1. Introduction
«La culture prend diverses
formes dans le temps et dans l’espace et (…) cette diversité s’incarne
dans l’originalité et la pluralité des identités ainsi que dans
les expressions culturelles des peuples et des sociétés qui constituent
l’humanité»
(Convention sur la protection et la promotion de la diversité
des expressions culturelles, UNESCO, 2005)
1.1. Mandat et étapes d’élaboration
du rapport
1. Le 7 juillet 2009, des collègues et moi-même avons
déposé une proposition de recommandation sur «le droit de chacun
de participer à la vie culturelle». Le 2 octobre 2009, la commission
de la culture, de la science et de l’éducation a été chargée de
la préparation d’un rapport sur ce thème.
2. J’ai été nommée rapporteur le 8 décembre 2009. Après avoir
pris connaissance du projet «Rendre la culture accessible» mis en
œuvre par la Direction générale de l’éducation, de la culture et
du patrimoine, de la jeunesse et du sport du Conseil de l’Europe
,
j’ai proposé à la commission une série d’activités devant permettre
de recueillir des informations auprès des différentes sources et
connaître le point de vue d’acteurs différents sur la question du
droit de participer à la vie culturelle.
3. La commission a tenu une audition à Istanbul le 10 mai 2010
.
Au cours de cette audition, Mme Annamari Laaksonen
a présenté l'étude sur
«Making culture
accessible», qui venait d’être publiée par le Conseil
de l’Europe. Une deuxième audition a été organisée conjointement
avec la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de
l'Assemblée nationale française le 3 novembre 2010. Cette réunion
s'est tenue sous le haut patronage de M. Nicolas Sarkozy, Président
de la République française, en présence d’experts français et internationaux
. Les interventions ont été très
riches et ont apporté des éclairages diversifiés sur le sujet. Le même
jour, un échange de vue a eu lieu sur la politique et les actions
du musée d’Orsay concernant la promotion de la participation des
jeunes à la vie culturelle
.
4. Après l’audition de novembre 2010, j’ai sollicité la collaboration
du professeur Patrice Meyer-Bisch, membre de l'Observatoire de la
diversité et des droits culturels, coordonnateur de l'Institut interdisciplinaire d'éthique
et des droits de l'homme (IIEDH) et de la Chaire UNESCO pour les
droits de l'homme et la démocratie, université de Fribourg (Suisse).
Sa contribution analyse la question de la participation à la vie culturelle
d’un point de vue plus spécifiquement juridique et sociologique.
Je le remercie pour ce travail dont j'ai pu m'inspirer pour rédiger
le présent rapport, en particulier pour ce qui concerne les facteurs
permettant une valorisation mutuelle des ressources culturelles
et le développement des politiques culturelles favorisant une meilleure
cohésion sociale.
5. Entre-temps, sur ma proposition, la commission a décidé, lors
de sa réunion de janvier 2011, de demander des informations sur
les initiatives développées dans le cadre de la politique culturelle
des Etats membres, visant à favoriser la participation à la vie
culturelle des jeunes, en tant que public et en tant que créateurs,
notamment dans les domaines du spectacle vivant et des arts plastiques
et visuels. A cette fin, un courrier a été adressé aux présidents
des délégations nationales auprès de l’Assemblée parlementaire afin qu’ils
sollicitent des autorités compétentes de leurs pays une réponse
aux questions suivantes:
1. Quelle(s)
action(s) ou projet(s) pourriez-vous apporter en exemple quant à
l’effort de votre pays pour:
- promouvoir l’accès
des jeunes publics – en particulier les jeunes entre 15 et 25 ans
– à la culture;
- soutenir les jeunes créateurs innovants?
2. Quels sont les résultats que ces actions ont permis
d’atteindre, notamment en termes
- d’augmentation de
la participation des jeunes (publics et artistes) à la vie culturelle;
- de réduction des inégalités dans l’accès à la culture
et à la création artistique?
6. Un courrier a été également adressé aux membres du
Comité directeur de la culture (CDCULT) et du Comité directeur européen
pour la jeunesse (CDEJ) du Conseil de l'Europe afin que les ministères
compétents soient informés de l’initiative et puissent contribuer
à la préparation des réponses.
7. A la suite de cette démarche, les autorités de 27 pays ont
fait parvenir des réponses, dont quelques-unes très développées
.
Je tiens à remercier très sincèrement les autorités de ces pays
pour l’effort qu’elles ont fait.
8. Sur la base des informations recueillies, j'ai identifié des
orientations récurrentes qui se dessinent dans le domaine des politiques
culturelles pour les jeunes et j'ai pu vérifier dans quelle mesure
ces expériences contribuent au développement de projets qui misent
sur les valorisations mutuelles et enrichissent la diversité culturelle.
Il m'est également apparu légitime et utile de mettre en valeur
certaines réalisations qui pourraient servir d'exemples concrets.
1.2. Champ de l’enquête et finalité
du rapport
9. Dès le départ, force a été de constater qu'il n'est
pas possible d’aborder dans tous ses aspects un sujet aussi vaste
que celui de la participation à la vie culturelle de plusieurs groupes
sociaux ou culturels. Le nombre de variables (et de leurs combinaisons)
ne le permet pas. Dès lors, conformément à ce que j’ai indiqué à
la commission, j’ai choisi de centrer en priorité l’analyse sur
la catégorie de citoyens qui incarne à la fois le présent et l'avenir
de la vie culturelle de nos sociétés: la jeunesse.
10. Ce choix se justifie pour diverses raisons. Tout d’abord,
la jeunesse est la période de la vie de l'apprentissage et des expériences
nouvelles, avant l'installation dans une vie professionnelle et
avant que la position sociale ne conditionne fortement les comportements
et les choix culturels. Les jeunes constituent un groupe humain
relativement autonome par rapport à leur position dans la société,
avec moins d'a priori sociaux et philosophiques. Il est donc important
que les actions politiques les visant leur offrent des opportunités variées
qui ne leur sont pas offertes dans leurs milieux familial et géographique.
Ensuite, comme tous les citoyens, les jeunes forment un groupe socialement
transversal et donc toute action politique les visant concerne l'ensemble
des composantes sociales et communautaires, ce qui peut avoir des
effets positifs au sein des familles et des divers groupes sociaux.
En outre, éveiller les jeunes à la culture et promouvoir leur épanouissement
culturel sont indispensables pour favoriser, à terme, la participation
du plus grand nombre de citoyens à la vie culturelle, car les jeunes
sont les publics, les praticiens et les créateurs de demain, à la
fois bénéficiaires et responsables du développement et de la transmission
culturels de la société. Il s’agit de facteurs déterminants pour
concevoir et promouvoir des politiques publiques culturelles efficaces.
Enfin, choisir d'étudier particulièrement la jeunesse permettra
de saisir au mieux comment la révolution numérique, qui fait partie
de l’univers des jeunes, peut apporter le plus à leur participation
à la vie culturelle, comme amateurs ou artistes potentiels.
11. La vie culturelle est transversale: elle englobe toutes les
actions qui répondent aux aspirations de l'esprit, du regard, de
l'ouïe, et qui font appel à la raison, aux sens, à la sensibilité
et à l'imagination. Mais j'ai souhaité insister dans mon rapport
sur deux domaines: le spectacle vivant (théâtre, musique, opéra, spectacles
du cirque, de rue…) et celui des arts plastiques et visuels (peinture,
sculpture, architecture, expositions et performances in situ ou
sur le web) car ces ressources artistiques s'expriment dans des
lieux de rencontre entre publics et artistes, entre publics entre
eux, que ce soit physiquement dans des espaces géographiques ou
virtuellement sur l'internet.
12. Il ne s’agit pas de réduire la vie culturelle aux arts ni
de détacher ceux-ci de l’ensemble de la vie culturelle, mais de
spécifier des propositions de politiques qui permettent le développement
d’une activité artistique à laquelle chacun doit pouvoir participer
dès son plus jeune âge. Le rôle de l’expression artistique dans
le développement de l’être jeune est fondamental. Il ne s’agit pas
uniquement d’une activité parmi d’autres, qui procurerait un «mieux-être»:
c’est un apprentissage essentiel de la créativité, de l’expérience partagée
de ce qui pour chacun fait sens, et donc des libertés personnelles
et collectives.
13. Il y a, en somme, une fonction libératrice, d’épanouissement
des arts en général. De plus, dans les domaines du spectacle vivant
et des arts plastiques et visuels qui permettent un rapport direct
entre création et publics, il me semble possible de développer des
actions ciblées capables de produire un impact sensible et durable
sur les jeunes et, par voie de conséquence, une meilleure socialisation
de ces futurs citoyens responsables. Aristote ne définissait-il
pas l'homme comme un «animal politique» dont l'essence est de vivre en
société?
14. Le champ de l’enquête étant défini, deux questions fondamentales
doivent être examinées auxquelles nous nous efforcerons de répondre.
- La première concerne la reconnaissance
effective du droit de participation à la vie culturelle avec ses tenants
et aboutissants. Quelle est la portée de ce droit en particulier
envers les générations actuelles et futures? Quelle peut être sa
contribution à une dynamique culturelle diversifiée dont dépend
l'avenir des civilisations humaines?
- La deuxième question est celle de la réalisation concrète
du droit de participer à la vie culturelle. Elle se prête à une
analyse à partir d’angles d’approche différents. Pour commencer,
quels sont les facteurs qui font obstacle à l’exercice de ce droit ?
Et comment intervenir pour assurer la mise en œuvre de ce droit, notamment
dans une période caractérisée par la nécessité de maîtriser les
budgets publics et d’utiliser toutes les ressources disponibles
pour répondre aux besoins les plus pressants des citoyens?
15. L’enjeu est non seulement de trouver les ressources, mais
aussi de les utiliser pour élargir le nombre de ceux que les politiques
culturelles peuvent atteindre, sans pour autant disperser les moyens
(limités) disponibles dans des actions qui n’auront pas d’impact
durable et sans s'enfermer dans le piège consistant à proposer une
offre culturelle à laquelle on serait ensuite incapable de répondre.
16. Pour garantir à chacun (et notamment aux jeunes) une jouissance
effective de ce droit, il faut chercher non seulement à rendre la
culture accessible physiquement et économiquement mais aussi à la
rendre psychologiquement accessible en suscitant un «désir de culture».
Sans ce désir, il n’y aura pas de réelle motivation à utiliser les
possibilités qui sont offertes de contribuer à une meilleure connaissance
de sa propre culture et de s'ouvrir à celle des autres. Il n’y aura
pas non plus de réelle motivation à devenir acteurs du développement
culturel et créateurs de culture.
17. Cela nous oblige à nous interroger sur l’efficacité des politiques
culturelles en Europe: ouvrent-elles aux jeunes un réel espace de
participation à la vie culturelle, en tant que publics, en tant
qu'amateurs, en tant que professionnels? Favorisent-elles réellement
l’émergence, parmi les jeunes, du désir de culture, y compris le désir
de rencontrer les autres et leurs cultures ?
2. Définition et portée
du droit de participer à la vie culturelle
2.1. Un droit fondamental au cœur
du système des droits de l’homme
2.1.1. La reconnaissance internationale
du droit de participer à la vie culturelle
18. Le droit de participer à la vie culturelle est reconnu
à l’article 27.1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
de 1948, qui dispose que «toute personne a le droit de prendre part
librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts
et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en
résultent». L’article 15.1.a du
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
de 1966 demande aux Etats de reconnaître à chacun le droit de participer
à la vie culturelle.
19. La Convention internationale des droits de l’enfant du 20
novembre 1989 affirme qu'un enfant autochtone ou appartenant à une
minorité «ne peut être privé du droit d'avoir sa propre vie culturelle»
(article 30). Il dispose ensuite que «les Etats parties reconnaissent
à l'enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu
et à des activités récréatives propres à son âge, et de participer
librement à la vie culturelle et artistique» (article 31.1), et
que «les Etats parties respectent et favorisent le droit de l'enfant
de participer pleinement à la vie culturelle et artistique, et encouragent
l'organisation à son intention de moyens appropriés de loisirs et d'activités
récréatives, artistiques et culturelles, dans des conditions d'égalité»
(article 31.2).
20. Dans le cadre européen, la Convention-cadre du Conseil de
l'Europe sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (Convention
de Faro – STCE no 199, entrée en vigueur
le 1er juin 2011) précise dans son article 1.a que «le droit au patrimoine culturel
est inhérent au droit de participer à la vie culturelle, tel que
défini dans la Déclaration universelle des droits de l’homme»; son
article 4.a requiert aux parties
de reconnaître «que toute personne, seule ou en commun, a le droit
de bénéficier du patrimoine culturel et de contribuer à son enrichissement».
22. On rappellera dans ce contexte la Convention sur la protection
et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005,
qui affirme à l’article 2.7 le principe directeur de l’accès équitable,
dans ces termes: «L'accès équitable à une gamme riche et diversifiée
d’expressions culturelles provenant du monde entier et l’accès des
cultures aux moyens d’expression et de diffusion constituent des
éléments importants pour mettre en valeur la diversité culturelle
et encourager la compréhension mutuelle.»
23. Malgré le nombre de textes internationaux qui énoncent le
droit de participer à la vie culturelle, ce droit a semblé longtemps
peu important. La brève disposition à l’article 27 de la Déclaration
universelle a été largement négligée par la doctrine et a été oubliée
dans les stratégies de mise en œuvre des droits de l'homme. La formule
lapidaire de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels est peut-être à l’image de ce
manque de considération.
24. Les dispositions de la Convention sur les droits de l’enfant
apparaissent comme une réduction de leurs droits culturels à une
série d'activités particulières, sans prendre la pleine mesure de
l'apport des activités artistiques et culturelles en termes de bien-être
et d'épanouissement mental et physique des enfants.
25. Le droit de participer à la vie culturelle, comme le droit
à l'éducation (droit culturel le mieux reconnu), est en fait l'essence
même de l'ensemble des droits culturels, eux-mêmes fondamentaux
pour les droits de l'homme dont ils permettent l'exercice. Le Conseil
des droits de l'homme des Nations Unies rappelle ce principe d'indivisibilité:
«les droits culturels font partie intégrante des droits de l’homme,
qui sont universels, indissociables, intimement liés et interdépendants.
»
Sa place dans la Déclaration universelle, entre le droit à l’éducation
(article 26) et le droit de participer à un ordre démocratique (article
28), symbolise le fait que ce droit a un effet de levier sur l’ensemble
des droits de l'homme: sa réalisation signifie que les personnes
ont accès aux ressources culturelles qui sont nécessaires à leur
développement et à l’exercice de leur citoyenneté.
26. Il est important de relever que ce droit correspond à la fois
à un devoir de non-ingérence et à une obligation positive des Etats.
Comme le rappelle le Comité des droits économiques, sociaux et culturels
des Nations Unies dans son Observation générale no 21
(novembre 2009), afin d’assurer une garantie effective de ce droit,
les Etats devraient observer à la fois une obligation d'abstention
et une obligation d'action. En effet, ils doivent non seulement
respecter une neutralité à l'égard des pratiques culturelles et
de l’accès aux biens et services culturels (condition de la liberté
d'accès et de la liberté de créer), dans la mesure où ils ne contreviennent
pas à d'autres droits fondamentaux, mais ils doivent aussi «agir
de manière positive», c’est-à-dire «assurer les conditions nécessaires
à la participation à la vie culturelle, faciliter et promouvoir
celle-ci et assurer l’accès aux biens culturels ainsi que leur préservation»
(paragraphe 6) (condition pour l'égalité d'accès). Un dosage équitable
doit être trouvé entre une neutralité respectueuse des libertés
de choix et une politique active engagée pour favoriser les égalités
d'accès et de participation.
2.1.2. Portée universelle du droit
de participer à la vie culturelle dans sa diversité
27. Il est dans la nature même de tout droit fondamental
d’avoir une portée universelle et de bénéficier à tous sans discrimination
aucune. Naturellement, le fait qu’il s’agisse d’un droit reconnu
à «chacun» n’exclut pas que ce droit puisse être exercé en association
avec d’autres, ou au sein d’une communauté ou d’un groupe.
28. Dans la mesure où chacun est différent, le droit de participer
à la vie culturelle ne peut être garanti de manière efficace sans
un effort d’adaptation aux besoins des divers bénéficiaires. La
politique culturelle doit tenir compte de la diversité. Plus encore,
la diversité devrait être une composante essentielle de toute politique culturelle.
La vraie culture ne peut qu’être plurielle car elle est fondée sur
le propre de l'humanité: sa liberté et la diversité qui en découle.
29. A cet égard, il convient de souligner que l’adoption en septembre
2001 de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité
culturelle et celle, en 2005, de la Convention sur la protection
et la promotion de la diversité des expressions culturelles correspondent
à un virage politique important: alors que la diversité culturelle
était considérée comme un frein au développement, un obstacle à
la modernité et donc au progrès, à la science et à la démocratie,
elle est désormais de plus en plus comprise comme une ressource
pour chacun de ces domaines et pour la paix. Le culturel apparaît
désormais comme matière première du développement social, économique,
politique et de l'enrichissement du patrimoine culturel.
30. Néanmoins, comprendre la diversité et élaborer une politique
culturelle qui tienne compte de cette diversité (ainsi que de la
diversité des besoins culturels des divers groupes de bénéficiaires)
n’implique ni le relativisme culturel ni la renonciation par les
Etats à la promotion de leur culture historique (éventuellement composite)
et du patrimoine culturel correspondant. Il s’agit plutôt de faire
– en fonction du contexte de chaque pays – une place au «divers»
en tant qu’élément de richesse dans l’échange culturel.
31. Toutefois, c’est le respect des droits de l'homme, indivisibles
et interdépendants, qui permet la valorisation mutuelle de tout
ce que les milieux culturels contiennent de diversité et de richesse.
C’est le dialogue interculturel qui favorise une meilleure compréhension
des différences et de l'universalité humaine et permet d’identifier
les pratiques qui, sous prétexte de culture, sont contraires aux
droits de l’homme. Le respect des droits culturels garantit la participation
de tous au patrimoine commun, ce capital de ressources que la diversité
culturelle constitue. L’exercice des droits, libertés et responsabilités
culturels est à la fois la fin et le moyen de cette préservation
et de ce développement, car cela signifie que chacun peut participer
à cette diversité, y puiser des ressources et contribuer à son enrichissement.
32. Par ailleurs, l’attention qu’il convient de porter à la différence
des situations et des besoins individuels n’implique pas la fragmentation
de la politique culturelle en une multitude d’actions «ad personam». Vouloir préconiser
une telle approche serait irréaliste et irréalisable: un effort
de ce type ne serait pas viable (quels que soient les moyens disponibles),
et il serait probablement dangereux dans la mesure où l’on perdrait
de vue la dimension collective de la culture et de la vie culturelle.
L’objectif doit être de rendre la culture accessible, par le biais
d’une politique culturelle ouverte, et non de l’émietter. Mais cette
approche collective des politiques culturelles doit se combiner
avec des offres plus individuelles pour que chacun puisse s'approprier
une expression artistique et faire naître en lui le désir de culture.
33. Chercher à concilier la portée universelle du droit de participer
à la vie culturelle avec la diversité des situations individuelles
ne doit en aucun cas conduire à des politiques publiques qui n'offriraient
que le plus petit dénominateur commun, au motif que l'offre culturelle
serait ainsi accessible à tous. Le but d'une vraie politique culturelle
est d'élever les individus et non de niveler tout le monde par le
bas. Il est fondamental de ne jamais perdre de vue l'exigence de
qualité due à tous, publics comme créateurs, et de ne pas se contenter d'un
«droit au rabais». Le recours à des médiateurs culturels professionnels
est indispensable et le rôle des experts, consistant à guider sans
imposer, contribue fortement à une participation épanouissante pour
tous.
2.2. Un faisceau des droits permettant
de structurer l’identité et le relationnel
2.2.1. «Culture» et «œuvres culturelles»:
relier par le sens
34. Pour comprendre ce que «participer à la vie culturelle»
signifie, il faut s’entendre sur ce qu’est la «culture». Au sens
strict, la culture désigne le domaine d’activités relatif aux œuvres
artistiques (peintures, sculptures, arts visuels), aux spectacles
vivants (théâtre, musique), aux lettres, aux œuvres cinématographiques
patrimoniales et contemporaines, mais la culture fait aussi référence
aux coutumes et modes de vie de communautés particulières. Ces deux
acceptions s'imbriquent au sein des sociétés.
35. La culture est donc ce que l'homme dans le temps et dans l'espace
ajoute à la nature, ce qui implique que:
- les cultures ne sont pas des entités au-delà des personnes ,
et ce sont les personnes en mouvement qu’il faut considérer au sein
de milieux culturels vivants, à formes mixtes et évolutives;
- ce sont la dignité et l’intimité de chaque être humain
dans sa liberté d'expression, sa liberté de développer son identité,
qui s'expriment à travers les constructions culturelles;
- ce sont les œuvres porteuses «d’identités, de valeurs
et de sens» qui
contribuent à la communication entre les hommes;
- le culturel est ce qui donne du sens au tissu social et
politique du moment, mais aussi ce qui situe l'homme dans le monde;
- enfin, l'art et la culture ont leur propre finalité en
soi, leur propre pérennité: la promotion de la vie de l'esprit,
de la sensibilité et d'une imagination tournée vers la recherche
de sens et de beauté, eux-mêmes variables selon le temps et l'espace.
2.2.2. «Participer»: l’accès à la
culture et la contribution à la vie culturelle
36. Participer à la vie culturelle implique l'exercice,
sous une forme librement choisie, de toutes les libertés fondamentales
reconnues aux citoyens dans une société démocratique. Le droit de
participer à la vie culturelle est un dénominateur commun qui recouvre
toutes les activités culturelles qui concourent à la construction
des civilisations humaines et du sens qu'elles entendent attribuer
à la place de l'homme dans son histoire universelle. L'on ne saurait
limiter les droits culturels à une finalité sociale. La culture
a une fin en soi, une pérennité, expression de la liberté créatrice
de la condition humaine.
37. Ainsi, le droit de «participer» à la vie culturelle est un
droit complexe, comprenant plusieurs composantes interdépendantes.
Pour les besoins du rapport, on distinguera principalement deux
aspects: l’accès à la culture et la contribution à la vie culturelle.
On notera que ces deux composantes principales ne correspondent
pas à des phases chronologiquement différentes, mais qu’elles s’imbriquent,
la première étant susceptible de faire naître la seconde.
38. Le droit d’accès à la culture est, au fond, le droit de se
réaliser pleinement et librement, de structurer une identité culturelle
que l'on peut partager avec les autres. Cette première composante
recouvre la liberté de chaque personne de rechercher, choisir et
développer une identité culturelle propre, de s'ouvrir et/ou de
se confronter (dans un sens constructif et non conflictuel) avec
d’autres identités culturelles. Il s’agit donc du droit d’entrer
en contact avec, de faire l'expérience de, de comprendre et d'assimiler
divers éléments, d'en retirer des plaisirs qui permettront de façonner
sa propre identité culturelle.
39. Cette identité se construit dans la diversité culturelle,
sans laquelle il n'y a pas de liberté car pas de choix. Seuls les
Etats de droit démocratiques et libéraux peuvent promouvoir cette
liberté. L'accès à cette diversité permet en particulier d'avoir
connaissance de la culture des autres. En cela le droit d'accès
à la culture participe de manière fructueuse au dialogue interculturel,
et favorise la compréhension entre les peuples, tout en enrichissant
la propre participation de chacun grâce au partage des pratiques.
40. Le droit de contribuer à la vie culturelle est le droit d'agir,
comme amateur ou professionnel, en tant que sujet créatif et agent
du développement culturel. Cette deuxième composante (souvent négligée
dans la réflexion sur la démocratisation culturelle) recouvre, tout
d’abord, le droit de chacun de participer à la création des expressions
sensibles et esthétiques, spirituelles, matérielles, intellectuelles
de la communauté. Il s’agit ici de reconnaître et rendre effectif
le droit, comme amateur ou professionnel, d’exercer ses propres
pratiques culturelles, de partager son acquis culturel avec les
autres, et d'enrichir sa propre réflexion créative de celle des
autres.
41. Le droit de contribuer à la vie culturelle inclut aussi le
droit de prendre part à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques
qui influent sur l’exercice des droits culturels de tous
.
42. L’acquisition des divers savoirs qui rendent possibles un
égal accès et une contribution à la vie culturelle passe par l'éducation
en milieu scolaire car «il n'y pas d'autre lieu que l'école pour
organiser la rencontre de tous avec l'art. Il n'y a pas d'autre
lieu que l'école pour instaurer de manière précoce le contact avec
les œuvres. Il n'y a pas d'autre lieu que l'école pour réduire les
inégalités d'accès à l'art et à la culture» (Jack Lang, 2000). Cela
permet qu'adulte, l'on puisse jouir des formes d'expressions constitutives
des patrimoines passé et présent, et préparer leur avenir.
43. Enfin, il est important de souligner qu’en ce qui concerne
l’enfant et l’adolescent, la réalisation du droit de participer
à la vie culturelle est une condition nécessaire afin qu’ils puissent
jouer dans la société un rôle fondamental: celui de médiateurs culturels
entre les groupes sociaux et culturels. Les plus jeunes peuvent passer
d’une compréhension, d’une construction culturelle à une autre plus
facilement que les adultes. Cependant, s’ils n’ont pas un ancrage
assez solide dans leurs références culturelles premières, ils peuvent
être manipulés et adopter des attitudes discriminatoires, voire
brutales.
2.2.3. «Vie culturelle»: un processus
dynamique et interactif
44. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels
des Nations Unies, dans son Observation générale no 21
de novembre 2009, indique que «l’expression “vie culturelle” est
une référence explicite à la culture en tant que processus vivant,
qui est historique, dynamique et évolutif et qui a un passé, un
présent et un futur» (paragraphe 11).
45. Il poursuit en précisant que «la notion de culture ne doit
pas être considérée comme une série de manifestations isolées ou
de compartiments hermétiques, mais comme un processus interactif
par lequel les personnes et les communautés, tout en préservant
leurs spécificités individuelles et leurs différences, expriment
la culture de l’humanité» (paragraphe 12).
46. En d’autres termes, la vie culturelle ne peut se réduire à
un rapport abstrait entre un individu et les éléments culturels
dont il fait l’expérience, un rapport relevant simplement du domaine
de la connaissance et où l’individu resterait solitaire; la notion
de vie culturelle renvoie aussi aux rapports, passés et actuels,
entre personnes et à une dynamique d’interactions qui perdure tout
au long de la vie, même si l'aventure artistique suit parfois un
chemin apparemment solitaire.
47. La vie culturelle peut aussi désigner une expérience de partage
des savoirs et des œuvres. «Une personne n’existe pas socialement
tant qu’elle n’est pas reconnue comme participant à cette vie qui
est l’espace de la communication sociale. Une reconnaissance particulière
de la dignité de chacun est attachée à la confiance qui lui est
reconnue dans sa capacité d’apprendre, de transmettre et de créer.
Participer à la vie culturelle implique, pour les personnes comme
pour les communautés, une expérience de réciprocité.»
Ainsi, la vie
culturelle touche la personne humaine au cœur de sa dignité et de
ses capacités relationnelles.
48. Enfin, la vie culturelle comme processus interactif ne peut
être confinée dans des lieux qui y sont dévolus spécifiquement.
La culture est partout où il y a pensée et action humaines, que
ce soit dans les espaces publics, dans les institutions culturelles,
en extérieur ou chez soi grâce à internet. A cet égard, la révolution technologique
ouvre de nouvelles perspectives en matière d'accès à la culture
en abolissant les frontières géographiques et temporelles; elle
permet aussi d'autres modes de création et de consommation culturelles. L'émergence
de talents sur internet renouvelle la vitalité de la vie artistique
et culturelle en y associant publics, artistes, informaticiens et
entrepreneurs.
3. Le droit de participer à la
vie culturelle et les jeunes
3.1. Etat des lieux: les obstacles
à la participation et les mesures visant à la promouvoir
3.1.1. Facteurs qui limitent la participation,
notamment des jeunes, à la vie culturelle
49. Les jeunes constituent, comme les autres personnes,
une catégorie non homogène – socialement, économiquement, psychologiquement,
culturellement –, mais le manque d'autonomie financière, la plus
ou moins grande dépendance vis-à-vis de l'autorité parentale et
la faible connaissance des acquis culturels les rendent à la fois
pareillement vulnérables – face aux inégalités et aux influences
néfastes – et ouverts à toutes les offres sans les a priori des
générations précédentes. Les politiques en faveur de leur participation
à la vie culturelle doivent tenir compte de ces différents paramètres
en plus de ceux qui concernent toutes les générations. La baisse
des coûts d'accès aux pratiques artistiques et culturelles, les
efforts pour développer ces activités à proximité des lieux de vie
(ruraux ou citadins), les facilités de déplacement proposées pour rejoindre
les ressources culturelles éloignées, une information sur les différentes
offres, notamment en utilisant internet et les réseaux sociaux,
doivent contribuer à diminuer les inégalités de fait que subissent
trop souvent encore les jeunes.
50. Certaines réponses au questionnaire font explicitement état
de ces facteurs. Ainsi, dans la réponse de la Finlande, on indique
que, selon le «Baromètre de la jeunesse 2009»
,
pour un quart des jeunes le coût constitue un obstacle majeur; selon
la même enquête, lorsqu’il s’agit de l’encouragement à la participation
à la vie culturelle, le rôle de la famille et des amis est crucial,
le rôle de ceux travaillant avec les jeunes et de ceux qui supervisent
les activités artistiques ayant moins d'influence.
51. Sans doute, on peut faire un constat similaire partout en
Europe: pour tous, le milieu social d’appartenance conditionne lourdement
tant la possibilité d’avoir accès à une vaste gamme de services culturels
que celle de pouvoir se lancer dans une activité créative. Pour
les jeunes en particulier, quand leur environnement familial se
préoccupe avant tout d’assurer la survie matérielle, la culture
passe au second plan. Seules des politiques publiques de soutien
dynamiques peuvent surmonter ces obstacles
.
52. A cela s'ajoutent les clivages géographiques et notamment
la concentration de l’offre de certaines formes de culture dans
les grandes villes et dans les zones d’intérêt touristique. Par
exemple, la réponse de la Lettonie mentionne non seulement un taux
d’accès dangereusement bas pour les familles à faible revenu, mais
aussi la diversité d’opportunités offertes à la jeunesse qui réside
dans la capitale, Riga, et un taux significativement inférieur de
participation de la jeunesse aux activités culturelles dans d’autres
régions.
53. Le problème de l’inégalité des chances entre les femmes et
les hommes dans la participation à la vie culturelle peut se poser
dans certains pays, dans certains milieux socio-économiques. Même
si des progrès significatifs ont été accomplis, le poids des traditions,
les inégalités de traitement à responsabilité égale entre hommes
et femmes pèsent encore parfois sur leur disponibilité à s'offrir
le plaisir d'une activité ludique culturelle, le seul vecteur d'accès
à la culture pour ces femmes étant bien souvent la télévision.
54. Enfin, malgré les efforts accomplis pour garantir aux personnes
handicapées la jouissance des biens et des services culturels, les
discriminations dans ce domaine sont toujours présentes, surtout
lorsqu’il s’agit de la possibilité d’aller au-delà du rôle de spectateur
pour s’épanouir en tant que créateur d’art. Sur ce plan, les technologies
de l'information et de la communication offrent de nombreuses opportunités
(accès dématérialisé, audiodescription, réalité augmentée, etc.)
pour rendre accessibles les biens et services culturels aux personnes
ayant un handicap.
55. D'autres facteurs peuvent restreindre l'accès à la culture,
comme l'isolement hospitalier ou la détention en prison. A l'hôpital,
les initiatives originales
se multiplient, des médiateurs
culturels professionnels coordonnent des activités culturelles et
artistiques que pratiquent ensemble patients, personnels de santé
et administratifs. Ces activités modifient profondément l'atmosphère
de l'hôpital, qui apparaît comme un lieu de vie ouvert sur l'humain.
L'installation d'œuvres d'art dans les espaces hospitaliers déclenche
des processus spirituels, émotionnels, esthétiques chez ceux qui
vivent à l'hôpital et les contemplent. L'art à l'hôpital améliore le
bien-être des patients et la réussite des thérapies suivies. En
milieu carcéral, les expositions d'œuvres de détenus, les soirées
de spectacles vivants humanisent ces lieux d'enfermement et maintiennent
un lien avec la société, ce qui facilite leur réinsertion à l'issue
de leur peine.
56. L’analyse stratégique du rapport s'attache à recenser les
dysfonctionnements transversaux susceptibles de toucher tous les
jeunes, et a fortiori celles et ceux qui sont discriminés. En voici
quelques-uns.
57. Le manque de temps.
Il est intéressant de noter qu’un tiers des jeunes Finlandais dénoncent
le manque de temps comme un facteur qui limite la possibilité de
se consacrer à des activités culturelles susceptibles de les attirer.
Cela oblige à réfléchir sur les tensions que les jeunes ressentent
entre participation aux activités artistiques et créatives et, par
exemple, temps d’études et de formation professionnelle, temps de
travail, temps pour la famille et les amis, ou encore temps pour
le sport et le loisir.
58. L’inadéquation de l’offre.
A cet égard, il semble que la fracture soit davantage culturelle
que sociale. Des politiques tarifaires spécifiques pour les jeunes
sont certes utiles mais ne sont pas suffisantes pour influencer, à
elles seules, les pratiques culturelles des 15-25 ans. Certains
animateurs culturels parlent d’«intimidation sociale et culturelle»,
évoquant le fait que les jeunes ne se sentent pas forcément concernés
par l’offre culturelle proposée, qu’ils perçoivent cette offre comme
éloignée de leur manière de se voir et de vivre leur vie. Ici, la
difficulté est celle de susciter chez les jeunes l’envie de se nourrir
d’activités qui ne sont pas faciles à appréhender car éloignées
de leur expérience, tout en leur offrant la possibilité de participer
à la vie culturelle à leur façon, en créant de ponts culturels entre
les formes de cultures auxquelles les jeunes accèdent plus facilement
et les autres. Il ne s’agit pas de forcer les jeunes à rentrer dans
un système culturel donné, mais simplement de leur offrir les clés
de compréhension qui peuvent leur permettre de se réapproprier,
s’ils le souhaitent, certaines formes culturelles dont ils ont tendance
à s’écarter, et de bâtir leur identité culturelle sur ces piliers.
Partir du présent pour remonter aux pratiques et esthétiques du
passé fait partie des méthodes qui ont fait leurs preuves.
59. Une médiation inadaptée. Pour
ressentir le désir d’approcher une quelconque œuvre culturelle,
la personne doit être capable de la lire, de la décrypter pour être
en mesure de l’apprécier; elle doit être mise en confiance et prendre
conscience que l’activité lui est accessible et peut être féconde
pour elle. L’échec de la démocratisation culturelle peut s’expliquer
aussi par les carences du travail de médiation et d’interaction.
Les stratégies mises en place, souvent trop théoriques avec une
pédagogie défaillante, ne parviennent pas à susciter plus de désir
chez les jeunes. La présence d'artistes, avec leur expérience vivante,
facilite le désir d'apprentissage artistique, en particulier chez
les jeunes.
60. Les cloisonnements entre les différentes
formes de culture. Que ce soit entre les arts et les
artistes tels qu’ils se présentent à leurs publics, ou dans la définition
des politiques de promotion culturelle, ou dans l’articulation de
l’éducation culturelle et dans la perception que chacun finalement
développe en son for intérieur, les cloisonnements isolent les acteurs
culturels et les publics et les enferment dans d'étroits domaines
culturels. Qu'elle soit élitiste, populaire, patrimoniale ou contemporaine,
toute culture vivante est multimodale et doit accepter la confrontation
et la critique mutuelle sans préjugés de forme ou de fond. Les cloisonnements
sont particulièrement sensibles dans les conservatoires et les écoles
d’art, où l'esprit perfectionniste qui règne dans chaque discipline
limite les échanges entre disciplines et décourage les futurs amateurs
pour ne s'intéresser qu'aux futurs professionnels potentiels.
61. Les influences d'internet sur les
comportements culturels. L’impact de la révolution numérique
sur les pratiques culturelles des jeunes se caractérise d'une façon
générale par une préférence pour la culture anglo-saxonne, qui découle
sans doute de la suprématie des acteurs américains (iTunes, Universal,
Warner, etc.). Mais contrairement à ce que l'on pourrait croire,
le monde numérique n'est pas en rivalité avec le monde physique:
les accès à la culture par internet incitent les jeunes à aller
aux spectacles d'artistes découverts sur la toile, tout comme ils
peuvent susciter la curiosité d'aller voir en vrai les œuvres plastiques
présentées sur le Net, pour échanger autrement qu'à travers un écran.
L'on peut simplement constater que la lecture de journaux et des
livres papier a diminué, mais les programmes de télévision sont
également responsables de cette baisse. Il convient de noter chez
les 15-25 ans l’importance de pratiques beaucoup plus individualisées
qui relient les personnes à de nouvelles communautés (plutôt virtuelles).
Ainsi apparaît une véritable culture de l’écran (on se cultive chez
soi en téléchargeant musiques, films, en regardant des expositions,
spectacles, via le Net, etc.). Malheureusement internet concerne
prioritairement les jeunes diplômés, groupe qui est déjà le plus
investi dans le domaine culturel, ce qui limite son efficacité –
pourtant réelle – en terme de démocratisation culturelle.
62. Le manque de lieux de création. Les
espaces de création ne manquent pas en général, mais il faut être une
troupe déjà reconnue, voire professionnelle, pour obtenir l’autorisation
de les utiliser. Il est nécessaire de proposer des espaces de création,
de tailles variables, répartis dans des lieux différents, sans objectif prédéfini,
permettant aux groupes de répéter librement et de monter eux-mêmes
leurs projets.
3.1.2. Exemples d’initiatives dans
le domaine de la participation, notamment des jeunes, à la vie culturelle
63. Dans les réponses au questionnaire, l’aspect qui
revient le plus fréquemment est celui de l’interconnexion entre
école et accès à la culture. La plupart des réponses font état d’actions
qui lient le monde du spectacle et de la création artistique avec
le monde de l’école. Celle-ci est non seulement un lieu privilégié d’apprentissage
des notions culturelles et de découverte de diverses pratiques artistiques
de la part des élèves, mais aussi un lieu où les créateurs (y compris
les jeunes créateurs) et les jeunes publics peuvent entrer en contact
et interagir.
64. Par exemple, en Suède, dans le cadre de l’Initiative des écoles
créatives, l’évaluation des plans d’action présentés par les écoles
tient compte des modèles de coopération à long terme entre les écoles
et le secteur culturel que ces plans comportent. Au Danemark, le
projet «Interface» a pour objectif de développer le partenariat
entre les écoles secondaires et les musées locaux; par ailleurs,
un système spécifique finance le rattachement d’artistes professionnels
aux institutions scolaires pour des périodes plus ou moins longues,
les projets devant mettre en valeur le partenariat entre écoles
et artistes locaux. En Allemagne, l’éducation culturelle est considérée
comme un outil essentiel pour la promotion de la participation des
jeunes à la vie culturelle; une enquête devrait être lancée pour
étudier les accords de coopération entre institutions culturelles et
écoles.
65. Presque de manière symétrique à la mission culturelle de l’école,
diverses réponses soulignent la mission éducative des institutions
culturelles. On peut citer à cet égard les programmes éducatifs
de la Galerie nationale slovaque et du musée de la Republika Srpska,
qui ont créé un service de l’éducation au sein de leurs administrations;
le projet éducatif permanent «Equipo» du musée national Centro de
Arte Reina Sofía, en Espagne; la mission éducative du musée des
Arts contemporains du Grand-Hornu et, plus généralement, l’organisation
de services pédagogiques dans les musées en Belgique, ou le Plan
national d’éducation pour les musées au Danemark, qui met un accent
particulier sur le développement de leur rôle éducationnel.
66. Plusieurs réponses insistent sur la fonction sociale de la
culture et mentionnent des projets visant des catégories de personnes
vulnérables et celles qui rencontrent des difficultés particulières
lorsqu’il s’agit de la participation à la vie culturelle
.
Quelques projets méritent d’être cités pour leur approche: il s’agit
là d’exemples d’activités qui conjuguent culture, intégration multiple
et citoyenneté, et qui valorisent de nouveaux modes de participation
(liens entre vie culturelle, vie sociale et vie politique apaisée):
- le programme «Jeunesse en action»
en Bulgarie, le programme «Nous et les autres» en Serbie et les projets
concernant l’accès à la culture et le renforcement des droits culturels
des Roms en République slovaque valorisent la diversité culturelle
et le dialogue interculturel;
- au Danemark, le Musée national a développé un projet spécifiquement
dédié aux femmes entre 15 et 30 ans, qui utilise la technologie
digitale et un profil virtuel sur Facebook;
- en Belgique, des conventions sont conclues avec des associations
qui développent des projets axés sur la réduction des inégalités
d’accès à la culture et un travail socioculturel avec les jeunes
défavorisés en milieu rural ou urbain ou avec les jeunes issus de
l’immigration .
67. Outre l’organisation de foires ou festivals internationaux,
nombre de projets insistent sur l’ouverture à l’international: en
Bosnie-Herzégovine, le talent campus de
Sarajevo (lié au Festival du film de Sarajevo) favorise les rencontres
entre jeunes réalisateurs de divers pays et le développement des
projets collaboratifs; le ministère de la Culture croate finance
la participation de jeunes artistes aux compétitions ou événements internationaux;
le programme «Mobilité» du Fonds culturel national bulgare soutient
les expositions à l’étranger des jeunes artistes; en Allemagne,
on finance des projets d’échanges transfrontaliers d’expertise et
de savoirs dans le domaine de l’éducation culturelle; et en Suisse,
un soutien financier est accordé à des associations qui offrent
des échanges internationaux interculturels en matière de jeunesse.
D’autres actions encore mettent l’accent sur la collaboration et
les échanges interdisciplinaires et/ou intergénérationnels: par
exemple, en Pologne, le programme «Education culturelle» du ministère
de la Culture et du Patrimoine national favorise les projets d’éducation
culturelle qui adoptent diverses formes artistiques et qui sont
fondés sur la collaboration de personnes qui appartiennent à différents
groupes d’âge.
68. L’utilisation des nouvelles technologies est aussi mentionnée.
Au Danemark, l’Agence du patrimoine et le ministère de l’Education
collaborent pour une plateforme digitale concernant les ressources
éducationnelles des musées danois. Au Portugal, le programme «Jeunes
créateurs» a permis de récompenser le travail d’artistes émergents,
entre autres dans le domaine de l’art digital. Un projet intéressant,
en Pologne, l’«Académie Orange», est financé par l’opérateur de
téléphonie mobile et soutient, entre autres, des projets de création
de musique par ordinateur, la création de jeux éducatifs interactifs
et de cartes régionales interactives.
69. Du point de vue méthodologique, un aspect que les réponses
au questionnaire mettent souvent en lumière est l’importance de
la coopération et de la recherche de synergies entre les institutions
(éducatives et culturelles, publiques et privées, aux divers échelons
de gouvernement) tant dans la phase de programmation et conception
que dans la phase de réalisation des projets. La mise en réseau
des divers acteurs est indispensable pour faciliter le partage des
connaissances et de l’expérience acquise.
70. Certaines réponses rappellent l’importance d’associer les
élèves à la conception et/ou à l’évaluation des projets. Par exemple,
en Belgique, les dossiers pour l’attribution des bourses dans le
cadre du programme «Soutien aux projets jeunes» sont examinés par
un comité composé de représentants du secteur de la jeunesse. Au
Danemark, le Réseau pour les enfants et la culture a un rôle consultatif
auprès du ministère de la Culture et lui a soumis un rapport sur
la culture de la jeunesse dans un nouveau contexte. Au Portugal,
la gestion du Programme jeunes créateurs a été confiée à l’Institut
portugais de la jeunesse.
71. Un constat: l’évaluation des projets n’est pas systématique
et tant les outils que la méthodologie d’évaluation ne sont que
rarement des éléments constitutifs des projets eux-mêmes. C’est
peut-être un aspect qu’il faudrait développer, aussi pour favoriser
les échanges d’expérience tant au niveau national qu’européen.
3.2. Vers une nouvelle stratégie
de mise en œuvre du droit des jeunes de participer à la vie culturelle
3.2.1. L’approche: valorisation mutuelle
et synergies
72. Le besoin des plaisirs de l'esprit, du regard, de
l'ouïe, le besoin de créer en imaginant des univers inexplorés sont
des besoins fondamentaux pour l'homme. Mais tout jeune n'a pas eu
l'opportunité de les satisfaire, car ils peuvent être détournés
ou asphyxiés par de multiples facteurs discriminants, par la consommation
de masse nivelante, par une offre inadaptée, par le manque de lieux
d'échange et de création. Tous ces facteurs révèlent les sérieuses
difficultés que rencontre le politique quand il s'efforce de développer des
actions capables d’avoir un impact durable sur la participation
à la vie culturelle.
73. La première condition d’une action efficace est de reconnaître
le problème et sa gravité, souvent non perçus et donc négligés;
la violation des droits culturels prive ceux qui la subissent du
sens de leur existence:
- ces
personnes sont privées d'une partie d'elles-mêmes, de liens avec
leur histoire, leurs origines et leurs milieux sociaux respectifs;
elles sont privées de la possibilité de découvrir la beauté là où
elle se trouve et donc d’une ressource essentielle de libération
et d’épanouissement: l’admiration;
- elles ne sont plus en capacité de participer aux œuvres
des communautés qui les entourent, de participer à la fabrication
des repères identitaires; leurs actions perdent leur sens, de liberté
et d’avenir, et se cantonnent dans l'immédiate nécessité du règne
animal. La fierté de créer et de donner, le plaisir de recevoir,
qui sont le propre de l'homme, ne font alors pas partie de leur
quotidien.
74. La violation des droits culturels menace par ailleurs la pérennité
de la diversité culturelle et l'avenir du patrimoine de demain,
sans lesquels les hommes seraient orphelins, privés de parenté et
de paternité.
75. En somme, sans participation à la vie culturelle, on est dépossédé
de son passé et de son présent, et on reste sans ambition d'avenir.
En revanche, l’excellence culturelle est facteur d’excellence de
vie avec des projections dans le futur en prolongement ou en réaction
avec le passé, afin de tisser l'histoire continue des hommes dans
le temps et l'espace.
76. La participation à la vie culturelle est aussi une responsabilité.
C’est aux jeunes de décider quelles sont les références (contenus
et formes) qu’ils jugent nécessaires pour structurer leur identité
et leur tissu relationnel, et celles qu'ils souhaitent promouvoir
pour enrichir leur patrimoine artistique et culturel. Ils ont besoin
pour cela de s’appuyer sur des personnes et des institutions d’enseignement
et de communication qui leur donnent accès à des œuvres, avec les
clés de lecture permettant de les interpréter et de les apprécier
ou de les contester.
77. La promotion de la culture concerne autant la diversité que
la qualité des choix: la diversité permet la liberté de choix, la
qualité des références permet la liberté d’être et de s’épanouir
à travers une discipline culturelle maîtrisée. Toutefois, l’action
politique ne peut se construire sur la base d’un nombre indéterminé d’options
et de variables, car cela la condamne à rester superficielle et
inefficace. Les réponses au questionnaire montrent beaucoup d’initiatives
extrêmement bénéfiques et qui méritent d’être mieux connues et partagées.
Mais cette profusion ne semble pas toujours s’appuyer sur une stratégie
politique lisible et cohérente dans le temps et l’espace.
78. Parmi les mille et une activités culturelles, ce sont celles
permettant une rencontre à la fois entre des domaines culturels
différents et des personnes venant de milieux et de classes d’âge
différents qui réussissent à jouer un rôle important et à être soutenues
prioritairement dans les politiques publiques. A la base de toute stratégie,
il faut viser la meilleure synergie entre les domaines du culturel,
favoriser la valorisation mutuelle des ressources et la richesse
des connexions, l’interaction des personnes et des savoirs, sans
jamais perdre de vue l'exigence de qualité, marque de respect que
l'on doit à celles et ceux qui ont accès à la culture ou qui la pratiquent
comme amateurs ou professionnels.
3.2.2. Les interactions ou les principes
de connexions
79. Quatre interactions ou principes de connexions devraient
donc servir de critères essentiels dans les choix politiques. Ces
critères ont pour objectif de viser une plus grande valorisation
mutuelle et donc une meilleure reconnaissance des ressources existantes,
une meilleure productivité des investissements, en termes tant économiques,
culturels, sociaux que politiques.
80. L’interartistique et interculturel.
Chaque discipline artistique permet d’exprimer et de réaliser une dimension
susceptible de révéler un aspect valorisant de chacun d'entre nous.
Lorsqu'elle interagit avec d'autres expressions artistiques, elle
renforce la palette de communication entre la personne et les expressions artistiques
– et chaque art est valorisé par les autres, la visibilité et l'attractivité
de chacune étant accrues par l’interaction avec les autres. En outre,
cette interaction favorise la rencontre de publics différents et
entre acteurs et publics, puisque le public est davantage sollicité
par la multiplicité des offres artistiques favorisant ses capacités
de lien social. Le théâtre, rencontre entre l’écriture et les arts
de la scène (danse, musique, chant, parole et gestuelle, costumes,
décors) en est l’exemple classique
. Parmi
d’autres formes hybrides d’arts pluridisciplinaires, on citera le
cirque contemporain (qui inclut aussi théâtre, danse, musique, etc.)
ou les spectacles de sons et lumières, qui valorisent aussi des
cadres naturels et/ou monumentaux, ou encore les performances de
plasticiens en lien avec des vidéastes, des artistes de la lumière
et du son
. Ces interactions favorisent
l’intégration sociale, mais il ne s’agit pas de fabriquer des programmes
pour des publics considérés comme «marginaux». Les arts ont une
fin en soi et n'ont pas vocation à devenir une thérapie sociale:
on n'initie pas aux arts pour fabriquer de bons citoyens. Loin de
cette instrumentalisation de l'art, il s'agit d’inviter et d’attirer
ces publics à des activités générales de rencontre, et de révéler
la proximité entre des personnes qui croyaient n'avoir rien en commun.
81. L’interlieux. Si des
activités destinées à des publics choisis restent importantes pour
développer les disciplines particulières, il est nécessaire de favoriser
les lieux de rencontre mixtes qui valorisent à la fois les capacités
d’un territoire urbain ou rural et la diversité des publics invités
à l’habiter pour le temps d’une fête ou d’un festival, ou dans la
longue durée (lieux polyvalents, tels que places, rues ou bâtiments).
Il s’agit de veiller à la sauvegarde et à l’enrichissement de véritables
«écosystèmes» culturels. La réhabilitation des anciennes friches
industrielles en lieux d'expositions, de performances artistiques,
en est une illustration très réussie. La valorisation culturelle
des territoires n’est pas seulement culturelle, mais aussi sociale
et économique, grâce aux liens entre créateurs, publics et les divers
métiers qui participent à l’activité
. Enfin, lorsqu’on
pense aux «lieux», il ne faut pas oublier de prendre en compte l'espace
dématérialisé d'accès à la culture que le réseau internet permet
(et qui est par essence interlieux), ainsi que l’art numérique et
les «artistes net» qui s’expriment dans le monde numérique.
82. L’intertemporel. La
culture n’est jamais statique, elle est en devenir. L’intertemporel
renvoie à la capitalisation de la culture dans le temps et à la
transmission entre les générations. Il s’agit ici principalement du
rôle de l'éducation artistique en milieu scolaire et universitaire,
des conservatoires et des écoles artistiques, des musées et aussi
des moyens que permettent les nouvelles technologies de l’information
et de la communication (NTIC). L’intertemporel doit permettre de
puiser dans l’histoire, voire dans l’archéologie, les sources et
les exemples des volontés de vivre ensemble
,mais
aussi de se projeter dans l'avenir imaginatif des arts prospectifs.
83. L’interinstitutionnel.
Il s’agit de réaliser la meilleure synergie entre les institutions
au service des droits, libertés et responsabilités culturelles de
chacun. Au cœur de la mission de chaque institution qui contribue
à la formation, à l’activité et à la communication artistiques (école,
école d’art, université, conservatoire, autorité publique, association
culturelle, entreprise culturelle, média…) devrait se trouver l’obligation
d’interaction en vue de tisser des liens entre éducation et culture,
entre science et culture, entre économie et culture. Dans cette
optique, il est nécessaire de développer cohérence et synergies:
- entre les politiques dans les
domaines de l’éducation (y compris l’éducation artistique), de la
sauvegarde et gestion du patrimoine culturel (local et national,
matériel et immatériel), de la jeunesse, de l’aide social;
- entre les projets et initiatives des autorités aux divers
échelons (local, régional, national et international);
- entre les projets et initiatives des institutions éducatives
et culturelles, publiques et privées;
- entre l’action de ces institutions et celle d’autres partenaires,
en particulier les médias, les mécènes, les sponsors et le monde
associatif, notamment les associations de jeunes.
84. Plus les activités s’inspirent de ces quatre critères, plus
elles sont créatrices de richesses personnelles culturelles et sociales.
Ce sont elles qui ont le meilleur «effet de levier» sur le développement
intégrant les différentes dimensions, personnelles et sociales,
y compris économiques.
85. Les spectacles vivants sont sans doute les mieux à même de
réaliser simultanément ces critères. Ils permettent de valoriser
une correspondance entre les arts concernés, entre les artistes
et les publics, entre les lieux, entre les temporalités et entre
les institutions, y compris par-delà les frontières. Ici, on pense
non pas à la troupe qui gère sa tournée pour un public averti, mais
à celle qui invente des lieux-frontières à la rencontre de nouveaux
publics (rue, écoles, instituts de formation, entreprises, musée…)
en faisant ressortir les pans de mémoire oubliée
.
86. Il est enfin utile de préciser que la dimension internationale
enrichit simultanément les dynamiques d’interconnexion en mettant
en relation des expériences acquises dans des pays différents, en
ouvrant vers d’autres horizons, mais aussi en encourageant la découverte
de ce que nous avons en commun dans la diversité culturelle. La
construction européenne bénéficiera pleinement de ces interconnexions
culturelles entre pays.
4. Conclusions
87. Le droit de chacun de participer à la vie culturelle
résume l'ensemble des droits culturels, dont le respect et l'égale
répartition entre les hommes et les territoires offrent à chaque
personne:
- l'opportunité d'une
rencontre avec des cultures et des arts divers;
- la possibilité de choisir la nature des relations qu'elle
souhaite entretenir avec l'univers artistique et culturel (épisodiques
ou permanentes, amateurs ou professionnelles);
- la garantie de pouvoir exercer de manière libre et responsable
ses autres droits.
88. En effet, le respect du droit de chacun de participer à la
vie culturelle rejoint celui des droits de l'homme et en permet
l'exercice puisqu'il implique que soient réunies les conditions
matérielles et psychologiques permettant à toute personne de mettre
en œuvre toutes les potentialités de sa personnalité d'être pensant, doué
de sensibilité, pour se construire une identité d'homme et de citoyen,
en partage avec son environnement culturel, social et politique.
89. La création et la valorisation de ces droits culturels sont
révélatrices de la capacité de l'homme à se nourrir de culture comme
richesse sociale, et d'acquérir, grâce au contact avec la diversité
culturelle, une conscience de sa place au milieu des autres et de
la place des autres à côté de soi. Les «liants essentiels» de la
vie sociale et politique ne sont-ils pas des activités à forte teneur
culturelle? La création et la valorisation de ces droits culturels
sont également révélatrices du besoin de l'homme de bâtir des œuvres
matérielles et immatérielles qui le dépassent pour forger les civilisations
à transmettre aux générations futures.
90. Cependant, bien que leur importance soit reconnue par toutes
les instances nationales et internationales, et malgré la multitude
des initiatives et réalisations qui foisonnent dans les territoires,
force est de constater que les droits culturels ne profitent pas
à tous de manière égale. Il n'y a pas d'égalité des chances d'accéder
à la connaissance et à la pratique artistique et culturelle.
91. Sont autant de freins au développement culturel des sociétés
et au partage harmonieux de leur richesse entre les citoyens d'une
même nation et entre les citoyens de pays différents:
- la répartition inégale de l'offre
dans les territoires et son inadaptation récurrente aux aspirations
des différents publics;
- les inégalités d'accès socio-économiques;
- les insuffisances de l'éducation, de la formation et de
l'apprentissage artistique et culturel;
- les soutiens politiques et financiers irréguliers, voire
aléatoires en fonction des contraintes socio-économiques;
- le fait que la culture soit d'une façon générale la variable
d'ajustement des budgets nationaux et locaux.
92. Seuls les Etats et les collectivités publiques sont véritablement
à même de remédier efficacement à tous ces freins, à toutes ces
discriminations. Ils sont les responsables des services publics
d'intérêt général (dont ceux de la culture, qui doivent bénéficier
à tous). Ils ont la capacité non seulement d'initier, de stimuler
(comme les instances privées), mais surtout ils ont le pouvoir de
réguler les synergies entre tous les acteurs (publics entre eux,
publics et privés). Ils ont le devoir de protéger, de favoriser
la diversité culturelle pour préserver l’identité de chacun et la
liberté d'expression.
93. Le point de départ incontournable pour un égal accès à la
culture, qui relève de la responsabilité des Etats, est l'éducation.
L'école est le lieu par excellence de l'égalité d'accès aux enseignements,
et le droit de participer à la vie culturelle est intrinsèquement
lié au droit à l'éducation artistique, à l'apprentissage des savoirs
qu'elle dispense, à la liberté d'expression créatrice qu'elle suscite
et aux rencontres multiples entre élèves, œuvres, artistes et institutions
qu'elle provoque, qui doivent être pérennes et obligatoires tout
au long du cursus scolaire pour que les jeunes scolarisés s'imprègnent
dans la durée des apports inestimables que procure une vie culturelle
et se découvrent «désireux de culture».
94. En dehors de l'école, une politique visant la réalisation
du droit de participer à la vie culturelle ne saurait se contenter
de financer et d’organiser des spectacles, des expositions, des
productions culturelles variées et de qualité. Il faut aussi et
surtout organiser les rencontres entre publics et créateurs, favoriser
les lieux dans lesquels l'apprenant, le médiateur et le créateur
partagent des expériences sensibles, esthétiques, philosophiques
dans des relations de réciprocité enrichissantes pour tous, amateurs
comme professionnels. C'est parce qu'un public se découvre une potentialité
d'acteur culturel et qu'il entre dans un rapport actif à une œuvre,
à une manifestation culturelle, que cette pratique peut faire naître
un «désir de culture» sans lequel les efforts en faveur des offres
n'auront que peu d'effets sur l'effectivité du droit de participer
à la vie culturelle.
95. Etant à la croisée des générations, les jeunes sont des vecteurs
essentiels de transmission des ressources et des valeurs culturelles
au sein de la société. Dans une optique intergénérationnelle et
de cohésion sociale, l'une des responsabilités importantes du politique
est de les motiver. Les responsables politiques doivent donc les
impliquer plus personnellement dans les activités culturelles, promouvoir
des initiatives innovantes, valoriser toutes les pratiques créatrices
de liens culturel, social et politique, valoriser les ressources
artistiques et culturelles qui permettent les rencontres. Il faut
aussi porter une attention particulière aux conditions dans lesquelles
les jeunes ont un accès aux activités artistiques et culturelles,
qui contribuent fortement à leur donner confiance en eux en leur
permettant de découvrir les multiples facettes de leur nature.
96. La participation aux arts enrichit parallèlement le patrimoine
artistique et culturel de nos sociétés grâce aux créations multiples
et variées qu'elle développe. Les soutiens apportés à la jeune création
innovante sont indispensables car sans eux le patrimoine de demain
s'appauvrirait. Il est donc de la responsabilité des politiques
de prendre le risque de l'innovation pour procurer aux générations
futures ce qui leur apparaîtra, avec le temps, comme un patrimoine
classique à valeur universelle, de la même façon que nous l'avons
reçu de nos aïeux.
97. Parallèlement, l'Etat a le devoir de prendre en compte les
profondes mutations que connaissent les conditions d'accès à la
culture avec l'essor de la culture numérique et de l'internet, de
favoriser l'émergence de nouveaux artistes et de nouvelles formes
d'expression, et de développer les nouveaux modes de diffusion des
contenus culturels pour les rendre accessible à tous. La mondialisation
des échanges que permet internet offre l'opportunité aux artistes
de s'enrichir mutuellement et aux internautes (les jeunes en particulier)
de participer aux expressions créées à l'autre bout du globe.
98. La réussite de ces politiques permettra de lutter contre l'autocensure
que s'appliquent certaines personnes pensant, à tort, qu'elles ne
sont pas aptes à la pratique culturelle et artistique ou à la création artistique.
Face à cet obstacle psychologique, l'éducation aux arts et les politiques
incitatives en direction des jeunes sont particulièrement efficaces,
à une période de leur vie où ils font l'expérience de multiples découvertes
et sont moins soumis aux conditionnements culturels et sociaux.
99. Le droit de participer à la vie culturelle est également entravé
par les discriminations multiples dont sont victimes toutes les
personnes, tous les jeunes qui pour des raisons diverses sont tenus
éloignés des offres et des pratiques artistiques et culturelles:
les problèmes économiques, les distances qui les séparent des ressources
culturelles (zones rurales, zones montagneuses, etc.), les enfermements
forcés dans des lieux clos (hôpitaux, prisons, etc.) et les handicaps
(physiques, sensoriels ou mentaux) peuvent les pénaliser. Il est
du devoir de l'Etat de mettre en œuvre les moyens matériels, humains
et financiers pour en réduire les conséquences.
100. Le rôle de l'Etat comme régulateur des synergies est ici essentiel.
La collaboration avec les collectivités locales, si elle est fructueuse,
permet un meilleur équilibre entre les offres de proximité et de
rayonnement national ou international; une utilisation plus rationnelle
de moyens mutualisés avec l'apport de la contribution de partenaires
privés est indispensable, compte tenu des budgets contraints; un
décloisonnement entre les disciplines artistiques et culturelles
est à développer pour un meilleur accès pour tous à une vie artistique
et culturelle riche et variée.
101. Les facteurs de valorisation mutuelle des ressources artistiques
et culturelles que constituent l'interartistique et culturel, l'interlieux,
l'intertemporel et l'interinstitutionnel sont une des pistes que
je propose pour la mise en œuvre et l'évaluation des politiques
publiques de démocratisation culturelle, spécialement celles visant
les jeunes publics ou praticiens. Sur cette base, j'ai élaboré un
certain nombre de lignes directrices pour les décideurs politiques
dans l'annexe du projet de recommandation.
102. La dimension internationale des initiatives culturelles doit
compléter et enrichir la dynamique générée par chacun de ces facteurs.
En effet, le droit de chacun de participer à la vie culturelle est
aussi le droit de jouir et de contribuer à la production du patrimoine
culturel européen; le droit d’entrer en relation avec la diversité culturelle
européenne, avec son histoire, son présent et son avenir, liés à
la promotion des valeurs de la démocratie et des droits de l'homme
que le Conseil de l’Europe prône. A cet égard, il serait souhaitable d’approfondir
la dimension «droits culturels» comme un élément transversal dans
les projets du Conseil de l’Europe concernant l’éducation à la citoyenneté
démocratique, l’éducation de qualité, les jeunes, la société de l’information,
la cohésion sociale. En outre, le droit de chacun de participer
à la vie culturelle a toute sa place dans la construction de la
société du «vivre ensemble».
103. L’art et la culture ne sauraient être enfermés dans des frontières;
au contraire, il faut favoriser leur circulation et promouvoir les
activités artistiques et culturelles transfrontalières. A cet égard,
le Conseil de l’Europe a une expertise reconnue dans le développement
de la coopération intergouvernementale, mais aussi de la coopération
entre autorités locales et régionales (qui dans le domaine culturel
est très importante) et des partenariats entre institutions publiques
et société civile. Le Conseil de l’Europe pourrait mobiliser des
énergies nouvelles (et à moindre coût) pour une action harmonieuse
des divers acteurs visant une protection effective du droit de chacun
de participer à la vie culturelle et pour coordonner l’échange de
bonnes pratiques et des projets collaboratifs d’envergure européenne
dans ce domaine.
104. Enfin, l’art et la culture sont de puissants vecteurs pour
partager et promouvoir des valeurs dans un dialogue interculturel
apaisé. Pour ce qui concerne l'espace européen, il s’agit d’être
capables de l'ouvrir sur le monde, en commençant par les pays proches
de la région méditerranéenne, et de véhiculer à travers l’art et
la culture les valeurs démocratiques et libérales qui nous unissent.
Le Centre Nord-Sud doit poursuivre son objectif de favoriser une
meilleure compréhension entre les civilisations. La rencontre des
cultures est à la base de la connaissance et de la confiance mutuelles,
qui sont les fondements de la paix.