1. Introduction
1. Lors de la 119e session
ministérielle tenue le 12 mai 2009 à Madrid, le Comité des Ministres
a adopté une Déclaration à l’occasion du 60e anniversaire
du Conseil de l’Europe, qui contient une série de principes et orientations
pour l’action future de l’Organisation.
2. La Commission des questions politiques, réunie le 26 mai 2009
à Paris, a pris connaissance de ce document et a estimé qu’une réflexion
plus large et approfondie est nécessaire sur l’avenir du Conseil
de l’Europe. Elle a donc proposé au Bureau de tenir, au cours de
la partie session d’automne 2009 de l’Assemblée, un débat de politique
générale sur Le futur du Conseil de l’Europe
à la lumière de ses 60 années d’expérience.
3. Le Bureau a marqué son accord avec cette proposition. La Commission
permanente de mai 2009 a renvoyé la question à la commission des
questions politiques. Celle-ci a tenu un premier échange de vues
sur ce sujet en juin 2009 et m’a désigné en tant que son rapporteur.
4. L’objectif du présent rapport est donc de proposer, pour le
débat de politique générale à tenir en octobre 2009, quelques pistes
de réflexion sur l’évolution de la mission du Conseil de l’Europe
et son adaptation aux nouvelles réalités de l’Europe d’aujourd’hui.
5. Au cours de la préparation du rapport, j’ai eu l’occasion
de m’entretenir avec un certain nombre de personnes y compris avec
de nombreux collègues de l’Assemblée parlementaire ainsi qu’avec
plusieurs Ambassadeurs représentant leurs pays auprès du Conseil
de l’Europe. Je tiens à leur exprimer ma gratitude pour leurs contributions
précieuses. J’attends également avec intérêt la Conférence sur «Quel avenir pour la démocratie et les droits
de l’homme en Europe? Le rôle du Conseil de l’Europe» que
notre commission tiendra le 11 septembre 2009 et j’ai l’intention
d’annexer la synthèse des débats de cette conférence à mon rapport.
2. Bilan
des activités du Conseil de l’Europe et sa place en Europe
2.1. Principales réalisations
du Conseil de l’Europe
6. En cette année du 60e anniversaire
du Conseil de l’Europe, il est utile de rappeler le chemin parcouru par
notre Organisation depuis son établissement, le rôle qu’elle a pu
jouer et celui auquel elle est appelée, son positionnement par rapport
à d’autres organisations européennes, ses atouts et potentialités
mais aussi ses failles, points faibles et limites. Seule une telle
analyse, critique et honnête, parfois même douloureuse, permettra
une réflexion approfondie sur la situation de cette institution,
sur ses perspectives d’évolution et d’adaptation aux nouveaux défis.
Un débat ouvert devra aboutir à l’identification des mesures à prendre
afin d’améliorer la pertinence, le fonctionnement et l’efficacité
de notre Organisation.
7. La création du Conseil de l’Europe en 1949 a été un défi.
Dans une Europe où les relations entre Etats étaient déterminées
par des rapports de force et par les «intérêts nationaux» contradictoires,
voire conflictuels, dans une Europe ravagée par les années de guerre,
de haine et d’hostilité qui causèrent tant de souffrances humaines,
les fondateurs du Conseil de l’Europe ont clamé haut et fort que
la démocratie, la prééminence du droit et les droits de l’homme
constituent des valeurs fondamentales sur lesquelles doit se construire
une nouvelle Europe, celle de paix et de coopération. La nouvelle
Organisation a donc reçu pour mission d’affirmer, de protéger et
de promouvoir ces principes et valeurs communs.
8. Aujourd’hui, après soixante ans d’activités, le Conseil de
l’Europe est un élément incontournable de la réalité politique européenne
et un acteur clé du paysage institutionnel de notre continent. Il
a joué un rôle principal dans la transformation démocratique de
plusieurs pays sur notre continent. A présent, il réunit la quasi-totalité
des Etats européens et grâce aux mécanismes du suivi des obligations
juridiquement contraignantes prises au moment de l’adhésion, il
surveille la mise en œuvre et le respect des principes de la démocratie
et des droits de l’homme dans les Etats membres.
9. La définition, la codification, la protection (y compris par
des moyens juridiques) et la promotion des principes et valeurs
fondamentaux inscrits dans son Statut – droits de l’homme, démocratie
et prééminence du droit – constituent ainsi la mission essentielle
du Conseil de l’Europe et se trouvent au cœur de ses activités.
10. Il faut également souligner le rôle du Conseil de l’Europe
en ce qui concerne la mise en place d’un espace juridique commun
à l’échelle du continent européen basé sur la prééminence du droit.
Cet espace est défini par les activités normatives de l’Organisation
et ses quelques 200 conventions, dont plusieurs ouvertes aux Etats
non membres, y compris ceux situés hors de l’Europe. La Convention
de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales
y tient une place particulière en tant qu’instrument juridiquement contraignant
de l’ordre public européen, et présente de ce fait un caractère
quasi-constitutionnel. A cela il faut ajouter la jurisprudence contraignante
de la Cour européenne des droits de l’homme qui représente une source majeure
du droit européen des droits de l’homme.
11. Le Conseil de l’Europe est aussi un important forum de dialogue
et de coopération politiques paneuropéens aux différents niveaux:
intergouvernemental, parlementaire, élus locaux, représentants de
la société civile. L’un de ses principaux points forts est sa capacité
de s’attaquer aux problèmes de société à moyen et à long terme,
de servir ainsi de «laboratoire d’idées» et de définir sur cette
base des politiques communes. Il offre également un cadre privilégié
pour une coopération approfondie entre ministres et experts gouvernementaux
spécialisés.
12. De plus, il demeure le forum politique large et inclusif,
intégrant les pays membres et non-membres de l’Union Européenne,
parmi ces derniers notamment la Russie et la Turquie, et s’ouvrant
au dialogue politique et interculturel avec les Etats voisins en
Afrique du Nord, au Proche Orient et en Asie Centrale.
13. La dimension parlementaire du Conseil de l’Europe est l’un
de ses atouts majeurs. En réunissant les représentants législatifs
nationaux, l’Assemblée parlementaire constitue une plateforme de
dialogue et ouvre des perspectives de coopération parlementaire
sans précédent.
14. Au cours de ses soixante années d’existence, le Conseil de
l’Europe a souvent joué le rôle de pionnier dans de nombreux domaines
de coopération. En même temps, il a dû s’adapter aux réalités qui
évoluent, et réduire certaines de ses activités au profit d’autres
institutions. Rappelons à ce propos les décisions des trois Sommets
consécutifs des Chefs d’Etat et de Gouvernement des Etats membres
du Conseil de l’Europe tenus respectivement en 1993 à Vienne, en
1997 à Strasbourg et en 2005 à Varsovie qui ont recadré les activités
de l’Organisation en fonction des développements politiques de manière
à contribuer à sa mission essentielle qui est de préserver et promouvoir
les droits de l’homme, la démocratie et la prééminence du droit.
2.2. Points faibles
et limites de l’action du Conseil de l’Europe
15. Les réussites indéniables de l’action du Conseil
de l’Europe ne doivent pas empêcher le constat et la réflexion approfondie
sur certaines difficultés rencontrées au cours de son fonctionnement.
Seules l’identification et la reconnaissance des failles permettront
de les éliminer. Un débat courageux est indispensable afin de définir
les mesures concrètes pour améliorer le fonctionnement de notre
Organisation.
16. Les difficultés rencontrées par le Conseil de l’Europe rentrent
dans deux catégories: d’une part, il s’agit d’éléments externes,
indépendants de l’Organisation elle-même qui relèvent de l’architecture
de l’Europe, de sa structure institutionnelle ainsi que de la volonté
politique des dirigeants européens.
17. D’autre part, il y a des limites internes ou institutionnelles
au sein de l’Organisation qui peuvent s’avérer nuisibles à l’efficacité
et à la réussite de l’action du Conseil de l’Europe et l’accomplissement
de ses objectifs.
18. S’agissant des éléments externes, la place et l’importance
du Conseil de l’Europe dans l’architecture européenne dépendent
essentiellement du degré de l’engagement de ses Etats membres en
sa faveur. Même si le Conseil de l’Europe est la plus ancienne des
organisations européennes existantes, il n’est pas seul sur le terrain.
Deux autres organisations, l’Union européenne et l’OSCE sont particulièrement
pertinentes, par leur place, leurs champs d’activité et leur composition.
On peut constater que ces trois institutions européennes se rapprochent
de plus en plus en ce qui concerne leur composition et leurs domaines
de compétences. Cela pose à l’ordre du jour plusieurs questions
liées à la nécessaire coordination des leurs activités.
19. Suite aux décisions du 3e Sommet
de Chefs d’Etat et de Gouvernement des Etats membres du Conseil de
l’Europe qui s’est prononcé en faveur d’une complémentarité accrue
entre les trois instances basée sur leurs compétences et domaines
d’excellence respectifs, des accords de coopération (Memorandum of Understanding) ont
été signés respectivement avec chacune de ces organisations. L’évaluation
de la mise en œuvre de modalités de coopération est en cours de
préparation à l’Assemblée et notre collègue, M. Wilshire nous présentera
son rapport prochainement. De mon côté, j’estime qu’il faut travailler
plus activement dans le sens d’un partenariat privilégié avec l’OSCE.
Même si les activités de nos deux organisations donnent parfois lieu
à certains frictions ou malentendus, le Conseil de l’Europe et l’OSCE
sont vraiment complémentaires, puisque l’OSCE a des compétences
en matière de sécurité que le Conseil de l’Europe n’a pas.
20. Néanmoins, même si les accords sont pleinement mis en œuvre
et respectés, la coopération ne peut pas remplacer la volonté politique
des dirigeants des pays membres à attribuer au Conseil de l’Europe
une place et une importance à la hauteur de sa mission.
21. Certes, les déclarations faisant état d’un soutien sans faille
de notre Organisation par ses membres sont nombreuses mais pourtant
certains signes ne trompent pas et sont inquiétants. Le faible niveau
de participation des ministres des affaires étrangères aux sessions
ministérielles est parmi ceux qui sont les plus visibles. Nos ministres,
qui composent collectivement l’un des deux organes statutaires du
Conseil, se voient beaucoup plus souvent dans d’autres formats (Nations
Unies, Union européenne, OSCE) que dans la salle de réunion du Comité
des Ministres.
22. Le budget du Conseil de l’Europe, avec croissance zéro de
sa partie ordinaire depuis plusieurs années, en dit beaucoup sur
la place qu’occupe notre Organisation parmi les priorités des Etats
membres. Ce refus de doter le Conseil de moyens suffisants pour
mener à bien ses tâches ne signifie-t-il que les gouvernements donnent
la préférence à d’autres formats pour la gestion des dossiers prioritaires?
23. La pratique de plus en plus courante selon laquelle les Etats
membres de l’Union européenne se tiennent, au moment de la prise
de décision au Comité des Ministres, à la position de la Présidence
de l’Union, ne traduit-elle pas également cette tendance inquiétante:
le déplacement du centre de prise de décisions de Strasbourg vers
Bruxelles, un désintérêt croissant pour les affaires du Conseil
parmi les membres de l’Union européenne et des tentatives de le
marginaliser au profit de l’Union? Cela serait encore plus grave
si on tient compte du fait que les candidats et partenaires de l’Union
ont tendance à se solidariser avec les positions de celle-ci.
24. Parmi d’autres signes inquiétants, on constate un manque d’entrain
chez certains Etats membres lorsqu’il s’agit d’adhérer aux conventions
du Conseil, – conventions qui sont pourtant préparées avec leur participation.
25. Enfin, on observe une tendance inquiétante de minimiser l’importance
des différents mécanismes indépendants de «monitoring» créés dans
le cadre du Conseil de l’Europe (tels que le Comité européen pour la
prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains
ou dégradants (CPT), la Commission européenne contre le racisme
et l’intolérance (ECRI), la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales (FCNM), la Charte sociale européenne (CSE),
et même la Cour et le Commissaire aux droits de l’homme), voire
les mettre en cause.
26. Pour sa part, l’Assemblée parlementaire n’est pas sans reproche
non plus. Depuis longtemps, nous pouvons observer un taux de participation
très bas dans les débats et dans les réunions des commissions. Les mesures
introduites afin d’améliorer la participation des membres n’ont
malheureusement pas apporté des résultats tangibles et cette situation
peut être embarrassante lorsque la presse cite le nombre des votants.
27. La question la plus essentielle et délicate concerne une tendance
inquiétante et potentiellement très dangereuse que l’on peut observer
depuis un certain temps dans l’action de notre Organisation, à savoir
une certaine «politisation» de problèmes qui relèvent du domaine
des valeurs fondamentales au détriment de celles-ci. Certains parlent
même de «doubles standards», manque de courage ou de volonté politique.
Même si l’on considère ces critiques comme excessives, on ne peut
pas les ignorer et il faut en discuter.
28. A ce propos, nous nous devons de porter un regard critique
sur certaines décisions – ou plutôt l’absence de décisions – de
l’Assemblée concernant des dossiers dits «délicats». Avons-nous
toujours le courage politique nécessaire pour sanctionner, avec
les moyens qui sont à notre disposition, des comportements que nous
considérons contraires à nos principes et valeurs? Ne cédons-nous
trop facilement à la tentation de faire de la «Realpolitik» au lieu
de faire notre devoir de protéger ces principes et valeurs?
29. D’autre part, la deuxième catégorie de limites d’action du
Conseil de l’Europe concerne le fonctionnement interne de l’organisation,
l’équilibre interinstitutionnel et la dimension démocratique. Même
si toutes ces questions relèvent plutôt de la compétence de la Commission
chargée des questions interinstitutionnelles (Commission du Règlement),
je me sens obligé de les évoquer ici en me référant,
inter alia, aux rapports pertinents
de la commission compétente sur ce sujet
.
30. L’Assemblée parlementaire est, avec le Comité des Ministres,
l’un des deux organes statutaires du Conseil de l’Europe. Composée
de députés et sénateurs des Parlements nationaux des Etats membres,
elle est censée incarner le caractère démocratique de l’Organisation
et assurer la représentation des citoyens européens dans le processus
politique européen.
31. De ce fait, elle constitue un véritable moteur politique de
l’Organisation: les élus nationaux qui en font partie remontent
systématiquement au niveau européen les grandes questions de société
auxquelles ils se heurtent au niveau national, afin de trouver des
réponses communes. Ce caractère représentatif constitue par ailleurs
la principale source de légitimité de l’Assemblée; son indépendance
politique et ses liens avec les parlements nationaux contribuent
à renforcer son positionnement institutionnel au sein de l’Organisation
et bien au-delà.
32. Cependant, force est de constater que les pouvoirs statutaires
d’influer sur les orientations politiques du Conseil de l’Europe
dont dispose l’Assemblée sont assez limitées. Contrairement à l’Union
Européenne, aucune procédure de codécision n’est prévue. Le Comité
des Ministres, agissant sur les instructions des gouvernements nationaux,
est seul habilité à prendre les décisions au nom du Conseil de l’Europe
et n’est pas tenu de donner des suites favorables aux recommandations
de l’Assemblée.
33. Les réponses du Comité des Ministres aux propositions formulées
par l’Assemblée dans ses recommandations sont de moins en moins
satisfaisantes. Elles manquent souvent de substance et sont tardives.
34. Par ailleurs, lorsque le Comité des Ministres demande un avis
statutaire de l’Assemblée sur un projet de convention, cela se passe
de plus en plus souvent au dernier moment. Cette pratique doit être
changée pour permettre à l’Assemblée de disposer d’un délai raisonnable
pour s’acquitter de ses responsabilités sans être soumise à la pression
de temps. De plus, l’Assemblée devrait être informée des suites
réservées par le Comité des Ministres aux propositions d’amendements
qu’elle formule. Il est à rappeler que ces points étaient mentionnés
dans la
Recommandation
1763 (2006) sur
l’équilibre institutionnel
au Conseil de l’Europe.
35. Les récentes frictions dans les relations entre les deux organes
statutaires à propos d’élection du nouveau Secrétaire général n’en
sont qu’un exemple parmi d’autres qui montre que l’équilibre institutionnel
et le fonctionnement démocratique du Conseil de l’Europe devraient
être revisités et améliorés. La situation actuelle nuit à la crédibilité
du Conseil de l’Europe et n’est pas sans susciter des questions
sur le caractère démocratique du fonctionnement de notre Organisation
dont la mission est précisément de sauvegarder et promouvoir la
démocratie!
36. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme, organe
phare du Conseil de l’Europe en matière de protection des droits
de l’homme, a de plus en plus de difficultés à mener à bien sa mission
sous la pression croissante des requêtes toujours plus nombreuses.
Les espoirs d’obtenir justice en dernier ressort qu’elle suscite
auprès du public européen dépassent largement ses capacités. Ses
procédures sont marquées par les mêmes défauts de lenteur procédurale
qu’elle est censée réparer au niveau des systèmes juridiques nationaux.
Cette situation risque de discréditer le système, ce qui aurait
des conséquences désastreuses pour les individus.
37. L’absence de l’entrée en vigueur du Protocole n° 14 qui a
pour but de simplifier et accélérer certaines procédures à la Cour
Européenne des droits de l’Homme peut servir d’illustration des
inquiétudes exprimées ci-avant. Il faut espérer que la mise en œuvre
rapide du Protocole 14bis permettra de redresser partiellement la
situation.
38. La question de l’exécution des arrêts de la Cour constitue
un autre point suscitant l’inquiétude. L’Assemblée s’est penchée
sur ce problème récemment et notre collègue, M. Pourgourides l’examine
au nom de la Commission des questions juridiques et des droits de
l’homme.
39. L’augmentation considérable du budget de la Cour n’a pas permis
de la désengorger. Tout porte à croire qu’accroître de façon exponentielle
les dépenses de la Cour au détriment des autres organes et institutions
du Conseil de l’Europe n’est pas en soi une bonne stratégie.
3. Comment renforcer
l’efficacité de l’action du Conseil de l’Europe
40. Sur la base des constats faits dans le chapitre précédent,
l’Assemblée devrait engager un débat sur les mesures à prendre pour
améliorer, tant au niveau institutionnel, que politique, l’efficacité
de notre Organisation. Evidemment, certaines démarches ne sont pas
dans notre compétence mais de celle du Comité des Ministres, d’autres
relèvent de la volonté politique des dirigeants européens, mais
je crois qu’il nous appartient d’attirer leur attention, de mettre
en évidence le constat fait et de formuler les recommandations.
3.1. Engagement des
Etats membres de l’Organisation
41. Il est absolument vital de renverser les tendances
dangereuses de désengagement et faire en sorte que l’engagement
de nos Etats membres en faveur de l’Organisation ne fasse aucun
doute et soit vérifié par des actes concrets. Il s’agit là de l’avenir
du Conseil de l’Europe, de la pérennité et de l’efficacité de ses mécanismes.
42. S’agissant des sessions ministérielles du Comité des Ministres,
deux aspects peuvent être distingués: la substance à l’ordre du
jour et l’emploi du temps trop chargé des ministres. En matière
de substance, c’est le devoir de toutes les structures du Conseil
de l’enrichir. L’Assemblée doit également y contribuer plus activement.
Quant aux agendas trop chargés des ministres, leur participation
à d’autres événements au détriment du Conseil de l’Europe traduit
clairement le manque d’engagement pour notre Organisation. Pourquoi
ne pas introduire des critères clairs du niveau de participation
requise, de sorte que le pays qui n’est pas représenté à un niveau
nécessaire soit pénalisé?
43. La situation budgétaire du Conseil de l’Europe n’est pas acceptable
et certaines décisions stratégiques en matière de budget doivent
être revues. L’Assemblée s’est prononcée en ce sens à plusieurs
reprises dans ses avis. Cependant, à ce jour le Comité des Ministres
n’a pas donné suite à ses recommandations en la matière. Compte
tenu du fait que l’Assemblée ne soit pas statutairement en mesure
d’intervenir de manière décisive dans le processus budgétaire, ses
membres devraient utiliser activement leurs mandats législatifs nationaux
afin de l’influencer au niveau de leurs Gouvernements, pour que
ceux-ci traduisent leurs déclarations en faveur du Conseil de l’Europe
en un soutien réel de ses activités matérialisé en décisions budgétaires.
44. Tous les Etats membres, quelle que soit leur position par
rapport à d’autres organisations, doivent jouer pleinement leur
rôle et assumer leur responsabilité en tant que membres individuels
et à part entière du Conseil de l’Europe.
45. Jusqu’à ce que l’Union européenne ne devienne membre collectif,
son influence sur la prise des décisions au Comité des Ministres
du Conseil de l’Europe doit être réduite – sans préjudice aux nécessaires complémentarité
et coopération des deux organisations conformément aux dispositions
de l’Accord de coopération (Memorandum
of Understanding).
46. Compte tenu de l’expérience des trois Sommets du Conseil de
l’Europe, qui ont donné des impulsions nécessaires aux activités
de l’Organisation, il serait judicieux de proposer la tenue de ces
Sommets à intervalles réguliers pour prendre des décisions politiques
fondamentales sur les orientations du Conseil de l’Europe. Bien
entendu, l’efficacité d’un Sommet dépend de la qualité de la préparation
de son ordre du jour politique. Il est donc essentiel que cet ordre
du jour ne soit pas de la seule responsabilité des Délégués des Ministres,
et qu’il tienne pleinement compte des contributions de l’Assemblée,
ainsi que des autres instances du Conseil de l’Europe.
47. Il me semble également souhaitable de renforcer la portée
des conférences des ministres spécialisés du Conseil de l’Europe
et rendre plus efficace leur lien avec, et leur impact sur les activités
quotidiennes de l’Organisation. Les Délégués des Ministres sont
en train de revoir les dispositions relatives à l’organisation des conférences
de ministres spécialisés. Dans ce contexte, on pourrait envisager
que les différents Ministères nationaux puissent contribuer au financement
de certaines activités du Conseil dans leurs domaines de compétence,
en contrepartie de la délégation en leur faveur de certaines compétences
du Comité des Ministres, notamment, en ce qui concerne le choix
des priorités pour les actions intergouvernementales du Conseil
de l’Europe, comme cela est prévu par la Résolution (89)40 du Comité
des Ministres. De son coté, l’Assemblée devrait élargir la pratique
d’inviter les différents ministres spécialisés à venir s’exprimer
dans le cadre de ses débats pléniers consacrés à des sujets d’actualité
qui relèvent de leurs compétences.
48. Par ailleurs, le Conseil de l’Europe renforcerait son positionnement
dans les Etats membres et gagnerait un soutien supplémentaire s’il
impliquait davantage dans ces travaux des représentants de la société
civile au sens large. Il dispose d’un cadre institutionnel unique
pour cela – le statut participatif accordé à un nombre important
d’organisations non-gouvernementales réunies au sein de la Conférence
des organisations internationales non-gouvernementales du Conseil
de l’Europe.
3.2. Fonctionnement
démocratique interne du Conseil de l’Europe
49. Il est absolument nécessaire que le Comité des Ministres
revoie ses méthodes de travail pour fournir des réponses plus rapides
(par exemple dans un délai ne dépassant pas six mois) et surtout
beaucoup plus substantielles aux textes de l’Assemblée. Je rappelle
à ce propos que la Commission du Règlement, des immunités et des
affaires institutionnelles a récemment été saisie d’un rapport sur
le Manque de suivi approprié, par le
Comité des Ministres, des travaux de l’Assemblée parlementaire.
50. Il est incontestable qu’une Assemblée plus forte, plus active
et plus écoutée (et entendue) contribuerait à renforcer l’organisation
dans son ensemble, sa légitimité démocratique et son efficacité
au service des Européens. Il est dès lors important d’envisager
des moyens pour renforcer la position, l’autorité et le potentiel politiques
de l’Assemblée. Dans ce contexte, les propositions contenues dans
la
Recommandation 1763 (2006) précitée restent toujours d’actualité. On peut espérer
par ailleurs que les récentes réunions informelles entre le Comité
présidentiel de l’Assemblée et du Bureau du Comité des Ministres,
qui jusqu’à présent ont donné lieu à des échanges de vues constructifs,
apporteront des résultats escomptés.
51. Dans ce même contexte, on se souviendra des demandes formulées
par l’Assemblée à plusieurs reprises – y compris dans la
Recommandation 1763 (2006) précitée – au sujet d’un renforcement nécessaire de
son rôle statutaire, notamment en ce qui concerne l’implication
de l’Assemblée concernant l’élaboration, l’adoption et l’application
des instruments juridiques du Conseil de l’Europe, sa place dans
la prise de décision, ses pouvoirs dans la procédure budgétaire,
dans le contrôle des activités de l’Organisation et dans certains autres
domaines. Je ne peux que regretter que la plupart de ces demandes
sont restées sans suites de la part des Délégués.
52. Les canaux de dialogue existants entre l’Assemblée et le Comité
des Ministres sont trop formalisés et loin d’être efficaces. Il
faut faire preuve d’imagination pour redonner à ce dialogue un caractère
permanent, ouvert, dynamique et consistant.
53. Dans ce contexte, les récentes réunions régulières informelles
entre le Comité présidentiel de l’Assemblée et le Bureau du Comité
des Ministres, ainsi que les contacts entre le Président de l’Assemblée
et le Président des Délégués, méritent d’être mentionnés. Ces pratiques
devraient être développées, en particulier pour coordonner les positions
des deux organes du Conseil, notamment sur les questions d’actualité,
en matière de prévention de conflits, ou face à des situations de
crise.
54. Il faudrait également donner plus de visibilité et de substance
politique aux échanges de vue traditionnels entre la nouvelle Présidence
du Comité des Ministres et l’Assemblée dans le cadre des réunions de
la Commission permanente.
55. La participation réciproque des représentants de l’Assemblée
(par exemple, présidents et rapporteurs des commissions) et des
Délégués (par exemple, présidents des Groupes de rapporteurs) dans
les travaux des deux organes devrait être encouragée et développée
davantage.
56. Il faut également repenser le fonctionnement du Comité mixte.
Dans sa forme actuelle, il n’a guère d’utilité en tant que cadre
de dialogue et de consultation entre l’Assemblée et le Comité des
Ministres. Ne serait-il pas justifié de revenir au principe d’un
Comité mixte au niveau ministériel et convoqué uniquement si nécessaire
pour permettre un véritable dialogue entre décideurs politiques?
3.3. Rôle de l’Assemblée
parlementaire
57. Au-delà des questions interinstitutionnelles, l’importance
et la pertinence de notre Assemblée se jouent en son sein. C’est
l’engagement de ses membres, des parlementaires, de nous-mêmes collègues,
notre courage, notre ténacité et notre détermination qui définissent
notre rôle. Il est essentiel de rester fidèles à nos valeurs, sans
compromission dans leur protection, il ne faut pas hésiter à sanctionner
des abus tout en étant ouverts au dialogue et à la coopération constructifs.
L’Assemblée doit rester la conscience de l’Europe. Pour cela, nous
ne devons pas permettre que la «Realpolitik» prenne le dessus sur
nos principes et valeurs de base.
58. Il est important aussi que l’Assemblée puisse pleinement utiliser
la force qu’elle tient des pouvoirs législatifs nationaux de ses
membres. A ce propos, je me réfère au rapport présenté il y a quelques
mois par notre collègue Lord Tomlinson sur Utilisation
par les membres de l’Assemblée de leur double rôle parlementaire
– national et européen. En tant que parlementaires nationaux,
les membres de l’Assemblée disposent, dans leurs pays, de certains
pouvoirs vis-à-vis de leurs gouvernements respectifs. Ils devraient
se servir plus activement de leurs mandats nationaux pour promouvoir
les valeurs du Conseil de l’Europe, faire connaître les activités
et défendre les points de vue de l’Assemblée, et influencer ainsi
les positions prises par leurs ministres et agents diplomatiques
respectifs au Comité des Ministres.
59. Plus généralement, les relations de l’Assemblée avec les parlements
nationaux devraient être intensifiées et se transformer de simples
échanges formels en un véritable partenariat. L’Assemblée devrait pouvoir
compter sur un soutien puissant de ses initiatives de la part des
assemblées législatives nationales, avec réciprocité. Cela contribuerait
au renforcement de la démocratie parlementaire en Europe au niveau national
et international, et servirait en définitive les intérêts de l’électeur.
60. Il convient d’évoquer à ce sujet les conférences européennes
des Présidents de parlements nationaux organisées par l’Assemblée
tous les deux ans. Ne faudrait-il pas mener une réflexion sur le
renforcement du lien entre ces conférences et les travaux de l’Assemblée,
de sorte qu’elles puissent contribuer aussi bien à la définition
des priorités de l’Assemblée qu’à leur mise en œuvre?
61. L’autre voie de renforcement de l’influence de l’Assemblée
sur les choix politiques et les décisions à prendre au niveau de
l’Organisation pourrait passer par une coopération plus active et
anticipée avec les présidences tournantes du Comité des Ministres.
Ces présidences jouent un rôle essentiel dans la détermination des
priorités du Conseil de l’Europe pour les six mois que dure chaque
présidence. A présent, l’Assemblée n’est pas consultée par la présidence
à venir sur des priorités que celle-ci prévoit de faire avancer, et
n’a que des moyens limités d’y réagir une fois que ces priorités
sont arrêtées et rendues publiques.
62. Il conviendrait d’envisager des arrangements pour que l’Assemblée
(par exemple, par le biais de son Bureau) puisse avoir des échanges
de vues avec la délégation parlementaire de la présidence à venir
avant que cette dernière n’ait finalisé ses priorités, c’est-à-dire
de manière anticipée. Ceci permettrait d’associer la dimension parlementaire
et faire entendre des élus dans le choix des orientations pour les
activités de l’Organisation, et à la future présidence du Comité
des Ministres de tenir compte des suggestions formulées et des préoccupations
exprimées par des représentants des citoyens européens. On pourrait
aussi réfléchir sur l’opportunité d’associer ex
officio à la composition du Bureau des présidents des
délégations parlementaires des pays de la Troïka (présidences sortante,
courante et à venir). Cela permettrait de renforcer l’influence
parlementaire sur la présidence et assurer une plus grande continuité
dans l’action de l’Assemblée.
63. Pour accroître la pertinence de son travail et la crédibilité
de ses décisions, l’Assemblée devrait procéder plus rigoureusement
à la sélection des sujets qu’elle examine, quitte à faire moins
de rapports. Actuellement, il n’est pas rare de voir qu’on cherche
à utiliser l’autorité de l’Assemblée pour atteindre des objectifs
politiques partisans ou nationaux étroits, ou exercer une pression
sur tel ou tel Etat, gouvernement, parlement ou parti politique.
64. De telles pratiques nuisent à l’image de l’Assemblée comme
dépositaire de conscience collective de l’Europe et risquent d’affaiblir
la crédibilité de ses décisions. Il faut donc veiller à ce que la
réputation de l’Assemblée ne soit pas instrumentalisée, et que ses
travaux portent sur des problèmes politiques européens d’intérêt
général et sur les nouveaux défis qui interpellent les sociétés
européennes, sans jamais perdre de vue les trois domaines essentiels
qui sont les droits de l’homme, la démocratie et la prééminence
du droit.
65. Le problème de la faible visibilité des travaux de l’Assemblée,
tout comme de l’ensemble du Conseil de l’Europe, a fait l’objet
de nombreux rapports et résolutions. Cependant, force est de constater
que la situation a très peu évolué et que l’Assemblée reste assez
méconnue du grand public. Certes, certaines propositions formulées
dans la
Résolution 1498
(2006)sur Améliorer la visibilité
du Conseil de l’Europe ont été mises en œuvre et ont
permis de revoir la stratégie de communication de l’Assemblée. Néanmoins,
des efforts complémentaires sont nécessaires en ce qui concerne
le contenu de la communication pour mettre en valeur les activités
les plus emblématiques de l’Assemblée. Dans ce contexte, l’expérience
positive de la récente campagne contre la violence domestique faite
aux femmes pourrait servir d’exemple.
66. Il faudrait également développer les activités ciblées sur
certains groupes sociaux pour augmenter le rayonnement de l’Assemblée
parmi ces milieux. A ce propos, on pourrait envisager de réunir
régulièrement à Strasbourg une Assemblée des jeunes du Conseil de
l’Europe, ce qui permettrait d’intéresser des représentants de la
jeune génération d’Européens à la vie politique et aux travaux de
notre Organisation. Une telle Assemblée, avec l’accent mis sur les
grandes questions liées au fonctionnement des sociétés démocratiques,
pourrait contribuer au renforcement de l’image de Strasbourg en
tant que pôle de référence en matière de démocratie – en quelque
sorte, une «Davos de la démocratie». J’y reviendrai plus en détail
dans le paragraphe 89 ci-dessous.
67. Afin d’assurer une plus grande continuité dans l’action de
l’Assemblée, il me semble opportun de revenir sur la récente décision
de limiter à deux ans la durée maximale des mandats du Président
de l’Assemblée et des Présidents des commissions. Je suis conscient
que cette question relève de la compétence de la Commission du Règlement,
des immunités et des affaires institutionnelles. Il est cependant
de notre devoir de poser le problème en termes politiques. En effet,
le Président de l’Assemblée et les Présidents des commissions ont
un rôle important dans la définition des priorités et exercent une
grande influence sur les travaux de notre Assemblée. Afin qu’ils
puissent pleinement exercer ce rôle, il faudrait revenir à la règle
de trois ans qui existait auparavant.
68. L’Assemblée bénéficie d’une solide renommée internationale
et dispose d’un important réseau de partenariats institutionnels
bien au-delà des limites de l’Europe. Son expérience et ses travaux
suscitent l’intérêt et servent d’exemple à plusieurs parlements
et associations parlementaires des Etats non-membres du Conseil
de l’Europe. Elle a des relations suivies et des accords de coopération
avec un certain nombre d’Assemblées régionales, aussi bien en Europe
que dans d’autres régions du monde.
69. Elle devrait continuer à mettre à profit cet intérêt pour
faire répandre les valeurs et principes de l’Organisation. En particulier,
la coopération avec des parlements observateurs auprès de l’Assemblée
devrait être renforcée.
70. Le nouveau statut de «partenaire pour la démocratie» ouvre
des nouvelles possibilités pour intensifier la coopération de l’Assemblée
avec les parlements des pays voisins de l’Europe, étendre l’acquis
de l’Organisation au-delà des limites de ses Etats membres, et offrir
aux nouveaux partenaires l’expertise et l’expérience du Conseil
de l’Europe dans ses domaines d’excellence. Il devrait contribuer
à conforter davantage sa position en tant qu’institution parlementaire
internationale de premier plan.
3.4. La Cour: comment
la sortir de l’impasse?
71. J’ai déjà mentionné les problèmes liés à l’absence
de l’entrée en vigueur du Protocole 14 et la solution intermédiaire
qui serait la mise en œuvre rapide du Protocole 14 bis qui permettrait
de redresser partiellement la situation. Dans ce contexte, je tiens
à rappeler la position de principe de l’Assemblée sur la nécessité absolue
de la ratification du Protocole 14 par la Russie pour permettre
son entrée en vigueur. Cependant, il faut reconnaître que le Protocole
14 n’est pas une solution-miracle: le vrai problème de la Cour,
c’est la faiblesse des justices nationales des pays membres, l’absence
ou l’insuffisance des voies de recours efficaces, les problèmes
au niveau de la mise en œuvre des décisions judiciaires, y compris
des arrêts de la Cour, et bien d’autres. L’effort principal doit
donc être porté sur la réparation des carences systémiques des mécanismes nationaux
de justice comme seul moyen pour rétablir la confiance de l’individu.
Sans entrer en détail, je me réfère ici aux travaux de la Commission
des questions juridiques et des droits de l’homme, notamment au rapport
en préparation par notre collègue Mme Bemelmans-Videc
sur Garantir l’autorité et l’efficacité
de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
3.5. Renforcer la pertinence
du Conseil de l’Europe pour les Etats membres et pour tous les Européens
72. Je suis convaincu que le Conseil de l’Europe reste
l’instance la mieux adaptée pour assurer la protection et la promotion
des principes et valeurs fondamentaux inscrits dans son Statut,
qui sont le patrimoine commun des Européens. Pour qu’il garde le
rôle de pionnier en la matière, et développe pleinement son potentiel,
le Conseil de l’Europe doit rester vigilant aux transformations
qui s’opèrent au sein de nos Etats, déceler les nouveaux phénomènes
et tendances de société, mettre en commun les réponses nationales
et proposer rapidement les réponses communes adaptées, ne pas hésiter
à aborder des sujets controversés, assurer une meilleure mise en
œuvre et un suivi plus transparent de ses décisions (par exemple,
promouvoir avec plus d’insistance la signature et la ratification
des conventions), renforcer de manière cardinale sa visibilité et
sa notoriété auprès des décideurs et du public, être à l’écoute
et multiplier les canaux de communication à double sens pour améliorer
le contact avec toutes les strates de la société, y compris avec
les citoyens.
4. Quel avenir pour
le Conseil de l’Europe
73. Même si le bilan des 60 ans de l’action du Conseil
de l’Europe peut être considéré comme satisfaisant, il n’est pas,
à lui seul, la garantie d’un avenir assuré, d’autant plus que l’Organisation
est confrontée à de nouveaux défis auxquels elle doit faire face.
4.1. Pertinence
4.1.1. Les valeurs du
Conseil de l’Europe sont-elles toujours pertinentes aujourd’hui?
74. L’Europe en 2009 présente une image bien différente
de celle de 1949. Les notions de démocratie et des droits de l’homme
sont bien enracinées dans les esprits et la vie courante des Européens.
Peut-on pour autant considérer que ces principes et valeurs n’ont
plus besoin d’être protégés?
75. Je suis profondément convaincu que le combat pour la démocratie
et les droits de l’homme ne doit jamais cesser. Tout d’abord, parce
que les sociétés humaines sont loin d’être parfaites: leur existence
est faite d’une multitude de conflits quotidiens, qui affectent
les individus et les collectivités et les opposent les uns aux autres;
il n’est pas surprenant que dans ce processus, certains droits puissent
être lésés. Il est donc primordial que nos sociétés, qui se sont
proclamées attachées à nos valeurs fondamentales, soient en mesure
d’en assurer la protection.
76. Il faut également tenir compte du fait que la démocratie et
les droits de l’homme ne sont pas des notions figées. Bien au contraire,
elles évoluent au rythme de la vie en constante mutation. De nouveaux
aspects de la démocratie et des droits de l’homme apparaissent suite
aux progrès techniques, aux évolutions de la société, ou encore
aux nouveaux défis auxquels elle est confrontée. En conséquence,
nos efforts de promotion et de protection des valeurs fondamentales
doivent être en phase avec ces évolutions.
77. Enfin, dans un monde de plus en plus globalisé, le caractère
universel de nos valeurs humaines telles que les droits de l’homme
et la démocratie devient une question d’actualité car il est souvent
remis en question; certains pays cherchent à relativiser et vont
jusqu’à nier cette universalité et y opposer leur propres «systèmes de
valeurs». La protection universelle des droits de l’homme et de
la démocratie est un enjeu qui prend de l’importance.
4.1.2. Le Conseil de l’Europe
reste-t-il l’enceinte pertinente pour la promotion et la protection
de ces principes et valeurs?
78. Il est réconfortant de constater que la protection
et la promotion des principes et valeurs fondamentaux ont pris,
au fil des ans, une place importante dans les relations internationales.
Plusieurs organisations internationales et européennes s’y attachent.
79. Au niveau global, rappelons les efforts au sein des Nations
Unies qui ont consacré les droits de l’homme dans les documents
de base – la Charte (1945) et la Déclaration universelle des droits
de l’homme (1948). Il faut également mentionner les activités du
Conseil des droits de l’homme et des différents comités créés pour la
mise en œuvre des traités internationaux sur les droits de l’homme,
ainsi que du Haut Commissaire aux droits de l’homme des Nations
Unies et des différents rapporteurs spéciaux.
80. En Europe, les principaux partenaires institutionnels du Conseil
de l’Europe, à savoir l’Union Européenne et l’OSCE, sont également
activement engagés dans ce domaine. Pour l’Union européenne, les droits
de l’homme, la démocratie et la prééminence du droit sont des valeurs
essentielles inscrites dans le traité fondateur et renforcées par
l’adoption d’une Charte des droits fondamentaux (2000). Une Agence
européenne des droits fondamentaux a été créée en 2007 pour fournir
aux organes de l’Union et aux Etats membres une assistance en matière
des droits fondamentaux.
81. Les documents de base de l’OSCE (par exemple l’Acte final
d’Helsinki de 1975, la Charte de Paris pour une nouvelle Europe
et le Document de Copenhague sur la dimension humaine de 1990) font
également référence aux droits de l’homme, à la démocratie et à
la prééminence du droit, et engagent les Etats participants de l’OSCE
à protéger et promouvoir ces valeurs. Dans ses activités, l’OSCE
réserve une place importante à ces domaines. Elle dispose également
d’une instance spécialement dédiée à ces activités – le Bureau des
institutions démocratiques et des droits de l’homme.
82. Cependant, le Conseil de l’Europe est l’unique organisation
paneuropéenne dont le but statutaire est de réaliser une union plus
étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les
idéaux et les principes basés sur les valeurs spirituelles et morales
qui sont leur patrimoine commun – la liberté politique, la liberté
individuelle et la prééminence du droit – sur lesquels se fonde
toute démocratie véritable.
83. Les mécanismes mis en place dans le cadre du Conseil de l’Europe
pour promouvoir et protéger ces principes et valeurs sont sans aucun
doute les plus développés au monde. Ils couvrent l’ensemble des
aspects relatifs aux droits de l’homme, à la démocratie et à la
prééminence du droit, sont aptes à s’adapter aux évolutions et répondre
aux nouveaux défis, et servent de référence pour d’autres organisations.
L’expérience accumulée au sein de ces différents mécanismes, y compris
la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, constitue
un acquis majeur. Bien entendu, pour que le Conseil de l’Europe
garde le rôle de pionnier en la matière, il faut veiller à ce que
ses instruments restent pleinement opérationnels, adaptés aux évolutions
de la société, et surtout mis en œuvre de manière complète et efficace.
4.2. Nouveaux défis
84. La fin de la guerre froide et l’effondrement des
régimes communistes en Europe de l’Est ont permis la réunification
pacifique de l’Europe sur la base des principes et valeurs communs
et partagés. Les clivages idéologiques du passé ne menacent plus
l’unité et la stabilité de l’Europe. Pour autant, on ne peut pas considérer
que la paix et la sécurité sur notre continent soient garanties
une fois pour toutes. Le Conseil de l’Europe doit rester vigilant
afin d’anticiper les nouveaux défis à la démocratie et aux droits
de l’homme et intensifier ses efforts pour parer aux menaces «traditionnelles»
qui continuent à affecter les sociétés européennes.
85. La guerre dans le Caucase en août 2008 a été un échec du système
européen de prévention de crises. Le risque d’affrontement subsiste
dans nombre de régions de conflits dits «gelés», mettant en péril
la stabilité de toute l’Europe. Le Conseil de l’Europe devrait s’investir
beaucoup plus qu’avant dans la prévention de conflits, avec les
moyens qui lui sont propres et en coordination avec les autres acteurs
européens et internationaux pertinents. Le Forum sur l’alerte précoce
dans la prévention des conflits que la Commission des questions
politiques organise en septembre 2009 pourrait apporter des idées
nouvelles à ce sujet. Les capacités de médiation politique des différents
organes et institutions du Conseil devraient être mises en commun
et utilisées plus activement. Une réponse coordonnée de ces organes
et institutions face à un conflit ou à une crise s’impose.
86. Même si leur nature et leurs causes sont différentes, le terrorisme
et l’extrémisme politique (mouvances qui sont prêtes à recourir
à la violence ou propagent la haine et l’intolérance) cherchent
à abuser des avantages du système démocratique à des fins contraires
à ses valeurs fondamentales. Le Conseil de l’Europe a déjà fait
des efforts considérables pour trouver des réponses communes et
mesurées à ces phénomènes. Ce faisant, il a beaucoup insisté sur
la nécessité absolue, lorsqu’il s’agit de combattre ces phénomènes,
de strictement respecter les principes et valeurs de base et des
normes en matière de droits de l’homme. Il convient de rappeler
à ce sujet les prises de position de l’Assemblée dans le cadre des
deux rapports présentés par notre collègue M. Marty sur Allégations de détentions secrètes et de transferts
interétatiques illégaux de détenus concernant des Etats membres
du Conseil de l’Europe (juin 2006) et Détentions secrètes et transferts illégaux
de détenus impliquant des Etats membres du Conseil de l’Europe:
second rapport (juin 2007). Il faudrait approfondir l’analyse
sur les causes de ces phénomènes et consacrer plus d’attention à la
prévention, sans toutefois cesser d’être vigilants au respect des
droits de l’homme.
87. Beaucoup de villes en Europe ont connu la recrudescence de
la violence urbaine et l’apparition de véritables zones de non-droit.
Mettre en commun les expériences nationales en matière de prévention
et de gestion de ce phénomène social dangereux est une tâche pour
le Conseil de l’Europe, compte tenu de son expertise dans les domaines
social et de la prééminence du droit. La réflexion sur ces problèmes
lancée au Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l’Europe devrait
être élargie et approfondie.
88. La baisse de l’intérêt des citoyens pour la vie politique
et du taux de participation aux élections, devenue manifeste dans
de nombreux pays européens, constitue également un danger pour la
stabilité des systèmes démocratiques car elle réduit l’assise sociale
de la démocratie et sa légitimité. Le Conseil de l’Europe doit renforcer
ses activités relatives aux évolutions de la démocratie, et réfléchir
à consolider la base normative commune en la matière.
89. Sur ce point, il faut reconnaître que, si en matière de protection
des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe bénéficie d’une notoriété
publique et d’une image de marque certaines, il n’en est pas encore
ainsi pour ce qui est de nos activités relatives à la démocratie.
Pourtant, notre Organisation dispose d’une série de mécanismes et
de structures adaptés pour consolider sa place de pionnier dans
ce domaine: le Forum annuel sur l’Avenir de la Démocratie, les débats
biannuels de l’Assemblée sur l’état de la démocratie en Europe,
la Commission de Venise, l’Université d’été de la démocratie qui
réunit à Strasbourg des jeunes responsables participant au réseau
des Ecoles des études politiques du Conseil de l’Europe. L’heure
n’est-elle pas venue pour renforcer, coordonner et donner plus de
visibilité à toutes ces activités afin d’instituer sur leur base
à Strasbourg un véritable «Davos de la démocratie» – un laboratoire
d’idées et de débats réguliers de haute visibilité consacré à la
démocratie?
90. Dans le même ordre d’idées, j’estime qu’un important travail
de fond s’impose sur les valeurs fondamentales défendues par le
Conseil de l’Europe. Dans un contexte de plus en plus mondialisé,
où des principes et valeurs traditionnellement conçus comme universels
(tels que les droits de l’homme...) sont de plus en plus critiqués
comme une émanation d’une culture particulière (par la Chine, par
l’Iran, par le relativisme occidental lui-même…), il s’agit de les
réaffirmer dans des formulations nouvelles, adaptées à notre temps. L’universalité
attachée aux valeurs défendues par le Conseil de l’Europe n’exclut
évidemment pas la promotion de la diversité culturelle, au contraire.
C’est justement l’articulation entre universalité et particularité
qui offre le moyen le plus sûr de rendre applicables nos valeurs
fondamentales. Pourquoi ne pas faire travailler, sous l’égide du
Conseil de l’Europe, un vaste réseau européen de politiques, universitaires,
philosophes, théologiens… sur ces questions?
91. L’actuelle crise économique mondiale met à l’ordre du jour
de multiples questions sur la responsabilité sociale du monde des
affaires, la protection des droits de l’homme et des droits sociaux
en période de récession, et plus généralement, l’influence de l’économie
sur la démocratie et les droits de l’homme. C’est aussi l’occasion
de réaffirmer l’importance de la cohésion sociale en tant que fondement
de la stabilité politique de la société. Les travaux visant à combattre
l’exclusion sociale et éradiquer la pauvreté devraient être renforcés.
92. La mondialisation n’est pas une menace en soi, mais elle fait
de sorte que les différents problèmes à caractère local ou régional
affectent de plus en plus les autres régions du monde. On ne peut
plus espérer assurer la stabilité en Europe sans que les régions
voisines ne soient elles aussi stables. Dans les travaux du Conseil
de l’Europe, il faut nécessairement prendre en compte la dimension
extra-européenne des questions traitées. Dans le même esprit, il
faudrait chercher à étendre les normes juridiques du Conseil de
l’Europe au-delà de ses frontières, en premier lieu sur les régions
voisines de l’Europe (les rives Sud et Est de la Méditerranée, le
Moyen Orient et l’Asie Centrale), entre autres par le biais de conventions
et autres instruments ouverts à des pays tiers.
93. Bien entendu, ce n’est qu’une petite partie des défis et menaces
auxquels nos sociétés sont confrontées, et où une action commune
au niveau du Conseil de l’Europe serait utile. Notre tâche est donc d’assurer
que les capacités d’anticipation et de réaction de notre Organisation
soient pleinement mises au service de nos Etats membres et surtout
de tous les Européens.
5. Conclusion
94. Les Etats membres ont confié au Conseil de l’Europe
la mission d’être le gardien des valeurs qu’ils considèrent fondamentales
pour la civilisation européenne – démocratie, droits de l’homme
et prééminence du droit.
95. Au cours des soixante années de son existence, notre Organisation
s’est montrée à la hauteur de cette tâche. Elle a réussi à définir
des normes précises pour transformer les valeurs fondamentales en
obligations contraignantes. Elle dispose aujourd’hui d’un vaste
éventail de mécanismes pour garantir le respect de ces normes.
96. Grâce aux activités du Conseil de l’Europe, les principes
de démocratie, de droits de l’homme et de prééminence du droit font
aujourd’hui partie de la vie quotidienne des Européens et constituent
les piliers de l’unité européenne. Cependant, dans nos sociétés
en constante mutation, ces principes sont en permanence soumis à
de nouvelles épreuves et ont toujours besoin d’être redéfinis, réaffirmés
et protégés.
97. Voilà pourquoi les Etats et les citoyens européens ont aujourd’hui
besoin d’un Conseil de l’Europe vigilant, combatif et flexible,
toujours prêt à défendre et consolider les principes qui font le
socle commun des sociétés européennes. L’Organisation doit tirer
des leçons de l’analyse critique de ses réalisations et de ses opportunités
manquées, de ses points forts et de ses faiblesses et défaillances,
et continuer son adaptation aux exigences de l’époque pour être
à la hauteur de sa mission et servir de son mieux les Européens.
L’action du Conseil de l’Europe doit être soutenue et renforcée
pour faire face aux nouveaux défis d’aujourd’hui et de demain.
98. En même temps, il est vital pour le Conseil de l’Europe, tout
en gardant sa spécificité, d’offrir à des Etats européens qui n’ont
pas de vocation ou d’intention d’adhérer à l’Union européenne, la
possibilité institutionnelle de participer sur un pied d’égalité
au processus de la construction d’une Europe unie.
99. En plus, aussi bien l’Union européenne que l’OSCE font référence,
dans leurs actes et activités, aux principes et valeurs de la démocratie,
des droits de l’homme et de la prééminence du droit – principes
et valeurs dont la protection est la mission statutaire et la raison
d’être du Conseil de l’Europe.
100. Certes, ces principes et valeurs ne sont pas une propriété
exclusive de notre Organisation. Cependant, les mécanismes de protection
effective de ces principes et valeurs sur la base des normes bien
définies et juridiquement contraignantes crées dans le cadre du
Conseil de l’Europe et son expertise dans ce domaine sont uniques
et en font un point de référence en la matière. Affaiblir ce rôle
porterait un coup grave au système existant de sauvegarde des valeurs
fondamentales et aurait des conséquences pour l’équilibre institutionnel en
Europe. Notre devoir est donc de veiller à ce que le Conseil de
l’Europe reste à la hauteur de sa mission et fidèle à sa vocation
de gardien de la démocratie, des droits de l’homme et de la prééminence
du droit.