1. Introduction
1. La violence psychologique est une question sensible,
même après le tournant qu’a constitué l’ouverture à la signature,
en mai 2011, de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention
et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique (Convention d’Istanbul, STCE no 210), dont un article est
consacré à la violence psychologique. Cette disposition érige en
infraction pénale le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement,
de porter gravement atteinte à l’intégrité psychologique d’une personne
par la contrainte ou les menaces.
2. Malgré cette étape importante, la question de la violence
psychologique demeure sensible, essentiellement parce qu’il est
extrêmement difficile de prouver «la nature pénale d’un comportement
violent qui se produit dans le temps», selon les termes du rapport
explicatif de la convention (paragraphe 181) – étant donné que les
cicatrices laissées par ce comportement violent sont psychiques
et non corporelles
.
3. C’est pourquoi je voudrais féliciter la rapporteure de la
commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes,
Mme Elvira Kovács, qui est parvenue à traiter cette question de
façon complète et équilibrée. Je tiens aussi à saluer son courage,
car révéler que l’on a soi-même été victime de violence dans une
relation passée n’est pas chose facile. En fait, il est souvent
difficile de reconnaître que l’on est victime de violence psychologique
jusqu’à ce que l’on ait la force de sortir de la relation de maltraitance
.
2. Les enfants, victimes secondaires de la violence
domestique: la contribution de la Convention d’Istanbul
4. La violence psychologique, qui est le plus souvent
exercée par des hommes à l’encontre de femmes avec lesquelles ils
ont une relation intime, touche non seulement les femmes en tant
que victimes, mais aussi les enfants qui sont témoins de cette violence
.
Si l’on entend par violence psychologique des mots ou des actes
de l'agresseur qui mettent la victime en situation de soumission,
il est évident que, dans un tel foyer, les enfants ne peuvent se
sentir soignés et protégés. L’Assemblée parlementaire a déjà traité
l’an dernier de la question plus large des «enfants témoins de violence
domestique», en s’appuyant sur un rapport établi pour la commission
des questions sociales, de la santé de la famille par Mme Carina
Ohlsson (Suède, SOC)
,
qui a donné lieu à l’adoption de la
Résolution 1714 (2010) et de la
Recommandation 1905 (2010).
5. Dans ces textes, l’Assemblée a réaffirmé que les situations
d’enfants témoins de violence domestique ainsi que les dangers spécifiques
auxquels ils sont exposés sont trop souvent négligés lorsqu’il est
question des politiques y afférentes. Elle considérait par conséquent
que le renforcement d’une action spécifique en faveur de ces enfants
est nécessaire à tous les niveaux politiques et qu’il doit prendre
en compte différents aspects de l’impact spécifique de la violence
domestique sur les filles et les garçons. Elle invitait donc le
Comité des Ministres à charger le Comité ad hoc pour prévenir et
combattre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique
(CAHVIO), qui élaborait à l’époque la Convention d’Istanbul, de
prendre en considération la question des enfants témoins de violence
domestique, en accordant aux enfants concernés, dans des articles
spécifiques de la future convention, un véritable statut de «victimes
secondaires».
6. Ces recommandations ont effectivement été prises en compte,
ce dont on ne peut que se réjouir. La Convention d’Istanbul reconnaît
dans son préambule «que les enfants sont des victimes de la violence domestique,
y compris en tant que témoins de violence au sein de la famille».
Parmi les dispositions importantes dans ce domaine, citons également
les suivantes:
Article 22 – Services de soutien spécialisés
2 Les Parties fournissent ou aménagent des services de soutien
spécialisés pour toutes les femmes victimes de violence et leurs
enfants.
Article 26 – Protection et soutien des enfants témoins
1. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres
nécessaires pour que, dans l’offre des services de protection et
de soutien aux victimes, les droits et les besoins des enfants témoins
de toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application
de la présente convention soient dûment pris en compte.
2. Les mesures prises conformément au présent article incluent
les conseils psychosociaux adaptés à l’âge des enfants témoins de
toutes les formes de violence couvertes par le champ d’application
de la présente convention et tiennent dûment compte de l’intérêt
supérieur de l’enfant.
Article 31 – Garde, droit de visite et sécurité
1. Les Parties prennent les mesures législatives ou autres
nécessaires pour que, lors de la détermination des droits de garde
et de visite concernant les enfants, les incidents de violence couverts
par le champ d’application de la présente convention soient pris
en compte.
Article 46 – Circonstances aggravantes
Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires
afin que les circonstances suivantes, pour autant qu’elles ne relèvent
pas déjà des éléments constitutifs de l’infraction, puissent, conformément
aux dispositions pertinentes de leur droit interne, être prises
en compte en tant que circonstances aggravantes lors de la détermination
des peines relatives aux infractions établies conformément à la
présente convention: (…)
d. l’infraction a été
commise à l’encontre ou en présence d’un enfant;
Article 56 – Mesures de protection
Un enfant victime et témoin de violence à l’égard des femmes
et de violence domestique doit, le cas échéant, se voir accorder
des mesures de protection spécifiques prenant en compte l’intérêt
supérieur de l’enfant.
3. Le cas particulier des enfants en tant que victimes
secondaires de la violence psychologique
7. Dans son rapport de 2010, Mme Ohlsson mentionnait
une étude statistique selon laquelle tous les enfants séjournant
dans des foyers d’accueil pour femmes victimes de violence domestique
avaient été témoins de cruauté mentale à l’égard de leur mère
. Les enfants témoins de violence
psychologique sont trop souvent les victimes oubliées de cette maltraitance.
Le traumatisme et les effets préjudiciables causés par cette expérience
peuvent être considérables, même si cette forme de violence suscite
moins d’intérêt. Vu la gravité des répercussions de la violence
psychologique, nous devrions saisir cette occasion pour attirer l’attention
sur les souffrances des enfants en tant que victimes secondaires
de cette violence, afin que leurs droits ne soient plus lésés ni
leur intérêt supérieur négligé.
8. Les enfants exposés à la violence psychologique subissent
bien plus de stress affectif et sont beaucoup plus tourmentés que
les enfants qui grandissent dans un milieu familial aimant et sécurisant.
Il sentent que leurs parents entretiennent une relation dysfonctionnelle
– une relation d’inégalité, car l’auteur de violence psychologique
est en situation d’autorité et de domination par rapport à la victime.
Les enfants ressentent en direct la peur et le traumatisme affectif
éprouvés par la victime principale (généralement leur mère). Un
tel environnement est malsain pour le développement de l’enfant.
9. Le fait d’être témoin de violence psychologique peut avoir
des effets préjudiciables sur le développement de l’enfant, tels
que des troubles de la croissance cognitive et sensorielle. Chez
ces enfants, on observe souvent des changements comportementaux
(énurésie nocturne, troubles du sommeil, irritabilité); plus tard dans
la vie de l’enfant, ces problèmes peuvent s’intensifier jusqu’à
la dépression, aux pensées suicidaires et à l’automutilation. Le
développement social de l’enfant peut aussi être perturbé: il perd
la capacité de ressentir de l’empathie pour autrui et se sent socialement
isolé, car il est incapable de distinguer ce qui est ou non acceptable.
Enfin, l’enfant témoin de cette violence peut avoir des difficultés
à se concentrer et à fixer son attention, ce qui se répercute sur
son éducation
.
10. A long terme, le meilleur indicateur pour évaluer le risque
qu’un enfant prenne part à une forme ou une autre de violence domestique
une fois adulte, que ce soit en tant qu’auteur ou en tant que victime,
est le fait qu’il ait eu une expérience directe de violence domestique
étant jeune. Ainsi, le fait pour un enfant d’être témoin de violence
psychologique à la maison, en plus d’engendrer des obstacles qui
entravent son développement, peut enclencher un cercle vicieux de
reproduction de la violence.
11. Au-delà des effets directs de la violence psychologique, le
problème est d’autant plus grave que ce comportement intolérable
n’est pas reconnu à la maison et que rien n’est fait pour y remédier.
Si la vie continue comme si de rien n’était alors que les violences
se répètent, la victime de violence psychologique abaisse le niveau
de ce qui est acceptable. L’enfant apprend que l’on ne peut en parler
et que cela doit rester un secret de famille. Lorsque, en grandissant,
il commence à comprendre que ce comportement n’est pas normal dans une
famille, il ressent de la honte et a encore moins de chances de
s’épancher, même auprès d’une personne en qui il peut avoir confiance.
12. Ce milieu anxiogène est à l'opposé de ce dont un enfant a
réellement besoin, à savoir un environnement sécurisant, auprès
d’adultes qui l’aiment, prennent soin de lui et le soutiennent (et
ont des comportements analogues l’un envers l’autre). Les enfants
victimes secondaires de violence psychologique doivent apprendre que
la violence sous toutes ses formes est absolument condamnable et
savoir qu’il existe des dynamiques familiales différentes, plus
saines et plus heureuses. Il est également impératif qu’ils comprennent
qu’ils ne sont pas responsables de cette violence.
4. Conclusion et recommandation
13. La violence psychologique est une grave atteinte
aux droits humains qui touche non seulement la victime principale
mais aussi les enfants qui en sont témoins. Ces enfants ont besoin
et sont dignes de recevoir une aide (spécialisée), un soutien et
une protection. Il nous incombe de faire en sorte qu’ils en bénéficient.
14. Je soutiens sans réserve le projet de résolution présenté
par la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les
hommes, car je suis convaincue que son élément central (la recommandation
de signer et ratifier dans les meilleurs délais la Convention d’Istanbul)
permettra dans une large mesure de réaliser cet objectif si les
Etats membres lui donnent suite rapidement. Je voudrais toutefois
proposer trois amendements afin que les conséquences préjudiciables
que la violence psychologique au sein du foyer entraîne pour les enfants
qui en sont témoins soient dûment prises en compte.