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Rapport | Doc. 12553 | 25 mars 2011

La dimension religieuse du dialogue interculturel

Commission de la culture, de la science et de l'éducation

Rapporteure : Mme Anne BRASSEUR, Luxembourg, ADLE

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau. Renvoi 3720 du 8 octobre 2010. 2011 - Deuxième partie de session

Résumé

La diversité culturelle qui caractérise les sociétés européennes est devenue source de tensions et de clivages qui brisent la cohésion sociale. Pour la commission de la culture, de la science et de l’éducation, il faut développer une nouvelle culture du vivre ensemble, en partant de l’affirmation de l’égale dignité de toutes les personnes et de l’adhésion sans réserve aux principes démocratiques et aux droits de l’homme.

Le rapport invite à bâtir sur ce qui nous unit, au lieu d’insister sur ce qui nous sépare, et souligne l’importance de la dimension religieuse du dialogue interculturel pour la promotion des valeurs qui constituent le socle commun de toute société démocratique. Le rapport rappelle l’importance du système éducatif pour promouvoir la compréhension réciproque et l’apprentissage de ces valeurs; il prône le développement du dialogue aux niveaux local et régional et une collaboration dynamique entre les institutions publiques, les communautés religieuses et les groupements s’inspirant d’une vision non religieuse.

Se fondant sur le contenu du rapport, la commission propose: de promouvoir un partenariat pour la démocratie et les droits de l’homme entre le Conseil de l’Europe, les religions et les principales organisations humanistes; d’établir, à cette fin, une plate-forme de dialogue stable, visant à favoriser l’engagement actif de toutes les parties prenantes dans des actions de promotion des valeurs fondamentales de l’Organisation; d’y associer l’Union européenne et d’inviter l’Alliance des civilisations et éventuellement d’autres partenaires à y contribuer.

A. Projet de recommandation 
			(1) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 18 mars
2011.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire constate l’intérêt grandissant que les questions concernant le dialogue interculturel soulèvent dans un contexte européen et mondial où les efforts de rapprochement et de collaboration entre communautés au sein de nos sociétés et entre les peuples, pour construire ensemble le bien commun, sont mis constamment en danger par des incompréhensions, de fortes tensions, voire par des actes barbares de haine et de violence.
2. L’Assemblée se réjouit de la dynamique positive qui se développe au sein du Conseil de l’Europe et favorise une approche intégrée des questions concernant le dialogue interculturel et sa dimension religieuse. Le «Livre blanc sur le dialogue interculturel – Vivre ensemble dans l’égale dignité» et les rencontres annuelles organisées par le Comité des Ministres sur «La dimension religieuse du dialogue interculturel» sont en quelque sorte l’aboutissement de cette approche.
3. L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme («la Convention», STE no 5) garantit le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Cette liberté représente l’une des assises d’une «société démocratique» au sens de la Convention; elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents.
4. L’affirmation de ce droit inaliénable implique la liberté pour chacun d’avoir (ou non) une religion et de manifester sa religion individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. Les Eglises et communautés religieuses ont, en Europe, le droit d’exister et de s’organiser de manière autonome. Néanmoins, la liberté de religion ainsi que la liberté d’avoir une vision philosophique ou laïque du monde sont indissociables de l’acceptation sans réserve, de la part de tous, des valeurs fondamentales inscrites dans la Convention.
5. Ces valeurs doivent nous rassembler, mais il est également important de reconnaître les différences culturelles qui existent entre personnes de convictions différentes. Les différences, dans la mesure où elles sont compatibles avec le respect des droits de l’homme et des principes à la base de la démocratie, ont non seulement le droit d’exister mais contribuent également à la détermination de l’essence de nos sociétés plurielles.
6. Le modèle européen est par définition multiculturel et il faudrait prendre en considération les différences résultant d’un vécu historique diversifié. Néanmoins, les valeurs communes telles que le respect mutuel, la protection des droits fondamentaux, la démocratie, la tolérance, l’acceptation que les différences sont un fait normal et la vision d’un futur commun doivent être renforcées davantage.
7. Le problème réside souvent dans notre attitude face à la diversité. L’Assemblée insiste sur la nécessité pour chacun d’apprendre à partager ses différences de manière positive et à accueillir l’autre avec les siennes, afin de construire des sociétés cohésives, ouvertes à la diversité et respectueuses de la dignité de toute personne. A cette fin, l’Assemblée est persuadée de l’importance de la dimension religieuse du dialogue interculturel, ainsi que de la collaboration entre les communautés religieuses, pour la promotion des valeurs qui constituent le socle commun de nos sociétés européennes et de toute société démocratique.
8. L’Assemblée estime qu’il est non seulement souhaitable, mais nécessaire que les diverses Eglises et communautés religieuses – et notamment les chrétiens, les juifs et les musulmans – se reconnaissent réciproquement. Il est également indispensable que les gens de toutes les convictions et visions du monde, soient-elles religieuses ou non, acceptent d’intensifier le dialogue en s’appuyant sur la commune affirmation de l’égale dignité de toutes les personnes et sur l’adhésion sans réserve aux principes démocratiques et aux droits de l’homme. Ce sont là deux conditions essentielles pour développer une nouvelle culture du vivre ensemble. L’Assemblée appelle donc toutes les Eglises et les communautés religieuses à poursuivre leurs efforts de dialogue, y compris avec les mouvements humanistes, afin de se mettre à l’unisson pour atteindre l’objectif d’une garantie effective de ces valeurs partout, en Europe et dans le monde.
9. Il incombe aux Etats de mettre en place les conditions nécessaires au pluralisme religieux et de convictions et d’assurer le respect effectif de la liberté de pensée, de conscience et de religion, tel que garanti par l’article 9 de la Convention.
10. L’Assemblée rappelle à cet égard l’obligation pour les Etats de veiller à ce que toutes les communautés religieuses qui acceptent les valeurs fondamentales communes puissent bénéficier de statuts juridiques appropriés garantissant l’exercice de la liberté de religion et d’éviter qu’un soutien privilégié accordé à certaines religions ne devienne, dans les faits, disproportionné et discriminatoire. Les Etats doivent également réconcilier les droits des communautés religieuses avec la nécessité de sauvegarder les droits des personnes ayant des convictions humanistes qui adhèrent à ces mêmes valeurs fondamentales.
11. L’Assemblée considère qu’il est nécessaire de développer un partenariat dynamique et fructueux entre les institutions publiques, les communautés religieuses et les groupements s’inspirant d’une vision non religieuse. La reconnaissance par les diverses confessions religieuses et par les convictions non religieuses de la dignité humaine comme un bien essentiel et universel constitue le point de départ commun.
12. Dès lors, l’Assemblée recommande aux autorités publiques aux niveaux local et national de faciliter les rencontres organisées dans le cadre du dialogue interreligieux ainsi que d’encourager et soutenir les projets développés en commun par plusieurs communautés, y compris avec les associations humanistes, qui visent à consolider les liens sociaux à travers, par exemple, la promotion d’une solidarité intercommunautaire ou l’attention vers les personnes les plus vulnérables et la lutte contre les discriminations.
13. L’Assemblée réaffirme l’importance et le rôle du système éducatif pour la connaissance et la compréhension des différentes cultures, y compris les croyances et les convictions qui les caractérisent, et pour l’apprentissage des valeurs démocratiques et du respect des droits de l’homme. Elle recommande aux Etats et aux communautés religieuses de reconsidérer ensemble, sur la base des orientations données par le Conseil de l’Europe, les questions de l’enseignement du fait religieux, de l’enseignement confessionnel et de la formation des enseignants et de celle des ministres du culte ou cadres religieux, en suivant une approche holistique.
14. L’Assemblée souligne que le principe de neutralité de l’Etat s’applique à l’enseignement religieux dans le cadre scolaire et que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, il incombe aux autorités nationales de veiller avec la plus grande attention à ce que les convictions religieuses et non religieuses des parents ne soient pas heurtées.
15. Pour l’Assemblée, le défi est aujourd’hui de trouver l’accord et l’équilibre nécessaire afin que l’enseignement du fait religieux devienne une opportunité de rencontre et d’écoute réciproque. Elle recommande aux Etats et aux communautés religieuses des efforts concertés dans cette direction et invite les Etats à se donner les moyens nécessaires afin de passer des déclarations aux réalisations sur le terrain. Il serait hautement recommandable que chaque enseignant, tous types d’enseignement et filières confondus, suive pendant sa formation un module le familiarisant avec les courants de pensées majeurs.
16. L’Assemblée rappelle que l’autonomie interne des institutions religieuses quant à la formation des cadres religieux est un principe inhérent à la liberté de religion. Néanmoins, cette autonomie interne est limitée par les droits fondamentaux, les principes démocratiques et l’Etat de droit, que nous avons en commun. Dès lors, l’Assemblée invite les institutions et les responsables religieux à réfléchir, si possible ensemble dans le cadre du dialogue interreligieux, sur la manière appropriée de mieux former leurs cadres religieux:
16.1. à la connaissance et à la compréhension des autres religions et convictions ainsi qu’à l’ouverture, au dialogue et à la collaboration entre communautés religieuses;
16.2. au respect des droits fondamentaux, des principes démocratiques et de l’Etat de droit, comme assise commune de ce dialogue et de cette collaboration.
17. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
17.1. de promouvoir un véritable partenariat pour la démocratie et les droits de l’homme entre le Conseil de l’Europe, les religions et les principales organisations humanistes, visant à favoriser l’engagement actif de toutes les parties prenantes dans des actions de promotion des valeurs fondamentales de l’Organisation;
17.2. de créer, pour ce faire, un espace de dialogue, une table de travail entre le Conseil de l’Europe et de hauts représentants de religions et d’organisations non confessionnelles, afin d’asseoir les relations existantes sur une plate-forme stable et formellement reconnue;
17.3. de développer cette initiative en concertation avec les parties intéressées, d’y associer étroitement l’Assemblée parlementaire et, dans toute la mesure du possible, l’Union européenne, et d’inviter l’Alliance des civilisations et éventuellement d’autres partenaires à y contribuer;
17.4. de poursuivre, dans ce contexte, l’organisation de rencontres thématiques sur la dimension religieuse du dialogue interculturel.
18. L’Assemblée recommande, en outre, au Comité des Ministres:
18.1. de promouvoir l’adhésion des Etats du Bassin méditerranéen à la Commission de Venise, à l’Accord partiel sur la Mobilité des jeunes par la Carte Jeunes et au Centre Nord-Sud;
18.2. d’inviter tous les Etats membres à soutenir les projets ciblés que le Centre Nord-Sud pourrait développer pour renforcer les dynamiques positives de la dimension religieuse du dialogue interculturel au-delà des frontières du continent européen, sur le plan interrégional et/ou global;
18.3. d’accroître les moyens alloués au projet sur les cités interculturelles, dans lequel il conviendrait d’intégrer explicitement la dimension religieuse du dialogue interculturel;
18.4. d’offrir davantage de soutien aux travaux du Centre européen Wergeland à Oslo, notamment pour développer sa capacité de collaborer avec les Etats membres du Conseil de l’Europe sur des projets concernant la dimension interculturelle et interreligieuse de la formation des enseignants et des éducateurs.
19. L’Assemblée invite l’Union européenne, et en particulier le Parlement européen et la Commission européenne, ainsi que son Agence des droits fondamentaux, à développer des programmes communs avec le Conseil de l’Europe dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté démocratique et de l’éducation aux droits de l’homme, s’appuyant sur la Charte que le Comité des Ministres a adoptée le 11 mai 2010, ainsi que dans le domaine du dialogue interculturel et interreligieux.
20. L’Assemblée invite l’Alliance des civilisations à développer des programmes communs avec le Conseil de l’Europe visant à accroître les synergies dans l’action des deux organisations en Europe.

B. Exposé des motifs, par Mme Brasseur, rapporteure

(open)

1. Introduction

1.1. Mandat et étapes d’élaboration du rapport

1. Le 4 octobre 2010, le Bureau de l’Assemblée parlementaire, sur proposition de son Président, M. Mevlüt Çavuşoğlu, a chargé la commission de la culture, de la science et de l’éducation de la préparation d’un rapport sur la dimension religieuse du dialogue interculturel. La commission m’a nommée rapporteur en novembre 2010.
2. Le Président de l’Assemblée a souhaité que le débat de l’Assemblée sur ce rapport ait lieu le mardi 12 avril 2011, en présence de cinq hautes personnalités religieuses, auxquelles il a adressé des invitations personnelles 
			(2) 
			Ces
personnalités sont: le patriarche Daniel de Roumanie; le cardinal
Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue
interreligieux de l’Eglise catholique; le grand rabbin Berel Lazar,
grand rabbin de Russie, président de l’Alliance rabbinique de la
Communauté d’Etats indépendants; le prélat Bernhard Felmberg, représentant plénipotentiaire
du Conseil de l’Eglise protestante en Allemagne auprès de la République
fédérale d’Allemagne et de l’Union européenne; le professeur Mehmet
Görmez, chef du Diyanet de
la Turquie. Le Diyanet İşleri Başkanlığı (communément
appelé Diyanet) est une institution
officielle, établie en 1924 par la Grande Assemblée nationale de Turquie,
après l’abolition du califat. Il s’agit de la plus haute instance
de la religion islamique en Turquie.
3. Dans l’accomplissement de la tâche qui m’a été confiée, j’ai sollicité la collaboration du professeur Francis Messner (directeur de recherche au CNRS – Centre national de la recherche scientifique –, PRISME-SDRE, université de Strasbourg), avec qui j’ai eu une rencontre préliminaire le 4 janvier 2011. Je le remercie sincèrement pour sa contribution sur la place des religions en Europe et pour son apport à la réflexion sur le rôle des religions dans la promotion des valeurs fondamentales dont le Conseil de l’Europe prône le respect. J’ai également demandé au greffier de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») si ses services pouvaient préparer un document de synthèse sur la jurisprudence de la Cour en matière de droit à la liberté de religion et de conviction. Je lui suis reconnaissante d’avoir bien voulu répondre positivement à cette demande. Le document qu’il m’a transmis couvre les questions clés concernant le droit à la liberté de religion et de conviction dans une société démocratique selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
4. Pour compléter l’analyse, il m’a semblé essentiel que la commission puisse entendre des hauts représentants des diverses confessions religieuses (catholique, orthodoxe, protestante, juive et musulmane), lors d’une audition, afin de connaître leurs points de vue respectifs sur le rôle des religions dans la promotion des valeurs fondamentales, au niveau des communautés religieuses nationales et à plus large échelle. Pour cette raison, le président de notre commission a convoqué une réunion extraordinaire qui a eu lieu à Paris, le 18 février 2011. L’Assemblée nationale française nous a fait l’honneur de nous recevoir dans sa salle Lamartine.
5. La commission a entendu: Mgr Nestor (Sirotenko), évêque de Chersonèse, chargé de l’administration des communautés du patriarcat de Moscou en France, Suisse, Espagne et Portugal, et représentant aussi l’Assemblée des évêques orthodoxes de France; Mgr Aldo Giordano, observateur permanent du Saint-Siège auprès du Conseil de l’Europe; le rabbin Alain Goldmann, grand rabbin du Consistoire israélite de Paris (grand rabbin de Paris de 1980 à 1994); le pasteur Baty, président de la Fédération protestante de France; M. Haydar Demiryurek, vice-président du Conseil français du culte musulman.
6. La commission les a invités à apporter des éléments de réponse aux interrogations suivantes:
  • De quelle manière chaque communauté contribue-t-elle à la sauvegarde des droits fondamentaux de la personne humaine et quels sont les défis majeurs, les obstacles à surmonter pour que l’action de diverses communautés en défense de ces droits puisse produire davantage de résultats?
  • Quels sont les terrains les plus fertiles de coopération entre les différentes communautés religieuses et d’entente entre celles-ci et les individus et groupes non croyants?
  • Comment les communautés religieuses peuvent-elles faire passer plus efficacement le message qu’en aucun cas un croyant ne saurait cautionner la violence et la haine au nom de sa religion?
  • Qu’attendent les communautés religieuses des instances internationales s’occupant des droits fondamentaux, et notamment du Conseil de l’Europe?
7. Ont participé aussi à cette audition: Mme Işıl Karakaş, juge à la Cour européenne des droits de l’homme (élue au titre de la Turquie); l’ambassadeur Arif Mammadov, représentant permanent de l’Azerbaïdjan, président du Groupe des rapporteurs du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur l’éducation, la culture, le sport, la jeunesse et l’environnement; Mme Gabriella Battaini-Dragoni, directrice générale de l’éducation, de la culture et du patrimoine, de la jeunesse et du sport, coordinatrice pour le dialogue interculturel (avec qui j’avais eu également la possibilité de discuter lors d’un entretien le 7 février 2011); M. David Pollock, président de la Fédération humaniste européenne; le professeur Francis Messner. Je souhaite remercier tous les intervenants pour leur précieuse contribution à nos travaux.
8. Il échoit d’apporter encore une double précision. Tout d’abord, malgré les efforts accomplis et la volonté d’approfondir les multiples questions posées, les délais très serrés n’ont pas permis au rapporteur et à la commission d’être exhaustifs. Nous n’avons pas le sentiment (ni la prétention) d’avoir épuisé le sujet, mais considérons que ce rapport constitue une nouvelle étape dans le cadre des travaux que notre Assemblée mène dans ce domaine. Ensuite, et pour la raison que je viens d’évoquer, dans la définition du champ du rapport j’ai évité de revenir sur plusieurs aspects relevant de la question de la place des religions dans l’espace public et du concept de «laïcité/sécularité» qui ont fait l’objet du rapport sur «Etat, religion, laïcité et droits de l’homme» et de la Recommandation 1804 (2007). Il ne s’agit pas d’un oubli, mais d’un choix et il faudra probablement envisager une suite à ce rapport aussi dans cette direction, vu l’importance que ces questions continuent d’avoir dans nos Etats.
9. Par contre, même si l’accent est mis – comme le titre du rapport le demande – sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, j’ai souhaité rappeler dans le rapport que nos sociétés doivent rassembler croyants et non croyants et que, dès lors, l’apport des non-croyants au dialogue ne doit pas être négligé.

1.2. Problématique et finalité du rapport

10. Depuis plusieurs années, l’Assemblée parlementaire accorde aux religions et à la dimension religieuse du dialogue interculturel une grande importance. Un large éventail de questions spécifiques se rapportant à ce thème a fait l’objet d’analyses détaillées, qui ont abouti à de nombreuses résolutions et recommandations 
			(3) 
			Il
serait impossible de faire état de l’ensemble des travaux sur ces
questions dans le cadre du présent rapport, qui néanmoins en tiendra
dûment compte. Pour information, la liste des textes de l’Assemblée
les plus pertinents figure en annexe au présent rapport.. En effet, il n’est guère possible de comprendre nos sociétés plurielles, ni d’affronter les défis qu’elles posent, sans avoir égard à ce que signifie et engendre la rencontre, au sein de ces sociétés, des cultures et des croyances qui y bouillonnent.
11. Le phénomène de brassage de populations, de cultures et de croyances n’est certainement pas un phénomène nouveau en Europe. Bien au contraire, il faut dire que l’Europe telle que nous la connaissons aujourd’hui est le résultat de multiples interactions entre populations dont les cultures (au sens large, y compris les convictions religieuses, philosophiques et laïques) se sont côtoyées, affrontées, mêlées et ont tissé des liens tout au long de l’histoire de notre continent. Mais les dimensions du phénomène et l’impact qu’il produit de nos jours sont inédits.
12. Malheureusement, la diversité culturelle et religieuse, en Europe et encore plus en dehors de notre continent, est devenue source d’inquiétudes, de peurs et de tensions. Des clivages se forment, qui semblent alimentés notamment par la vision différente de la société que chaque religion propose. Nous sommes confrontés presque au quotidien à des problèmes d’incompréhension et à la multiplication de manifestations d’intolérance, de rejet et de violence, qui brisent la cohésion sociale, voire la stabilité et la paix.
13. L’Assemblée a exprimé sa profonde inquiétude face aux récentes attaques contre les communautés chrétiennes au Proche-Orient et au Moyen-Orient; dans sa Recommandation 1957 (2011) elle a fermement condamné les attentats tragiques d’octobre 2010 à Bagdad et de janvier 2011 à Alexandrie. Ces drames se multiplient. Le 2 mars, à Islamabad, le ministre pakistanais des Minorités, le chrétien Shahbaz Bhatti, a été tué; il était régulièrement menacé car il soutenait un amendement à la disposition de la loi pakistanaise sur le blasphème qui prévoit la peine de mort en cas de blasphème et dénonçait les violences et intimidations contre la minorité chrétienne. Le 4 mars, dans le village de Soul près du Caire, lors des violences entre musulmans et chrétiens, provoquées par une relation amoureuse entre un chrétien et une musulmane, les pères des deux jeunes ont été tués; le lendemain, après les funérailles du père de la jeune fille, un groupe de musulmans a mis le feu à l’église du village. Le 8 mars, au Caire, de nouveaux affrontements confessionnels entre chrétiens coptes et musulmans ont provoqué 13 morts et quelque 140 blessés.
14. Nous sommes profondément révoltés chaque fois que, dans le monde, et aussi dans notre Europe des droits de l’homme, telle personne ou telle communauté est accablée par le mépris et la haine qu’elle subit au motif de ses croyances ou convictions et pour les avoir manifestées. Mais aujourd’hui, il ne suffit pas d’analyser les événements dramatiques qui régulièrement reviennent faire la une dans les médias; il ne suffit pas d’en décortiquer les causes et de multiplier les appels à la tolérance et au dialogue. Il faut s’engager fermement dans un nouveau chemin, établir un nouveau paradigme du vivre ensemble et en nourrir les consciences de nos peuples.
15. Chacun doit comprendre que nous sommes tous tenus non seulement d’accepter l’existence de sensibilités diverses, mais de les respecter lorsque celles-ci rencontrent la nôtre. Feindre l’indifférence est inapproprié; se sentir menacés est une erreur; le repli identitaire est dangereux et irresponsable; rejeter l’autre au nom d’une quelconque revendication identitaire, voire le marginaliser ou pire encore l’agresser et chercher son élimination, est tout simplement inacceptable.
16. Plusieurs facteurs contribuent à constituer les identités individuelles et collectives. La religion n’est que l’un de ces facteurs, mais lorsqu’elle intervient elle assume un rôle majeur. Le rapport mondial de l’UNESCO Investir dans la diversité culturelle et le dialogue interculturel (2009) dénonce un phénomène de résurgence de la question des identités. Ce rapport fait le constat suivant: «La culture et la religion peuvent sembler intimement liées dans cette affirmation, souvent conflictuelle, d’identités distinctes»; il rappelle aussi ce qui suit: «Alliées au militantisme politique, les affiliations religieuses peuvent être un marqueur puissant d’identité et une source potentielle de conflits», et «les religions courent le risque d’être instrumentalisées à d’autres fins, par exemple comme vecteurs de visées idéologiques, politiques et/ou économiques».
17. A la menace de la confrontation et du conflit identitaire, voire à la menace d’un «choc de civilisations», il faut répondre par les armes d’une rencontre fructueuse entre cultures et entre civilisations. Comme le Président de l’Assemblée l’a affirmé lors de la dernière rencontre du Conseil de l’Europe sur la dimension religieuse du dialogue interculturel (Ohrid, 13-14 septembre 2010), l’enjeu n’est pas simplement la cohabitation, dans nos Etats et en Europe, de religions et de cultures diverses, mais également la coexistence de nos sociétés européennes avec celles du reste du monde.
18. Tous ceux qui se réclament d’une conviction – y compris non religieuse – doivent être conscients qu’il est de leur responsabilité d’encourager et de favoriser cette rencontre. L’importance que, historiquement et sociologiquement, les religions ont en Europe leur donne un rôle et une responsabilité tout à fait particuliers dans la promotion et le développement d’une culture de compréhension et de tolérance. Toutes les autorités religieuses devraient condamner ouvertement et sans réserve l’intolérance, la discrimination, la haine et la violence: la religion et la foi – de même que les convictions laïques – ne sauraient ni admettre ni justifier des comportements dictés par le mépris de l’autre, et nous devons tous œuvrer pour les éradiquer.
19. Au lieu d’insister sur ce qui nous sépare, en prenant le risque d’engendrer de plus en plus de sociétés parallèles, il faut bâtir sur ce qui nous unit. Notre objectif à tous doit être une société ouverte et tolérante, fondée sur une éthique du respect de l’autre et donc capable d’accueillir tous ceux qui partagent cette éthique; une société dans laquelle chaque personne aura non seulement le droit mais également la possibilité réelle de pratiquer et de vivre d’après ses convictions en respectant l’Etat de droit et en respectant ceux qui ont une autre approche, qu’elle soit religieuse ou laïque.
20. A cet égard, je suis fermement convaincue que les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe peuvent et doivent être le ciment qui nous unit. Le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion est l’une de ces valeurs et nous devons sauvegarder ce droit de manière effective. En même temps, la liberté de religion des uns ne peut s’affirmer contre la liberté de religion des autres, ni contre la liberté de pensée et de conscience de ceux qui adhèrent à des visions non religieuses du monde. Elle ne peut non plus servir de prétexte pour justifier des atteintes à d’autres valeurs fondamentales. Ces messages sont ceux que l’Assemblée a donnés à maintes reprises.
21. Ainsi, déjà dans sa Recommandation 1396 (1999) «Religion et démocratie», l’Assemblée avait souligné l’importance non seulement de garantir, pour tous les citoyens, la liberté de conscience et d’expression religieuse dans le cadre des conditions énoncées dans la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi de «protéger le pluralisme religieux» et de «condamner toute tentative de fomenter des conflits intra- et interreligieux».
22. Dans sa Résolution 1510 (2006) sur la liberté d’expression et le respect des croyances religieuses, l’Assemblée a rappelé que «les discours incitant à la haine à l’encontre de quelque groupe religieux que ce soit ne sont pas compatibles avec les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme»; et elle a affirmé «sa volonté de faire en sorte que la diversité culturelle devienne une source d’enrichissement mutuel et non de tension, grâce à un véritable dialogue ouvert entre les cultures, fondé sur la compréhension et le respect mutuels».
23. Dans la même résolution, l’Assemblée a indiqué à cet égard un objectif général: «préserver la diversité au sein de sociétés ouvertes et inclusives, fondées sur les droits de l’homme, la démocratie et la prééminence du droit»; et elle a demandé d’encourager «le dialogue interculturel et interreligieux fondé sur les droits de l’homme universels, (…) visant à promouvoir la tolérance, la confiance et la compréhension mutuelle, qui sont essentielles à l’édification de sociétés solidaires et à la consolidation de la paix et de la sécurité au niveau international».
24. En s’appuyant sur les travaux précédents de l’Assemblée, la finalité du présent rapport devrait donc être d’approfondir la réflexion commune sur comment nous pouvons nous mettre tous à l’unisson pour atteindre l’objectif d’une garantie effective des valeurs qui constituent le socle commun des démocraties européennes.
25. En effet, comme l’Assemblée l’a récemment rappelé dans sa Résolution 1743 (2010) «Islam, islamisme et islamophobie en Europe», les trois religions monothéistes «partagent les mêmes racines historiques et culturelles, et reconnaissent les mêmes valeurs fondamentales, notamment l’importance primordiale de la vie et de la dignité humaines, la capacité et la liberté d’exprimer ses pensées, le respect d’autrui et de la propriété d’autrui, l’importance de l’aide sociale. Ces valeurs ont trouvé un écho dans les philosophies européennes et ont été insérées dans la Convention européenne des droits de l’homme». Il s’agit maintenant de réfléchir sur la contribution que ces religions apportent et pourront encore apporter à la promotion et à la protection effective de ces valeurs, ainsi que sur la possibilité de travailler ensemble de manière plus fructueuse et efficace dans ce but.
26. La complexité de la problématique appelle une analyse approfondie de divers aspects. Tout d’abord, il me semble nécessaire d’examiner la situation des religions en Europe. Ainsi, le rapport fait état de manière sommaire de la diversité religieuse qui existe sur notre continent – voire du caractère multiculturel et de la pluralité religieuse dans les sociétés européennes d’aujourd’hui – et souligne (à nouveau) l’apport des traditions religieuses monothéistes – chrétienne, juive et musulmane – à la culture européenne. Il présente aussi les diverses approches en matière de relations entre Etat et religions, ainsi que la typologie des réglementations qui régissent ces relations.
27. Un aspect crucial est celui de la reconnaissance de la liberté de religion comme droit fondamental, dans sa double dimension individuelle et collective. Le rapport contient donc un excursus de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur le droit à la liberté de religion ainsi que de pensée et de conscience, que la Cour a considéré comme un pilier d’une «société démocratique» et comme élément essentiel pour la définition de l’identité personnelle des croyants, mais dont la jurisprudence trace aussi les limites.
28. Enfin, le rapport explore la question de la contribution des religions à la promotion et à la mise en œuvre effective des valeurs fondamentales qui sont le patrimoine commun des peuples européens, en s’appuyant sur la reconnaissance par toutes les convictions religieuses de la dignité de l’homme (égale dignité de tous sans discriminations); le rapport aborde dans ce contexte le dialogue entre les religions comme un outil possible pour développer une «culture d’ouverture et de l’accueil de l’autre», et pour édifier ensemble une société cohésive. Les conclusions tirées sur la base de cette analyse dégagent quelques pistes de réflexion et proposent des actions concrètes pour atteindre ce but.

2. La place des religions dans les Etats européens

29. L’Assemblée a déjà constaté l’importance du fait religieux dans la société européenne. Cette importance relève de la présence historique de certaines religions depuis des siècles sur notre continent et de leur influence dans l’histoire européenne 
			(4) 
			Voir
la Recommandation 1804
(2007) «Etat, religion, laïcité et droits de l’homme»
(et le rapport correspondant de la commission de la culture, de
la science et de l’éducation – Doc. 11298).. L’Assemblée a également souligné la contribution que non seulement le christianisme, mais aussi le judaïsme et l’islam ont apportée à la culture et à la civilisation européennes 
			(5) 
			Voir
notamment la Résolution
885 (1987) relative à la contribution juive à la culture
européenne (et le rapport correspondant de la commission de la culture
et de l’éducation – Doc.
5778), la Recommandation
1162 (1991) relative à la contribution de la civilisation
islamique à la culture européenne (et le rapport correspondant de
la commission de la culture et de l’éducation – Doc. 6497)..
30. En regardant les évolutions de ce phénomène religieux sur notre continent, on peut observer que les institutions religieuses ont perdu progressivement leur emprise sur les institutions de l’Etat et sur la société en général; mais on peut aussi noter que l’Europe est aujourd’hui riche d’une réalité plurielle de croyances et d’Eglises et que les religions, malgré leur déclin depuis la fin de la seconde guerre mondiale et la sécularisation de nos sociétés, continuent d’y avoir une place importante; elles jouent un rôle significatif pour des millions de citoyens européens dans tous nos Etats, ce qui amène ces derniers à fixer un cadre normatif pour leurs relations avec les diverses communautés religieuses.

2.1. Religions et sociétés européennes

2.1.1. Les religions dans l’Europe d’aujourd’hui

31. Nombre de spécialistes considèrent que notre continent est profondément marqué par une forme de crépuscule des croyances, de l’appartenance et des pratiques religieuses 
			(6) 
			Et
cela contrairement à d’autres continents, comme l’Amérique, ou à
d’autres pays, comme ceux majoritairement musulmans où la religion
continue de jouer un rôle sociétal déterminant.. Les liens entre les groupes religieux et leurs membres ont été profondément modifiés et l’influence des institutions religieuses sur ces derniers est également en régression.
32. Les données résultant des enquêtes européennes montrent «la désaffiliation des Européens par rapport au religieux institutionnel» 
			(7) 
			Jean-Paul
Willaime, Le retour du religieux dans
la sphère publique, Lyon, Olivétan, 2007, p. 27. 
			(7) 
			En
effet, selon l’Eurobaromètre 2006, la religion est la dernière valeur
choisie par les Européens entre 12 valeurs personnelles et valeurs
représentatives de l’Union européenne proposées; selon cette enquête,
les valeurs personnelles plus importantes sont: la paix (52 %),
le respect pour la vie humaine (43 %), les droits de l’homme (41 %)
la démocratie (24 %) et la liberté individuelle (22 %); la religion
est loin derrière (7 %)., même si leur majorité s’identifie encore à l’une ou l’autre des Eglises chrétiennes 
			(8) 
			A
cet égard, même si cela peut surprendre, selon l’Atlas of religious values 2005 de
l’European Values Study, environ trois Européens sur quatre se déclarent
comme étant «personnes religieuses» (par rapport à ceux qui se déclarent «personnes
non religieuses» ou «athées convaincus», ces derniers étant une
petite minorité, sauf en France où ils sont près de 15 %). L’Atlas
peut être consulté sur le site <a href='http://www.europeanvaluesstudy.eu/evs/research/themes/religion/'>www.europeanvaluesstudy.eu/evs/research/themes/religion/</a>..
33. Les prescriptions religieuses ont perdu leur évidence sociale, notamment dans le domaine de la morale. Il y a une désaffection par rapport aux pratiques régulières – messes ou cultes hebdomadaires – remplacées dans certains cas par des rassemblements ponctuels de grande intensité 
			(9) 
			Danièle Hervieu-Léger, Le Pèlerin et le converti. La religion en mouvement,
Paris, Flammarion, 1999.. Par ailleurs, les croyances n’échappent pas à l’individualisme ambiant: elles sont marquées par la subjectivité et le pluralisme. L’offre religieuse est désormais diversifiée et les modes de croire se diversifient également à l’intérieur de chaque religion 
			(10) 
			Bérengère
Massignon et Virginie Riva, L’Europe,
avec ou sans Dieu? Héritages et nouveaux défis, Paris,
Edition de l’Atelier, 2010.. Il y a néanmoins aussi le constat d’une religiosité plus forte au sein des religions minoritaires, notamment juive et musulmane, et d’un ressaisissement interne chez les chrétiens.
34. «La croissance du nombre de personnes, notamment chez les jeunes adultes, s’identifiant comme “sans religion”, le développement d’une religiosité sans appartenance (…) et une certaine réaffirmation des identités religieuses, chrétiennes et non chrétiennes, (…)» apparaissent donc en sociologie des religions comme «les trois principales caractéristiques du paysage religieux de l’Europe contemporaine» 
			(11) 
			Jean-Paul
Willaime, op. cit., loc. cit.,
qui cite également Yves Lambert, «Des changements dans l’évolution
religieuse de l’Europe et de la Russie», Revue
française de sociologie, 45, 2, 2004, p. 319. Willaime
attire encore l’attention sur le fait que, parmi ceux qui se déclarent
sans religion, il faut distinguer les sans religion croyants et
les sans religion incroyants (op. cit.,
p. 29). . Bien entendu, la situation peut différer de manière substantielle d’une partie de l’Europe à une autre, voire d’un Etat européen à l’autre 
			(12) 
			L’analyse synthétique
qui suit se fonde sur diverses sources dont: 
			(12) 
			– Yves
Lambert, Religion: l’Europe à un tournant,
Futuribles, juillet-août 2002; et, du même auteur, «A turning point
in religious evolution in Europe», Journal
of Contemporary Religion, 19 (1), 2004, p. 29-45; 
			(12) 
			–
Matthias Koenig, «Religiosity in “laicist” States in Europe: France
and Turkey», dans What the world believes: analyses
and commentary on the Religion Monitor 2008, Bertelsmann
Stiftung, 2009, p. 375-397; 
			(12) 
			– Enquêtes sur l’appartenance
et/ou la participation religieuse: European
Value Survey 1999; International Social Survey Programme 1998; sondage GFK 2004; Religion
Monitor 2008..
35. On peut classer les pays d’Europe occidentale en trois groupes: les pays de tradition catholique (notamment Autriche, Belgique, Espagne, France, Irlande, Italie, Portugal); les pays de tradition protestante (notamment Danemark, Finlande, Suède) et les pays mixtes (notamment Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni).
36. La forte religiosité de l’Irlande est l’héritage de l’association entre le catholicisme et la défense de l’identité irlandaise face à la domination d’une Angleterre protestante. C’est aux Pays-Bas, où la libéralisation des mœurs a été la plus poussée, que l’appartenance religieuse est la plus faible, mais c’est là aussi que la religiosité hors institutions est la plus développée. Ce n’est pas un hasard si, parmi les pays catholiques, la France et la Belgique, qui ont édifié une laïcité forte, sont aujourd’hui parmi les moins religieux, résultat d’un passé très conflictuel. En Allemagne, où catholicisme et protestantisme étaient en concurrence, une certaine vitalité religieuse s’est maintenue dans les régions de l’ouest du pays, où les Eglises d’esprit luthérien bénéficiaient d’une place importante dans la société et d’une reconnaissance sociale; par contre, l’est du pays est devenu la partie la moins religieuse de toute l’Europe. Dans les pays luthériens du nord de l’Europe, l’appartenance religieuse est restée très élevée, mais le statut de religion d’Etat a pu conduire à un évidement religieux interne, surtout en Suède, où la pratique et les croyances sont les plus basses d’Europe occidentale. Quant au Royaume-Uni, il figure parmi les moins religieux, comme les autres pays d’Europe les plus anciennement industrialisés.
37. En Europe de l’Est il existe une forte religiosité dans les pays catholiques (Pologne, Croatie, République slovaque, Lituanie, Slovénie dans une certaine mesure), une religiosité moyenne (Lettonie, Hongrie) ou faible (République tchèque) dans les pays «mixtes» et une religiosité plus faible encore dans les pays de tradition luthérienne (ex-Allemagne de l’Est, Estonie). Dans les pays orthodoxes, on trouve un fort contraste entre la très religieuse Roumanie, la moins religieuse Bulgarie et la peu religieuse Russie. Etonnamment, après des décennies de communisme, la proportion des «athées convaincus» y est très faible (8 % en Russie et en République tchèque, 6 % en Estonie et en Bulgarie et moins ailleurs), sauf en Allemagne de l’Est (20 %) où la déchristianisation est un phénomène ancien.
38. Il existe également une très forte religiosité en Turquie, où 51,3 % des personnes interrogées se déclarent «religieuses», 47,9 % «très religieuses» et seulement 0,8 % se considèrent comme «non religieuses».
39. On constate également des différences marquées entre les diverses nationalités dans les réponses à la question de la participation aux services religieux (à l’exclusion des événements familiaux comme les mariages, les baptêmes et les funérailles). En Europe occidentale, y compris en Allemagne, 25 % des personnes déclarant une appartenance religieuse indiquent qu’elles assistent à au moins un service religieux par semaine; 50 % assistent à un service religieux au maximum quatre fois par an. Les Italiens sont une exception parmi les Européens de l’Ouest, avec près de 40 % des personnes interrogées qui fréquentent un service religieux au moins une fois par semaine. En Suède et au Danemark, environ 50 % des personnes interrogées indiquent qu’elles n’assistent presque jamais à un service religieux. La participation religieuse est plus forte en Europe centrale: près de 40 % des personnes interrogées, voire 60 % en Pologne, déclarent assister à un service au moins une fois par semaine.
40. En Turquie, la prière en privé est considérée comme plus importante que la pratique de la religion en public; 65 % des hommes déclarent cependant participer chaque semaine à la prière du vendredi contre 11 % des femmes.

2.1.2. Le poids de l’histoire

41. En Europe, la place assignée aux confessions religieuses dans la société, le rôle qu’elles y jouent ainsi que leur régime juridique sont intimement liés à l’histoire des institutions des Etats européens.
42. Dans l’Europe du Moyen Age, l’Eglise catholique est l’élément pivot de la société et de la civilisation occidentales. Le grand schisme d’Occident, la Réforme et la diffusion des idées de la philosophie des Lumières réduisent le pouvoir des autorités religieuses et facilitent l’émergence d’un principe de subordination de la religion au prince.
43. L’Eglise catholique n’a pas accepté cette prédominance de l’Etat et a revendiqué l’autonomie et la séparation en tant que société parfaite et complète égale à l’Etat, et non pas comme association ou groupement de personnes dans l’Etat. Les Eglises protestantes ont été, quant à elles, intégrées dans l’appareil d’Etat et gouvernées par le prince. Les Eglises orthodoxes ont préconisé des relations harmonieuses entre foi et pouvoir appelées sumphônia, «symphonie»; dans les faits, l’orthodoxie s’identifiera le plus souvent à la cause nationale.
44. Le principe cuius regio eius religio (le plus souvent assorti d’une instrumentalisation des institutions religieuses au profit du pouvoir politique), encore en vigueur dans de nombreux Etats à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, est progressivement rogné par les revendications à la liberté religieuse. Cette liberté sera définitivement confirmée au XXe siècle, avec la Déclaration universelle des droits de l’homme et la Convention européenne des droits de l’homme.
45. Les religions dont les institutions ont été façonnées par des cultures non européennes ont en règle générale des difficultés pour s’intégrer dans le cadre fixé par les Etats européens. Les communautés musulmanes sont au centre du débat: l’islam prend progressivement sa place dans les droits des religions des Etats européens, mais cette religion se heurte à des difficultés particulières.
46. Un problème majeur est lié à la difficulté des communautés musulmanes à dégager de manière autonome une représentation remplissant les critères fixés par les pouvoirs publics (garantie de durée, reconnaissance de la légitimité de la représentation par les croyants, adhésion aux valeurs communément reçues). Les pouvoirs publics sont ainsi confrontés à une pluralité d’associations, de fédérations et de groupements musulmans, alors que la représentation des communautés religieuses chrétiennes et juives a été historiquement construite sur un mode très centralisé. La volonté des pouvoirs publics d’avoir un interlocuteur unique par religion ou par grande tradition religieuse ainsi que les carences organisationnelles propres aux communautés musulmanes engendrent des représentations artificielles. Leur autorité est le plus souvent limitée dans la mesure où elle s’exerce sur des fédérations ou associations incarnant des conceptions différentes de l’islam 
			(13) 
			Néanmoins,
en Autriche, une bonne représentation a été dégagée: la communauté
islamique est organisée conformément à un décret de 1988 qui précise
le contenu de ses statuts; elle comprend au niveau fédéral une assemblée législative,
la Communauté religieuse islamique d’Autriche, qui regroupe les
grandes fédérations, et un exécutif appelé Conseil supérieur..
47. Une seconde problématique réside dans la difficulté de distinguer l’appartenance religieuse de l’appartenance ethnique 
			(14) 
			Ainsi,
en France, les musulmans laïques considèrent qu’ils sont mal représentés
auprès des pouvoirs publics; leurs associations ne figurent pas
au nombre de celles constituant le Conseil français du culte musulman.
En Allemagne, les musulmans culturels estiment qu’ils ne sont pas
représentés par les instances de l’Islam et notamment par la Deutsche Islam
Konferenz (DIK).. Cette difficulté est en décalage avec la tradition européenne marquée par une nette distinction entre l’appartenance religieuse et la citoyenneté, entre les institutions religieuses et les institutions publiques. Elle peut par ailleurs entraîner des imprécisions pour tout ce qui concerne les attributions de l’organe représentatif du culte musulman où le politique et l’administratif l’emportent parfois sur le spirituel et le théologique.

2.2. Les statuts des confessions religieuses en Europe

48. Le système européen de régulation normative du religieux comporte deux niveaux bien distincts. Le premier niveau s’applique à la protection des convictions des particuliers pris individuellement ou collectivement et vise à garantir les droits fondamentaux en matière religieuse: liberté de conscience, liberté positive et négative de religion, égalité et non-discrimination en matière religieuse, droit d’association des croyants et neutralité en matière religieuse.
49. Le second niveau concerne les statuts ou régimes des cultes, c’est-à-dire les modes d’organisation et de fonctionnement des groupements religieux organisés. Les modes de relations entre les Etats et les Eglises, les religions et, le cas échéant, les groupements de conception philosophique (les humanistes) sont très diversifiés en Europe 
			(15) 
			En
ce qui concerne le droit des religions, parmi d’autres références,
deux ouvrages très récents peuvent être consultés: Dictionnaire du droit des religions,
sous la direction de Francis Messner, Paris, CNRS éditions, 2011;
et La religion et l’Etat laïque: Rapports
nationaux intermédiaires (publié à l’occasion du 18e Congrès
international de droit comparé, Washington, D.C., juillet 2010),
sous la direction de Javier Martinez-Torrón et W. Cole Durham Jr.,
rapporteurs généraux, The International Center for Law and Religion
Studies Brigham Young University – Provo, Utah, 2010.. Ils sont néanmoins encadrés par des principes communs et ont développé des contenus communs.

2.2.1. Les principes communs

50. Le droit des religions en Europe a définitivement rompu avec une conception fusionnelle de la citoyenneté et de l’appartenance religieuse, de la nation et de la religion. La liberté de religion comporte le droit d’adhérer à, d’exercer et de communiquer une religion (ce qui suppose, le cas échéant, le droit à la protection des lieux de culte), mais également le droit au refus de toute appartenance religieuse et celui de quitter librement un groupement religieux ou philosophique.
51. La «non-confessionnalité» de l’Etat et sa neutralité en matière religieuse sont symétriques aux garanties de liberté de conscience et de religion. L’Etat, fondé sur la seule volonté des citoyens, ne subit aucun contrôle religieux.
52. Le principe d’autonomie (liberté d’autodétermination et d’organisation) des cultes est une conséquence logique du principe de neutralité de l’Etat et de la garantie de la liberté de religion. L’Etat non confessionnel, et donc non théologien, n’est pas compétent pour traiter des affaires internes aux confessions religieuses. Ce principe a une valeur constitutionnelle dans de nombreux Etats membres de l’Union européenne et relève de la loi, ou est défini par la jurisprudence dans d’autres Etats.
53. La coopération entre l’Etat et les religions s’exerce dans le cadre de la garantie de liberté de religion, de neutralité de l’Etat et d’égalité entre les cultes. Les pouvoirs publics ne traitent pas avec un groupement religieux en raison de ses positions doctrinales ou théologiques, mais parce que la religion, facteur de civilisation, est un élément important de la vie sociale. La coopération s’insère dans la sphère plus large des liens qu’entretiennent les pouvoirs publics avec les groupes sociaux. Elle est relative et graduée, et correspond à l’importance numérique de la religion, à son ancienneté sur le territoire national et surtout à la nature de ses activités.

2.2.2. Les composantes communes des statuts des cultes

54. Les statuts ou les législations des cultes des Etats européens sont formés par un ensemble de mécanismes dont l’objectif est de soutenir et d’organiser les confessions religieuses ainsi que de favoriser la coopération et, le cas échéant, la coordination entre les pouvoirs publics et les religions. Chaque Etat conserve une très grande liberté quant à leur mise en œuvre.
55. Le soutien des pouvoirs publics est en Europe subordonné à un socle de valeurs communes: les groupes intermédiaires acceptent d’appartenir et de participer à la vie en société (refus du communautarisme); chaque personne reste libre d’adhérer ou non à un groupe particulier; tous les membres de la société sont égaux (principe de non-discrimination); les groupements religieux favorisent la paix religieuse et apportent leur contribution à la construction du lien social.
56. Le principe d’autonomie des confessions ou des communautés religieuses est un des éléments pivots du droit des religions contemporain. Il implique, d’une part, l’autonomie doctrinale, respectée dans tous les Etats européens: les communautés religieuses ont le droit de définir leur propre système de croyances sans aucune ingérence de l’Etat. Il implique, d’autre part, la faculté d’auto-administration et notamment la capacité de s’organiser en conformité avec leur autocompréhension doctrinale et leurs droits ou discipline internes. Cette règle s’applique partout en Europe, mais les différences nationales sont parfois importantes.
57. Le principe d’autonomie fonde également le statut particulier des institutions religieuses, qu’elles soient de droit public ou de droit privé, et confère une base juridique à l’intervention des autorités religieuses dans l’élaboration des programmes d’enseignement religieux et dans la désignation des maîtres de religion, dans les écoles et dans les facultés de théologie des universités publiques. Il garantit enfin la liberté de formation des ministres du culte.
58. Le financement des cultes se rattache, d’une part, à la garantie de liberté de religion et, d’autre part, au caractère d’intérêt général que peuvent revêtir les activités religieuses. Les modes de financement public des activités et des institutions religieuses (rémunération des ministres du culte, assignation par le contribuable d’une partie de l’impôt sur le revenu au profit de certaines confessions religieuses, exonérations fiscales, impôts d’église collectés par l’administration fiscale, subventions annuelles) se sont développés, ou inversement ont périclité, au gré des rapprochements ou des séparations entre l’Etat et les religions et des sécularisations des biens de l’Eglise.

2.2.3. Les particularités nationales

59. Les droits nationaux des religions peuvent être classés en cinq grandes catégories: le droit des Eglises nationales, le droit des cultes reconnus, le droit conventionnel, le droit des religions enregistrées et les systèmes sans régime de droit précis.
60. Les droits des Eglises nationales (Danemark, Finlande, Islande et Norvège), de l’Eglise établie (Angleterre) et de l’Eglise prédominante (Grèce) ont été instaurés par le pouvoir temporel à l’occasion de la rupture entre les Eglises d’Orient et d’Occident (Grèce), de la Réforme (Danemark) ou lors d’un conflit entre le prince et le pape (îles Britanniques) 
			(16) 
			Il est à noter que, dans
ces divers cas, la place des religions en question est définie par
la Constitution (par exemple, l’article 4 de la Constitution danoise
dispose que l’Eglise luthérienne est l’Eglise nationale; l’article
3 de la Constitution grecque précise que la religion orthodoxe est
la religion dominante) ou par la loi (l’Eglise d’Angleterre est
une Eglise établie par la loi à la suite d’une série de lois votées
à partir de 1530).. Ils sont caractérisés par un faible degré d’autonomie des confessions religieuses, par une position institutionnelle privilégiée de l’unique religion établie dans l’Etat et, à l’exception du Royaume-Uni, par un soutien économique important de la part des pouvoirs publics. Ce modèle, fortement lié à l’identité historique d’une nation, est mal adapté au pluralisme religieux: les textes fondateurs ont été modifiés au fil des ans, mais sans prendre substantiellement en compte la place des minorités religieuses. La Suède a abandonné ce modèle depuis le 1er janvier 2000. Aucun des anciens pays communistes, y compris ceux sociologiquement orthodoxes, ne l’a retenu après l’effondrement du bloc communiste.
61. Le régime des cultes reconnus ou cultes statutaires, qui émerge dès le XVIIIe siècle, rompt avec le système d’Eglise d’Etat et, par ricochet, avec l’Etat confessionnel. Il constitue une première étape vers la reconnaissance institutionnelle du pluralisme religieux et la prise en compte effective de la liberté d’exercice du culte des religions minoritaires. Actuellement, ce régime, fixé en grande partie par un droit unilatéral négocié, est caractérisé par la prise en charge des besoins religieux par l’Etat (rémunération des ministres du culte) et les collectivités territoriales (entretien des bâtiments cultuels et des logements des ministres de la religion) ainsi que par l’octroi d’un statut de droit public à certaines des institutions des cultes reconnus 
			(17) 
			Les mécanismes de «reconnaissance»
mis en place au XIXe siècle et au début du XXe siècle (par exemple
en Allemagne, en Espagne et en Italie) ont pour objectif de garantir
l’exercice public du culte et la personnalité morale des confessions
religieuses minoritaires et microminoritaires. En Autriche, la loi
du 15 juillet 1912 reconnaît l’islam. En Belgique, la totalité des
grandes religions historiques ainsi que les groupements philosophiques,
tels les humanistes ou la laïcité organisée, ont progressivement
bénéficié des mêmes avantages que les cultes reconnus au début du
XIXe siècle. La Constitution roumaine (article 29) privilégie les
manifestations religieuses fondées sur la tolérance et le respect réciproque,
dans le cadre d’un système de relations entre les cultes où toutes
les formes, tous moyens, actes ou actions de discorde religieuse
sont interdits..
62. Le système de droit conventionnel – dont l’objectif est de régler les relations Etat-religions par le biais d’accords – s’est historiquement imposé dans les Etats catholiques. Initialement réservé à l’Eglise catholique par le biais de «concordats» (traités relevant du droit public international), il a été étendu, sous la forme de conventions de droit public interne, aux minorités religieuses non catholiques dès le début du XXe siècle en Allemagne et à la fin du XXe siècle en Italie, en Espagne, au Luxembourg, au Portugal, en Hongrie et en Pologne. Contrairement aux régimes d’Eglises nationales, les systèmes de droit conventionnel (et dans une moindre mesure les systèmes de cultes reconnus 
			(18) 
			Par exemple, en Alsace-Moselle,
l’évolution s’est soldée par un système à deux niveaux: le premier
s’applique aux seuls cultes reconnus au XIXe siècle (catholicisme,
protestantisme, judaïsme); le second, à l’ensemble des religions
non statutaires organisées dans le cadre associatif. L’Autriche
a également instauré un régime des cultes à plusieurs niveaux mais
sans financement public. Héritière d’une longue tradition d’accords
concordataires avec l’Eglise catholique, l’Autriche a conféré un
statut aux minorités religieuses (protestants, juifs, musulmans,
orthodoxes…) par des lois spéciales ou encore par le biais d’une
loi du 20 mai 1874 modifiée par une loi du 9 janvier 1998 créant,
d’une part, une procédure de reconnaissance par voie réglementaire
et, d’autre part, un registre des communautés confessionnelles.) ont instauré une architecture complexe de régulation normative des confessions religieuses, avec plusieurs niveaux de soutien formant une structure pyramidale 
			(19) 
			Au sommet se trouve(nt)
la (ou les) religion(s) dominante(s): Eglise catholique pour l’Italie,
l’Espagne, la Belgique et la Lituanie; Eglise catholique et Eglises
territoriales protestantes pour l’Allemagne, la Pologne et la Hongrie.
Au centre se situent les minorités religieuses les plus représentatives
ayant conclu des accords ou des ententes avec l’Etat lorsque cette
possibilité est prévue par les textes juridiques. Au-dessous, les
minorités et «microminorités» religieuses – dont l’intégration dans
la société ne soulève pas de questions – bénéficient d’un statut
de base ou d’arrangements de droit commun..
63. Les systèmes pyramidaux, dans leur quasi-totalité, comprennent un droit des religions enregistrées 
			(20) 
			Des procédures
d’enregistrement existent notamment en Espagne (1980), en Estonie
(2002), en Hongrie (1990), en Lettonie (1995), en Lituanie (1995),
en Pologne (1989), au Portugal (2001), en République tchèque (2002),
en République slovaque (1991), en Slovénie (2007) et en Suède (1998).. Il ne s’agit pas d’une «reconnaissance» de l’Etat, mais d’une possibilité offerte aux groupements religieux d’acquérir une personnalité morale adaptée aux buts poursuivis. Les «registres des entités religieuses», qui ont été créés au cours du dernier tiers du XXe siècle, correspondent à la nécessité de mettre en œuvre le principe d’égalité en matière religieuse – en traitant de manière semblable ce qui est semblable et dissemblable ce qui est dissemblable – ou d’évoluer vers un régime des cultes uniforme (soutien étatique identique pour toutes les religions).
64. Nombre d’anciens pays communistes ont conservé, ou adopté en le modifiant, le système pyramidal des relations Etat-religions. D’autres, après avoir fait table rase du passé, ont préféré s’en tenir à un régime cultuel de base, par définition égalitaire, dans le respect de la liberté de religion. Cette organisation religieuse minimaliste, qui ne repose pas sur un régime de droit précis, existe également dans quelques rares Etats de l’Europe de l’Ouest (plus particulièrement en France et aux Pays-Bas) 
			(21) 
			Les départements français
soumis à la loi du 9 décembre 1905 relèvent d’une «séparation» qui
comprend cependant un certain nombre de mécanismes juridiques. Ces
mécanismes sont, du moins en théorie, applicables à tous les cultes. L’acquisition
de la personnalité juridique est obtenue par le biais du statut
d’association diocésaine pour l’Eglise catholique et d’association
cultuelle pour toutes les autres religions. La République d’Irlande
n’a pas élaboré de statut détaillé des confessions religieuses.
Elles s’organisent dans le cadre du droit commun (association volontaire,
fondation, société) dans le respect des principes constitutionnels.
Aux Pays-Bas, les confessions religieuses acquièrent la capacité
juridique conformément à l’article 2.2 du Code civil. L’organisme
demandeur doit avoir pour objet la religion et faire état d’une organisation
structurée. Ces personnes juridiques sui
generis sont libres de rédiger des statuts en conformité
avec leur discipline ou leur droit interne..

3. Le droit à la liberté de religion et de conviction dans une société démocratique selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

65. L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit la «liberté de pensée, de conscience et de religion» 
			(22) 
			Ce
droit fondamental est consacré par de nombreux textes nationaux,
internationaux et européens. La Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne (article 10) protège la liberté de pensée, de
conscience et de religion dans les mêmes termes que la Convention
européenne des droits de l’homme. On peut également mentionner l’article
18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
et l’article 14 de la Convention relative aux droits de l’enfant
des Nations Unies.; il s’applique à l’ensemble des convictions (politiques, philosophiques, morales ou religieuses) d’une personne et à sa manière d’appréhender sa vie personnelle et sociale. La Cour a souligné à plusieurs reprises l’importance de cette liberté, qui représente l’une des assises d’une «société démocratique» au sens de la Convention. Les paragraphes qui suivent portent sur la dimension religieuse de ce droit.

3.1. Signification et portée du droit à la liberté de religion

66. Les organes de la Convention n’ont pas compétence pour définir la «religion». Néanmoins, celle-ci doit être envisagée dans un sens non restrictif: les croyances religieuses ne sauraient se limiter aux «grandes» religions. Tous les groupements religieux et leurs adeptes bénéficient d’une égale garantie au regard de la liberté consacrée par l’article 9.
67. Cette liberté figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. La liberté de religion implique, notamment, celle d’adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer 
			(23) 
			Kokkinakis c. Grèce, arrêt du 25 mai
1993, paragraphe 31, série A, no 260-A; Buscarini
et autres c. Saint-Marin (Grande Chambre), Requête no
24645/94, paragraphe 34.. Elle présente un double aspect: interne et externe.
68. Sur le plan «interne», cette liberté est absolue. On a le droit de choisir librement une religion, de changer de religion (c’est-à-dire de se convertir) ou de n’avoir aucune religion. Les convictions profondes qui se forgent dans le for intérieur de la personne ne peuvent, en soi, porter atteinte à l’ordre public et ne peuvent, par conséquent, faire l’objet de restrictions de la part des autorités étatiques.
69. Sur le plan «externe», la liberté religieuse implique aussi la liberté de «manifester sa religion» individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi 
			(24) 
			Par ailleurs, les autorités étatiques
n’ont le droit ni de rechercher les convictions religieuses d’un
individu ni de l’obliger à manifester ses convictions (Alexandridis c. Grèce, Requête no
19516/06, paragraphe 38; voir aussi Sinan
Isik c. Turquie, Requête no 21924/05, arrêt du 2 mai
2010).. L’article 9 énumère les diverses formes que peut prendre la manifestation d’une religion ou d’une conviction, à savoir: le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. Sur ce plan, la liberté en question n’est que relative: l’article 9 ne protège pas n’importe quel comportement, pour peu qu’il soit motivé par des considérations d’ordre religieux (ou philosophique) 
			(25) 
			Ainsi,
par exemple, l’article 9 n’autorise pas à se soustraire à une législation
générale (Pichon et Sajous c. France (déc.),
Requête no 49853/99..
70. La Cour a reconnu qu’une Eglise, ou l’organe ecclésial de celle-ci, peut exercer au nom de ses fidèles la liberté de religion et celle de la manifester. Dans l’arrêt rendu le 23 septembre 2010 dans l’affaire Obst c. Allemagne (Requête no 425/03), la Cour rappelle que:
«44. (…) les communautés religieuses existent traditionnellement et universellement sous la forme de structures organisées et que, lorsque l’organisation d’une telle communauté est en cause, l’article 9 doit s’interpréter à la lumière de l’article 11 de la Convention qui protège la vie associative contre toute ingérence injustifiée de l’Etat. En effet, leur autonomie, indispensable au pluralisme dans une société démocratique, se trouve au cœur même de la protection offerte par l’article 9. La Cour rappelle en outre que, sauf dans des cas très exceptionnels, le droit à la liberté de religion tel que l’entend la Convention exclut toute appréciation de la part de l’Etat sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles-ci (Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, paragraphes 62 et 78, CEDH 2000-XI)».
71. Le principe d’autonomie des communautés religieuses affirmé par la Cour 
			(26) 
			Voir également sur ce principe: Eglise métropolitaine de Bessarabie et autres
c. Moldova, Requête no 45701/99, paragraphe 118; Saint Synode de l’Eglise orthodoxe bulgare
(métropolite Innocent) et autres c. Bulgarie, requêtes nos 412/03
et 35677/04, arrêt du 22 janvier 2009, paragraphe 103. a des corollaires importants, y compris:
  • l’interdiction pour l’Etat d’obliger une communauté religieuse d’admettre en son sein de nouveaux membres ou d’en exclure d’autres 
			(27) 
			Sviato-Mykhaïlivska Parafiya c. Ukraine,
Requête no 77703/01, arrêt du 14 juin 2007, paragraphe 146.;
  • le devoir de non-ingérence de l’Etat dans le cas d’une dissidence à l’intérieur d’un organisme religieux 
			(28) 
			Ainsi,
une mesure de l’Etat favorisant un dirigeant d’une communauté religieuse
divisée ou visant à contraindre la communauté, contre ses propres
souhaits, à se placer sous une direction unique constitue une atteinte
à la liberté de religion: Hassan et Tchaouch
c. Bulgarie (Grande Chambre), précité, paragraphe 78; Eglise métropolitaine de Bessarabie et autres
c. Moldova, précité, paragraphe 117; Serif c. Grèce, Requête no 38178/97,
paragraphe 52.;
  • l’extension de la protection de l’article 9 de la Convention à la participation des ministres du culte à la vie de la communauté, participation considérée comme une manifestation particulière de la religion 
			(29) 
			Hassan et
Tchaouch c. Bulgarie (Grande Chambre), précité; Perry c. Lettonie, no 30273/03,
paragraphe 55, 8 novembre 2007.;
  • la liberté pour une communauté religieuse de choisir des employés selon les critères qui lui sont propres, liberté qui n’est cependant pas absolue et doit être réconciliée avec le droit à la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention 
			(30) 
			La
Cour s’est prononcée sur cette question dans deux arrêts rendus
le 23 septembre 2010: dans l’affaire Obst c. Allemagne (Requête
no 425/03), la Cour a conclu à l’absence de violation de l’article 8;
dans l’affaire Schüth c. Allemagne (Requête
no 1620/03), elle est parvenue à la conclusion opposée. .

3.2. Etendue de la protection accordée à la liberté de religion

72. Le respect des différentes convictions ou croyances est une obligation première de l’Etat. Toute ingérence d’un Etat dans l’exercice du droit à la liberté de religion doit être «nécessaire dans une société démocratique». Cela signifie qu’elle doit répondre à un «besoin social impérieux» 
			(31) 
			Sviato-Mykhaïlivska Parafiya c. Ukraine,
précité, paragraphe 116..
73. Dans l’exercice de son pouvoir de réglementation en la matière et dans sa relation avec les divers religions, cultes et croyances, l’Etat se doit d’être neutre et impartial; il y va du maintien du pluralisme et du bon fonctionnement de la démocratie 
			(32) 
			Eglise métropolitaine de Bessarabie et autres
c. Moldova, précité, paragraphes 115-116.. Néanmoins, dans ce domaine délicat qu’est l’établissement de rapports entre les communautés religieuses et l’Etat, ce dernier jouit en principe d’une large marge d’appréciation 
			(33) 
			Cha’are Shalom Ve Tsedek c. France (Grande
chambre), Requête no 27417/95, paragraphe 84. La Cour a également
affirmé que lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports
entre l’Etat et les religions, sur lesquelles de profondes divergences
peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il
y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur
national (Leyla Şahin c. Turquie [Grande
Chambre], Requête no 44774/98, paragraphe 108). . La Cour en délimite l’ampleur en tenant compte de la nécessité de maintenir un véritable pluralisme religieux, inhérent à la notion de société démocratique.
74. Selon la Cour, l’article 9 de la Convention ne peut guère être conçu comme susceptible de diminuer le rôle d’une foi ou d’une Eglise auxquelles adhère historiquement et culturellement la population d’un pays défini 
			(34) 
			Membres
(97) de la Congrégation des Témoins de Jéhovah de Gldani c. Géorgie,
Requête no 71156/01, paragraphe 132.. Néanmoins, le devoir de neutralité implique que, si un Etat établit un cadre pour octroyer aux communautés religieuses la personnalité juridique et un statut spécifique y associé, toutes les communautés religieuses qui le souhaitent doivent avoir une possibilité adéquate de demander ce statut et les critères établis doivent être appliqués de manière non discriminatoire 
			(35) 
			Religionsgemeinschaft
der Zeugen Jehovas et autres c. Autriche, Requête no
40825/98, paragraphe 92, arrêt du 31 juillet 2008..
75. En effet, l’article 14 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 12 (STE no 177) ne permettent pas à l’Etat de traiter différemment des personnes dans des situations substantiellement analogues, sans une justification objective et raisonnable. L’Etat bénéficie d’une certaine marge d’appréciation lorsqu’il évalue si et dans quelle mesure les différences qui existent justifient un traitement différent, mais la différence de traitement doit poursuivre une finalité légitime et respecter le critère d’une proportionnalité raisonnable 
			(36) 
			Oršuš and
Others v. Croatia (Grande Chambre), Requête no 15766/03,
paragraphe 149; Savez crkava «Riječ života»
et autres c. Croatie, Requête no 7798/08, arrêt du 9 décembre
2010, paragraphes 85 à 88..
76. De façon symétrique, il découle de la jurisprudence sur l’article 14 que, dans certaines circonstances, l’absence d’un traitement différencié à l’égard de personnes placées dans des situations sensiblement différentes peut emporter violation de cette disposition 
			(37) 
			Thlimmenos c. Grèce (Grande Chambre),
Requête no 34369/97, paragraphe 44. La Cour renvoie à cette jurisprudence
dans l’affaire Miroļubovs et autres c. Lettonie,
Requête no 798/05, arrêt du 15 septembre 2009.. Ainsi, la Cour ne néglige pas les particularités des diverses religions (sur le plan dogmatique, rituel, organisationnel ou autre), lorsque ces particularités peuvent avoir une signification essentielle dans la solution du litige porté devant elle.
77. Dans une société démocratique, où plusieurs religions (voire plusieurs branches d’une même religion) et convictions coexistent au sein d’une même population, il est nécessaire d’assortir la liberté de religion de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes et à assurer le respect des convictions de chacun.
78. Par exemple, la Cour admet que la liberté religieuse comporte, en principe, le droit d’essayer de convaincre son prochain; néanmoins, «convaincre» n’inclut pas des comportements abusifs, se caractérisant notamment par des pressions inacceptables et un véritable harcèlement; celui-ci ne saurait être protégé par la Convention.
79. Des questions délicates se posent lorsqu’il s’agit de réconcilier la liberté de religion et la liberté d’expression protégée par l’article 10 de la Convention. Les croyants doivent tolérer et accepter que d’autres puissent rejeter leurs croyances religieuses et même la propagation par autrui de doctrines hostiles à leur foi 
			(38) 
			Par
exemple, la Cour a conclu à la violation de l’article 10 lorsqu’un
journaliste a été condamné pour diffamation publique pour avoir
publié un article dans lequel il estimait que certaines positions
de l’Eglise catholique avaient «formé le terrain où ont germé l’idée
et l’accomplissement d’Auschwitz» (Giniewski
c. France, Requête no 64016/00, arrêt du 31 janvier 2006)..
80. Cependant, dans des cas extrêmes, le recours à des méthodes particulières d’opposition à des croyances religieuses ou de dénigrement de celles-ci peut aboutir à dissuader ceux qui les ont d’exercer leur liberté de les avoir et de les exprimer. L’Etat a la responsabilité d’empêcher ces comportements abusifs et d’assurer aux croyants la paisible jouissance du droit garanti par l’article 9. Ainsi, il peut estimer nécessaire de prendre des mesures pour réprimer certaines formes de comportement, y compris la communication d’informations et d’idées jugées incompatibles avec le respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion d’autrui 
			(39) 
			Kokkinakis c. Grèce, précité..
81. A cet égard, la Cour a précisé que l’Etat a l’obligation d’éviter, autant que faire se peut, des expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et ne contribuent à aucune forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain. Elle a admis que le respect des sentiments religieux des croyants (chrétiens) avait été violé par des représentations provocatrices d’objets de vénération religieuse, car ces représentations pouvaient passer pour une violation malveillante de l’esprit de tolérance, qui doit aussi caractériser une société démocratique 
			(40) 
			Otto-Preminger-Institut c. Autriche,
précité..
82. Dans le même sens, la Cour a fait la distinction entre «des propos qui heurtent ou qui choquent, ou une opinion provocatrice» et «une attaque injurieuse contre la personne du prophète de l’islam» face à laquelle les croyants (musulmans) «peuvent légitimement se sentir attaqués de manière injustifiée et offensante» 
			(41) 
			I.A. c. Turquie, Requête no 42571/98,
arrêt du 13 septembre 2005..
83. Enfin, la Cour a rejeté la requête du dirigeant d’une secte islamiste condamné pour incitation au crime et à la haine religieuse par voie de publication de ses propos dans la presse. Elle a estimé que, compte tenu du contenu et de la tonalité violente des propos du requérant, il s’agissait d’un discours de haine faisant l’apologie de la violence et étant par conséquent incompatible avec les valeurs fondamentales de justice et de paix qu’exprime le Préambule à la Convention 
			(42) 
			Gündüz c. Turquie
(no 2) (déc.), Requête no 59745/00, arrêt du 13 novembre
2003. Dans l’affaire Gündüz c. Turquie (no
1) (déc.), Requête no 35071/97, arrêt du 29 mars 2001,
la Cour avait considéré que le simple fait de défendre la charia,
sans en appeler à la violence pour l’établir, ne saurait passer
pour un «discours de haine»..

4. La dimension religieuse du dialogue interculturel et la promotion des valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe

4.1. Les travaux du Conseil de l’Europe

4.1.1. Le développement progressif d’une approche intégrant la dimension religieuse dans le dialogue interculturel

84. En plus des activités statutaires relatives à la Convention européenne des droits de l’homme et à la jurisprudence de la Cour 
			(43) 
			Il est utile de mentionner ici que le
rôle de la Cour et l’apport de sa jurisprudence dans le domaine
du dialogue interculturel ont fait l’objet de l’étude de Patricia
Wiater, Intercultural dialogue in the
framework of European Human Rights Protection, Editions
du Conseil de l’Europe, mars 2010., aux rapports de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) ou de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), le Comité des Ministres et les secteurs intergouvernementaux, ainsi que le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, ont développé, notamment depuis le début des années 2000, plusieurs initiatives spécifiques à forte visibilité et une série d’actions concrètes et de programmes de longue durée en faveur du dialogue interculturel, y compris sa dimension religieuse.
85. Dans le cadre du «Dialogue du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe avec les communautés religieuses», cinq séminaires ont été organisés entre 2000 et 2006 à l’initiative du premier commissaire, Alvaro Gil-Robles. Dans l’avant-propos de la publication de 2006 qui rend compte de ce «dialogue», Alvaro Gil-Robles souligne la responsabilité des responsables religieux «d’enseigner et de promouvoir la grandeur et la dignité de la personne pour dépasser les divisions et favoriser l’amitié réciproque et le respect entre les peuples».
86. Après la Conférence ministérielle de Faro en octobre 2005 (et l’adoption de la stratégie pour le développement du dialogue interculturel), le 3e Forum interculturel à Bucarest (mars 2006) et le Colloque sur le dialogue interculturel et interreligieux de Nijni Novgorod (septembre 2006), la Conférence européenne sur «La dimension religieuse du dialogue interculturel» de Saint-Marin en avril 2007 a ouvert une nouvelle phase, avec le lancement des rencontres annuelles du Conseil de l’Europe sur la dimension religieuse du dialogue interculturel organisées par le Comité des Ministres, dont la dernière s’est tenue à Ohrid en octobre 2010.
87. Le Livre blanc sur le dialogue interculturel «Vivre ensemble dans l’égale dignité» est en quelque sorte l’aboutissement de l’approche qui tend à traiter la dimension religieuse de manière intégrée. Lancé par les ministres des Affaires étrangères du Conseil de l’Europe lors de leur 118e session ministérielle (Strasbourg, 7 mai 2008), le Livre blanc défend l’idée que la démarche interculturelle offre un modèle de gestion de la diversité culturelle ouvert sur l’avenir; il affirme que la construction d’une identité européenne repose sur des valeurs fondamentales partagées, le respect du patrimoine commun et la diversité culturelle, ainsi que sur le respect de la dignité de chaque individu. Un chapitre consacré à la dimension religieuse souligne la nécessité d’un dialogue entre les communautés religieuses et les autorités publiques, et en même temps le besoin de développer le dialogue entre les communautés religieuses elles-mêmes.

4.1.2. Autres actions du secteur intergouvernemental

88. Des programmes d’action du Conseil de l’Europe, en particulier axés sur l’éducation à la citoyenneté démocratique, la formation des enseignants à l’apprentissage interculturel et à l’enseignement de l’histoire, ainsi que sur les relations entre communautés, comprennent désormais un volet sur l’éducation au fait religieux. Dans le cadre du projet du Conseil de l’Europe «Le nouveau défi de l’éducation interculturelle: diversité religieuse et dialogue en Europe», la Conférence sur la dimension religieuse de l’éducation interculturelle, tenue à Oslo en juin 2004, a exploré les enjeux de l’application de la dimension religieuse de l’éducation interculturelle à l’école, et le rôle et les responsabilités des décideurs et professionnels de terrain. Les résultats de cette conférence sont publiés sous le même titre dans un ouvrage paru en janvier 2005.
89. L’ECRI, dans sa Recommandation de politique générale no 10 «Lutter contre le racisme et la discrimination raciale dans et à travers l’éducation scolaire» (de 2007) demande aux Etats de veiller à ce que les élèves bénéficient d’un enseignement du fait religieux qui fasse preuve de la neutralité scientifique nécessaire à toute fonction éducative, en s’assurant, au cas où les écoles publiques fournissent une éducation religieuse de nature confessionnelle, que soient mises en place des procédures faciles d’exemption pour les élèves dont la dispense est sollicitée. La Recommandation Rec(2008)12 du Comité des Ministres porte également sur la dimension des religions et des convictions non religieuses dans l’éducation interculturelle. La Charte du Conseil de l’Europe sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme, que le Comité des Ministres a adoptée le 11 mai 2010, ne mentionne pas spécifiquement le rôle des religions, mais suit l’approche intégrée à la question du dialogue interculturel tracée par le Livre blanc.
90. Dans le cadre des actions du Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (le Centre Nord-Sud), le Forum de Lisbonne 
			(44) 
			Organisé
chaque année depuis 1994, le Forum de Lisbonne est une plate-forme
de dialogue, de partage d’expériences, d’expertise et de bonnes
pratiques entre l’Europe et les autres continents, en particulier
les régions voisines que sont la rive sud de la Méditerranée, le
Moyen-Orient et l’Afrique. Le forum bénéficie depuis 2006 de partenariats
avec la Commission de Venise et le Commissaire aux droits de l’homme,
et plus récemment avec l’Alliance des civilisations sous l’égide
des Nations Unies. 2010, a été consacré au thème «Libertés d’expression, de conscience et de religion»; ses conclusions ont souligné que le dialogue interreligieux, en tant qu’élément essentiel du dialogue interculturel, se situe pleinement dans la quête du respect et de la connaissance de l’autre qui doit animer les sociétés démocratiques.
91. Dans le secteur jeunesse du Conseil de l’Europe, des rencontres sont régulièrement organisées avec des interlocuteurs venant des différentes religions, ou avec des fédérations œcuméniques comme le Conseil œcuménique de la jeunesse en Europe (COJE), avec qui un séminaire est prévu en décembre 2011 sur «Sécularisme et religions: travailler ensemble pour une Europe commune».
92. En conclusion, la progression vers une meilleure prise en compte de la dimension religieuse du dialogue interculturel peut être mesurée en comparant la Déclaration du Comité des Ministres sur la diversité culturelle du 7 décembre 2000, qui ne mentionne pas le rôle des religions, à la Déclaration sur la liberté religieuse du 21 janvier 2011, où le Comité des Ministres affirme qu’«il ne peut y avoir de société démocratique fondée sur la compréhension et la tolérance sans respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion. La jouissance de cette liberté est une condition nécessaire pour vivre ensemble.»

4.2. Les religions, le dialogue interreligieux et la défense active des valeurs fondamentales par les institutions et communautés religieuses

4.2.1. La reconnaissance de l’égale dignité de toute personne: un point de départ commun

93. En avril 2001, la Conférence des Eglises européennes et le Conseil des Conférences épiscopales d’Europe ont adopté conjointement une Charta Oecumenica 
			(45) 
			Charta Oecumenica – Lignes directrices
en vue d’une collaboration croissante entre les Eglises en Europe, Strasbourg,
22 avril 2001. Appartiennent à la Conférence des Eglises européennes
(KEK) la plupart des Eglises orthodoxes, réformées, anglicanes,
libres et vieilles catholiques. Sont regroupés dans le Conseil des
Conférences épiscopales d’Europe (CCEE) les Conférences épiscopales
catholiques romaines en Europe.. Dans son prologue, les Eglises chrétiennes prennent la position suivante: «(…) nous voulons, avec l’Evangile, nous engager pour la dignité de la personne humaine comme image de Dieu (…).» Lors de l’audition de la commission de la culture, de la science et de l’éducation du 18 février 2011, Mgr Aldo Giordano a rappelé ceci: «La racine des droits de l’homme doit être recherchée dans la dignité de la personne humaine qui appartient à chaque être humain.» 
			(46) 
			Dans le document
écrit de son allocution, Mgr Giordano renvoie aussi à la constitution
pastorale Gaudium et Spes, 27.
94. M. Abdulaziz Othman Altwaijri, dans son essai Les droits de l’homme à la lumière des préceptes de l’islam 
			(47) 
			Paru dans la série des publications
de l’Organisation islamique pour l’éducation, les sciences et la
culture (ISESCO) 1421H/2001; voir en particulier p. 60 et 61., rappelle que pour l’islam tous les hommes naissent égaux 
			(48) 
			Il
cite à cet égard la Sourate Al-Hojorat, verset 13. Dans le même
sens, Nasri Sahlab affirme que l’égalité est l’un des principes
de la fois islamique; voir L’Islam tel
que je l’ai connu: religion de la clémence et de la paix,
Publications de l’Organisation islamique pour l’éducation, les sciences
et la culture (ISESCO) 1424H/2003, p. 57. et affirme que le respect total et inconditionnel de la dignité humaine reste le principe constant sous-jacent de l’enseignement islamique. Dans une très récente interview, Hassen Chalghoumi, imam de la mosquée de Drancy, a affirmé vouloir montrer par son dernier livre – Pour un islam de France – «la possibilité d’un islam républicain, qui partage les mêmes valeurs que celles de la France. Avec l’homme au centre de la religion (…)» 
			(49) 
			DNA du 18 février 2011, propos recueillis
par Gabrielle Rosner..
95. Dans son intervention devant la commission de la culture, de la science et de l’éducation, lors de l’audition du 18 février 2011, le grand rabbin Alain Goldmann s’est référé au conflit israélo-palestinien et à l’augmentation des violences antisémites et racistes souvent liées à ce conflit pour souligner: «(…) nous nous efforçons d’en dénoncer constamment toutes les violations du respect de la dignité humaine.» Il a ensuite évoqué un texte de la littérature rabbinique qui mentionne les sept qualités essentielles pour honorer Dieu: «la foi, la droiture, la justice, l’amour, la miséricorde, la fidélité et la paix» (Aboth de Rabbi Nathan, chapitre 37).
96. La liste des textes issus des communautés religieuses, ainsi que des prises de positions plus anciennes ou récentes qui vont dans le même sens, pourrait se rallonger sur plusieurs pages tout en restant largement incomplète. En synthèse, comme les participants au séminaire «Droits de l’homme, culture et religion: convergence ou divergence?» (Louvain-la-Neuve, décembre 2002) l’ont affirmé, «la tolérance, avec le respect et l’amour du prochain auxquels elle peut conduire, est inscrite au cœur des religions monothéistes, offrant dès lors un espace important pour la réalisation des droits de l’homme».
97. Cette affirmation rend encore plus douloureux le constat que cela n’a pas évité des siècles dominés par les guerres de religions, ni n’empêche aujourd’hui l’intolérance, la discrimination, la haine, la violence, au sein même de nos sociétés européennes, et les tragédies humaines découlant des conflits et du terrorisme faussement fondés sur la religion, véritables plaies de notre temps. Néanmoins, il ne faut pas oublier que des témoignages émouvants de solidarité entre personnes de fois différentes ont eu lieu dans des périodes sombres de notre histoire récente, par exemple l’aide courageuse de l’église orthodoxe bulgare aux juifs qui a été évoquée durant l’audition du 18 février 2011.

4.2.2. Le dialogue interreligieux et le dialogue entre religions et autres convictions: un outil de réconciliation et de promotion des valeurs fondamentales

98. Pour exemplifier les ouvertures vers un dialogue constructif entre les Eglises et les communautés religieuses, il me semble utile de me référer à nouveau à la Charta Oecumenica. Dans le prologue de cette charte, on déclare: «Sur notre continent européen, de l’Atlantique à l’Oural, du cap Nord à la Méditerranée, marqué plus que jamais par une pluralité culturelle, nous voulons, (…) comme Eglises, contribuer à la réconciliation des peuples et des cultures. C’est dans ce sens que nous adoptons cette charte comme engagement commun au dialogue et à la collaboration.» Plus loin dans le texte, au chapitre III, section 8 (Réconcilier les peuples et les cultures), on peut lire: «Nous considérons comme une richesse de l’Europe la diversité des traditions régionales, nationales, culturelles et religieuses. Face au grand nombre de conflits, il est de la mission des Eglises de contribuer ensemble au service de la réconciliation des peuples et des cultures. Nous savons que la paix entre les Eglises est également, pour cela, un présupposé important.»
99. Cette volonté de réconciliation et de dialogue se concrétise dans une série d’engagements, parmi lesquels:
  • au chapitre II, section 4 (Agir ensemble), l’engagement d’«aider à réduire (…) les incompréhensions et les préjugés entre les Eglises majoritaires et minoritaires»;
  • au chapitre III, section 7 (Prendre notre part à la construction de l’Europe), l’engagement «pour une Europe humaine et sociale, dans laquelle s’imposent les droits de l’homme et les valeurs fondamentales de la paix, de la justice, de la liberté, de la tolérance, de la participation et de la solidarité»;
  • dans la même section 7, l’engagement de «défendre les valeurs fondamentales contre toutes les atteintes»; et de «[s’]opposer à toute tentative d’abuser de la religion et de l’Eglise à des fins ethniques et nationalistes».
100. Je noterai enfin que trois sections (10 à 12) sont dédiées respectivement aux thèmes suivants: «Approfondir la communion avec le judaïsme»; «Cultiver des relations avec l’islam» et «Rencontre avec d’autres religions et idéologies». A ce dernier égard, il est indiqué: «La pluralité des convictions religieuses et idéologiques et des formes de vie est devenue une caractéristique de la culture européenne», et l’engagement est suivant est pris: «(…) reconnaître la liberté de religion et de conscience de ces hommes et de ces communautés et (…) nous porter garants pour qu’individuellement et collectivement, en privé et en public, ils puissent pratiquer leur religion et leur conception du monde dans le cadre du droit en vigueur (…).»
101. Il importe de citer également la Déclaration islamique universelle des droits de l’homme promulguée à Paris le 19 septembre 1981 au cours d’une réunion de l’UNESCO. L’article 12 sur le droit à la liberté de croyance, de pensée et de parole, stipule au paragraphe e: «Personne ne doit mépriser ni ridiculiser les convictions religieuses d’autres individus ni encourager l’hostilité publique à leur encontre. Le respect des sentiments religieux des autres est une obligation pour tous les musulmans.» L’article 13 portant sur le droit à la liberté religieuse stipule: «Toute personne a droit à la liberté de conscience et de culte conformément à ses convictions religieuses.»
102. L’ouverture au dialogue avec les convictions qui expriment des visions immanentes du monde me semble très importante. Si les religions peuvent avoir un rôle premier dans la promotion des droits de l’homme et leur mise en œuvre, la reconnaissance de la centralité de l’homme et du caractère universel et inviolable des droits fondamentaux qui descendent de cette égale dignité est également un héritage de la pensée humaniste, comme le mémorandum adressé par la Fédération humaniste européenne à la commission de la culture, de la science et de l’éducation à l’occasion de l’audition du 18 février 2011 le rappelle. Il est donc essentiel que l’on puisse trouver les modalités de collaboration appropriées afin que tous puissent travailler ensemble pour la promotion et la protection active des droits fondamentaux.
103. Je me suis réjouie d’entendre, durant l’audition du 18 février, monseigneur Aldo Giordano indiquer que divers chantiers sont ouverts pour travailler ensemble – au niveau œcuménique, interreligieux et aussi avec des personnes non croyantes – pour la paix, la justice, la sauvegarde de l’environnement, la défense des plus faibles (migrants, Roms, enfants, personnes âgées, victimes de la traite des personnes…); le grand rabbin Alain Goldmann rappeler la qualité et le nombre des rencontres au plus haut niveau entre catholiques et juifs, et les initiatives prônant l’amitié judéo-musulmane en France ainsi que la mise en valeur des points de convergence entre les traditions de l’islam et du judaïsme; le pasteur Claude Baty mentionner l’engagement de la Fédération protestante de France aux côtés des organisations chrétiennes dans le cadre de la campagne «Ne laissons pas fragiliser le droit de l’étranger» et ajouter qu’il s’agit de faire respecter la dignité des personnes, quel que soit leur statut.
104. Cela m’amène à une dernière considération: le dialogue ne saurait être effectif que s’il ne se limite pas au niveau institutionnel et aux rencontres de hauts dignitaires et d’experts. Il est important, me semble-t-il, que ce dialogue se développe au niveau des groupes de fidèles et des associations religieuses dans les villes et les régions de tous nos pays pour devenir action concrète. Dans ce contexte, la notion de dialogue ne saurait se réduire à de simples échanges de points de vue; elle demande également la mise en place d’une collaboration sincère et fructueuse entre les différentes parties engagées.

5. Conclusions: promouvoir le dialogue et développer une culture pluraliste et ouverte pour édifier ensemble des sociétés cohésives

105. Il serait prétentieux de vouloir tirer des conclusions exhaustives ou définitives sur un sujet tellement vaste et complexe. Néanmoins, l’analyse faite dans le rapport ainsi que les débats qui ont eu lieu lors de l’audition de Paris du 18 février 2011 me semblent:
  • rappeler que la diversité culturelle est une valeur européenne essentielle;
  • confirmer le caractère essentiel de la liberté de pensée, de conscience et de religion, comme pilier de toute société démocratique;
  • donner un sens profond à la dimension religieuse du dialogue interculturel et souligner la nécessité du dialogue entre les religions, ainsi que du dialogue entre les religions et les convictions non religieuses, pour le développement, en Europe et dans le monde, de sociétés pluralistes, ouvertes et cohésives;
  • orienter notre réflexion quant à la manière d’encourager et soutenir la dimension religieuse du dialogue interculturel aux plans local, national, européen et global.
106. A plusieurs reprises et tout récemment encore, l’Assemblée a condamné fermement la discrimination religieuse et les extrémismes religieux, ainsi que les violences et les attaques terroristes perpétrées au nom de la religion. Aucune conviction, religieuse ou non, ne saurait cautionner des actes de haine et de violence.
107. Les «religions du Livre» envoient un message de paix lorsqu’elles rappellent que la foi dans le Dieu unique implique l’accueil de l’Autre, la solidarité et la reconnaissance de l’égale dignité de tous les êtres humains. Pour Alvaro Gil-Robles, «la compréhension et la coopération entre les grandes religions présentes sur notre continent et leur engagement commun en faveur de la paix et du rejet de toute violence sont en mesure de contribuer à l’édification d’une société internationale capable de rechercher la tranquillité de l’ordre dans la justice et dans la liberté.» 
			(50) 
			«Dialogue
du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe avec
les communautés religieuses», CommDH(2003)6rév3, premier alinéa
de l’avant-propos. Néanmoins, il faut encore que cela se concrétise, partout et sans exceptions.
108. La consultation qui a précédé l’élaboration du Livre blanc sur le dialogue interculturel a montré que les aspirations des communautés religieuses et les priorités du Conseil de l’Europe se recoupent largement: droits de l’homme, citoyenneté démocratique, primauté du droit, paix, dialogue, éducation, solidarité et justice sociale. Il existe aussi un consensus sur la responsabilité des communautés religieuses de contribuer, par le dialogue interreligieux, au renforcement de la compréhension entre les différentes cultures. Dès lors, les institutions religieuses devraient prendre des positions claires contre les dérives communautaristes et les tendances extrémistes, et dénoncer ouvertement toute forme de discrimination et de violence opérée par les membres d’une communauté contre ceux d’une autre.
109. Tous les Etats – en Europe bien entendu, mais ailleurs aussi – ont le rôle indispensable et le devoir de mettre en place les conditions nécessaires au pluralisme religieux. La liberté de pensée, de conscience et de religion, telle que garantie par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, est un droit inaliénable, l’une des assises d’une «société démocratique», l’un des éléments les plus essentiels de l’identité de toute personne: croyants, mais aussi athées, agnostiques, sceptiques ou indifférents.
110. Les Etats sont tenus d’assurer le respect effectif de cette liberté. Le rapport fait état de la diversité des régimes concernant les relations Etat-religions en Europe. En théorie, aucun de ces régimes n’est juridiquement inconciliable avec les principes découlant du droit à la liberté de religion. Toutefois, en pratique, un culte minoritaire ou non reconnu peut se trouver dans une situation de net désavantage par rapport aux cultes reconnus. Les Etats doivent donc veiller à ce que toutes les communautés religieuses qui acceptent les valeurs fondamentales communes puissent bénéficier de statuts juridiques similaires et que le soutien privilégié accordé à certaines religions ne devienne pas, dans les faits, disproportionné et discriminatoire.
111. Aussi, les Etats doivent réconcilier les droits des communautés religieuses avec la nécessité de faire également place aux convictions humanistes qui adhèrent à ces mêmes valeurs fondamentales. L’article 9 a entre autres pour but d’éviter des discriminations entre les convictions religieuses et les autres.
112. Il est nécessaire de développer un partenariat dynamique et fructueux entre les institutions publiques, les communautés religieuses et les groupements s’inspirant d’une vision non religieuse. La reconnaissance par les diverses confessions religieuses et par les convictions humanistes de la dignité humaine comme un bien essentiel et universel (et donc inhérent à chaque personne sans exception possible) peut constituer le point de départ commun.
113. Aux niveaux local et national, des rencontres plus ou moins régulières sont organisées dans le cadre du dialogue interreligieux. Les autorités publiques aux niveaux local et national devraient encourager de telles initiatives ainsi que les projets collaboratifs (y compris avec les associations humanistes) qui résultent de ce dialogue et visent à consolider les liens sociaux, à travers, par exemple, la promotion d’une solidarité intercommunautaire ou l’attention vers les personnes les plus vulnérables et la lutte contre les discriminations. Sous réserve du respect des conditions fixées par la loi, une partie des financements destinés au soutien des initiatives de la société civile pourrait être utilisée à cet effet.
114. Un point de consensus clair lors de l’audition du 18 février 2011 a été la nécessité de mettre en œuvre ensemble des actions dans le domaine de l’éducation. Les personnes appartenant à différentes croyances et convictions ont besoin de mieux se connaître et d’apprendre à se respecter. Cet apprentissage passe par l’éducation. Les diverses parties prenantes devraient probablement reconsidérer ensemble les questions de l’enseignement du fait religieux, de l’enseignement confessionnel, de la formation des enseignants et de celle des ministres du culte ou cadres religieux, dans une approche davantage holistique.
115. Le principe de neutralité de l’Etat s’applique à l’enseignement religieux dans le cadre scolaire: il incombe aux autorités nationales de veiller avec la plus grande attention à ce que les convictions religieuses et philosophiques des parents ne soient pas heurtées 
			(51) 
			Cour
européenne des droits de l’homme, Hasan
et Eylem Zengin c. Turquie, Requête no 1448/04, arrêt
du 9 octobre 2007.. Mais ce n’est pas seulement là la question: le défi est de se mettre d’accord afin que, dans l’écoute réciproque, cet enseignement cesse d’être perçu comme dérangeant, voire attentatoire à la liberté de conviction, et devienne un espace de rencontre. C’est un chantier qui mériterait davantage d’efforts concertés et de moyens, pour que l’on puisse passer des déclarations aux réalisations.
116. L’autonomie interne des institutions religieuses quant à la formation des cadres religieux doit être préservée, mais cela n’empêche pas de dire que cette formation pourrait:
  • mieux intégrer l’exigence de la connaissance (et la compréhension) des autres religions et convictions;
  • encourager l’ouverture au dialogue et à la collaboration;
  • soutenir la reconnaissance des droits fondamentaux, des principes démocratiques et de l’Etat de droit comme assise commune de ce dialogue et de cette collaboration.
117. En ce qui concerne l’éducation, il serait hautement recommandable que chaque enseignant (tous types d’enseignement et filières confondus) suive pendant sa formation un module le familiarisant avec les courants de pensée majeurs.
118. En reprenant une autre idée avancée durant l’audition du 18 février, je propose d’établir une plate-forme de dialogue/partenariat entre le Conseil de l’Europe, les religions et les principales organisations humanistes. Je suis consciente que je m’écarte là, du moins en partie, de la position que la commission de la culture, de la science et de l’éducation avait exprimée en 2007 en adoptant le rapport de notre collègue et ancien président, Lluís Maria de Puig, sur «Etat, religion, laïcité et droits de l’homme» 
			(52) 
			Doc. 11298 de l’Assemblée.. Tout en se réjouissant de la proposition du Comité des Ministres d’organiser des rencontres annuelles sur la dimension religieuse du dialogue interculturel, la commission avait estimé qu’il ne convenait pas d’avoir une représentation des religions au sein du Conseil de l’Europe et d’établir de nouvelles structures. Le rapport concluait aussi qu’il n’appartient pas au Conseil de l’Europe de se prononcer en matière de dialogue interreligieux.
119. Je souhaiterais que nous puissions aujourd’hui nuancer cette prise de position. Le Conseil de l’Europe ne doit pas «interférer» avec le dialogue interreligieux; rien ne l’empêche pour autant de s’y intéresser et de travailler de façon structurée avec les religions 
			(53) 
			Au
contraire, on peut rappeler que, dans sa Recommandation 1804 (2007) «Etat,
religion, laïcité et droits de l’homme», l’Assemblée affirme: 
			(53) 
			«2.
Les religions organisées en tant que telles font partie intégrante
de la société et, à cet égard, il faut les considérer (…) en tant
qu’organisations prenant part à la société civile, avec toutes ses
potentialités d’orientations éthique et civique, et ayant un rôle
à jouer au sein de la communauté nationale, qu’elle soit croyante
ou laïque. 
			(53) 
			3. Le Conseil de l’Europe doit reconnaître
cette réalité, et accueillir et respecter le fait religieux, dans
toute sa pluralité, comme l’expression éthique, morale, idéologique
et spirituelle d’une partie des citoyens européens (…).», si celles-ci le souhaitent, afin que ce dialogue devienne un instrument effectif de promotion des valeurs fondamentales que le Conseil de l’Europe défend, y compris en élargissant le dialogue aux visions humanistes également attachées à ces valeurs.
120. Ma proposition n’implique cependant pas l’établissement d’une structure du Conseil de l’Europe avec une représentation des religions. Il s’agit plus simplement de mettre en place un mécanisme formel de rencontres, une plate-forme de dialogue, entre le Conseil de l’Europe (ses organes) et de hauts représentants de religions et d’organisations non confessionnelles, afin de bâtir un véritable partenariat pour la démocratie et les droits de l’homme et favoriser ainsi l’engagement actif de tous dans des actions de promotion des valeurs fondamentales défendues par le Conseil de l’Europe. Une telle initiative devrait être développée en concertation avec les parties intéressées et associer, dans toute la mesure du possible, l’Union européenne. La participation d’autres partenaires, comme l’Alliance des civilisations, devrait être encouragée. Bien entendu, si ce projet devait être lancé, l’Assemblée parlementaire devrait être une partie prenante.
121. Enfin, le Centre Nord–Sud pourrait jouer un rôle clé, en étroite coopération avec les différentes structures compétentes au sein du Conseil de l’Europe, pour promouvoir et renforcer les dynamiques positives de la dimension religieuse du dialogue interculturel au-delà des frontières du continent européen, sur le plan global et/ou interrégional (visant à associer en particulier les régions du Moyen-Orient et de la rive sud de la Méditerranée, mais aussi d’autres pays d’Afrique). Les Etats membres et non membres de l’accord partiel devraient être invités à soutenir ces projets.

Annexe – Documents de référence

(open)

Textes adoptés par l’Assemblée

Résolution 1743 (2010) – Islam, islamisme et islamophobie en Europe (adoptée le 23 juin 2010)

Recommandation 1927 (2010) – Islam, islamisme et islamophobie en Europe (adoptée le 23 juin 2010)

Résolution 1580 (2007) – Les dangers du créationnisme dans l’éducation (adoptée le 4 octobre 2007)

Recommandation 1804 (2007) – Etat, religion, laïcité et droits de l’homme (adoptée le 29 juin 2007)

Recommandation 1805 (2007) – Blasphème, insultes à caractère religieux et discours de haine contre des personnes au motif de leur religion (adoptée le 29 juin 2007)

Résolution 1510 (2006) – Liberté d’expression et respect des croyances religieuses (adoptée le 28 juin 2006)

Recommandation 1751 (2006) – Diversité culturelle du Caucase du Nord (adoptée le 29 mai 2006)

Recommandation 1720 (2005) – Education et religion (adoptée le 4 octobre 2005)

Résolution 1464 (2005) – Femmes et religion en Europe (adoptée le 4 octobre 2005)

Recommandation 1556 (2002) – Religion et changements en Europe centrale et orientale (adoptée le 24 avril 2002)

Recommandation 1396 (1999) – Religion et démocratie (adoptée le 27 janvier 1999)

Recommandation 1202 (1993) – La tolérance religieuse dans une société démocratique (adoptée le 2 février 1993)

Recommandation 1162 (1991) – La contribution de la civilisation islamique à la culture européenne (adoptée le 19 septembre 1991)

Résolution 885 (1987) – La contribution juive à la culture européenne (adoptée le 5 octobre 1987)

Rapports

L’islam, l’islamisme et l’islamophobie en Europe

Doc. 12266, rapport de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, rapporteur: M. Jensen

Etat, religion, laïcité et droits de l’homme

Doc. 11298, rapport de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, rapporteur: M. de Puig

Liberté d’expression et respect des croyances religieuses

Doc. 10970, rapport de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, rapporteur: Mme Hurskainen

Education et religion

Doc. 10673, rapport de la commission de la culture, de la science et de l’éducation, rapporteur: M. Schneider

Femmes et religion en Europe

Doc. 10670, rapport de la commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes,

rapporteur: Mme Zapfl-Helbling

Religion et démocratie

Doc. 8270, rapport de la commission de la culture et de l’éducation, rapporteur: M. de Puig

La tolérance religieuse dans une société démocratique

Doc. 6732, rapport de la commission de la culture et de l’éducation, rapporteur: Mme Fischer