1. Introduction
1. Le 17 décembre 2010, en Tunisie, un jeune marchand
ambulant, Mohammed Bouazizi, voit son chariot, son outil de travail,
qui lui permettait de survivre et de subvenir aux besoins de sa
famille, à nouveau confisqué par la police. Cet acte d’humiliation
n’est pas isolé, d’autres du même ordre surviennent tous les jours
en divers endroits du monde comme la manifestation de la tyrannie
sans fin de gouvernements qui dénient à leurs citoyens toute dignité.
Seulement cette fois, quelque chose de différent s’est passé: après
que les autorités locales ont refusé d’écouter ses doléances, ce
jeune homme, qui n’avait jamais été particulièrement actif en politique,
se rendit au quartier général de l’administration provinciale, s’aspergea
d’essence et s’immola par le feu
.
2. Parfois, au cours de l’histoire, les actes de gens ordinaires
sont à l’origine d’une dynamique de changement parce qu’ils expriment
un besoin inassouvi de liberté, ressenti de longue date, comme l’ont
fait les révolutionnaires américains ou Rosa Parks dans la perspective
du mouvement des droits civiques. C’est ce qui s’est passé en Tunisie
où l’acte de désespoir du jeune marchand ambulant, faisant écho
à la frustration accumulée dans tout le pays et à une soif sincère
de liberté, fit descendre des centaines de manifestants dans la
rue, puis des milliers, qui malgré les balles et les coups refusèrent
de se soumettre, jour après jour, semaine après semaine, jusqu’à
ce qu’un dictateur en place depuis plus de vingt ans quitte finalement
le pouvoir. C’est ainsi que, début janvier 2011, les troubles qui
suivirent, nourris par des conditions sociales et économiques médiocres,
ainsi que par le souhait du peuple de plus de liberté et d’une justice
honnête et indépendante, ont évolué vers un mouvement de protestation
au niveau national provoquant la démission du président Ben Ali
et sa fuite en Arabie saoudite
.
3. A sa partie de session de janvier 2011, l’Assemblée parlementaire
a tenu un débat d’urgence sur la situation en Tunisie, à l’issue
duquel elle a adopté la Résolution 1791 (2011)
.
A cette occasion, l’Assemblée a émis le souhait que la transformation
politique initiée par la population aboutisse à des changements démocratiques
durables tant en Tunisie que dans d'autres pays de la région et
a noté que les développements en Tunisie avaient déjà provoqué un
effet domino en Egypte.
4. En effet, toujours en janvier, des mouvements populaires de
protestation ont éclaté en Egypte forçant le Président Moubarak
à la démission. Depuis lors, ces soulèvements se sont étendus, comme
une traînée de poudre, dans plusieurs pays du monde arabe. Au Yémen,
en Jordanie, au Maroc, en Algérie, au Bahreïn et en Arabie saoudite,
les manifestants ont réussi à obtenir quelques avancées, ou parfois
seulement des promesses de réformes, dans certains cas au prix de
pertes en vies humaines et de violences policières.
5. En Libye, les protestations contre le régime du colonel Mouammar
Kadhafi, l'intransigeance du gouvernement et le bombardement de
la population ont débouché sur un conflit armé à grande échelle
entre les «rebelles» et les forces du colonel Kadhafi, entraînant
l'intervention d'une coalition dirigée par l'OTAN avec un mandat
des Nations Unies pour protéger la population civile. Plusieurs
milliers de personnes ont été tuées et plusieurs milliers d'autres
ont été blessées dans des combats entre les deux parties. Des centaines
de milliers de réfugiés ont fui vers les pays voisins ou directement
vers la Méditerranée, où près de 1 500 d’entre eux ont perdu la
vie.
6. En Syrie, les troubles ont commencé à la mi-mars. Au début,
le régime de M. Bachar el-Assad a répondu par des promesses, mais
il est vite revenu à une répression brutale, en attaquant les manifestants
non armés avec des troupes et des chars. Les organisations de défense
des droits de l’homme annoncent que plus de 1 100 personnes ont
été tuées depuis mars et 10 000 ont été arrêtées. Les fonctionnaires
contestent ces chiffres et disent que 100 soldats sont morts. Comme
en Libye, le gouvernement affirme qu'il «combat des terroristes».
7. Au Bahreïn, un tiers de la population (300 000 personnes)
a participé à des manifestations antigouvernementales, qui ont été
durement réprimées par la monarchie au pouvoir, avec le soutien
militaire de l'Arabie saoudite et des Emirats arabes unis. Selon
des estimations officielles prudentes, jusqu’à la fin mars 2011,
24 manifestants ont été tués. L'une des principales revendications
du mouvement de protestation a été une réforme constitutionnelle
pour permettre au parlement élu d’avoir les prérogatives législatives
exclusives. L'opposition bahreïnie a placé beaucoup d'espoir dans
un soutien international à son combat pour une réforme constitutionnelle
.
8. Le 8 mars 2011, la sous-commission sur le Proche-Orient de
la commission des questions politiques a tenu un échange de vues
sur la situation en Egypte avec M. Nasser Kamel, ambassadeur d’Egypte
en France, et M. Tewfik Aclimandos, historien spécialiste de l’Egypte,
et a décidé de continuer à suivre de près la situation.
9. Le 9 mars 2011, la commission des questions politiques a tenu
un échange de vues sur la situation en Tunisie avec la participation
de Mme Bochra Bel Haj Hmida, membre de la Commission nationale d’établissement
des faits sur les débordements commis durant les derniers événements
en Tunisie, Mme Sihem Bensedrine, porte-parole du Conseil national
pour les libertés en Tunisie, et M. Anouar Kousri, vice-président
de la Ligue tunisienne des droits de l’homme. La commission a aussi
décidé de demander au Bureau de l'Assemblée d’être saisie pour rapport
sur «La situation en Tunisie» dans la perspective d’un débat à l’Assemblée
pendant la partie de session de juin 2011. Ce débat a eu lieu le
21 juin 2011 et s’est conclu par l’adoption de la Résolution 1819.
10. Le 11 mars 2011, la Commission permanente a tenu un débat
d’actualité sur «La coopération entre le Conseil de l'Europe et
les démocraties émergentes dans le monde arabe», introduit par M.
Tiny Kox (Pays-Bas, GUE), avec la participation de M. Dominique
Baudis, président de l'Institut du monde arabe et vice-président
de la Commission des affaires étrangères du Parlement européen.
A cette occasion, la Commission permanente a renvoyé la question
à la commission des questions politiques pour rapport à la partie
de session de juin.
11. Pendant la partie de session d’avril 2011, l’Assemblée a tenu
un débat d’actualité sur la situation en Afrique du Nord, introduit
par M. Andreas Gross (Suisse, SOC).
12. La commission des questions politiques m'a nommé rapporteur
pendant la partie de session d'avril, en me demandant de préparer
un rapport pour la réunion de la commission les 30 et 31 mai 2011.
Ce délai extrêmement court m’a empêché de me rendre sur place pour
observer la situation, comme je le souhaitais. Ainsi, le rapport
est basé sur des observations indirectes. En accord avec la décision
de renvoi du Bureau du 15 avril 2011, j’ai également tenu compte
aussi de la proposition de résolution sur la pacification de la
région méditerranéenne (
Doc.
12550), présentée par Mme Nierenstein et plusieurs de
ses collègues.
13. La commission a tenu un premier échange de vues sur cette
question le 30 mai 2011 basé sur un premier projet de rapport et
m'a demandé de revoir le texte à la lumière de cet échange de vues.
Le présent rapport est le résultat de ce processus et je saisis
cette occasion pour remercier tous les collègues qui m'ont envoyé
leurs observations et leurs amendements, que j’ai dûment pris en
compte. J’ai notamment retiré de l'exposé des motifs l’analyse pays
par pays qui y figurait initialement.
14. La situation dans le monde arabe ne cesse de changer et le
résultat de l'agitation populaire est loin d'être limpide. Le présent
rapport doit donc être considéré comme une première approche de
l'Assemblée pour apporter son soutien sans équivoque à ceux qui
s’inspirent des valeurs défendues par le Conseil de l'Europe – démocratie,
droits de l'homme et Etat de droit – et de sa condamnation ferme
du recours à la violence contre les populations. Il a également
pour but de présenter quelques-uns des instruments que le Conseil
de l'Europe pourrait mettre à la disposition des démocraties émergentes
dans le monde arabe. Il est évident que la situation va évoluer
d’ici à octobre et la commission devra adopter un addendum à ce
rapport en vue de sa présentation en séance plénière lors de la
partie de session d’octobre.
15. L'attention de l'Assemblée devrait continuer à se concentrer
sur la région et un rapport spécifique sur la situation en Egypte,
à la lumière de ceux sur la situation en Tunisie, devrait être la
prochaine étape, notamment car des élections présidentielle et législatives
doivent y avoir lieu avant la fin de l'année. Il appartient à l’Assemblée
de décider de faire établir d’autres rapports sur les autres pays
de la région.
2. Analyse d’ensemble
16. Si, certes, il n’était pas raisonnablement possible
de prévoir l’ampleur des révoltes qui ont secoué le monde arabe
depuis quelques mois, certains facteurs étaient réunis pour qu’elles
se déclenchent, notamment:
- des
comportements abusifs de la police, des violations des droits de
l’homme et des phénomènes étendus de corruption;
- la détresse économique des populations et le prix élevé
des denrées;
- l’accessibilité des technologies de l’information et l’usage
élargi des réseaux sociaux.
17. A ces facteurs il faut ajouter en catalyseur la fin de la
peur: on assiste à une prise de conscience des peuples – et tout
particulièrement des jeunes qui constituent l’essentiel des populations
concernées – qui ont cessé d’avoir peur de leurs régimes respectifs
et de leurs dirigeants, ce qui rend désormais la contestation possible.
18. Cette prise de conscience se fait en outre dans un climat
de responsabilité de la part des acteurs de ces mouvements: ils
agissent avec responsabilité, détermination et maturité. Il s’agit
de la victoire d’un peuple et non d’un groupe politique ou religieux.
19. Ce n’est pas un hasard si la Tunisie et l’Egypte ont été les
deux premiers pays qui ont vu naître ces mouvements populaires.
En effet, la Tunisie et l’Egypte ont affiché une importante croissance
économique qui ne s’est pas accompagnée de changements sociaux.
L’évolution de la situation dans ces deux pays a permis aux jeunes,
qui n’avaient pas de perspectives d’avenir, d’accéder aux nouvelles
technologies de communication.
20. Les frustrations des jeunes, en particulier celles des jeunes
urbains avec un haut niveau d’éducation, sont d’abord économiques
et politiques. Elles ne sont pas religieuses, anticolonialistes
ou nationalistes.
21. Si ces événements sont comparés, par certains analystes, à
ceux qui ont amené la démocratie en Europe méridionale dans les
années 1970 et en Europe centrale et orientale dans les années 1990,
ils sont en fait de nature différente:
- il s’agit de véritables mouvements populaires, c’est-à-dire
n’émanant pas d’une opposition organisée et n’ayant pas de chefs
de file ;
- les régimes déchus (Tunisie et Egypte) étaient étonnamment
fragiles; leur chute n’a pas entraîné celle des régimes voisins
moins fragiles;
- il est apparu que les réseaux sociaux ont joué un rôle
majeur, à un point tel que CNN a proposé d’appeler ces révolutions
les «Révolutions Facebook»;
- les soulèvements ont une ampleur nationale et, d’une manière
générale, les populations se sont tournées vers l’Europe et vers
les Etats-Unis pour demander de l’aide, non pour les critiquer.
22. Rien ne garantit que les régimes qui succéderont aux tyrans
déchus seront des exemples de démocratie; il n’est pas exclu que
d’autres tyrans s’emparent du pouvoir, que des régimes militaires
ou théocratiques apparaissent ou qu’une absence prolongée d’autorité
ne dégénère en chaos. Il est nécessaire non seulement de ne pas
revenir en arrière mais aussi d’éviter certaines dérives, comme
celles de l’Iran ou de la Somalie.
23. Mais une chose est certaine et rend le rôle et la responsabilité
du Conseil de l’Europe plus importants: les jeunes qui se sont soulevés
se fondent sur les valeurs défendues par le Conseil de l’Europe;
démocratie, droits de l’homme et Etat de droit.
24. L’Europe, pour sa part, n’a pas vu venir les révolutions,
et ne s’y était pas préparée
.
25. Comme l’a fait remarquer l’Assemblée au cours du débat qu’elle
a tenu en janvier 2011 sur la Tunisie, l’Europe devrait faire son
autocritique pour avoir privilégié les contacts avec les dictateurs,
par souci de stabilité (Ben Ali et Moubarak étaient des membres
de l’Internationale socialiste), au lieu d’anticiper les soulèvements populaires,
et pour ne pas les avoir appuyés immédiatement. «Les sociétés tenues
par la force et la répression peuvent donner l’illusion de la stabilité
pour un certain temps, mais elles sont construites sur des lignes
de failles qui finissent par provoquer leur effondrement.»
L’Europe doit maintenant
faire tout son possible pour contribuer à une transition pacifique
vers la démocratie et vers le respect des droits de l’homme dans
les pays de son voisinage, avec humilité, dans le cadre d’un engagement
fondé sur des intérêts réciproques et un respect mutuel. Il faut
aussi qu’elle choisisse, une bonne fois pour toutes, l’approche
de la vérité et non celle du «politiquement correct», car l’intérêt
de l’Europe (et des Etats-Unis) n’est pas seulement dans la stabilité des
nations arabes mais aussi dans l’autodétermination des individus.
26. L’Europe est le voisin le plus proche, le marché naturel et
le partenaire évident du monde arabe.
3. Les enjeux
27. Les enjeux sont à la fois politiques et socio-économiques.
3.1. Un enjeu politique
28. La priorité consiste à assurer le succès de l’évolution
démocratique, permettant au peuple de se faire entendre, ce qui
passe nécessairement par un processus d’apprentissage de la démocratie
et de ses bonnes pratiques.
29. La situation de chaque pays est spécifique, il n’existe pas
de modèle unique transposable partout. Certains Etats ont amorcé
des réformes démocratiques d’envergure (Maroc) dont il reste à voir
si elles aboutiront, d’autres ont opté pour la répression à l’encontre
des populations, qui payent le prix du sang (Libye, Syrie), ce qui
du même coup disqualifie leurs dirigeants pour conduire ces pays
vers un nouvel avenir politique car ils perdent toute légitimité.
D’autres, enfin, essayent de gagner du temps (Yémen), sans comprendre
que la seule issue est le dialogue démocratique et la prise en compte
des attentes légitimes de leurs peuples
.
3.2. Un enjeu socio-économique
30. L’enjeu socio-économique est au moins aussi important
que l’enjeu politique. Il faudrait créer sans tarder une zone de
stabilité et de prospérité sur les rives sud et est de la Méditerranée
afin d’offrir des perspectives aux jeunes et sortir les peuples
de la pauvreté. Sinon, ils seront tentés par les extrêmes et risquent
de se jeter dans les bras des radicaux de tous bords, tâche d’autant
plus difficile dans le contexte budgétaire d’aujourd’hui.
31. Des aides se dessinent, tant dans le cadre de la politique
de voisinage de l’Union européenne, que de la politique arrêtée
par les Etats-Unis, mais des plaintes se font entendre aussi regrettant
la lenteur de l’intervention.
32. Faire émerger avec le monde arabe un espace de paix, de stabilité
et d’échange en Méditerranée est un enjeu aussi important pour les
pays de la région que pour l’Europe elle-même.
4. Le rôle de l’Europe
4.1. Au niveau politique
33. Au niveau politique, l’intervention de l’Europe doit
se concevoir selon quatre plans.
34. Il faut d’abord garantir que les droits de l’homme sont respectés.
Rappelons à cet égard le nouveau principe adopté à l’unanimité par
les Nations Unies en 2005 sur la responsabilité de protéger les
populations: «les gouvernements ont pour responsabilité de protéger
leur peuple contre les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité
et les génocides. Et s’ils ne le font pas, la communauté internationale
se reconnaît le droit de se substituer à eux»
.
La violence des régimes dictatoriaux de la région et la répression
à l’encontre des populations civiles doivent être fermement condamnées,
et les responsables doivent être traduits devant les juridictions
compétentes, y compris les juridictions internationales, et être
sanctionnés.
35. Il conviendra notamment de favoriser le respect de la liberté
d’expression, de la liberté de réunion, de la liberté de religion,
de l’égalité entre hommes et femmes, et du droit de choisir ses
dirigeants librement. «La mise en œuvre de la tolérance est particulièrement
importante lorsqu’il s’agit de religion. Souvenons-nous que sur
la place Tahrir l’on pouvait entendre des Egyptiens de toutes appartenances
crier ensemble "musulmans, chrétiens, nous ne faisons qu’un"»
. Il est donc essentiel
de veiller à ce que toutes les religions soient respectées et que
des ponts soient jetés entre elles. Dans une région qui a été le
berceau des trois principales religions, l’intolérance ne peut conduire
qu’à la souffrance et à la stagnation. Pour que le changement démocratique
voulu par les révolutionnaires arabes devienne une réalité, il faut
que les chrétiens coptes aient le droit de prier librement au Caire,
et que les chiites au Bahreïn aient le droit de ne pas voir leurs
mosquées détruites. Ce qui est vrai pour les minorités religieuses
l’est aussi en ce qui concerne les droits des femmes: l’histoire
montre que les Etats sont plus prospères et plus paisibles lorsque
les femmes ont les moyens de jouer un rôle important. C’est pourquoi
il est fondamental d’aider les femmes, que ce soit en matière de
santé, d’éducation, y compris pour enseigner, en matière économique
pour créer des entreprises, et d’une manière générale pour leur
permettre de faire entendre leurs voix et pour leur permettre de
se présenter aux élections
.
36. Il s’agit ensuite de fournir une assistance aux pays de la
rive sud de la Méditerranée dans leur évolution vers la démocratie
en partageant notre expérience et notre expertise en matière de
droit constitutionnel, de systèmes politiques, de libertés publiques
ou encore de liberté de la presse
. Dans ce contexte, il est
aussi important d’aider les pays concernés à développer une véritable
démocratie locale: par exemple, il n’est pas sain qu’une ville comme
Alexandrie, qui compte environ 5 millions d’habitants, soit dirigée
par un gouverneur nommé par le président du pays et ne dispose pas
d’un maire élu par la population
.
37. Il faut également «changer notre regard sur le monde arabe».
Les pays arabes sont souvent perçus à l’aune des prises d’otages,
d’une rhétorique violente, et d’attaques terroristes faisant de
nombreuses victimes. En outre, du fait de leur histoire coloniale,
beaucoup de pays européens pensaient bien connaître les sociétés arabes,
mais l’on s’aperçoit aujourd’hui de notre ignorance et de notre
incompréhension de bien des aspects de ces sociétés, en particulier
dans le domaine culturel, ce qui génère parfois un réel ressentiment
sur la rive sud de la Méditerranée. Il convient par exemple de faire
usage avec précaution du concept de laïcité, de manière à l’utiliser
plutôt dans un sens privilégiant un objectif égalitaire, plutôt
que d’en faire une laïcité qui pourrait être perçue comme une laïcité
de combat utilisée pour mettre en œuvre des discriminations. Aujourd’hui
nous devons prendre en compte l’expression de la société civile
arabe, que nous devons aider à être puissante et plurielle: écoutons
ce que nous disent les chefs d’entreprise, les associations, les
artistes, les étudiants et les jeunes qui s’impliquent politiquement
sur les réseaux sociaux. Il faut dialoguer avec tous ceux qui se
conforment aux règles du jeu démocratique, qui respectent la loi
et qui refusent la violence, même si l’on ne partage pas nécessairement
leurs idées, car la démocratie dépend non seulement des élections
mais aussi d’institutions fortes et stables et du respect des droits
des minorités. A ce titre, il faut aussi échanger avec les courants
islamistes qui respectent ces règles
.
38. Enfin, nous devons «trouver une issue aux principaux conflits
qui demeurent dans la région»: le conflit israélo-palestinien, avec
un Etat palestinien démocratique, la situation au Liban, avec un
«Liban souverain et libre de son destin», «la question iranienne»
pour parvenir à ce que le gouvernement de l’Iran garantisse à son peuple
«le respect des droits de l’homme, qu’il règle la question nucléaire
en accord avec la communauté internationale et développe une influence
positive dans la région
.
4.2. Au niveau socio-économique
39. L’Europe doit privilégier trois objectifs socio-économiques
prioritaires dans le monde arabe: le soutien à une croissance créatrice
d’emploi, l’accompagnement des mutations sociales et la préservation
de la mer Méditerranée, tout en tenant compte des contraintes qui
affectent les pays européens comme notamment les politiques migratoires
.
40. Le succès dans le temps du processus de transition démocratique
dans les pays arabes dépend étroitement de la croissance économique
et de la prospérité, fondée sur une base large et solide, que ces
pays seront à même de générer. Il est fondamental de créer la perspective
d’une économie moderne et prospère qui soit une force motrice pour
porter l’élan démocratique des pays arabes, comme la perspective
d’une adhésion à l’Union européenne a pu mobiliser les énergies
en Europe. Ainsi, si dans un premier temps il est indispensable
d’aider les pays concernés à faire face à leurs échéances et à récupérer
après les fortes perturbations subies par leurs économies du fait
des troubles inhérents à la quête de la démocratie, il conviendra
de rassembler les pays européens et les organisations internationales,
notamment celles à caractère financier, pour mettre en place un
plan de stabilisation et de modernisation des économies de la région.
Il importe en particulier de susciter et de faciliter l’investissement
dans ces pays, leur accès aux marchés, de faciliter les échanges
commerciaux, de dynamiser la création d’entreprises, de financer
la création d’infrastructures et d’emplois. Dans ce but, il est
essentiel de constituer des fonds d’investissement susceptibles
de drainer des capitaux vers les pays de la région, comme cela a
été fait au moment de la démocratisation dans les pays de l’ancien
bloc soviétique.
41. Il est souhaitable que les aides essentielles au redémarrage
économique des pays en transition, notamment au sud de la Méditerranée,
qui se dessinent tant dans le cadre de la politique de voisinage
de l’Union européenne que de la politique arrêtée par les Etats-Unis,
ne tardent pas à être effectivement mises à disposition des pays
concernés. S’il paraît normal qu’elles soient subordonnées à la
mise en œuvre des standards démocratiques, elles devraient néanmoins
tenir compte de l’orientation prise et de la volonté réelle de réforme
afin de privilégier les pays qui respectent leurs engagements en
matière de gouvernance et en matière des droits de l’homme
.
42. Le redressement et l’expansion économiques de ces pays, et
par voie de conséquence leur évolution démocratique, ne pourra se
faire de manière durable sans une lutte farouche contre la corruption
à tous les niveaux de la société, la suppression de la bureaucratie,
qui freine les énergies, et de la distribution d’avantages fondés
sur l’appartenance à une tribu ou à un groupe religieux
. Les
pays européens ont la responsabilité d’aider avec tous les moyens
possibles les pays arabes à atteindre ces objectifs. Les nouveaux gouvernements
arabes devront aussi être mis face à leurs responsabilités et en
assumer les conséquences.
43. En outre, il est essentiel de créer «des solidarités de fait
entre les deux rives» de la Méditerranée
, de répondre au
besoin de la jeunesse du sud de partager un destin collectif, au
besoin d’appartenance à une communauté extraterritoriale et au besoin
de communiquer avec l’extérieur, notamment en facilitant la multiplication
des échanges entre jeunes du Nord et du Sud, en facilitant la mobilité
des jeunes par l’obtention de visas et permis de travail pour les
étudiants qui auront démontré leurs capacités dans leur pays d’origine, de
manière à multiplier les partages d’expériences académiques, à venir
acquérir des compétences ou un savoir-faire dans un ou des pays
de l’autre rive
.
45. Au-delà des élites, il importe que nous atteignions «ceux
qui auront la responsabilité de façonner l’avenir, au premier rang
desquels se trouve la jeunesse»
.
46. Comme M. Juppé l’a souligné dans son discours à l’Institut
du monde arabe le 16 avril 2011: «Si nous n’arrivons pas à réduire
véritablement les écarts de développement entre le nord et le sud
des deux rives de notre mer commune, tous nos beaux discours ne
serviront à rien, ni sur le plan politique, ni sur le plan de la maîtrise
des flux migratoires. L’objectif est bien de permettre aux hommes
et aux femmes du sud qui le souhaitent de rester chez eux, d’y travailler,
d’y jouir des libertés fondamentales et d’une bonne qualité de vie.»
5. Ce que nous pouvons proposer
47. L’Europe a vécu les transitions démocratiques de
ses pays du Sud dans les années 1970 et de ses pays de l’Est dans
les années 1990. Le Conseil de l’Europe a joué un rôle considérable
dans ces changements et peut mettre son expérience au service des
pays arabes qui en feraient la demande.
48. Les transitions dans l’Europe du Sud et en Europe centrale
et orientale ont montré que chaque situation est unique, que chaque
peuple a ses spécificités. Il en est de même dans le monde arabe.
C’est donc à chaque peuple de créer son propre modèle en s’appuyant
sur ce qui existe.
49. Le Conseil de l’Europe a, en plus, plusieurs structures et
instruments qui pourraient être utiles: le Partenariat pour la démocratie,
les activités de coopération parlementaire, la Commission de Venise,
le Centre Nord-Sud, le Groupe Pompidou, le GRECO, MONEYVAL, le Conseil
de coopération pénologique, le Forum international de la démocratie
de Strasbourg, les programmes de coopération intergouvernementaux, notamment
dans le cadre de la nouvelle politique de voisinage, les programmes
de soutien aux structures locales et à la société civile, la Banque
de développement du Conseil de l'Europe, ainsi que des institutions des
droits de l’homme et des mécanismes de suivi qui, même s’ils ne
sont pas ouverts à des pays non membres du Conseil de l’Europe,
peuvent faire profiter les pays arabes de leur expérience ou de
leur «jurisprudence».
5.1. Le Partenariat pour la démocratie
50. Le statut de «Partenaire pour la démocratie», créé
par l’Assemblée en 2009, permet à des délégations parlementaires
de pays situés dans les régions voisines du Conseil de l'Europe
de participer aux activités de l’Assemblée, sous réserve de prendre
une série d’engagements, par exemple appliquer les valeurs défendues par
le Conseil de l'Europe, tenir des élections libres et équitables
ou travailler à abolir la peine de mort. Le statut a été octroyé
au Parlement du Maroc le 21 juin 2011 et une demande du Conseil
national palestinien est en cours d'examen.
5.2. Les activités de coopération parlementaire
51. Dans le cadre des activités de coopération parlementaire
de l’Assemblée, des programmes spécifiques à destination des parlements
nationaux des pays bénéficiant du statut de Partenaire pour la démocratie, pourraient
être développés pour répondre à leurs priorités dans le contexte
des réformes en cours.
52. Ces programmes de coopération, dont le financement devrait
être assuré dans le cadre des programmes conjoints avec l’Union
européenne et grâce à des contributions volontaires d’Etats membres, comprennent
deux axes principaux, leur contenu précis restant cependant à définir
en concertation avec chaque parlement: d’une part, le renforcement
du fonctionnement démocratique et des capacités techniques et administratives
des services de ces parlements; d’autre part, la familiarisation
des parlementaires et des fonctionnaires de ces parlements avec
les travaux de référence et les normes du Conseil de l’Europe dans
ses principaux domaines d’action, à travers des activités spécifiques
telles que séminaires, visites d’études, stages et ateliers thématiques.
5.3. La Commission de Venise
53. La Commission européenne pour la démocratie par le
droit (Commission de Venise) est un organe consultatif du Conseil
de l’Europe sur les questions constitutionnelles. Créée en 1990,
la Commission de Venise a joué un rôle essentiel dans l'adoption
de constitutions conformes aux standards du patrimoine constitutionnel
européen. Initialement conçue comme un instrument de l’ingénierie
constitutionnelle d'urgence dans un contexte de transition démocratique,
elle a évolué progressivement vers une instance de réflexion indépendante
reconnue internationalement.
54. La Commission de Venise contribue à la diffusion du patrimoine
constitutionnel européen, fondé sur les normes fondamentales du
continent, tout en continuant à assurer aux Etats le «dépannage
constitutionnel». En outre, la Commission de Venise joue un rôle
unique dans la gestion et la prévention des conflits à travers l’élaboration
de normes et de conseils en matière constitutionnelle.
55. La Commission de Venise est également ouverte aux Etats non
membres du Conseil de l’Europe. L’Algérie, le Maroc et la Tunisie
en sont membres. Depuis le début des soulèvements populaires en
Tunisie, la Commission de Venise s’est rapidement mobilisée pour
offrir son aide aux autorités transitoires tant dans le cadre de
la réforme électorale et la préparation d’élections que dans le
cadre de la réforme constitutionnelle. La commission des questions
politiques a facilité les contacts en invitant le Président de la
Commission de Venise à une audition à Paris en mars 2011 avec des
représentants de la société civile tunisienne. La coopération s’est
également intensifiée avec le Maroc, y compris dans le cadre de
l’examen par notre commission de la demande du statut de «Partenaire
pour la démocratie» déposé par le Parlement du Maroc
.
5.4. Le Centre Nord-Sud
56. Créé en 1989, le Centre européen pour l’interdépendance
et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud) a été mis en place
à Lisbonne. Son objectif est de fournir un cadre à la coopération
européenne pour sensibiliser davantage le public aux questions d’interdépendance
mondiale et promouvoir des politiques de solidarité conformes aux
objectifs et principes du Conseil de l’Europe (en particulier le
respect des droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit).
57. Le Centre est également ouvert à la participation d’Etats
non membres du Conseil de l’Europe. Le Maroc et le Cap-Vert sont,
jusqu’à maintenant, les seuls pays «du sud» à être membres du centre.
Le centre pourrait jouer un rôle important dans le contexte du «Printemps
arabe» et développer ses relations avec le pays du sud de la Méditerranée
si des ressources supplémentaires étaient mises à sa disposition.
5.5. Le Groupe Pompidou
58. La mission principale du Groupe Pompidou est de contribuer
à l'élaboration au sein de ses Etats membres de politiques en matière
de lutte contre la toxicomanie, multidisciplinaires, innovatrices,
efficaces et basées sur des connaissances validées. Le Groupe cherche
à relier les politiques, la pratique et la recherche scientifique.
Il se concentre également sur les problématiques locales liées à
la mise en œuvre des programmes relatifs aux drogues.
59. Le Groupe Pompidou poursuit aussi une fonction de liaison
entre les pays membres et non membres de l’Union européenne, ainsi
qu’avec des pays voisins de la région méditerranéenne. A cet égard,
il a mis en place le réseau MedNET: coopération en région méditerranéenne
sur les drogues et les addictions. L’Algérie, l’Egypte, la Jordanie,
le Liban, le Maroc et la Tunisie participent à différentes initiatives
dans le cadre du réseau.
5.6. Les programmes de soutien aux structures locales
et à la société civile
60. Créées par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
du Conseil de l’Europe, les Agences de la démocratie locale (ADL)
ont été conçues pour fournir une assistance aux municipalités ravagées
par la guerre en ex-Yougoslavie, grâce à un partenariat avec des
villes de l’Europe de l’Ouest. L’expérience acquise par les ADL
pourrait être mise au service des démocraties émergentes dans le
monde arabe qui le souhaiteraient.
61. Le Conseil de l’Europe a aussi un Centre d’expertise sur la
réforme de l’administration locale.
62. Dans les mots de son président, la Conférence des organisations
internationales non gouvernementales du Conseil de l’Europe, véritable
plate-forme des réseaux d’ONG en Europe, dispose de relais et de
liens forts avec les membres de leurs organisations dans plusieurs
de ces pays (Algérie, Maroc, Tunisie, Egypte, Libye). Elle est porteuse
de compétences et d’outils du dialogue de nature à aider les groupes
de population dans leurs efforts pour faciliter ce passage, ce changement
de régimes de pouvoirs. Elle peut et va agir complémentairement
aux Etats et aux organisations internationales pour soutenir la
volonté exprimée par des femmes et des hommes d’avoir un avenir
meilleur.
5.7. Le Forum international de la démocratie de Strasbourg
63. L’Assemblée parlementaire a proposé de regrouper
certaines activités afin de renforcer le pilier «Démocratie» du
Conseil de l’Europe dans un Forum international de la démocratie
de Strasbourg; il s’agit du Forum pour l’avenir de la démocratie,
des Ecoles d’études politiques et de l’Université d’été de la démocratie. Si
cette idée va de l’avant, le Forum international de la démocratie
de Strasbourg devrait envisager d’associer à ses travaux les pays
qui se situent au-delà des frontières de l’Europe, et notamment
les pays des rives méridionales et orientales du Bassin méditerranéen.
64. Le Forum pour l’avenir de la démocratiea
été mis en place lors du 3e Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement
du Conseil de l’Europe qui s’est tenu à Varsovie en mai 2005. Son
but est de renforcer la démocratie, les libertés politiques et la
participation des citoyens à travers des échanges d’idées, d’informations
et d’exemples de meilleures pratiques. Les propositions qui émergent
des discussions et portent sur des actions futures éventuelles contribuent
à renforcer les travaux du Conseil de l’Europe dans le domaine de
la démocratie. Il est envisagé d’inviter au Forum 2011 qui aura
lieu à Chypre en octobre des représentants des pays du sud de la
Méditerranée.
65. Les Ecolesd’études
politiques du Conseil de l’Europe ont pour ambition de former de
nouvelles générations de responsables politiques, économiques, sociaux
et culturels dans les pays en transition. Elles opèrent sous la
forme de cycles annuels de séminaires et conférences portant sur
des thèmes comme l’intégration européenne, la démocratie, les droits
de l’homme et l’Etat de droit, auxquels participent des experts
nationaux et internationaux.
66. L'Université d'été de la démocratie du Conseil de l’Europe
est devenue au fil des ans un rendez-vous majeur pour les jeunes
responsables démocratiques de la nouvelle Europe pour débattre,
échanger et tenter de répondre aux défis majeurs de notre temps.
L'Université d'été de la démocratie est aussi un lieu privilégié de
rencontres régionales et bilatérales entre les écoles du réseau.
Devenus une partie intégrale du programme de l'Université d'été,
ces rendez-vous permettent d’établir des formes de dialogue informel
et approfondi.
5.8. La Banque de développement du Conseil de l'Europe
67. La Banque de développement du Conseil de l'Europe
(CEB) est une banque multilatérale de développement à vocation sociale.
Créée en 1956 afin d'apporter des solutions aux problèmes des réfugiés, elle
s’est depuis lors adaptée à l’évolution des priorités sociales,
pour mieux contribuer aurenforcement
de la cohésion sociale en Europe.
68. La CEB représente un instrument majeur de la politique de
solidarité européenne, en vue d'aider ses 40 Etats membres à atteindre
une croissance durable et équitable: elle participe ainsi au financement
de projets sociaux, répond aux situations d’urgence et concourt
par là même à l’amélioration des conditions de vie des populations
les moins favorisées.
69. La banque est prête à aider, dans la mesure du possible, les
démocraties émergentes dans le monde arabe. De part son statut,
la CEB ne peut intervenir directement que dans ses Etats membres
mais elle est en train de préparer des propositions sur des modalités
concrètes d’intervention.
5.9. La politique de voisinage du Conseil de l’Europe
70. En février 2011, le Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe a préparé un premier «document de réflexion analytique
pour le débat thématique des Délégués des Ministres le 2 mars 2011»
intitulé «Une politique de voisinage pour le Conseil de l’Europe?»
.
Dans un deuxième document publié en avril 2011 et intitulé «Politique
de voisinage du Conseil de l’Europe»
, le Secrétaire
Général a présenté les grandes lignes d’une nouvelle politique de
voisinage du Conseil de l’Europe et a proposé les trois objectifs
suivants:
- faciliter la transition
politique démocratique (processus constitutionnel, législation électorale, organisation
et observation des élections);
- contribuer à promouvoir une bonne gouvernance dans les
pays voisins du Conseil de l'Europe, en s'appuyant sur les normes,
les mécanismes et les instruments pertinents de l'Organisation (indépendance
et fonctionnement de la justice, lutte contre la corruption, le
blanchiment de capitaux, etc.);
- renforcer et élargir l'action régionale du Conseil de
l'Europe en combattant les menaces qui existent à l'échelle mondiale
et au niveau des frontières, notamment la traite des êtres humains,
la cybercriminalité, le crime organisé et le terrorisme.
71. Dans sa présentation, le Secrétaire Général a précisé que
la nouvelle politique de voisinage doit être ciblée et adaptée et
qu’elle doit correspondre non seulement à un besoin qui existe réellement
mais aussi à l’existence d’un intérêt clairement exprimé et à l’engagement
concret des pays bénéficiaires.
72. Ce thème faisait partie bien évidemment de l’ordre du jour
de la 121e session du Comité des Ministres qui a eu lieu le 11 mai
2011 à Istanbul. Les ministres ont pris note des propositions du
Secrétaire Général relatives à «la politique du Conseil de l’Europe
à l’égard de son voisinage immédiat» en vue de promouvoir le dialogue
et la coopération avec les pays et les régions situés à proximité
de l’Europe qui sollicitent l’assistance du Conseil de l’Europe,
sur la base des valeurs communes de droits de l’homme, de démocratie
et d’Etat de droit. Les ministres ont également invité le Secrétaire
Général à élaborer des plans d’action pour la mise en œuvre de cette
politique, en vue de leur approbation par le Comité des Ministres, et
sont convenus de procéder à un premier examen des résultats de cette
nouvelle politique lors de sa prochaine session.
73. Enfin, l’Assemblée pourrait, pour sa part, lancer une réflexion
sur l’opportunité de réunir un sommet des chefs d’Etat et de gouvernement
des démocraties d’Europe et du sud de la Méditerranée avec pour
objectif de débattre au plus haut niveau politique de la coopération
entre le Conseil de l’Europe et les démocraties émergentes dans
le monde arabe.
6. Conclusions
74. L’Europe ne peut regarder l’histoire se faire en
restant les bras croisés devant cet élan prodigieux de liberté qui
a surgi dans les pays du sud de la Méditerranée.
75. L’Europe qui se targue d’avoir tant œuvré pour la civilisation,
d’avoir forgé des modèles à vocation universelle de démocraties,
l’Europe qui prétend combattre la discrimination, l’intolérance
et la xénophobie, qui défend les minorités et le projet d’une société
multiculturelle, cette Europe-là doit se montrer à la hauteur des circonstances,
prendre conscience de l’ampleur des changements et de sa responsabilité
historique. Elle doit maintenant tendre la main aux pays arabes
sur la voie de la démocratie, et en premier lieu à ceux qui sont
ses voisins. Ceux-ci doivent envisager l’application des mêmes principes
en mettant en œuvre les mêmes acquis et les mêmes mécanismes permettant
de les faire respecter.
76. La seule détermination des grands ensembles politiques selon
des critères géographiques a fait son temps. Il faut prendre conscience
collectivement que nous avons changé d’époque. Si les peuples d’Egypte, de
Libye, de Tunisie et d’ailleurs ont fait l’effort de secouer le
joug de la dictature et peut-être aussi de l’extrémisme religieux,
il faut les aider, non pas dans une relation de maître à élève,
mais dans le cadre d’une relation de partenariat, dans un nouveau
projet politique commun pour la démocratie et la justice, pour la liberté.
77. Il est temps de créer une «maison commune» des démocraties.
Le Conseil de l’Europe est l’organisation qui est allée le plus
loin dans le rapprochement des peuples de ses 47 Etats membres,
qui a une expérience reconnue et qui a accompagné les pays de l’Est
dans leur transformation démocratique. Il dispose d’outils et de
mécanismes permettant non seulement le développement de normes communes,
pour la réalisation d’un espace juridique commun respectueux du
principe de la prééminence du droit et des droits de l’homme et
pour l’approfondissement du caractère démocratique des réformes,
mais aussi un système de veille et de contrôle de ces normes.
78. Il faut maintenant une volonté politique pour donner au Conseil
de l'Europe une nouvelle impulsion historique. Il faut que les Etats
européens acceptent de mettre leurs valeurs à l’épreuve, au-delà
des frontières de leur continent, et de lier leur destin plus étroitement
avec d’autres pays qui aspirent à la démocratie et qui acceptent
de se soumettre aux mêmes normes et contrôles. Un tel projet suppose
aussi que les hommes et les femmes qui sont actuellement aux affaires
dans les pays du sud de la Méditerranée et qui ont la responsabilité
de mener leur pays sur un chemin nouveau sans tomber dans les travers
du passé aspirent à autre chose qu’à une simple aide économique
de l’Europe et adoptent les valeurs communes de tolérance et de
respect des libertés. Le Conseil de l’Europe pourrait ainsi mettre
à leur disposition ses structures pour œuvrer au plus près des préoccupations
des citoyens et de relever ensemble les principaux défis politiques
de nos sociétés.
79. Comme l’a mentionné le Président de l’Assemblée le 11 mai
2011 à Istanbul, il faut sérieusement envisager de réunir un sommet
des chefs d’Etat et de gouvernement des démocraties d’Europe et
du sud de la Méditerranée dans une démarche fondatrice avec pour
objectif de débattre de la coopération entre le Conseil de l’Europe
et les démocraties émergentes dans le monde arabe. L’Assemblée parlementaire,
avec son statut de «Partenaire pour la démocratie», ouvre la voie
mais il faut aller encore plus loin.
80. C’est aux Etats arabes qu’il appartient de faire leurs choix,
mais l’Europe doit se montrer à la hauteur des circonstances. Si
elle manque aujourd’hui d’ambition et d’une vision politique d’avenir
claire, démocratique, porteuse d’espoir, elle léguera aux générations
futures un environnement toujours marqué par des dissensions politiques,
culturelles, religieuses qui pourraient devenir insurmontables et
tôt ou tard se retourner contre elle.