1. Le changement démographique
en tant que défi politique
1. Le changement démographique a un large impact sur
la société européenne et va devenir un moteur encore plus puissant
de changement social. Les tendances actuelles en matière de fécondité,
de mortalité et de migration modifient rapidement la taille, la
composition et la répartition de la population en Europe. En raison de
l’allongement de la durée de vie et d’un taux de fécondité qui demeure
faible, la population européenne vieillit rapidement, remettant
en cause la viabilité des finances publiques et des systèmes de
retraite et de prise en charge. Cette évolution, marquée par une
vie plus longue et en meilleure santé et des familles moins nombreuses,
est également source de nouvelles opportunités pour la société,
les enfants, les parents et les relations intergénérationnelles.
2. La croissance démographique ralentit sur l’ensemble du continent,
le taux de croissance de la population en âge de travailler décline,
posant de nouveaux défis aux marchés de l’emploi, à la croissance économique
durable et au bien-être. La mobilité des Européens sur leur continent
est source de prospérité et contribue à la croissance économique
de certaines régions, mais peut aussi la remettre en cause dans d’autres,
le déclin démographique devenant une réalité pour un nombre croissant
de régions européennes. La population européenne est de plus en
plus diversifiée par suite des migrations internationales, ce qui
peut dynamiser la croissance économique mais aussi exercer des pressions
sur la cohésion sociale et affaiblir les ressources humaines des
pays d’émigration.
3. La population mondiale a atteint les 7 milliards d’individus,
tandis que la population des Etats membres du Conseil de l’Europe
représente un peu plus de 800 millions de personnes. La population
mondiale va continuer d’augmenter principalement en raison d’une
croissance démographique rapide dans les pays les plus pauvres.
Du fait de la stabilisation de la croissance démographique en Europe,
la part de la population mondiale va baisser peu à peu, passant
de 12 % actuellement à une prévision de 10 % d’ici à 2025. Selon
les prévisions, en 2050, la population des Etats membres du Conseil
de l’Europe restera légèrement supérieure à 800 millions de personnes
mais la part relative de la population mondiale aura chuté à environ
9 %.
4. En revanche, d’ici à 2025, la Chine comptera huit mégalopoles
regroupant chacune au moins 10 millions d’habitants. Certains prédisent
qu’elle supplantera les Etats-Unis en tant que plus grosse économie
mondiale d’ici à 2020. Dans le Top 100 Brandz 2011 des plus grandes
marques, près de la moitié des nouveaux arrivants sur la liste sont
des marques chinoises. L’Inde, puissance économique en plein essor,
sera bientôt le pays le plus peuplé du monde. D’autres pays moins
peuplés, comme le Brésil, prennent de plus en plus d’importance sur
la scène mondiale avec une forte population de jeunes et une économie
en plein essor. L’Afrique émerge comme nouveau bastion mondial offrant
de nombreuses possibilités d’investissement.
5. Toutefois, des défis persistent dans chaque région. En raison
des politiques de planification familiale menées ces dernières décennies,
la Chine sera confrontée aux mêmes défis démographiques que l’Europe. Il
y aura de moins en moins de personnes en âge de travailler pour
subvenir aux besoins d’une population de plus en plus vieillissante
et le système de protection sociale sera soumis à des pressions
considérables. Les trois quarts de la population indienne – 930 millions
de personnes – vivent avec moins de 2 dollars par jour. Les plus
démunis doivent faire face à l’augmentation des prix de la nourriture
et s’inquiètent à propos de la sécurité en matière d’alimentation
et d’énergie. L’éducation est un problème important
,
un enfant sur cinq seulement étant capable de compter jusqu’à 100
et la moitié étant illettrée. Sur 1 000 enfants nés en Inde, 66 meurent
avant l’âge de 5 ans – ce taux est de 4 ‰ en Allemagne
. En Afrique, l’augmentation rapide de la population
associée à une grande pauvreté dans des pays fragiles d’un point
de vue écologique, sans aucun accès à la mer, comme le Tchad, le
Niger, l’Ethiopie et le Mali, constitue une grave menace. Ces pays
sont pauvres et très vulnérables face au changement climatique et
aux pénuries alimentaires. Mais surtout, l’Afrique se heurte à de
sérieux obstacles politiques pour tenir sa promesse d’ultime frontière
des investissements. Comme le soulignait une chronique du
Financial Times cette année, une
profonde disparité persiste entre les aspirations de ses peuples
et l’envergure ou l’intégrité de ceux qui les dirigent.
6. Le défi de la démographie galopante sera de plus en plus concentré
dans les pays et les régions les plus pauvres. La plupart de ces
régions et pays sont minés par des crises de gouvernance et le défi
écrasant d’améliorer les vies de larges concentrations de populations
défavorisées.
7. Face à cela, l’Europe offre encore l’un des indices de qualité
de vie les plus élevés au monde; elle est très dynamique sur le
plan économique, sa population est la plus instruite et en meilleure
santé, et ses démocraties sont les plus performantes. En termes
«d’influence» dans le monde, qui peut être mesurée par plusieurs
indicateurs, y compris la culture, le gouvernement, l’éducation
et l’économie, l’Europe reste numéro un au niveau mondial. Les universités
européennes accueillent de nombreux étudiants internationaux, et
les marques européennes telles qu'IKEA, Vodafone et L’Oréal demeurent
en tête de liste des plus grandes marques internationales. L’Europe
exerce un attrait normatif comme aucune autre région ou pays dans
le monde. L’Europe est porteuse des valeurs de liberté politique,
de liberté individuelle et d’efficacité gouvernementale.
8. Dans le contexte d’une démographique en évolution, il est
impératif de préserver cette qualité pour le bien-être de l’Europe
et son influence. Le présent rapport vise à présenter la situation
démographique ainsi que les mesures nécessaires pour que l’Europe
et sa population soient mieux préparées à l’avenir.
2. Les moteurs du changement démographique:
moins d’enfants, une durée de vie plus longue et des flux migratoires
volatiles
2.1. Fécondité
9. La plupart des Européens affichent une préférence
pour les familles peu nombreuses. Depuis les dernières décennies
du XXe siècle, l’Europe a connu un fort
déclin de ses taux de fécondité, dû tant à la diminution du nombre
d’enfants dans les familles qu’à la modification du calendrier des
naissances. Du fait de plusieurs changements sociaux et économiques
imbriqués, dont une participation plus forte des femmes au marché
de l’emploi et l’élévation du niveau d’éducation, la fécondité devenue
à la fois plus tardive et faible caractérise un nombre croissant
de pays, même si cette évolution est loin d’être universelle. Pour
les pays d’Europe centrale et orientale, les changements socio-politiques,
accompagnés de difficultés économiques et d’une période d’insécurité
à la fin des années 1990, ont également joué un rôle, tout comme,
selon certains auteurs, la disparition des politiques familiales
pronatalistes
. A la fin des années 1990,
près de la moitié des pays européens ont connu une fécondité extrêmement
basse (le nombre moyen d’enfants par femme – le taux de fécondité
total ou TFR – était de 1,3 voire moins). Au début du XXIe siècle,
les taux de fécondité, parfois très bas dans beaucoup de pays, ont
recommencé à grimper, en raison notamment de la reprise économique, mais
aussi du refus des parents de reporter la maternité à des âges plus
avancés.
10. Aujourd’hui, les femmes européennes ont en moyenne 1,5 enfant.
Ce taux de fécondité est bien en deçà du «taux de renouvellement»
de 2,1 enfants, ce qui signifie qu’à long terme la génération des
parents ne sera pas intégralement remplacée. Une fécondité durablement
inférieure au seuil de remplacement, caractéristique de la plupart
des pays européens actuels, est un indicateur clair du déclin imminent
de la population. Les taux de fécondité les plus élevés sont enregistrés
en France, en Islande et en Turquie, où les femmes ont (en moyenne)
deux enfants. La fécondité la plus faible est relevée en Moldova,
en Pologne et dans la République slovaque avec un taux d’environ
1,3 enfant par femme. Les taux plus élevés sont aujourd’hui l’apanage
de l’Europe du Nord et de l’Ouest, alors que les taux faibles sont
typiques de l’Europe du Sud et de l’Est. La Turquie est l’exception,
avec un taux de fécondité parmi les plus élevés, de l’ordre de 2,1
enfants par femme. Au cours de la période la plus récente (2005-2009),
les taux de fécondité ont légèrement augmenté dans la plupart des
pays.
11. L’impact de la crise économique mondiale de 2008-2009 sur
la fécondité n’est pas encore illustré dans ces données. Des études
récentes montrent que les récessions mènent souvent à un report
de la maternité, notamment pour la première naissance, un décalage
qui peut ensuite être rattrapé une fois la sécurité économique à
nouveau assurée. La fécondité tend à réagir aux fluctuations de
l’économie, un taux de chômage élevé et une instabilité de l’emploi
incitant souvent les parents à retarder la décision d’avoir des enfants.
L’impact des récessions sur la fécondité est également fonction
des mécanismes sociaux et institutionnels en place: les gouvernements
peuvent tenter d’atténuer les conséquences de la crise pour les familles,
par exemple en engageant des politiques familiales et de l’emploi
spécifiques.
12. Les données relatives à la récession actuelle laissent entrevoir
qu’elle a bien évidemment eu un impact sur la fécondité en Europe
et mué la récente reprise enregistrée en stagnation, voire en régression.
Une étude menée par l’Institut de la démographie de Vienne révèle
une forte baisse des taux de fécondité en Espagne en 2009-2010 et
une stagnation dans la plupart des pays européens. La croissance
démographique en Espagne a augmenté pendant son boom immobilier,
passant de 1,07 % en 2000 à 1,82 % en 2007, puis a chuté à 0,36 %
en 2010, avec un taux négatif prévu cette année. L’étude a révélé
que les jeunes femmes éduquées dans de nombreux pays riches repoussent
le moment d’avoir un enfant en raison de la récession mondiale et
peuvent en moyenne attendre encore cinq à huit ans si les gouvernements
réduisent les dépenses publiques. Si l’emploi et la sécurité économique
se redressent, la fécondité risque de faire de même. Cependant,
la récession étant suivie dans beaucoup de pays d’une période durable
de coupes sombres dans les dépenses publiques en vue de réduire
les déficits, cette situation peut aussi avoir un impact négatif
sur les politiques sociales et familiales et influer sur les décisions
des parents en matière de procréation. Par analogie avec la notion
de «récession à double creux», certains auteurs n’excluent pas un
«déclin de la fécondité à double creux» en cas de réduction des
dépenses sociales et familiales et du soutien financier accordé
aux parents ayant des enfants
.
Si certaines mesures sont nécessaires pour faire face à la crise
financière, les conséquences qu’elles peuvent avoir sur les familles
et les populations futures en Europe devraient être soigneusement
évaluées.
13. La décision d’avoir un/des enfant(s) est un choix de vie majeur
pour les parents. Les récentes fluctuations de la fécondité viennent
étayer l’idée que les décisions des parents de concevoir des enfants
ne sont pas prises dans un vide social et qu’elles sont tributaires
des conditions socio-économiques et autres. Les pays développés
semblent stigmatiser le fait d’avoir plus d’un ou deux enfants.
Un récent article dans TheGuardian citait des militants dénonçant
l'irresponsabilité de la famille Beckman d’avoir un quatrième enfant dans
un monde où les ressources sont limitées. Il s’agit bien entendu
d’un exemple extrême. On sait que lorsque les pays se développent,
les personnes sont plus éduquées et ont plus de connaissances en
matière de planification familiale, elles ont tendance à avoir moins
d’enfants et le nombre de grossesses accidentelles diminue. Tout
en gardant la dimension humaine, en particulier en ce qui concerne
les droits des femmes, la promotion des mesures de planification
familiale doit se poursuivre – notamment dans les pays en développement
où de plus en plus d’enfants naissent dans la pauvreté et la privation
à une époque de ressources limitées. Les femmes doivent bénéficier
d’une protection, d’une éducation et d’une autonomisation en matière
de droit à la procréation et de choix, et les hommes doivent également
être éduqués en ce qui concerne ces droits et ces choix. Tout comme
chaque individu a le droit de ne pas avoir d’enfant dans une population
en déclin, les individus et les familles devraient avoir le droit
de décider librement du nombre d’enfant et du moment pour les avoir.
Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, encourage régulièrement
les familles à avoir trois enfants en Turquie – c’est son opinion
et il devrait être libre de l’exprimer.
14. Les discussions politiques ne doivent pas être axées uniquement
sur la fécondité. En fait, les politiques relatives à la fécondité
n’agissent jamais isolément. Sans un environnement favorable, elles
peuvent même n’avoir aucun résultat positif – sauf si elles sont
mises en œuvre par la force, ce qui est contraire au principe des
droits à la procréation. Les politiques en faveur de la fécondité
doivent être intégrées dans un contexte culturel, économique et
social et être envisagées dans un vaste ensemble de politiques familiales,
prestations, réglementations du lieu de travail et système fiscal.
15. Bien qu’il soit difficile d’établir un lien de cause à effet
entre les politiques familiales et la maternité, les données recueillies
dans les pays nordiques semblent indiquer que certaines politiques
ont eu un impact pronataliste. Il est important de noter que lorsqu’elles
ont été introduites, ces politiques ne visaient pas une augmentation
de la fécondité; il s’agissait plutôt de politiques de la famille
et de l’emploi ayant pour objectif principal de permettre aux couples
d’allier formation d’une famille et travail. L’augmentation de la
fécondité a été un effet secondaire.
16. Le plus connu est l’effet de ce que l’on appelle la «prime
de rapidité», aspect unique du système de congé parental suédois
introduit en 1980 qui accordait aux mères les mêmes avantages que
pour l'enfant précédant si elles avaient un autre enfant dans une
période donnée, même sans reprendre le travail entre les naissances.
Comme on pouvait s’y attendre, cela a encouragé les mères à avoir
leur prochain enfant plus tôt.
17. Autre constat en Suède, les femmes sont plus enclines à avoir
un autre enfant si le père a pris un congé parental pour le premier,
ce qui semble indiquer que les dispositifs encourageant le père
à s’occuper de l’enfant peuvent stimuler la fécondité. On observe
également un effet positif pour les mères qui ont pris un congé
de longue durée, mais uniquement pour la propension à avoir un troisième
enfant. Fait intéressant, on a également observé des taux de troisième
naissance supérieurs chez des femmes ayant pris un congé de longue
durée associé à des prestations spéciales en espèces pour l’éducation
des enfants en Finlande et en Norvège.
18. Un rapport de la Rand Foundation a révélé qu’en Suède, ni
un excellent service de garde d’enfant ni un congé parental de longue
durée dans des conditions économiques raisonnables ne semblent expliquer individuellement
les taux de fécondité relativement élevés à la fin des années 1980.
Apparemment, la combinaison des politiques visant des responsabilités
égales pour les hommes et les femmes en termes de salaire et d’éducation
des enfants, ainsi que le bien-être des enfants, a été essentielle
pour favoriser la formation d’une famille et la qualité de la vie
de famille. La recherche révèle également que le fait d’encourager les
femmes à travailler peut avoir un effet pervers sur la fécondité,
car certaines femmes peuvent choisir leur carrière aux dépens de
la maternité. Toutefois, la Suède propose une riposte à cette généralisation:
les politiques en faveur de l’emploi et de la famille sont menées
en étroite coopération. Pendant les années 1970 et 1980, la Suède
a créé les conditions permettant de minimiser les effets indésirables
de la participation à la vie active sur la formation d’une famille
et de les répartir équitablement entre les deux parents. Ces conditions ont
permis de faire coïncider un taux de fécondité relativement élevé
et une forte participation des femmes au marché du travail, phénomène
unique en Europe.
19. Les données des recherches précédentes confirment ainsi que
les politiques sociales ont un effet positif sur la fécondité, mais
qu’un programme généreux de politique familiale ne garantit pas
un taux de fécondité élevé. Au début des années 1990, l’économie
de la Suède a connu une période creuse qui a rapidement entraîné
une nette augmentation du chômage, les jeunes et les personnes peu
éduquées ayant été particulièrement touchés. Pour la première fois,
l’aide financière aux familles a été réduite. Cela a entraîné une baisse
du taux de fécondité, qui est passé de 2,1 enfants par femme en
1992 à environ 1,5 en 1997. Ainsi, les cycles et perspectives économiques
ont eux aussi un net impact sur la fécondité, et la hausse du chômage
a une influence négative due à des revenus plus faibles pour le
présent, et peut-être surtout à un sentiment d’insécurité accru
à propos de l’avenir.
20. Toutefois, les conditions macro-économiques n’ont pas nécessairement
les mêmes effets indésirables sur la fécondité dans tous les pays.
En Finlande, par exemple, alors que le chômage a également augmenté très
rapidement et à des taux supérieurs à ceux de la Suède au début
des années 1990, la fécondité est restée à un niveau relativement
élevé. De toute évidence, la récession n’a pas eu d’influence sensible
sur la maternité des femmes finlandaises. Cette différence en matière
de taux de fécondité entre la Finlande et la Suède peut peut-être
s’expliquer par le fait que le système de protection sociale finlandais
a pu préserver la majeure partie de ses fonctions pendant la récession.
2.2. Mortalité
21. Les Européens n’ont jamais vécu aussi longtemps qu’aujourd’hui,
tout en jouissant pour la plupart d’une bonne santé. L’augmentation
constante de l’espérance de vie est peut-être la tendance démographique
la plus persistante et cette hausse se poursuit dans la plupart
des pays. Une longévité accrue, qui traduit un état de santé et
des conditions de vie meilleurs, est le fruit des avancées majeures
de la médecine et des investissements dans le système de santé.
Elle accélère également de façon décisive le vieillissement de la population.
22. A ce jour, une femme européenne peut espérer vivre 79,4 ans,
alors qu’un Européen a une espérance de vie moyenne de 72,1 ans
à la naissance. La différence de l’espérance de vie pour les femmes
et les hommes est d’environ sept ans. Ce fossé entre les sexes est
progressivement comblé, les hommes rattrapant les femmes dans la
plupart des pays, mais il demeure très important dans d’autres.
On note également de grands écarts en termes de mortalité entre
les divers pays européens, tant pour les femmes que pour les hommes.
Une fille née en Moldova, par exemple, vivra probablement onze ans
de moins qu’une jeune Française. Cet écart est encore plus marqué
(plus de dix-huit ans) pour les hommes européens, l’Islande affichant
l’espérance de vie la plus longue et la Russie la plus courte. Le
fossé Est-Ouest en matière de taux de mortalité persiste durablement
et la correction des divergences régionales (et socio-économiques)
en termes de santé et de mortalité compte parmi les priorités les
plus élevées des politiques régionales (de santé). Les différences
en termes de santé et de mortalité persistent également entre les
groupes socio-économiques, y compris les groupes ethniques
.
23. Les facteurs comportementaux tels que les modes de vie nuisibles,
le tabagisme, une mauvaise alimentation et la consommation d’alcool
jouent un rôle important dans les écarts de mortalité, ouvrant ainsi des
possibilités d’intervention préventives en matière de santé. L’espérance
de vie continuera probablement à augmenter, même si certains experts
ont des avis divergents quant au rythme de progression et aux limites «naturelles»
. Les
optimistes affirment que l’espérance de vie maximale (telle qu’observée
pour les groupes les plus performants) augmente de manière linéaire
depuis plus d’un siècle et demi à un rythme de six heures par jour
,
et que rien ne laisse entrevoir un ralentissement. D’autres en revanche
sont d’avis que si des progrès considérables ont été enregistrés
dans le passé, les gains futurs en matière de longévité seront plus
difficiles si l’on prend en compte les causes des décès. Ce gain
d’années supplémentaires s’est fait par exemple grâce aux victoires
remportées sur les maladies infectieuses qui frappaient principalement
les jeunes. Dans la seconde moitié du XXe siècle,
les gains en années de vie sont pour l’essentiel le fruit d’une
diminution de la mortalité due à des maladies cardio-vasculaires
à la fin de l’âge moyen. Les gains actuels et futurs en espérance
de vie devraient provenir pour l’essentiel de la réduction de la
mortalité au cours de la vieillesse. Chez les personnes âgées, la
mortalité n’est généralement pas imputable à une maladie particulière
mais à plusieurs maladies (comorbidité) et les progrès de la médecine
dans le traitement d’une affection particulière entraînera des gains
plus réduits en années de vie, le patient décédant d’autres pathologies
.
24. Les plus pessimistes concernant l’accroissement supplémentaire
de la longévité soulignent l’importance des facteurs liés au mode
de vie, par exemple la consommation régulière de tabac et la pandémie
d’obésité émergente, notamment chez les jeunes, qui ralentiront
l’allongement de l’espérance de vie. Néanmoins, une croissance continue
de la longévité est attendue (et prévue) par tous les experts. De
même, l’espérance de vie en bonne santé, c’est-à-dire le nombre
d’années que l’on peut espérer vivre en bonne santé, devrait elle
aussi progresser. La période de la vie où les fragilités et les
problèmes de santé deviennent prédominants est progressivement repoussée
à des âges plus avancés
. Les tendances combinées
de l’allongement de l’espérance de vie en bonne santé et de l’espérance
de vie sur un plan général bénéficient à un nombre croissant de
personnes plus âgées et offrent l’opportunité d’un «vieillissement
actif» illustrant le potentiel d’une population vieillissante.
2.3. Migration et diversité
25. Les migrations internationales sont devenues l’un
des moteurs essentiels du changement démographique. Elles sont appelées
à changer d’échelle, de portée et de complexité au cours des prochaines décennies.
Durant les dix dernières années, selon les estimations, le nombre
de migrants dans le monde est passé de 150 millions autour de l’année
2000 à 214 millions aujourd’hui et devrait atteindre 405 millions
d’ici à 2050 (OIM, 2011)
.
Les disparités démographiques telles que les fortes pressions démographiques
dans les pays d’émigration, le vieillissement de la population et
le déclin de la main-d’œuvre dans les pays d’immigration, l’impact
des changements environnementaux, les nouvelles forces politiques
et économiques qui s’exercent dans le monde, les avancées technologiques
et les réseaux sociaux sont les principales causes de l’augmentation
des migrations internationales. Ces dernières concernent une plus
grande variété de groupes ethniques et culturels que par le passé,
beaucoup de femmes migrent maintenant seules ou en qualité de chefs
de famille, le nombre de personnes qui vivent et travaillent à l’étranger
sans en avoir l’autorisation continue de croître et la migration
temporaire et les mouvements circulaires ont fortement augmenté
(OIM, 2011).
26. La crise économique mondiale a temporairement ralenti les
migrations internationales mais ne semble pas avoir stimulé des
retours en masse. Durant la période de ralentissement économique,
les migrations permanentes de travail ont diminué de 7 % dans les
pays de l’OCDE en 2009, après un déclin de 5 % en 2008. Comme ce
fut le cas en 2008, la baisse a touché plus particulièrement les
migrations circulaires au sein des espaces de libre circulation,
qui ont diminué de 36 %, ainsi que les migrations temporaires de
travail, en baisse de 17 % (OCDE, 2011)
. Avec le lent relèvement des
pays après la crise, il apparaît clairement que les migrations internationales
sont arrivées à un tournant et une reprise des migrations à des
fins d’emploi est attendue. Le nombre de demandeurs d’asile est
resté relativement stable au cours de la crise, alors que celui des
étudiants internationaux a continué d’augmenter (OCDE, 2011). La
tendance à long terme des migrations internationales dans les pays
de l’OCDE témoigne de son importance dans un monde qui se globalise
et il convient de noter que, selon les estimations, un migrant sur
trois dans le monde vit en Europe (OIM, 2011).
27. Les flux d’immigration permanente varient grandement selon
les pays. Parmi un échantillon de pays sélectionnés de l’OCDE en
2009 par exemple, le flux d’immigration permanente a été le plus
faible au Japon et le plus élevé en Suisse. Les autres pays peuvent
être classés en un groupe à faible flux d’immigration, inférieur
à la moyenne de l’OCDE, où figurent l’Allemagne, l’Autriche, la
Belgique, la Finlande, la France, les Pays-Bas et le Portugal. Les
pays à fort flux d’immigration (supérieur à la moyenne) incluent
le Danemark, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni (OCDE, 2011).
L’impact des migrations internationales est également perceptible
dans d’autres pays, les taux de migration nette (solde entre immigration
et émigration) variant grandement au sein de l’Europe. Comparativement
à la décennie précédente, la migration nette a augmenté dans la
période la plus récente, particulièrement dans les pays d’Europe
occidentale tels que Chypre, l’Espagne, l’Irlande, l’Islande et
le Luxembourg. Les pays d’Europe centrale et orientale ont connu
une diminution de la migration nette dans les dernières années,
mais certains comme l’Albanie, la Géorgie et la Moldova restent
pour l’essentiel des pays d’émigration.
28. Les divers flux migratoires internationaux finissent par amener
une population d’origine migrante dans le pays hôte. En termes statistiques,
cette population est appelée «stock de migrants» et fait référence
au capital humain accumulé par les flux migratoires dans un pays
donné. La population migrante représente un tiers de la population
totale au Luxembourg, et un quart de la population totale en Suisse.
En Europe occidentale, l’Irlande, l’Autriche, l’Espagne ou la Suède
accueillent également des populations relativement nombreuses de
migrants (entre 15 et 20 % de la population totale). En Europe centrale
et orientale, le Kazakhstan compte une population de migrants de
près de 20 %, alors qu’en Arménie, Bélarus, Moldova et Ukraine,
elle avoisine les 10 %. La Bulgarie, la Hongrie, la Pologne et la
Roumanie enregistrent des proportions relativement faibles de personnes
nées à l’étranger ou de non-ressortissants au sein de leur population,
contrairement à la Suisse et au Luxembourg.
29. Les données montrent que tous les pays sont touchés par les
migrations internationales, bien qu’à des degrés divers. Les migrations
internationales ont pour effet de renforcer la diversité de la population
dans les Etats membres, d’autant que la composition des flux migratoires
est elle-même de plus en plus diversifiée. Le nombre et la diversité
croissante des populations de migrants posent un véritable défi
aux responsables politiques. Les politiques d’intégration des migrants
et de leurs enfants dans la société hôte sont des éléments essentiels
de la cohésion sociale et d’une meilleure utilisation du capital
humain que représentent les migrants. Les transferts de fonds des
migrants étant devenus une source économique majeure, les pays d’origine continueront
d’en profiter. La reprise économique stimulera encore les migrations
internationales, et les besoins en main-d’œuvre nés du vieillissement
démographique et du déclin de la main-d’œuvre deviendront de puissants
facteurs d’attraction. Combinée à des politiques efficaces d’intégration,
une bonne gestion des flux migratoires internationaux peut renforcer
les avantages de ce phénomène tant pour les migrants que pour les
communautés qui les accueillent.
3. La croissance démographique
ralentit en Europe: le déclin de la population se confirme
30. En 2011, la population mondiale a franchi le seuil
des 7 milliards d’habitants. Mais après le boom inégalé de la population
enregistré au XIXe et plus particulièrement
au XXe siècle, la croissance démographique
se stabilisera progressivement au XXIe siècle.
Malgré un ralentissement du rythme de croissance de la population mondiale,
il y a fort à parier qu’elle se poursuivra. D’après les dernières
projections démographiques des Nations Unies
,
nous pourrions atteindre les 8 milliards d’habitants vers l’année
2023, et, selon l’hypothèse médiane, le chiffre record de 9 milliards
d’ici à 2041, accompagné d’une poursuite de la croissance démographique.
31. Les Etats membres du Conseil de l’Europe comptent 816 millions
d’habitants, soit près de 12 % de la population mondiale. Comparativement
au taux de croissance actuel de la population mondiale de 1,1%,
la population européenne croît à un rythme plus lent, de l’ordre
de 0,2 %. Mais les perspectives à plus long terme montrent qu’à
l’horizon 2020, le taux de croissance globale pour l’Europe deviendra
négatif.
32. De toutes les grandes régions du monde, c’est en Europe que
la croissance démographique est la plus faible. Contrairement à
la population mondiale, les projections prévoient un déclin de la
population européenne, bien que très progressif. En dépit d’une
forte croissance démographique dans certains pays comme la Turquie,
l’Europe sera la première région du monde à avoir une croissance
démographique au point mort. Aujourd’hui, la Russie est de loin
le pays le plus peuplé d’Europe (142 millions d’habitants), suivi
d’assez loin par l’Allemagne (82 millions) et la Turquie (73 millions).
Alors que l’Europe verra sa part relative de la population mondiale
baisser progressivement, sa population actuelle restera plus ou
moins stable à 800 millions et elle gardera sa troisième place de
région la plus peuplée, après l’Inde et la Chine.
33. Les populations se développent grâce aux naissances et à l’immigration,
et déclinent en fonction des décès et de l’émigration. En examinant
ces composantes démographiques, nous constatons, s’agissant de l’Europe
dans son ensemble, que la croissance naturelle (balance des naissances
et des décès) est moins marquée, tandis que la migration nette (solde
entre immigration et émigration) est devenue le principal moteur de
la croissance démographique européenne. Mais à l’instar des autres
tendances démographiques, les schémas de croissance de la population
diffèrent grandement en Europe. Comme évoqué précédemment, les taux
de croissance démographique les plus élevés ont été enregistrés
dans les régions du nord et de l’ouest de l’Europe. Hormis les villes-Etats
comme Andorre, la croissance la plus rapide a été observée au Luxembourg,
en Irlande et en Islande. La Turquie et l’Azerbaïdjan, qui figurent
également au rang des pays à croissance rapide, détiennent les taux
les plus élevés de croissance naturelle. Le déclin de la population
est le plus marqué en Lituanie, Ukraine, Bulgarie et Lettonie: la
croissance naturelle négative due à un faible taux de natalité (caractéristique
d’un nombre croissant de pays) n’y est pas compensée par une balance
migratoire positive contrairement à beaucoup d’autres pays. La tendance
globale au niveau national reflète une croissance démographique
modérée et hésitante, mue principalement par les migrations, s’acheminant progressivement
vers une croissance négative. En principe, ces projections devraient
permettre aux responsables politiques de se préparer à l’avance
et de faire face à ces tendances.
34. Il convient toutefois de noter qu’au sein des pays, au niveau
régional, les tendances sont moins harmonieuses qu’au plan national
où les différences régionales et la diversité territoriale peuvent
s’équilibrer. Au niveau régional, l’introduction de politiques relatives
au déclin démographique est encore plus urgente qu’à l’échelle nationale,
surtout si l’on tient compte du fait que le déclin de la population
est d’ores et déjà devenu réalité dans plus d’un quart des régions
européennes
. Si le vieillissement et la diversité
de la population auront à n’en pas douter un impact dans tous les
pays et régions d’Europe, tous et toutes ne seront pas obligatoirement
touchés de la même manière. Certaines régions, en Italie et en Allemagne
essentiellement, auront une population plus jeune et les conséquences
du vieillissement démographique (par exemple sur l’effectif de la
population active) pourraient être atténuées par l’afflux de migrants.
Dans d’autres régions toutefois, principalement au Royaume-Uni,
l’exode de (jeunes) migrants pourrait exacerber l’impact du vieillissement
de la population. Il s’ensuit notamment que, si la mobilité entre
les régions (et entre les pays d'ailleurs) peut permettre de résoudre
les problèmes de pénurie ou d’excédent de main-d’œuvre sur le marché du
travail de certaines régions, elle ne profitera peut-être pas à
toutes. Les politiques d’encouragement à la mobilité sont même susceptibles
d’accroître encore les disparités régionales
.
4. Vieillissement de la population:
la main-d’œuvre européenne vieillit elle aussi
35. La baisse de la fécondité et l’augmentation de la
longévité sont à l’origine du vieillissement de la population. Il
entraîne une modification de la pyramide des âges, les groupes d’âge
avancé prenant le pas sur les plus jeunes et l’âge médian de la
population augmentant. De toutes les régions du monde, l’Europe
détient le taux de vieillissement de la population le plus marqué.
L’âge médian de la population mondiale est de 29,2 ans
. L’Afrique est
le continent le plus jeune avec un âge médian de 19,7 ans, qui passe
à 37,2 ans en Amérique du Nord et 40,1 en Europe. On observe toutefois
de grandes différences selon les régions d’Europe en termes de calendrier
et de rythme du vieillissement. Il convient de prendre en compte
deux dimensions du vieillissement démographique.
36. D’un côté, conséquence directe des taux de fécondité peu élevés,
la proportion de la population jeune décline durant la première
phase du processus de vieillissement. Cette phase de «déjuvénation»
qui caractérise un rétrécissement de la base de la pyramide des
âges est arrivée à son terme dans la plupart des pays européens.
La part des groupes les plus jeunes (les 0-14 ans) est moindre en
Allemagne où elle représentait 13,5 % en 2010, mais atteint quasiment
le double en Turquie, soit 26 %. S’agissant de l’impact social du
vieillissement démographique, un déclin d’une population jeune a
un effet immédiat sur le système éducatif, notamment avec une entrée
à l’école de cohortes d’élèves plus réduites. Il convient toutefois
de noter qu’une augmentation du taux de participation à l’enseignement
supérieur peut compenser une diminution progressive de la population
d’âge scolaire, particulièrement au-delà de l’âge de la scolarité
obligatoire. Cela signifie par exemple que la taille de la population
jeune n’est pas linéairement liée à l’ampleur des dépenses d’éducation.
37. D’un autre côté, l’Europe connaît également de larges disparités
au sommet de la pyramide des âges. L’augmentation de la part de
personnes âgées est généralement à mettre en relation par exemple
avec une augmentation des coûts de sécurité sociale et de soins
de santé. Notons toutefois que les personnes âgées ne sont pas de
simples récipiendaires de soins, elles assurent une prise en charge
et offrent leur soutien aux jeunes générations. Il n’est de ce fait
pas surprenant que les différences dans la population des personnes âgées
(les 65 ans et plus) reflètent dans une certaine mesure la structure
de la population jeune: l’Allemagne détient la part la plus élevée
d’Europe des plus de 65 ans (20 %), alors que la Turquie affiche
l’effectif le plus bas (près de 7 %). En examinant ces deux dimensions
du vieillissement de la population, il convient de noter que le
gradient est-ouest traditionnel n’est pas dominant et que toutes
les régions du continent comptent des populations de jeunes et de
personnes âgées. Les modifications de la pyramide des âges affectent
donc l’ensemble de la région du Conseil de l’Europe, bien qu’à des
degrés divers.
38. La plupart des Européens vivant plus longtemps, le nombre
de personnes très âgées (75 ans et plus) augmente en conséquence.
Ce phénomène de «double effet du vieillissement» se traduit par
une augmentation des besoins en soins de santé, un état de fragilité
étant généralement caractéristique de cette tranche d’âge. Dans
les pays comme la France, l’Espagne, la Belgique et l’Italie, près
de la moitié de la population des personnes âgées (plus de 65 ans)
relève du quatrième âge.
39. Pour mesurer l’impact social du vieillissement de la population,
les jeunes et les personnes âgées peuvent être mis en corrélation
avec la population en âge de travailler (définie ici comme la tranche
d’âge des 15-65 ans) qui fournit la majeure partie de la main-d’œuvre
nécessaire pour assurer notre bien-être
. Le ratio de dépendance
démographique combine ce que l’on pourrait appeler la «pression
verte» exercée par les jeunes et la «pression grise» des personnes
âgées, et constitue un indicateur de la pression démographique totale.
Cette dernière est moins marquée dans les pays tels que la Moldova,
la Pologne, la République slovaque et la Russie (moins de 40 «jeunes
et personnes âgées non actifs» pour 100 personnes potentiellement
actives). La pression démographique est plus élevée (avec des valeurs
supérieures ou égales à 50) en France, en Italie, dans les pays
scandinaves, en Belgique et au Royaume-Uni.
40. Le vieillissement de la main-d’œuvre européenne est une conséquence
importante du vieillissement de la population. Les entrées de jeunes
travailleurs sur le marché du travail sont plus réduites en raison
d’un dépeuplement, mais aussi compte tenu de l’allongement des études
des jeunes Européens et donc de leur entrée plus tardive sur le
marché de l’emploi. La proportion de la main-d’œuvre constituée
de travailleurs âgés ne fait que croître en raison des changements
démographiques mais aussi d’un inversement de la tendance à la baisse
de la participation des plus âgés à la population active. Dans le
cadre de la réforme des retraites, les régimes de retraite anticipée
ont été supprimés ou réduits et des politiques d’incitation à l’embauche
de travailleurs âgés ont été introduites, contribuant ainsi à un
accroissement de la participation de ces derniers au marché de l’emploi.
41. L’augmentation de la participation des femmes au marché du
travail a un effet positif sur la croissance de la main-d’œuvre
européenne. Ces dernières décennies, l’emploi des femmes durant
ce qu’il est convenu d’appeler la phase familiale de la vie a augmenté
de manière substantielle au même titre que la participation des
femmes âgées au marché de l’emploi. L’augmentation du taux de participation
des femmes associé au taux élevé des hommes fait peser des contraintes
supplémentaires sur les individus et les familles. Trouver le juste
équilibre entre responsabilités professionnelles et familiales est
un défi majeur auquel sont confrontées les familles européennes.
La prise en charge de personnes âgées dépendantes peut venir alourdir
les responsabilités familiales, mais il convient de noter toutefois
que les générations plus âgées contribuent également au soutien
intergénérationnel en aidant les plus jeunes. La demande en faveur
de politiques permettant de mieux concilier vie professionnelle
et familiale tout au long de la vie est grande, d’autant que de telles
mesures pourraient favoriser l’accroissement de la participation
des femmes au marché du travail. Des politiques de renforcement
du vieillissement actif permettraient par ailleurs de mobiliser
davantage les ressources humaines précieuses d’une population vieillissante,
y compris en termes de soutien intergénérationnel et d’activités
civiques telles que le bénévolat et d’autres formes de participation
sociale.
42. Outre une meilleure participation des travailleurs âgés et
des femmes au marché de l’emploi, d’autres ressources en main-d’œuvre
inexploitées, comme celles que constitue la population de migrants
résidents, pourraient être activées. Le taux de chômage parmi les
migrants est souvent élevé et généralement plus élevé que celui
des ressortissants. Les politiques visant à réduire le chômage des
migrants favorisent également leur insertion sociale (OIM, 2011).
Les migrants entrepreneurs représentent une source d’emploi importante;
près de 12 % des migrants des pays de l’OCDE sont actuellement entrepreneurs
et contribuent à la création d’emplois, au commerce et à l’innovation
(OCDE, 2011). Les migrations de travail peuvent également permettre
de contrebalancer les pénuries de main-d’œuvre au plan local ou
régional, grâce notamment aux migrations de travail temporaires
ou saisonnières, mais grâce aussi aux migrations de groupes spécifiques, comme
les migrants qualifiés, les travailleurs du secteur de la construction
ou les prestataires de services. Un meilleur usage des migrations
suppose la mise en place de politiques adéquates de gestion des
flux migratoires.
43. Dans une perspective d’apprentissage tout au long de la vie,
les investissements en matière de formation et d’éducation amélioreront
le capital humain des travailleurs et renforceront la flexibilité
et la compétitivité de la population active. Le développement des
compétences de l’ensemble des travailleurs, conjointement aux technologies
de l’innovation, permettra également de gagner en productivité.
Les activités de formation devraient inclure tous les segments de
la main-d’œuvre, y compris les travailleurs âgés. Par ailleurs,
compte tenu de la réduction imminente de la réserve de forces vives
dans la plupart des pays européens, il serait rentable d’investir
dans une force de travail mieux éduquée, plus qualifiée et productive.
5. Préserver la qualité et l’influence
5.1. Education
44. Le principal investissement pour permettre aux populations
européennes d’être armées pour affronter l’avenir consiste à leur
fournir la meilleure éducation possible. Les systèmes éducatifs
doivent être adaptés pour enseigner les compétences de base pouvant
être exploitées dans un environnement professionnel dynamique et
en constante évolution. Dans une économie compétitive à l’échelle
mondiale, fondée sur le savoir, une main-d’œuvre qualifiée est nécessaire
pour garantir la productivité et une croissance durable. En outre,
l’éducation dispensée doit être de qualité et multiculturelle afin
de s'adapter à la nature dynamique de nos sociétés
.
45. Selon l’OCDE, la crise financière a probablement modifié le
marché du travail à jamais. Les individus doivent non seulement
travailler plus longtemps, mais également améliorer leurs compétences
en permanence pour conserver leur emploi. Cela signifie que des
«réservoirs de talents» seront nécessaires. De même, il faut également
investir dans des programmes destinés aux professionnels en milieu
de carrière âgés de 40 à 55 ans qui peuvent s'adapter aux évolutions
du marché du travail et rester plus longtemps au sein de la population
active.
5.2. Innovation
46. Tout comme pour l’éducation, l’investissement dans
l’innovation et la recherche est un objectif à long terme pour permettre
à l’Europe de rester compétitive et prospère. L’innovation ne génère
pas uniquement de la croissance, elle permet également de créer
des produits bénéfiques pour le bien social, de réduire les coûts des
investissements publics et d’augmenter la productivité du travail.
C’est une importante source de croissance future pour les économies
émergentes. L’Europe doit donc encourager les entrepreneurs, se concentrer
sur les outputs de l'innovation, accorder plus d'attention à l'innovation
sociale, protéger les droits de la propriété intellectuelle et renforcer
ses réseaux d'innovation à travers le monde.
47. Tout comme la plupart des politiques évoquées dans le présent
rapport, il n'existe pas une méthode unique pour générer l'innovation
dans les pays. Il existe cependant des mesures de base que les gouvernements
peuvent appliquer pour favoriser ce domaine du développement. Les
cinq principes de l’OCDE pour l’innovation sont les suivants: doter
les individus de la capacité d’innover, libérer l’innovation, créer
et mettre en application le savoir, innover pour faire face aux
défis mondiaux et sociaux, et améliorer la gouvernance et l'évaluation
des politiques en faveur de l'innovation.
48. Pour doter les individus de la capacité à innover, il faut
leur dispenser une formation générale pertinente, mais également
un large éventail de compétences qui complètent leur éducation institutionnelle.
Les universités et les centres de recherche doivent être d’excellente
qualité afin de générer de l’innovation et d’attirer des innovateurs
qualifiés du monde entier. Ces établissements doivent être indépendants,
compétitifs et faire preuve de flexibilité. Les entrepreneurs pouvant
jouer un rôle crucial en matière d’innovation, en concrétisant les
idées en applications commerciales, les écoles devraient intégrer
dans leur programme une formation à l’entrepreneuriat.
49. Bien qu’elles soient aujourd’hui plus nombreuses que les hommes
à obtenir un diplôme d’études supérieures, les femmes demeurent
faiblement représentées dans les domaines de la science et de l’ingénierie
ainsi que dans l’entrepreneuriat. Cela est dû à une combinaison
de facteurs, notamment des obstacles généraux à la participation
au marché du travail, en plus des obstacles spécifiques dans les établissements
scientifiques, une absence de transparence en matière d’embauche
et de promotion par exemple. Les politiques doivent lutter contre
ces pratiques discriminatoires afin de libérer le potentiel des femmes
à innover.
50. L’innovation a besoin de réseaux de connaissances internationaux
et d’une mobilité internationale des compétences qui contribue à
la création et à la diffusion du savoir. Pour attirer ces compétences,
les pouvoirs publics peuvent investir dans la recherche publique
pour construire une capacité d'absorption, ouvrir le marché du travail
aux étudiants étrangers pour qu’ils se perfectionnent et veiller
à ce que le régime fiscal ne pénalise pas la mobilité des travailleurs
qualifiés. Les régimes migratoires s’appliquant aux personnes hautement qualifiés
doivent être efficients, transparents et simples.
51. Les entreprises demeurent le principal vecteur d’innovation.
Les jeunes entreprises sont particulièrement importantes car elles
exploitent souvent des opportunités technologiques ou commerciales qui
ont été négligées par les entreprises plus établies. Elles représentent
une part importante des dépôts de brevets dans les pays de l’OCDE.
Par conséquent, un cadre réglementaire doit favoriser le lancement
de nouvelles entreprises et leur expansion pour soutenir l’essor
de l’innovation. En outre, l’analyse des entreprises européennes
connaissant la croissance la plus rapide indique que celles qui
ont été fondées par des entrepreneurs ayant déjà connu l’échec affichent
un chiffre d’affaires et une croissance d’emploi supérieurs aux
autres. Les obstacles à l’entrée sur le marché peuvent être atténués
par la simplification de la réglementation et des formalités administratives.
52. Dans un cadre macro-économique plus large, les gouvernements
peuvent faire beaucoup pour offrir aux innovateurs et entrepreneurs
un environnement favorable et flexible. Cela inclut une discipline
budgétaire et des taux d’inflation relativement stables qui permettent
de réduire l’incertitude. Les marchés ouverts, et donc la concurrence,
encouragent les sociétés à innover, développer de nouveaux marchés
et garder une longueur d’avance sur la concurrence. Les gouvernements
doivent également poursuivre les investissements publics pour l’innovation
car les investissements privés seuls ne suffisent pas. Gardons à
l’esprit que l'internet et le Projet génome humain sont le fruit
de ces investissements publics.
5.3. Un marché du travail plus inclusif
53. L’Europe doit utiliser toutes les ressources dont
elle dispose et agir avec efficacité. Une façon de procéder consisterait
à créer un marché du travail plus inclusif qui cible les groupes
généralement exclus – les femmes, les immigrés et les seniors. Il
faut élaborer des politiques spécifiques pour ces groupes afin qu'ils puissent
mieux s’intégrer dans le marché du travail, ce qui permet d'élargir
la population économiquement active et de contribuer à la croissance
économique. La plupart de ces politiques ont été évoquées plus haut.
54. Malheureusement, l’Europe a un taux de chômage très élevé
parmi les jeunes, même ceux qui sont diplômés de l’enseignement
supérieur. Les pays comme l’Espagne, l’Italie et la Grèce ont eu
les taux de natalité les plus bas au cours de dernières décennies,
et pourtant leur taux de chômage chez les jeunes était de 20 à 40 %.
En moyenne, dans les pays de l’OCDE, le taux de chômage des jeunes
est plus de deux fois supérieur à celui des adultes et atteint les
17,4 %. Les jeunes se sentent de plus en plus perdus en matière
de perspectives d’emploi. Comme l’a déclaré M. Angel Gurría, Secrétaire
général de l’OCDE, à l’Assemblée en octobre 2011, il faut offrir
aux jeunes un meilleur départ dans la vie professionnelle.
55. Certaines mesures peuvent consister à introduire une aide
à la recherche d’emploi, des aides à l’embauche et des cours de
rattrapage pour les plus désavantagés ainsi que des opportunités
pour les études et l'emploi. Nous devons améliorer l’éducation et
le développement de la petite enfance et veiller à ce que les jeunes
n’abandonnent pas l'école. Il est indispensable de mieux faire coïncider
les compétences acquises à l’école et celles nécessaires sur le
marché du travail.
6. Epilogue: la démographie trace
notre avenir: investir dans les populations pour relever les défis
56. A l’instar du changement climatique, le changement
démographique pose de nombreux défis. Les paysage et perspectives
démographiques émergents en Europe auront des conséquences durables
sur la société européenne. Mais le changement démographique crée
également des opportunités. Pour relever les défis et tirer au mieux
profit des opportunités, il conviendra de trouver le meilleur moyen
d’exploiter les riches ressources humaines et notamment le plein
potentiel d’une population vieillissante et plus diversifiée, et
de promouvoir une société pour toutes les générations et pour les
hommes et les femmes. Investir sur les populations, par exemple
dans les domaines de la santé et de l’éducation, promouvoir la solidarité intergénérationnelle
et un vieillissement en restant actif et en bonne santé, ainsi que
tirer le meilleur parti de la diversité des populations et de l'immigration,
permettront de relever les défis auxquels l'Europe est confrontée. Ces
investissements dans la qualité de vie des citoyens européens permettraient
également de compenser les inquiétudes pouvant être dues à la baisse
de la part relative de la population européenne à l’échelle mondiale.
57. La richesse des variations dans les tendances et schémas démographiques
en Europe est un atout pour les responsables politiques susceptibles
de tirer profit d’expériences diverses et d’échanger les meilleures pratiques.
A cet effet, l’Europe peut être considérée comme un laboratoire
d’observation et d’étude d’un large éventail de tendances démographiques
et de réponses politiques. Des études approfondies permettant de comparer
les expériences des différents pays et d’échanger des informations
sur les meilleures pratiques sont indispensables aux fins d’améliorer
les données factuelles des politiques. La diversité du paysage démographique
européen est également un défi dans la mesure où il appelle différentes
réponses politiques selon le contexte; en la matière, il n'est pas
possible de faire du «prêt à porter» en Europe.
58. Les populations changent parce que les personnes évoluent.
Les tendances démographiques sont le fruit combiné du comportement
des populations. Elles sont également persistantes: le vieillissement
et la diversité de la population augmentent de manière progressive
et durable. Les causes du changement démographique étant structurelles,
il est difficile d’inverser le cours des tendances. Les migrations internationales
par exemple ne sont pas en mesure de stopper le vieillissement de
la population, bien qu’elles puissent en atténuer certains effets.
Les politiques pronatalistes visant à stimuler le taux de natalité
n’ont habituellement que des effets à court terme, sans impact durable.
Compte tenu de la difficulté à enrayer les tendances démographiques,
les politiques cherchant et parvenant à s’en accommoder revêtent
une grande importance. Des politiques familiales durables capables
de bâtir une société favorable à la famille, de faciliter un meilleur
équilibre entre vie professionnelle et familiale, de renforcer la
flexibilité sur le marché de l’emploi, de promouvoir l’égalité des
genres et d’encourager l’apprentissage tout au long de la vie sont
autant d’exemples de politiques qui méritent que l’on s’y intéresse.
Le défi politique global en termes de changement démographique semble
être d’optimiser le bien-être des personnes. Les investissements
qui stimulent le capital humain de la population européenne permettront
également à l'Europe de préserver, et même de renforcer son rôle
de principal acteur mondial.