1. Introduction
1. La crise financière et économique qui s’est déclenchée
en 2007 aux Etats-Unis avant de se propager à l’ensemble de la planète,
et notamment aux Etats membres du Conseil de l’Europe, est, depuis
celle de 1929, l’événement économique le plus important de ces dernières
décennies. La crise a entraîné une grave récession mondiale qui
frappe de plein fouet les économies nationales et dont les effets
se font ressentir sur les politiques économiques, monétaires mais
également sociales avec la montée du chômage et les plans de rigueur
annoncés. Plus graves encore sont les premiers signes de contestations
politiques qui amènent à considérer les prochains mois avec la plus
grande attention et à sensibiliser les gouvernements sur l’importance
des solutions à adopter dans la gestion de la crise.
2. Le rapport de la commission des questions politiques a clairement
souligné la progression de différents partis d’extrême droite lors
d’élections récentes, comme le Jobbik hongrois qui compte 47 élus
au Parlement hongrois. Ce succès est l’une des premières conséquences
politiques de la crise économique, traduisant une fois de plus les
réflexes électoraux d’une population durement frappée par les effets
économiques d’une crise et qui voit dans les gouvernements en place
les principaux responsables de cet état de fait.
3. D’un point de vue strictement économique – même si l’économie
et la politique sont de plus en plus étroitement liées – les conséquences
politiques de la crise découlent de la montée du chômage, du gel
des salaires dans la fonction publique, d’une baisse du pouvoir
d’achat et d’un certain pessimisme quant aux développements à venir.
Des questions permanentes restent posées quant à la solvabilité
des Etats malgré les différentes mesures prises au niveau européen
ainsi qu’en ce qui concerne la capacité politique à long terme de
créer des infrastructures en vue d’un développement équilibré et
durable dans de nombreux pays. Comme les effets de la crise sur
l’emploi peuvent entraîner un grave risque de troubles politiques,
il faut renforcer la confiance publique dans le développement économique
futur avec, en ligne de mire, plus d’emplois de meilleure qualité.
2. Première phase: le surendettement des ménages
4. La crise économique a démarré avec la fameuse crise
des subprimes, ces fameux
prêts hypothécaires accordés par des banques et des institutions
de crédit immobilier à des individus sans vérifier soigneusement la
capacité de ces derniers à les rembourser. Ces créances toxiques
ont ensuite été réinjectées, réinvesties dans d’autres institutions
financières. Ce système s’est effondré lorsque ces créances n’ont
plus été garanties, entraînant de ce fait la faillite de nombreuses
institutions financières.
5. Cette crise n’a pas tardé à produire ses effets sur les populations
en raison d’un resserrement du crédit. Consommation et investissement
s’effondrant, les effets de cette première phase de la crise se
sont fait sentir sur le marché de l’emploi (hausse du chômage) et
dans le fonctionnement des services publics. Pour éviter un effondrement
des banques, les pouvoirs publics ont alors renfloué les institutions
financières, prélevant des sommes affectées à d’autres projets ou
nationalisant certains établissements bancaires.
6. Cependant, les Etats se sont vite retrouvés confrontés à une
dette publique en augmentation sans aucune possibilité d’augmenter
leurs recettes. Plusieurs pays ont dû faire face à une spéculation
boursière sur leurs dettes réputées sûres mais qui en réalité ne
l’étaient pas. La découverte de cette situation a entraîné un abaissement
de leur note par les agences de notation pour certains d’entre eux,
en raison de leur faible capacité à rembourser les crédits achetés
sur les marchés boursiers et nécessaires au financement de leur dette
publique. Plusieurs pays avec un déficit budgétaire élevé par rapport
à leur PIB se sont alors retrouvés face à une situation de surendettement.
7. La commission des questions économiques et du développement
s’est très vite penchée sur cette question des conséquences politiques
de la crise économique dans ses précédents rapports ou dans ceux
qui sont en préparation, comme celui sur «Le surendettement des
Etats: dangers pour la démocratie et les droits de l’homme» (rapporteur:
Pieter Omtzigt, Pays-Bas, PPE/DC). En outre, son rapport
, débattu lors de
la session plénière de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe,
en janvier 2009, soulignait que «la nécessité de rappeler aux gouvernements
que, malgré les difficultés financières, les droits de l’homme,
les droits sociaux et les droits économiques des citoyens doivent
être sauvegardés, si l’on veut éviter que les fondements mêmes de
la démocratie soient sapés».
3. Deuxième phase: le surendettement des Etats
8. La crise économique est entrée, au tournant de l’année
2010, dans sa deuxième phase, celle beaucoup plus critique pour
la stabilité démocratique des différents Etats membres du Conseil
de l’Europe et aux conséquences politiques nettement plus inquiétantes:
le surendettement des Etats.
9. Les proclamations du G20 visant à réguler la finance internationale
sont restées lettre morte et de nombreuses banques et institutions
financières, renflouées par l’argent public à des taux très bas,
ont pensé que les choses allaient revenir comme avant. Mais c’était
sans tenir compte du fait que la crise révélerait la mauvaise gestion
et le déséquilibre des finances publiques, qui ont été dévoilés
par les agences de notation. En conséquence, des pays comme la Grèce,
l’Espagne ou le Portugal et ensuite le continent européen se sont trouvés
plongés dans un état d’inquiétude qui, en de nombreux endroits,
s’est transformé en colère publique.
10. Car, si la finance internationale est devenue un bouc émissaire
tout désigné – quelquefois à juste titre – de la crise financière
de 2008, les responsables politiques en charge des problèmes économiques
ne peuvent plus masquer les déséquilibres et les piètres politiques
économiques à long terme accumulées depuis plus de vingt ans. Les
conséquences économiques actuelles ont révélé les dangers d’une
gestion politique économique hasardeuse et à courte vue, dans laquelle
les politiques fiscales inadéquates sont combinées à des dépenses
excessives (par exemple en ce qui concerne les allocations sociales,
les plans de retraite sous-financés, l’augmentation excessive du
nombre de fonctionnaires et la gestion dispendieuse des collectivités publiques).
Un manque d’attention, envers des politiques en faveur d’une croissance
durable pour les emplois et l’économie, afin d’assurer le revenu
privé et les revenus fiscaux, ont aggravé de tels déséquilibres.
Cela montre l’importance d’une bonne gouvernance et d’infrastructures
de base pour l’équilibre fiscal au niveau national, tels que les
critères fixés par le «Pacte de stabilité et de croissance» de l’Union
européenne. Comme le souligne le rapport de M. Sasi mentionné plus
haut, des politiques macroéconomiques saines qui aident à résister
aux crises économiques peuvent être un facteur important dans la
façon dont le fonctionnement d’une démocratie est perçu.
11. Une grande partie des dirigeants politiques européens qui
fustigeaient, bien souvent à des fins électoralistes, les «diktats»
de l’Union européenne et de la Banque centrale européenne (BCE)
à propos du Pacte de stabilité et de croissance (fixant à 3 % maximum
du PIB le niveau du déficit public ou de la monnaie unique) restent,
aujourd’hui, bien silencieux. Car dès lors que la sacro-sainte règle
du Pacte de stabilité a été bafouée, les dépenses publiques se sont
envolées dans de nombreux Etats alors même que la croissance économique,
qui permet de compenser un endettement public, n’est pas encore
au rendez-vous en raison de la récession provoquée par la crise
des subprimes en 2008.
12. Ces politiques économiques ont conduit de nombreux Etats membres
du Conseil de l’Europe dans une spirale infernale qui s’est caractérisée
économiquement par une demande accrue d’aide de la part de la Commission
européenne et surtout du Fonds monétaire international (Hongrie,
Ukraine, Islande, Lettonie, Roumanie, Pologne, Bosnie-Herzégovine,
Serbie et Grèce). En termes monétaires, la chute régulière de l’euro dans
les pays utilisant cette monnaie – tombée le 19 mai 2010 sous la
barre des 1,22 dollar des Etats-Unis – a entraîné une baisse inquiétante
des places boursières et pénalise fortement les exportations. Pour
les autres pays, l’effondrement de monnaies comme le forint hongrois
ou la couronne islandaise a entraîné une dévaluation de la monnaie
et une brusque montée du taux d’inflation. En Islande, ce dernier
a grimpé jusqu’à près de 14 % en octobre 2008 et le pays a été obligé
de contracter un prêt de 4 milliards d’euros auprès de la Fédération
de Russie pour augmenter ses réserves de changes et stabiliser sa
monnaie.
13. Outre les répercussions de ces problèmes monétaires sur le
pouvoir d’achat des populations, ce surendettement des Etats a entraîné
la mise en place rapide de politiques d’austérité ou de rigueur
qui touchent des populations déjà frappées par des conditions économiques
difficiles. Ainsi, dans certains pays comme l’Espagne, le chômage
frôle les 20 %.
4. Politiques d’austérité et heurts politiques
14. De nombreuses manifestations contre ces politiques
de rigueur ont eu lieu. Des milliers de personnes ont manifesté
contre le «capitalisme» le 16 mai 2010, à Madrid. En Grèce, plusieurs
jours de grèves et de manifestations ont conduit à des heurts avec
les forces de l’ordre à Athènes où, le 6 mai 2010, trois personnes ont
trouvé la mort dans une agence bancaire incendiée par des manifestants
en colère.
15. Les différentes mesures prises par certains gouvernements
(Irlande, Portugal, Grèce, Espagne, Hongrie, Roumanie, Grande-Bretagne,
Italie, etc.) confrontés à cette crise sont un gel, voire une baisse
des salaires des fonctionnaires jusqu’en 2013. Le niveau des pensions
des retraités est également gelé, l’âge légal de départ à la retraite
est relevé et certaines allocations ou aides à la petite enfance
sont supprimées. La hausse des impôts directs et indirects (TVA)
se généralise et les coupes budgétaires affectent également les domaines
de la coopération internationale, les administrations locales ou
le remboursement des médicaments.
16. Cependant, certains économistes doutent fortement de la pertinence
de ces mesures d’austérité car ils considèrent que ces mêmes mesures
pourraient causer des conséquences sociales irréparables entraînant, de
ce fait, de graves problèmes politiques; et cela d’autant plus qu’ils
auraient un effet économique inverse puisque la croissance économique
ne serait plus stimulée et que les dettes subsisteraient. La faillite
ne serait que retardée et interviendrait dans un climat social et
politique extrêmement tendu.
17. Enfin, selon l’économiste américain Nouriel Roubini, «ce qui
se passe en Grèce n’est que la pointe d’un iceberg de problèmes
de dettes et de déficits publics, dans beaucoup de pays développés»
.
Roubini estime qu’une crise mondiale des dettes publiques est possible.
On imagine alors les conséquences politiques d’une telle crise.
18. L’exemple de l’Argentine en 2001 est à prendre très au sérieux.
En effet, cet exemple n’est pas sans rappeler ce qui se passe économiquement
en Grèce. La dette publique s’étant aggravée (chute du PIB de près de
15 %), le Gouvernement argentin prit – sur les conseils du FMI –
des mesures drastiques comme les réductions des dépenses sociales
et des salaires de fonctionnaires et le blocage des comptes des
épargnants entraînant de violentes manifestations à Buenos Aires.
Les 19 et 20 décembre 2001, l’état de siège fut proclamé après une
répression qui provoqua la mort de 35 personnes et conduisit le
Président Fernando de la Rua à quitter en urgence son palais présidentiel
puis à se démettre de ses fonctions.
5. Conclusion
19. Il y a toujours, à court, moyen et long termes, des
conséquences politiques aux crises économiques. La crise économique
de 1929 a été l’un des facteurs – mais non le seul – de la prise
du pouvoir, bien souvent légalement, par des mouvements extrémistes
et d’une réorientation des économies européennes vers la préparation
d’une guerre qui allait dévaster notre continent et le monde entier.
20. A l’heure où les choix que prendront les différents gouvernements
pour juguler cette crise économique se révéleront déterminants,
les gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe doivent
tirer tous ensemble les leçons d’un passé pas si lointain pour ne
pas réitérer les tragiques erreurs d’une époque où une crise économique
a entraîné de terribles conséquences politiques et humaines.