1. Introduction
1. En dépit des nombreux engagements pris aux niveaux
tant national que mondial par les Etats au cours des deux dernières
décennies en faveur de la promotion de l’égalité des genres et de
l’avancement des droits des femmes, les progrès enregistrés en termes
d’amélioration du statut des femmes à l’échelle mondiale restent
en deçà des attentes. Pour trop de femmes encore dans le monde,
la pauvreté et la violence sont des réalités quotidiennes auxquelles
elles font face dans leur lutte pour parvenir à avoir les mêmes
droits que les hommes, dans les domaines de la santé, de l’emploi
et de la famille ainsi qu’en matière d’accès aux ressources et aux
services publics.
2. Le présent rapport a pour objet de dresser le bilan de l’avancement
des droits des femmes dans le monde et appelle les Etats à donner
un nouvel élan pour évaluer, défendre et développer l’action politique
à l’échelle mondiale en vue d’améliorer la situation des femmes
en théorie et en pratique.
3. Dans cette entreprise, nous ne partons pas de zéro. Il existe
déjà un cadre juridique international solide régissant la défense
des droits des femmes. Toutefois, l’action politique doit être axée
sur la mise en œuvre effective des instruments juridiques existants
et, dans le même temps, affirmer davantage les droits de la femme
et l’égalité des genres comme priorité politique au niveau mondial.
4. La création d’ONU Femmes en juillet 2010 constitue un pas
important sur cette voie. ONU Femmes est le meilleur acteur possible
pour mener la mission de porter les questions d’égalité au plus
haut niveau possible, promouvoir la mise en œuvre effective des
droits des femmes et catalyser la coopération. C’est pourquoi cette agence
mérite tout notre soutien.
5. La nécessité d’établir des synergies et une coopération est
particulièrement importante, notamment dans trois domaines où les
progrès se sont révélés très limités:
- le droit à la vie, à la santé et à l’intégrité physique;
- l’élimination de toutes les formes de violence à l’égard
des femmes;
- le droit à l’éducation et à l’autonomisation des femmes
dans toutes les sphères de la vie.
6. L’origine du présent rapport est une proposition de résolution
présentée par M. Ducarme et plusieurs de ses collègues qui se sont
inquiétés du recul des droits de la femme dans le monde et ont présenté
des exemples illustrant la situation au Soudan, en Afghanistan,
au Mali et au Yémen
.
Au cours de mon travail de préparation, j’ai décidé de remplacer
le titre du rapport par «Faire progresser les droits des femmes
dans le monde» puisque mon objectif principal n’est pas seulement
de faire une évaluation de la situation mais aussi de proposer une
façon d’aller de l’avant.
7. Afin de préparer ce rapport, j’ai effectué une visite de recherche
d’informations à New York du 21 au 23 septembre 2010 pendant laquelle
j’ai participé au Sommet sur les objectifs du Millénaire pour le développement
et ai rencontré, entre autres, Mme Rachel
Mayanja, secrétaire générale adjointe et conseillère spéciale du
secrétaire général pour la parité entre les sexes et la promotion
de la femme, ainsi que des représentants du Fonds de développement
des Nations Unies pour la femme (UNIFEM) et de la Division pour la
promotion de la femme.
8. De plus, la commission sur l’égalité des chances pour les
femmes et les hommes a organisé une audition le 9 septembre 2011
à Paris avec la participation de Mme Dagmar
Schumacher, directrice du bureau d’ONU Femmes à Bruxelles. Mme Schumacher
a fourni des informations qui ont été essentielles dans la préparation
de ce rapport et a présenté les activités, les objectifs et les
défis auxquels ONU Femmes doit faire face.
2. Evaluer les progrès en matière de respect
des droits des femmes
9. La réalisation d’une analyse détaillée des progrès
enregistrés dans la mise en œuvre des droits des femmes au plan
mondial constituerait un défi redoutable. Certains points de repère
permettent toutefois de dégager une tendance générale. Il s’agit:
- des résultats des examens périodiques
des conférences mondiales sur les femmes;
- des progrès réalisés dans la mise en œuvre de la Convention
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard
des femmes (CEDEF);
- des progrès accomplis par les Etats dans la réalisation
des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), tels que
définis à Beijing en 1995.
2.1. Bilans périodiques menés par les conférences mondiales
sur les femmes
10. Le principal élan en faveur de l’amélioration des
droits des femmes dans le monde a été donné par les quatre conférences
mondiales sur les femmes organisées par la Commission de la condition
de la femme de l’ONU à Mexico (1975), Copenhague (1980), Nairobi
(1985) et Beijing (1995)
.
11. Les conférences avaient pour objet d’attirer l’attention de
l’opinion publique, à l’échelle internationale, sur le fait que
la discrimination à l’égard des femmes perdurait aux quatre coins
du monde et dans différents domaines de la vie quotidienne. Elles
ont conduit à l’élaboration de la Convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, adoptée
en 1979 par l’Assemblée générale des Nations Unies et souvent décrite
comme une charte internationale des droits des femmes.
12. Depuis 1975, les conférences des Nations Unies suivent systématiquement
les progrès dans la mise en œuvre de mesures dans les principaux
domaines critiques, adressant aux Etats des recommandations pratiques
en vue de faciliter et faire avancer la mise en œuvre des engagements
souscrits au titre de cette convention.
13. Depuis la 4e Conférence mondiale
sur les femmes, à Beijing en 1995, ces bilans réguliers ont été entrepris
tous les cinq ans par la Commission de la condition de la femme
(Beijing +5, évaluation des 10 ans, évaluation des 15 ans) afin
de contrôler et évaluer les progrès accomplis par les différents
Etats dans la mise en œuvre du Programme d’action et de la Déclaration
de Beijing
.
14. Malgré tout l’intérêt suscité par ces conférences, il est
aujourd’hui manifeste que le rythme effectif des progrès est plus
lent que le rythme souhaité à l’origine et que les différences de
comportement en matière d’égalité se sont traduites par des disparités
sur le plan des inégalités dans le monde.
15. La structure originale de ces conférences, qui réunissent
des gouvernements, des hommes politiques mais aussi des représentants
de la société civile et des acteurs inspirés par diverses convictions
et/ou confessions religieuses, est une explication possible des
progrès limités accomplis sur plusieurs questions d’importance cruciale.
Ces progrès limités au niveau mondial peuvent également être imputés
au degré très divergent d’égalité des genres et de respect des droits
des femmes selon les pays du globe.
16. Malheureusement, en conséquence des rythmes différents d’avancée
de la lutte contre toutes les formes de discrimination annoncée
par les conférences mondiales, les progrès accomplis en matière
de défense et d’amélioration des droits de la femme dans le monde
depuis 1995 ont amorcé une phase de stagnation consentie, si ce
n’est de recul réel.
17. Pour inverser cette tendance, il convient de mettre en œuvre
d’urgence un système de contrôle et d’évaluation plus contraignant
que celui établi par les conférences mondiales et le Programme d’action d’après-Beijing.
2.2. La Convention sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination à l’égard des femmes
18. La Convention sur l’élimination de toutes les formes
de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) est à ce jour l’instrument
international des droits de l’homme le plus complet consacré à la
discrimination à l’égard des femmes. Depuis son adoption le 6 octobre
1999, il est considéré comme le texte de référence dans le domaine
des droits des femmes. C’est le premier instrument contraignant
à définir la «discrimination» à l’égard des femmes et à appeler
les Etats à s’engager à l’éradiquer. La CEDEF a été signée par 99
Etats et 187 l’ont ratifiée.
19. Le Protocole facultatif à la CEDEF, qui reconnaît que le Comité
pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a compétence
pour recevoir des plaintes de la part d’individus ou de groupes,
a été ratifié par 103 Etats, dont tous les Etats membres du Conseil
de l’Europe à l’exception de l’Estonie, la Lettonie, Malte et Monaco.
20. En dépit de ces engagements internationaux, certaines contradictions
demeurent entre la législation nationale et les dispositions de
la convention et certains autres instruments des droits de l’homme
pertinents.
21. A titre d’exemple, contrairement à la lettre et à l’esprit
de la CEDEF et de la Convention relative aux droits de l’enfant
(1990), plusieurs pays européens autorisent le mariage de personnes
de moins de 18 ans. L’âge légal du mariage devrait être fixé à 18
ans afin de se conformer à la CEDEF et à la Convention relative aux
droits de l’enfant, et les exceptions à ce principe, si elles sont
prévues, devraient être strictement réglementées en s’assurant qu’il
n’y a pas de discrimination entre les femmes et les hommes dans
l’application de ce principe
.
22. Le fait que 42 Etats membres des Nations Unies aient formulé
des réserves au sujet de l’un ou de plusieurs des articles de fond
de la CEDEF est également source de préoccupation
.
Selon les informations communiquées par ONU Femmes, «30 Etats membres
ont émis des réserves quant au texte de l’article 16 concernant
l’égalité de l’homme et de la femme dans toutes les questions découlant
du mariage et dans les rapports familiaux; 22 Etats membres ont
formulé des réserves pour des problèmes d’incompatibilité avec les lois
religieuses ou les codes traditionnels; 20 Etats membres ont formulé
des réserves au sujet d’articles concernant l’octroi à la femme
de droits égaux à ceux de l’homme en ce qui concerne la nationalité;
et 17 Etats membres ont émis des réserves à l’article 2, sur l’élimination
de la discrimination, qui est le fondement même de la Convention»
.
23. Les Maldives
ont
ratifié la CEDEF mais ont formulé une réserve concernant l’égalité
dans les questions découlant du mariage et dans les rapports familiaux
(y compris le droit de décider du nombre et de l’espacement des
naissances). En vertu de cette réserve, l’article 16 de la Convention
concernant l’égalité de l’homme et de la femme dans toutes les questions
découlant du mariage et dans les rapports familiaux s’applique «sans
préjudice des dispositions de la charia islamique qui régissent
toutes les relations conjugales et familiales de la population des
Maldives qui est en totalité musulmane».
24. Dans sa Recommandation générale no 4,
le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes
s’est «déclaré préoccupé du nombre important de réserves qui semblaient
incompatibles avec l’objet et le but de la Convention» et a demandé
«à tous les Etats parties de réexaminer ces réserves en vue de les retirer»
.
ONU Femmes a noté que les articles de la CEDEF relatifs au droit
de la famille sont ceux pour lesquels les Etats ont le plus fréquemment
émis des réserves arguant de facteurs culturels ou religieux qui restreignent
ou excluent l’application de ces dispositions
.
25. Limiter le nombre de réserves est un moyen pour les Etats
de témoigner de leur engagement à agir en faveur de l’amélioration
de la situation des femmes et, par là même, un moyen de changer
les réalités. Les Etats qui ont ratifié la CEDEF ou y ont adhéré
sont juridiquement tenus d’aller au-delà de l’égalité de droit aux fins
de parvenir à une égalité de fait.
26. Cela étant, certains signes d’amélioration sont toutefois
perceptibles. Selon ONU Femmes, la tendance actuelle est au retrait
progressif des réserves. A titre d’exemple, le Maroc a, en avril
2011, levé sa réserve à l’article 16. L’Algérie a supprimé en 2009
la réserve qu’elle avait formulée au sujet de l’article 9.2 sur
la nationalité des enfants et l’Egypte a fait de même en 2008. La
Malaisie a retiré en juillet 2010 sa réserve à l’article 16.2 concernant
le mariage des enfants. Le Luxembourg a retiré le 9 janvier 2008
ses réserves à l’article 7 (élimination de la discrimination à l’égard
des femmes dans la vie politique et publique)
et
à l’article 16.1.
g (droit
de choisir le nom de famille) de la convention
.
Les progrès restent lents et les organisations internationales devront
poursuivre leurs efforts conjointement avec la société civile afin
de confirmer cette tendance.
27. Un nouvel élan est aujourd’hui nécessaire pour relancer la
volonté et l’action politiques également à l’égard de la CEDEF.
Les objectifs prioritaires devraient être:
- de limiter ou retirer les réserves existantes qui sont
contraires à la lettre et à l’esprit de la convention;
- d’abroger ou de réviser la législation nationale qui est
contraire à la convention;
- de ratifier le Protocole facultatif à la convention;
- de renforcer le mécanisme de contrôle de la convention,
afin de garantir un contrôle effectif de la mise en œuvre au plan
national et d’accroître la redevabilité des Etats.
2.3. Les objectifs du Millénaire pour le développement
28. Les objectifs du Millénaire pour le développement
(OMD) convenus lors de la Conférence de Beijing constituent un axe
d’action supplémentaire. En particulier, les OMD 2, 3 et 5 font
explicitement référence à la situation des femmes dans le domaine
de la santé maternelle, l’éducation et l’autonomisation des femmes
.
29. La pleine réalisation des OMD, notamment de l’OMD 3 sur la
promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes
et l’OMD 5 sur l’amélioration de la santé maternelle, semble improbable
d’ici à 2015, année durant laquelle tous les pays devraient avoir
atteint les OMD.
30. Il est nécessaire de revoir l’évaluation de l’état d’avancement
par rapport aux OMD, en particulier celui des trois objectifs relatifs
à la situation des femmes. Dans une publication récente, les Nations
Unies ont donné un avis sur les systèmes d’évaluation des progrès
réalisés dans les Etats qui se sont engagés à atteindre les OMD
.
Le rapport formule en particulier une recommandation sur la nécessité
de demander un bilan des progrès réalisés par chaque pays.
31. De même, les Nations Unies affirment que les OMD ne seront
atteints et les autres engagements envers les femmes respectés que
lorsque des systèmes de redevabilité sensibles aux «sexospécificités»
auront été mis en place aux niveaux national et international
.
3. Egalité, discrimination, sexe et genre: comment
des querelles d’ordre sémantique entravent les progrès en matière
d’amélioration de la vie quotidienne des femmes
32. Les divergences sur des concepts majeurs ayant trait
au statut des femmes ne peuvent que retarder la réalisation de progrès
substantiels dans ce domaine. Il est nécessaire de mieux définir
les concepts d’«égalité» et de «discrimination» afin d’améliorer
les futurs cadres juridiques d’action politique. Toutefois, les
concepts de «sexe» et de «genre» sont souvent utilisés sans distinction,
ce qui rend les débats axés sur l’«égalité» et la «discrimination»
difficiles à suivre.
33. Au cours des récentes rencontres mondiales consacrées aux
droits de la femme, telles que la session annuelle de la Commission
de la condition de la femme (la 55e session
s’est tenue du 22 février au 4 mars et le 14 mars 2011) ainsi que
la 44e session de la Commission de la
population et du développement des Nations Unies (11-15 avril),
plusieurs pays se sont opposés aux notions de genre internationalement
acceptées.
34. Cette année, la session de la Commission de la condition de
la femme a vu des reculs sur le langage déjà convenu du Programme
d’action de Beijing. Des groupes d’Etats dont, d’une part, le Saint-Siège, l’Organisation
de la Conférence islamique (Qatar, Iran, Yémen, Pakistan et Syrie)
et le Bénin (au nom du Groupe africain) et, d’autre part, la Suisse,
l’Union européenne, la Turquie et le Mexique, ont été en désaccord principalement
sur les termes tels que «genre», «intégration de la dimension de
genre» (gender mainstreaming),
«égalité des genres», «analyse sexospécifique», «éducation sexuelle»,
«santé sexuelle et reproductive», «santé maternelle» et «droits
de la femme».
35. Le Saint-Siège et le Groupe africain ont émis de fortes réticences
à l’utilisation de ces expressions et ont à plusieurs reprises demandé
l’ajout des mots «hommes et femmes» après le terme «genre» ou d’une référence
en ce sens en note de bas de page à la définition figurant dans
le Programme d’action de Beijing. Leur préoccupation sous-jacente
est de prévenir toute reconnaissance d’une notion d’identité de
genre qui aille au-delà des sexes biologiques masculin et féminin,
refusant de ce fait toute reconnaissance juridique du concept de
«genre» en tant que construction sociale, comprenant les personnes
lesbiennes, gays, transgenres et sans genre.
36. Selon moi, ce débat constitue en lui-même une régression par
rapport à ce qui avait été convenu à ce jour. Les définitions existantes
des concepts de «genre», «sexe», «égalité» et «discrimination» sont
et devraient être suffisamment larges pour couvrir des conceptions
et des sensibilités différentes; une définition excessivement étroite
réduirait les réalisations déjà accomplies par certains Etats qui
ont reconnu les droits des LGBT (personnes lesbiennes, gays et transgenres).
Par ailleurs, les heures passées à discuter de la signification
de ces concepts pourraient être employées à meilleur escient aux
fins d’améliorer la vie quotidienne des femmes et de toutes les
personnes victimes de violations de leurs droits en raison de leur sexe,
genre ou orientation sexuelle. Dans un contexte global, il est essentiel
de s’efforcer d’aller dans la direction d’une séparation totale
de l’Etat et de la religion afin d’assurer une avancée réelle des
droits des femmes.
4. Trois domaines cruciaux d’action politique
37. L’égalité pour les femmes dans la théorie et dans
la pratique ne peut se concrétiser que si tous les droits humains
sont garantis à la femme par le droit et les pratiques. Ces droits
incluent:
- le droit à la vie,
à l’intégrité physique et psychologique et à la santé;
- une protection contre toutes les formes de violence;
- l’accès à l’éducation et à la formation professionnelle
et la participation égale dans tous les domaines de la vie.
38. Ces droits fondamentaux sont des conditions préalables à l’égale
participation des femmes dans tous les domaines de la vie économique,
politique, sociale et culturelle et dans la sphère familiale.
39. D’autres questions requièrent notre attention et un suivi,
mais ne seront pas étudiées dans le rapport puisqu’elles ne concernent
pas toutes les zones géographiques de la même façon. Ces questions comprennent:
40. De nombreux pays ont avancé à pas de géant en matière d’égalité
des sexes; cependant, les femmes se voient souvent refuser le droit
de disposer de leur corps, la participation aux processus décisionnels
et la protection contre la violence. La justice n’est toujours pas
garantie pour des millions de femmes et de filles. Dans le monde,
53% des femmes qui travaillent, soit au total 600 millions de femmes,
occupent des emplois précaires ou non protégés par le droit du travail.
En moyenne, la rémunération des femmes reste inférieure de 10% à
30% à celle des hommes dans l’ensemble des régions et des secteurs
.
41. Des millions de femmes subissent des violences au quotidien,
tandis que le ciblage systématique des femmes par des violences
sexuelles brutales est une caractéristique des conflits modernes.
42. Le Printemps arabe depuis le début de 2011 a mis en lumière
le rôle actif des femmes dans les processus de démocratisation et
représenté une «opportunité précieuse» pour les femmes
.
Néanmoins, les révolutions ont souvent été accompagnées de violations
graves et systématiques des droits humains, notamment ceux de la
femme. Les annonces faites en Lybie en octobre 2011 sur l’utilisation
de la charia comme source fondamentale de loi et le projet de retirer
les restrictions à la loi sur la polygamie
peuvent
faire reculer les droits des femmes
.
43. Bien que toutes les formes de discrimination à l’encontre
des femmes méritent une attention particulière, le présent rapport
porte sur les trois questions que j’estime cruciales pour l’avancement
et l’amélioration futurs du statut des femmes partout dans le monde,
à savoir: le droit à la vie, à l’intégrité physique et psychologique et
à la santé; la nécessité de lutter contre toutes les formes de violence
à l’égard des femmes; et, enfin, l’éducation et l’autonomisation
pour garantir l’égalité de participation dans tous les domaines
de la vie.
5. Le droit à la vie, à l’intégrité physique et psychologique
et à la santé
5.1. Santé maternelle
44. Le manque de soins de santé maternelle constitue
une violation des droits des femmes à la vie, à la santé, à l’égalité
et à la non-discrimination. Aucune femme ne doit mourir en raison
d’un accès insuffisant à la planification familiale ainsi qu’aux
soins prénatals et lors de l’accouchement.
45. L’objectif du Millénaire pour le développement no 5,
«Améliorer la santé maternelle», vise à réduire le taux de mortalité
maternelle et à réaliser l’accès universel à la santé reproductive.
D’après les rapports établis par les Nations Unies sur les progrès
accomplis en référence aux OMD
,
l’objectif no 5 est un des objectifs pour
lesquels on a enregistré le moins de progrès. En réalité, à l’échelle
mondiale, il s’agit de l’objectif le moins avancé de tous, puisque
seuls 23 pays pourraient l’atteindre d’ici à 2015.
46. L’Organisation mondiale de la santé estime que plus de 350 000
femmes meurent chaque année de complications liées à la grossesse
ou à l’accouchement, dont la quasi-totalité – 99% – vivent dans
les pays en développement
.
47. Les progrès relatifs à l’OMD 5 dépendent de la réalisation
d’autres OMD, notamment l’OMD 2, «Assurer l’éducation primaire pour
tous», et l’OMD 3, «Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation
des femmes». L’OMD 2, qui souligne l’importance de l’éducation,
est directement lié à la santé et à la mortalité maternelles, sachant
que les femmes qui ont reçu une éducation sont davantage enclines
à solliciter des soins médicaux durant leur grossesse, à faire vacciner
leurs enfants, à mieux s’informer sur les besoins nutritionnels
de leurs enfants et à adopter de meilleures pratiques sanitaires.
48. En outre, l’OMD 3, qui vise à promouvoir l’égalité des sexes
et l’autonomisation des femmes, est étroitement lié à l’OMD 5, puisque
les disparités entre les sexes constituent un des déterminants sociaux
au cœur des inégalités en matière de santé (ce qu’il est convenu
d’appeler l’«inéquité sanitaire»). Des données probantes montrent
que les investissements consacrés à la santé maternelle non seulement
améliorent la santé des mères, mais aboutissent aussi à un accroissement
du nombre de femmes dans la population active et favorisent l’essor
économique des communautés.
5.2. Accès aux services de santé de base, à la santé
reproductive et à la planification familiale
49. M. Amartya Sen, économiste et philosophe indien,
dénoncé le fait que chaque année 100 millions de femmes «manquent
à l’appel», dans le sens qu’elles décèdent sans raison, sans que
l’on essaie d’évaluer le coût économique réel de ces pertes humaines.
50. Chaque année, près d’un demi-million de femmes meurent et
un nombre incalculable de femmes sont atteintes d’un handicap temporaire
ou à long terme à cause de complications liées à la grossesse qui
auraient pu être évitées. De nombreux défenseurs de la santé maternelle
se concentrent exclusivement sur les soins de maternité et les soins
prénatals, l’assistance de personnel spécialisé lors de l’accouchement
et les services obstétricaux d’urgence. Il s’agit effectivement
là de services cruciaux, mais les soins de maternité ne constituent
qu’un volet de l’ensemble complet des droits et des soins de santé
relatifs à la sexualité et à la procréation
.
51. Si le nombre de femmes décédées par suite de complications
au cours de leur grossesse ou de l’accouchement a baissé de 34%,
puisque l’on est passé de 546 000 décès en 1990 à 358 000 en 2008
selon les estimations, cette diminution reste inférieure de plus
de moitié à celle qui serait nécessaire pour atteindre la cible
de l’objectif de l’OMD 5, qui vise à réduire le taux de mortalité
maternelle de 75% entre 1990 et 2015
.
52. Les femmes enceintes meurent encore de quatre causes principales:
fortes hémorragies après l’accouchement, infections, troubles hypertensifs
et avortements à risque. En 2008, chaque jour, près de 1 000 femmes
sont mortes d’une de ces complications. Le risque pour une femme
d’un pays en développement de mourir d’une cause liée à la grossesse
est près de 36 fois supérieur à celui que court une femme vivant
dans un pays développé. En 2008, 99% de tous les décès maternels
ont eu lieu dans des régions en développement, dont 57% en Afrique
subsaharienne et 30% en Asie du Sud
.
54. Les responsables à tous les échelons peuvent sauver des vies
de femmes et améliorer leur santé:
- en faisant des soins de santé et des droits relatifs à
la sexualité et à la procréation une priorité des politiques et
des budgets de santé;
- en associant les femmes et les jeunes à l’élaboration
et à l’évaluation des politiques;
- en prenant parti contre l’inégalité entre les hommes et
les femmes, la contrainte et la violence sexuelles et le mariage
des enfants.
55. Un tiers environ de la population mondiale a moins de 19 ans.
Alors que l’accès aux services et à l’information sanitaires leur
est couramment refusé, les filles sont souvent exposées à des rapports
sexuels non désirés ou contraints, à une grossesse non désirée,
à un avortement pratiqué dans de mauvaises conditions et à des infections
sexuellement transmissibles. Des millions de filles sont mariées
et poussées à devenir mère avant d’être prêtes sur le plan physique
ou psychologique
.
56. Le coût total des investissements réalisés simultanément dans
les services de planification familiale et de santé maternelle et
infantile modernes afin de répondre aux besoins existants serait
de $US 24,6 milliards, ce qui représenterait une hausse de $US 12,8 milliards
par an. Si ce montant représente un peu plus que le double des dépenses
actuelles pour ces services dans les pays en développement, au total
il ne représente que $US 4,50 par habitant. Comme c’est le cas pour
les dépenses actuelles en matière de soins de santé, les fonds supplémentaires
nécessaires pour financer ces services proviendraient à la fois
de ressources nationales et internationales
.
57. Il convient d’accroître les financements et les efforts politiques
pour renforcer les systèmes de santé, en accordant la priorité aux
femmes pauvres en âge de procréer et à leurs enfants en bas âge.
Des fonds suffisants doivent être alloués aux programmes de santé
reproductive dans les budgets nationaux et au sein des programmes
de coopération et de développement. Le renforcement des capacités
en matière de services de santé relatifs à la sexualité et à la
procréation, y compris des soins prénatals et obstétriques, et les
efforts visant à rendre les services attrayants pour les hommes
et les adolescents serviront de base pour renforcer les services
de santé dans l’ensemble
.
58. A l’opposé, le manque de volonté politique de continuer à
progresser peut compromettre les progrès. En guise d’exemple actuel
de recul des droits de reproduction de la femme, l’on peut citer
les récentes modifications à la loi sur l’avortement en Russie
.
Ainsi, par exemple, d’après le nouveau texte soutenu par l’Eglise
orthodoxe russe, les maris russes pourraient se voir accorder le
dernier mot quant à savoir si leur conjointe peut subir un avortement
ou non. De nouvelles dispositions poseront des limites à l’avortement
en imposant aux centres de santé d’avertir les femmes sur les risques
sérieux pour la santé associés à l’avortement tels que la perte
de fertilité.
59. Dans l’ensemble de l’Europe, la mortalité maternelle a reculé
à 14,1 décès pour 100 000 naissances vivantes en 2008, soit presque
50% du niveau de 1990. Selon l’Organisation mondiale de la santé,
un grand nombre de décès maternels en Europe sont liés à des causes
qui pourraient pour la plupart être évitées, comme les hémorragies,
les avortements pratiqués dans de mauvaises conditions et l’éclampsie.
60. Il y a un besoin impérieux d’élargir l’éventail de méthodes
contraceptives disponibles aux usagers dans toute la région d’Europe
centrale et orientale et de les rendre abordables à la population,
tout particulièrement aux populations vulnérables, au moyen de mécanismes
de prix subventionnés. Ainsi, par exemple, la situation a évolué
de façon inquiétante en République slovaque, où le Conseil national
(parlement) a adopté, en septembre 2011, des dispositions concernant
la loi relative aux conditions de prise en charge des médicaments,
appareils médicaux et aliments diététiques par le système public
d’assurance, et modifiant et complétant certaines lois qui interdisent
maintenant de façon explicite la prise en charge par le régime public d’assurance
maladie des contraceptifs utilisés pour prévenir les grossesses.
Ladite loi retire également la section 3 de la loi sur l’interruption
volontaire de grossesse qui exigeait que «les contraceptifs destinés
à prévenir les risques de grossesse, les examens médicaux, et les
examens de suivi soient prescrits aux femmes à titre gratuit».
61. Le coût croissant des contraceptifs sur le marché libre en
Europe, dont la plupart des femmes sont tributaires, est un motif
de préoccupation. En outre, l’accès aux services pour les femmes
vivant dans des zones reculées reste un obstacle majeur à l’utilisation
des services de santé. L’absence d’informations sur les services
en est un autre
.
62. Les taux les plus élevés de grossesses chez les adolescentes
sont constatés en Bulgarie (41%), en Roumanie (36%) et au Royaume
Uni (26%)
.
Dans certaines régions d’Europe, le retour à des pratiques traditionnelles
telles que le mariage précoce est considéré comme un des facteurs
contribuant au taux élevé de grossesses chez les adolescentes encore
observé dans certains pays (par exemple l’Azerbaïdjan, l’Ukraine et
la Géorgie). Les jeunes adolescentes ont plus de risques de mourir
ou de connaître des complications pendant la grossesse et lors de
l’accouchement que les femmes adultes. En outre, les enfants de
ces jeunes mères présentent un risque plus élevé de morbidité et
de mortalité.
63. Un récent rapport de l’Union interparlementaire intitulé «L’accès
à la santé, un droit fondamental: quel rôle les parlements peuvent-ils
jouer pour garantir la santé aux femmes et aux enfants» a appelé
les Etats parties à garantir le droit des femmes et des enfants
à la santé sans qu’ils soient soumis à quelque discrimination que
ce soit
.
64. Le 24 octobre 2011, dans son rapport intitulé «Droit de jouir
du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être
atteint»,
le
rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la santé a critiqué ouvertement
les lois et politiques qui limitent l’accès à l’interruption volontaire
de grossesse, dictent une conduite aux femmes pendant la grossesse,
restreignent l’éducation sexuelle et font obstacle aux informations et
aux services relatifs à la contraception et à la planification familiale.
65. Le rapport examinait l’impact disproportionné que ces lois
et politiques ont sur ceux qui subissent déjà des violations des
droits humains et le refus de soins de santé appropriés (par exemple
femmes, populations pauvres), insistant sur le droit des personnes
à la dignité et à l’autonomie dans les décisions relatives à la santé.
Il est à noter que le précédent rapporteur sur le droit à la santé,
M. Paul Hunt, avait plaidé pour que le Conseil des droits de l’homme
des Nations Unies reconnaisse la mortalité maternelle comme une
question relative aux droits de l’homme, ce qui peut d’ores et déjà
être constaté dans les décisions de justice en Inde
et
dans des affaires en cours en Ouganda
.
6. La nécessité de lutter contre toutes les formes
de violence à l’égard des femmes
66. La violence à l’égard des femmes est tellement généralisée
et systématique qu’elle peut être définie comme un phénomène pandémique.
Libérer les femmes de cette menace dans les sphères publique et
privée est essentiel pour leur autonomisation. Dans tous les pays
du monde, les femmes issues de toutes les catégories et cultures
subissent des violences sexuelles, physiques et émotionnelles.
67. La violence à l’égard des femmes est couramment perpétrée
dans des lieux où elles devraient se sentir en sécurité: au domicile,
sur le lieu de travail et même dans des lieux placés sous protection.
La violence peut faire partie du quotidien des femmes vivant dans
des camps de réfugiés ou de personnes déplacées à l’intérieur de
leur propre pays. Ainsi, en Haïti, la violence sexuelle à l’égard
des femmes est en hausse. Un rapport d’Amnesty International cite
plus de 250 cas de viol dans les camps de personnes déplacées pendant les
cent cinquante jours qui ont suivi le tremblement de terre de janvier
2010.
68. Une femme sur trois aura été battue ou forcée d’avoir des
rapports sexuels ou aura subi d’autres abus au cours de son existence
.
La violence aggrave la vulnérabilité des femmes à l’infection au
VIH; elle limite leur accès aux services de santé relatifs à la
sexualité et à la procréation pouvant sauver la vie, et accroît
la stigmatisation et la discrimination.
69. La violence à l’égard des femmes constitue une forme grave
de violation des droits humains des femmes.
70. La Recommandation générale no 19
(1992) relative à la violence à l’égard des femmes du Comité des Nations
Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes
a noté que la violence fondée sur le sexe constitue une discrimination
au sens de l’article premier de la Convention sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
71. La Déclaration des Nations Unies sur l’élimination de la violence
à l’égard des femmes, adoptée en 1993, établit un cadre très large
et inclusif pour appréhender la violence à l’égard des femmes. Selon
cette définition: «les termes “violence à l’égard des femmes” désignent
tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant
ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques,
sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes,
la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans
la vie publique ou dans la vie privée»
.
Plus précisément, la déclaration énumère un large éventail d’actes
et de circonstances relevant de cette définition:
- «La violence physique, sexuelle
et psychologique exercée au sein de la famille, y compris les coups,
les sévices sexuels infligés aux enfants de sexe féminin au foyer,
les violences liées à la dot, le viol conjugal, les mutilations
génitales et autres pratiques traditionnelles préjudiciables à la
femme, la violence non conjugale, et la violence liée à l’exploitation»;
- «La violence physique, sexuelle et psychologique exercée
au sein de la collectivité, y compris le viol, les sévices sexuels,
le harcèlement sexuel et l’intimidation au travail, dans les établissements d’enseignement
et ailleurs, le proxénétisme et la prostitution forcée»;
- «La violence physique, sexuelle et psychologique perpétrée
ou tolérée par l’Etat, où qu’elle s’exerce».
72. La déclaration reconnaît que certaines catégories de femmes
sont particulièrement exposées à la violence, comme les femmes appartenant
à des minorités, les femmes autochtones, les femmes réfugiées, les femmes
migrantes, les femmes vivant dans des communautés rurales ou reculées,
les femmes démunies, les femmes internées ou détenues, les enfants
filles, les femmes atteintes d’un handicap, les femmes âgées et
les femmes se trouvant dans un contexte de conflit armé.
73. Etant aussi inclusive, la définition de la violence à l’égard
des femmes retenue par la déclaration de 1993 établit un bon cadre
conceptuel pour l’examen du phénomène en question. Toutefois, étant
donné que les types de violence varient sensiblement en termes de
caractéristiques, les méthodes de collecte de données sur la violence
à l’égard des femmes doivent être adaptées en fonction du type de
violence examinée. Il convient de veiller en particulier à couvrir
les formes de violence à l’égard des femmes par région, sachant
que les données relatives à plusieurs pays et types de violence
continuent à ne pas être déclarées, et à évaluer la prévalence de
la violence chez certaines populations difficiles à atteindre.
6.1. Violence à l’égard des femmes et violence domestique
74. A l’occasion de l’échange de vues organisé lors de
la réunion de la commission à Paris le 9 septembre 2011, Mme Dagmar
Schumacher, directrice du Bureau d’ONU Femmes à Bruxelles, a déclaré
qu’environ 603 millions de femmes et de filles vivent toujours dans
des pays dépourvus de protection juridique spécifique contre la
violence domestique. En Europe, entre 8% et 35% des femmes ont subi
des violences physiques au moins une fois dans leur vie.
75. Le 11 mai 2011, la Convention du Conseil de l’Europe sur la
prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et
la violence domestique (STCE no 210)
était ouverte à la signature lors de la session du Comité des Ministres
à Istanbul.
76. Fondée sur la formule des «trois P» (prévention, protection
et poursuites)
,
la convention constitue véritablement l’instrument le plus complet
au monde consacré à ce sujet. A ce jour, seuls 16 Etats membres du
Conseil de l’Europe l’ont signée, et la Turquie est le seul Etat
à l’avoir également ratifiée
.
Tous les Etats membres devraient être encouragés à ratifier la convention
dès que possible, de façon qu’elle puisse entrer en vigueur. En
outre, davantage d’Etats devraient être encouragés à la signer et
à la ratifier. Cela constituerait non seulement le signe d’une volonté
politique d’éliminer la violence à l’égard des femmes, mais aussi
un signe de la volonté d’opérer un véritable changement dans la
vie des femmes.
77. Lorsque l’on aborde la question de la violence domestique,
un certain nombre d’éléments doivent être pris en considération:
- taux de signalement: la violence
domestique est de façon chronique un des délits les moins signalés;
- impact économique: selon les estimations de l’enquête
nationale sur la violence à l’égard des femmes réalisée en 2001
aux Etats-Unis, le coût annuel des violences exercées par le partenaire
intime s’est élevé chaque année à plus de $US 5,8 milliards, dont
$US 4,1 milliards au titre de services médicaux et de santé mentale
directs;
- enfants témoins de violence domestique: la violence domestique
est, dans une majorité de cas, une violence exercée sur la femme
par un homme de son environnement social immédiat. Chaque fois qu’une
mère est victime de violence, il y a de fortes probabilités qu’un
enfant soit témoin de cette scène de violence. Chaque enfant exposé
à la violence domestique a ses réactions propres, mais le fait d’être témoin
de violence contre sa mère constitue dans tous les cas une forme
de mauvais traitement psychologique susceptible d’avoir des conséquences
graves sur l’enfant ;
- agression sexuelle: l’agression sexuelle est étroitement
liée à la violence domestique. Des agressions sexuelles ou des rapports
sexuels sous la contrainte se produisent dans environ 40 à 45% des
relations caractérisées par des coups et blessures .
78. Dans le cadre réglementaire actuel de l’Union européenne,
il n’y a aucun instrument spécifique relatif à la violence domestique,
même si un certain nombre d’instruments se penchent sur le problème
dans le contexte des droits fondamentaux, de l’égalité des sexes,
de la justice pénale et de la santé publique. En raison de sa complexité,
ce problème omniprésent exige une stratégie plus cohérente à l’échelle
de l’Union européenne afin de prévenir sa survenance et de protéger
les femmes, comme l’a préconisé le Parlement européen
.
79. Mme Viviane Reding, vice-présidente
de la Commission européenne, a défini la violence à l’égard des femmes
comme une violation des droits fondamentaux des femmes et a montré
une forte résolution à créer un cadre politique plus cohérent pour
lutter contre ce phénomène, sachant que quelques mesures prometteuses sont
en cours d’examen, comme la mise en place d’un dispositif de collecte
de données relatives à la violence à l’égard des femmes à l’échelle
de l’Union européenne.
80. Le coût économique de la violence doit également être pris
en considération. Calculer le coût de la violence faite aux femmes
par les hommes ne consiste pas uniquement à présenter des chiffres,
mais aussi à fournir une analyse globale du problème.
81. Un rapport du Bureau national suédois pour la santé et le
bien-être (
Kostnader för våld mot kvinnor
– En samhällsekonomisk analys – «Coûts de la violence
à l’égard des femmes – Analyse socio-économique») fait apparaître
que la violence à l’égard des femmes grève lourdement le budget
d’un certain nombre d’organismes sociaux
.
82. En Suède, près de 23 000 cas de mauvais traitements à l’égard
des femmes sont signalés chaque année à la police. En outre, plus
de 2 000 cas de violation flagrante de l’intégrité des femmes, près
de 18 000 cas de menaces illégales à l’encontre de femmes et plus
de 15 000 cas de harcèlement de femmes sont signalés. De nombreux
cas ne sont pas signalés. Les enfants souffrent énormément de la
violence, qu’ils en soient témoins ou victimes directes. Environ
10% de tous les enfants ont subi au moins une fois ce type de violence
et 5% en sont souvent victimes.
83. Dans son rapport de 2006, le Bureau national pour la santé
et le bien-être a estimé que le coût de la violence faite aux femmes
par les hommes atteint entre 2,7 et 3,3 milliards de couronnes suédoises
(krona) (297 à 362 millions d’euros) par an en Suède. Cela correspond
à 35 900 à 44 000 krona par femme (3 931 à 4 818 euros).
84. Les coûts directs de ces violences sont estimés entre 1 978
et 2 536 krona (soit 216 à 277 euros), qui comprennent les traitements
hospitaliers, les frais de justice, les services sociaux, les structures d’hébergement
pour les femmes et les groupes de soutien pour les victimes de la
criminalité et les frais correspondants dans le secteur public,
ainsi que les frais de traitement des hommes violents. En outre,
les autorités centrales et l’organisme de sécurité sociale supportent
des frais de traitement de ces cas de violence. Le rapport estime
les coûts indirects entre 717 et 764 millions de krona (78 à 84 millions
d’euros) par an. Il faut ajouter à cela la valeur de la perte de
production et le travail bénévole, ainsi que les coûts des transferts
qui ont été estimés à 690 millions de krona, dont les prestations
maladie qui s’élèvent à 347 millions de krona. Les transferts au
titre de l’aide économique ont été estimés à 378 millions de krona
et l’indemnisation du préjudice à 10 millions de krona.
85. L’étude n’a pas pris en compte les coûts correspondant aux
soins dentaires, médicaments, lésions et douleurs ainsi que les
souffrances des enfants victimes des actes de violence. Un autre
poste important qui n’a pas été pris en compte dans les calculs:
le coût des soins psychiatriques. Les résultats d’une étude britannique
révèlent que ces coûts sont extrêmement élevés; si les montants
détaillés dans cette étude devaient être adaptés à la réalité de
la Suède, le rapport du Bureau national pour la santé et le bien-être
estime que le montant total des frais énumérés serait supérieur.
6.2. Traite des êtres humains à des fins d’exploitation
sexuelle
86. Dans les dix prochaines années, les experts en criminologie
prévoient que la traite des êtres humains dépassera le trafic de
drogues et d’armes en termes de répercussions, de coût pour le bien-être
et de rentabilité pour les auteurs des délits
. Comme
c’est le cas pour le trafic international de stupéfiants et le commerce
illicite d’armes, le profit est la motivation essentielle de la
traite des êtres humains. Les personnes devenant vulnérables à l’exploitation
et les entreprises cherchant continuellement de la main d’œuvre
aux coûts les plus bas, la traite des êtres humains génère des profits
et un marché de la traite des êtres humains est apparu.
87. Les Nations Unies estiment qu’environ 2,5 millions de personnes
font l’objet de la traite dans le monde à tout moment considéré,
dont 80% de femmes et d’enfants
.
D’après l’Organisation internationale du travail, l’industrie du
sexe génère quelque $US 32 milliards chaque année
.
Toutefois, les revenus générés par la prostitution dans la seule
ville de Las Vegas sont estimés à pas moins de $US 5 milliards
.
Selon les données d’EUROPOL, ce marché génère plus de profits que
celui de l’armement ou de la drogue en raison du coût nul de la
«matière première».
88. Aux termes de la Convention du Conseil de l’Europe sur la
lutte contre la traite des êtres humains (STCE no 197):
«L’expression “traite des êtres humains” désigne le recrutement,
le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes,
par la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes de
contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou
d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation
de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne
ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation
comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui
ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services
forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la
servitude ou le prélèvement d’organes.»
89. En effet, les premières victimes dans le monde sont des femmes
et des filles, la forme de traite la plus courante étant la traite
à des fins d’exploitation sexuelle (79%), suivie par celle à des
fins de travail forcé (18%)
.
90. Les disparités économiques marquées entre les pays, conjuguées
avec les possibilités limitées de gagner sa vie, ont favorisé la
traite de femmes en provenance de l’Afrique, de l’Asie et de l’Europe
centrale et orientale et à destination principalement de l’Europe
occidentale et de l’Amérique du Nord.
91. Au-delà des raisons de la traite à des fins d’exploitation
sexuelle, il importe de réfléchir sur les conséquences de ce phénomène
sur les femmes. Ainsi, par exemple, le principal risque de la prostitution
pour la santé est le décès prématuré. D’après une récente étude
effectuée aux Etats‑Unis sur près de 2 000 prostituées qui ont fait
l’objet d’un suivi sur une période de trente ans, les causes de
décès les plus courantes sont de loin – dans l’ordre – l’homicide,
le suicide, les problèmes liés à la drogue et à l’alcool, l’infection
par le VIH et les accidents. Le taux d’homicide chez les prostituées
actives s’est révélé 17 fois plus élevé que celui de la population
de la même tranche d’âge
.
92. On note une forte réticence de nombreux acteurs à reconnaître
que la présence de «marchés de la prostitution» dans les pays de
destination est un facteur d’incitation pour la traite. La traite
des êtres humains est un commerce réel avec un marché, des fournisseurs
créant des monopoles qui dépendent de régions géographiques et une
différentiation des produits, avec des personnes considérées comme
des produits. Sans la demande de femmes dans l’industrie du sexe,
il n’y aurait pas de marché pour les proxénètes et, par voie de
conséquence, il n’y aurait pas de chaîne d’approvisionnement. Selon
une étude de l’Organisation internationale pour les migrations,
«les trafiquants profitent de la disparité entre les bas salaires
et le manque d’offres d’emploi dans certaines régions et l’offre
abondante d’emplois et les salaires élevés dans d’autres régions»
.
Le système d’évaluation des Nations Unies a établi très clairement
que le système suédois – dans lequel le recours à la prostitution
est érigé en infraction pénale – est le seul qui lutte réellement
contre la traite et s’efforce de s’attaquer au problème de la demande
qui crée l’offre
.
93. Au cours des dernières années, le nombre de pays dans le monde
qui ont pris des mesures pour mettre en œuvre l’accord international
le plus important dans ce domaine – le Protocole des Nations Unies
contre la traite des personnes – a doublé. Toutefois, de nombreux
pays, notamment en Afrique, ne disposent toujours pas du système
et des instruments juridiques nécessaires. Le nombre de condamnations
certes progresse, mais pas dans les mêmes proportions que la prise
de conscience croissante du problème
.
94. Il est possible d’agir parce que nous connaissons les mesures
qui sont efficaces contre ce problème. Nous pouvons commencer à
faire reculer la traite à des fins d’exploitation sexuelle si nous
réprimons sévèrement ceux qui en profitent à l’échelle nationale
et multinationale, imposons des sanctions pénales à ses clients,
offrons une voie de sortie à ses victimes et créons des possibilités
économiques substitutives pour les filles et les femmes qui sont
en danger.
7. Education, formation professionnelle et égalité
de participation dans tous les domaines de la vie
95. L’éducation est un droit humain et un outil essentiel
pour atteindre les objectifs d’égalité, de développement et de paix.
L’éducation non discriminatoire profite aussi bien aux filles qu’aux
garçons et contribue en fin de compte à des relations plus égalitaires
entre les femmes et les hommes. Comme l’a déclaré la lauréate du
prix Nobel de littérature (1991) Nadine Gordimer, «l’analphabétisme
est la pauvreté de l’intellect».
96. L’éducation des femmes et des enfants, en particulier des
filles, peut offrir aux femmes de plus grandes possibilités pour
se sortir de la pauvreté et élever leur position sociale. Les pays
où il existe une forte discrimination fondée sur le sexe et des
hiérarchies sociales marquées limitent l’accès des femmes à l’éducation
de base. Selon les dernières estimations publiées par le Fonds des
Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), plus de la moitié des 101 millions
d’enfants en âge d’aller à l’école primaire mais non scolarisés
sont des filles
.
97. Même au sein du foyer, l’éducation des filles est souvent
sacrifiée pour permettre aux frères de fréquenter l’école. La liberté
de faire des choix informés et le fait d’avoir des possibilités
d’atteindre ces objectifs constituent un aspect important des capacités,
l’éducation de base étant une condition essentielle pour utiliser activement
les ressources et les informations. Non seulement elle permet aux
femmes de réduire la pauvreté du ménage, mais elle accroît aussi
les possibilités d’éducation pour les enfants, tout en promouvant
la santé maternelle et la liberté de circulation.
7.1. Analphabétisme et accès limité à l’éducation pour
les jeunes filles
98. Pour la population des quatre coins du monde, en
particulier les femmes, l’alphabétisme est le pont entre la pauvreté
aux effets dévastateurs et l’espoir d’un nouvel avenir. Le taux
d’analphabétisme a sensiblement progressé ces cinquante dernières
années, mais ces cinq dernières années il s’est stabilisé autour
de 23%. Un adulte sur quatre dans le monde est analphabète
.
99. Bien que la plupart des organisations de développement identifient
l’alphabétisation des femmes comme le facteur de développement le
plus important, une femme sur trois dans le monde ne sait ni lire
ni écrire. L’analphabétisme n’est pas l’apanage des adultes; en
1986, 105 millions d’enfants âgés de 6 à 11 ans n’étaient pas scolarisés.
Cette activité explore plusieurs aspects de la question de l’alphabétisation
à l’échelle mondiale: l’écart entre les sexes, des histoires personnelles
d’individus touchés par l’analphabétisme et des programmes qui donnent
des résultats
.
100. D’après l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation,
la science et la culture (UNESCO), «[u]n analphabète est une personne
incapable de lire et d’écrire, en le comprenant, un exposé simple
et bref de faits en rapport avec la vie quotidienne. En conséquence,
une personne capable seulement de lire et d’écrire des chiffres
et son nom doit être considérée comme analphabète, de même qu’une
personne qui sait lire mais non écrire, ou une personne qui ne peut
lire et écrire qu’une expression rituelle apprise par cœur» (Programme
de Beijing).
101. Les recherches menées dans le cadre de la Campagne mondiale
pour l’éducation indiquent que l’éducation primaire est le seuil
minimal requis pour bénéficier de programmes d’information sur la
santé. L’éducation de base est non seulement essentielle pour pouvoir
traiter et évaluer des informations, mais elle donne aussi aux groupes
les plus en marge de la société – notamment les jeunes femmes –
le statut et la confiance nécessaires pour agir sur la base des
informations et refuser les rapports sexuels à risque
.
Une étude ayant porté sur 32 pays a révélé que les femmes qui étaient
allées au-delà du cycle d’éducation primaire avaient cinq fois plus
de chances d’être informées sur le VIH/sida que les femmes analphabètes.
Les femmes analphabètes, en revanche, avaient quatre fois plus de
probabilités de penser qu’il n’y a aucun moyen de prévenir l’infection
au VIH
.
102. La majeure partie des recherches qui ont porté sur les femmes
et l’éducation montre également que l’éducation au-delà du cycle
primaire a une très grande incidence, puisqu’elle donne le plus
de chances d’autonomisation pour les femmes. Un niveau d’éducation
élevé apporte beaucoup plus que des informations spécifiques sur
les risques concernant la santé. Il permet aussi aux adultes et
aux jeunes d’acquérir davantage de compétences pratiques, dont ils
ont besoin pour faire des choix informés et développer une indépendance matérielle
et intellectuelle. Les filles et les femmes en retirent une confiance
en leur propre valeur et des connaissances.
103. L’éducation a une incidence sur les risques concernant la
santé des jeunes femmes, mais peut aussi changer la vie des femmes:
- en réduisant la pauvreté: par
exemple, les femmes des zones rurales qui n’ont pas reçu d’instruction risquent
deux fois plus de vivre dans l’extrême pauvreté que celles qui ont
bénéficié de huit années d’enseignement ou plus;
- en améliorant la santé des femmes et de leurs enfants:
les mères qui ont eu accès à l’éducation ont davantage recours aux
soins de santé, y compris aux services de santé, qui préviennent
les maladies infantiles mortelles. Dans le monde, le risque de mort
prématurée pour un enfant baisse d’environ 8% pour chaque année
que la mère a passée à l’école primaire;
- en retardant le mariage: au Bangladesh et en Ethiopie,
par exemple, l’augmentation de la scolarisation a joué un rôle primordial
dans la réduction des mariages précoces, en partie en faisant en
sorte que les filles aient accès à l’information et aux réseaux
sociaux qui peuvent les protéger;
- en réduisant les mutilations génitales féminines (MGF):
les femmes qui ont reçu une éducation ont plus de deux fois moins
de risques d’être soumises à des mutilations génitales féminines
et quatre fois plus de chances de s’y opposer pour leurs filles;
- en augmentant la confiance en soi et le pouvoir décisionnel:
il est démontré que, bien que les femmes, partout dans le monde,
continuent à être soumises à des rapports de force inégaux, l’augmentation
de la scolarisation aide les femmes à améliorer leur statut et leur
assure un plus grand pouvoir de décision au sein de la famille et
plus largement dans la communauté .
104. Des défis majeurs demeurent. De nombreuses femmes – en particulier
les filles – continuent d’être exclues du système éducatif et bien
d’autres sont scolarisées mais n’acquièrent pas suffisamment de connaissances
pour pouvoir se préparer aux marchés du travail du XXIe siècle.
Dans certains pays, l’accès à l’éducation secondaire et à l’enseignement
supérieur, qui permet de créer une main-d’œuvre qualifiée et connaissant
bien son métier, continue d’être limité; et lorsque l’accès ne pose
pas de difficultés, la qualité de l’éducation dispensée est souvent
médiocre
.
105. La 4e Conférence mondiale sur les
femmes, tenue à Beijing en 1995, a reconnu que l’alphabétisme chez les
femmes est fondamental pour favoriser la participation de ces dernières
à la prise de décisions dans la société et améliorer le bien-être
des familles. En outre, les Nations Unies ont formulé les objectifs
du Millénaire pour le développement, qui visent notamment à améliorer
l’éducation et à promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation
des femmes. Les OMD mettent l’accent sur le rôle essentiel de l’éducation
pour construire des sociétés démocratiques et créer les bases d’une
croissance économique soutenue
.
106. L’économie mondiale étant de plus en plus ouverte, diverses
tendances (comme la recherche de main-d’œuvre compétente mais peu
chère) posent des difficultés aux femmes qui sont analphabètes ou
n’ont qu’un niveau d’instruction limité. L’ouverture à l’exportation
des économies et l’importance croissante des petites et moyennes
entreprises créent des débouchés pour les femmes; toutefois, ces
dernières ont besoin dans le même temps de suivre un enseignement
et une formation appropriés pour tirer pleinement profit de ces possibilités
.
7.2. Féminisation de la pauvreté
107. L’expression «féminisation de la pauvreté» tire son
origine des débats aux Etats‑Unis sur les mères célibataires et
le bien-être qui remontent aux années 1970. Elle indique que les
femmes représentent un pourcentage disproportionné des pauvres de
la planète. Le Fonds de développement des Nations Unies pour la
femme la décrit comme «le poids de la pauvreté pour les femmes,
dans les pays en développement en particulier»
.
108. L’expression «féminisation de la pauvreté» est elle-même sujette
à controverses et a été définie de différentes façons. Elle est
habituellement employée pour désigner trois états de fait différents:
- les femmes sont plus touchées
par la pauvreté que les hommes;
- leur pauvreté est plus grave que celle qui touche les
hommes;
- les femmes tendent à sombrer davantage dans la pauvreté,
notamment du fait de l’augmentation du nombre de ménages ayant à
leur tête une femme .
109. Malgré l’absence de définition précise, les agences de développement
multilatérales et bilatérales ont axé leur politique en matière
d’égalité des sexes sur la corrélation entre les inégalités entre
hommes et femmes et la hausse de l’incidence de la pauvreté. D’après
le Programme des Nations Unies pour le développement, «la pauvreté
a un visage féminin – sur 1,3 milliard de personnes vivant dans
la pauvreté, 70% sont des femmes». Toutefois, l’absence de données
systématiques qui ventilent les dépenses ou la consommation par sexe
rend ces affirmations moins fiables. Il convient de mener d’autres
travaux de recherche afin d’apporter des preuves tangibles des liens
existant entre ces deux facteurs.
110. Toutefois, compte tenu du caractère plus limité et conditionnel
des droits dont elles disposent, les femmes sont généralement plus
exposées à la pauvreté et, lorsqu’elles sont pauvres, ont moins
de possibilités de ne plus l’être. La discrimination sexuelle au
foyer et sur le marché du travail peut donner lieu à une répartition
inégale des ressources, de sorte que les femmes sont plus durement
frappées par la pauvreté que les hommes
.
111. Ce concept est non seulement une conséquence de l’insuffisance
des revenus, mais aussi le résultat de la privation de capacités
et de préjugés sexistes présents dans les sociétés et les administrations.
Il inclut la pauvreté de choix et d’opportunités, comme la possibilité
de mener une vie longue, saine et créative et de jouir de droits
fondamentaux tels que la liberté, le respect et la dignité.
7.3. Egalité de participation des hommes et des femmes
à la vie familiale
112. Confinées à des sphères d’activité réduites dans
la vie de la société, privées de possibilités d’éducation et de
droits humains élémentaires de la personne humaine, victimes de
violence et souvent traitées comme moins que des êtres humains,
les femmes ont été empêchées de réaliser leur véritable potentiel
.
Un potentiel qui est bon pour elles, leurs familles et la société
dans son ensemble.
113. M. Amartya Sen plaide avec force pour l’idée selon laquelle
les sociétés doivent voir les femmes moins comme des bénéficiaires
passives d’assistance et plus comme des promotrices dynamiques de
transformation sociale, point de vue solidement étayé par un ensemble
de données probantes indiquant que les droits des femmes à l’éducation,
à l’emploi et à la propriété ont une forte incidence sur leur capacité
à maîtriser leur environnement et à contribuer au développement
économique
.
114. Appliquer dans le monde une politique de congé parental égalitaire
et non transférable peut sembler utopique aujourd’hui. Cependant,
les résultats et les conséquences attendus d’une telle politique
sont trop prometteurs pour que nous ne tendions pas à la mettre
en œuvre. On dispose d’un éventail de travaux de recherche qui montrent
qu’un degré accru de partage des tâches liées aux soins dans les
familles se traduit par un ensemble de retombées positives pour
toutes les parties concernées, y compris la société dans sa globalité
.
115. Plusieurs études révèlent que l’implication active et régulière
du père dans les soins à l’enfant prédit une série de résultats
positifs, en termes de santé et de développement de l’enfant aussi
bien que de bien-être et de santé mentale de la mère après l’accouchement
.
116. D’après les conclusions d’une enquête nationale sur les ménages
réalisée en Norvège à partir de 2006, la combinaison de l’allongement
du congé de paternité et d’autres efforts visant à promouvoir l’implication
des hommes dans la famille s’est traduite par un recul de la violence
à l’égard des femmes et des enfants. Par ailleurs, une étude réalisée
par l’Institut suédois d’évaluation des politiques du marché de
l’emploi a montré que les revenus futurs de la mère augmentent de
7% en moyenne pour chaque mois de congé de paternité pris par le
père
.
117. Il est établi que les congés de paternité et de maternité
contribuent à une amélioration des résultats sur le plan de la santé
de l’enfant. D’après des données agrégées relatives à 16 pays européens,
un congé parental payé plus généreusement réduit les cas de décès
de nourrissons et de jeunes enfants. L’étude en question a conclu
qu’une semaine supplémentaire de congé de maternité payé se traduit
par une baisse de 2 à 3 % du taux de mortalité infantile
.
118. Il existe bien une question cruciale que la volonté et l’action
politiques doivent aborder: l’égalité entre les hommes et les femmes
en matière de congé parental doit déjà commencer au niveau de la
relation employeur-employé.
7.4. Les femmes en politique et dans les organes décisionnels
119. Bien que les femmes en Europe représentent une part
de plus en plus importante du marché du travail, elles restent encore
très largement sous-représentées aux postes de direction, y compris
dans les organes décisionnels d’ordre économique et social
.
Il est inutile de rappeler ici que des mesures progressives devraient
être prises pour permettre aux femmes de concilier vie familiale
et vie professionnelle sans avoir à choisir entre les deux.
120. S’agissant de la participation des femmes dans la sphère politique,
plusieurs considérations doivent être envisagées. Tout d’abord,
nous devons améliorer la présence des femmes dans des proportions
qui leur permettraient d’exercer une influence réelle au sein des
assemblées législatives des Etats. Lorsqu’elle a présenté la situation
de la représentation des femmes en politique en 2010, l’Union interparlementaire
a affirmé que l’instauration de quotas serait la seule façon efficace
d’augmenter le nombre de femmes au niveau des organes décisionnels.
Ainsi, afin d’obtenir une présence équilibrée des deux sexes dans
les organes de direction et en politique, il serait nécessaire de
fixer des quotas pour les deux sexes, créant ainsi une masse critique
de femmes et d’hommes.
121. Une présence accrue des femmes en politique est particulièrement
nécessaire, car l’absence d’une représentation équilibrée des hommes
et des femmes dans les organes de décision menace la légitimité démocratique
et constitue une violation du droit fondamental à l’égalité. La
politique adoptée par les responsables est le reflet de leurs priorités.
Les dirigeants qui participent au processus décisionnel doivent
être représentatifs car l’intérêt général concerne la société dans
son ensemble, qui est composée d’hommes et de femmes.
122. Une juste proportion d’hommes et de femmes n’est pas un objectif
en soi mais un moyen de changer la politique de sorte que toutes
les décisions puissent prendre en considération les priorités des
deux moitiés de l’humanité. Il est vrai que l’égalité des sexes
n’est pas l’objectif premier des lois électorales, qui visent au contraire
à une représentation appropriée de la population et donc des partis
politiques. Il n’est pas moins important que les deux moitiés de
l’humanité (les hommes et les femmes) qui sont différentes et égales
soient représentées au sein des institutions d’un pays donné de
façon appropriée. La limitation du nombre de mandats détenus par
une personne pourrait contribuer de façon efficace à l’augmentation
de la participation des femmes à la vie politique.
123. Parmi les nombreux facteurs politiques, la force des mouvements
de femmes et celle des partis politiques jouent un rôle important,
car ils constituent l’histoire et le contexte culturel et religieux
d’un pays. L’importance de tous ces facteurs est généralement acceptée,
mais c’est rarement le cas des systèmes électoraux qui sont au sens
strict «le moyen» par lequel les électeurs expriment leur préférence
politique et la manière dont les votes se traduisent en mandats/sièges.
En réalité, certaines caractéristiques des systèmes électoraux sont
déterminantes pour une juste représentation des deux sexes, car
l’incidence des quotas est différente selon les modalités des divers
systèmes électoraux. D’après les conclusions d’un rapport rédigé
par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise), les pays qui appliquent en général un système de représentation
proportionnelle sont aussi ceux qui comptent la plus forte proportion de
femmes dans leurs parlements
.
J’ai déjà abordé cette question dans mon rapport «Augmenter la représentation
des femmes en politique par les systèmes électoraux», qui a mené
à l’adoption de la
Résolution 1706
(2010) par l’Assemblée
.
124. Enfin, il convient de rappeler qu’éduquer les jeunes et les
enfants à l’égalité, mais aussi les professionnels de la politique,
de la presse, du système judiciaire et du monde éducatif, peut améliorer considérablement
les niveaux d’égalité dans toutes les sphères de la vie publique
et privée. La volonté politique est après tout le moteur de tout
changement.
8. ONU Femmes, une visibilité accrue pour les droits
de la femme
125. En vue de renforcer l’efficacité et l’harmonisation
des programmes visant à promouvoir et à protéger les droits des
femmes à travers le monde, l’Assemblée générale des Nations Unies
a voté le 2 juillet 2010 à l’unanimité la création d’une nouvelle
entité, ONU Femmes, l’agence des Nations Unies pour l’égalité des sexes
et l’autonomisation des femmes (Résolution 64/289 de l’Assemblée
générale des Nations Unies)
.
126. L’ancienne Présidente du Chili, Mme Michelle
Bachelet, a été nommée à la tête de la nouvelle agence par le Secrétaire
général des Nations Unies le 14 septembre 2010. ONU Femmes est la
fusion de la Division de la promotion de la femme (DAW, créée en
1946), de l’Institut international de recherche et de formation
pour la promotion de la femme (INSTRAW, créé en 1976), du Bureau
de la conseillère spéciale pour la problématique hommes-femmes (OSAGI,
depuis 1997) et de l’UNIFEM (créé en 1976).
127. Les objectifs d’ONU Femmes sont:
- de renforcer l’influence, le leadership et la participation
des femmes;
- de renforcer l’autonomisation économique des femmes;
- de mettre fin à la violence à l’égard des femmes et des
filles;
- d’accroître la participation des femmes dans les processus
de paix et de sécurité;
- d’inscrire l’égalité des sexes au cœur de la planification
et de la budgétisation nationales et locales .
128. ONU Femmes est présente dans 80 pays et vise à accroître sa
présence à travers le monde. ONU Femmes est financée à la fois par
le budget régulier des Nations Unies et par des contributions volontaires (gouvernements,
fondations, sociétés, organisations et individus). Un budget de
$US 500 millions a été estimé nécessaire pour son fonctionnement
annuel
.
ONU Femmes a reçu $US 58 millions pour son fonctionnement en 2011
.
ONU Femmes est également active par le biais de ses comités nationaux
qui sont présents dans 10 Etats membres du Conseil de l’Europe
.
129. D’autres agences des Nations Unies continuent d’œuvrer en
faveur de l’égalité des sexes et de l’autonomisation, tels le programme
des Nations Unies pour le développement, le Fonds des Nations Unies pour
l’enfance et le Fonds des Nations Unies pour la population. De plus,
le rapporteur spécial sur la violence contre les femmes du Conseil
des droits de l’homme et le représentant spécial du Secrétaire général
des Nations Unies sur les violences sexuelles dans les conflits
armés jouent un rôle clé. Je me réjouis par ailleurs de la nomination,
en mars 2011, par le Conseil des droits de l’homme des cinq membres
du Groupe de travail chargé de la question de la discrimination
à l’égard des femmes, dans la législation et dans la pratique.
130. A ce jour, le Conseil de l’Europe a signé des accords de coopération
avec des agences spécialisées des Nations Unies, telles que le Bureau
international du travail (1951), le Haut-Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés (1952), le Fonds des Nations Unies pour
l’enfance (1952 et 2007), l’Organisation mondiale de la santé (1952),
l’UNESCO (1952) et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation
et l’agriculture (FAO) (1956). En outre, le Conseil de l’Europe
coopère étroitement avec le Bureau du haut-commissaire aux droits
de l’homme et le Programme des Nations Unies pour le développement.
La coopération avec l’UNIFEM n’a pas été formalisée, mais des représentants
des deux organisations ont participé à des réunions de coordination,
des échanges de vues, afin de faciliter la coopération au quotidien.
La Résolution 63/14 de l’Assemblée générale des Nations Unies encourage
la continuation et le développement de cette coopération, notamment
dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes
.
131. La coopération entre ONU Femmes et le Conseil de l’Europe
pourrait être formalisée par le biais d’un échange de lettres entre
le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et la directrice exécutive
d’ONU Femmes. Les parlementaires pourraient avoir un rôle spécifique
dans la promotion du travail des deux organisations dans leurs pays
et s’engager à aider à la recherche de soutiens politiques et financiers.
Une telle coopération pourrait permettre de promouvoir les instruments
du Conseil de l’Europe pour la protection des droits des femmes
à travers le monde et éventuellement encourager l’adhésion à ces
instruments. La jurisprudence de référence de la Cour européenne
des droits de l’homme pourrait ainsi également être promue.
9. Conclusions et recommandations
132. Dans le présent rapport, j’ai fait le point de la
situation actuelle en ce qui concerne la mise en œuvre des droits
des femmes à travers le monde. Je me suis fondée pour cela sur les
bilans périodiques des conférences mondiales sur les femmes, sur
l’état de la mise en œuvre de la Convention sur l’élimination de
toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et sur
les progrès dans la réalisation des objectifs du Millénaire pour
le développement. Tous ces documents font apparaître que les progrès
sont lents. En réalité, dans de nombreux domaines, il n’y a eu aucune
avancée mais plutôt un véritable statu quo, dans d’autres on a même enregistré
un recul.
133. L’Assemblée doit relancer la dynamique pour que les droits
des femmes deviennent une réalité. Il est essentiel que les Etats
comblent l’écart entre les engagements et les résultats tangibles.
134. Les inégalités et la discrimination à l’égard des femmes sont
systématiques et généralisées dans tous les domaines. Toutefois,
il est particulièrement important de remédier à ces inégalités et
à la discrimination dans certains d’entre eux, car cela peut avoir
des répercussions sur la jouissance d’autres droits. Dès lors, il est
évident que le droit des femmes à la vie, à la santé et à l’intégrité
physique doit être une préoccupation prioritaire, tout comme le
droit pour les femmes de vivre sans violence et d’avoir accès aux
instruments assurant leur autonomisation politique et économique,
au premier rang desquels l’éducation.
135. Malheureusement, il est difficile de ne pas avoir l’impression
qu’il existe une hiérarchie entre les droits humains et entre les
différents objectifs du Millénaire pour le développement, et que
la mise en œuvre de ces droits humains et des OMD qui affectent
le plus la vie des femmes accuse un retard certain.
136. Cela m’évoque la pensée de l’ethnologue et anthropologue Françoise
Héritier qui fait observer que la domination masculine est une caractéristique
constante de toutes les sociétés humaines, fondées sur la discrimination
sexuelle qui place les femmes dans une position d’infériorité par
rapport aux hommes.
137. Si tel est le cas, comme le dit Mme Héritier,
nous devons dissoudre cette hiérarchie. Nous devons changer la mentalité
des gens. Nous devons faire en sorte que nos gouvernements soient
tenus responsables pour leur manque d’efforts, leur manque de volonté
politique et leur incapacité à honorer leurs promesses, à savoir
protéger les droits des femmes et renforcer leur statut. Nous devons
inscrire les droits des femmes en tête des programmes politiques
nationaux et mondiaux. Nous devons exiger de nos gouvernements qu’ils rendent
des comptes, également vis-à-vis des femmes.
138. En tant que responsables politiques, nous occupons une position
privilégiée pour provoquer ce changement, en œuvrant pour les droits
des femmes au niveau national, en soutenant les efforts du Conseil de
l’Europe visant à promouvoir une égalité en droit et en dignité
entre les femmes et les hommes, et en aidant ONU Femmes, la nouvelle
agence des Nations Unies qui permet aux femmes du monde entier de
s’exprimer, afin qu’elle puisse jouer le rôle important qui est
le sien.