caractère raciste et xénophobe et, de ce fait inacceptable dans une démocratie, stigmatisant les Roms ou tout autre minorité ou groupe de migrants.
8. Une responsabilité particulière incombe aux hommes politiques qui se doivent d’éliminer du discours politique les stéréotypes négatifs et les stigmatisations de minorités ou groupes de migrants. Il leur appartient de promouvoir un message de non-discrimination, de tolérance et de respect vis-à-vis des personnes d’origines différentes.
9. C’est pourquoi l’Assemblée réaffirme les normes et lignes directrices du Conseil de l’Europe applicables au discours politique, contenues, entre autres, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la Recommandation no R (97) 20 du Comité des Ministres sur le «discours de haine», les recommandations de politique générale de l’ECRI et sa Déclaration de 2005 sur l’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique, les recommandations du Commissaire aux droits de l’homme, ainsi que les documents connexes de la Commission de Venise et ses propres Résolution 1345 (2003) sur le discours raciste, xénophobe et intolérant en politique et Résolution 1754 (2010) sur la lutte contre l’extrémisme: réalisations, faiblesses et échecs, et appelle:
9.1. les Etats membres du Conseil de l’Europe:
9.1.1. à signer et ratifier ou approuver autrement, si ce n’est déjà fait, et mettre en œuvre de manière effective dans leurs droit et pratique nationaux les instruments juridiques et normes, lignes directrices et politiques du Conseil de l’Europe liées à l’interdiction et la prévention du discours de haine et de la discrimination;
9.1.2. à appliquer la législation nationale sur le discours de haine et la discrimination;
9.1.3. à veiller au respect plein et entier des normes des droits de l’homme et des principes de la démocratie et de l’Etat de droit lors de la conception et de la mise en œuvre de politiques visant à protéger l’ordre public et la sécurité de toutes les personnes qui vivent sur leur territoire, y compris les principes de non-discrimination et de proportionnalité;
9.2. les autorités et institutions publiques aux niveaux national, régional et local, ainsi que les responsables:
9.2.1. à s’abstenir d’effectuer des déclarations, en particulier à travers les médias, pouvant raisonnablement être prises pour un discours de haine ou comme un discours pouvant faire l’effet d’accréditer, de propager ou de promouvoir la haine raciale, la xénophobie ou d’autres formes de discrimination ou de haine fondées sur l’intolérance;
9.2.2. à prohiber et condamner publiquement ces expressions en toute occasion.
10. L’Assemblée rappelle l’importance de la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste, signée par son Président et le Président du Parlement européen en 2003, et invite instamment les partis politiques, les forces politiques et les personnalités politiques et publiques dans les Etats membres, les groupements internationaux de partis politiques et ses propres membres, à s’engager:
10.1. à adhérer et mettre en œuvre et promouvoir activement les principes inscrits dans la Charte;
10.2. à contribuer activement à la lutte contre toute tentative de stigmatisation ou d’incitation à l’hostilité envers une personne ou un groupe de personnes sur la base de la race, l’origine ethnique, la nationalité, les croyances religieuses ou l’origine sociale;
10.3. à combattre toute action ou forme d’expression susceptible d’exacerber les craintes et les tensions entre des groupes d’origine raciale, ethnique, nationale, religieuse ou sociale différente;
10.4. à traiter de manière responsable et équitable tous les thèmes sensibles ayant trait à ces groupes;
10.5. à s’abstenir de tout discours à caractère raciste, xénophobe, nationaliste agressif, ethnocentrique ou autrement discriminatoire, ou de poursuivre de tels objectifs politiques et réprimer fermement tout sentiment ou comportement raciste dans leurs propres rangs.
11. Convaincue de la responsabilité particulière incombant aux médias, l’Assemblée les appelle:
11.1. à s’abstenir de diffuser des messages susceptibles de provoquer une animosité à l’égard de personnes ou de groupes de personnes appartenant à une communauté ou une minorité ethnique, nationale, culturelle, linguistique ou religieuse, à l’égard de migrants, de réfugiés, de demandeurs d’asile ou de personnes d’origine immigrée;
11.2. à éviter, dans leurs reportages sur les problèmes sociaux ou criminels, de mentionner de manière sélective l’origine ethnique ou nationale ou l’appartenance à une communauté ou minorité religieuse, culturelle ou linguistique des personnes impliquées.
12. Réaffirmant sa Résolution 1740 (2010) et sa Recommandation 1924 (2010) sur la situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l’Europe, adoptées en juin 2010, l’Assemblée:
12.1. salue et soutient l’initiative du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe d’organiser une réunion de haut niveau pour convenir de mesures destinées à améliorer la situation des Roms dans toute l’Europe, point de départ des efforts conjugués des institutions européennes et des Etats membres pour s’occuper de la situation des Roms de manière constructive et durable;
12.2. se déclare prête à contribuer au succès de cette réunion de haut niveau en apportant son expérience du traitement des questions liées aux Roms et en favorisant la mise en œuvre de l’ensemble des décisions qui seront adoptées;
12.3. invite le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à informer l’Assemblée, dès que possible, des résultats de la réunion de haut niveau;
12.4. décide de continuer à suivre avec attention la situation des Roms en Europe, y compris à la lumière des résultats de la réunion de haut niveau.

B. Exposé des motifs, par Mme Brasseur, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Au cours des derniers mois, nous avons assisté à une intense couverture médiatique de la montée du discours sécuritaire à l’égard des Roms, à la suite de la décision du Gouvernement français d’expulser certains citoyens bulgares et roumains et de démanteler des campements roms illégaux. Des mesures similaires ont également été adoptées dans d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe. La commission des questions politiques a été particulièrement frappée par les termes très vigoureux et la rhétorique anti-Roms employés par certains hommes politiques, qui associent les Roms à la criminalité et au trafic. C’est pourquoi la commission a proposé un débat d’urgence pour faire valoir ses préoccupations devant la montée récente, dans certains Etats membres, d’un discours sécuritaire dirigé contre les Roms.
2. L’objectif de ce rapport n’est pas de remanier l’excellent travail effectué par M. Berényi dans son rapport sur la situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l’Europe, discuté en juin 2010 
			(2) 
			. Doc. 12174 de l’Assemblée.. Mon intention est de mettre l’accent sur la montée d’une rhétorique sécuritaire dans des Etats membres, et j’ai cru comprendre que mes collègues de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme et de la commission des migrations, des réfugiés et de la population traiteront, quant à eux, de questions liées aux normes des droits de l’homme applicables et à l’expulsion de citoyens bulgares et roumains.
3. Pour que les choses soient claires dès le départ, j’insiste sur le fait que la France n’est pas le seul pays où cette rhétorique a été employée. Des responsables politiques de la République tchèque, du Danemark, de Hongrie, d’Italie et de Suède, entre autres, ont été mis en exergue pour leurs discours sécuritaires anti-Roms.
4. Les Roms ne sont pas non plus la seule minorité victime de cette situation. Il y a quelque temps, l’Assemblée a fait état de ses préoccupations devant la montée de l’extrémisme et de la rhétorique nationaliste qui visaient diverses minorités, y compris les migrants, dans toute l’Europe. Dans son rapport sur la lutte contre l’extrémisme: réalisations, faiblesses et échecs, le rapporteur, M. Agramunt, a noté une recrudescence de mouvements racistes sous des formes telles que l’antisémitisme, l’antitsiganisme, la xénophobie et l’islamophobie 
			(3) 
			. Doc. 12265 de l’Assemblée.. De même, dans son rapport sur la démocratie en Europe: crises et perspectives, M. Gross remarque que «les mouvements populistes et extrémistes, les politiques identitaires et celles relatives aux symboles ainsi que les discours nationalistes se manifestent également depuis quelque temps dans les pays d’Europe occidentale et se sont trouvés renforcés depuis deux ans du fait de la crise» 
			(4) 
			. Doc. 12279 de l’Assemblée.. M. Zingeris note pour sa part, dans son rapport sur les conséquences politiques de la crise économique, que la crise a poussé les principaux partis politiques à adopter quelque peu le langage radical et parfois raciste des partis extrémistes 
			(5) 
			. Doc. 12282 de l’Assemblée..

2. Développements récents dans les pays membres du Conseil de l’Europe

2.1. France

2.1.1. Changement de politique ou de rhétorique?

5. Il peut être utile de résumer la situation de la France, qui a soulevé les inquiétudes de la commission et suscité des réactions aux niveaux de l’Union européenne et international. Sur un effectif d’environ 400 000 personnes originaires des communautés des Gens du voyage, tsigane ou rom, qui vivent en France, on estime que 10 à 12 000 sont des migrants. 70 à 80 % d’entre eux sont venus de Roumanie, les autres étant arrivés de Bulgarie ou de pays de l’ex-Yougoslavie 
			(6) 
			. Estimations fournies par la Division
des Roms et Gens du voyage du Conseil de l’Europe.. En tant que citoyens de l’Union européenne, les Roms de Bulgarie et de Roumanie sont habilités à vivre et travailler en France. Cependant, aux termes d’un accord spécial, la France peut les expulser s’ils n’ont pas trouvé de travail après trois mois.
6. Les 17 et 18 juillet 2010, des manifestations violentes ont opposé les forces de police aux Gens du voyage à Saint-Aignan, dans la vallée du Cher, après le décès d’un jeune garçon de cette communauté, passager d’une voiture, sous les balles de la police. En réponse à ces manifestations, le Président français, Nicolas Sarkozy, a publié un communiqué le 29 juillet 2010, dans lequel il jugeait totalement inadmissible la situation de non-droit qui caractérise les populations roms, venues d’Europe de l’Est, sur le territoire français. Il a annoncé que le gouvernement allait démanteler 200 campements roms illégaux, qu’il a qualifiés de «sources de trafics illicites, de conditions de vie profondément indignes, d’exploitation des enfants à des fins de mendicité, de prostitution ou de délinquance». De plus, les migrants en situation irrégulière seront rapatriés dans leurs pays d’origine. Le lendemain, le Président français a prononcé un discours à Grenoble au cours duquel il a condamné la criminalité, les gangs et le trafic, et réaffirmé la décision du Gouvernement français de rapatrier tous les migrants clandestins et d’étudier la possibilité de retirer la nationalité française aux migrants coupables de certains crimes. Il a réitéré son engagement d’évacuer la moitié des 539 campements roms illégaux dans les trois mois.
7. Le 30 août, le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, a annoncé, à l’occasion d’une conférence de presse, que les actes de délinquance perpétrés par des Roumains à Paris ont augmenté de 259 % en dix-huit mois. Il a par ailleurs déclaré: «Aujourd’hui, à Paris, la réalité est que près d’un auteur de vol sur cinq est un Roumain. Il ne s’agit en aucun cas de stigmatiser telle ou telle population... mais il ne s’agit pas non plus de fermer les yeux sur une réalité.» 
			(7) 
			. «A Paris, un voleur sur cinq
est roumain», assure Hortefeux, Le Monde, 31 août 2010.
8. Depuis le discours du Président français, plus de 355 campements de Gens du voyage ont été évacués, dont 199 étaient occupés par des Roms de Bulgarie et de Roumanie 
			(8) 
			. Selon le ministère
français des Affaires étrangères et européennes.. Entre le 28 juillet et le 27 août 2010, 98 Bulgares et 881 Roumains ont été renvoyés dans leur pays d’origine 
			(9) 
			. Ibid.. Le Gouvernement français a cherché à faciliter leur réinsertion en allouant 300 euros à chaque rapatrié adulte et 100 euros à chaque enfant. Il n’empêche que leur réinsertion dans la société bulgare et roumaine sera difficile. Beaucoup de Roms ont quitté leur pays d’origine à la recherche d’une vie meilleure et dans l’espoir d’échapper à la discrimination et à la pauvreté. Une fois rapatriés, rien n’empêchera les Roms de revenir en France et de séjourner à nouveau trois mois dans le pays.
9. Le 31 août 2010, une circulaire du ministère de l’Intérieur destinée aux préfets de région a filtré dans la presse. Cette circulaire ordonnait aux préfets de région de prendre des mesures: «300 campements ou implantations illicites devront avoir été évacués d’ici à trois mois, en priorité ceux des Roms». Cette circulaire datée du 5 août 2010 porte la signature de Michel Bart, directeur du cabinet du ministre de l’Intérieur. Le gouvernement a déclaré qu’elle n’était pas connue des autorités ministérielles. Elle a été immédiatement annulée et remplacée par une nouvelle circulaire publiée le 13 septembre 2010.
10. Le Gouvernement français affirme qu’une grande majorité de ceux qui sont retournés en Bulgarie et en Roumanie l’a fait volontairement, en sollicitant une aide financière au retour délivrée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Il déclare que son souhait est de travailler avec les gouvernements d’Etats tels que la Bulgarie et la Roumanie et avec la Commission européenne afin de garantir l’intégration sociale des Roms dans les pays dont ils sont citoyens à part entière, seul moyen d’améliorer effectivement leurs conditions de vie 
			(10) 
			. Ibid..
11. Le gouvernement insiste par ailleurs sur la conformité de son action avec les règles de l’Union européenne établies dans la Directive relative à la libre circulation des ressortissants de l’Union. Les Etats sont autorisés à restreindre la liberté de circulation pour des motifs d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ils sont également habilités à restreindre la liberté de circulation si les individus ne possèdent pas de ressources suffisantes, pour éviter de faire peser un fardeau excessif sur le système de protection sociale du pays d’accueil. Si quelqu’un est expulsé pour avoir commis une infraction, la mesure prise doit être proportionnée à l’infraction commise. Il n’est pas dans mes intentions de vérifier la compatibilité des actions engagées par le Gouvernement français avec le droit européen, c’est aux institutions de l’Union européenne qu’il appartient de le faire. Cela étant, il semblerait que toutes les personnes que le Gouvernement français souhaite rapatrier n’ont pas été jugées coupables d’avoir commis une infraction. En fait, le 30 août 2010, un tribunal administratif de Lille a annulé les ordonnances d’expulsion prononcées à l’encontre de sept Roms, au motif que les autorités n’ont pas été en mesure de prouver que ces personnes représentaient une menace pour l’ordre public du seul fait qu’elles vivaient dans des campements roms illégaux.
12. En fait, la décision d’évacuer les campements et de renvoyer les Roms dans leurs pays d’origine ne change pas fondamentalement des pratiques mises en œuvre ces dernières années. Depuis 2003, année où 2 000 Roms ont été expulsés, la France a évacué des campements de Roms et procédé à des expulsions de plus en plus nombreuses. Après l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne en 2007, le nombre des expulsions a augmenté significativement. Au cours de la seule année dernière, 10 777 Roumains et 863 Bulgares, dont la plupart étaient des Roms, ont été expulsés. Pour l’année en cours, ils étaient plus de 7 349 à avoir déjà été renvoyés avant même l’annonce présidentielle de juillet 
			(11) 
			. Ibid.. En dépit de ces politiques, le nombre de Roms d’Europe de l’Est en France est resté stable, aux alentours de 10 à 12 000, et on estime que les deux tiers de ceux qui ont quitté le pays l’année dernière y sont revenus.
13. S’il apparaît que la politique gouvernementale n’a pas fondamentalement changé, la véritable évolution semble résider dans la rhétorique employée non seulement par le Président de la République, mais aussi par divers membres du gouvernement. Autre modification notable également: la rapidité avec laquelle les camps ont été fermés après l’annonce du Gouvernement français, fin juillet 2010.

2.1.2. Réactions nationales et internationales

14. Divers responsables et organes politiques ont exprimé leurs vives inquiétudes face aux politiques et discours publics faisant un amalgame entre Roms et criminalité. En France, des hommes politiques tant du parti au pouvoir, l’UMP, que des partis d’opposition ont critiqué la réaction du Gouvernement français. Deux anciens Premiers ministres, Dominique de Villepin et Jean-Pierre Raffarin, ont condamné la politique et la rhétorique utilisées 
			(12) 
			.
«Roms: Villepin, Raffarin, Sarkozy, même combat», Le Monde, 25 août
2010. et Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, a déclaré sur une chaîne française de télévision avoir même envisagé de démissionner 
			(13) 
			. «Expulsions
de Roms: Bernard Kouchner dit avoir songé à démissionner», Le Monde,
30 août 2010.. Pour sa part, la société civile, y compris les ONG et les institutions religieuses, a dénoncé la fermeture des campements et l’expulsion des Roms.
15. Le Conseil de l’Europe a également réagi sur ce point. Le Président de l’Assemblée, Mevlüt Çavuşoğlu, fut l’un des premiers à s’exprimer le 20 août 2010, critiquant les pratiques employées par les autorités françaises et indiquant qu’elles «ne sont assurément pas de nature à améliorer la situation de cette minorité vulnérable. Bien au contraire, elles risquent fort d’attiser les sentiments racistes et xénophobes en Europe». Il a par ailleurs fait référence à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui a condamné régulièrement des Etats où les Roms souffrent de maltraitance ou de discrimination, rappelant également que le Protocole no 4 à la Convention européenne des droits de l’homme interdit les expulsions collectives d’étrangers 
			(14) 
			. «Le Président de l’Assemblée
parlementaire préoccupé par la situation des Roms en Europe», <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?id=1658625&Site=COE&BackColorInternet=DBDCF2&BackColorIntranet=FDC864&BackColorLogged=FDC864'>communiqué
de presse 606 (2010)</a>, 20 août 2010..
16. Dans le même esprit, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) s’est dite profondément préoccupée par le traitement dont font actuellement l’objet les Roms et a déclaré: «A supposer même que les normes pertinentes en matière de droits de l’homme soient respectées, une politique fondée sur des expulsions forcées et des mesures “incitant” à quitter la France ne peut fournir une réponse durable.» 
			(15) 
			. «Déclaration de la Commission
européenne contre le racisme et l’intolérance sur la situation des
Roms migrants en France», <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=PR608(2010)&Language=lanFrench&Ver=original&Site=COE&BackColorInternet=DBDCF2&BackColorIntranet=FDC864&BackColorLogged=FDC864'>communiqué
de presse 608 (2010)</a>, 24 août 2010.
17. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, a publié un certain nombre de déclarations et accordé plusieurs interviews aux médias depuis le mois d’août. Le 9 septembre 2010, il a fait la déclaration suivante:
«Les personnalités politiques devraient faire très attention à ne pas employer de termes qui risquent d’alimenter les préjugés à l’encontre des communautés roms.
Dans le cadre de la campagne actuellement menée par le Gouvernement français contre la délinquance, des Roms originaires d’autres pays de l’Union européenne ont été accusés de représenter une “menace pour l’ordre public”. Les représentants du Gouvernement français n’ont pas fait clairement la distinction entre les immigrés roms dans leur ensemble et les quelques membres de ce groupe qui ont effectivement commis des infractions.
Cela est d’autant plus grave que l’antitsiganisme gagne du terrain dans de nombreux pays européens et que des partis extrémistes tentent d’exploiter cette tendance. Leur propagande ressemble d’ailleurs beaucoup à celle qui était faite dans les années 30 et 40 par les fascistes et les nazis. Il faut se garder de toute déclaration et de tout acte à caractère politique qui pourraient promouvoir ces idées.
Les déclarations négatives de personnalités politiques influentes peuvent avoir des conséquences qui ne doivent pas être sous-estimées.» 
			(16) 
			. Commissaire Hammarberg, «Rhétorique
anti-Roms en Europe: les politiciens doivent éviter d’alimenter
les préjugés», communiqué de presse, 9 septembre 2010.
18. Les hasards du calendrier font que le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) s’est réuni le 27 août 2010 pour examiner l’application par la France de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Le comité s’est inquiété de ce que des Roms ont été renvoyés de manière collective dans leurs pays d’origine, sans que n’ait été obtenu le consentement libre, entier et éclairé de tous les individus concernés. Il s’est dit alarmé par la tenue de discours politiques de nature discriminatoire et par l’augmentation récente des actes et manifestations à caractère raciste et xénophobe dirigés contre les Roms en France après l’annonce présidentielle.
19. Le CERD a décidé de lancer une procédure d’alerte rapide à l’égard de la France, avec pour objectif de mettre en garde l’ensemble des institutions de l’Etat quant à ce problème et de leur rappeler l’obligation qui leur incombe de veiller au caractère non discriminatoire des mesures prises 
			(17) 
			. «Observations finales du Comité
pour l’élimination de la discrimination raciale» concernant la France,
CERD/C/FRA/CO/17-19, 27 août 2010..
20. Dans une résolution adoptée le 9 septembre 2010, le Parlement européen s’est déclaré inquiet «de la rhétorique provocatrice et ouvertement discriminatoire qui a marqué le discours politique au cours des opérations de renvoi des Roms dans leur pays, ce qui donne de la crédibilité à des propos racistes et aux agissements de groupes d’extrême droite». Il poursuit en rappelant aux décideurs politiques leurs responsabilités et «rejette toute position visant à établir un lien entre les minorités et l’immigration, d’une part, et la criminalité, d’autre part, et à créer des stéréotypes discriminatoires» 
			(18) 
			.
Résolution du Parlement européen du 9 septembre 2010 sur la situation
des Roms et la libre circulation des personnes dans l’Union européenne..
21. La commissaire européenne chargée de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, Viviane Reding, s’est elle aussi clairement fait entendre à ce sujet. Elle a déploré «que la rhétorique employée dans certains Etats membres […] ait été ouvertement discriminatoire et en partie provocante» 
			(19) 
			. «EU expresses concern
over Roma Expulsions in France», EU Observer, 31 août 2010.. Le 14 septembre 2010, dans une déclaration publique, elle explique que «la discrimination basée sur l’origine ethnique ou la race, n’a pas de place en Europe. Elle est incompatible avec les valeurs sur lesquelles l’Union européenne est fondée. Les autorités nationales qui discriminent des groupes ethniques lors de l’application du droit de l’Union européenne violent aussi la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, que tous les Etats membres ont signée, y compris la France» 
			(20) 
			. «Déclaration sur l’évolution
de la situation concernant les Roms», Discours/10/428, 14 septembre
2010..
22. Après la publication, à la suite d’une fuite, de la circulaire du ministère de l’Intérieur qui demandait aux autorités françaises d’évacuer en priorité les campements roms, Viviane Reding a annoncé que la Commission européenne allait étudier l’ouverture d’une procédure d’infraction contre la France pour d’éventuelles violations de la Directive de 2004 sur le droit à la liberté de circulation et de séjour dans l’Union, et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le 29 septembre 2010, la Commission a annoncé l’ouverture d’une procédure d’infraction contre la France, considérant que ce pays n’avait pas transposé la directive sur la libre circulation en droit national de manière à rendre ces droits complètement efficaces et transparents. Elle a décidé d’adresser une lettre de mise en demeure à la France, demandant la transposition complète de la directive dans la loi française ou une note expliquant comment elle entend le faire avant le 15 octobre 2010 
			(21) 
			. «La Commission
européenne évalue les récents développements en France, discute
la situation générale des Roms et le droit de l’UE sur la libre
circulation des citoyens de l’UE», IP/10/1207, 29 septembre 2010.. Le Gouvernement français a réagi en affirmant qu’il soumettrait toutes les informations demandées.
23. Parallèlement, la Commission a renoncé à lancer une procédure d’infraction pour violation de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne fondée sur la discrimination. La Commission s’est déclarée satisfaite des assurances données par le Gouvernement français sur le fait que les dispositions de la Charte n’avaient pas été violées. Cependant, la Commission a demandé la fourniture de documents complémentaires 
			(22) 
			. «Roms: la Commission
européenne cherche l’apaisement avec la France, sans lui donner
raison», Le Monde, 29 septembre 2010.
24. De son côté, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, Thorbjørn Jagland, a convoqué une réunion ministérielle de haut niveau le 20 octobre 2010 à Strasbourg, en vue de développer une approche paneuropéenne des questions liées aux Roms. Elle réunira les responsables politiques des 47 Etats membres ainsi que des représentants des organisations internationales pertinentes. Le Secrétaire Général a souligné que «cette réunion devrait être le point de départ des efforts conjugués des institutions européennes et des Etats membres pour s’occuper de la situation des Roms de manière constructive et durable» 
			(23) 
			. «Le Conseil de l’Europe lance un appel
en faveur d’une réunion constructive et concrète de haut niveau
concernant les Roms», communiqué de presse 706 (2010), 29 septembre
2010..
25. Le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes, Pierre Lellouche, a été l’un des premiers à exprimer son soutien à l’initiative du Secrétaire Général 
			(24) 
			. «L’initiative du Conseil
de l’Europe sur les Roms reçoit le soutien du Gouvernement français»,
communiqué de presse 670 (2010)., qui a reçu un accueil favorable de l’ensemble des Etats membres. L’Union européenne a également salué l’initiative et proposé son aide, et Viviane Reding a été invitée à participer à la réunion de haut niveau. Il s’agit là d’un exemple marquant de la manière dont le Conseil de l’Europe peut travailler avec l’Union européenne sur des questions d’intérêt commun et partager sa grande expérience et son expertise en matière de droits de l’homme, de démocratie et de primauté du droit. Je suis d’avis que nous devons tous, en tant que parlementaires, soutenir l’initiative du Secrétaire Général, appeler nos gouvernements respectifs à participer à cette réunion de haut niveau et garantir que les suites appropriées seront données aux décisions prises.

2.2. Développements dans les autres Etats membres du Conseil de l’Europe

26. La question de la montée du discours sécuritaire à l’encontre des Roms a, à n’en pas douter, une dimension paneuropéenne. On estime que la population rom compte entre 10 et 12 millions de personnes dans toute l’Europe, ce qui en fait de loin la minorité la plus importante. Avant les événements de cet été, l’Assemblée avait déjà exprimé ses préoccupations devant la montée de l’antitsiganisme au sein de ses Etats membres. Dans sa Résolution 1740 sur la situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l’Europe, adoptée en juin 2010, l’Assemblée s’est dite choquée «par les graves actes de violence commis récemment contre les Roms dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe, qui reflètent l’aggravation d’une tendance en Europe à un antitsiganisme de la pire espèce. Des groupes extrémistes profitent de la crise financière pour capitaliser sur les peurs engendrées par l’assimilation des Roms à des criminels, en choisissant un bouc émissaire qui représente une cible facile, les Roms étant l’un des groupes les plus vulnérables» 
			(25) 
			. Résolution 1740 (2010)..
27. Dans son exposé des motifs, rédigé avant l’adoption de la résolution, M. Berényi détaille la recrudescence des manifestations anti-Roms et des actes de violence dont font l’objet les Roms dans les Etats membres du Conseil de l’Europe 
			(26) 
			. Doc. 12174 de l’Assemblée.. Ces incidents ne se sont pas produits isolément, ils sont liés à la montée de la rhétorique anti-Roms employée par des personnalités politiques qui ont publiquement associé les Roms à la criminalité et répondu en mettant en œuvre des politiques visant ostensiblement à protéger la sécurité des citoyens. Ce qui suit est une liste non exhaustive d’exemples récents de rhétoriques anti-Roms dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.

2.2.1. République tchèque

28. Dans un rapport adopté en 2009, l’ECRI indiquait: «Ces dernières années, des responsables politiques aux niveaux national et local ont tenu des propos contre les Roms qui ont fait l’objet d’une large publicité. Des slogans anti-Roms ont été utilisés dans le cadre de campagnes électorales locales et des déclarations incendiaires d’hommes politiques semblent avoir été récompensées.» 
			(27) 
			. <a href='http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/country-by-country/czech_republic/CZE-CbC-IV-2009-030-FRE.pdf'>CRI(2009)30</a>. Il convient de souligner que ce phénomène s’est accompagné d’un regain d’activités des groupes d’extrême droite.

2.2.2. Danemark

29. Le 6 juillet 2010, 23 Roms roumains ont été arrêtés dans un entrepôt de Copenhague. Leur arrestation faisait suite aux propos qu’aurait tenus le maire de la ville, Frank Jensen, accusant les Roms de commettre des cambriolages dans la ville et appelant le gouvernement à prendre des mesures afin de débarrasser Copenhague des «Roms délinquants». Le ministre de la Justice, Lars Barfoed, aurait, dit-on, accusé les intéressés roms, les qualifiant de résidents illégaux, et assuré que la police allait intervenir. Les 23 Roumains ont été expulsés le lendemain même, sans qu’aucune enquête n’ait été engagée ni aucune condamnation prononcée. Le Centre européen pour les droits des Roms a porté l’affaire au nom de 10 d’entre eux devant les tribunaux danois, demandant que l’ordonnance d’expulsion soit rétroactivement annulée. L’objectif à long terme est d’amener la Cour de justice de l’Union européenne à statuer sur la légalité de ces expulsions de ressortissants roumains et bulgares. Aucune enquête n’a apparemment été menée avant le prononcé de l’ordonnance d’expulsion et seule l’une des personnes concernées n’aurait pas de casier judiciaire vierge.

2.2.3. Hongrie

30. Dans un courrier adressé au Premier ministre de Hongrie en octobre 2009, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe s’est dit inquiet au plus haut point devant la montée de l’extrémisme et des manifestations d’intolérance et de racisme visant particulièrement des membres de la minorité rom, estimée représenter 7 % de la population du pays.
31. Le commissaire s’est dit particulièrement préoccupé des propos hostiles aux Roms tenus par certaines personnalités publiques, mais aussi par le fait que ces propos n’ont pas été fermement condamnés et qu’aucune mesure effective n’a été prise pour éviter que de tels incidents ne se reproduisent 
			(28) 
			. Voir CommDH(2009)39.. Les meurtres de sang-froid de Roms, notamment d’un jeune garçon de 5 ans, en Hongrie en 2009, sont une autre illustration de la persistance du risque de violence anti-Roms.

2.2.4. Italie

32. En 2007, un Rom de Roumanie a été accusé du meurtre d’une Italienne. Par la suite, les médias et certains responsables politiques ont commencé à s’élever contre les Roms 
			(29) 
			.
On estime à 150 000 le nombre de Roms en Italie, dont la moitié
est membre de la communauté sinti qui s’est installée dans le pays
au cours du XVIe siècle. L’autre moitié est venue de l’ex-Yougoslavie
au lendemain de la guerre des années 1990 ou, plus récemment, depuis
2007, de Bulgarie et de Roumanie. , renforçant ainsi les stéréotypes existants. Le 11 mai 2008, le quotidien national, La Repubblica, a cité M. Roberto Maroni, ministre de l’Intérieur italien, disant que «tous les campements roms doivent être démantelés sur-le-champ et les habitants expulsés ou incarcérés».
33. On estime que le lien établi par les personnalités politiques entre criminalité et minorité rom a contribué à la montée de ressentiments à l’égard de la population rom 
			(30) 
			. OSCE<a href='http://www.osce.org/documents/odihr/2009/03/36620_en.pdf'>,
Assessment of the human rights situation of Roma and Sinti in Italy:
report on a fact finding mission to Milan, Naples and Rome on 20-26
July 2008</a>.. A la même époque, plusieurs attaques de campements roms ont été perpétrées, et l’on a constaté une recrudescence de manifestations anti-Roms, dont certaines très violentes. Ces incidents ont fait l’objet d’autres rapports 
			(31) 
			.
Voir Doc. 12174 de l’Assemblée, «La situation des Roms en Europe
et les activités pertinentes du Conseil de l’Europe» (2010), et <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CommDH(2008)18&Language=lanFrench&Ver=original&Site=COE&BackColorInternet=DBDCF2&BackColorIntranet=FDC864&BackColorLogged=FDC864'>CommDH
(2008) 18</a>.. Un camp a été dévasté après qu’une femme rom a été accusée d’avoir kidnappé un bébé. Le ministre de l’Intérieur a été cité dans la presse avertissant que «[…] c’est ce qui arrive quand des Tsiganes volent des bébés» 
			(32) 
			.
Voir Zygmunt Bauman, «L’odio per lo stranerio nasce della paura»,
La Repubblica, 29 septembre 2008..
34. Plus tard le même mois, le Premier ministre italien déclarait «l’état d’urgence à propos de campements nomades dans les régions de la Campanie, du Latium et de la Lombardie» 
			(33) 
			.
Décret du président du Conseil des ministres, 21 mai 2008, sur l’immigration
et l’asile, <a href='http://www1.interno.it/mininterno/export/sites/default/it/sezioni/servizi/legislazione/immigrazione/0979_2008_05_27_decreto_21_maggio_2008.html'>www1.interno.it/mininterno/export/sites/default/it/sezioni/servizi/legislazione/immigrazione/0979_2008_05_27_decreto_21_maggio_2008.html</a>... La rhétorique contre l’insécurité «a conduit à des abus évidents en Italie. Les autorités ont, entre autres, relevé les empreintes digitales de Roms, photographié des enfants roms, expulsé brutalement des Roms de leurs camps et laissé impunis de nombreux incendies criminels des cabanes où ils habitaient» 
			(34) 
			. Doc. 12174 de l’Assemblée,
«La situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du
Conseil de l’Europe», paragraphe 22..
35. A la suite de sa visite en Italie en juin 2008, le Commissaire aux droits de l’homme s’est dit très préoccupé «par l’adoption ou la rédaction par le gouvernement d’une législation drastique visant à assurer la “sécurité publique” et imposant un contrôle plus strict de l’immigration, y compris pour les citoyens de l’Union européenne, ainsi que du séjour et de la circulation des populations roms et sintis. Bien qu’une action plus énergique puisse être nécessaire, l’adoption dans l’urgence de mesures sécuritaires du type actuellement appliqué ou envisagé en Italie risque clairement d’établir un lien entre l’insécurité et certains groupes de populations et de créer un amalgame entre étrangers et délinquants. Ce risque doit être soigneusement évité si l’on ne veut pas attiser davantage les tendances xénophobes» 
			(35) 
			. <a href='https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?Ref=CommDH(2008)18&Language=lanFrench&Ver=original&Site=COE&BackColorInternet=DBDCF2&BackColorIntranet=FDC864&BackColorLogged=FDC864'>CommDH(2008)18</a>..
36. Pour sa part, une délégation de l’OSCE s’est plainte de ce que les mesures prises par le gouvernement, à commencer par l’instauration de l’état d’urgence, ont été disproportionnées par rapport à l’ampleur réelle de la menace posée à la sécurité par l’immigration de Roms ou leurs campements. Elle a également fait part de son inquiétude devant les déclarations faites, entre autres, par d’éminentes personnalités politiques, estimant qu’elles renforcent encore le parti pris contre les Roms dans la société au sens large et contribuent à stigmatiser la communauté rom et sinti 
			(36) 
			. OSCE<a href='http://www.osce.org/documents/odihr/2009/03/36620_en.pdf'>,
Assessment of the human rights situation of Roma and Sinti in Italy:
report on a fact finding mission to Milan, Naples and Rome on 20-26
July 2008</a>.. Elle a recommandé à l’Italie de lutter contre les discours de haine et autres expressions de xénophobie proférés à l’encontre des Roms aussi bien par des citoyens ordinaires que par des responsables publics.

2.2.5. Roumanie

37. Le ministre des Affaires étrangères, Teodor Baconschi, aurait dit: «Nous rencontrons certains problèmes physiologiques, physiques ou de délinquance, au sein de certaines communautés roumaines, et notamment parmi les communautés roms.» 
			(37) 
			. Bureau
européen d’information pour les Roms, E-News du 3 mars 2010, <a href='http://erionet.org/site/upload/E-News 8 March EU mention.pdf'>http://erionet.org/site/upload/E-News%208%20March%20EU%20mention.pdf</a>.

2.2.6. Suède

38. La Suède a récemment renvoyé 50 Roms pour mendicité, bien que ce motif ne constitue pas une infraction pénale au titre de la législation suédoise 
			(38) 
			. «Romani people are
deported without legal reason», Stockholm News, 30 juillet 2010.. Le ministre suédois des Migrations, Tobias Billström, a défendu l’action de son gouvernement en arguant que les règles de l’Union européenne sur la liberté de circulation n’ont pas pour fonction d’encourager la mendicité. En réponse, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe qui est, rappelons-le, d’origine suédoise, a rédigé un article avec l’archevêque Ander Wejryd dans lequel ils avancent que le Gouvernement suédois s’est rendu complice de la discrimination permanente dont sont victimes les Roms, «qualifiés de danger pour la société par des hommes politiques soucieux de tirer la couverture à eux en demandant l’adoption d’une ligne dure à l’égard de ce groupe déjà si vulnérable. Ils font l’objet d’arrestations et d’expulsions collectives» (traduction non officielle) 
			(39) 
			.
«Sweden discriminates against Roma», The Local, 4 septembre 2010..
39. En fait, les attitudes et les discours anti-Roms sont tellement répandus en Europe que des mesures similaires sont prises dans d’autres pays, alors qu’elles seraient habituellement considérées comme inacceptables. Le rapport intitulé «Les demandeurs d’asile roms en Europe» 
			(40) 
			.
Voir Doc. 12393 de l’Assemblée sur les demandeurs d’asile roms en
Europe, rapport de la commission des migrations, des réfugiés et
de la population, 21 septembre 2010., qui devrait être débattu le 12 novembre 2010 devant la Commission permanente, signale les problèmes liés au retour des demandeurs d’asile roms du Kosovo 
			(41) 
			. Toute référence au Kosovo, que ce soit
à son territoire, ses institutions ou sa population, doit se comprendre
en pleine conformité avec la Résolution 1244 du Conseil de sécurité
des Nations Unies et sans préjuger du statut du Kosovo., et appelle les Etats membres à réexaminer leurs politiques de retour à l’égard des demandeurs d’asile roms du Kosovo dont les demandes ont été rejetées et à envisager de leur offrir des solutions de remplacement, y compris la naturalisation.

3. Les responsables politiques ne devraient pas renforcer les stéréotypes

40. La crise financière a exacerbé de nombreux problèmes dans toute l’Europe. Les taux de chômage élevés peuvent souvent induire une hausse du taux de criminalité et un renforcement du sentiment d’insécurité au sein de la population. Dans de telles circonstances, il peut sembler facile d’exploiter à des fins politiques les Roms et autres minorités, y compris les migrants, et d’en faire des boucs émissaires. Il est toutefois extrêmement dangereux que des responsables politiques cherchent à jouer avec des stéréotypes déjà ancrés pour en tirer des avantages politiques. Cette démarche sape les travaux d’institutions telles que le Conseil de l’Europe ou l’OSCE ainsi que ceux d’ONG qui ont durement œuvré afin de mettre un terme à la discrimination et à la situation défavorisée que connaissent les Roms en Europe. L’ironie du sort veut que ce discours survienne à mi-course de la Décennie pour l’intégration des Roms 
			(42) 
			.
La Décennie pour l’intégration des Roms (2005-2015) est censée améliorer
la situation sociale et économique des Roms. Les 12 pays participants
d’Europe centrale et orientale, ainsi que l’Espagne, ont prévu d’axer
leurs efforts sur les domaines prioritaires de l’enseignement, de
l’emploi, de la santé et du logement, et demandent aux gouvernements
de s’occuper des autres problèmes majeurs tels que la pauvreté,
la discrimination et l’intégration des questions d’égalité entre
les hommes et les femmes..
41. Nous nous devons, en tant que responsables politiques, d’être conscients de nos responsabilités envers les Roms. Comme l’a longuement évoqué M. Berényi dans son rapport, les Roms sont devenus la cible de violences organisées à motivation raciale. La liberté d’expression n’est pas un droit absolu et tous les hommes politiques ont le devoir de veiller à ce que les termes employés ne contribuent pas à renforcer les stéréotypes et à encourager, si l’on n’y prend garde, les actions d’extrémistes.
42. Il serait faux de prétendre que nous ne rencontrons pas certains problèmes avec les communautés roms. Les Roms figurent au nombre des groupes les plus marginalisés de notre société. Pauvreté, insécurité, marginalisation, logement inadéquat, ségrégation, manque d’accès à l’éducation et au marché de l’emploi sont des questions récurrentes qui touchent les Roms de l’Europe entière. Comme l’indiquait le Commissaire aux droits de l’homme, «il y a bien sûr des Roms qui commettent des vols, et certains sont aussi exploités honteusement par des trafiquants. L’on sait bien que les personnes marginalisées et défavorisées tendent à être surreprésentées dans les statistiques pénales, et ce pour des raisons évidentes». Il n’est cependant pas juste et justifié de jeter l’opprobre sur l’ensemble de la communauté rom. Toute action entreprise sans réfléchir en vue de démanteler des campements à la suite de prétendues activités criminelles d’une minorité de Roms, telles celles dont nous avons été témoins, ne permettra pas de résoudre durablement le problème. Il convient néanmoins de traiter les questions sous-jacentes, y compris les causes profondes de la marginalisation et de la pauvreté des Roms.
43. Les pays européens qui offrent de meilleures perspectives d’emploi et de conditions de vie et qui disposent de systèmes de protection sociale plus généreux attirent fatalement les migrants des pays voisins moins riches, faisant ainsi peser des pressions sur les institutions sociales. L’échec de l’intégration des migrants au sein de la société exacerbe les tensions sociales, mène à un sentiment croissant d’insécurité et à un mécontentement des autres habitants, créant ainsi un terreau fertile pour la rhétorique anti-immigration. A diverses reprises au cours de la dernière décennie, certains responsables politiques et certains médias ont mis en cause les demandeurs d’asile 
			(43) 
			.
Voir «L’image des demandeurs d’asile, des migrants et des réfugiés
véhiculée par les médias», <a href='http://assembly.coe.int/main.asp?Link=/documents/workingdocs/doc06/fdoc11011.htm'>Doc. 11011</a> (2006) de
l’Assemblée., les musulmans, les Roms et autres immigrants, s’agissant des problèmes auxquels est confrontée la société. Parallèlement, face à la recrudescence de la criminalité, conséquence quasi naturelle de la crise économique, les électeurs remettent légitimement en question l’efficacité des politiques publiques en matière de sûreté et de sécurité. Les sociétés sont de plus en plus réceptives aux programmes politiques xénophobes. Quant aux pays d’origine, ils ont également leur part de responsabilité dans la façon de s’attaquer à la question.
44. Alors que pendant longtemps les partis traditionnels ne sont pas parvenus à anticiper ou à relever ces défis, les partis populistes extrémistes ont cherché à tourner à leur avantage les préoccupations d’ordre sécuritaire de la société en assimilant purement et simplement l’immigration à la criminalité et à l’insécurité. Comme en témoignent plus récemment les élections en Suède, une tendance inquiétante se dessine en Europe, à savoir l’élection aux parlements nationaux de partis d’extrême droite. Les élections de 2009 du Parlement européen et d’autres scrutins récents en sont le reflet.
45. Il est compréhensible que les responsables politiques des principaux partis cherchent à empêcher leur électorat de se tourner vers les partis d’extrême droite. De même, les Etats membres devraient être en mesure d’engager des actions pour lutter contre la criminalité et protéger les personnes résidant sur leur territoire. Les partis traditionnels ne peuvent par conséquent pas se permettre de délaisser le domaine de la sécurité au risque de voir les forces politiques marginales en tirer avantage.
46. Néanmoins, le langagene doit pas servir à rejeter la responsabilité de tous les maux de nos sociétés ou de la criminalité sur telle ou telle minorité spécifique, comme les Roms. Il est particulièrement inquiétant que les partis traditionnels commencent à recourir à des discours racistes pour retenir leur électorat 
			(44) 
			. «Lutte contre l’extrémisme:
réalisations, faiblesses et échecs», Doc. 12265 de l’Assemblée.. Comme l’indiquait M. Zingeris, «les partis traditionnels ont eu tendance à emprunter certains traits des discours radicaux des partis extrémistes pour, d’une part, s’assurer les voix d’une partie de la population et, d’autre part, accuser quelqu’un d’autre (les immigrés, les Juifs, les spéculateurs, etc.) de leur propre inefficacité» 
			(45) 
			.
«Les conséquences politiques de la crise économique», Doc. 12282 de l’Assemblée..

4. Conclusions

47. S’il est compréhensible que, dans bon nombre d’Etats membres du Conseil de l’Europe, les autorités, confrontées à une recrudescence de la criminalité, se voient contraintes de durcir les politiques visant à protéger l’ordre public et la sécurité de toutes les personnes qui vivent sur leur territoire, j’estime de la plus haute importance d’établir dans le discours politique une distinction claire entre les individus qui ont commis des infractions et des groupes entiers de personnes, tels que les Roms ou toute autre minorité, y compris les migrants.
48. Nous, en tant que responsables politiques, devons condamner le caractère raciste et xénophobe des discours stigmatisant les Roms ou toute autre minorité, y compris les migrants. La responsabilité particulière d’éliminer du discours politique les stéréotypes négatifs et les stigmatisations de minorités ou de groupes de migrants et de promouvoir un message de non-discrimination, de tolérance et de respect à l’égard des personnes d’origines différentes nous incombe.
49. C’est pourquoi, dans le projet de résolution, je propose que nous rappelions et réaffirmions les normes et les lignes directrices du Conseil de l’Europe applicables au discours politique, contenues, entre autres, dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dans la Recommandation no R (97) 20 du Comité des Ministres sur le «discours de haine», dans les recommandations de politique générale de l’ECRI et dans sa Déclaration de 2005 sur l’utilisation d’éléments racistes, antisémites et xénophobes dans le discours politique, dans les recommandations du Commissaire aux droits de l’homme, dans les documents connexes de la Commission de Venise, ainsi que dans les résolutions de l’Assemblée sur le discours raciste, xénophobe et intolérant en politique (Résolution 1345 (2003)) et sur la lutte contre l’extrémisme: réalisations, faiblesses et échecs (Résolution 1754 (2010)). Un certain nombre de recommandations sont ensuite adressées aux Etats membres du Conseil de l’Europe, aux autorités et aux institutions publiques aux niveaux national, régional et local, ainsi qu’aux responsables.
50. Par ailleurs, il nous faut rappeler l’importance de la Charte des partis politiques européens pour une société non raciste, signée par le Président de notre Assemblée et le Président du Parlement européen en 2003. Nous devons nous engager, et inviter instamment les partis politiques, les forces politiques et les personnalités politiques et publiques dans les Etats membres ainsi que les groupements internationaux de partis politiques à s’engager:
  • à adhérer aux principes inscrits dans la charte, à les mettre en œuvre et à les promouvoir activement;
  • à contribuer activement à la lutte contre toute tentative de stigmatisation ou d’incitation à l’hostilité envers une personne ou un groupe de personnes sur la base de la race, de l’origine ethnique, de la nationalité, des croyances religieuses ou de l’origine sociale;
  • à combattre toute action ou forme d’expression susceptible d’exacerber les craintes et les tensions entre des groupes d’origine raciale, ethnique, nationale, religieuse ou sociale différente;
  • à traiter de manière responsable et équitable tous les thèmes sensibles ayant trait à ces groupes;
  • à s’abstenir de tout discours à caractère raciste, xénophobe, nationaliste agressif, ethnocentrique ou autrement discriminatoire, ou de poursuivre de tels objectifs politiques, et à réprimer fermement tout sentiment ou comportement raciste dans leurs propres rangs.
51. A la lumière de la responsabilité particulière incombant aux médias, un certain nombre de recommandations leur sont également adressées.
52. Enfin, en ce qui concerne la situation spécifique des Roms en Europe, nous devrions:
  • réaffirmer la Résolution 1740 (2010) et la Recommandation 1924 (2010) sur la situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l’Europe, adoptées par notre Assemblée en juin 2010;
  • saluer et soutenir l’initiative du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe d’organiser une réunion de haut niveau pour convenir de mesures destinées à améliorer la situation des Roms dans toute l’Europe, point de départ des efforts conjugués des institutions européennes et des Etats membres pour s’occuper de la situation des Roms de manière constructive et durable;
  • nous déclarer prêts à contribuer au succès de cette réunion de haut niveau en apportant l’expérience qu’a notre Assemblée du traitement des questions liées aux Roms et en favorisant la mise en œuvre de l’ensemble des décisions qui seront adoptées;
  • inviter le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à informer l’Assemblée, dès que possible, c’est-à-dire lors de la réunion de la Commission permanente de l’Assemblée à Antalya, le 12 novembre 2010, des résultats de la réunion de haut niveau;
  • continuer à suivre avec attention la situation des Roms en Europe, dans toutes ses dimensions (en particulier sociale, éducative, culturelle et migratoire) et tenir également compte des résultats de la réunion de haut niveau qui se tiendra le 20 octobre 2010.