1. Introduction
1. On avait cru la piraterie maritime largement disparue
dans les temps modernes, ou pour le moins tombée à des niveaux n’exigeant
pas que l’on y prête énormément d’attention. Or, contrairement à
cette idée reçue, la piraterie a atteint au cours des dernières
années une importance sans précédent et elle est devenue quasiment
endémique dans certaines zones maritimes, menaçant gravement la
sécurité de la navigation commerciale et celle des équipages et
des passagers.
2. Dans le monde entier, la perte économique causée par la piraterie
s’élève à plus de 16 milliards de dollars des Etats-Unis par an
. En outre, des milliers
de personnes sont prises en otage et des centaines de marins sont
blessés, traumatisés ou tués.
3. Mais il existe d’autres risques potentiels:
- les pirates peuvent causer –
intentionnellement ou non – des catastrophes environnementales,
par exemple lorsqu’ils attaquent des navires transportant du pétrole,
des produits chimiques dangereux ou des explosifs – ce qui est de
plus en plus fréquent;
- le prix de certaines marchandises – comme le pétrole et
les produits manufacturés – pourrait augmenter, en raison de la
hausse des primes d’assurance versées pour passer par certaines
zones sensibles;
- les profits tirés de la piraterie peuvent être utilisés
pour financer des groupes terroristes ou – compte tenu du succès
de la piraterie – des terroristes peuvent décider de tirer profit
de la vulnérabilité du transport maritime et utiliser des techniques
de piraterie pour le prendre pour cible.
4. Il n’est donc pas surprenant que, au cours des dernières années,
les gouvernements, les organisations internationales et d’autres
acteurs aient prêté une attention grandissante à la piraterie en
vue d’établir un cadre utile de lutte contre ce phénomène.
5. Parmi les assemblées parlementaires internationales, le Parlement
européen a été la première instance à s’attaquer à la question,
en adoptant en 2008 une résolution de grande ampleur sur la piraterie
en mer
. Depuis lors, la piraterie
a constamment figuré à l’ordre du jour des commissions et des groupes
politiques du Parlement européen, qui ont organisé diverses auditions
et pris d’autres initiatives en la matière. En juin 2009, l’Assemblée
interparlementaire européenne de sécurité et de défense a adopté
la
Recommandation no 840 sur le rôle de l’Union européenne dans la lutte contre
la piraterie, un texte qui met l’accent sur les efforts en matière
de dissuasion militaire tout en suggérant plusieurs mesures pour
renforcer les poursuites pénales
. En novembre 2009, l’Assemblée parlementaire
de l’OTAN a adopté la
Résolution
375
en tant que réponse globale et coordonnée à la piraterie
au large des côtes de la Somalie
.
6. Au cours de l’année 2009, trois propositions de recommandations
ont été soumises par des membres de l’Assemblée parlementaire du
Conseil de l’Europe. L’une par moi-même, sur la piraterie et les
prises d’otages en haute mer
; une autre, soumise par M. Wodarg
, s’intéresse aux défis que pose
la lutte contre la piraterie aux démocraties, notamment l’action
des sociétés privées à vocation sécuritaire; et la troisième, soumise
par M. Kosachev, concerne la nécessité de prendre des mesures juridiques
internationales supplémentaires pour lutter contre la piraterie
en mer
. Les deux premières ont été fusionnées
et renvoyées à la commission des questions politiques, où j’ai été
élue rapporteur; la troisième a été soumise à la commission des
questions juridiques et des droits de l’homme (rapporteur: M. Holovaty).
7. Afin de ne pas reproduire les travaux effectués par d’autres
tout en cherchant les synergies possibles, j’ai essayé d’aborder
la question de la piraterie de telle sorte que le Conseil de l’Europe
puisse avoir une valeur ajoutée. Je mets donc l’accent dans le présent
rapport sur la prééminence du droit et les aspects politiques en me
fondant, entre autres, sur l’audition consacrée à la piraterie des
temps modernes organisée par la commission des questions politiques
le 17 novembre 2009 à Bruxelles. Je ne m’appesantirai pas sur les questions
purement juridiques, qui seront traitées dans le rapport de M. Holovaty.
2. Vue d’ensemble du
phénomène
2.1. Définitions
8. Conformément à la Convention des Nations Unies de
1982 sur le droit de la mer
, qui a été ratifiée par 160 Etats à l’exception
importante des Etats-Unis d’Amérique, la piraterie est définie comme
étant:
«a. tout acte illicite
de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l’équipage
ou des passagers d’un navire ou d’un aéronef privé, agissant à des
fins privées, et dirigé:
i. contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes
ou des biens à leur bord, en haute mer,
ii. contre un navire ou aéronef, des personnes ou des
biens, dans un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun Etat,
b. tout acte de participation volontaire à l’utilisation
d’un navire ou d’un aéronef, lorsque son auteur a connaissance de
faits dont il découle que ce navire ou aéronef est un navire ou
aéronef pirate,
c. tout acte ayant pour but d’inciter à commettre les
actes définis aux lettres a ou b, ou commis dans l’intention de
les faciliter».
9. La définition juridique de la piraterie est plus restrictive
que la notion de piraterie employée dans le langage courant, puisqu’elle
ne fait référence qu’à des actes commis en haute mer (la possibilité
d’autres lieux ne relevant de la juridiction d’aucun Etat n’étant
que théorique). Par contre, les attaques perpétrées dans les eaux
territoriales d’un pays donné sont considérées sur le plan juridique
comme des vols à main armée en mer.
10. Cependant, dans le présent rapport, j’emploierai le terme
piraterie dans son sens commun, et je préciserai où les actes sont
commis afin d’établir une distinction. Il est important de noter
que 80 % des attaques de piraterie signalées se produisent à l’intérieur
des eaux territoriales
.
2.2. Un phénomène de plus en plus
fréquent
11. La base de données statistiques et cartographiques
la plus importante sur la piraterie en mer est gérée par une organisation
commerciale privée, le Bureau maritime international (BMI) de la
Chambre de commerce internationale, qui publie également des rapports
périodiques par le biais de son Piracy Reporting Centre (BMI-PRC)
. La tendance observée montre une
recrudescence considérable, quantitative et qualitative, du phénomène:
- en 2009, 406 attaques ou tentatives
d’attaques ont eu lieu dans le monde. A titre de comparaison, il
y a eu 293 attaques en 2008, 263 en 2007 et 239 en 2006;
- ces attaques sont devenues de plus en plus sophistiquées
et dangereuses pour la sécurité des personnes: sur les 406 attaques
ou tentatives d’attaques commises en 2009, les pirates sont montés
à bord de 153 navires, ils en ont détourné 49, tandis que 120 navires
ont essuyé des tirs; 1 052 membres d’équipage ont été pris en otage,
68 ont été blessés lors des divers incidents et 8 ont été tués.
12. Tous les types de navires sont pris pour cible: pas seulement
les vraquiers, les porte-conteneurs et les pétroliers mais aussi
les navires de pêche, les bateaux de plaisance et les navires transportant
des passagers.
13. Ces chiffres, pour alarmants qu’ils soient, ne reflètent cependant
pas toute l’ampleur du phénomène, car selon le BMl de nombreuses
attaques perpétrées contre les navires de commerce – probablement
50 %
– ne
sont pas signalées. La lenteur et la lourdeur des enquêtes – auxquelles
peuvent être associées les autorités de l’Etat côtier – dissuadent
souvent les compagnies maritimes de les signaler, ainsi que la peur
de perdre des clients.
2.3. Principales zones sensibles
14. La piraterie est un phénomène mondial dont la fréquence
est directement liée à l’incapacité des Etats côtiers à exercer
leurs pouvoirs de police dans leurs eaux, à cause d’un manque de
bonne gouvernance. Les principales zones sensibles sont les eaux
territoriales de l’Asie du Sud-Est – notamment le détroit de Malacca –,
l’Afrique de l’Ouest, l’océan Indien et le golfe d’Aden, l’Amérique
du Sud et les îles des Caraïbes.
3. Le cas de la Somalie
3.1. L’ampleur du problème
15. Au cours de l’année passée, il y a eu une augmentation
considérable des actes de piraterie et des vols à main armée en
mer au large des côtes somaliennes, les pirates ayant élargi leur
champ d’opération des eaux territoriales somaliennes au golfe d’Aden,
au Kenya, à Madagascar, aux Seychelles et à la Tanzanie
.
16. On pense que les pirates utilisent des «bateaux mères» qui
peuvent les conduire en haute mer, d’où ils lancent des embarcations
plus petites pour attaquer et détourner les navires de passage.
17. Sur les 406 attaques ou tentatives d’attaques commises en
2009, 217 l’ont été au large des côtes somaliennes. En tout, 47
navires ont été détournés, 867 membres d’équipage ont été pris en
otage et 4 ont été tués. En 2008, le nombre d’attaques ou de tentatives
d’attaques recensées dans cette région était de 111. Il était de
31 en 2007 et de 10 en 2006
.
18. En 2009, la zone des attaques au large de la Somalie a significativement
changé. Alors que, en 2008, ces attaques étaient essentiellement
commises dans le golfe d’Aden, en 2009 elles l’ont été davantage
au large des villages côtiers de Eyl et Garaad dans le Puntland,
au nord-est de la Somalie, et des villages côtiers d’Hobyo et d’Harardhere
au centre de la Somalie
. Depuis octobre
2009, une activité plus intense a été observée dans l’océan Indien,
avec le signalement de 33 incidents, dont 13 détournements de bateaux.
19. Le phénomène en augmentation de la piraterie au large des
côtes somaliennes est inquiétant, compte tenu:
- de l’importance de cet espace
maritime pour le commerce maritime (un tiers du fret mondial transite
par le golfe d’Aden);
- du fait que, contrairement à d’autres régions du monde,
les pirates somaliens ont montré qu’ils étaient capables de s’emparer
de très gros navires et de prendre et retenir en otage leur équipage,
y compris pendant de longues périodes, en vue d’obtenir une rançon;
- du fait que la piraterie désorganise l’acheminement de
nourriture et d’autres formes d’aide humanitaire dont la population
somalienne est fortement tributaire.
3.2. La réponse du Conseil de sécurité
des Nations Unies
20. La gravité de la situation a conduit le Conseil de
sécurité des Nations Unies, agissant en vertu du chapitre VII de
la Charte des Nations Unies (menaces à la paix et à la sécurité
internationales), à adopter cinq résolutions sur la piraterie au
large des côtes somaliennes au cours d’une période de six mois seulement
.
21. Dans ces textes, le Conseil de sécurité des Nations Unies:
- prie les organisations régionales
et internationales qui en ont les moyens de participer activement
à la lutte contre la piraterie et les vols à main armée, en particulier
en déployant des navires de guerre ou des avions militaires;
- invite tous les Etats et organisations régionales qui
luttent contre la piraterie au large des côtes somaliennes à conclure
des accords spéciaux avec les pays disposés à mettre en détention
des pirates pour embarquer des agents des services de lutte contre
la criminalité de ces pays en vue de faciliter les enquêtes et les
poursuites;
- encourage la mise en place d’un mécanisme international
de coopération et d’un centre d’échange d’informations;
- décide que, d’ici à la fin 2009, les Etats et les organisations
régionales qui coopèrent pour lutter contre la piraterie et les
vols à main armée au large des côtes somaliennes sont autorisés
à prendre toutes les mesures nécessaires et appropriées aux fins
de réprimer ces actes de piraterie et vols à main armée en mer,
sur le territoire somalien, dans le respect du droit international
humanitaire et des droits de l’homme .
22. Cette dernière décision du Conseil de sécurité des Nations
Unies doit être considérée dans le contexte d’une demande particulière
adressée au Secrétaire général des Nations Unies par le Gouvernement
fédéral de transition de Somalie (GFT), qui demandait l’aide de
la communauté internationale pour lutter contre la piraterie
.
3.3. Les causes profondes de la
piraterie en Somalie
23. Pour comprendre pourquoi la piraterie a pris racine
en Somalie, il convient de garder à l’esprit les conditions politiques
et socio-économiques du pays.
24. Lorsque le régime de Barre a été destitué au début des années
1990, la Somalie a plongé dans une guerre civile marquée par des
luttes claniques et un banditisme d’autant plus endémiques que ce
pays est privé d’un gouvernement central capable d’exercer sa souveraineté
sur l’ensemble de son territoire. A l’heure actuelle, le gouvernement
fédéral de transition (GFT) – qui est reconnu par la communauté
internationale – est présent à Mogadiscio mais ne contrôle que quelques
districts de la capitale. Il est engagé dans une guerre contre des
groupes islamistes extrémistes liés à Al-Qaida, comme al-Shabaab
et Hizbul-Islam qui sont maîtres du sud du pays. Les seules régions
qui jouissent d’un calme relatif sont le Somaliland et le Puntland,
deux régions qui ont déclaré leur indépendance (qui n’est pas reconnue
par la communauté internationale) et sont toutes deux engagées dans
la lutte contre des groupes islamistes.
25. Dans cette situation, des seigneurs de la guerre locaux ont
constitué leurs propres unités de gardes-côtes qui ont commencé
à réclamer des taxes et des amendes aux bateaux qu’ils parvenaient
à arraisonner. Ces agissements se sont rapidement transformés en
piraterie
. Parallèlement,
profitant de l’effondrement de l’appareil d’Etat, des chalutiers
d’autres pays ont commencé à pêcher dans les eaux somaliennes sans rencontrer
d’obstacles, menaçant les moyens de subsistance des pêcheurs locaux
qui n’ont pas eu d’autre solution que de se tourner vers la piraterie
pour assurer leur propre survie.
26. La piraterie est, par conséquent, une activité très lucrative
pour les seigneurs de la guerre locaux et la principale source de
revenu pour les gens ordinaires. Il n’est pas inhabituel pour les
villageois d’aider les pirates à garder les navires détournés et
les équipages pris en otage une fois qu’ils sont ramenés sur le
rivage, dans l’espoir de recevoir une partie de la rançon. Selon
certains rapports, même la diaspora somalienne appuie les pirates
locaux, en les aidant à se procurer des équipements sophistiqués,
en jouant le rôle d’intermédiaires, etc.
.
27. La population de Somalie approche les 10 millions d’habitants,
avec une espérance de vie de moins de 50 ans, la moyenne d’âge étant
de 17 ans. Le pays manque des structures de soins et de protection
sociale les plus élémentaires; la famine et des sécheresses chroniques
condamnent les gens à vivre avec moins de 2 dollars des Etats-Unis
par jour
. Plus de 1 300 000 personnes
sont dans une situation de déplacement interne
. La violence et les violations des
droits de l’homme sont quotidiennes. Dans les régions qu’ils contrôlent,
les groupes islamistes ont imposé l’interprétation stricte de la
loi de la charia
;
la situation des femmes dans ces régions est un sujet de grande
préoccupation.
28. Les Somaliens sont fortement tributaires de l’aide alimentaire
et humanitaire extérieure. Cependant, cette assistance est entravée
en mer par la piraterie, et sur terre par des attaques, des enlèvements
et des menaces de groupes armés à l’encontre des travailleurs humanitaires,
une situation qui a souvent conduit à la fermeture temporaire des
bureaux du Programme alimentaire mondial (PAM) et à la suspension
des services humanitaires.
29. En novembre 2009, al-Shabaab a posé «11 conditions» aux ONG
humanitaires et agences des Nations Unies travaillant dans les zones
sous son contrôle, dont: l’arrêt de toute ingérence dans l’islam,
le retrait du personnel féminin et le versement d’une taxe de 20 000
dollars tous les six mois. Fin février 2010, al-Shabaab a interdit
l’ensemble des activités du Programme alimentaire mondial.
3.4. Le rôle de la communauté internationale
30. Après l’échec d’une quinzaine de processus de paix,
une nouvelle tentative pour aboutir à un accord de paix négocié
en Somalie est en cours depuis mai 2008: le processus de paix de
Djibouti
. Cette initiative
menée par les Nations Unies bénéficie du soutien des principaux
acteurs extérieurs de la région et au-delà, dont l’Ethiopie, la
Ligue des Etats arabes et les Etats-Unis. Ce processus est cependant
confronté à des défis importants, notamment:
- comment répondre aux préoccupations sécuritaires des autres
pays de la région, comme l’Ethiopie;
- comment impliquer tous les acteurs importants dans la
crise somalienne, y compris les groupes islamistes, la société civile,
le milieu des affaires, les conseils locaux et la diaspora somalienne;
- comment surmonter les clivages et les désaccords entre
les parties actuellement impliquées dans le processus lui-même.
31. Certains observateurs soulignent les limites du processus
de Djibouti:
- jusqu’à présent,
il avait pour objectif de trouver une solution à la situation dans
le sud et le centre de la Somalie, régions où le conflit fait rage
depuis deux décennies. Or, cette approche ne prend pas en compte
les situations du Somaliland et du Puntland, qui sont d’une certaine
manière les résultantes de la crise somalienne;
- il néglige la question de la justice; depuis le début
de la guerre civile, parallèlement à l’effondrement de l’Etat, les
Somaliens ont été victimes de graves violations des droits de l’homme,
notamment de meurtres, de viols et d’actes de tortures, sans que
rien ne soit fait pour déférer les auteurs devant la justice, d’où
l’instauration d’une culture de l’impunité.
32. Pour l’heure, la seule présence internationale en Somalie
est la Mission d’observation militaire de l’Union africaine (AMISOM),
qui conduit une opération de maintien de la paix afin de stabiliser
la situation et de créer un environnement plus sûr en vue de préparer
le déploiement ultérieur des forces des Nations Unies.
33. Au plan politique, un rôle particulier est joué par le Groupe
de contact international sur la Somalie, un groupe informel créé
à l’initiative des Etats-Unis pour promouvoir la paix et la réconciliation
et auquel participent l’Italie, la Norvège, la Suède, le Royaume-Uni,
la Tanzanie, la Commission européenne et la présidence du Conseil
de l’Union européenne. Quarante-cinq Etats et sept organisations
internationales, y compris l’Organisation maritime internationale
et l’Union européenne, travaillent ensemble au sein d’un Groupe
de contact sur la lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes
afin d’élaborer et de mettre en œuvre des mesures de lutte contre
la piraterie.
34. L’Union européenne (UE) s’est progressivement impliquée davantage:
la Conférence internationale sur la Somalie, à l’appui des institutions
de sécurité somaliennes, organisée à Bruxelles le 23 avril 2009,
a représenté une contribution importante en vue de la création de
forces de sécurité et d’une force de police civile somaliennes;
en juillet 2009, le Conseil de l’Union européenne a décidé de renforcer
l’engagement de l’Union européenne afin de promouvoir la paix et
le développement en Somalie. A cette fin, il a examiné les possibilités offertes
à l’UE de contribuer aux efforts internationaux, y compris dans
le domaine de la sécurité. Le 17 novembre 2009, le Conseil de l’Union
européenne a approuvé un concept de gestion de crise concernant
une éventuelle mission de politique européenne de sécurité et de
défense (PESD) visant à contribuer à la formation des forces de
sécurité du Gouvernement fédéral de transition somalien, et a demandé
que des travaux de planification complémentaires soient menés.
35. En 2009, l’aide globale de l’Union européenne à la Somalie
s’élevait à 180 millions d’euros, la plupart des projets étant axés
sur l’aide humanitaire et le renforcement de la prééminence du droit,
en particulier la police et la justice. Le document de Stratégie
commune pour la Somalie 2008-2013 prévoit une enveloppe globale
de 215,8 millions d’euros pour les trois principaux secteurs de
la coopération: la gouvernance, l’éducation et le développement
rural. La question de la sécurité des routes maritimes fait aussi
partie du Programme indicatif 2009-2011 de la Commission européenne.
4. Un choix politique: donner
la priorité à la dissuasion
36. La réponse au problème de la piraterie a été principalement
militaire jusqu’à ce jour: plusieurs flottes, telles celles de la
Turquie, de la France, de la Russie, du Royaume-Uni, de la Chine,
de l’Inde et des Etats-Unis – cette liste comprend 45 pays –, ont
envoyé des navires de guerre dans des zones sensibles aux fins d’escorter
les navires de commerce portant leur pavillon ou pour lesquels ils
ont un intérêt particulier, en raison de la nationalité de l’équipage
ou de la nature du chargement à bord.
37. Dans certains cas, au large des côtes somaliennes et/ou dans
le golfe d’Aden, par exemple, des Etats ont engagé une coopération
et mis en place des systèmes de sécurité collectifs, dans le but
de dissuader, de se défendre et d’enrayer les actes de piraterie
commis contre des navires, quels que soient leurs pavillons. C’est
le cas, en particulier, de l’OTAN, de l’Union européenne et d’une
coalition d’Etats.
4.1. L’OTAN
38. Depuis 2008, l’OTAN a conduit plusieurs opérations
successives dans cette région:
- la
mission Allied Provider (12 octobre-12 décembre 2008), qui a, en
plus des actions de dissuasion, escorté avec succès huit convois
transportant 30 000 tonnes d’aide humanitaire du Programme alimentaire
mondial vers la Somalie, et fait échec à six attaques de pirates;
- l’opération Allied Protector (mars-août 2009), qui a permis
à 43 navires d’être escortés, dont sept navires affrétés par le
Programme alimentaire mondial. Les unités de l’OTAN ont répondu
à 46 appels d’urgence, repoussé des attaques de pirates ou prêté
assistance aux victimes;
- l’opération Ocean Shield, qui est toujours en cours. Les
navires de l’OTAN patrouillent au large de la Corne de l’Afrique,
le long du couloir de navigation recommandé par la communauté internationale,
et procèdent à l’accompagnement (à distinguer de l’escorte)
des convois humanitaires et d’autres navires. Jusqu’à la mi-novembre
2009, l’OTAN a assuré l’accompagnement de 38 navires et repoussé 22
attaques de pirates.
4.2. L’Union européenne
39. L’opération dénommée UE NAVFOR Somalie – Atalante
(depuis décembre 2008
) est
la première opération navale de l’Union européenne jamais réalisée.
Son mandat consiste:
- à protéger
des navires affrétés par le Programme alimentaire mondial;
- à protéger des navires vulnérables qui naviguent dans
le golfe d’Aden et au large des côtes de la Somalie;
- à employer les mesures nécessaires, y compris l’usage
de la force, pour dissuader, prévenir et intervenir afin de mettre
fin aux actes de piraterie et aux vols à main armée qui pourraient
être commis dans les zones où les forces sont présentes.
40. L’opération Atalante couvre une zone comprenant le sud de
la mer Rouge, le golfe d’Aden et une partie de l’océan Indien, dont
les Seychelles, soit une superficie comparable à celle de la Méditerranée.
41. Prévue pour une période initiale de douze mois, l’opération
a été prolongée jusqu’en décembre 2010. Pendant cette période, jusqu’à
12 navires de l’Union européenne pourront intervenir à tout moment. Actuellement,
huit Etats membres de l’Union européenne apportent une contribution
opérationnelle permanente à l’opération: la Belgique, la France,
l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et
l’Espagne.
42. Depuis le début de l’opération, 50 navires affrétés par le
PAM ont été escortés, ce qui a permis de fournir plus de 267 000
tonnes de denrées alimentaires à la Somalie.
43. Récemment, lors de leur réunion informelle du 24 février 2010
à Palma de Majorque, les ministres de la Défense de l’Union européenne
sont convenus que, à partir de fin mars 2010, le champ de l’opération
Atalante serait élargi pour inclure le blocage des trois principaux
ports somaliens où sont basés les pirates, afin de les empêcher
de lancer des attaques et de neutraliser les «bateaux mères».
4.3. Coalition d’Etats
44. Les Etats-Unis et une coalition d’Etats ont envoyé
la task force CTF151, une
opération multinationale qui a pour mission de dissuader, de démanteler
et d’éradiquer la piraterie au large des côtes de Somalie afin de
protéger la sécurité maritime globale et de garantir la liberté
de navigation dans l’intérêt de tous les pays.
4.4. Résultats
45. La dissuasion militaire, bien qu’elle ne soit pas
suffisante pour résoudre le problème posé par la piraterie, a néanmoins
permis très concrètement de réduire celle-ci:
- en 2006 une attaque de pirates sur trois était couronnée
de succès; en 2009, ce ratio est passé à une attaque sur six;
- depuis 2008, aucune tentative d’attaque perpétrée contre
un navire affrété par le PAM n’a réussi;
- la capacité des navires de commerce d’éviter les attaques
de pirates ou de leur échapper a énormément augmenté, grâce également
à l’exploitation des informations, des renseignements et du savoir-faire accumulés
lors des opérations militaires actives dans les zones à risques.
On estime que 70 % des attaques de pirates sont repoussées par les
navires de commerce eux-mêmes.
46. On notera cependant que pendant les attaques, les actes commis
sont de plus en plus violents, car les pirates ouvrent le feu sans
distinction pour intimider l’équipage et utilisent des armes plus
dangereuses.
5. L’implication des sociétés
privées de sécurité (SPS)
47. En vue de renforcer la sécurité de la navigation
commerciale, les compagnies maritimes ont commencé à faire appel
à des sociétés privées de sécurité (SPS) pour garantir la protection
des navires traversant les zones dangereuses. Il s’agit d’un marché
nouveau et potentiellement très lucratif pour ces sociétés, qui réduisent
leurs activités en Irak en raison de l’amélioration de la situation
sécuritaire dans ce pays et du retrait par les Etats-Unis de l’immunité
les soustrayant aux poursuites.
48. Les activités de sécurité menées le long des côtes de la Somalie
et dans le golfe d’Aden sont pour l’essentiel le fait de sociétés
britanniques, mais des entreprises américaines occupent une part
croissante de ce marché. Toutes les SPS ne dotent pas leur personnel
d’armes létales: certaines recourent plutôt à des tactiques qui
peuvent être aussi simples que de graisser ou électrifier les bastingages,
mettre en place des barbelés le long des francs-bords ou installer
des lances à incendie à haute pression dirigées vers les zones vulnérables
du bateau; parfois aussi, ils sont équipés d’armes de haute technologie
qui étourdissent, désorientent ou émettent des sons insupportables.
49. Les compagnies d’assurances contribuent au succès des SPS
maritimes: en raison des actes de piraterie, les primes d’assurance
des navires traversant le golfe d’Aden ont été multipliées par dix,
mais certaines compagnies sont prêtes à les réduire de 40 % si les
bateaux disposent de leur propre personnel de sécurité.
50. Le recours à des SPS a été sévèrement critiqué par les organisations
internationales pertinentes et les experts, car il pourrait donner
lieu à une course aux armements en mer, les pirates et les équipages
ayant recours à des armes de plus en plus puissantes.
51. Le fait que des navires civils transportent des armes ou des
escortes armées soulève en outre des questions juridiques compliquées,
qui deviendraient de plus en plus complexes si une personne était
blessée ou tuée. La plupart des Etats battant pavillon n’autorisent
pas que des armes soient transportées à bord de leurs navires de
commerce; les navires de commerce ont normalement droit à un passage
inoffensif à travers les eaux territoriales d’un Etat côtier, mais
à condition qu’ils ne soient pas armés et ne représentent aucune menace.
En outre, le droit de l’Etat côtier peut très bien interdire la
détention ou l’utilisation d’armes non autorisées dans ses eaux
territoriales.
52. Comme l’a indiqué le Bureau maritime international de la Chambre
de commerce internationale, «il y a peu à gagner et beaucoup à perdre
d’avoir une sécurité privée armée à bord de quelques navires» transitant dans
ces zones à haut risque
.
6. Arrestation et poursuites:
défis juridiques et politiques
53. Dans le droit international coutumier, la piraterie
est un crime si grave qu’il relève de la juridiction universelle:
tout pays peut appréhender des pirates en haute mer – dès lors qu’aucun
autre Etat n’exerce sa juridiction exclusive – et les poursuivre
en vertu de sa législation
.
54. Les règles du droit international, qui sont apparues pour
répondre à la nécessité d’éradiquer la piraterie aux XVIIe,
XVIIIe et XIXe siècles,
devraient toujours être applicables aujourd’hui. Or, il est très
rare que les pirates d’aujourd’hui soient traduits en justice: dans
la plupart des cas, alors même qu’ils auraient pu être arrêtés,
ils sont laissés libres. Bien que la totalité des experts reconnaisse
que «le droit en matière de piraterie est clair à 100 %
»
, les Etats répugnent à appliquer
le principe de juridiction universelle, en raison de considérations
pratiques, juridiques et politiques.
6.1. Les eaux territoriales: le
principal théâtre des attaques de piraterie
55. La première considération factuelle est que la majorité
des attaques de pirates ont lieu dans les eaux territoriales. Dans
cette partie de la mer, que la Convention des Nations Unies sur
le droit de la mer a étendue à 12 milles nautiques de la côte en
1982, le principe de compétence universelle ne s’applique pas.
56. Dans ses eaux territoriales, un Etat a la responsabilité exclusive
d’appréhender et de poursuivre les pirates en vertu de sa législation.
C’est cependant un vœu pieux, sachant que la piraterie en mer se
concentre dans des pays qui ne sont pas en mesure ou désireux d’affronter
le problème.
57. Cependant, comme cela a été mentionné précédemment, une telle
limitation consacrée dans le droit international a été suspendue
temporairement dans le cas de la Somalie, sur la base de la
Résolution 1851 (2008) adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies
accordant aux Etats le droit de poursuite sur le territoire somalien
et à la suite d’une demande spécifique des autorités somaliennes.
6.2. Difficultés dans l’identification
des pirates avant les attaques
58. Même dans les eaux internationales, les Etats sont
très prudents en ce qui concerne l’arrestation car il n’est pas
facile d’identifier les pirates avant qu’ils attaquent: lorsque
ces derniers s’aperçoivent de l’arrivée d’un escorteur, ils jettent
à l’eau leurs armes, leurs échelles d’abordage et même leurs téléphones
satellites. A terre, ils n’ont aucune difficulté à se rééquiper
et à repartir en mer. Les rançons, qui se montent souvent à plusieurs millions
de dollars, suffisent à payer sans problème un nouvel équipement.
59. La difficulté d’une telle identification est très bien illustrée
par l’affaire d’un navire militaire indien qui, en novembre 2008,
pensant couler un bateau de pirates dans le golfe d’Aden, a coulé
à la place un chalutier thaïlandais qui avait été capturé par les
pirates, tuant 15 membres d’équipage innocents
.
6.3. Les droits des pirates présumés
arrêtés
60. Par ailleurs, la loi a évolué depuis le temps des
boucaniers: alors qu’il y a des siècles les pirates capturés étaient
normalement exécutés sur place et sans jugement, la question légitime
se pose de nos jours de savoir quels droits doivent être accordés
aux pirates présumés pendant qu’ils sont en détention sur le navire,
et sur quel fondement juridique ils doivent être placés en détention?
Un certain nombre de points de droit doivent donc être précisés.
Les pirates devraient-ils bénéficier d’une aide juridique? D’un
interprète? Peuvent-ils engager une procédure de demande d’asile?
En outre, s’agissant d’opérations militaires multilatérales telles que
celles placées sous le commandement de l’OTAN et de l’Union européenne,
il n’y a souvent pas de directives relatives à la détention de civils
à bord, y compris s’agissant de l’arrestation de criminels potentiels.
6.4. Absence de droit interne érigeant
la piraterie en tant qu’infraction pénale ou caractère obsolète
du droit interne
61. Le droit interne est souvent silencieux au sujet
de ces problèmes, précisément parce que la piraterie a été considérée
comme quelque chose appartenant à l’histoire, et pratiquement aucun
pays n’a de législation pénale moderne en matière de piraterie ou
de vol en mer.
62. Le Comité maritime international (CMI), une organisation non
gouvernementale internationale créée dans le but de contribuer à
l’unification du droit de la mer, a tenté de répondre à ce défi
en élaborant, en 2001, des lignes directrices pouvant être utilisées
par les Etats pour adapter leur droit interne. Ce travail a été
révisé par la suite en coopération avec l’Organisation maritime
internationale (OMI) pour donner lieu, en 2007, à une proposition
intitulée «Acte criminels maritimes, projet de lignes directrices
pour la législation nationale». Ces lignes directrices portent sur
toutes les formes de violence en mer, afin de s’assurer qu’elles
feront l’objet de poursuites et de sanctions par un ou plusieurs
Etats.
6.5. Difficultés dans l’identification
de la juridiction pertinente
63. Certaines affaires peuvent être extrêmement complexes:
par exemple, «un navire battant pavillon panaméen transporte une
cargaison en provenance du Japon. Le cargo est assuré en Allemagne,
l’équipage vient des Philippines et des Pays-Bas. Des pirates indonésiens
sont montés à bord du navire en haute mer: quelle loi s’applique?»
64. Les pirates échappent aux poursuites en raison de ce genre
de complexités et d’ambiguïtés du droit.
6.6. Absence de volonté d’entreprendre
des poursuites
65. Il est clair qu’un certain nombre d’Etats ne souhaitent
pas voir des centaines de pirates purger une peine d’emprisonnement
dans leurs prisons et être jugés dans leurs tribunaux.
66. L’alternative à l’arrestation des pirates présumés et à leur
extradition vers leur pays de nationalité, qui serait possible en
vertu du droit international, n’est pas une solution viable: premièrement,
l’extradition doit être demandée par le pays de la nationalité du
pirate et, deuxièmement, de tels pays d’origine sont souvent peu respectueux
des droits de l’homme et appliquent parfois encore la peine de mort
(l’extradition soulèverait par conséquent plusieurs questions au
regard de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres instruments
des droits de l’homme).
67. En ce qui concerne des pays comme la Somalie, afin de maintenir
au minimum le nombre de demandes d’asile, certains Etats peuvent
être réticents à l’idée de ramener des pirates pour les juger, de
crainte qu’ils ne fassent une demande d’asile ou n’invoquent la
situation dans le pays pour expliquer que leur retour est impossible.
6.7. Poursuite par un Etat directement
concerné
68. Cela dit, quelques pays se sont montrés récemment
plus déterminés à poursuivre les pirates.
69. A titre d’exemple, à plusieurs reprises, la France a procédé
à l’arrestation de pirates somaliens et les a ramenés en France,
où ils attendent actuellement d’être jugés. Ainsi:
- en avril 2008, des commandos
français ont capturé six pirates sur le territoire somalien (à la
suite de l’autorisation de poursuite accordée par la dernière Résolution
sur la situation en Somalie, relative à la piraterie, adoptée par
le Conseil de sécurité des Nations Unies), qui étaient responsables
de la capture du voilier de plaisance de luxe Le
Ponant, au large des côtes somaliennes;
- en septembre 2008, une unité de commando d’élite d’hommes-grenouilles
a arraisonné le voilier Amel Super Maramu, libéré
les otages – M. et Mme Delanne – et capturé
six pirates;
- en mai 2009, les nageurs de combat du commando Hubert
ont arraisonné le Tanit, un
bateau de plaisance pris en otage par des pirates somaliens. Le
skipper a été tué au cours de l’opération. Six pirates ont été capturés.
70. En avril 2009, le procès d’un pirate somalien impliqué dans
le détournement du Maersk Alabama s’est ouvert
à New York. Il est accusé de «crime de piraterie, tel que défini
par le droit des nations», une disposition intégrée dans le Code
pénal des Etats-Unis en 1819. La dernière fois qu’un individu a
été jugé coupable de piraterie sur cette base, il a été condamné
à mort par pendaison.
71. En mai 2009, cinq pirates somaliens ont été jugés aux Pays-Bas
pour avoir tenté de détourner le Samanyolu, un navire battant pavillon
néerlandais. Après cette tentative ratée, ils avaient été secourus
en mer par un navire danois, puis extradés du Danemark aux Pays-Bas.
72. Ce procès a donné lieu à de nombreuses controverses: premièrement,
parce que, selon certains communiqués de presse, les pirates n’avaient
montré aucune crainte de sanctions, déclarant même qu’ils souhaitaient
rester dans une prison néerlandaise, où ils seraient davantage en
sécurité et mieux traités qu’en Somalie
; deuxièmement, c’était la première
fois que cet article du Code pénal était appliqué; et, troisièmement,
en raison du caractère arbitraire de la justice contre la piraterie:
alors que ces cinq pirates étaient dans l’attente de leur jugement,
neuf autres avaient été libérés un mois plus tôt par un navire néerlandais,
alors même qu’ils avaient été surpris en train d’attaquer un navire
yéménite.
73. En novembre 2009, pour la première fois, un procureur espagnol
a inculpé deux Somaliens soupçonnés de piraterie, capturés dans
le cadre de l’attaque du chalutier Alakrana et de ses 33 membres
d’équipage. Ils ont été accusés de détention illégale, d’association
de malfaiteurs et de vol à main armée. Plus tôt cette même année,
un tribunal espagnol a remis un groupe de pirates somaliens aux
autorités kenyanes, après avoir tenté de les ramener en Espagne.
6.8. Poursuites par un Etat tiers
74. En dépit de ces exemples, au moins s’agissant de
la Somalie, le principal moyen choisi pour engager des poursuites
en cas d’actes de piraterie semble être la conclusion d’accords
bilatéraux avec des Etats tiers qui acceptent d’exercer leur compétence.
De tels accords ont été conclus par l’Union européenne avec le Kenya
(mars 2009
) et avec les Seychelles (novembre
2009
) afin de garantir le transfert, le
placement en détention et les poursuites des pirates appréhendés
en haute mer par l’EUNAVFOR, et entre le Kenya et, respectivement,
le Royaume-Uni, les Pays-Bas et les Etats-Unis.
75. Lors de la réunion informelle des ministres de la Défense
de l’Union européenne à Palma de Majorque (24-25 février 2010),
il a été convenu d’améliorer l’application des accords existants
avec le Kenya et les Seychelles, et de conclure des accords similaires
avec d’autres pays de la région, notamment la Tanzanie, Maurice
et l’Afrique du Sud.
76. Lorsque l’accord avec le Kenya a été conclu, certains commentateurs
ont laissé entendre qu’il devrait être considéré comme une mesure
de dissuasion, compte tenu du manque de respect des droits de l’homme au
Kenya, de l’inefficacité et du manque d’indépendance de son système
judiciaire, de ses conditions pénitentiaires et des cas de torture
et de mauvais traitements en détention qui y ont été signalés
.
77. En date de novembre 2009, au total, 74 pirates présumés ont
été remis au Kenya dans le cadre de l’accord signé avec l’Union
européenne
.
Les procès sont en cours.
78. La décision politique, non seulement de certains Etats européens
mais de l’Union européenne, de livrer les personnes qui sont sous
leur garde à un pays où le fonctionnement de la justice et la protection
des droits de l’homme est discutable soulève des questions d’ordre
politique essentielles et peut-être aussi des questions juridiques
au regard de la Convention européenne des droits de l’homme.
7. La rançon
79. Bien que la conclusion des affaires de piraterie
soit marquée par un manque de transparence, il semble que dans la
plupart des cas des rançons soient versées pour assurer la libération
des bateaux et des équipages. En moyenne, en Somalie, les rançons
vont de 1 à 3 millions de dollars des Etats-Unis. Dans les faits,
une nouvelle économie fleurit partout dans le monde, avec des sociétés
de sécurité, des avocats et des négociateurs spécialisés engrangeant
des profits du fait de leur participation au dénouement d’affaires
de piraterie. Londres semble être devenu la plaque tournante pour
des sociétés qui aident les propriétaires de bateaux à résoudre
les aspects juridiques du versement des rançons et engagent des
entreprises de sécurité privées pour négocier avec les pirates et
assurer le paiement des rançons.
80. Par ailleurs, on ne sait trop ce qu’il advient de l’argent
de la rançon: comme toutes les transactions se font en espèces,
il est quasiment impossible d’en suivre la trace. Il semble cependant
que les pirates récoltent des dizaines de milliers de dollars plutôt
que des millions de dollars, car la piraterie est devenue une mini-économie
qui emploie des centaines de personnes dont chacune touche une part
de la rançon. Les experts en renseignements maritimes indiquent
ne pas disposer de preuve concrète d’un blanchiment de l’argent
et, selon eux, le partage des sommes ainsi récoltées n’attire probablement
pas les grands réseaux criminels.
81. Certains analystes évoquent le reversement par les pirates
de près de 50 % des sommes récoltées aux milices islamistes d’al-Shabab
dans les zones contrôlées par ces dernières. Aucune preuve ne vient
cependant étayer cette affirmation et al-Shabab a toujours pris
position contre la piraterie. Des rapports concordants laissent
entrevoir que des responsables de la région séparatiste du Puntland
– le cœur de la piraterie somalienne – touchent une partie du butin.
Il semble que les membres du groupe de pirates d’Harardhere soient
liés au trafic d’armes du Yémen vers les villes somaliennes d’Harardhere
et Hobyo, qui sont de longue date deux des principaux points d’entrée
des cargaisons d’armes destinées aux groupes armés en Somalie et en
Ethiopie.
82. Certains gouvernements européens disposent de politiques et/ou
de législations explicites interdisant le paiement de rançons. D’autres
pays, dont le Royaume-Uni, n’ont pas de règle spécifique pour cette
question mais les autorités conseillent de ne pas régler de rançon.
Comme l’a exprimé la chancelière allemande Angela Merkel après le
versement d’une rançon de 2,7 millions d’euros pour la libération
du cargo Hansa Stanger et de
son équipage, le principal argument contre le versement des rançons
est qu’il encourage de nouveaux actes de piraterie.
83. La question de savoir s’il faut ou non verser une rançon devient
particulièrement controversée dans le cas des bateaux de plaisance
privés. Par exemple, dans l’affaire du Ponant, la
capture des pirates s’est produite uniquement après le versement
d’une rançon qui se serait élevée à 2 millions de dollars des Etats-Unis
et la libération de l’équipage. Les six pirates qui sont actuellement
dans l’attente de leur procès en France ont été pris en possession
de seulement 200 000 dollars, ce qui indique que certains pirates
ont réussi à s’évader avec le reste de l’argent.
8. Remarques finales et recommandations
84. La réponse à la piraterie des démocraties européennes
et autres a été jusqu’ici principalement militaire et axée sur la
dissuasion. La réponse militaire a été, dans une certaine mesure,
une réussite, et a contribué à réduire le taux d’attaques réussies.
Elle ne peut pas cependant fournir une solution à long terme au
problème, car les causes profondes de la piraterie se trouvent à
terre. Une approche globale est nécessaire pour traiter les causes
de la pauvreté, de l’instabilité et de l’absence de gouvernance
dans les pays où le phénomène est endémique, comme la Somalie.
85. En outre, une répression efficace doit être considérée comme
faisant partie intégrante de tout effort de dissuasion crédible.
Afin de traiter le phénomène de la piraterie, les Etats doivent
donc:
- moderniser le cadre juridique
interne pertinent ou le mettre en place s’il n’existe pas;
- introduire des règles claires afin d’identifier l’Etat
responsable à des fins de poursuites, par exemple par la signature
d’un accord international;
- veiller à ce que la lutte contre la piraterie soit menée
dans le plein respect des droits de l’homme et de la prééminence
du droit.
86. Le communiqué adopté lors du Sommet du G8 à L’Aquila, appelant
à un renforcement du système judiciaire criminel pour poursuivre
les pirates présumés, est un développement positif et un signe que
les pays d’Europe ont réalisé l’urgence du problème.
87. Le rôle que le Conseil de l’Europe, en tant qu’organisation
paneuropéenne définissant des normes, pourrait jouer pour parvenir
à ces objectifs mérite une réflexion plus approfondie. Par exemple,
le Conseil de l’Europe pourrait:
- proposer
des lignes directrices en matière de législation pouvant être utilisées
par les Etats membres et s’inspirant de celles recommandées par
le Comité maritime international (CMI);
- dans le cadre de ses activités dans le domaine du droit
pénal international, élaborer une convention-cadre relative à la
prévention et à l’éradication de la piraterie et des vols en mer,
notamment des directives claires quant à la manière d’identifier
l’Etat responsable des poursuites;
- mener une étude approfondie sur la pratique récente des
Etats membres s’agissant des poursuites engagées contre les individus
soupçonnés de piraterie et élaborer des lignes directrices quant
à la manière de garantir que les affaires dont les tribunaux seront
saisis sont compatibles avec les obligations des Etats membres au
regard de la Convention européenne des droits de l’homme et d’autres
instruments du Conseil de l’Europe, notamment au moment de l’arrestation
et du transfert aux autorités du pays qui sera chargé des poursuites.
88. Il est toutefois évident qu’aucune réponse juridique n’est
possible sans une volonté politique claire de lutter contre le phénomène
de la piraterie. A cet effet, les membres de l’Assemblée parlementaire
devraient faire pleinement usage du double mandat qui est le leur
ainsi que des conclusions de ce rapport, afin de suivre attentivement
leur gouvernement quant à la manière dont sont traitées les affaires
de piraterie, en particulier s’agissant:
- des accords bilatéraux signés avec des pays tiers aux
fins d’engager des poursuites à l’encontre des pirates, afin d’éviter
le risque que des individus se trouvant sous la garde d’autorités
européennes soient remis à des pays ne pouvant garantir un procès
équitable ou la protection des normes en matière de droits de l’homme,
ou ne respectant pas d’autres obligations internationales;
- de la politique ou de la pratique autorisant les pirates
à circuler librement, et de leurs conséquences sur la crédibilité
et l’efficacité des mesures de lutte contre la piraterie;
- de la question du paiement d’une rançon, par l’Etat ou
par des acteurs privés;
- de la nécessité de réguler (ou d’interdire expressément)
le recours à des entreprises de sécurité privées à bord des navires
de commerce.
Commission chargée du rapport:
commission des questions politiques
Renvoi en commission: Doc. 11803 et Doc. 11837, Renvoi 3531 du 29 mai 2009
Projet de résolution adopté
à l’unanimité par la commission le 18 mars 2010
Membres de la commission: M.
Björn von Sydow (Président),
M. Dariusz Lipiński (Vice-Président), M. Konstantin
Kosachev (Vice-Président) (remplaçant: M. Alexander Pochinok), M. Michael Aastrup Jensen (Vice-Président),
M. Francis Agius, M. Alexandre Babakov (remplaçant: M. Sergey Markov), M. Viorel Badea, M. Denis Badré, Mme Theodora
Bakoyannis (remplaçant: M. Miltiadis Varvitsiotis),
M. Andris Bērzinš, M. Erol Cebeci, M. Lorenzo Cesa, M. Titus Corlătean, Mme Anna Čurdová, M. Hendrik Daems, M. Pol van den Driessche,
Mme Josette Durrieu, M. Frank Fahey (remplaçant:
M. Patrick Breen), M. Piero
Fassino (remplaçant: M. Andrea Rigoni),
M. György Frunda, M. Jean-Charles
Gardetto, M. Marco Gatti, M. Andreas Gross,
M. Michael Hancock, M. Davit Harutyunyan, M. Norbert Haupert, M. Joachim Hörster, Mme Sinikka Hurskainen, M. Tadeusz Iwiński, M. Bakir Izetbegović,
M. Miloš Jevtić, Mme Birgen Keleş, M. Victor Kolesnikov, M.
Jean-Pierre Kucheida, Mme Darja Lavtižar-Bebler,
M. Göran Lindblad, M. Marian
Lupu, M. Gennaro Malgieri, M. Dick Marty, M. Frano Matušić, M. Silver
Meikar (remplaçant: M. Andres Herkel),
M. Dragoljub Mićunović, M. Jean-Claude Mignon,
M. Aydin Mirzazada, M. Juan Moscoso del Prado Hernández, Mme Lilja
Mósesdóttir, M. João Bosco Mota Amaral, Mme Olga
Nachtmannová, M. Gebhard Negele, Mme Miroslava Němcová, M. Zsolt Németh, M. Fritz
Neugebauer (remplaçant: M. Franz Eduard Kühnel),
M. Aleksandar Nikoloski, M. Maciej Orzechowski,
M. Johannes Pflug, M. Ivan Popescu, M. Christos Pourgourides, M.
John Prescott (remplaçant: M. John Austin),
M. Gabino Puche, M. Lluís
Maria de Puig, M. Amadeu
Rossell Tarradellas, M. Ilir Rusmali, M. Predrag Sekulić, M. Samad
Seyidov, M. Leonid Slutsky,
M. Petro Symonenko, M. Zoltán Szabó (remplaçant: M. Mátyás Eörsi), M. Mehmet Tekelioğlu, M. Han Ten Broeke,
M. Zhivko Todorov, Lord Tomlinson,
M. Latchezar Toshev, M. Petré Tsiskarishvili,
M. Mihai Tudose, M. Ilyas Umakhanov, M. José Vera
Jardim, M. Luigi Vitali, M. Konstantinos Vrettos, Mme Katrin
Werner, Mme Karin S. Woldseth, M. David Wilshire, Mme Gisela
Wurm, M. Emanuelis Zingeris
Ex officio: Mme Anne Brasseur, M. Tiny Kox, M. Luca Volontè
N.B. Les noms des membres ayant participé à la réunion sont
indiqués en gras
Secrétariat de la commission: Mme Chatzivassiliou,
M. Ary, M. Chevtchenko, Mme Sirtori-Milner