1. Définition
des crimes dits «d’honneur»
1. Le champ d’application des crimes dits «d’honneur»
est très large. Toute forme de violence à l’encontre des femmes
et des filles, au nom de traditionnels codes d’honneur, est considérée
comme un crime dit «d’honneur». Ainsi, ce qui différencie cette
forme de violence parmi les autres formes de violence à l’encontre des
femmes, repose sur le fait que la violence a été exercée au nom
de traditionnels codes d’honneur. Dès lors que «l’honneur» de la
famille est, selon cette dernière, en jeu et que la femme en subit
les conséquences, l’on peut valablement parler de crime dit «d’honneur».
2. Les auteurs Welchman et Hossain
ont défini les crimes «d’honneur»
comme suit: «Les crimes dits d’honneur peuvent prendre la forme
de diverses violences à l’encontre des femmes, telles que les «meurtres d’honneur»,
les agressions, la séquestration ou l’emprisonnement et l’ingérence
dans le choix d’un époux. Ces comportements sont «justifiés» publiquement
au nom d’un ordre social censé exiger la préservation d’une idée de
l’honneur résidant dans la suprématie masculine (familiale et/ou
conjugale) sur les femmes et, en particulier, leurs comportements
sexuels, qu’ils soient réels, suspectés ou potentiels».
3. Ces «crimes» sont constitués d’un ensemble de violences infligées
aux femmes par les membres de leurs familles au nom de l’honneur.
Le meurtre en est la forme la plus extrême.
4. La perception de ce qui salit l’honneur est très vaste et
surtout très subjective, ce qui en rend la qualification difficile.
La notion d’«honneur» cache une forme de tension entre le relativisme
culturel et l’application universelle des droits de l’homme. Elle
est d’ailleurs tellement subjective et sujette à des interprétations
diverses que les femmes ne trouvent pas de salut au sein de leur
famille ou de leur communauté. En effet, la simple impression qu’une
femme a enfreint le code de conduite sexuelle peut être une atteinte
à l’honneur.
5. Aussi, le contrôle des hommes s’exerce à la fois sur le corps
des femmes, mais aussi sur leur comportement, l’ensemble de leurs
faits et gestes, leurs déplacements et leur langage. Derrière cette
question se pose plus fondamentalement le problème du contrôle de
la sexualité des femmes et des droits reproductifs dans la famille.
Selon Mme Coomaraswamy, «l’honneur est
généralement vu comme résidant dans le corps des femmes»
. En d’autres termes,
la femme n’a pas le droit à l’autodétermination individuelle.
6. Le rôle de la virginité est également essentiel. A cet égard,
on constate dans les hôpitaux publics une demande croissante de
reconstruction de l’hymen qui vient soit des jeunes filles, mais
parfois aussi des familles, en vue d’un mariage consenti ou forcé.
Leur but est toujours de sauver «l’honneur».
7. Le crime dit «d’honneur» a souvent pour but de punir une relation,
réelle ou supposée, que la famille désapprouve et/ou un «comportement
immoral»: par exemple une simple discussion avec un voisin de sexe masculin.
Tous ces actes peuvent donner lieu à de violentes mesures de rétorsion
infligées à la femme par les hommes de sa famille, souvent avec
l’appui des autres femmes de la famille. Ces punitions prennent
des formes diverses: ces femmes sont reniées par leur famille, elles
sont coupées de leur environnement social et risquent d’être exploitées.
Elles sont séquestrées, enlevées, menacées. Beaucoup d’entre elles
sont torturées, mutilées et défigurées à vie. D’autres sont brûlées
par l’acide, immolées ou tuées d’une autre façon. Dans des situations
extrêmes enfin, d’autres n’ont pas le choix que de s’immoler
ou se suicider
.
8. Les familles pensent devoir sauver leur «honneur» en punissant
la «coupable». Ce crime s’apparente étroitement à la «vengeance
par le sang». Le dénominateur commun pour tous les crimes dits d’honneur
reste, toutefois, celui des maltraitances, de la violation des droits
humains et, dans certains cas, du meurtre, généralement commis sur
les femmes au nom de l’honneur tel que défini par le(s) auteur(s)
du crime.
9. Le mariage forcé, même s’il ne répond pas à un acte "répréhensible"
de la femme, peut aussi entrer dans cette catégorie dans la mesure
où les parents vont exercer une forme de violence visible ou non,
pression psychologique, chantage affectif, ou violence physique,
en ne laissant pas les futurs époux choisir leur conjoint.
10. Comme l’a récemment montré le témoignage de Mme Humayra
Abedin
, il y a un mélange net entre mariage
forcé et crime dit «d’honneur» dans la mesure où la menace ou l’acte
de mariage forcé repose souvent sur une violence fondée sur l’honneur.
Cette jeune femme, médecin originaire du Bangladesh travaillant
au Royaume-Uni, fut séquestrée au Bangladesh et forcée à se marier.
En application de la nouvelle législation au Royaume-Uni sur les
mariages forcés
, et grâce à la coopération
avec le Bangladesh, elle put retourner au Royaume-Uni où elle essaie
de se reconstruire.
11. Cette violence existe aussi à l’encontre des homosexuels ainsi
que des hommes et des garçons qui, par exemple, dans le cadre des
mariages forcés, se voient aussi dans l’obligation de se marier
à une personne qu’ils n’ont pas choisie, puisqu’il y va prétendument
de l’honneur des familles que les enfants respectent le choix que
les pères ont fait pour eux. Les hommes qui ont eu une relation
amoureuse interdite avec une fille peuvent aussi en être victimes.
12. Dans la plupart des cas, les crimes dits «d’honneur» sont
perpétrés par le mari, le père ou le frère de la femme ou de la
fille considérée comme coupable. Les frères s’autoproclament souvent
les gardiens de l’honneur de leur sœur. Souvent, le plus jeune des
frères, si possible mineur, est choisi pour réaliser le crime, afin
qu’il ne soit pas jugé trop sévèrement par les tribunaux. La famille
considère que la femme a sali son honneur et doit donc être punie
pour cette offense. Le fait que les femmes soient considérées comme
un objet, une propriété, contribue à cette forme de violence. Cette
idée est très enracinée dans les sociétés patriarcales.
13. Ainsi, le concept de «crimes dits «d’honneur»» recouvre toute
forme de violence à l’encontre des filles et des femmes (plus rarement
des hommes et des garçons), au nom de traditionnels codes d’honneur,
exercée par des membres de la famille, des mandataires ou par les
victimes elles-mêmes. Les crimes dits «d’honneur» constituent une
violation grave des droits de la personne qui les subit.
2. Ampleur et spécificité
du phénomène
14. Dans les pays occidentaux, on avait tendance à croire
que les crimes dits «d’honneur» se produisaient exclusivement dans
certains pays d’Asie tels que le Pakistan
, l’Afghanistan ou
le Bangladesh, d’Afrique et du Moyen-Orient. Or, force est de constater
qu’au cours des vingt dernières années, les crimes dits «d’honneur» se
sont intensifiés en Europe, notamment en France, en Suède, aux Pays-Bas,
en Allemagne, au Royaume Uni
et
en Turquie.
15. Depuis le rapport de 2003 de la commission
,
qui avait déjà soulevé la question de l’augmentation des crimes
dits «d’honneur», ce problème n’a pas été résolu et a même pris
de l’ampleur. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu relancer
le sujet. En effet, craignant d’être accusés d’impérialisme culturel
ou d’intolérance, certains ne dénoncent pas ces crimes. Il ne s’agit
pourtant pas d’impérialisme mais de dénonciation d’une violation
grave des droits fondamentaux de la personne humaine. L’audition
que la commission a organisée sur ce sujet le 6 juin 2008
était
d’excellente qualité et je m’y référerai en temps utile.
16. Pour ne prendre qu’un exemple, rappelons le meurtre de Banaz
Mahmod Babakir Agha à Birmingham en avril 2006. Elle était âgée
de 20 ans, et a été violée et torturée avant d’être étranglée, sur
ordre de son père et avec l’aide de son oncle, parce qu’elle aimait
un homme qui ne lui était pas destiné. Ses appels à l’aide, restés
vains, nous interpellent sur les réponses que doivent apporter les
Etats membres du Conseil de l’Europe à cette question, et sur la
sensibilisation qu’il faut mener auprès des jeunes en particulier.
17. Les crimes «d’honneur» existent partout en Europe. Ces crimes
sont commis dans tous les milieux, et ne concernent pas seulement
les régions rurales, mais également les villes et les milieux «éduqués». Cependant,
un rapport sur les meurtres dits «d’honneur» en Turquie en 2007
souligne que ces meurtres ont plutôt lieu dans les milieux moins
éduqués (voir paragraphe 22 ci-après). Ils sont particulièrement
présents dans certaines communautés ethniques minoritaires. Ce phénomène
a pu être expliqué – mais non justifié – par le fait que les immigrés
et leur famille, souvent mal intégrés dans les pays d’accueil, se
replient sur les coutumes et traditions des pays d’origine, voire
les renforcent, afin de sauvegarder une certaine identité.
18. Les faits sont désormais plus souvent relayés par la presse.
Par exemple, il a été reporté que six femmes ont été retrouvées
mortes en Tchétchénie, a priori tuées par des proches pour des raisons
d’honneur
.
La ministre autrichienne en charge des femmes
a rappelé qu’en Autriche, des
femmes étaient victimes de mutilations génitales, de mariages forcés
et de crimes «d’honneur». En Allemagne, les journaux se font l’écho de
ces crimes
. Il en est de même au Royaume-Uni
et
en Turquie
. En Turquie, des projets
pour résoudre le problème ont vu le jour
.
19. Le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA) estime
que le nombre total de meurtres pour raisons d’honneur peut s’élever
à 5000 victimes par an dans le monde, en particulier dans les pays
et communautés musulmans
. Cependant,
ce chiffre ne constituerait que la partie émergée de l’iceberg parce qu’il
ne concerne que les homicides, et ne recouvre donc pas les autres
formes de violences infligées au nom de l’honneur.
20. Toutefois, comme le souligne Mme Asma
Jahangir
, il est pratiquement
impossible d’évaluer avec précision le nombre de crimes dits «d’honneur».
Le sentiment de honte et des menaces au sein de la communauté (en
connexion avec le fait que certaines victimes de violence domestique
ne parlent pas car elles n’ont pas nécessairement conscience qu’un
crime a été commis) et le fait qu’elles sont émotionnellement et économiquement
dépendantes de l’agresseur leur donnent une fausse perception car
elles pensent «mériter» la punition si bien que les témoins ne se
manifestent guère et que les décès sont généralement classés parmi les
accidents ou les suicides.
21. Même si les crimes dits «d’honneur» recensés sont essentiellement
perpétrés dans des pays musulmans ou au sein de communautés musulmanes,
ils se produisent également dans beaucoup d’autres communautés.
Certains de ces crimes ont notamment été signalés dans des communautés
hindoues, sikhs et chrétiennes. Cette violence patriarcale trouve
souvent son origine dans des convictions fondamentalistes et des
traditions conservatrices dont l’objet principal est de contrôler
la liberté et la sexualité des femmes
. Bien qu’un
grand nombre de crimes dits «d’honneur» semblent résulter de convictions
religieuses profondes, le paradoxe est qu’aucune des grandes religions
du monde ne préconise la peine de mort pour inconduite liée à l’honneur
et que beaucoup de dirigeants religieux et d’universitaires condamnent
cette pratique et affirment qu’elle n’a pas de fondement religieux.
22. Le rapport de la Direction des Droits de l’Homme du bureau
du Premier Ministre turc a dénombré 231 meurtres dits «d’honneur»
en 2007 en Turquie
. Ce rapport fait état des causes
multidimensionnelles de ces crimes, c’est-à-dire économiques, sociales
et culturelles. Quant à leur répartition géographique, ils se déroulent
le plus souvent dans les grandes villes, avec par exemple 167 meurtres
à Istanbul au cours des cinq dernières années, 144 à Ankara. Un
doublement des meurtres a été observé à Istanbul entre 2006 et 2007, passant
de 27 à 53. Il semblerait que le fort taux d’immigration vers ces
métropoles conjugué aux difficultés socio-économiques de ces migrants
ainsi qu’une difficile adaptation au nouvel environnement urbain radicalisent
les cultures et traditions d’origine. Le rapport souligne aussi
que le nombre de meurtres «d’honneur» est plus fréquent dans les
couches les moins éduquées de la population.
23. En Europe, je crains que l’on n’ait trop longtemps fermé les
yeux sur ces violences patriarcales et culturelles qui, si il y
a encore quelques années n’étaient pas faciles à appréhender, ne
peuvent être aujourd’hui ignorées. Ces femmes et ces filles ont
le droit, comme tout être humain, de vivre librement leur vie dans
une société moderne et multiculturelle. Elles souhaitent, comme
toutes les femmes modernes, choisir et vivre leur propre vie.
24. Les attaques perpétrées à leur encontre sont autant d’attaques
contre les sociétés dans lesquelles nous vivons
. Nous ne pouvons tolérer de
telles atteintes aux droits fondamentaux que constituent par exemple
la liberté de mouvement ou la liberté d’expression, l’égalité entre
les femmes et les hommes.
25. Cette violence ne peut évidemment pas être légitimée par les
codes d’honneur des perpétrants. Sa forme et ses racines particulières
demandent aussi un traitement particulier, tant en matière de protection
des victimes que de prévention et de répression des auteurs. J’adhère
entièrement à la qualification de «meurtres de la honte» donnée
par l’ancien Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan, au
sujet des «pratiques traditionnelles nuisibles que l’on nomme "meurtres
d’honneur"» (2000).
3. Proposition de
mesures de protection des victimes et de prévention des crimes dits
«d’honneur»
26. On peut se réjouir du fait que les prétendus crimes
«d’honneur» sont de plus en plus reconnus par certains Etats comme
un véritable fléau frappant leur société et que les instances de
décision de certains pays, tels que la Turquie ou le Pakistan, ont
pris des mesures pour prévenir et réprimer plus sévèrement ces crimes. Cependant,
force est de constater que la prise de conscience est à peine amorcée,
voire inexistante, au sein des populations concernées.
27. La prévention des crimes dits «d’honneur» doit se faire à
deux niveaux, au plan interne dans chaque pays mais aussi au niveau
international.
28. Dans chaque pays, les actions doivent être développées au
niveau national mais aussi au niveau régional, ce phénomène étant
parfois plus marqué dans certaines régions. La population doit être
sensibilisée à ce problème en vue de le prévenir ou, le cas échéant,
d’être punie en ayant conscience de la gravité extrême du crime
commis. Les professionnels de la police et de la justice doivent
être formés à la spécificité des délits et crimes commis au nom
de l’honneur. Les personnels de l’éducation, enseignants et personnels
des structures de garde d’enfants, et ceux d’accueil de la jeunesse
doivent être sensibilisés au sujet afin de déceler les premiers
symptômes, de déterminer adéquatement les mesures à prendre et d’orienter
les filles et femmes vers une structure d’accueil et d’aide. Des
structures spécialisées d’accueil, de conseil et d’aide et des centres d’hébergement
d’urgence pour les filles et femmes menacées de crimes «d’honneur»
doivent être mis en place. Les victimes de crimes «d’honneur» devront
être soutenues physiquement et psychologiquement. Souvent mises
au banc de la famille, un hébergement s’impose pour les aider à
se reconstruire. Elles devront être informées de leurs droits et
soutenues juridiquement. Pour Mme Nammi
, Directrice de la Campagne internationale
contre les «crimes d’honneur», il ne faut jamais renvoyer les victimes
dans leur famille, il n’existe bien souvent qu’une chance.
29. Les ONG de soutien et de défense des droits des femmes devront
recevoir l’appui financier des autorités nationales.
30. Le dialogue avec les autorités religieuses est également primordial,
même si certains
se
montrent sceptiques sur la capacité des leaders religieux autoritaires
à adopter une attitude progressive. Les Etats devraient mettre en
place une véritable base de données ou des statistiques qui tiennent
compte du concept des crimes «d’honneur», nécessaires pour avoir
une préhension plus large du problème.
31. Les Etats devront mettre en place des mécanismes permettant
aux victimes et à d’autres personnes de signaler ces crimes en toute
sécurité, dans un cadre strictement confidentiel, en renforçant
les mécanismes existants ou en en créant de nouveaux.
32. Les Etats devront rédiger et mettre en œuvre un plan national
d’action pour combattre la violence à l’encontre des femmes, y compris
la violence commise au nom d’un prétendu «honneur»
,
s’ils ne l’ont pas encore fait.
33. Sur le plan européen, je propose que le Comité des Ministres
élabore une stratégie globale visant à mettre fin aux crimes dits
«d’honneur». Cette stratégie reposera sur l’élimination de toute
forme de justification législative atténuant ou supprimant la responsabilité
pénale des auteurs de crimes «d’honneur». Elle visera à abolir l’acceptation
sociale des crimes «d’honneur». Elle devra mettre l’accent sur le
fait que l’islam impose le respect de la vie et de la liberté de
chacun et qu’aucune religion ne prône les crimes «d’honneur». Elle demandera
aux autorités nationales la création et le soutien financier de
centres d’hébergement et de conseil pour les potentielles victimes.
34. Je soutiens la bonne initiative de Mme Hagberg
qui met en avant la création d’un réseau national ou international
pour lutter contre les crimes «d’honneur» (
www.minheder.nu).
35. Je souhaite reprendre la liste de recommandations de Mme Nammi
qui me paraissent pertinentes: création d’unités de police spécialisées,
mise en œuvre de campagnes de sensibilisation du public, établissement
de systèmes de protection qui fournissent une nouvelle identité
et une nouvelle histoire aux victimes, des formations pour toutes
les organisations et services tels que la police, les services sociaux,
les enseignants, les services de protection de l’enfance, les organisations
de femmes, une évaluation des risques pour les survivants et leur
protection par la police, des logements appropriés pour les survivants
en Europe, un programme de soutien physique et psychologique de
longue durée pour les survivants, des ressources financières et
des mesures de sécurité pour les organisations d’aide aux victimes,
la prise en considération de la peur des crimes «d’honneur» lors
de l’octroi de l’asile, un soutien aux femmes qui n’ont pas accès
aux fonds publics
.
36. A la lumière de l’expérience de l’avocate Usha Sood
, je souhaite que l’accent soit mis sur la
formation des policiers et des magistrats, tant pour les enquêtes
en matière de prévention que pour les poursuites.
37. Au Royaume-Uni, une unité spécialisée des services du Procureur
de la Couronne a été créée pour faire face aux crimes «d’honneur»
afin que chaque individu impliqué dans les actes de violence soit
mis en examen
.
Au demeurant, cette unité s’occupera des demandes d’extradition,
afin d’éviter que les crimes restent impunis lorsque les auteurs
s’enfuient.
4. Poursuites engagées
à l’encontre des auteurs et complices des crimes dits «d’honneur»
38. Comme je l’ai dit en introduction, la notion d’honneur
est subjective puisqu’elle relève de l’appréciation subjective de
l’auteur du crime dit «d’honneur» ou de la famille qui a commandité
le crime. En matière pénale, c’est tout un faisceau d’indices qui
devra amener les enquêteurs et les juridictions à apprécier le caractère spécifique
des faits constitutifs de l’infraction.
39. La question qui se pose est alors de savoir si une législation
spéciale est nécessaire pour la répression des crimes «d’honneur».
40. Certains auteurs estiment qu’une législation spécifique n’est
pas nécessaire pour les crimes dits «d’honneur» mais que le système
judiciaire doit clarifier le fait que de tels crimes soient qualifiés
de meurtres lorsque la victime est tuée. Malheureusement, il existe
encore des procureurs et des juges qui, dans les pays les plus éclairés,
acceptent des justifications culturelles pour rejeter un mobile
aggravant ou écarter la préméditation. Certains d’entre eux considèrent
la défense de l’honneur comme une circonstance atténuante
. En Europe, des juridictions ont même acquitté
les auteurs de coups portés sur une jeune fille pour des raisons
«d’honneur»
.
41. Mme Sahgal
a déploré le fait que les juridictions
qualifient de crimes «d’honneur» des actes en fonction de la communauté
d’où vient l’auteur plutôt qu’en fonction de la nature de l’acte
lui-même.
42. Au vu des erreurs d’interprétation et des divergences précédentes,
il me semble donc nécessaire de faire appel à une plus grande rigueur
dans la définition des infractions et de la détermination des personnes impliquées
dans la réalisation du crime «d’honneur». La définition d’une infraction
spéciale apporte une solution à ce problème.
43. La Turquie est à cet égard un exemple actuel de la prise de
conscience du problème par les autorités. Le nouvel article 82 du
Code pénal prévoit que les crimes «d’honneur» seront punis d’une
peine aggravée, là où avant ils bénéficiaient de circonstances atténuantes
.
44. En Belgique, une proposition de résolution visant à lutter
contre les prétendus crimes d’honneur a été déposée le 8 avril 2008
, visant principalement
à ce que la législation actuelle, estimée suffisante, soit appliquée
aux crimes «d’honneur».
45. Lorsque la preuve d’un crime «d’honneur» n’a pas été rapportée,
c’est le droit pénal général qui s’appliquera devant les juridictions
concernées.
5. Conclusions
46. Tout en respectant les différences culturelles entre
les êtres humains, et en affirmant que les crimes «d’honneur» constituent
une violation inadmissible des droits fondamentaux des femmes, y
compris le droit à ne pas subir de violence, il faut reconnaître
que les cultures peuvent et doivent changer de façon à respecter les
droits de la personne humaine.
47. Il me semble important de prendre des mesures spécifiques
face à ce problème spécifique des crimes dits «d’honneur», tant
au niveau des législations que des mesures de protection et d’aide
aux victimes, mais aussi de prévention et de répression.
48. En particulier, l’Assemblée parlementaire devrait demander
aux parlements nationaux, si ce n’est pas encore le cas, d’ériger
en infraction pénale tout crime «d’honneur» et de le punir sévèrement
conformément à la gravité des faits commis, et d’inclure les complices
ou commanditaires dudit crime dans le champ d’application de cette
législation. La loi devrait également prévoir la mise en place de
mesures de protection et des services d’aide aux victimes, même
potentielles.
49. L’Assemblée devrait demander aux Etats membres du Conseil
de l’Europe de mettre l’accent sur la sensibilisation de l’opinion
au problème des crimes «d’honneur», en particulier en menant des
actions ciblées auprès des enfants, filles et garçons, jeunes femmes
et hommes, afin de les informer sur ces crimes et leurs effets nocifs
et de promouvoir la liberté de chacun de vivre à l’abri de la discrimination
et de l’oppression pour des motifs fondés sur le sexe ou l’orientation
sexuelle. L’objectif est de dénoncer les violations des droits de
la personne humaine engendrés par un système de domination patriarcale
et de changer les mentalités et les comportements qui en résultent.
50. Les Etats devraient en particulier:
- sensibiliser les professionnels de l’enfance, de l’éducation
et de la vie scolaire et les former au respect de la tolérance et
de l’égalité entre les filles et les garçons et les femmes et les
hommes;
- sensibiliser les policiers, les juges et les procureurs
aux crimes «d’honneur», à la façon d’enquêter afin de recueillir
un maximum d’éléments sur le caractère spécifique de l’infraction
et d’établir solidement les faits, sur la nécessité de poursuivre
ces infractions et sur leur jugement, en application de la loi;
- sensibiliser les personnels socio-médicaux à la problématique
des crimes «d’honneur» et des mariages forcés;
- engager le dialogue avec les autorités religieuses et
les inviter à respecter l’égalité entre les femmes et les hommes
et condamner les crimes «d’honneur» et toute forme de violence à
l’encontre des femmes.
51. Enfin, l’Assemblée devrait recommander au Comité des Ministres
d’élaborer une stratégie globale sur l’élimination des crimes «d’honneur»,
y compris une étude sur les crimes «d’honneur» permettant de déterminer
et de traiter efficacement les causes fondamentales de cette forme
de violence contre les femmes.
52. En conclusion, au vu des développements ci-dessus, je soumets
donc à l’adoption par l’Assemblée les projets de résolution et de
recommandation ci-avant annexés. Je propose qu’ils soient examinés
pendant la partie de session de juin de l’Assemblée de 2009 (22-26
juin).