1. Introduction
1. De nombreux observateurs, responsables politiques
et citoyens pensaient que la crise économique et financière était
derrière nous, qu’elle commençait à s’estomper et que la reprise
s’annonçait. Il n’en est rien. Les problèmes rencontrés par la Grèce,
l’Irlande, le Portugal et l’Espagne, les préoccupations concernant
la gestion de la dette publique en Belgique et en Italie, et les
mesures de rigueur annoncées en France, au Royaume-Uni et dans beaucoup
d’autres pays, tout ramène les citoyens à la terrible réalité: le
pire est peut-être encore à venir et les difficultés économiques
ne font que commencer. De la crise des subprimes à
celle du système économique international, l’on est passé du surendettement
des ménages et du secteur privé à celui des Etats.
2. Dans ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui une récession
mondiale, de nombreux Etats européens ont abordé l’année 2010 dans
une position délicate. Leur dette publique
a
atteint des niveaux sans précédent et continue d’enfler (voir le
tableau figurant à l’annexe). En 2010, la dette publique devait
atteindre environ 131 % du PIB en Italie, 129 % en Grèce, 125 %
en Islande, 105 % en Irlande, 103 % en Belgique, 93 % au Portugal, 92 %
en France, 81 % au Royaume-Uni et 80 % en Allemagne
. La situation de la dette dans les Etats
de l’Europe centrale et orientale est bien meilleure, sauf pour
la Hongrie. Au-delà de l’Europe, l’inquiétude des investisseurs
se focalise sur les Etats-Unis – qui ont reçu des avertissements
répétés concernant la possible détérioration de leur notation de
crédit si la dette nationale (environ 96 % du PIB en 2010) continuait
de grossir – et le Japon – considéré par certains analystes comme
une bombe à retardement prête à exploser d’une minute à l’autre
(«a debt time bomb that is waiting to explode») du fait de sa dette souveraine atteignant 198 %
du PIB en 2010. Le niveau d’endettement jugé supportable (ou non
pénalisant pour le développement) par bon nombre d’économistes se
situe entre 60 % et 70 % du PIB.
3. Aujourd’hui, certaines économies risquent de s’effondrer et,
en raison d’un surendettement conséquent, doivent opérer des choix
politiques, économiques et sociaux douloureux qui affectent des
millions d’Européens et menacent leurs droits fondamentaux. Avec
l’érosion de la solvabilité des Etats, la crainte de voir le pouvoir passer
des Etats-nations vers des marchés financiers mondiaux pose de graves
défis à la démocratie et aux perspectives de développement. Cette
pénible réalité est le deuxième grand choc économique de l’histoire moderne
après la Grande Dépression des années 1930, aux conséquences d’une
portée vaste et profonde dans toute la société.
4. Aussi ce rapport s’intéresse-t-il aux principaux enjeux politiques
auxquels se trouvent confrontés de nombreux gouvernements européens
étant donné l’état précaire des finances publiques. Il vient plus
ou moins compléter les rapports de l’Assemblée sur les conséquences
politiques de la crise économique et sur les institutions économiques
mondiales face aux défis de la crise financière
.
J’apprécie les contributions, fort utiles, à ce rapport faites par
les participants à l’audition qu’a tenue la commission des questions
économiques et du développement le 29 novembre 2010
à
Paris.
2. Une situation financière des Etats membres
de plus en plus préoccupante, aggravée en période de crise économique
5. L’actuelle crise économique, qui fait suite à la
crise financière, a révélé au grand jour des situations inquiétantes
pour de nombreux Etats. Cette deuxième phase traduit un peu plus
les échecs des politiques menées jusque-là et des modèles économiques
suivis depuis quarante ans, en particulier celui qui tend à penser
que le marché peut, seul, réguler l’économie mondiale.
6. En Europe, les difficultés relatives aux finances publiques
ne datent pas d’hier. Avec la persistance des déficits, l’endettement
rampant constitue un problème – et un défi – depuis des décennies.
Si la dette du secteur privé a progressé en flèche plus récemment,
c’est en raison d’un effet de levier excessif des banques et d’un
crédit bon marché, résultat de politiques monétaires publiques et
d’une régulation trop laxistes. En outre, la période 2009-2010 a
connu de substantiels transferts de dette du privé au public – avec
injections massives de liquidités des banques centrales vers les
marchés financiers pour soutenir le prix des actifs et pour dégeler
les canaux de crédit –, sans parler de programmes de relance des
économies nationales s’élevant environ à 2 % du PIB dans la majorité
des pays occidentaux. Dans ce rapport, je souhaite exposer les principales
raisons pour lesquelles les finances publiques européennes semblent
peiner à trouver un juste milieu.
7. L’importance et la récurrence des déficits publics s’expliquent,
en partie, par les difficultés que connaissent la plupart des systèmes
sociaux européens. Avec le vieillissement de la population et la
baisse de la natalité, la volonté de réformer les systèmes de retraite
et de soins de santé est depuis plusieurs années au cœur des débats
dans de nombreux pays européens. De plus, la montée du chômage à
travers l’Europe s’est doublée d’une augmentation des indemnisations
de chômage et d’une baisse des recettes fiscales. Le financement
des systèmes sociaux par répartition a ainsi une forte incidence
sur les budgets de l’Etat et, ce faisant, sur les niveaux d’endettement
actuels et futurs des pays concernés.
8. Ce que l’on peut aujourd’hui appeler la crise de l’Etat providence
conditionne les possibilités des Etats européens de mettre en œuvre
ou non certaines politiques. Il semblerait, en effet, que les Etats
n’aient aujourd’hui plus les moyens de tenir «les promesses en matière
de santé et de retraite faites à la génération vieillissante du
baby-boom». Je considère, de fait, qu’il va falloir désormais faire
preuve de réalisme afin de réformer l’Etat providence et de le rendre
viable à long terme. L’on ne parle pas ici de la suppression de
l’Etat, car ce serait faire fi des leçons de la crise. J’estime,
en effet, qu’il est temps de rétablir l’Etat dans sa position de
régulateur et de délimiter de «nouvelles frontières entre l’Etat
et le secteur privé»
. Le fait est que «seuls les pouvoirs publics
peuvent répondre, à l’échelle voulue, aux problèmes que pose la
concurrence mondialisée
» et
que, par conséquent, il serait imprudent de supprimer tous les obstacles
au libre fonctionnement du marché. Au vrai, le secteur privé ne
peut adopter le recul nécessaire pour permettre à la société dans
son ensemble de fonctionner parfaitement.
9. Pour certains Etats, l’on peut incriminer les faibles performances
économiques, insuffisantes pour satisfaire aux besoins de la société.
Le rapport met ici en avant ce problème: la tendance de nombreux
Etats européens à vivre au-dessus de leurs moyens. Cette tendance
se traduit par des «finances publiques structurellement déficitaires
[pour des pays comme la Grèce, qui] depuis son adhésion à l’euro,
en 2001, [n’a] affiché qu’un seul déficit inférieur à 3 % du PIB»
. Cette
situation est relativement courante dans les pays occidentaux qui,
malgré le ralentissement de leurs économies depuis plusieurs dizaines
d’années, continuent d’accroître le rythme des dépenses. Sans parler
des dépenses militaires de certains pays, autre point qui mérite
davantage de contrôle public.
10. Je tiens à souligner ici que le recours au déficit public
ne conduit pas forcément à des situations de surendettement. Le
taux de croissance du PIB de chaque Etat est une variable à prendre
en compte pour analyser l’impact des déficits budgétaires. Aussi
le budget des Etats est-il censé évoluer en corrélation avec le niveau
d’activité économique. D’une manière générale, même les prévisions
de faibles niveaux de croissance peuvent être à l’origine d’une
frilosité des investisseurs. «Certains analystes estiment en effet
que le niveau d’endettement actuel dans la zone euro ne peut être
résorbé par la croissance attendue, trop molle»
, ce qui explique la fuite des capitaux
vers des placements plus sûrs.
11. En outre, la situation budgétaire a toujours tendance à empirer
en période de crise par le mécanisme naturel de stabilisateurs économiques.
Ainsi, le ralentissement de l’activité économique entraîne une diminution
des recettes fiscales et une augmentation des dépenses, notamment
en matière de protection sociale. En Finlande, par exemple, «sous
l’action vigoureuse des stabilisateurs automatiques et des mesures de
relance, la situation budgétaire s’est dégradée plus rapidement
que dans tout autre pays de l’OCDE»
, et ce malgré une situation économique
plutôt favorable avant la crise.
12. Tous les facteurs de déséquilibre budgétaire précédemment
évoqués conduisent directement à la dégradation des situations financières
des Etats par le simple jeu des intérêts qui s’ajoutent tous les
ans aux dettes contractées. Les Etats n’ont que rarement le réflexe
d’équilibrer le budget en période de croissance pour se préparer
à affronter des crises économiques comme celle que l’Europe subit
actuellement. A ce sujet, M. Valdis Dombrovskis, Premier ministre
de Lettonie, déplore le fait que son pays n’ait pas profité des
années précédant la crise pendant lesquelles la croissance du PIB
dépassait 10 % par an
.
13. Aujourd’hui, les prévisions quant aux déficits et aux dettes
publiques sont alarmantes. En effet, l’Organisation de coopération
et de développement économiques (OCDE) prévoit que la dette brute
des administrations publiques en 2011 sera de 97 % du PIB pour la
France, 104 % pour la Belgique, 113 % pour l’Irlande, 133 % pour
l’Italie et 137 % pour la Grèce
.
La crise économique n’étant pas terminée, il faut raison garder
et essayer de prendre les décisions politiques qui s’imposent, en
gardant à l’esprit les effets, à court et long termes, non seulement
de l’endettement public, mais également des politiques de restrictions
budgétaires mises en place pour assainir les finances publiques.
3. Le surendettement des Etats: des responsabilités
partagées entre agences de notation et Etats
3.1. La responsabilité des agences de notation
14. «Les agences de notation, qui sont au nombre de trois,
Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch, sont des institutions américaines
qui notent des Etats, des entreprises, des collectivités ou des
opérations financières, afin de donner aux investisseurs une vision
synthétique du risque de solvabilité des acteurs économiques.»
Elles
attribuent ainsi une note financière aux entreprises mais également
aux pays.
15. Les notes financières servent de référence aux investisseurs
qui achètent des actions ou des obligations étatiques. Par conséquent,
les agences de notation tiennent entre leurs mains les destins financiers
de nations entières et de leurs millions de citoyens. Ainsi, lorsque, le 29 avril 2010,
la note de l’Espagne a baissé – de AAA (meilleure note) à AA –,
ce qui n’était qu’une possibilité – la menace de faillite économique
est devenue une quasi-réalité.
16. Sans être la cause de la hausse de la dette publique, les
agences de notation portent néanmoins une lourde responsabilité
dans l’aggravation des conditions économiques de certains Etats
européens et dans ce regain de spéculation qui s’est emparé des
salles de marchés au cours de ces derniers mois. Ainsi, la détérioration
de la note attribuée à la dette souveraine d’un pays entraîne une
hausse des taux d’intérêt que ce pays devra payer pour sa dette.
Ce sont donc les Etats connaissant le plus de difficultés économiques
qui doivent payer des taux d’intérêt plus élevés pour financer leur
dette et qui, donc, se retrouvent dans des situations encore plus
difficiles. Ce cercle vicieux entraîne de fait une aggravation de
la situation financière des Etats qui sont déjà en difficulté, puisqu’ils
sont contraints de payer, en quelque sorte, une prime de risque.
Il est, certes, économiquement cohérent qu’il y ait corrélation
entre le risque et le taux d’intérêt, mais la spéculation entraîne
des situations qui ne sont pas toujours justifiées par un risque
tangible de défaut de paiement.
17. Déjà dénoncées dans le rapport en cours d’élaboration de notre
collègue Viktor Pleskachevskiy («L’économie souterraine: une menace
pour la démocratie, le développement et l’Etat de droit») pour leur notation
positive d’établissements privés (assureurs) ou de banques qui possédaient
des actifs toxiques, les agences de notation sont aujourd’hui pointées
du doigt, à juste titre, pour leurs appréciations alarmistes de
la santé économique de plusieurs pays européens, appréciations qui
se transforment en prophéties autoréalisatrices.
18. Je tiens ici à soulever la question du statut et de l’indépendance
de ces agences. L’on a vu, en effet, le Sénat américain se plonger
dans ces questions au lendemain de la crise des subprimes, sans que la communauté
internationale ne prenne de mesures en conséquence. Or, le risque
de conflit d’intérêts lié au fait que ces agences sont rémunérées
par les émetteurs de titres à noter est, à mon avis, l’un des points
importants sur lequel il faut s’interroger.
19. Toutefois, il n’est pas possible de prôner la suppression
de ces agences, «qui devraient, en théorie, être un facteur de stabilité
des places boursières». Dans l’absolu, ces agences permettent de
sécuriser les investissements des personnes privées, sans quoi le
niveau d’investissement serait insuffisant pour financer le fonctionnement
de l’économie. La question que je souhaite soulever ici est celle
de la concentration du marché des agences de notation qui peut rapidement
aboutir à des abus de pouvoir. A l’évidence, la situation d’oligopole
dans laquelle elles évoluent leur donne la possibilité d’user de
leur position d’éclaireur à des fins lucratives. Le lien entre spéculation
et notation ne peut pas être clairement établi, mais «la coïncidence fréquente
des dégradations et des accès de fièvre spéculative a de quoi laisser
perplexe»
.
20. De ce point de vue, rappelons la résolution prise par les
responsables du G20, lors du Sommet de Séoul de novembre 2010, de
renforcer la régulation et la supervision des agences de notation
de crédit, ainsi que les efforts pour réduire la dépendance des
diverses parties prenantes (y compris les acteurs normatifs, les participants
du marché, les superviseurs et les banques centrales) envers ces
notations externes du crédit.
3.2. La responsabilité des Etats
21. Les Etats européens ont prêté aux banques nationales
à des taux défiant toute concurrence, qui ont permis aux banques
d’accorder plus de crédits et, ensuite, d’augmenter considérablement
leurs bénéfices. Mais lorsqu’il a fallu prêter à des Etats et, par
conséquent, à leurs citoyens, pour sauver des systèmes publics, des
services de santé ou pour éviter une réduction des pensions, les
taux ont été nettement plus élevés. Comment, dès lors, «le secteur
financier pourrait [-il] assurer une contribution juste et substantielle
au financement des charges liées aux interventions que les gouvernements
ont mises en œuvre pour remettre en état le système bancaire»
?
22. Il n’est pas possible d’ignorer la différence intrinsèque
entre un acteur économique et un Etat: le premier cherche à rentabiliser
son activité et à maximiser son profit, alors que le second se doit
d’avoir une approche couvrant tous ses citoyens. En conséquence,
la négociation a posteriori qui se fonderait sur le sauvetage des banques
opéré par les Etats n’avait que peu de chances d’aboutir à une participation
du système financier.
23. Reste que les Etats auraient pu bénéficier du sauvetage des
banques, sans pour autant mettre à mal leurs propres finances. En
effet, la situation budgétaire était déjà alarmante pour de nombreux
Etats, et il me semble que cet état de fait aurait dû les inciter
à exiger des taux d’intérêt plus avantageux.
24. En outre, comme le constate Henri Sterdyniak
,
«si les notations sont aussi regardées,
c’est parce que les Etats ont été incapables de réguler les marchés
financiers et d’interdire la spéculation»
. C’est
pourquoi, face à la rapide dégradation de la notation des finances
publiques sur les marchés financiers de certains pays européens
baptisés «PIIGS» (Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne),
la spéculation s’est poursuivie, aggravant encore les difficultés
économiques qui plongeaient, à court et moyen termes, de nombreux
citoyens dans une misère économique et sociale considérable.
25. Il est déplorable que les grandes déclarations faites lors
du G20 de Pittsburg, en septembre 2009, sur le renforcement du système
international de régulation financière n’aient pas vraiment été
suivies d’actions concrètes et efficaces pour contrôler les marchés
financiers, réguler leur activité et réellement limiter la spéculation.
3.3. Faiblesses structurelles de la zone euro
26. En ce qui concerne la zone euro, il faut noter qu’en
plus d’un manque de convergence persistant des économies nationales
et de l’absence de coordination efficace des politiques économiques
entre les Etats, la crise grecque a révélé, sinon un manque de solidarité,
tout au moins un manque de réactivité. La situation nécessitait
une réponse rapide. Or, certains responsables politiques, craignant
de mécontenter leurs opinions publiques à la veille d’échéances
électorales, ont préféré tergiverser plutôt que de venir en aide
à la Grèce. S’agissant plus précisément de l’Allemagne, je tiens
à préciser qu’en matière de politique économique, la tradition de
ce pays en fait l’un des plus vertueux de la zone euro pour lutter
contre l’inflation et préserver l’équilibre budgétaire. Cela n’étant
pas suffisant pour endiguer les tendances inflationnistes et les
dépenses inconsidérées de ses voisins, il est compréhensible que
l’Allemagne se soit montrée plus hésitante.
27. La crise des dettes souveraines européennes a commencé avec
les craintes quant à la capacité de la Grèce à rembourser sa dette.
Elle s’est ensuite propagée à d’autres pays de la zone euro, notamment
l’Irlande et le Portugal, d’où la dépréciation de l’euro par rapport
au dollar et la panique sur les marchés financiers. Bien que le
plan d’aide élaboré en mai 2010 par l’Union européenne avec le concours
du Fonds monétaire international ait, d’abord, reçu un accueil favorable
auprès des marchés financiers, il n’a pas permis une réelle stabilisation
de la situation. C’est pour cette raison que les institutions de
l’Union européenne ont cherché à mettre en place un système d’intervention
– pour prévenir le risque de défaut de paiement d’un Etat –, et
ce avec la possibilité d’engager les finances d’autres Etats.
28. Cependant, le seul lancement du Fonds européen de stabilité
financière (FESF) doté de 440 milliards d’euros (dont environ 250
milliards d’euros sont disponibles en forme de crédit) ne suffira
pas à conjurer cette crise des dettes souveraines. En menaçant la
viabilité de la monnaie commune, la crise a mis les Etats face à une
réalité: l’impossibilité de poursuivre l’intégration sans concéder
à l’Union des pouvoirs de contrôle budgétaire ou de coordination.
A noter une récente décision d’Eurostat: les fonds récoltés dans
le cadre du FESF doivent être enregistrés comme dette publique brute
des Etats participant à une opération de soutien, proportionnellement
à leur part de la garantie offerte
.
Cette décision apportera non seulement une plus grande transparence
des comptes publics, mais fera apparaître des niveaux supérieurs
de dette publique dans toute la zone euro.
29. Certains économistes préconisent l’émission par les pays de
la zone euro d’une euro-obligation (eurobond), c’est-à-dire d’un
instrument d’endettement commun pour les membres de l’Union monétaire européenne
(UME). Cette euro-obligation serait censée assurer la coordination
fiscale dans ces pays et en partie les protéger contre les incertitudes
du marché des capitaux. Cette approche exigerait de la part des
pays participants plusieurs actions: définir un plan budgétaire
ajustable et un cadre d’endettement à long terme, créer une agence
d’endettement commun (chargée d’émettre les euro-obligations), convenir
d’un calendrier de remboursement pour chaque pays participant, sélectionner
des projets d’investissement transfrontaliers (visant à réduire
les asymétries de l’UME) et, enfin, progressivement remplacer tout
le stock existant de la dette souveraine par des euro-obligations
afin de minimiser l’aléa moral
.
Je suis opposé à cette idée car, dans ces pays, les collectivités
locales elles-mêmes ne mutualisent pas leur dette: chacune est responsable
de sa propre dette. Une euro-obligation impliquerait une intégration
fiscale et économique considérable, bien plus vaste que celle que
prévoient actuellement les traités de l’Union européenne.
4. La nécessité de renforcer la légitimité démocratique
des organismes extérieurs qui influencent la conduite des politiques
publiques
4.1. L’influence croissante des marchés financiers
menace l’autonomie du pouvoir politique
30. L’omniprésence et la pression des marchés financiers
dans la conduite publique des politiques économiques est un signe
symptomatique de l’épuisement de nos modèles économiques. Ce signe
constitue à la fois une dérive inquiétante de l’absence de marge
de manœuvre des gouvernements dans l’élaboration et la conduite
de leurs politiques économiques, et il traduit aussi une extrême
dépendance des économies européennes vis-à-vis d’une finance internationale
non régulée et peu soucieuse de l’intérêt général.
31. La conférence de presse convoquée dans l’urgence par José
Luis Rodríguez Zapatero, Premier ministre du Gouvernement espagnol,
le 4 mai 2010, pour démentir une aide du FMI à l’Espagne de 280 milliards d’euros
annoncée par les marchés, traduit cette vulnérabilité des Etats
face à la spéculation. La frilosité dont ont fait preuve les Etats
de la zone euro pour intervenir et «sauver» la Grèce peut également
être interprétée dans ce sens.
32. Pour mettre un terme aux jeux dangereux de la finance mondiale,
la plupart des observateurs ont fondé de nombreux espoirs sur les
grandes déclarations issues des réunions du G20 qui appelaient à
une plus grande régulation financière, en particulier lors de la
réunion de Londres en septembre 2009. Mais force est de constater
que ces grandes déclarations sont restées lettre morte.
4.2. Les transferts de pouvoir vers certaines organisations
internationales: le cas du FMI
33. L’influence du Fonds monétaire international sur
la conduite des politiques publiques n’est pas à démontrer. Mais
qu’en est-il de la légitimité de cette influence, qui va de la simple
recommandation à la décision sans appel? Ce «partage du pouvoir»
est peut-être discutable du simple fait que le FMI, en sa qualité de
prêteur en dernier ressort, se trouve toujours en position de demander
des contreparties pouvant avoir des conséquences néfastes sur l’ensemble
de la population.
34. Mes craintes à propos du FMI résultent d’échanges sur le sujet
au sein de la commission des questions économiques et du développement,
en présence de Mme Sonia Escudero, Secrétaire générale du Parlement latino-américain
et sénatrice argentine. Ces échanges, en partie fondés sur l’expérience
de la crise argentine de 2001-2002, ont conduit les membres de notre
commission à s’interroger sur «ce qu’il reste de la démocratie lorsque
les parlements délèguent leurs pouvoirs au FMI».
35. S’agissant des injonctions du FMI aux Etats européens, les
exemples sont légion et illustrent clairement le problème du transfert
de pouvoir vers cette organisation sans justification ni responsabilité
légitimes suffisantes, situation qui constitue un danger pour les
démocraties. En mai 2010, le FMI a demandé à l’Espagne de «faire
mieux et faire plus vite pour flexibiliser son marché du travail,
consolider son secteur bancaire et juguler le dérapage des finances
publiques»
.
Interrogeons-nous ici sur la marge de manœuvre laissée au Gouvernement
espagnol, représentant du peuple espagnol, pour élaborer une politique
adaptée à sa situation nationale spécifique.
36. La commission des questions économiques et du développement
a déjà soulevé cette question de la légitimité dans ses précédents
travaux. M. Kimmo Sasi s’était interrogé, en 2009, sur l’opportunité
de multiplier les interactions entre le FMI et les parlements nationaux
.
Le FMI connaît actuellement des changements et il faut se réjouir
des réformes accomplies ces dernières années pour renforcer la légitimité
du fonds, notamment par une meilleure répartition des quotas palliant
la sous-représentation de certains pays, par un rééquilibrage de
son bureau exécutif et par une plus grande ouverture au dialogue
avec les parlements nationaux.
37. Il est vrai que l’on ne peut se passer d’une institution telle
que le FMI, qui reste le prêteur en dernier ressort et qui «traite
avec des pays à qui personne ne veut prêter
» 2. Le FMI se retrouve donc, de fait, en situation
de monopole, ce qui explique peut-être pourquoi les conditions imposées
aux Etats sont parfois aussi rigoureuses. Beaucoup de pays se tournent
vers l’aide du FMI lorsqu’ils se trouvent confrontés à d’énormes déséquilibres
financiers après avoir retardé des réajustements, à telle enseigne
que la nécessité d’une austérité fiscale n’a jamais été plus criante.
Sans l’aide du FMI, ces pays devraient faire face à des ajustements autrement
plus importants et douloureux
.
Toutefois, il me semble que les structures décisionnelles du FMI méritent
réflexion, afin de voir dans quelle mesure il est possible de mieux
prendre en compte la volonté des citoyens.
38. Depuis plusieurs années, le FMI cherche à faire preuve de
plus «de transparence dans ces activités, à se faire mieux connaître
et à être à l’écoute de tous ceux dont la vie est touchée par son
action»
. A
cette fin, il multiplie depuis 2004 ses relations avec des parlementaires
des Etats membres, pour permettre une meilleure compréhension de
ses actions. La situation peut encore être améliorée, me semble-t-il,
ne serait-ce qu’en renforçant les interactions et les échanges d’information
entre les parlements nationaux, les gouvernements et le FMI dès
lors que son aide est sollicitée. Par conséquent, l’Assemblée doit
encourager le FMI à continuer dans cette voie.
39. En outre, le rapport de M. Kimmo Sasi précisait que l’interaction
du FMI avec les parlementaires devait inclure une «supervision régulière
des activités des institutions de Bretton Woods par l’Assemblée, conformément
au mandat de la commission des questions économiques et du développement».
J’estime que cette remarque est toujours d’actualité et que les
parlementaires doivent poursuivre les initiatives dans ce sens.
40. Malgré tout ce qui précède, il n’existe actuellement aucune
alternative crédible au FMI. Les problèmes de la Grèce, par exemple,
viennent clairement de ce que ses responsables politiques ont échoué lamentablement
à maintenir un budget et un déficit viables. De même, les responsables
politiques irlandais n’ont visiblement pas tiré la sonnette d’alarme
lorsque le gouvernement a donné des garanties étendues au secteur
financier. Pour toutes ces raisons, il n’y a pas d’alternative à
l’intervention du FMI. Celui-ci doit lui-même avoir pleinement conscience
de sa position de force.
5. Les dangers pour la démocratie
5.1. Les droits socio-économiques et civils des citoyens
sont menacés
41. Les politiques de rigueur appliquées en réponse à
la crise du surendettement des Etats risquent de détériorer encore
les conditions de vie difficiles des citoyens, déjà pénalisés par
la récession. Pour assainir les finances publiques, les Etats pourraient
envisager trois options: augmenter les ressources publiques (revenus),
réduire les dépenses ou essayer de combiner les deux actions. Dans
l’un ou l’autre cas, les mesures prises risquent de pénaliser beaucoup
de citoyens.
42. Pour augmenter les ressources de l’Etat, les possibilités
sont multiples et plus ou moins complexes. Reste que pour atteindre
cet objectif, les Etats choisissent généralement d’augmenter les
impôts et les taxes. Il est, par conséquent, difficile de généraliser
l’impact de ce type de mesures puisque, en fait, tout dépend de l’impôt
en lui-même et du public qu’il concerne. Néanmoins, l’on peut distinguer
les impôts qui touchent les particuliers de ceux qui s’adressent
aux entreprises. Augmenter la fiscalité des entreprises ne semble
pas recommandable en période de crise car, effet non négligeable,
cela ne ferait qu’handicaper davantage une activité économique déjà
en difficulté, tout en pénalisant l’emploi. Autrement dit, pour
éviter des mesures dont la conséquence directe serait de retarder
la relance économique, les Etats seraient plus enclins à augmenter la
fiscalité des personnes. De nombreux gouvernements ont choisi d’élever
le niveau de l’imposition directe via la taxe sur la valeur ajoutée,
qui touche tous les acteurs économiques.
43. Pour diminuer les dépenses publiques, les choix sont tout
aussi restreints. La plupart du temps, l’on assiste à des coupes
budgétaires dans la fonction publique et à une baisse des salaires
(dévaluation interne)
5, à une diminution des prestations sociales
ou, encore, au gel de certains grands investissements publics liés,
par exemple, à la modernisation des infrastructures. A mon avis,
ce genre de politique est inadapté en période de forte récession.
En effet, ces choix conduiraient d’abord à détériorer les conditions
de vie des citoyens, tout en nuisant à la reprise économique.
44. Quant aux risques que comportent ces deux alternatives pour
la sauvegarde des droits civils et des droits socio-économiques,
ils sont divers. En l’espèce, il faut faire une distinction entre
les effets directs et les effets qui pourraient se manifester un
peu plus tard. Côté effets immédiats, j’estime que si elles retardent
la reprise économique, ces politiques iront à l’encontre, par exemple,
du droit de gagner sa vie, car elles auront une incidence négative
sur l’emploi. Par ricochet, s’agissant des populations fragiles,
ces choix politiques peuvent nuire au droit de vivre dans des conditions
décentes, d’une part en raison d’une éventuelle baisse de revenu
et, d’autre part, à cause d’une détérioration des infrastructures
et des services publics (hôpitaux, prisons, etc.).
45. La question du gel des dépenses publiques, dès lors qu’il
s’agit d’annuler des dépenses d’investissement, est une question
délicate. Les situations où les Etats tentent de rationaliser leurs
dépenses se justifient pleinement, et cet axe devrait être préféré
à l’annulation de dépenses d’investissement. Je pense, en effet,
que le manque à gagner pouvant résulter ultérieurement de l’abandon
de projets de modernisation est sous-estimé par les Etats européens.
Dans cette optique, l’OCDE «préconise des sorties de crise progressives
et coordonnées qui privilégient la réduction des déficits, sans
négliger les réformes structurelles, indispensables à la croissance
future»
6 et à une meilleure
qualité de vie.
46. Le surendettement des Etats peut avoir des conséquences politiques
néfastes pour la stabilité démocratique d’un pays. En Argentine,
la récession économique de 2001, d’une ampleur sans précédent, entraîna
une fuite des capitaux, discrédita la classe politique et provoqua
un chaos économique et politique. Face aux mesures d’austérité préconisées
par le FMI, notamment le gel des dépôts bancaires, des émeutes populaires
provoquèrent la mort de 35 personnes les 19 et 20 décembre 2001.
47. Il est inquiétant de voir des situations semblables apparaître
dans différents pays européens avec les risques encourus pour la
stabilité démocratique de l’Europe. En Islande, après la faillite
du pays, des émeutes ont éclaté à Reykjavík en janvier 2009, qui
n’avaient pas eu leurs pareilles depuis 1949 à la suite de l’adhésion de
l’Islande à l’OTAN. Plus récemment, en Grèce, l’une des grèves générales
qui a suivi l’annonce des mesures d’austérité a entraîné, le 6 mai
2010 à Athènes, la mort de trois personnes dans une agence bancaire incendiée.
Les exemples de ce type ne manquent pas et il est clair que la vague
de plans d’austérité qui a parcouru l’Europe a provoqué son lot
de manifestations, de revendications et d’émeutes aux issues parfois tragiques
(voir
Doc. 12282 sur
les conséquences politiques de la crise économique).
5.2. La démocratie en danger par manque de transparence
48. Lors de la crise grecque, la falsification des comptes
publics est apparue au grand jour. Il semblerait que, depuis des
années, la Grèce camoufle l’état de son budget public pour éviter
des sanctions de l’Union européenne dans le cadre de la procédure
des déficits excessifs et du Pacte de stabilité et de croissance.
49. Le problème suivant doit être souligné: les malversations
dénoncées sur la scène européenne et internationale ne datent pas
d’hier et ont même fait l’objet d’une étude du Conseil des relations
étrangères (Council on Foreign Relations, Etats-Unis) et de l’Association
internationale du marché des valeurs mobilières (International Securities
Market Association, ISMA) en 2001. Mais pourquoi ces pratiques des
Etats demeurent-elles inchangées? Il semble que les Etats usent
de ce procédé depuis une dizaine d’années sans aucun scrupule éthique
quant à la transparence des finances publiques ou l’impact considérable
de ces opérations sur la dette publique.
50. A l’époque, Gustavo Piga, docteur en économie, a publié un
ouvrage dans le cadre de cette enquête, intitulé
Dérivés financiers et gestion de la dette publique ,
mettant à jour les pratiques douteuses qui permettent aux Etats
de minimiser l’importance de leur déficit public à court terme.
Ces pratiques, qui se caractérisent par leur manque de transparence,
ont des conséquences graves sur l’endettement futur et à long terme
des Etats. Ainsi, les produits dérivés financiers peuvent non seulement
constituer un outil très utile pour gérer la dette publique, mais
aussi, s’ils sont utilisés à mauvais escient, pour mieux la dissimuler.
51. Certains gouvernements ont utilisé les transactions par le
biais des instruments dérivés pour assurer leur entrée dans l’Union
monétaire européenne en différant à plus tard la dette publique
en augmentation. Une fois admis dans l’UME, ils ont poursuivi ce
genre de stratégies de façade pour éviter des sanctions pénalisant l’excès
de déficit public et le ratio dette/PIB.Etant
donné que les emprunteurs souverains divulguent rarement les activités
liées aux produits dérivés, la surveillance exercée par les «actionnaires
de l’Etat» (c’est-à-dire les contribuables) ne peut être, au mieux,
que faible.Ce manque de
communication permet aux gouvernements de s’exonérer davantage de
leurs responsabilités en matière de dette publique et réduit la
transparence des statistiques nationales. En définitive, les marchés
financiers proposent aux gouvernements les «astuces» des instruments
dérivés et ne se privent pas ensuite de les malmener dès que la
situation de la dette publique s’emballe.
52. J’insiste sur l’importance de la transparence dans une démocratie.
Sans transparence, la démocratie reste incomplète car seule une
population dûment informée peut voter de manière éclairée. A cet
égard, le rapporteur rappelle la valeur des médias comme gardiens
de la démocratie, puisqu’ils permettent aux citoyens de réagir à
des dérives potentielles du pouvoir politique.
53. Dans la situation décrite ci-dessus, le manque de transparence
concerne la gestion des finances publiques, domaine qui, par essence,
nécessite une transparence irréprochable. C’est pourquoi le principe
du consentement à l’impôt, affirmé pour la première fois dans l’habeas corpus, est depuis lors considéré
comme l’un des garants de la démocratie. Par conséquent, qu’il s’agisse
de lever des impôts ou de trouver des financements, j’estime que
les Etats doivent faire la preuve de bonnes intentions pour sauvegarder
la démocratie.
54. En outre, eu égard aux conséquences sociales de l’endettement
public, les citoyens doivent être correctement informés des stratégies
de financement de l’Etat. Ainsi, ils disposeraient de toutes les informations
nécessaires pour se forger une opinion personnelle et citoyenne
et, par là même, pourraient exercer leurs droits politiques en toute
connaissance de cause. Sans cela, j’estime que nos démocraties ne seront
jamais complètes: le manque de transparence implique une domination
des élites sur le peuple, ce qui est incompatible avec la mission
de représentation conférée par leur élection. Sans parler de mandats impératifs,
seules l’éthique politique et les valeurs démocratiques sont en
jeu.
55. Je le sais, le manque de transparence dans la gestion des
finances publiques n’est pas seul à l’origine du désintérêt grandissant
des citoyens pour la politique. Toutefois, il me semble que si les
citoyens étaient davantage pris en considération dans ces questions,
peut-être seraient-ils plus enclins à s’investir dans les affaires
publiques.
6. Dette interétatique et risque systémique
56. Les pays ont transformé la dette étatique en dette
interétatique à une échelle sans précédent, tout d’abord au moyen
de mesures d’urgence temporaires et ensuite d’une manière plus permanente.
L’Islande est devenue débitrice auprès du Royaume-Uni et des Pays-Bas
lors de l’effondrement d’Icesave. Par la suite, les pays de l’Union
européenne et le FMI ont fait au mieux en accordant des prêts d’urgence
à la Grèce alors que les marchés se refusaient à prêter à ce pays.
57. Les banques centrales européennes se sont elles aussi jointes
à ce mouvement, en achetant des obligations de pays en difficulté.
Les acteurs des marchés privés, tels que les institutions financières
affaiblies, ont ainsi été en mesure de se délester de leurs actifs
à risque, la Banque centrale européenne ayant fixé un plancher au
prix des obligations et plafonné les intérêts à verser. Les gouvernements
européens sont soumis à une extrême pression de la part de l’opinion
publique pour ne pas aider davantage les banques en difficulté, or
c’est bien ce qu’ils font malgré tout par cette voie indirecte,
à une échelle considérable. On peut s’interroger sur l’efficacité
de cette pratique.
58. Le Premier Protocole à la Convention européenne des droits
de l’homme limite strictement la saisie d’actifs par l’Etat. On
se demande maintenant clairement pourquoi il ne limite pas la saisie
de la dette par les Etats. Si la saisie d’un bien individuel peut
constituer une violation du droit d’un citoyen, la saisie de dette
peut violer les droits de tous les contribuables.
59. Dans la situation actuelle, le pays débiteur peut se retrouver
en position de force lors de négociations. Il sait que s’il refuse
de payer, son gouvernement peut gagner en popularité auprès de ses
citoyens et nuire à celle du gouvernement du pays créditeur. Bien
que l’Islande ne soit pas le meilleur exemple à cet égard, les négociations
de l’accord sur Icesave le montrent aussi: à chaque étape de la
négociation, l’Islande est en mesure de négocier une réduction des
intérêts dus. Les intérêts que des pays comme la Grèce et l’Irlande paient
sur leur dette connaîtront des évolutions similaires.
60. Le comportement du secteur financier a aussi une influence
ici. Les banques offrent de nouveau des bonus (comme à ING) et elles
menacent de nouveau de quitter leur pays d’origine (dans le cas
du Royaume-Uni). C’est consternant. Elles ont reçu un soutien direct
des Etats. Elles en reçoivent maintenant un soutien indirect, puisque
les Etats et la BCE reprennent leurs actifs toxiques. Il est hautement
souhaitable que le secteur bancaire lui-même fasse preuve de modération.
61. Je m’inquiète de l’aggravation du risque systémique dû à la
mutualisation de la dette des Etats. Si l’un d’eux est incapable
ou refuse de rembourser sa dette, tous les autres Etats de l’Union
européenne devront en prendre une part, et leurs citoyens vont alors
s’apercevoir, à leur grand dam, qu’en même temps que leurs impôts
augmentent, ils doivent aussi payer pour d’autres, et en particulier
pour des pays qui se sont conduits de manière irresponsable. Cette
situation pourrait entraîner un large mouvement de rejet de la coopération entre
Etats européens et mettre en danger le projet européen.
7. La voie à suivre – Conclusion
62. Première suggestion, prendre la même direction que
le G20 de septembre 2009 concernant la régulation financière, en
réfléchissant à un moyen de «renforcer le système international
de régulation financière»
. Aux fins de cette réflexion,
je tiens à souligner l’importance d’un contrôle de la spéculation financière
sur les dettes souveraines. Dans cette perspective, il est indispensable
de limiter le pouvoir des agences de notation en ce qui concerne
les actifs étatiques. Les gouvernements sont également invités à prendre
des mesures pour améliorer la transparence des politiques de gestion
des finances publiques, et ce en renforçant la fiabilité des statistiques
en matière de finances publiques afin d’éviter les suspicions des investisseurs
et de regagner la confiance des citoyens. Il faut rétablir la fiabilité
et la transparence des informations relatives aux finances publiques,
car le problème auquel les Etats sont confrontés concerne d’abord
et avant tout les citoyens. Cette mesure aurait aussi pour effet
de priver les agences de notation de leur pouvoir.
63. En outre, il est nécessaire de davantage réglementer l’utilisation
de produits dérivés pour éviter des manipulations indésirables telles
que celle dénoncée par Gustavo Piga pour l’Italie, et reproduite
par la Grèce avec Goldman Sachs
. Pour une meilleure réglementation,
il serait possible de concevoir un dispositif international permettant
de standardiser les contrats de
swap à
l’échelle européenne et, par là même, de mieux contrôler les risques
encourus par les Etats. Dans tous les cas, les citoyens et les investisseurs
devraient être pleinement informés des positions sur les produits
dérivés.
64. Je sais qu’à court terme il n’existe pas de solution miracle
pour réduire l’endettement des Etats, surtout dans le contexte actuel.
La question prioritaire est donc celle-ci: comment réagir à cette
crise économique sans sacrifier les droits de l’homme? Cette question,
l’Assemblée parlementaire n’est pas la seule institution à se la poser.
Ainsi, au sein des Nations Unies, s’est tenue le 1er mars 2010 une
table ronde de haut niveau concernant l’incidence des crises économiques
et financières sur la réalisation des droits de l’homme. L’une des
principales conclusions est de considérer les droits de l’homme
comme «la référence éthique»
ou
la «boussole morale» pour guider les politiques publiques, même
les politiques de rigueur.
65. Dans un rapport élaboré conjointement
,
plusieurs organisations de la société civile apportent quelques réponses
utiles à notre réflexion. En premier lieu, les Etats ne peuvent
utiliser la crise pour justifier des manquements aux droits de l’homme
ou une attitude plus laxiste quant à leur protection. Le rapport
propose d’élaborer des instruments de politique fiscale pour éviter
une détérioration des droits et une aggravation des besoins de financement
concernant l’éducation, le logement ou la santé, en particulier
pour les segments vulnérables de la population. Il est dit qu’«un
train de mesures de relance de l’économie garantissant un accès égal
à ces droits pour tous pourrait favoriser l’emploi et les programmes
générateurs de revenus»
. Ainsi, les Etats
doivent veiller à ne pas prendre de mesures pouvant pénaliser les
personnes les plus vulnérables de la société (enfants, femmes ou
personnes âgées, par exemple).
66. Est rappelé ici que le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies
traite la problématique des droits de l’homme avec plus d’ouverture
que ne le fait le Conseil de l’Europe, puisque les participants
de la table ronde de haut niveau susmentionnée ont également abordé
la question des droits économiques et sociaux. De fait, en situation
de crise économique et au terme d’une réflexion sur les conséquences
du surendettement des Etats, la protection de ces droits passe manifestement
au premier plan.
67. J’insiste sur la nécessité d’assainir les finances publiques
pour éviter des conséquences encore plus graves pour les générations
futures, mais j’estime que les Etats européens ne doivent pas prendre
de mesures radicales sans en avoir, au préalable, analysé les effets
à court et à long terme. Les intérêts ici en jeu sont trop graves
pour risquer des répercussions négatives sur le long terme. C’est
pourquoi l’assainissement des finances doit être un processus dûment
réfléchi, propre à préserver les droits fondamentaux – civils, économiques
et sociaux – des citoyens européens.
68. Avec l’effritement de la solvabilité et des finances de nombreux
Etats européens, les défis à relever par les économies de la zone
euro sont particulièrement redoutables. La promesse de l’euro – une
plus grande stabilité et une prospérité commune – a tourné à la
confusion («euro-mess») en
l’absence de gouvernance économique crédible ou, tout au moins,
de coordination des politiques. La montagne de dettes, à laquelle
de nombreuses économies européennes doivent faire face, ne fondra
pas sans action concertée et méthodique. Dans l’immédiat, plusieurs
actions s’imposent: tout au moins empêcher la dette publique de
s’enfler, concevoir des stratégies crédibles pour réduire la dette
à moyen et à long terme et, enfin, restaurer la confiance dans le système
économique par une correction des échecs passés en matière de gouvernance
et de régulation.
69. La création du Fonds européen de stabilité financière, en
mai 2010, est une initiative bienvenue qui a contribué à apaiser
les marchés financiers pour quelque temps. En outre, les gardiens
nouvellement créés – le Comité européen du risque systémique et
les trois autorités de surveillance, au niveau européen, pour les secteurs
de la banque, de l’assurance et des valeurs mobilières – sont opérationnels
depuis janvier 2011. Ils disposent de pouvoirs de supervision qui
devraient contribuer à détecter et à corriger les déséquilibres macroéconomiques
dès leur apparition. L’Autorité européenne des marchés financiers
(European Securities and Market Authority) s’est également vu confier
la surveillance des activités menées par les agences de notation
du crédit enregistrées dans l’Union européenne. De surcroît, l’Assemblée
note l’intention de la Commission européenne de proposer, dès l’été
2011, un cadre législatif complet permettant de gérer les banques
en difficulté (trop grandes, complexes et interdépendantes pour
pouvoir faire faillite) de manière à les restructurer ou à les aider
sans faire peser la charge sur les contribuables
.
70. En complément à ces mesures de gouvernance européenne, je
pense qu’il serait bon d’examiner les possibilités de désescalade
progressive des problèmes de dette souveraine, notamment en envisageant
une restructuration partielle précoce des responsabilités des Etats(pour partager le poids de l’endettement
public avec des investisseurs privés et préserver les perspectives
de croissance), un assouplissement monétaire, une consolidation
fiscale continue alliée à des réformes structurelles et une impulsion
soutenue des secteurs de croissance. Enfin, les Etats devraient
être extrêmement attentifs aux questions d’aléa moral liées à la garantie
mutuelle des dettes. En cas de défaillance de l’un deux, ils auront
un lourd tribut à payer en termes économiques et politiques.
71. Les banques elles-mêmes devront faire davantage cas du soutien
public dont elles bénéficient. Elles ne sont plus des institutions
du secteur privé comme elles l’étaient autrefois et elles peuvent
maintenant se délester de leurs pertes sur le secteur public. Par
conséquent, elles doivent être tenues de rendre des comptes et faire
preuve de modération. Des saisies sur les prêts défaillants se produiront
aussi en Europe et seront du plus mauvais effet lorsqu’elles s’accompagneront
de comportements inexplicables et inexcusables de la part des directeurs
de banque dont les emplois et les établissements auront souvent
été sauvés par l’ensemble de la population.
72. Enfin, il faut que les gouvernements des Etats membres du
Conseil de l’Europe se montrent plus vigilants quant à l’intégrité
des économistes dont les conseils aux décideurs sont tout aussi
indispensables que, parfois, discutables – voire manipulateurs.
Certes, l’économie n’est pas une science exacte mais l’éthique et
la responsabilité de cette profession pourraient être renforcées
– par exemple en élaborant un code de conduite mondial.
73. Ce rapport arrive donc à un moment crucial, lorsque se prennent
de grandes décisions économiques qui détermineront pour les années
à venir la santé et la croissance des nations du continent européen,
ainsi que l’évolution de nos sociétés, nos conditions de vie et
le respect des droits fondamentaux des citoyens européens. Les décisions
qu’ont aujourd’hui à prendre nos gouvernements auront une incidence
irréversible sur la construction de l’Europe du XXIe siècle et sur
la qualité de vie des générations futures.