1. Introduction
1. Ces dernières années, l’Assemblée parlementaire s’est
penchée à plusieurs reprises sur la question de la représentation
des femmes dans les instances politiques de plus haut niveau, avec
l’adoption de plusieurs textes de référence
. Cependant, la nécessité de promouvoir
la présence des femmes dans les instances de décision ne concerne
pas que la sphère politique. Elle doit aussi viser les secteurs
économique et social, où les femmes sont toujours sous-représentées
alors qu’elles participent de manière croissante au monde du travail.
2. Il est injuste que les conseils d’administration et de surveillance
des entreprises, publiques comme privées, et les instances dirigeantes
des organisations syndicales et professionnelles, des services diplomatiques
et consulaires et des grandes associations professionnelles ainsi
que de la justice prud’homale demeurent insuffisamment mixtes. Cette
situation est due à de multiples discriminations rencontrées par
les femmes lorsqu’elles tentent d’accéder à certaines carrières
et d’être promues à des postes de direction. Elle est préjudiciable
à la bonne gouvernance économique; une participation équitable des
femmes à la prise de décision dans le domaine socio-économique permettrait
d’accroître la rentabilité des entreprises et d’améliorer la productivité,
et créerait davantage d’emplois. Elle offrirait aussi aux femmes
un déroulement de carrière plus motivant et augmenterait leur indépendance
économique et leur autonomie.
3. Dans le cadre de mon mandat de rapporteuse, j’ai proposé que
la commission organise, le 10 septembre 2010, une audition parlementaire
à laquelle ont été conviées:
- Me
Béatrice Castellane, avocate au barreau de Paris, arbitre internationale
et présidente pour l’international de l’Association française des
femmes juristes, qui a fait le point sur les stratégies à mettre en
œuvre pour encourager l’accès des femmes aux postes de décision
économique et sociale;
- Mme Veronica Nilsson, administratrice en charge du dossier
«Egalité hommes femmes» de la Confédération européenne des syndicats
(CES), qui a dressé un tableau de la place des femmes dans le dialogue
social ainsi que des pistes explorées par son organisation pour
améliorer la situation des femmes dans les instances de décision;
- Mme Leena Linnainmaa, directrice de la chambre de commerce
centrale de Finlande et ancienne présidente de la European Women
Lawyers Association, qui nous a fait part de l’expérience de son
pays qui a réussi, sans recourir à des mesures législatives, à améliorer
considérablement la présence des femmes dans les conseils d’administration
des entreprises.
4. A l’issue de ces présentations, un échange de vues fructueux
avec les membres de la commission a mis en exergue la multiplicité
des situations en Europe et a permis une discussion sur de nombreuses
idées qui sont reflétées dans le présent rapport.
5. L’égalité de faitentre
les femmes et les hommes est loin d’être une réalité, y compris
en ce qui concerne l’accès à l’emploi et l’avancement de carrière.
Cet objectif, qui est non seulement une question de démocratie, de
justice sociale et de respect des droits fondamentaux mais aussi
un facteur garantissant la bonne gouvernance économique, ne peut
être atteint sans une impulsion et une volonté politiques qui ont
jusqu’à maintenant fait défaut.
6. Le Conseil de l’Europe a récemment fait un pas dans la bonne
direction: les ministres responsables de l’égalité entre les femmes
et les hommes, réunis lors de la 7e Conférence ministérielle du
Conseil de l’Europe à Bakou, ont en effet adopté le Plan d’action
intitulé «Relever le défi de la réalisation de l’égalité
de jure et de l’égalité
de facto entre les femmes et les
hommes»
. Ce plan promeut la mise en œuvre
de normes communes dans les Etats membres et de mesures visant à
encourager les femmes et les hommes à partager de façon égale les
responsabilités et les bénéfices du travail payé et non payé, notamment
les responsabilités domestiques et familiales.
7. L’égalité des chances ne sera atteinte que par une remise
en cause profonde des comportements. Il appartient aussi aux femmes
de changer pour briser le plafond de verre qui les empêche d’atteindre
les niveaux supérieurs dans certaines hiérarchies. Comme le remarquait
Me Castellane, «les femmes ont le plafond de verre dans la tête».
Il s’agit de faciliter l’identification de compétences, d’encourager
les formations et la mise en réseau, et de promouvoir l’exemplarité.
C’est tout d’abord aux femmes de se rendre visibles et de ne pas
craindre la compétition avec des hommes dans les enceintes dominées
par les hommes.
2. Le rôle
des femmes sur le marché du travail
8. Selon Eurostat, dans les dernières années, le taux
d’emploi des femmes a régulièrement progressé en Europe pour se
rapprocher de celui des hommes. En 2009, le taux le plus élevé était
celui de l’Islande (76,5% pour les femmes, contre 80% pour les hommes)
alors que le plus bas concernait la Turquie (24,2% pour les femmes
contre 64,5% pour les hommes). Le taux d’emploi moyen dans l’Union
européenne était de 64,6% (femmes: 58,6%; hommes: 70,7%).
9. Ce renforcement de l’accès des femmes au marché du travail,
ajouté à une meilleure réussite aux examens des cycles secondaire
et universitaire, n’a pas remis en cause la domination des hommes
dans les instances de décision. Cette progression a pourtant modifié
en profondeur le marché du travail: des professions autrefois majoritairement
représentées par des hommes sont en voie de féminisation, ce qui
laisse augurer pour l’avenir d’une répartition plus équilibrée des
rôles et des prises de décision.
3. Etat des lieux
dans différents secteurs
3.1. Pas assez de femmes
aux plus hautes responsabilités politiques
10. Le seuil critique de la représentation de chacun
des deux sexes pour une représentation équilibrée au sein d’une
instance de décision dans la vie politique ou publique est de 40%,
selon le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe
. Ce seuil ne devrait pas seulement
s’appliquer aux instances de décision politiques, car il représente
aussi un critère valable pour assurer une représentation équilibrée
des femmes et des hommes dans les secteurs économique et social.
11. Si le système des quotas a permis une meilleure représentation
des femmes dans les parlements nationaux, les progrès quantitatifs
ne se sont pas traduits par des progrès qualitatifs équivalents:
les femmes en politique n’accèdent toujours pas à certains postes
prestigieux, sont exclues de certains réseaux et demeurent bloquées
à des positions subalternes. Malheureusement, les instruments statistiques
manquent pour évaluer avec davantage de précision le poids des femmes
dans les postes de responsabilité. Au titre des bonnes pratiques,
la Norvège publie chaque année un état détaillé de l’avancement
de sa politique d’égalité
.
12. Cette exclusion des femmes est aussi visible dans la composition
des cabinets ministériels et à l’occasion de nominations à des postes
publics de haut niveau, où encore trop souvent des hommes se cooptent
de façon plus ou moins assumée.
13. Les gouvernements et les parlements doivent montrer l’exemple
afin d’entraîner l’ensemble de la société. La Norvège est déjà dotée
d’un gouvernement où figurent autant de femmes que d’hommes. Le Conseil
fédéral suisse est composé de quatre femmes pour sept membres. C’est
en intégrant ce principe d’exemplarité au plus haut niveau qu’un
changement profond est possible dans la société.
3.2. Pas assez de femmes
parmi les dirigeants dans la fonction publique
14. Alors que la féminisation de la fonction publique
en Europe est assumée, elle ne touche pas l’encadrement. Dans la
plupart des pays européens, les hommes surclassent les femmes dans
tous les grades élevés de la fonction publique
.
15. La situation dans le domaine de l’éducation – où une majorité
des enseignants et employés sont des femmes mais où la haute hiérarchie
demeure majoritairement masculine – est éloquente. Pour la France,
on remarquera particulièrement la surreprésentation des hommes parmi
les recteurs, les présidents d’université et les doyens, tandis
que la plupart des enseignants sont des femmes.
16. On retrouve ce même phénomène auprès des administrations locales
et régionales. Celles-ci devraient plutôt montrer l’exemple, par
une féminisation de l’encadrement des services administratifs, telle
que préconisée par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux afin
de garantir la mise en place d’une politique positive d’égalité
et d’intégration
.
17. En ce qui concerne la magistrature, trop peu de femmes siègent
dans les instances dirigeantes. A ce propos, l’Union européenne
a réalisé un important travail de collecte d’informations concernant
la répartition des rôles dans la hiérarchie des magistratures nationales
(cours suprêmes, administratives et constitutionnelles; procureurs
généraux) et européennes
. Longtemps réfractaire, cette profession
est en voie de féminisation forcée grâce à une démographie favorable
aux femmes. Malgré tout, des données précises manquent pour comprendre
pourquoi les femmes demeurent sous-représentées dans les juridictions
les plus prestigieuses.
18. L’accès des femmes aux postes de décision des services diplomatiques
ne progresse pas non plus. Aucun Etat membre n’a atteint le seuil
de 40% de femmes ambassadeurs
. L’Union européenne ne montre pas non plus
la voie puisque, sur les 28 ambassadeurs récemment désignés pour
rejoindre le Service extérieur de l’Union européenne, on ne compte
que six femmes.
3.3. Pas assez de femmes
dans les postes de décision des grandes entreprises
19. En Europe, l’objectif de diversité et d’égalité au
sein des conseils d’administration des plus grandes sociétés cotées
en Bourse est encore lointain. Dans l’Union européenne, près de
97% des présidents de conseils d’administration et 88% des membres
de conseils d’administration sont des hommes. La représentation
des femmes augmente, mais à grand-peine (environ un demi-point de
pourcentage supplémentaire chaque année). Si les progrès continuent
à ce rythme, il faudra attendre encore cinquante ans avant d’atteindre
le seuil d’au moins 40% de chaque sexe au sein des conseils d’administration
des entreprises
.
20. De plus, dans le secteur privé, les femmes sont fréquemment
cantonnées aux postes d’encadrement mineurs: lorsqu’elles accèdent
à des postes de direction, c’est souvent dans les secteurs de la
communication ou des ressources humaines
.
21. L’Union européenne est très active dans la promotion de l’égalité
des chances au travail, y compris au niveau des cadres et des décideurs.
Elle «soutient et complète l’action des Etats membres (…) [pour promouvoir]
l’égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne leurs chances
sur le marché du travail et le traitement dans le travail»
. En 2010, la Commission
européenne a revu la feuille de route pour l’égalité entre les femmes
et les hommes pour la période 2010-2015, en maintenant comme priorité
la promotion de l’égalité dans la prise de décision
. Elle a fondé, en 2008, le «Réseau
européen des femmes occupant des postes à responsabilité dans la
politique et l’économie» et recueille des données sur la répartition
des femmes et des hommes dans les processus de décision dans 34
pays depuis 2003
.
22. De même, l’Organisation internationale du travail (OIT) recueille
régulièrement des données et a produit plusieurs études et publications
très fouillées sur cette question
.
L’OIT promeut également la signature et la ratification de conventions
internationales telles que la Convention de l’OIT sur les travailleurs
ayant des responsabilités familiales, 1981 (no 156) et la Convention
de l’OIT sur la protection de la maternité, 2000 (no 183).
3.4. Pas assez de femmes
parmi les dirigeants de partis politiques et de syndicats
23. Si de plus en plus de partis politiques en Europe
ont décidé de désigner une femme à leur tête, les instances de direction
demeurent dominées par des hommes. L’Assemblée a démontré son engagement
en encourageant les partis politiques à prôner l’égalité des chances
dans leurs structures, y inclus celles de direction, grâce au Prix
de l’égalité de l’Assemblée parlementaire, lancé en 2009
.
24. Du côté des syndicats, la situation n’est pas satisfaisante
. Sur les 80 organisations syndicales
affiliées à la Confédération européenne des syndicats (CES), seules
cinq sont dirigées par des femmes. Pourtant les partenaires sociaux
européens ont pris conscience de cette réalité défavorable à la
représentation des femmes en adoptant le Cadre d’action sur l’égalité
des sexes dès 2005 (CES, BusinessEurope, UEAPME et le CEEP). Ce
plan d’action a été finalisé et mis en œuvre fin 2009.
25. Certaines organisations syndicales ont accompli des efforts
pour améliorer l’accès des femmes au sein de l’encadrement. En Italie,
par exemple, la Confédération générale italienne du travail (CGIL)
a entrepris des réformes volontaires permettant à la représentation
des femmes de passer de 21% en 1991 à 33% en 1996, et à 40% dès
2006. L’organisation se prépare actuellement à atteindre la parité.
26. En Europe, alors que 44% des adhérents aux organisations de
la CES sont des femmes, celles-ci demeurent sous-représentées à
tous les échelons hiérarchiques. La question de l’accès des femmes
aux postes de décision sera une priorité du prochain congrès de
la CES qui se tiendra en mai 2011. Dix propositions seront discutées:
- faire de l’égalité des genres
une priorité;
- promouvoir activement l’accès des femmes à tous les échelons
des organisations à travers le gender-mainstreaming (approche
intégrée);
- introduire une règle statutaire en vue de l’équilibre
des genres (par exemple des quotas);
- préparer des femmes aux postes de prise de décision et
de direction;
- encourager les hommes à s’associer à une représentation
équilibrée;
- réformer l’image et la culture de l’organisation;
- favoriser l’activisme et l’engagement des femmes à tous
les niveaux de décision;
- promouvoir la diversité dans la gestion interne des ressources
humaines;
- publier des statistiques ventilées par genre;
- développer des actions concrètes en vue de l’amélioration
de l’équilibre des genres.
4. Mesures visant
à assurer une représentation équilibrée des femmes au niveau hiérarchique
le plus élevé
4.1. Quotas hommes/femmes?
27. En Finlande, une étude publiée par le patronat a
démontré que les entreprises où l’égalité des chances est réalisée
ont une meilleure productivité
. Dans ce pays, la prise de conscience
des qualités de l’entrepreneuriat féminin a permis une amélioration
rapide de la représentation des femmes dans les conseils d’administration
sans avoir recours à des mesures juridiques, puisque c’est le code
de gouvernance des entreprises qui a imposé que «les deux genres
[soient] représentés dans les conseils d’administration»
.
28. Alors que le patronat avait exprimé son refus à des mesures
positives imposées, l’amélioration graduelle de la représentation
des femmes a été rendue possible, selon Mme Linnainmaa, grâce à
l’engagement du Premier ministre de l’époque, à l’implication assidue
de Mme Mari Kiviniemi, actuelle Premier ministre, aux différentes
étapes des négociations, et grâce au soutien médiatique de M. Jorma
Ollila, président de Nokia et Shell. La mise en œuvre de cette démarche
volontaire, appuyée par les médias économiques, a permis à la Finlande
de figurer parmi les pays où les femmes sont les mieux représentées
au sein des conseils d’administration.
29. A l’inverse de l’expérience finlandaise, la Norvège a utilisé
des mesures législatives pour introduire des quotas qui permettent
à davantage de femmes d’accéder aux postes de décision économique
dans le secteur privé.
30. La loi n’a pas exigé une féminisation des postes de direction,
mais a imposé un seuil de 40% de femmes dans les conseils d’administration
des entreprises publiques et de certaines catégories d’entreprises
privées, en donnant aux entreprises concernées un délai pour se
conformer à cette obligation. Afin d’assurer la mise en œuvre de
la réforme, un certain nombre de sanctions de plus en plus lourdes
peuvent être appliquées, allant jusqu’à la possibilité de dissoudre
une société en cas de non-respect du quota
.
31. Cette loi, initialement controversée, a été soutenue par plusieurs
partis politiques – à la fois de la majorité et de l’opposition.
Le bilan est positif: entre 2003 et 2010, la participation des femmes
aux conseils d’administration de près de 400 sociétés publiques
ou cotées en Bourse est passée de 7 à 40%.
32. Le risque de sanctions a eu un effet dissuasif efficace, car
le nombre d’entreprises se conformant à la nouvelle obligation de
quota a augmenté sensiblement à partir de 2008, date limite pour
se conformer à la législation. De plus, la mise en œuvre de la réforme
n’a soulevé ni critiques ni problèmes
.
Au contraire, elle a permis un débat public et ouvert sur les questions
d’égalité des chances et de résultat entre femmes et hommes, y compris
dans le domaine économique
. De plus,
elle a conduit à la création de bases de données de curriculum vitae
de femmes ayant le profil pour siéger dans des conseils d’administration,
ainsi qu’à l’organisation de formations pour améliorer leurs compétences.
33. L’introduction de quotas n’est pas limitée à la Norvège: en
2007, l’Espagne a suivi cet exemple en introduisant, par la loi,
l’obligation pour les entreprises publiques d’atteindre 40% de femmes
dans leurs conseils d’administration sur une période de huit ans;
en mars 2010, l’Islande a introduit un quota pour les entreprises
publiques et privées. En Belgique, en Suède et au Royaume-Uni, des
propositions similaires sont actuellement en discussion
.
34. Depuis 1972, mon pays, la France, a adopté six lois successives
visant à l’égalité des genres. Des mesures positives ont été adoptées
sans que la situation change substantiellement puisque aucun mécanisme de
sanction efficace n’y a été joint.
35. En janvier 2011, la loi relative à la représentation équilibrée
des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et
de surveillance et à l’égalité professionnelle a été promulguée.
Elle prévoit l’instauration progressive de quotas pour aller vers
la féminisation des instances dirigeantes des grandes entreprises,
notamment des conseils d’administration et des conseils de surveillance
des entreprises cotées en Bourse et des entreprises publiques. Deux
étapes sont prévues: trois ans après la promulgationde la loi, les instances concernées
devront au moins compter 20% de femmes; six ans après la promulgation
de la loi, le taux de féminisation des instances dirigeantes devra
atteindre 40%. Le non-respect de ces quotas entraînera la nullité
des nominations (mais non la nullité des délibérations).
36. Par-delà les obligations légales, certaines entreprises ont
décidé unilatéralement d’instaurer des quotas hommes/femmes: Deutsche
Telekom a affiché un objectif de 30% de femmes à la direction d’ici
à 2015; Deutsche Post et KPN (la société leader aux Pays-Bas dans
le domaine des télécommunications) poursuivent des ambitions comparables;
dès 2008, le groupe Areva a lancé ODEO (Open
Dialogue through Equal Opportunities), un programme visant
à sensibiliser les responsables des ressources humaines, les managers et
les représentants du personnel du groupe dans 12 pays européens
aux questions d’égalité, y compris l’égalité entre femmes et hommes.
4.2. Promouvoir l’exemplarité
37. 37. L’accès limité des femmes aux postes de direction
a pour origine la discrimination, constitue une discrimination et
perpétue la discrimination. Pour sortir de ce cercle vicieux, l’ensemble
des acteurs doit être mobilisé au plus haut niveau afin de valoriser
les compétences des femmes et d’enclencher des changements profonds.
38. Partout en Europe, des femmes ont démontré leur professionnalisme
en accédant aux plus hautes responsabilités en concurrence avec
des hommes. Pour n’en citer que quelques-unes: Mme Anne Lauvergeon,
présidente du directoire du groupe AREVA (énergie) en France, Mme
Simone Bagel-Trah, présidente du conseil de surveillance du groupe
Henkel (chimie) en Allemagne, Mme Cynthia Carroll, directrice générale
d’Anglo American (secteur minier) en Grande-Bretagne, Mme Guler
Sabanci, présidente de Sabanci Holding en Turquie, Mme Nancy McKinstry,
présidente directrice générale de Wolters Kluwer (édition) aux Pays
Bas, Mme Ana Patricia Botin, présidente du groupe Banesto (banque)
en Espagne et Mme Hilde Myrberg, vice-présidente exécutive d’Orkla
en Norvège. Ces femmes représentent des modèles pour celles qui
désirent accéder aux responsabilités les plus hautes.
39. Leurs histoires, tout comme la carrière de celles qui se trouvent
en deuxième ou troisième ligne, ouvrent la voie à de nouvelles générations
de femmes dirigeantes. Ces femmes ont une responsabilité éminemment symbolique
et devraient encourager d’autres femmes à suivre leur voie par le
biais de parrainages.
40. Comme l’a démontré Me Castellane lors de l’audition organisée
par la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les
hommes, à côté de la promotion de ces modèles, il est préférable,
à chaque fois que cela est possible, de «rebattre les cartes», c’est-à-dire
de rompre avec les usages anciens pour les remplacer par de nouveaux,
en créant une nouvelle structure où un certain nombre de places
est réservé aux femmes. Afin de valoriser le statut de la femme,
il est plus facile d’imposer une conception du genre à une nouvelle
organisation qu’à une entité plus ancienne.
4.3. Permettre aux femmes
de concilier vie familiale et vie professionnelle
41. La répartition traditionnelle des rôles dans la société
a vécu. Nous disposons en Europe d’un arsenal de textes invitant
à l’égalité des genres de jure. Mais,
dans les faits, les femmes continuent d’avoir la responsabilité
principale pour la gestion de la vie de famille, ce qui les empêche
souvent d’entreprendre ou de poursuivre une carrière. En 2009, 4 000
femmes espagnoles ont dû abandonner leur carrière pour s’occuper de
leurs enfants alors que seulement 200 hommes en faisaient autant.
42. Il est un fait que de plus en plus de femmes travaillent et
que certaines d’entre elles parviennent au plus haut niveau hiérarchique.
Mais cette réussite professionnelle est souvent obtenue au prix
d’un renoncement à la maternité.
43. est prouvé que la grossesse et la maternité sont préjudiciables
à la carrière des femmes. L’Observatoire européen des conditions
de travail (une agence dépendant de la Commission européenne) évoque
les résultats de l’étude «Génération 98» menée en France en 2005
par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ)
sur les sept premières années d’expérience professionnelle de jeunes
actifs de tous niveaux
. Les femmes ayant eu des enfants
ont vu leur niveau de rémunération évoluer moins vite que celui
de leurs collègues hommes ou des femmes n’ayant pas eu d’enfant.
Pourtant, la maternité est à la base du dynamisme de toute société
et assure le financement futur des retraites.
44. De plus, dans nos sociétés, le partage des tâches ménagères
est largement défavorable aux femmes, ce qui limite leur disponibilité
de temps et leur capacité à s’adapter à certains rythmes de travail
qui sont conçus par des hommes et pour des hommes. La culture du
«présentéisme» au bureau limite le rôle des femmes, qui sont souvent
à la recherche d’une meilleure conciliation entre vie privée et
vie professionnelle. Pourtant, de nouveaux usages permettent de
concilier harmonieusement vie privée et vie professionnelle, tel
le télétravail, et sont favorables à l’emploi, comme le dynamique
secteur des aides à la personne.
45. La Fondation européenne pour l’amélioration des conditions
de vie et de travail (une agence dépendant de la Commission européenne)
met à la disposition des gouvernements, des employeurs, des organisations syndicales
et de la Commission européenne des données et des bonnes pratiques
issues de recherches indépendantes et comparatives dans ce domaine
.
46. Favoriser l’accès des femmes aux instances de décision contribue
tout d’abord à valoriser le plan de carrière des femmes qui le souhaitent
vraiment en encourageant les différentes organisations à recruter
et promouvoir des talents féminins, organiser des formations à la
prise de parole afin de démythifier les responsabilités et aider
les femmes à prendre conscience de leurs propres compétences.
47. Certaines bonnes pratiques, comme le tutorat et le coaching de femmes désireuses d’accéder
à des responsabilités supérieures par une femme ou un homme en position
de senior, ont démontré leur efficacité.
4.4. Agir sur les mentalités
48. Les femmes sont bien moins représentées que les hommes
dans les formations de prestige qui mènent à une carrière au sein
des instances de décision, ou ne se proposent pas pour ce type de
fonction. Ces blocages sont fréquemment d’ordre psychologique. Il
est regrettable que les femmes abandonnent, souvent volontairement,
leurs ambitions. Des chercheurs ont appelé cette autodémobilisation
«le plafond émotionnel»
.
49. La séparation traditionnelle des domaines cognitifs entre
les filles et les garçons dès l’école (les garçons turbulents aiment
les mathématiques alors que les filles dociles privilégient les
lettres) participe certainement à rendre les filles plus enclines
à éviter les rivalités et dévaluer leurs qualités. Il appartient
à l’école de davantage travailler sur la gestion des émotions et
la question de l’estime de soi pour permettre aux filles de rivaliser
avec les garçons de façon équitable
.
50. Les personnels (femmes et hommes) doivent être sensibilisés
par le biais de formations à la perspective de genre afin de promouvoir
des valeurs de respect, nécessaires à la vie professionnelle, en
société et chez eux. Les employeurs doivent faire preuve de fermeté
face aux comportements sexistes et discriminants et au harcèlement
sexuel
.
51. La promotion de la féminisation des intitulés de poste tout
comme l’attention à la question du genre dans la communication participent
à préparer les esprits à l’accès de femmes à de nouvelles responsabilités.
La société doit s’habituer au fait que des femmes peuvent prendre
des postes de direction.
52. Afin de soutenir les stratégies de promotion des femmes aux
postes de décision, la recherche sur le genre doit aider à démasquer
les inerties qui limitent la progression des femmes et repérer les
organes de décision nouvellement créés d’où les femmes sont absentes.
53. Les femmes doivent être solidaires entre elles afin de faire
face aux conflits et à la résistance ordinaire. Les femmes qui désirent
accéder aux instances de décision sont en situation de conquête
au même titre que les hommes en concurrence.
54. Des associations de femmes actives dans plusieurs pays d’Europe
se posent pour but d’aider les femmes à surmonter ces difficultés
et de promouvoir leur présence dans des fonctions de direction,
par le biais de parrainages ou d’actions de plaidoyer. Parmi ces
organisations, on peut, par exemple, mentionner:
- à l’échelle européenne: Association
of Organisations of Mediterranean Businesswomen,Business and Professional Women,European Professional Women’s Network,
European Women Lawyers’ Association (EWLA), Gender-IT Project, Women’s
forum for the economy and the society;
- en Allemagne: Deutsche Juristinnenbund; FidAR – die Initiative
für mehr Frauen in die Aufsichtsräte;
- en France: Association française des femmes juristes,
Force femmes, Femmes 3000, Grandes écoles au féminin (GEF);
- en Suède: All Bright;
- en Suisse: CEO Generation.
55. Si l’entrepreunariat féminin a su démontrer son dynamisme,
il se heurte souvent, d’après Ernst & Young, au problème du
financement. Il est judicieux d’encourager les initiatives de certains
fonds qui investissent dans des entreprises de croissance dirigées
par des femmes ou faisant preuve d’une mixité exemplaire au sein
de leurs instances de direction
.
5. Conclusions
56. Il serait difficile d’imposer une méthode unique
pour atteindre l’objectif d’une représentation équilibrée des femmes
et des hommes dans les instances de décision économiques et sociales
et aux postes de haut niveau hiérarchique, tant les situations sont
différentes, que les pays aient seulement amorcé un changement, entrepris
des réformes profondes ou soient sur le point de réaliser cet objectif.
57. La clef du succès passe par une prise de conscience collective
permettant à une volonté politique forte d’accompagner en profondeur
le changement des mentalités chez les femmes comme chez les hommes. L’accès
équilibré des femmes aux postes de direction et de décision, y compris
dans les domaines social et économique, serait un véritable saut
qualitatif en vue de la réalisation de l’égalité de fait entre les
femmes et les hommes dans la société.
58. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient adopter
des actions positives fortes afin d’améliorer l’accès des femmes
aux instances de décision, y compris économiques et sociales. L’introduction, par
voie législative, d’une obligation pour les grandes sociétés d’avoir
un quota minimal de 40% de femmes dans les conseils d’administration
ou de direction pourrait se révéler une mesure nécessaire en vue
de ce saut qualitatif, selon le modèle norvégien.
59. Par ailleurs, c’est un développement intéressant de voir que
les organisateurs du Forum économique mondial, à Davos, ont demandé,
pour la première fois, que parmi les cinq représentants de chaque
entreprise appartenant au groupe des partenaires stratégiques il
y ait au moins une femme
.
60. De plus, pour être efficace, l’introduction de quotas devrait
être accompagnée de sanctionsallant
jusqu’à la dissolution des sociétés qui n’auraient pas rempli cette
obligation.
61. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient aussi être
exemplaires et appliquer une dimension de genre dans leur fonctionnement
interne et leurs relations avec leurs partenaires du secteur privé
et associatif, en vue de promouvoir la présence de davantage de
femmes dans les instances de décision.
62. Enfin, ils devraient soutenir la mise en œuvre de mesures
visant à accompagner les femmes désireuses et capables d’accéder
aux instances de décision, ainsi que le Plan d’action «Relever le
défi de la réalisation de l’égalité de
jure et de l’égalité de facto entre
les femmes et les hommes», adopté à Bakou le 25 mai 2010.