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Rapport | Doc. 12274 | 02 juin 2010

Des pensions de retraite décentes pour les femmes

(Ancienne) Commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes

Rapporteure : Mme Anna ČURDOVÁ, République tchèque

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11713, Renvoi 3491 du 3 octobre 2008. 2010 - Troisième partie de session

Résumé

La commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes recommande de réviser les systèmes traditionnels de retraite qui favorisent les parcours professionnels linéaires des hommes et sont déconnectés des réalités de la société d’aujourd’hui. Des mesures doivent être prises afin de résoudre les problèmes principaux à l’origine de l’écart des pensions entre les femmes et les hommes, d’une part, en supprimant l’écart des rémunérations entre les femmes et les hommes au cours de leur vie professionnelle et, d’autre part, en réformant le régime des pensions de retraite de façon à supprimer les inégalités.

La commission demande des mesures positives en faveur des femmes, afin de tenir compte des ruptures de carrière et des parcours de vie des femmes et des hommes, telles que la garantie d’un droit individuel à pension. Elle souligne la pertinence des régimes publics de pension qui sont plus favorables pour les femmes, ont une fonction redistributive au profit des petits salaires et prévoient des crédits pour la garde des enfants et des plus âgés.

Elle demande une plus grande solidarité entre les femmes et les hommes lorsque les droits acquis sont insuffisants, y compris à l’aide de mesures positives en faveur des personnes âgées, telles que l’octroi d’une pension ou d’un revenu global minimal au moins égal au seuil national de pauvreté.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 27 mai 2010.

(open)
1. Il existe en général une différence non négligeable entre les pensions des femmes et celles des hommes dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. De nombreuses femmes âgées sont pauvres en raison de l’absence ou de l’insuffisance des pensions de retraite. Souvent, les femmes ont participé à l’éducation des enfants et à la garde des personnes dépendantes, périodes qui ne sont pas ou que partiellement prises en considération pour le calcul des pensions de retraite. De plus, compte tenu notamment des difficultés d’accès au marché du travail, du recours au temps partiel subi et d’une progression lente de leur carrière, les femmes disposent en moyenne de revenus personnels inférieurs à ceux des hommes, ce qui induit des pensions dont le montant est faible.
2. L’Assemblée parlementaire constate que les systèmes traditionnels de retraite favorisent les parcours professionnels linéaires des hommes et sont déconnectés des réalités de la société d’aujourd’hui. De plus, avec l’augmentation des divorces, des remariages et des familles monoparentales gérées par les mères, le système de pension de réversion (versée au conjoint survivant) devient obsolète.
3. L’Assemblée plaide en faveur de pensions de retraite justes et équitables, permettant à chacun et chacune de vivre décemment. Dans un souci de cohésion sociale et de respect de la dignité humaine, elle est convaincue de la nécessité de mesures visant à résoudre les problèmes principaux à l’origine de l’écart des pensions entre les femmes les hommes, d’une part en supprimant l’écart des rémunérations entre les femmes et les hommes au cours de leur vie professionnelle et, d’autre part, en réformant le régime des pensions de retraite de façon à supprimer les inégalités.
4. En conséquence, l’Assemblée exhorte les Etats membres du Conseil de l’Europe à appliquer dans les meilleurs délais sa Résolution 1715 (2010) sur le fossé salarial entre les femmes et les hommes, afin de mettre un terme à la discrimination à l’encontre des femmes sur le marché du travail, en les invitant en particulier:
4.1. à veiller à ce que le droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale soit inscrit dans leur législation interne, s’il n’y figure pas déjà;
4.2. à obliger les employeurs à respecter ce droit et qu’ils encourent des sanctions s’ils ne le respectent pas;
4.3. à permettre aux salariés d’engager une procédure judiciaire pour faire reconnaître ce droit, sans risque pour leur emploi.
5. L’Assemblée demande aux Etats membres de réviser leurs lois sur la retraite de façon à non seulement interdire les discriminations entre les femmes et les hommes, mais aussi à prévoir des mesures de discrimination positive en faveur des femmes, à l’aide de mesures tenant compte des ruptures de carrière et des parcours de vie des femmes et des hommes:
5.1. en garantissant un droit individuel à la pension et, en tant que mesure transitoire, en assurant un partage équitable des droits à pension pour les couples, à la suite d’une rupture de leur relation;
5.2. en tenant compte du principe de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les réformes sur les pensions, notamment en mettant l’accent sur l’importance des régimes publics de pension qui sont plus favorables pour les femmes, ont une fonction redistributive au profit des petits salaires et peuvent prévoir des crédits pour la garde des enfants et des plus âgés;
5.3. en accordant une bonification suffisante pour charge de famille ou soutien à des personnes dépendantes aux individus qui participent à l’éducation des enfants et s’occupent des personnes dépendantes;
5.4. en accordant des crédits destinés à couvrir certaines périodes n’ouvrant pas droit à pension (chômage, congé parental, travail à temps partiel, etc.);
5.5. en mettant en place un congé parental suffisamment payé et partagé entre les deux parents;
5.6. en prévoyant des services de garde des enfants et des personnes dépendantes, abordables et de qualité.
6. L’Assemblée demande aux Etats membres de renforcer les mesures de solidarité entre les femmes et les hommes dans le cadre de leurs politiques de retraite, lorsque les droits acquis sont insuffisants, y compris à l’aide de mesures positives en faveur des personnes âgées:
6.1. en prévoyant l’octroi systématique aux personnes âgées d’une pension ou d’un revenu global dont le montant devrait être au moins égal ou supérieur au seuil national de pauvreté;
6.2. en réfléchissant à la mise en place d’un régime mixte de pension dont bénéficierait toute personne résidant habituellement sur le territoire national (et selon les modalités fixées par le pays), et qui inclurait une partie fixe relative à la résidence et une partie variable proportionnelle aux revenus;
6.3. en mettant en place des prestations alternatives ou complémentaires, en espèces ou en nature, telles que la prise en charge de soins médicaux ou d’autres frais comme l’électricité ou le chauffage;
6.4. en s’assurant qu’en aucun cas les plans d’austérité et les réformes des systèmes de pensions en cours n’affectent les femmes de manière discriminatoire ou disproportionnée.
7. Enfin, elle invite les Etats membres:
7.1. à mettre en place des mécanismes de contrôle efficaces afin de suivre la mise en œuvre des législations et de proposer les améliorations nécessaires;
7.2. à intégrer une perspective de genre dans la réforme et la future évaluation des régimes de pension, notamment en veillant à la participation équilibrée des femmes et des hommes dans les instances de négociation.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 27 mai 2010.

(open)
1. Se référant à sa Résolution … (2010) sur «Des pensions de retraite décentes pour les femmes» et au principe de l’égalité entre les femmes et les hommes dans la mise en œuvre des politiques sociales, l’Assemblée parlementaire réitère son engagement afin de supprimer les inégalités et discriminations subies par les femmes tant au niveau de leur vie privée que de leur vie professionnelle et se réjouit que le Comité des Ministres œuvre dans ce sens.
2. L’Assemblée demande au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe de charger son comité compétent:
2.1. de collecter des données approfondies désagrégées par sexe des pensions et des revenus des personnes âgées, d’analyser le problème de l’écart entre les revenus des femmes et des hommes âgés et de proposer des solutions adéquates;
2.2. d’évaluer les effets positifs et négatifs de réformes radicales des systèmes de pensions sur les pensions des femmes, comme la transformation des régimes de pension publics en des systèmes reposant sur l’épargne privée.
3. Elle invite le Comité des Ministres à sensibiliser les Etats membres en vue d’une meilleure prise de conscience de la viabilité des systèmes de pensions nationaux et de l’écart existant entre les pensions des femmes et des hommes, tant au niveau politique qu’au niveau de la société civile.

C. Exposé des motifs, par Mme Čurdová, rapporteuse

(open)

1. Introduction

1.1. Préparation du rapport

1. Mme Čurdová a été désignée rapporteuse pour l’élaboration de ce rapport le 5 décembre 2008, à la suite d’une proposition de résolution qu’elle avait initiée le 19 septembre 2008 et qui avait été renvoyée à la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes pour rapport. Dans le cadre de la préparation de ce rapport, sur proposition de la rapporteuse, la commission a désigné un expert, M. Vít Samek de la République tchèque, qui a déposé son rapport 
			(3) 
			Voir document d’expert
AS/Ega/Inf (2010) 1. le 30 novembre 2009. Ensuite, le 25 mars 2010, lors de sa réunion à Paris, la commission a tenu un échange de vues avec deux experts, M.Samek et Mme Jay Ginn, experte consultante du Royaume-Uni, qui ont chacun étayé leur analyse de la situation d’une présentation PowerPoint 
			(4) 
			Chacune
des présentations PowerPoint est disponible sous la référence AS/Ega/Inf
(2010) 10 pour M. Samek, et AS/Ega/Inf (2010) 11 pour Mme Ginn
(en anglais seulement)..
2. Vu la technicité du sujet, la rapporteuse, convaincue pour majeure partie de la pertinence de l’analyse et des solutions proposées par lesdits experts, s’en remettra tant au document d’expert préparé par M. Samek qu’aux deux présentations PowerPoint.

1.2. La problématique

3. Il existe en général une différence non négligeable entre les pensions des femmes et celles des hommes dans les pays membres du Conseil de l’Europe. M. Samek indique que les pensions personnelles des femmes ne représentent que 30 à 60 % de celles des hommes, ce qui peut être en partie compensé par des transferts d’argent public. Les femmes mariées qui travaillent perçoivent de 70 à 80 % de ce que perçoivent les hommes au cours de leur vie professionnelle 
			(5) 
			Présentation PowerPoint,
document AS/Ega/Inf (2010) 10, p. 5.
4. Beaucoup de femmes âgées sont pauvres en raison de l’absence ou de l’insuffisance des pensions de retraite 
			(6) 
			Voir le rapport de
Mme Naghdalyan sur la féminisation de
la pauvreté (Doc. 11276) et en particulier le paragraphe 15 de la Résolution 1558 (2007) sur la Féminisation de la pauvreté.. Les femmes plus jeunes disposent en moyenne de revenus personnels bien plus faibles que les hommes, ce qui induit des pensions de retraite dont le montant est faible à un stade ultérieur de leur vie. Autrement dit, le fossé salarial entre les femmes et les hommes se répercute en un fossé entre les pensions des femmes et les pensions des hommes. En outre, les femmes ont souvent participé à l’éducation des enfants et à la garde des personnes dépendantes. Ces périodes soit ne sont pas prises en considération, soit ne le sont que partiellement. Dès lors, les systèmes de retraite traditionnels, fondés la plupart sur des carrières ininterrompues et en conséquence prioritairement destinés aux hommes, sont obsolètes en ce qu’ils ne correspondent pas aux exigences de la vie actuelle.
5. L’examen des pensions de retraite revient donc à considérer et à comparer les revenus des femmes et des hommes âgés. Quels revenus prendre en considération? Se rangeant à l’avis de Mme Ginn 
			(7) 
			Document AS/Ega/Inf
(2010) 11, p. 5., la rapporteuse propose de prendre en considération les revenus propres à chacun – qui révèlent mieux la situation personnelle de chaque individu –, plutôt que les revenus du ménage.
6. L’examen des taux de pauvreté est révélateur de la situation de plus grande pauvreté des femmes 
			(8) 
			Ibid.,
p. 3.. Dans les 27 pays de l’Union européenne, à l’exception de la Hongrie, les femmes sont plus pauvres que les hommes. Par exemple, en Estonie, Lettonie et Lituanie, le taux de pauvreté femmes/hommes de plus de 65 ans est respectivement de 39 %/21 %, 39 %/22 % et 38 %/15 %, soit environ le double pour les femmes par rapport aux hommes. L’écart est moins important dans d’autres pays, mais quasi systématiquement au détriment des femmes.
7. Par ailleurs, un examen des revenus par catégories ethniques au Royaume-Uni 
			(9) 
			Ibid., p. 6. a montré que les femmes sont nettement plus pauvres dans les communautés pakistano-bangladaises, avec de grandes différences de revenus entre les femmes et les hommes, cette différence étant moins marquée dans la communauté noire.
8. Des données plus approfondies désagrégées par sexe des pensions et des revenus des personnes âgées permettraient une meilleure préhension du problème et, en tout cas, une meilleure prise de conscience du problème au niveau politique mais également dans la société civile.

2. La volonté de maintenir des pensions de retraite viables en Europe

2.1. Des systèmes de pension variés en Europe

9. En Europe, la conception des systèmes de pension de retraite présente de grandes différences d’un pays à l’autre. L’architecture des régimes et des pensions dépend fondamentalement des choix effectués concernant les éléments du système, en particulier les critères d’affiliation (volontaire ou obligatoire), la gestion du régime (publique ou privée), une éventuelle politique de revenus ou autres objectifs sociaux ancrés dans les systèmes de pension (assurance ou équivalent, ou redistribution), la méthode de financement utilisée (capitalisation ou répartition) et les procédures de détermination du montant de la future pension de retraite (régime à cotisations définies ou à prestations déterminées). Etant donné que la plupart des systèmes nationaux comportent plus d’un pilier, on trouve dans la plupart des cas diverses combinaisons des éléments du système.

2.2. La volonté de maintenir des pensions viables et adéquates

10. Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe ont souligné l’enjeu du vieillissement des populations et ses implications pour le maintien de pensions viables et adéquates. Afin d’éviter les scénarios les plus pessimistes, ils tentent de préserver la capacité des régimes de retraite actuels à atteindre leurs objectifs sociaux, maintenir leur viabilité financière et répondre à l’évolution des besoins de la société. Le but d’assurer la viabilité financière des régimes est très étroitement lié à l’objectif sociétal général du financement du droit de chacun à des pensions de retraite décentes (au-dessus du seuil de pauvreté), adéquates (mode de vie conforme à celui de la période professionnelle) et prévisibles (consensus politique, règles claires, méthode de calcul de la rente, sécurité), de façon à garantir la cohésion sociale et l’équité.
11. Les stratégies nationales de réforme des retraites garantissent généralement que la plupart des personnes acquièrent des droits à pension et assurent un niveau minimal de revenus aux personnes âgées lorsque les droits acquis sont insuffisants. L’un des grands succès des régimes de pension tient au fait que la vieillesse n’est plus synonyme de pauvreté. Dans les Etats membres où le risque de pauvreté demeure élevé, un large éventail de mesures sont notamment prises en vue d’améliorer les garanties de revenu minimal et diverses prestations en espèces et en nature sont introduites.
12. Dès lors, afin d’éviter toute discrimination fondée sur le sexe, l’objectif des Etats européens de maintenir des pensions viables devra se doubler de celui d’éviter toute discrimination aux dépens des femmes.

3. Les causes à l’origine des pensions insuffisantes pour les femmes

13. Les parcours professionnels des femmes âgées, qu’elles aient ou non travaillé principalement à temps plein, et leur situation socio-économique et matrimoniale ont une influence sur les recettes et sur le montant des pensions publiques (versées par l’Etat), professionnelles et personnelles. Toutefois, y compris des femmes âgées ayant travaillé à plein-temps, essentiellement de manière continue, peuvent être défavorisées en matière de retraite si l’on compare leurs revenus à ceux des hommes. Ce constat dénote la multiplicité des facteurs et la complexité des causes de l’écart des pensions entre les femmes et les hommes.
14. Deux grandes catégories de facteurs sont principalement à l’origine de l’écart existant entre les pensions des femmes et les pensions des hommes.

3.1. Le fossé salarial entre les femmes et les hommes

15. Comme la rapporteuse l’a déjà souligné dans son rapport sur la «Discrimination à l’encontre des femmes parmi les demandeurs d’emploi et sur le lieu de travail» 
			(10) 
			Voir Doc. 10484, rapport de Mme Anna Čurdová
sur la discrimination à l’encontre des femmes parmi les demandeurs d’emploi
et sur le lieu de travail., les femmes gagnent moins que les hommes, en moyenne, au cours de leur vie et reçoivent donc des pensions moins importantes quand elles prennent leur retraite. La rapporteuse s’en réfère également à l’excellent rapport de M. Wille du 2 février 2010 sur «Le fossé salarial entre les femmes et les hommes» 
			(11) 
			Doc. 12140. qui met en évidence l’existence d’une discrimination à l’encontre des femmes comme facteur majoritaire à l’origine des différences de salaires.
16. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène: les femmes travaillent moins au cours de leur vie (en comptant les congés de maternité et le travail à temps partiel) et elles font moins carrière, car elles sont souvent victimes de discriminations pour les promotions à des postes aux revenus supérieurs (on parle alors de «ségrégation professionnelle verticale par sexe»). Comme le précise l’OIT: «Contrairement à ce que l’on pense volontiers, [les écarts de rémunération entre hommes et femmes] ne sont pas dus principalement à un niveau d’instruction plus faible ni aux interruptions qui marquent souvent la carrière des femmes. Ils sont davantage imputables à des facteurs tels que la ségrégation professionnelle, la structure des rémunérations, la classification des emplois, la faiblesse ou la décentralisation des négociations collectives.» 
			(12) 
			Ibid.
17. Outre le fait que les pensions de retraite des femmes sont inférieures à celles des hommes, il est important de noter l’étroite interrelation entre la durée de vie des femmes et la féminisation de la pauvreté: les femmes vivant plus longtemps, elles partagent durant une certaine période la pension de leur partenaire; cependant, après le décès de ce dernier, il leur faut vivre de leur pension, laquelle est généralement bien inférieure à leur niveau de vie. Ainsi, l’assurance-vieillesse: les femmes vivent plus longtemps et, parce qu’elles gagnent habituellement moins que leurs homologues masculins, pour atteindre un montant final comparable à celui des hommes, on attend d’elles qu’elles paient une cotisation d’assurance mensuelle plus élevée.
18. Enfin, en période de récession économique, le chômage touche souvent plus les femmes que les hommes (beaucoup d’entreprises pensent encore malheureusement qu’il est plus important qu’un homme «soutien de famille» garde son emploi) et la nécessité ou la volonté de continuer à travailler pousse les femmes à accepter des rémunérations qui ne respectent pas les principes d’égalité et d’équité, ou à ne pas signaler les cas de discrimination par crainte de perdre leur emploi.

3.2. Un système de pensions inadapté au parcours de vie des femmes

19. Les systèmes de pensions actuels tiennent peu ou pas compte des parcours de vie des femmes qui, outre les congés de maternité, assument le rôle essentiel au foyer pour les tâches ménagères et pour la garde des enfants et des plus âgés. Les systèmes de retraite traditionnels sont majoritairement compatibles avec une carrière ininterrompue, c’est-à-dire qu’ils correspondent prioritairement aux carrières des hommes.
20. Par exemple, s’agissant de la naissance d’enfants, l’examen des revenus médians des femmes au cours de leur vie montre que les revenus diminuent entre la naissance et les 4 ans de l’enfant. Le fait d’avoir des enfants sera limitatif des revenus à vie 
			(13) 
			Document AS/Ega/Inf
(2010) 11, p. 10..
21. Beaucoup de couples se séparent et souvent les familles monoparentales sont dirigées par des mères qui se retrouvent dans de grandes difficultés matérielles.
22. Les femmes sont souvent obligées de travailler à mi-temps soit parce que le marché du travail ne leur permet pas de trouver un emploi à plein-temps, soit parce qu’elles doivent garder les enfants si des structures adéquates n’existent pas.
23. De même, avec les divorces et les remariages, les pensions accordées aux survivants ou pensions de réversion sont déconnectées des changements de la société. Ces pensions ont été abolies dans le système individualisé suédois 
			(14) 
			Ibid.,
p. 19. qui repose sur l’octroi personnel d’une pension à l’individu, sans lien avec son statut marital. Il s’agit d’un droit individuel propre à chacun qui permet d’obtenir un droit adéquat à pension.
24. En outre, certaines des réformes des systèmes de pensions des pays de l’Union européenne entre 1995 et 2005 ont été faites aux dépens des femmes. Ainsi, 19 pays ont augmenté l’âge pour bénéficier de la pension publique, 15 pays ont réduit le montant de la pension, 14 pays ont augmenté le taux de cotisation, 12 pays ont élevé le nombre minimal d’années de cotisation pour bénéficier du taux plein (ce qui est plus difficile à obtenir pour les femmes), 6 pays ont réduit l’indexation (au détriment des femmes, qui vivent plus longtemps). La plupart des pays ont changé vers des fonds privés (dont les risques pèsent plus sur les femmes qui ont des pensions faibles) 
			(15) 
			Ibid.,
p. 12..
25. En règle générale, les systèmes nationaux de retraite reposant sur la couverture universelle au travers de régimes publics liés aux revenus (premier pilier), de régimes privés de type professionnel ou liés à des plans d’épargne (deuxième pilier) et de plans de retraite de type individuel (troisième pilier) 
			(16) 
			Document AS/Ega/Inf
(2010) 10, p. 8-11. offrent à la plupart des Européens (en mesure de payer les cotisations voulues) de bonnes possibilités de maintenir leur niveau de vie après leur départ à la retraite. C’est ce qui a permis, en association avec des politiques fiscales en faveur des retraités, que les personnes âgées bénéficient généralement, dans la plupart des Etats membres, d’un bon niveau de vie, et même, dans certains Etats membres, d’un niveau de vie relativement élevé (davantage dans les «vieux» Etats membres de l’Union européenne, moins dans les nouveaux et dans les autres Etats membres du Conseil de l’Europe).
26. Pourtant, Mme Ginn attire l’attention sur le taux élevé de pauvreté en Grande-Bretagne et en Irlande, par rapport au Luxembourg 
			(17) 
			Document
AS/Ega/Inf (2010) 11, p. 3., en notant que dans les deux premiers pays, le taux de pension d’Etat n’est que de 40 %, et qu’il est bien plus élevé au Luxembourg. Elle en déduit une corrélation entre le taux de pauvreté et la part de la pension publique dans le montant total de la pension. Plus la part publique est élevée dans le montant global de la pension, plus la retraite des femmes sera importante et la pauvreté moindre.
27. Les femmes plus jeunes se marient plus tard, ont moins d’enfants et plus tard et sont employées plus longtemps. Cependant, les inégalités sur le marché du travail persistent. Les réformes des pensions, avec la baisse des pensions publiques et l’érosion de leur fonction redistributive et le glissement vers les pensions privées, favorisent les parcours de vie masculins. Les changements des formes familiales avec de plus en plus de femmes qui élèvent seules leurs enfants ainsi que l’augmentation des divorces rendent la pension de réversion obsolète.
28. La rapporteuse est d’avis que ces systèmes sont obsolètes et devront être révisés pour tenir compte des exigences de la vie actuelle. Il faudra notamment tenir compte du fait que les pensions privées financées par une cotisation définie ne sont pas favorables aux femmes car il n’y a pas de redistribution au profit des petits salaires, ni de crédits pour la garde des enfants et des plus âgés. Si cette pension devait au surplus être volontaire, elle serait moins importante pour les femmes qui pourraient moins cotiser et elle exposerait les individus aux risques du marché. M. Samek a d’ailleurs montré que si les réformes en cours en République tchèque aboutissaient à un système «tout privé», le système atteindrait très rapidement ses limites en creusant le déficit des retraites mais aussi les inégalités entre les femmes et les hommes 
			(18) 
			Document AS/Ega/Inf
(2010) 10, p. 8, 9 et 11.. Les réformes des systèmes de pensions dans les économies en transition des pays d’Europe centrale et de l’Est ont accru les inégalités des pensions au détriment des femmes car le fossé salarial augmente, les aides publiques sont moindres pour les plus faibles revenus, les pensions de réversion ont été réduites et le calcul des annuités n’est pas encore clair. A cela s’ajoute le nombre croissant de femmes isolées ou divorcées 
			(19) 
			Ibid.,
p. 6..

4. Recommandations

29. Comme nous l’avons évoqué plus haut, les inégalités de revenus entre les femmes et les hommes dans la dernière période de leur vie sont liées à une inégalité dans leur activité professionnelle antérieure, aux formes et conditions d’exercice des métiers qu’elle revêt et, surtout, aux différences de rémunération entre les femmes et les hommes. Cependant, elles tiennent également pour une grande part à la nature des systèmes nationaux de retraite et au rôle et à l’équilibre entre les régimes de pension publics, professionnels et personnels. Outre les rémunérations inférieures des femmes, leurs divers parcours d’emploi, en termes de répartition dans le temps des périodes de travail à temps complet, à temps partiel ou sans emploi, peuvent avoir une incidence sur les revenus des régimes de pension publics et privés.
30. Comme mentionné dans la Recommandation 1700 (2005) «Discrimination à l’encontre des femmes parmi les demandeurs d’emploi et sur le lieu de travail», il est nécessaire de souligner que la discrimination envers les femmes dans l’attribution des pensions ne disparaîtra pas d’elle-même. Il ne faut pas non plus compter sur le marché, laissé à lui-même, pour y mettre un terme. Son élimination exige que toutes les parties intéressées s’engagent dans une politique délibérée, ciblée et cohérente pendant une période de temps suffisante.
31. La rapporteuse est persuadée que la pauvreté des femmes et l’écart des pensions dont elles sont les victimes ne sont pas une fatalité. S’il n’y a pas de solution unique puisque les données relatives aux pensions varient selon les pays, le marché du travail et les réformes des pensions, des solutions générales se dégagent des constats précédents.
32. La rapporteuse invite ses collègues à la suivre dans sa volonté politique forte de traiter ce sujet car des mesures permettent de promouvoir l’égalité entre femmes et hommes vis-à-vis des pensions, tant au niveau du marché du travail que du régime des pensions, et à l’aide de mesures supplémentaires.

4.1. Un meilleur accès au marché de l’emploi, assorti d’un salaire égal

33. Comme l’a souligné l’Assemblée dans sa Résolution 1715 (2010) et sa Recommandation 1907 (2010) sur «Le fossé salarial entre les femmes et les hommes» et dans sa Recommandation 1700 (2005) «Discrimination à l’encontre des femmes parmi les demandeurs d’emploi et sur le lieu de travail», la lutte contre l’écart salarial et l’accès à l’emploi est un élément essentiel de la lutte contre les discriminations à l’égard des femmes.
34. Pour la rapporteuse, ces mesures essentielles permettront en grande partie de supprimer les discriminations envers les femmes tant au cours de leur carrière professionnelle qu’au moment de leur retraite.
35. En premier lieu, il faut réduire le fossé entre les revenus des femmes et ceux des hommes en garantissant un accès égal à l’éducation (y compris les femmes migrantes et celles des minorités ethniques).
36. Un congé parental suffisamment payé et partagé entre les deux parents permettrait non seulement d’impliquer les hommes mais aussi de contribuer à des retraites plus équitables. Ainsi, en Suède, les parents ont chacun droit à un congé parental payé à 78 % des revenus précédents 
			(20) 
			Document
AS/Ega/Inf (2010) 11, p. 18..
37. Après une interruption de leur activité professionnelle, les salariés devraient avoir la possibilité de retrouver leur emploi avec des horaires flexibles le cas échéant.
38. En outre, une meilleure répartition des postes de décision entre les femmes et les hommes dans les instances économiques et sociales contribue non seulement à une bonne gouvernance économique mais aussi à offrir aux femmes un déroulement de carrière plus intéressant 
			(21) 
			Voir la proposition
de résolution du 27 janvier 2010 «Davantage de femmes dans les instances
de décision économiques et sociales», présentée par Mme Gautier
et autres (Doc. 12144).

4.2. Un régime mixte et ajusté de pension

39. A titre liminaire, la rapporteuse souligne que la viabilité financière des systèmes de retraite est une condition préalable nécessaire pour assurer un niveau adéquat de pensions à l’avenir. Ne pas garantir la viabilité financière des systèmes de retraite sur le long terme va gravement menacer l’adéquation des régimes publics et privés et pourrait également avoir d’autres conséquences économiques négatives. Au cours de ces dernières années, les Etats membres ont reconnu l’urgence d’assurer la stabilité financière des régimes de pension en considérant le temps limité restant avant que les effets du vieillissement de la population ne se fassent sentir.
40. Particulièrement en cette période de crise économique et financière, une approche consistant à relever les taux d’emploi, à réduire la dette publique et à réformer les régimes de pension dans les Etats membres est une nécessité urgente. La viabilité fiscale à long terme des systèmes de retraite publics et privés devrait être un enjeu majeur dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
41. Dans un souci de cohésion sociale et de respect de la dignité humaine, la rapporteuse plaide pour que les retraites permettent à chacun de vivre décemment. Pour tenir compte d’une certaine équité, le calcul de la retraite devrait être individuel et pourrait par exemple être mixte: une partie minimale basée sur le pays de résidence et une partie proportionnelle aux revenus, y compris en prévoyant un accès universel à des retraites publiques de redistribution. L’ensemble devrait en tout état de cause être au moins égal ou supérieur au seuil de pauvreté national. Les retraites devraient être indexées sur les niveaux de vie généraux.
42. La rapporteuse insiste sur le fait que la solidarité est nécessaire pour surmonter les disparités entre les sexes.
43. Pour éviter la pauvreté des personnes âgées, femmes et hommes, les Etats membres doivent conserver de solides composantes redistributives dans leurs régimes de pensions du premier pilier, particulièrement sous la forme de minimums garantis ou de crédits destinés à couvrir certaines périodes n’ouvrant pas droit à pension (chômage, congé parental, etc.). Il a ainsi été possible de réduire les écarts de revenus entre pensionnés, de façon souvent plus marquée que dans la population dans son ensemble. Pour éviter la pauvreté des femmes âgées, il serait très utile d’ajouter des dispositions prévoyant expressément le partage obligatoire des droits à pension entre les hommes et les femmes après le divorce dans les régimes publics de retraite par répartition lorsque de telles dispositions n’existent pas déjà dans les systèmes existants, qu’ils soient fondés sur le principe des prestations déterminées ou sur celui des cotisations définies.
44. A supposer que les systèmes de pension ne prennent en compte que sporadiquement ou progressivement ces recommandations, des mesures temporaires de substitution pourraient être mises en place telles que la prise en charge des frais irréductibles afférant aux minimums vitaux, tels que la gratuité de l’électricité et des transports en commun ou l’allocation d’une contribution alimentaire. Ces mesures pourraient aussi faire l’objet de mesures supplémentaires à la retraite minimale.
45. Quant aux pensions privées, elles creusent les inégalités entre les sexes et une sérieuse refonte des systèmes majoritairement privés s’imposerait. L’option pour atténuer les effets néfastes sur les femmes serait que des ajustements soient opérés sur les cotisations et les pensions.
46. Des mesures d’ajustement sont nécessaires pour tenir compte de la vie des femmes, tels que l’octroi de crédits suffisants pour la garde des enfants et des personnes dépendantes 
			(22) 
			Document AS/Ega/Inf
(2010) 11, p. 16..

4.3. Des mesures supplémentaires relatives à l’équilibre des pensions

47. En outre, le partage des tâches ménagères et de garde des enfants semble être un bon vecteur d’égalité entre les femmes et les hommes et permettre une meilleure coresponsabilité tendant au développement individuel, y compris sur le plan professionnel de chacun. Il est clair qu’à ce niveau, une sensibilisation adéquate doit précéder au changement culturel et des mentalités, comme cela avait été montré dans le rapport de l’ancien président de la commission sur «Impliquer les hommes pour réussir l’égalité entre les femmes et les hommes» 
			(23) 
			Rapport
de M. Sigfússon du 23 octobre 2008 (Doc. 11760)..
48. Enfin, des services de garde des enfants et des personnes dépendantes, abordables et de qualité, sont nécessaires à l’émancipation personnelle de chacun, en particulier des femmes qui bien souvent assument seules la garde et le bien-être des enfants et des personnes âgées.
49. Pour permettre aux femmes d’acquérir le nombre d’années de cotisation nécessaires, si cela n’est pas résolu par ailleurs, il devrait être fait interdiction aux employeurs d’exiger le départ à la retraite à 60 ou 65 ans. Quoi qu’il en soit, même si l’augmentation de l’âge de la pension permet aux femmes d’augmenter le nombre d’années de travail, cela ne servira à rien si en même temps le nombre d’années de travail requises augmente aussi. Souvent aussi, les femmes de 50-60 ans s’occupent des parents et petits-enfants. Il n’est donc pas sûr que les employeurs leur offrent des possibilités de travail décentes. En tout état de cause, si elles y sont autorisées, rien n’empêcherait les femmes de travailler après l’âge légal de départ à la retraite 
			(24) 
			Document
AS/Ega/Inf (2010) 11, p. 19..

4.4. La question particulière de l’impact de la crise

50. La crise économique actuelle détériore les perspectives d’égalité entre les femmes et les hommes en matière de pensions 
			(25) 
			Document AS/Ega/Inf
(2010) 10, p. 18..
51. La crise économique et financière a interrompu ou repoussé la mise en place de stratégies globales destinées à assurer la viabilité des régimes de pension et des finances publiques dans leur ensemble, conformément à la stratégie à trois branches définie dans le cadre des grandes orientations des politiques économiques de l’Union européenne, de même que la consolidation budgétaire et la réforme des systèmes de pension. Dans de nombreux pays, de forts taux d’endettement et la charge d’intérêts que cela entraîne entravent encore la consolidation budgétaire des systèmes de pension. On peut en outre s’attendre à d’importantes augmentations des dépenses consacrées aux pensions publiques et à l’apparition de déséquilibres financiers. Il faut donc poursuivre les réformes des systèmes actuels, particulièrement dans les Etats membres qui n’ont pas encore assuré la viabilité à long terme des régimes de pension.
52. Il est nécessaire de continuer à constituer des fonds de réserve dans les régimes de pension publics afin d’éviter de fortes augmentations des taux de cotisation, d’améliorer encore les conditions liées aux formules individuelles complémentaires et aux financements privés, réduisant ainsi la nécessité d’accroître les dépenses publiques, d’évaluer les effets positifs et négatifs de réformes radicales du système, comme la transformation des régimes de pension publics en des systèmes reposant sur l’épargne privée (généralisation de la formule de l’«opt-out» en Slovaquie, Pologne, Hongrie, etc.) – ce qui, compte tenu des disparités entre les rémunérations des femmes et des hommes, confirme le prolongement de ces disparités dans les pensions également – ou en des systèmes à cotisations fictives définies (Suède, Pologne, etc.) dans le but de stabiliser les taux de contribution au fil des générations et de renforcer les incitations au travail, concourant également ainsi à avancer vers l’objectif de relèvement des taux d’emploi.
53. Les mesures de réforme prises pour améliorer la viabilité financière dans les Etats membres du Conseil de l’Europe se sont traduites, dans l’immense majorité des cas, par une réduction des prestations et des droits à pension des salariés, femmes et hommes. Au nombre de ces mesures figurent l’élévation de l’âge d’éligibilité pour les pensions (dans les pays d’Europe centrale et orientale cela a entraîné la suppression de la différence d’âge d’éligibilité entre hommes et femmes, jusqu’à présent favorable aux femmes), l’augmentation de l’offre de travailleurs âgés sur le marché du travail, des modifications de la méthode de calcul des rémunérations considérées aux fins de la pension, le passage de l’indexation sur les salaires à l’indexation sur les prix et l’évolution, comme indiqué plus haut, des régimes à prestations définies vers des régimes à cotisations définies, afin de protéger le promoteur du plan de retraite contre le risque de longévité et le risque d’investissement. La plupart de ces mesures ont des effets plus négatifs pour les femmes que pour les hommes.
54. En conclusion, la rapporteuse propose de demander que: 1. les politiques de retraite soient fondées sur une plus grande solidarité entre les femmes et les hommes, à l’aide de mesures positives en faveur des femmes; 2. la révision ou l’élaboration de lois sur la retraite qui non seulement interdisent la discrimination, mais prévoient aussi explicitement l’obligation de prévenir la discrimination et de promouvoir l’égalité, à l’aide de mesures tenant compte de la vie des femmes; 3. la prise en compte des questions d’égalité entre les femmes et les hommes pendant les discussions sur les réformes des pensions; et 4. le fait que la mise en œuvre de ces lois soit assortie de mécanismes de contrôle efficaces.
55. La rapporteuse se réfère aux avant-projets de résolution et de recommandation ci-avant et propose de soumettre ce rapport à l’Assemblée lors de la troisième partie de session (21-25 juin 2010).