1. Introduction
1. Avec près de 2,5 millions
de
personnes déplacées dans la région du Caucase du Nord, les déplacements
internes continuent de poser des problèmes considérables au regard
du droit humanitaire et des droits de l’homme. Le conflit en République
tchétchène (Tchétchénie) et en République d’Ossétie du Nord-Alanie
(Ossétie du Nord) ont été les causes principales de ces mouvements
de population en Fédération de Russie. Plus de 800 000 personnes
ont fui leur foyer en Tchétchénie depuis 1994, en raison des violences généralisées
et des deux conflits armés qui ont opposé les rebelles et les forces
gouvernementales. Un bref conflit armé en Ossétie du Nord, dans
le district de Prigorodny, s'est soldé par le déplacement de près
de 64 000 Ingouches de souche en 1992. Beaucoup de personnes ont
été déplacées à plusieurs reprises.
2. L’Assemblée parlementaire, et notamment sa commission des
migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, suit la situation
humanitaire dans le Caucase du Nord depuis 1997. Elle a préparé
de nombreux rapports, avis, résolutions et recommandations et, en
avril 2004, l’Assemblée a adopté la
Recommandation 1667 (2004) sur la
situation des réfugiés et des personnes déplacées dans la Fédération
de Russie et dans d'autres pays de la CEI, et la
Résolution 1404 (2004) sur
la situation humanitaire de la population tchétchène déplacée
.
3. Sept ans plus tard, la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées a décidé de revenir sur la question des
déplacements internes dans le Caucase du Nord. Elle m’a chargé en
tant que rapporteur d’examiner la situation humanitaire actuelle
des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays (PDI)
et des PDI retournées dans la région et de formuler de nouvelles
recommandations. Le présent exposé des motifs repose sur des renseignements
recueillis auprès de nombreuses sources, en particulier lors d’une
visite d’information en Fédération de Russie du 18 au 24 septembre
2011. Dans ce contexte, votre rapporteur tient à remercier la délégation
parlementaire de la Fédération de Russie ainsi que les représentants du
Conseil de la Fédération pour leur hospitalité et leur aide. Il
remercie également le Danish Refugee Council (DRC) qui a facilité
la sélection des camps et des centres d’hébergement temporaire des
personnes déplacées et qui a organisé les réunions avec les représentants
des PDI et les organisations non gouvernementales (ONG) dans les
trois républiques. Votre rapporteur tient également à remercier
Mme Nadine Walicki, de l’Observatoire
des situations de déplacement interne (IDMC), qui s’est rendue dans
le Caucase du Nord parallèlement à la visite de votre rapporteur
et qui a contribué en qualité de consultante à la préparation du présent
rapport.
4. Votre rapporteur souhaite souligner que, conformément à son
mandat, cet exposé des motifs est axé prioritairement sur les problèmes
humanitaires et relatifs aux droits de l’homme que pose la situation
faisant l’objet du présent rapport. Les aspects politiques et des
droits de l’homme à caractère général ne sont abordés que dans la
mesure où ils expliquent le contexte direct. L’intention de votre
rapporteur est de présenter un tableau équilibré des diverses questions
en jeu ainsi que les tâches complexes qui incombent aux autorités fédérales,
régionales et locales. Il espère que ce rapport contribuera à l’établissement
d’une feuille de route permettant l’élaboration de solutions durables
pour les nombreuses familles encore déplacées dans la région du
Caucase du Nord.
2. Contexte général
2.1. Sécurité
5. Le Caucase du Nord reste une région dangereuse. Les
années 2006-2008 ont été marquées par une certaine stabilisation;
mais plus récemment le nombre global d’incidents a augmenté. Les
militaires, les forces de l’ordre ainsi que d’autres cibles sont
régulièrement visés par des attentats suicides et d’autres types d’attaques
en Tchétchénie, en Ingouchie, au Daghestan et, plus récemment, en
Kabardino-Balkarie
.
Alors que la situation sécuritaire s’est grandement améliorée en
Tchétchénie, la république la plus violente est à l’heure actuelle
le Daghestan, où des attaques ont également visé des hauts responsables
du gouvernement et des personnalités religieuses
.
En 2009, le Président russe, Dimitri Medvedev, a déclaré que l’insécurité dans
la région était le problème de politique intérieure le plus grave
de son pays
,
reconnaissant qu’elle est alimentée par la misère économique, le
chômage, les abus de pouvoir, le détournement des fonds publics
et la corruption qui règne parmi les élites au pouvoir
.
6. Lors d’une réunion avec le rapporteur le 19 septembre 2011,
le Vice-Premier ministre et Envoyé spécial du Président de la Fédération
de Russie dans le District fédéral du Caucase du Nord, Alexander
Khloponine, a qualifié la situation en matière de sécurité dans
la région de «tendue mais stable». Les opérations anti-terroristes
menées par le gouvernement se poursuivent dans toute la région,
et, aux dires de M. Khloponine, près de 80% des «terroristes», bien
qu’utilisant des slogans islamistes, sont en fait des groupes ethniques
de type mafieux luttant pour la redistribution des biens. Il existe
néanmoins quelques groupes d’islamistes radicaux dans la région,
qui recrutent souvent de jeunes chômeurs et cherchent à instaurer
un Etat islamique et à imposer la charia dans le Caucase du Nord.
La situation est cependant dominée par un système complexe de clans,
avec un pouvoir exécutif et des segments entiers de l’économie concentrés
entre les mains de l’un ou l’autre clan ethnique.
7. Du côté positif, les relations entre l’Ossétie du Nord et
l’Ingouchie se sont normalisées avec l’arrivée au pouvoir en 2009
du nouveau Gouvernement ingouche sous la direction de Iounous-Bek
Evkourov. En décembre 2009, les Présidents d’Ossétie du Nord et
d’Ingouchie ont signé un programme commun pour l’établissement de
bonnes relations de voisinage, visant à faciliter, entre autres,
le retour des personnes jouissant du statut de migrant forcé vers
les lieux dont elles sont originaires dans le district de Prigorodny
en Ossétie du Nord. Pour l’heure, le conflit dans le district de
Prigorodny n'est cependant toujours pas résolu.
2.2. Reconstruction
8. Aujourd'hui, il reste peu de traces des quelque quinze
années de guerre dans la capitale tchétchène, Grozny. Les hostilités
à grande échelle ont cessé depuis longtemps, les militaires se font
discrets et la ville a été rebâtie sur les ruines calcinées. Des
entreprises de Turquie et des Emirats arabes unis construisent de nouveaux
parcs, de larges avenues, des ensembles de tours d’habitation et
des stades de sport. Les infrastructures endommagées, telles que
les routes, les conduites d’eau, les écoles et les structures médicales ont
été reconstruites. D’autres régions de Tchétchénie ont profité elles
aussi de cet effort de reconstruction, bien qu’à une échelle plus
modeste
. C’est l’une des grandes réalisations
du gouvernement tchétchène. Cependant, il apparaît que nombre de
financements ont été consacrés à de grandioses projets «vitrines».
2.3. Environnement socio-économique
9. La transformation engendrée par les efforts de reconstruction
témoigne d’une certaine prospérité, mais les apparences peuvent
être trompeuses. L’économie du Caucase du Nord, y compris celle
de la Tchétchénie, reste sous-développée et largement subventionnée
par Moscou. La productivité est inférieure à la moyenne de la Fédération
de Russie, les salaires sont bas et le chômage élevé. Certains facteurs
font également obstacle à l’investissement, notamment une violence
larvée et permanente, les terrains non déminés et une corruption
endémique.
10. Malgré les efforts entrepris pour améliorer les infrastructures
essentielles, la plupart des citoyens ordinaires n’ont pas profité
des efforts de reconstruction en Tchétchénie. Des sociétés et des
travailleurs étrangers ont été embauchés pour rebâtir les infrastructures,
alors que les usines et d’autres installations susceptibles de créer
des emplois à grande échelle n’ont pas été remises en état. De ce
fait, beaucoup de citoyens ordinaires continuent de dépendre des
aides sociales, qui constituent leur principale source de revenus.
Les conditions de vie restent mauvaises, marquées par la pénurie
de logements abordables, un accès limité à l’eau, aux installations
sanitaires et autres services publics, des infrastructures de transport inadéquates
et un manque d’équipements médicaux. Lorsque l’éducation est assurée,
le niveau est faible
.
11. Pourtant, l’optimisme est de mise. Comme l’expliquait M. Khloponine,
il a fallu au gouvernement fédéral russe plus de dix ans pour améliorer
la situation sécuritaire en Tchétchénie, reconstruire les infrastructures
et des quartiers résidentiels, rechercher les personnes disparues
et redoubler d’effort pour réunir à nouveau les groupes ethniques,
entre autres initiatives. Pour poursuivre ces efforts, la Stratégie
de développement socio-économique du district fédéral du Caucase
du Nord jusqu’en 2025
a été adoptée
en 2010. Cette stratégie prévoit des investissements massifs dans
l’agriculture, l’industrie agro-alimentaire, les matériaux de construction,
le tourisme, les zones industrielles et la logistique au cours des
prochaines années. Cependant, l’amélioration de la situation de
tous les citoyens prendra plus de temps.
12. La lutte contre le chômage est l’une des grandes priorités
pour le gouvernement fédéral tout comme pour les gouvernements régionaux:
au total, le nombre de chômeurs dans le district fédéral du Caucase
du Nord est repassé de 438 000 à 300 000 personnes entre juillet
2010 et juillet 2011
. Dans la seule Tchétchénie,
le taux de chômage est passé de 45% en 2010 à 30% en août 2011
.
2.4. Droits de l’homme
13. Des violations des droits de l’homme continuent d’être
rapportées dans le contexte des opérations anti-terroristes menées
par le gouvernement. Des avocats, journalistes et défenseurs des
droits de l’homme font état d’enlèvements, de détentions arbitraires,
de torture, de disparitions forcées et d’homicides illégaux
.
Ces violations se sont répandues, au-delà de la Tchétchénie, à l’Ingouchie,
au Daghestan et jusqu’en Kabardino-Balkarie
.
A plusieurs reprises, le Commissaire russe aux droits de l’homme
(ombudsman), à l’instar de la commission
des questions juridiques et des droits de l'homme de l'Assemblée
et du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe,
a rapporté des violations dans le Caucase du Nord. Ces rapports
n’ont semble-t-il eu que peu d’effets sur le terrain.
14. En dépit des quelque 200 arrêts de la Cour européenne des
droits de l’homme, l’impunité pour les violations des droits de
l’homme perdure. A maintes reprises, la Cour a conclu à la violation
des articles 2 et/ou 3 de la Convention européenne des droits de
l’homme (STE no 5, «la Convention») par
la Fédération de Russie. Ces violations ont trait à des homicides
illégaux, des disparitions, des actes de torture et des mauvais traitements
ainsi qu’à l’absence d’enquête effective sur ces crimes. Comme il
se doit, Moscou a indemnisé les victimes, mais les auteurs de ces
actes n’ont pas eu de comptes à rendre.
15. Les défenseurs des droits de l’homme continuent d’être visés.
En l’absence de médias indépendants
, les pressions
et intimidations croissantes limitent l’observation de la situation
des droits de l’homme dans la région et la diffusion d’informations
à cet égard. Ces pressions et intimidations émanent même de hauts responsables
du gouvernement. Le Président tchétchène, Ramzan Kadyrov, par exemple,
a qualifié les membres de l’ONG Memorial «d’ennemis de l’Etat, d’ennemis
du peuple, d’ennemis du droit». Il est regrettable que l’ombudsman
de Tchétchénie, Nourdi Noukhajhiev, semble partager les mêmes vues.
Lors de notre rencontre, il n’a pas caché son aversion pour les
organisations internationales et locales des droits de l’homme. Votre
rapporteur a de sérieux doutes quant à la compréhension par l’ombudsman
tchétchène de son rôle en tant qu’institution indépendante censée
protéger les droits de l’homme dans la République. Dans un tout
autre registre, l’ombudsman d’Ingouchie, Djamboulat Ozdoev, a créé
un bureau qui fait bon accueil aux plaignants aussi bien qu’aux
ONG et inspire confiance dans l’institution de l’ombudsman.
3. Déplacement de populations
3.1. Personnes déplacées à l’intérieur de leur propre
pays
16. Il n’existe pas de chiffres probants quant au nombre
de PDI dans le Caucase du Nord. Votre rapporteur n’a pas été en
mesure d’obtenir des chiffres concordants, même auprès de différents
départements du Service fédéral des migrations. Cette lacune s’explique
entre autres par l’absence de définition. Les organisations internationales
emploient la définition des Principes directeurs des Nations Unies
relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre
pays (Principes directeurs) pour établir le nombre des PDI, alors
que le Gouvernement russe dénombre les «migrants forcés» sur la
base de la définition de la loi de 1995 de la Fédération de Russie
sur les migrants forcés. Cette définition des migrants forcés diffère
à plusieurs titres de celle des personnes déplacées à l’intérieur
de leur propre pays énoncée dans les Principes directeurs
.
17. La définition russe des migrants forcés est à la fois plus
et moins restrictive que celle des PDI qui figure dans les Principes
directeurs. Elle est plus restrictive dans la mesure où la personne
déplacée au sein d’un sujet de la Fédération de Russie, par exemple
en Tchétchénie, ne peut pas prétendre au statut de migrant forcé,
alors qu’elle est considérée comme PDI si l’on s’en tient aux Principes
directeurs. La justification de cette différence n’est pas claire.
Dans le même temps, une personne venant d’un autre pays ou d’une
ancienne République soviétique, qui a fui en Fédération de Russie
et a obtenu la citoyenneté russe, peut prétendre au statut de migrant
forcé, alors qu’elle ne sera pas considérée comme PDI selon les
Principes directeurs.
18. Compte tenu de la définition des migrants forcés, on pourrait
s’attendre à ce que les chiffres du gouvernement en matière de déplacement
dans le Caucase du Nord soient supérieurs à ceux fournis par les organisations
internationales. Cependant, il semble que ce soit l’inverse. Si
beaucoup de ceux qui ont fui le premier conflit en Tchétchénie ont
obtenu le statut de migrant forcé, seule une minorité de ceux qui
ont fui le second conflit en Tchétchénie en ont bénéficié
.
Les chiffres du gouvernement sont également bas car parmi ceux qui
étaient considérés comme des migrants forcés, beaucoup ont perdu
leur statut pour n’avoir pas renouvelé leur demande de statut, pas
obtenu sa prorogation ou son renouvellement à la fin de la période requise
de cinq ans, ou encore parce qu’ils ont bénéficié d’une aide au
logement ou d’une indemnisation pour la destruction de leurs biens.
19. En octobre 2011, le Service fédéral des migrations a fait
état de 19 136 personnes dotées du statut de migrant forcé dans
le district fédéral du Caucase du Nord. Parmi elles, 5 633 venaient
de Tchétchénie et 2 864 d’Ossétie du Nord. Le même mois, les organisations
internationales faisaient état d’au moins 52 748 PDI dans l’ensemble
du Caucase du Nord
. Etant donné qu’aucune évaluation formelle
n’a été faite des solutions durables mises en place, il est probable
que certaines personnes ne figurant plus dans les statistiques des
PDI ou des migrants forcés restent confrontées à des problèmes liés
à leur déplacement.
3.2. Personnes déplacées à l’intérieur de leur propre
pays et retournées
20. Les données sur les personnes retournées chez elles
diffèrent également selon les sources. De source gouvernementale,
323 000
personnes
sont retournées en Tchétchénie entre 2001 et 2009 et plus de 26 000
sont revenues en Ossétie
du Nord entre 1994 et 2010. Le Service fédéral des migrations a
indiqué qu’au 1er avril 2009, toutes
les PDI qui souhaitaient retourner en Tchétchénie l’avaient fait
volontairement
. Tant
en Tchétchénie qu’en Ossétie du Nord, certaines ont regagné leur
ancien foyer, alors que d’autres ont bénéficié d’une aide au logement
allouée par le gouvernement, se sont installées chez des proches
ou ont abouti dans des structures d’accueil temporaire dans le deuxième
ou troisième lieu de déplacement
.
21. Des chiffres précis du nombre de personnes retournées en Tchétchénie
depuis l’étranger font également défaut. D’après le bureau tchétchène
du Service fédéral des migrations, 87 familles seraient rentrées
d’Europe, pour la plupart d’Autriche. Les ONG ont évoqué le chiffre
de 300 Tchétchènes revenus des Gorges de Pankisi en Géorgie. Au
cours d’une récente visite en Jordanie, le leader tchétchène, Ramzan Kadyrov,
a encouragé les ressortissants tchétchènes à rentrer au pays; quelques
familles auraient suivi son conseil. Cependant, votre rapporteur
n’a pas réussi à obtenir des chiffres plus précis. Il n’a pas non
plus été informé d’une quelconque campagne à grande échelle encourageant
le retour des Tchétchènes, ni de cas de personnes auxquelles un
mauvais accueil aurait été réservé à leur retour. Certaines autorités
ont toutefois exprimé des préoccupations devant le fait que sans
le retour des anciens habitants (et notamment de l’ancienne
intelligentsia) de l’étranger ou
d’autres parties de la Fédération de Russie, il ne sera pas possible de
bâtir des républiques modernes
.
3.3. Les réfugiés
22. Votre rapporteur n’a pas connaissance du nombre total
des réfugiés dans le Caucase du Nord. Cependant, il a été porté
à son attention que près de 30 000 réfugiés de Géorgie, Ossètes
de souche, demeurent en Ossétie du Nord depuis les conflits du début
des années 1990, sur lesquels 10 000 personnes (4 000 familles)
manquent toujours cruellement de logements décents 20 ans après.
23. Votre rapporteur a eu la possibilité de visiter le centre
d’hébergement temporaire «Ossétie» (dans l’ancien sovkhoze Pervomaïsky) où 40 familles de réfugiés
ossètes venues de Géorgie vivent depuis 22 ans dans des conditions
dégradantes, sans sanitaires ni gaz, et souffrant d’un «syndrome
des réfugiés» très prononcé. Selon les autorités locales, il y aurait
39 centres temporaires de ce type en Ossétie du Nord. Six milliards
de roubles sont nécessaires pour résoudre les problèmes de logement
de ces réfugiés de souche ossète. Ils ne pourront pas bénéficier
du programme fédéral de logement dans un avenir prévisible car la plupart
d’entre eux n’ont acquis la citoyenneté russe qu’en 2000, ce qui
les place en très mauvaise position sur la liste fédérale. En même
temps, les responsables locaux affirment qu’ils ne disposent d’aucun
moyen de financement. Par conséquent, votre rapporteur encourage
les autorités locales à faire appel à des donateurs étrangers pour
résoudre les problèmes critiques de logement de ces familles de
réfugiés dans le cadre de programmes de partenariat.
4. Assistance du gouvernement
24. Plusieurs lois et règlements régissent la protection
des PDI. L’assistance des pouvoirs publics aux personnes déplacées,
décrite dans la loi de 1995 sur les migrants forcés, est soumise
à la condition que le demandeur jouisse du statut de migrant forcé.
La loi énonce leurs droits, y compris en matière d’allocations spéciales,
de logement temporaire, d’accès à l’emploi, de prêts, de places
dans les écoles et les universités, de formation, de gratuité des
soins médicaux et d’aide au recouvrement des documents officiels
et biens perdus. D’autres mesures ont été instaurées pour les personnes
âgées, les handicapés et les orphelins. La législation insiste également
sur le retour volontaire et assisté. Des modifications apportées
récemment à la loi prévoient des aides pour l’achat de logements
.
D’autres lois et règlements ont été institués pour fournir une assistance
aux personnes déplacées à l’intérieur de la Tchétchénie et à celles
qui ont quitté ce territoire, indépendamment du statut de migrant
forcé
.
Cette assistance n’a plus cours à ce jour; elle couvrait l’alimentation,
les transports, la mise à disposition d’un foyer temporaire et des
allocations en espèces aux personnes retournées.
4.1. Indemnisation des biens détruits
25. Les personnes dont les foyers ont été détruits au
cours des conflits en Tchétchénie peuvent prétendre à une indemnisation,
même en l’absence de statut de migrant forcé. Celles qui ont fui
le premier conflit et se sont installées hors de Tchétchénie peuvent
percevoir jusqu’à 120 000 roubles (2 900 euros)
,
alors que celles qui ont fui lors du premier ou du second conflit
et se sont installées en Tchétchénie peuvent bénéficier d’un montant
de 350 000 roubles (8 400 euros)
.
Les bénéficiaires qui s’installent hors de Tchétchénie doivent renoncer
à leurs anciens titres de propriété foncière et immobilière, alors
que ceux qui s’installent en Tchétchénie les conservent. Dans les
deux cas, aucun délai n’a été fixé pour le dépôt des demandes. Fin
2011, 22 800 demandes déposées par des personnes installées en Tchétchénie
étaient en cours d’instruction, alors qu’aucune n’émanait de personnes
installées hors de la république. Le ministère du Développement
régional, conjointement à d’autres autorités, dont le Service fédéral
des migrations, serait en train de préparer un nouveau programme
de soutien de l’Etat pour les citoyens qui ont perdu leur foyer
à la suite du conflit en Tchétchénie et qui ne souhaitent pas retourner
dans le pays.
26. De même, les personnes dont le foyer a été détruit durant
le conflit en Ossétie du Nord peuvent prétendre à un dédommagement
de 700 000 à deux millions de roubles (de 16 800 à 48 100 euros)
.
Nul ne sait pourquoi les indemnisations sont plus élevées pour les
personnes dépossédées à la suite du conflit en Ossétie du Nord que
pour la Tchétchénie. Les bénéficiaires doivent accepter de retourner
sur leur lieu de résidence d’origine ou, s’il s’agit d’un village
où les autorités ne sont pas à même de garantir leur sécurité, de s’installer
ailleurs au sein de la république. Les dédommagements sont accordés
aux résidents permanents de Prigorodny, à ceux vivant dans des foyers
du district et à ceux qui ne disposent pas de titre de propriété
mais sont en mesure de prouver devant un tribunal qu’ils résidaient
de façon permanente à Prigorodny avant le conflit. Les demandes
devaient être déposées avant le 1er décembre 2006
et les principaux documents justificatifs fournis avant le 1er juillet 2008.
Le gouvernement a examiné toutes les demandes et les décisions sont
en instance
.
4.2. Aide au logement
27. Le gouvernement fédéral a fourni pendant des années
des logements temporaires à beaucoup de personnes dotées du statut
de migrant forcé et il a mis en œuvre d’autres programmes destinés
à répondre aux besoins de logement des migrants forcés dans le Caucase
du Nord. Il s’agit entre autres de prêts à long terme sans intérêt
ou
de certificats de logement, délivrés en vertu d’un programme en
place depuis 2002 et récemment prolongé jusqu’en 2015
,
pour diverses catégories de citoyens, dont ceux bénéficiant du statut
de migrant forcé. Ces certificats de logement sont des coupons utilisables
pour l’achat d’un logement, dont le montant est calculé en fonction
de la composition de la famille et des prix du marché de l’immobilier.
28. Trois autres programmes fédéraux – Russie du Sud (2008-2013)
,
Développement socio-économique de la République tchétchène pour
2008-2012
et
Développement socio-économique de la République d’Ingouchie pour
2010-2016
–
ont pour objectif d’élever le niveau de vie, y compris les conditions
de logement, dans le Caucase du Nord. Un autre plan de développement
socio-économique pour le district fédéral du Caucase du Nord jusqu’en
2025, d’un montant de 5,5 billions de roubles (132 milliards d’euros),
vise à résoudre les problèmes de logement et autres des personnes
déplacées de la région
.
Le programme «Logement social» de la Tchétchénie inclut, lui aussi,
des mesures pour renforcer le parc de logements municipaux dans
la république et garantir ainsi un nombre suffisant de logements
décents pour les personnes les plus vulnérables, notamment celles
qui ont perdu leur foyer durant les conflits
.
4.3. Aide sociale
29. Les PDI en Tchétchénie et en Ossétie du Nord qui
ne sont pas éligibles au statut de migrant forcé peuvent bénéficier
d’autres dispositions. Le Président Kadyrov a établi le Fonds Akhmat
Khadji Kadyrov, du nom de son défunt père, dans le but d’aider à
satisfaire aux besoins des personnes vulnérables. Le gouvernement
a également mis en place des centres de services sociaux dans la
région, les plus nombreux étant situés en Tchétchénie. Ces centres
informent les personnes sur leurs droits légaux, sur les services d’aide
sociale et psychologique, y compris pour les PDI et les personnes
retournées, et les aident à couvrir leurs besoins essentiels en
matière d’alimentation et d’hygiène. Les autorités tchétchènes allouent
par ailleurs des compléments de retraite aux résidents qui ont perdu
leur dossier d’emploi au cours des conflits, mais aucune autre république
de la Fédération de Russie n’a pour l’heure suivi cette voie. Pour
leur part, les autorités d’Ossétie du Nord mettent en œuvre un programme
de développement socio-économique dans le district de Prigorodny
afin d’encourager les communautés ossète et ingouche à rentrer et
à cohabiter pacifiquement. Selon des informations du ministère des
Affaires étrangères d’Ossétie du Nord, au cours de l’année scolaire
2011-2012, 2 112 étudiants ingouches étaient inscrits dans des écoles
en Ossétie du Nord, où ils ont pu suivre un enseignement en ingouche.
4.4. Conseil et assistance juridiques
30. Les PDI, avec ou sans statut de migrant forcé, peuvent
s’adresser à l’ombudsman de la Fédération de Russie et à ses bureaux.
L’ombudsman a soulevé la question persistante de certaines personnes
déplacées hors de la Tchétchénie qui ne sont pas en mesure de percevoir
leur pension complète par suite de la perte des archives durant
les conflits, concluant qu’il s’agissait d’une violation de leur
droit à la sécurité sociale. En Ingouchie, l’ombudsman a récemment
suggéré des amendements à la loi sur les migrants forcés, accueilli
une table ronde pour discuter des problèmes auxquels sont confrontées
les PDI
,
publiquement défendu des PDI et reçu leurs plaintes et préoccupations
.
Pour sa part, l’ombudsman tchétchène a souligné certaines imperfections
des systèmes d’indemnisation foncière
et attiré l’attention
sur le processus d’éviction des PDI des centres d’accueil. Votre
rapporteur réitère néanmoins son inquiétude: à son sens, l’ombudsman tchétchène
ne protège pas pleinement les droits de l’homme.
31. Par ailleurs, le décret no 451
du Président de la Tchétchénie, en date du 6 décembre 2007, relatif
aux mesures additionnelles visant à garantir les droits et libertés
du peuple et des citoyens en République tchétchène a établi un certain
nombre de mesures relatives aux droits de l’homme. A titre d’exemple,
des conseils publics pour la garantie des droits et libertés du
peuple et des citoyens de la République tchétchène ont été mis en
place au niveau des administrations municipales et de district.
Ces conseils se seraient saisis de nombreuses plaintes de PDI résidant
dans des centres d’accueil et d’autres citoyens vulnérables pour
des violations de leurs droits de propriété sur des logements, des
terres et autres biens.
5. Progrès et difficultés
5.1. Tchétchénie
5.1.1. Progrès
32. Les autorités fédérales et tchétchènes ont œuvré
pour mettre fin aux bombardements et au mitraillage des zones habitées,
reconstruire les villes et restaurer les prestations et allocations
sociales, ce qui a permis le retour des PDI
.
Les autorités tchétchènes ont fourni une aide au logement à des
personnes revenant chez elles et dont le domicile avait été détruit,
par exemple sous forme de parcelles de terrain, de loyers subventionnés,
d’appartements, de maisons ou de placement dans des logements municipaux
.
Des centres d’hébergement de PDI ont également été rénovés. Des
organisations humanitaires internationales, comme le DRC (Danish
Refugee Council) et le HCR, ont soutenu la construction de logements
destinés aux PDI et aux personnes de retour
. Votre rapporteur a visité un
de ces chantiers de construction de logements financé par le DRC
à Assinovskaïa Oussadba, qui l’a très favorablement impressionné.
33. Beaucoup de PDI ayant perdu leurs biens ont également bénéficié
de programmes de dédommagement. Environ 75 000 familles réinstallées
en Tchétchénie (124 745 personnes) ont été indemnisées pour la destruction
de leurs biens en vertu du décret no 404
et 38 000 familles environ, réinstallées en dehors de la république
(dont 22 819 au sein du district fédéral du Caucase du Nord) ont
touché une indemnité en vertu du décret no 510
. Depuis 2008, les candidats
au dédommagement ne sont plus obligés de prouver qu’ils étaient
enregistrés comme résidents à l’adresse du bien qui a été détruit
.
5.1.2. Difficultés
34. Le chômage frappe toujours aussi durement les PDI.
En Ingouchie et en Tchétchénie, plus de 60% des PDI valides sont
sans emploi
. Les intéressés disent se heurter dans
leur recherche de travail à des problèmes dus à leur situation –
dont le fait de ne pas être enregistrés comme résidents temporaires,
les interruptions dans leur scolarité, le handicap et la charge
d’enfants et de parents âgés ou malades. Les jeunes sont particulièrement
touchés: beaucoup d’entre eux ont manqué jusqu’à sept ans de scolarité
pendant le conflit, n’ont eu qu’un accès médiocre aux cours de rattrapage
et se trouvent aujourd’hui face à un enseignement de faible qualité,
en raison du manque de professeurs et de formation des professeurs
et des sommes (illégales) qu’on exige souvent d’eux pour leur délivrer
leur diplôme. Comme le reste de la population, les PDI souffrent
aussi de la pénurie d’emplois, de qualifications insuffisantes et
des pots-de-vin demandés en échange d’un travail. A Grozny, certains
déplacés soulignent que les grands projets de construction menés dans
la ville n’apportent aucun emploi qualifié à la population locale
car les investisseurs étrangers apportent la plus grande part de
leur main-d’œuvre qualifiée avec eux. Des femmes déplacées ont expliqué
à votre rapporteur que malgré les diplômes supérieurs qu’elles avaient
obtenus avant la guerre, elles ne trouvaient pas d’emploi qualifié.
En conséquence, la plupart des PDI dépendent des pensions d’Etat,
des allocations sociales et de l’aide de leur famille.
35. Les aides publiques au relogement n’ont pas toujours abouti
à des solutions durables. L’aide à l’installation fournie par le
gouvernement tchétchène n’est disponible que dans la région d’origine
des déplacés et ceux qui n’étaient pas enregistrés comme résidents
permanents avant les conflits ne peuvent y prétendre. Les municipalités
n’ont pas toujours assuré ces aides, en raison d’un budget trop
réduit. Certaines PDI se sont vues proposer des terrains situés
dans des zones isolées, sans accès à l’eau, à l’électricité et aux
transports. D’autres ont constaté que les maisons et appartements
offerts étaient en mauvais état ou que la propriété en était contestée.
Des courriers envoyés par la municipalité de Grozny promettant un
logement n’ont pas eu de suite
.
Les offres de logement sont généralement prévues pour les parents
et leurs enfants sans tenir compte des petits-enfants ou des belles-filles,
qui vivent souvent au sein de la famille car la pauvreté liée à
leur situation de déplacées ne leur permet pas de se loger indépendamment.
Par conséquent, les logements offerts sont souvent trop exigus et
les familles, même relogées, continuent à vivre dans des conditions insatisfaisantes.
36. L’accent mis par le gouvernement sur les retours limite le
droit des PDI au libre choix d’un lieu de résidence, qu’elles souhaitent
retourner sur le lieu de leur ancien domicile, s’intégrer là où
elles ont été déplacées ou s’installer ailleurs. La loi n’empêche
pas le gouvernement tchétchène d’offrir des solutions de logement
dans tous les cas mais, dans la pratique, les personnes qui n’étaient
pas enregistrées comme résidents permanents dans une localité avant
le deuxième conflit n’ont pas pu y solliciter d’aides. Cela va à l’encontre
de l’article 3 de la loi no 5242-1 de
Fédération de Russie du 25 juin 1993, selon lequel l’enregistrement
comme résident permanent ne peut constituer une condition à l’exercice
des droits et libertés de citoyens, et d’un arrêt de 1995 de la
Cour constitutionnelle affirmant qu’il est anticonstitutionnel de
faire dépendre l’aide au logement de l’enregistrement comme résident
permanent
. En outre, l’enregistrement dans
une nouvelle localité est difficile à obtenir et sans lui, l’accès
aux services, aux emplois et aux droits est limité.
37. Les programmes de dédommagement pour les biens détruits n’ont,
là encore, pas toujours permis aux PDI d’obtenir un logement convenable.
Une enquête menée en 2011 auprès de PDI en hébergement privé
montre que 33
% des ménages ont perçu un dédommagement mais n’ont toujours pas
trouvé de logement durable. Les intéressés expliquent entre autres
que le montant octroyé n’était pas indexé sur l’inflation et n’a donc
pas suffi pour acheter ou construire un nouveau bien et que les
pots-de-vin exigés par les officiels empêchent les familles de toucher
toute la somme à laquelle elles ont droit
.
Ces facteurs ont dissuadé beaucoup de personnes éligibles de demander
un dédommagement. D’autres ne sont simplement pas éligibles. Les
familles dont le domicile a été détruit à moins de 80% ou qui l’ont
perdu lors des violences qui ont conduit au déclenchement officiel
du premier conflit ne peuvent pas prétendre à un dédommagement,
pas plus que celles qui louaient ou occupaient un logement sans
en être propriétaires
.
38. La combinaison de l’inefficacité des programmes de dédommagement,
de l’insuffisance des aides publiques au relogement et du fort taux
de chômage fait que beaucoup de PDI sont encore mal logées. En 2009,
environ 20 000 foyers vulnérables, affectés par la guerre, ne disposaient
toujours pas d’un domicile permanent et avaient besoin d’aide pour
en trouver un
.
Leur logement était inadapté en termes de conditions de vie, d’emplacement,
de disponibilité des services, équipements et infrastructures et
de sécurité d’occupation. Beaucoup de PDI vivent encore dans des
centres vétustes, chez des parents ou des amis, dans des tentes
qu’elles ont reçues en… 2003 ou dans d’autres abris de fortune.
Elles sont plus exposées à la promiscuité et aux éléments que le
reste de la population
.
Votre rapporteur a pu constater les conditions de vie déplorables
qui régnaient dans certains centres.
39. Le nombre de PDI expulsées de centres d’accueil a augmenté
en 2011. La plupart des déplacés vivant dans l’un de ces centres
en 2010 ne disposaient ni d’un bail, ni d’un titre de propriété
et n’étaient pas enregistrés comme résidant dans ce centre
. Ils risquaient donc d’être expulsés
illégalement sans pouvoir faire valoir leurs droits. Le gouvernement,
lors des expulsions, a observé certaines procédures tout en en ignorant
d’autres. Des ordonnances judiciaires ont été prononcées, des représentants
de l’administration étaient présents, les personnes exécutant la
procédure étaient correctement identifiées et les expulsions ont été
repoussées en cas de mauvais temps. Cependant, il n’y a eu aucune
consultation, le consentement éclairé du groupe concerné n’a jamais
été sollicité ou donné, le délai de préavis était généralement très
court (parfois seulement 48 heures) et les expulsions ont été menées
indépendamment du fait que les intéressés aient accès ou non à un
recours ou à une assistance juridique.
40. Toutes les PDI vivant dans un centre n’étaient pas dans l’incapacité
de trouver un autre logement ou de payer un loyer. Certains expulsés
ont pu se rabattre sur d’autres solutions. Cependant, ceux pour
qui la vie en centre n’était pas un choix sont devenus encore plus
vulnérables. Si une alternative ne leur est pas proposée, nous ignorons
ce qu’ils vont devenir. Le cas de ces personnes mérite manifestement
une attention particulière, mais le gouvernement n’a ni procédé
au cas-par-cas, ni suivi la situation des personnes expulsées, si
bien qu’il ignore leurs besoins actuels en termes de logement. A
la réception de l’ordre d’expulsion, certaines personnes ont lancé
un appel collectif au Président Kadyrov et au Maire de Grozny leur
demandant de renoncer à l’expulsion ou de trouver une alternative
pour les loger.
41. L’insécurité reste un problème pour les PDI et celles ayant
regagné leur domicile en Tchétchénie. Comme leurs voisins, elles
vivent au milieu d’une violence persistante et sont exposées aux
risques liés aux mines et aux munitions qui n’ont pas explosé et
sont toujours présentes dans les zones rurales
. Le Président Medvedev
a demandé aux ministères de la Défense et des Situations d’urgence
d’achever les travaux de déminage en Tchétchénie, mais il semble
que le processus soit retardé faute de financement
.
5.2. Ossétie du Nord
5.2.1. Progrès
42. Les retours en Ossétie du Nord ont été facilités.
Des écoles, des crèches, des cliniques et des complexes sportifs
ont été rénovés dans plusieurs villages et des centaines de manifestations
ont été organisées depuis 2003 pour rapprocher les Ingouches et
les Ossètes à tous les niveaux de la société
.
Plus de 4 000 familles ingouches (21 823 personnes) ont bénéficié
d’une aide au retour
. En 2005, 19 530 personnes avaient touché
une aide au relogement, pour un total de plus de 1,35 milliard de
roubles (32,5 millions d’euros).
43. Les PDI ne pouvant rentrer chez elles ont été accompagnées
dans leur installation, ailleurs en Ossétie du Nord
.
Plus de 5 000 déplacés ont reçu pour cela une aide de l’Etat, qu’ils
aient ou non le statut de migrants forcés. Deux villages ont été
construits pour ce groupe sur le territoire des communes de Maïskoye
et de Novy, dans le district de Prigorodny. Des terrains ont été
attribués, des fermes mises en œuvre et une aide a été apportée
aux petites entreprises. Votre rapporteur a eu la possibilité de
se rendre dans ces deux villages et a constaté que les travaux de
construction étaient bien en cours, tout comme la création d’infrastructures
et la pose de canalisations de gaz. Bien que ces villages soient
actuellement majoritairement ingouches, les autorités prévoient
d’encourager les personnes d’ethnie russe et ossète à s’installer
à Maïskoye, ce qui est à saluer. En revanche, votre rapporteur exprime
des réserves quant à la manière dont certains financements fédéraux
sont utilisés. Par exemple, un énorme complexe scolaire moderne
est en cours de construction à Novy, prévu pour 560 élèves alors
qu’il n’y a actuellement qu’une centaine d’enfants d’âge scolaire
dans le village.
5.2.2. Difficultés
44. Les PDI se heurtent à plusieurs difficultés pour
trouver des solutions de logement durables. Leur domicile d’origine
a été soit détruit, soit illégalement occupé et/ou vendu; ils ont
perdu leurs titres de propriété ou n’ont pas les moyens de reconstruire
une maison
.
Certains déplacés du district de Prigorodny ont eu le plus grand
mal à obtenir un nouveau passeport avec enregistrement comme résidents
permanents dans leur localité d’origine, étape importante pour pouvoir
prétendre à une aide au logement au moment du retour. Les PDI n’ayant
pas le statut de migrants forcés ou enregistrées en Ossétie du Nord
uniquement comme résidents temporaires n’ont pas droit aux aides
prévues par le programme de développement social du district de Prigorodny
. Les intéressés
expliquent également que les emplois sont rares, ce qui ne les aide
pas à améliorer leurs conditions de logement et leur situation en
général
.
45. Pour certaines PDI, les perspectives de retour ont été limitées
par la persistance des tensions entre les communautés ingouche et
ossète. Ces tensions sont particulièrement vives depuis des drames
tels que l’attentat à la bombe perpétré sur un marché dans la capitale
de la république, Vladikavkaz, en 2010
.
Le gouvernement a réagi en prenant des mesures juridiques pour limiter
les retours vers certains villages d’ethnies mixtes dans le district
de Prigorodny, y compris en déclarant certains villages «zones de conservation».
Les déplacés concernés par ces mesures se sont vus proposer des
terrains dans d’autres villages du district mais certains ont refusé,
insistant sur leur droit à retrouver leur domicile. Certaines administrations
locales ont également empêché les retours en interdisant d’utiliser
l’aide au relogement pour acheter ou construire des logements sur
leur territoire.
5.3. Ingouchie
5.3.1. Progrès
46. L’Ingouchie a été pendant longtemps le seul lieu
de refuge sûr pour les PDI, qui ont d’abord été hébergées dans des
campements de tentes et dans des habitats temporaires. Mais les
camps ont été fermés en 2004 et les plupart des déplacés vivent
maintenant dans des hébergements privés ou dans des installations temporaires
administrées par le gouvernement ou par des bailleurs privés. Ces
dernières années, les autorités ingouches ont encouragé l’intégration
locale des PDI en provenance de Tchétchénie et d’Ossétie du Nord.
Les enfants autochtones et ceux de familles déplacées ont d’abord
reçu une instruction séparée, mais fréquentent maintenant les mêmes
écoles
.
47. Votre rapporteur souhaite féliciter le gouvernement ingouche
pour sa vision particulièrement claire et son approche pragmatique
dans ses efforts pour offrir des solutions de logement pérennes
aux déplacés en provenance de Tchétchénie et d’Ossétie du Nord.
Il reste aujourd’hui 608 familles de déplacés d’Ossétie du Nord
et 1 400 de Tchétchénie souhaitant s’installer en Ingouchie. Le
gouvernement fermera d’ici fin 2011 les hébergements temporaires
qui abritent les PDI depuis de nombreuses années. Votre rapporteur
a visité deux de ces centres, qu’il a trouvés dans des conditions
sanitaires déplorables. Tout en comprenant la nécessité de les fermer,
il entend également les préoccupations des résidents, qui craignent
d’être expulsés sans un endroit où aller. M. Moussa Tchiliev, chef
du gouvernement ingouche, a confirmé lors de sa rencontre avec votre rapporteur,
le 23 septembre 2011, que certaines familles se verraient proposer
des appartements à Magas et que d’autres recevraient une aide pour
louer un logement sur le marché privé. La petite République d’Ingouchie subventionne
déjà les loyers à hauteur de 107 millions de roubles en 2011 et
le nouveau programme de développement socio-économique 2012-2016
permettra d’apporter une réponse au problème. Votre rapporteur reste
toutefois préoccupé par le fait que, trois mois avant la fermeture
prévue des hébergements temporaires, le gouvernement ne semblait
pas avoir de plan de relogement clair. En écho à l’ombudsman ingouche,
il encourage les autorités à mieux faire connaître leurs projets
aux personnes concernées et avec suffisamment d’avance.
5.3.2. Difficultés
48. En Ingouchie comme en Tchétchénie, les PDI connaissent
encore des conditions de vie médiocres en raison du chômage et de
l’insuffisance des programmes de dédommagement pour les biens détruits.
Plus de 50% des PDI sont sans travail, chômage important qu’elles
expliquent de la même manière que leurs homologues de Tchétchénie
. Les déplacés vivant en hébergement
temporaire subissent des conditions beaucoup plus dures que ceux
logés dans le secteur privé; on peut même dire qu’ils sont les plus
mal lotis de toutes les PDI de la région. Certaines personnes ayant
le statut de migrant forcé pourraient bénéficier du programme ingouche
de développement socio-économique pour 2010-2016, mais les travaux
de construction de logements ne devraient pas commencer avant 2013.
6. Rôle des organisations non gouvernementales
49. Plusieurs ONG de Caucase du Nord offrent des conseils
juridiques aux PDI, aux personnes de retour et aux réfugiés. La
plupart des consultations portent sur les aides sociales, le logement,
les documents officiels et l’enregistrement – une aide étant également
fournie pour mener à bien des démarches administratives ou des procès.
Certaines ONG, comme Memorial et Vesta, sont à saluer pour leur
travail d’assistance juridique et de lutte contre les expulsions,
parfois accompli dans des circonstances très difficiles, notamment
en Tchétchénie. Les financements étrangers restent vitaux pour les
ONG locales de travail humanitaire et de défense des droits de l’homme,
qui ne sont pas financées par les donateurs russes au motif que
leur travail peut revêtir un aspect politique.
50. Les Nations Unies auront entièrement quitté le Caucase du
Nord fin 2011 et ne lanceront pas de nouveau projet destiné aux
PDI dans la région. Le Danish Refugee Council restera par conséquent
le seul organisme international spécialisé dans les déplacements
forcés à disposer d’un bureau dans la région. Il coordonne de petits
projets de logement, d’assistance juridique et de génération de
revenus en Tchétchénie, en Ingouchie et en Ossétie du Nord. L’Office
humanitaire de la Commission européenne (ECHO), qui est depuis de
nombreuses années le plus important donateur dans la région, a décidé
que le cycle de financement de 2010 pour le Caucase du Nord serait
le dernier.
7. Conclusions et perspectives d’avenir
51. Malgré les importants efforts des autorités russes,
les PDI et les personnes de retour au Caucase du Nord ont toujours
beaucoup de difficultés à trouver une solution durable, ce qui signifierait
qu’elles sont rentrées chez elles, se sont intégrées localement
ou se sont installées ailleurs dans le pays, qu’elles n'ont plus besoin
d’aide ou de protection et qu’elles peuvent jouir de leurs droits
fondamentaux sans discrimination. Les principaux obstacles qu’elles
rencontrent sont l’inadaptation de leur logement, l’inefficacité
des programmes de dédommagement pour les biens détruits, des difficultés
à obtenir des papiers, un choix de lieu de résidence limité, le
chômage et une insécurité persistante.
52. Bien que des progrès substantiels aient été accomplis dans
la revitalisation de la région, la recherche de solutions durables
est entravée par une corruption bien installée, par un manque de
volonté politique de s’occuper des citoyens ordinaires et par les
attentes de l’administration locale envers le gouvernement central, censé
fournir toutes les solutions. En outre, les PDI ne sont pas assez
suivies, il n’y a pas assez de mesures ciblées destinées aux plus
vulnérables d’entre elles, et les PDI ne participent pas assez à
la conception et à l’organisation de solutions durables les concernant.
53. Face à ces problèmes, les pouvoirs publics devraient améliorer
leurs réponses à tous les niveaux.
54. Premièrement, la législation russe concernant les déplacements
à l’intérieur d’un pays n’est pas conforme aux normes internationales
et n’est pas appliquée avec cohérence. Certaines PDI ont donc été exclues
du champ de l’aide publique. Il conviendrait d’aligner la législation
relative aux PDI sur les normes internationales et de l’appliquer
avec cohérence.
55. Deuxièmement, il n’existe pas d’informations complètes concernant
les principaux défis soulevés par les déplacements de population.
La législation et les politiques locales ne préconisent pas l’organisation d’enquêtes
et il n’y a pas eu de volonté politique de suivre la situation des
déplacés et de rechercher des solutions durables. Une évaluation
des solutions durables qui ont pu être trouvées devrait être menée,
en partant de la définition des PDI proposée par les Principes directeurs
des Nations Unies relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur
de leur propre pays. Les principales difficultés rencontrées par
les intéressés du fait de leur déplacement devraient être traitées
dans le cadre de programmes de développement, existants ou nouveaux,
en donnant la priorité aux personnes les plus vulnérables.
56. Troisièmement, l’aide publique au relogement s’est avérée
insuffisante et inadaptée. Les programmes de dédommagement ont eux
aussi montré leur inefficacité: les sommes accordées ne suffisent
pas pour reconstruire ou acheter un logement, les programmes sont
minés par la corruption et toutes les personnes dépossédées ne peuvent
prétendre à un dédommagement. De nombreuses PDI continuent donc
de vivre dans des conditions indignes. Une enquête sur les besoins
en logement des PDI devrait être menée, en partant de la définition
des PDI proposée par les Principes directeurs. Les personnes ayant
besoin d’un logement permanent devraient être prioritaires dans
les programmes de logements municipaux et d’aides au loyer, et dans
le programme fédéral pour le logement.
57. Quatrièmement, les possibilités d’emploi sont rares dans la
région et certaines PDI ont du mal à se faire enregistrer comme
résidents, condition nécessaire pour prétendre à un emploi dans
le secteur formel. D’autres ne peuvent travailler pour diverses
raisons: famille à charge, handicap, faible niveau d’instruction,
présence de mines sur les terres. En conséquence, les PDI ne sont
pas autonomes et dépendent des allocations publiques, qui sont leur
principale source de revenus. Une évaluation des possibilités de
revenus devrait être menée et les PDI devraient être prioritaires
dans le cadre des formations professionnelles et des autres initiatives
de soutien à l’emploi prévues par les projets de développement en
cours.
58. Cinquièmement, les possibilités d’installation ouvertes aux
PDI sont limitées, y compris pour ceux qui souhaitent rentrer dans
la région. Certaines personnes ne possèdent pas de titre d’occupation
pour leur ancien domicile ou n’ont pas les moyens de le reconstruire.
Le manque d’infrastructures et le fait que leur domicile ait été
réoccupé constituent aussi des obstacles au retour. Les déplacés
qui souhaitent s’intégrer au niveau local ont du mal à se faire
enregistrer sur leur lieu actuel de résidence, et en Tchétchénie
les PDI ne peuvent prétendre à une aide au relogement en dehors
de leur localité d’origine. Les administrations fédérales et locales
devraient créer les conditions et fournir les moyens nécessaires
pour que les PDI puissent vraiment choisir entre le retour, l’intégration
locale ou l’installation dans un autre lieu. La municipalité de
Grozny devrait mettre fin à l’impossibilité, pour les PDI non originaires
de Grozny, de prétendre à une aide au relogement durable dans cette
ville.
59. Enfin, l’insécurité règne encore au Caucase du Nord. L’insurrection
n’a pas été vaincue et le sol est encore chargé de mines et de munitions
n’ayant pas explosé. C’est là un obstacle majeur à l’obtention de solutions
durables pour les PDI. Des mesures devraient être prises pour assurer
la sécurité physique des PDI et pour veiller à ce que leur retour,
leur intégration locale ou leur installation ailleurs soient durables,
y compris en garantissant la prééminence du droit.