1. Introduction
1. En adhérant au Conseil de l’Europe le 24 avril 2002,
la Bosnie-Herzégovine a accepté d’honorer les obligations s’imposant
à tous les Etats membres conformément à l’article 3 du Statut de
l’Organisation, ainsi qu’un certain nombre d’engagements spécifiques
énoncés dans l’
Avis 234
(2002) sur la demande d’adhésion de la Bosnie-Herzégovine au
Conseil de l’Europe. Afin d’assurer le respect de ces engagements,
l’Assemblée parlementaire a décidé, aux termes de la
Résolution 1115 (1997), de suivre de près la situation en Bosnie-Herzégovine
après son adhésion.
2. Le premier rapport de suivi, qui a été présenté à l’Assemblée
en juin 2004, a conduit à l’adoption de la
Résolution 1383 (2004) et de la
Recommandation
1664 (2004) le 23 juin 2004. Après l’échec de la réforme constitutionnelle
en avril 2006, l’Assemblée a également décidé en juin 2006 de tenir
une discussion selon la procédure d’urgence sur la réforme constitutionnelle
en Bosnie-Herzégovine et elle a adopté la
Résolution 1513 (2006). Le deuxième rapport de suivi complet a été discuté
en septembre 2008 et a conduit à l’adoption de la
Résolution 1626 (2008).
3. Le 22 décembre 2009, la Cour européenne des droits de l’homme
a rendu un arrêt dans l’affaire Sejdić et
Finci c. Bosnie-Herzégovine, dans lequel elle a reconnu
l’existence d’une violation du Protocole no 12 (interdiction
générale de la discrimination) de la Convention européenne des droits
de l'homme (STE no 5, «la Convention»)
et d’une violation de l’article 3 du Protocole no 1
en conjonction avec l’article 14 de la Convention (droit à la tenue
d’élections libres et interdiction de la discrimination en relation
avec les autres droits protégés par la Convention). M. Finci (un
Juif) et M. Sejdić (un Rom) appartiennent tous deux à la catégorie constitutionnelle
des «autres» et, en tant que tels, ne peuvent se présenter aux élections
à la présidence du pays, ni être élus à la Chambre des peuples de
l’Assemblée parlementaire de Bosnie‑Herzégovine.
4. Aux termes de la Constitution (annexe 4 des Accords de paix
de Dayton), la présidence tripartite de l’Etat est élue au suffrage
direct tous les quatre ans et doit comprendre un Serbe élu sur le
territoire de la Republika Srpska, l’une des deux entités, et un
Croate et un Bosniaque (musulman) élus sur le territoire de la Fédération de
Bosnie-Herzégovine, la deuxième entité, qui se compose de dix cantons.
La Constitution prévoit également que la Chambre des peuples doit
être composée de cinq Serbes (nommés par l’Assemblée nationale de
la Republika Srpska) et de cinq Croates et cinq Bosniaques nommés
par la Chambre des peuples de la fédération. Ce système exclut de
toute participation à la vie politique du pays quiconque ne se déclare
pas membre d’un «peuple constituant», soit parce qu’il appartient
à l’une des 17 minorités officiellement reconnues, soit parce qu’il
ne souhaite pas se déclarer comme tel.
5. En janvier 2010, l’Assemblée a adopté la
Résolution 1701 (2010) sur le fonctionnement des institutions démocratiques
en Bosnie-Herzégovine, en appelant instamment les autorités à introduire
les amendements constitutionnels et les amendements à la loi électorale
requis pour se mettre en conformité avec l’arrêt
Sejdić et Finci avant les prochaines
élections générales prévues le 3 octobre 2010. L’Assemblée a également suggéré
de tenir une conférence multilatérale avec les principales parties
prenantes locales et internationales (notamment les pays représentés
au sein du Conseil de mise en œuvre de la paix, l’Union européenne,
le Conseil de l’Europe et les pays voisins) pour discuter des moyens
de surmonter le blocage institutionnel et politique en Bosnie-Herzégovine.
6. Ni la Constitution ni la loi électorale n’ont été amendées
en temps utile avant les élections
. C’est pourquoi,
dans la
Résolution 1725 (2010) sur le besoin urgent d’une réforme constitutionnelle
en Bosnie‑Herzégovine, l’Assemblée s’est déclarée inquiète que les
prochaines élections soient amenées à se dérouler selon des modalités
contraires à la Convention et à ses protocoles, et elle a appelé
les autorités à ne pas perdre de temps avant les élections et à
lancer immédiatement un processus institutionnel sérieux afin de préparer
une série détaillée d’amendements constitutionnels tout de suite
après les élections. Cela n’a pas non plus été fait car les membres
du groupe de travail mixte Sejdić et Finci (comprenant trois ministres
et neuf représentants parlementaires) n’ont pu se mettre d’accord
sur le mandat et la composition de la commission de réforme constitutionnelle
et, en particulier, sur le fait de savoir si celle‑ci devait être
créée par un texte de loi ou par une décision du parlement. En conséquence,
le 26 août 2010, le Conseil des ministres a dû prendre note de l’échec
du groupe de travail et a accepté sa proposition de reprendre le
travail seulement après les élections.
7. Des élections ont eu lieu à tous les niveaux, le niveau municipal
excepté, le 3 octobre 2010. Au niveau de l’Etat, les électeurs devaient
élire les trois membres de la présidence de l’Etat et les 42 membres
de la Chambre des représentants. Les électeurs de la Republika Srpska
ont élu le président de la Republika Srpska (et deux vice-présidents)
et les 83 membres de l’Assemblée nationale de la Republika Srpska.
Les électeurs de la Fédération de Bosnie-Herzégovine ont élu les
98 membres de la Chambre des représentants de la fédération
.
Enfin, les électeurs de la fédération devaient aussi élire les membres
des 10 assemblées cantonales.
8. Ces élections ont été observées comme précédemment par une
commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée, qui faisait partie de
la Mission internationale d’observation des élections, laquelle
comprenait aussi des observateurs du BIDDH/OSCE et des assemblées
parlementaires de l’OTAN et de l’OSCE.
9. La Mission internationale d’observation des élections a conclu
que les élections générales organisées en Bosnie-Herzégovine le
3 octobre 2010 «ont représenté un nouveau pas en avant et, hormis
les restrictions légales concernant le droit de vote, elles se sont
déroulées dans l’ensemble conformément aux engagements de l’OSCE
et du Conseil de l’Europe». Cependant, M. Tiny Kox, chef de la délégation
de l’Assemblée, a ajouté que «les élections se sont déroulées une
fois encore avec des restrictions des droits de suffrage actif et
passif, fondées sur l’origine ethnique et le lieu de résidence,
et imposées par les Accords de Dayton. En tant que tel, le cadre
juridique actuel continue de constituer une violation de la Convention
européenne des droits de l’homme».
10. De nombreux observateurs s’attendaient à ce que, comme en
2006, les négociations en vue de la formation du gouvernement durent
environ de trois à quatre mois, au maximum jusqu’à six mois. Cependant, à
ce jour, c’est-à-dire plus d’un an après les élections, il n’existe
toujours pas de gouvernement au niveau de l’Etat. Extrêmement préoccupés
par cette situation et par la paralysie institutionnelle qui en
résulte, nous avons effectué du 20 au 23 septembre 2011 une visite
d’information en Bosnie-Herzégovine – où nous avons pu rencontrer
notamment les dirigeants des principaux partis politiques à Sarajevo
et à Mostar – afin de mieux comprendre les raisons de ce blocage
persistant.
11. Lors de sa réunion organisée pendant la partie de session
d’octobre 2011 de l’Assemblée, au cours de laquelle nous avons présenté
un rapport oral sur la situation en Bosnie-Herzégovine en exprimant
nos graves préoccupations, la commission de suivi a décidé de demander
au Bureau de l’Assemblée d’inscrire à l’ordre du jour de la partie
de session de janvier 2012 un débat sur «Le fonctionnement des institutions
démocratiques en Bosnie‑Herzégovine».
12. La Bosnie-Herzégovine, comme on le sait, est un Etat fort
complexe, avec un degré de décentralisation extrêmement élevé et
des institutions centrales très faibles. Elle comprend deux entités:
la Republika Srpska (couvrant 49 % du territoire) et la Fédération
de Bosnie-Herzégovine, qui est divisée en 10 cantons conformément
à l’Accord de Washington de 1994. Elle comprend également le district
autonome de Brcko dont le statut est issu d’un arbitrage international
(la décision finale a été rendue en 1999 dans le cadre de l’arbitrage sur
la région de Brcko).
13. La complexité de ce système fait que pour régler n’importe
quelle question, il est nécessaire de passer par 5 présidents, 13
premiers ministres, environ 180 ministres au niveau de l’Etat, des
entités et des cantons et 14 assemblées ou parlements élus (y compris
celui du district de Brcko, mais sans compter l’échelon municipal).
Il existe un grave manque de coordination et de coopération, et
même de communication, entre les différents niveaux de gouvernement,
et les processus décisionnels sont rendus difficiles par un grand
nombre de mécanismes complexes visant à empêcher que l’un des trois
«peuples constituants», les Bosniaques, les Serbes et les Croates,
ne dispose de plus de voix que les autres. Les lois de l’Etat ne
sont pas automatiquement applicables dans l’ensemble du pays, la
législation n’est pas harmonisée dans de nombreux domaines et diffère
parfois très fortement, et l’Etat ne dispose d’aucun mécanisme lui
permettant d’obliger les échelons infra-étatiques à respecter sa
législation ou ses politiques.
14. Bien que le processus des réformes soit en recul en Bosnie-Herzégovine
depuis 2006 environ, malgré certaines nouvelles positives comme
la signature d’un accord de stabilisation et d’association (ASA)
avec l’Union européenne en juin 2008 et l’invitation de l’OTAN en
avril 2010 à entamer un plan d’action pour l’adhésion, l’impasse
actuelle constitue la crise la plus grave pour le pays depuis la
fin de la guerre en 1995. La question qui est au fondement de cette
crise est celle de savoir si le pouvoir doit être partagé entre
des représentants
des peuples
constituants ou entre des représentants
issus
des peuples constituants, et s’il doit être partagé sur
une base proportionnelle
ou
sur la base d’une complète égalité entre les trois peuples constituants.
15. Il n’existe pas de recette toute faite pour mettre un terme
à la crise. Comme l’Assemblée l’a souligné de nombreuses fois, une
solution exige un climat de confiance, une vision commune de l’avenir
du pays et une véritable volonté politique de la part de tous les
acteurs politiques locaux. Ces différents ingrédients ne sont guère
présents aujourd’hui. Nous tenterons plus loin d’expliquer pourquoi.
2. Résultats des élections
de 2010
16. En tout, 32 partis politiques, 10 coalitions et 7
candidats indépendants ont participé aux élections générales. A
l’exception du Parti social-démocrate (SDP) se présentant officiellement
comme un parti pluriethnique, les autres grands partis demeurent
essentiellement des partis ethniques. Du côté serbe, les principaux
partis sont le SNSD (Alliance des sociaux-démocrates indépendants),
le SDS (Parti démocratique serbe) et le PDP (Parti du progrès démocratique).
Du côté croate, les principaux partis sont le HDZ (Union démocratique
croate de Bosnie-Herzégovine) et le HDZ 1990 (Union démocratique
croate 1990)
. Du côté bosniaque,
les principaux partis sont le SDA (Parti d’action démocratique),
le SBiH (Parti de la Bosnie-Herzégovine) et le SBB (Parti pour un
avenir meilleur en Bosnie-Herzégovine), créé récemment.
17. 8 242 candidats, inscrits sur 562 listes séparées, se sont
présentés aux élections générales, dont 4 259 Bosniaques, 1 926
Serbes, 1 713 Croates et 299 «autres». 44 candidats n’ont pas déclaré
leur identité nationale. 3 126 599 électeurs en tout étaient inscrits
sur les listes électorales
. La participation le jour du scrutin
a atteint 56,28 %, ce qui représente une augmentation de 3 % par
rapport à 2006.
2.1. Election de la présidence tripartite
de l’Etat
18. Les électeurs inscrits en Republika Srpska, qu’ils
soient des Serbes, des Croates ou des Bosniaques, pouvaient voter
uniquement pour le membre serbe de la présidence. Le président sortant,
Nebojsa Radmanovic, du SNSD, a été réélu avec 295 629 voix, soit
48,92 % des suffrages. Le scrutin a été serré car Mladen Ivanic,
ancien ministre des Affaires étrangères et dirigeant du PDP, un
parti d’opposition en Republika Srpska, a obtenu 285 951 voix, soit
47,31 % des suffrages.
19. Les électeurs de la fédération, quelle que soit également
leur appartenance ethnique, pouvaient voter uniquement soit pour
le membre croate de la présidence, soit pour le membre bosniaque.
Le siège bosniaque a été obtenu par Bakir Izetbegovic, qui a recueilli
162 831 voix, soit 34,86 % des suffrages. Ici également, la course
a été serrée car Fahrudin Radoncic, magnat de médias et dirigeant
du parti SBB créé récemment, a obtenu 142 387 voix (30,79 %). Le
président sortant, Haris Silajdzic, du SBiH, a été relégué en troisième position
avec seulement 25,10 % des voix. Le membre croate de la présidence,
Zeljko Komsic, du SDP, est indubitablement l’homme politique le
plus populaire de la fédération
et
celui qui a obtenu le meilleur résultat électoral du pays. En effet,
il a été réélu pour un second mandat avec un score de 337 065 voix,
soit 60,61 % des suffrages. Les candidats des partis croates les
plus importants, Borjana Kristo, du HDZ, et Martin Raguz, du HDZ
1990, n’ont recueilli respectivement que 19,74 % et 10,84 % des
suffrages.
20. Etant donné la taille relativement réduite de la communauté
croate en Bosnie-Herzégovine (elle comptait environ 760 000 personnes,
soit 17 % de la population, dans le recensement effectué en 1991
avant la guerre et comprendrait aujourd’hui, selon le cardinal Puljic,
environ 400 000 personnes), il est clair qu’un nombre très important
de Bosniaques ont choisi de voter pour M. Komsic au lieu de voter
pour un candidat bosniaque. De même qu’en 2006, nous pensons qu’il
s’agit là d’un signe positif indiquant que la vie politique en Bosnie-Herzégovine
n’est pas entièrement déterminée par les clivages ethniques.
21. Les partis croates classiques (HDZ et HDZ 1990), cependant,
considèrent que M. Komsic n’est pas un «vrai» Croate parce qu’il
a été élu avec des voix musulmanes. Ils ne remettent pas en question
son appartenance ethnique en tant que telle
mais lui dénient le droit de représenter
le peuple croate au sein de la présidence. Pour eux, il existe une
différence majeure entre un représentant
du peuple
croate élu par des Croates et un représentant
issu
du peuple croate élu avec les voix d’autres électeurs
que les seuls Croates.
22. Nous sommes entièrement en désaccord avec ce point de vue.
Nous pensons qu’il n’a absolument aucun fondement constitutionnel
et juridique et qu’il révèle un manque de respect total pour la
volonté du peuple exprimée par la voie démocratique. Ce point de
vue est d’autant plus surprenant que ni le HDZ ni le HDZ 1990 n’utilisent
le même argument à propos des Croates de la Republika Srpska, où
certains hommes politiques appartenant à la minorité croate comme
Emil Vlajki, le vice-président de la Republika Srpska par exemple,
ont été élus avec des voix serbes.
2.2. Election des parlements au
niveau de l’Etat et des entités
2.2.1. Au niveau de l’Etat
23. La Constitution de la Bosnie-Herzégovine stipule
que la Chambre des représentants de la Bosnie-Herzégovine comprend
42 délégués, dont 28 sont élus sur le territoire de la fédération
et 14 sur le territoire de la Republika Srpska. Cette fois, le grand
gagnant parmi les partis présentant des candidats aux 28 sièges
de la Chambre des représentants élus sur le territoire de la fédération
est le SDP de Zlatko Lagumzija. Ce parti pluriethnique, qui est
dans l’opposition depuis 2002, a obtenu 26,07 % des voix et compte
maintenant 8 délégués à la Chambre des représentants. Les principaux
partis bosniaques, le SDA de Suleyman Tihic, le SBB de Fahrudin
Radoncic et le SBiH de Haris Silajdzic, ont obtenu respectivement
7, 4 et 2 sièges. Les principaux partis croates, le HDZ et le HDZ 1990,
ont obtenu respectivement 3 et 1 sièges. Le reste des sièges se
répartit entre les partis croates plus petits: le HSP (Parti croate
des droits) et le NSRzB (Parti populaire pour le progrès par le
travail) ont obtenu 1 siège chacun. Le DNZ, un petit parti à majorité
bosniaque, a également obtenu 1 siège.
24. A la suite des élections, le SDP, le SDA et deux petits partis
croates (le HSP et le NSRzB) ont formé une coalition sur la base
d’une plate-forme commune de gouvernement. Ils contrôlent maintenant
17 sièges sur 42. Cela ne constitue pas, bien entendu, la majorité
mais les «Plate-formistes», comme on les appelle, pourront probablement
compter aussi, au moins en ce qui concerne les questions d’importance
majeure, sur les quatre voix du SBB et les deux voix du SBiH qui
ont tous deux décidé de rester dans l’opposition.
25. Les sièges des 14 députés élus sur le territoire de la Republika
Srpska se répartissent comme suit: 8 pour le SNSD de Milorad Dodik,
4 pour le SDS de Mladen Bosic, 1 pour le PDP de Mladen Ivanic et
1 pour le DNS (Ligue populaire démocratique). Pour la première fois,
les 14 députés de la Republika Srpska sont tous d’appartenance ethnique
serbe. Le SNSD et le SDS ont décidé de former une alliance au niveau
de l’Etat mais le SDS reste dans l’opposition au niveau de l’entité,
en Republika Srpska.
26. Les représentants nouvellement élus se sont réunis en session
inaugurale le 30 novembre 2010 mais seulement pour prêter serment.
Du fait des négociations en cours sur la formation du gouvernement,
il n’a pas été possible de parvenir à un accord sur la désignation
du président et des vice-présidents de la chambre. Enfin, grâce
à une initiative du président du SDS, la chambre a élu un président
(du SDP) et deux vice-présidents (du SNSD et du HDZ 1990) le 20
mai 2011 et commencé ses travaux
. Cependant, comme tous les
textes de loi doivent être adoptés également par la Chambre des
peuples, qui n’a pas été constituée avant le 4 juin 2011, aucun
travail législatif n’a en fait pu être mené pendant les huit mois
qui ont suivi les élections.
27. La Chambre des peuples de Bosnie-Herzégovine comprend 15 délégués
dont, aux termes de la Constitution, deux tiers doivent provenir
de la fédération (5 Croates et 5 Bosniaques) et un tiers de la Republika Srpska
(5 Serbes). L’Assemblée nationale de la Republika Srpska désigne
les 5 délégués de la Republika Srpska à la Chambre des peuples,
ce qui a été fait dès janvier 2011. Dans le cas de la fédération,
le processus a été retardé de façon inacceptable parce que les 10
délégués devaient être nommés par la Chambre des peuples de la fédération.
28. La Chambre des peuples de la fédération comprend 58 délégués
(17 Bosniaques, 17 Serbes, 17 Croates et 7 «autres») qui sont nommés
par les 10 assemblées cantonales. Aux termes de la Constitution de
la fédération (article 10), les assemblées cantonales auraient dû
envoyer leurs délégués à la Chambre des peuples de la fédération
au plus tard vingt jours après les élections. Ce délai constitutionnel
a été ignoré par plusieurs cantons à majorité croate
jusqu’au 30 mai 2011. La Chambre des
peuples n’a donc été inaugurée que le 4 juin 2011. Nous appelons
instamment les autorités de la Bosnie-Herzégovine à adopter dès
que possible la législation nécessaire pour empêcher à l’avenir
un tel retard, qui est contraire à la Constitution.
2.2.2. Au niveau des entités
29. En Republika Srpska, bien qu’il ait perdu 4 sièges
par rapport à 2006, le SNSD de Milorad Dodik demeure le parti le
plus important
au sein de l’Assemblée
nationale de la Republika Srpska avec 37 sièges sur 83. Grâce à
son alliance avec le Parti socialiste et le DNS, le SNSD dispose
d’une majorité confortable de 47 sièges. Dans ces conditions, la
formation du gouvernement n’a pas posé de difficultés: le gouvernement
de la Republika Srpska, qui comprend 16 ministres, a été approuvé
dès le 29 décembre 2010 et le Premier ministre, Aleksandar Dzombic,
est entré en fonction le 1er février
2011, à la suite de la décision rendue le 31 janvier par le panel
de la Cour constitutionnelle de la Republika Srpska sur l’intérêt
vital national, qui a confirmé que sa nomination n’allait pas à
l’encontre d’un intérêt vital national des Bosniaques
.
30. Dans la fédération, les choses n’ont pas été aussi simples.
La Chambre des représentants de la fédération comprend 98 sièges:
le SDP en a obtenu 28, le SDA 23 et le NSRzB 5. Les partis de la
Plate-forme contrôlent donc 56 sièges et disposent clairement de
la majorité. Le HDZ a obtenu 12 sièges et le HDZ 1990 5 sièges
. Cependant,
aux termes de la loi électorale
, le gouvernement
ne pouvait être formé avant que soit achevée la composition de la
Chambre des peuples de la fédération, c’est-à-dire avant que les
10 assemblés cantonales aient toutes envoyé leurs délégués (voir
plus haut paragraphe 28).
31. Afin de conserver un atout important en vue des négociations
sur la formation du gouvernement au niveau de l’Etat, trois cantons
à majorité croate HDZ-HDZ 1990 ont décidé de ne pas envoyer de délégués
à la Chambre des peuples de la fédération. Le 17 mars 2011, les
partis de la Plate-forme, qui disposaient d’une majorité de 33 délégués
cantonaux au sein de la Chambre des peuples, ont convoqué une session,
prêté serment et élu le président
et les vice-présidents de la fédération,
ainsi que le président et les vice-présidents de la Chambre des
peuples.
32. La Chambre des peuples a ensuite immédiatement procédé à la
nomination du gouvernement, qui a été confirmée par la Chambre des
représentants. Le gouvernement de la fédération comprend 16 ministres
avec Nermin Nikšic (SDP) au poste de Premier ministre et Jerko Ivankovic-Lijanovic
(NSRzB) et Desnica Radivojevic (SDA) aux postes de Vice-Premier
ministre. Les deux HDZ n’ont obtenu aucun poste ministériel.
33. Le 24 mars, ces deux décisions ont été annulées par la Commission
électorale centrale
et,
le 28 mars, le haut représentant Valentin Inzko a suspendu jusqu’à
nouvel ordre les décisions de la CEC. Cette suspension n’a pas encore
été levée à ce jour.
34. Le haut représentant a été vivement critiqué pour ingérence
dans le processus de formation du gouvernement de la fédération.
Cependant, une mesure d’urgence s’imposait: le 26 janvier, le haut représentant
avait dû prendre une décision sur les fonds budgétaires temporaires
requis pour la période janvier‑mars, venant à terme le 31 mars,
sans lesquels salaires, retraites et allocations n’auraient pu être versés
aux bénéficiaires par les autorités de la fédération. Le budget
pour 2011 a été adopté par le nouveau gouvernement le 26 mars.
35. Le HDZ et le HDZ 1990, soutenus par le SNSD de Dodik, considèrent
que la formation de la Chambre des peuples et la formation ultérieure
du gouvernement de la fédération sont inconstitutionnelles, illégales
et illégitimes. Les ministres HDZ du gouvernement précédent ont
refusé de libérer leurs bureaux et l’ancienne présidente HDZ de
la fédération, Borjana Kristo, après avoir retiré le recours constitutionnel
qu’elle avait déposé à la suite de l’ordre de suspension du haut
représentant, a mis son mandat à sa disposition. Comme ils se considèrent
les seuls représentants légitimes des Croates en Bosnie-Herzégovine,
le HDZ et le HDZ 1990 se sentent tous deux marginalisés et exclus.
Ils lancent aujourd’hui de vigoureux appels en faveur de la création
d’une troisième entité et ont réactivé le Conseil national croate,
un organe regroupant tous les cantons à majorité croate.
36. N’ayant obtenu que 4 sièges (sur 42) à la Chambre des représentants
de l’Etat et 17 sièges (sur 98) à la Chambre des représentants de
la fédération, les deux HDZ devraient, à notre avis, simplement
accepter les résultats des élections. Dans un Etat démocratique,
la volonté des électeurs doit être respectée. Le HDZ et le HDZ 1990
disposent tous deux d’une majorité dans plusieurs cantons et devraient
focaliser leurs efforts à ce niveau pendant les quatre prochaines
années. Compte tenu de leurs résultats électoraux, ces deux partis
ne peuvent prétendre à un droit acquis d’obtention de postes ministériels
qui leur seraient réservés, tant à l’échelon de l’Etat qu’à celui
de la fédération. Il n’y a aucun mal à être dans l’opposition pendant
quelque temps. Tous les hommes politiques en font un jour ou l’autre
l’expérience.
3. Poursuite du blocage de la
formation du gouvernement au niveau de l’Etat
37. Le Conseil des ministres de Bosnie-Herzégovine comprend
neuf ministres et un président. La Constitution de Bosnie-Herzégovine
prévoit que le nombre de ministres provenant du territoire de la
fédération ne peut dépasser les deux tiers et que le président peut
nommer des vice-ministres qui ne doivent pas appartenir au même
peuple constituant que leur ministre. En tout, 19 postes doivent
donc être partagés. Il existe un accord implicite, non écrit, prévoyant
la rotation du poste de président entre les peuples constituants. Le
Président actuel, Nikola Spiric, est un Serbe; le Président précédent,
Adnan Tersic, était un Bosniaque; le président à nommer pour le
mandat 2010-2014 devrait donc être un Croate.
38. La présidence transmet à la Chambre des représentants, au
plus tard quinze jours après sa session inaugurale, une proposition
de nomination au poste de président du Conseil des ministres. Si
la Chambre des représentants confirme cette nomination, le président
nomme les ministres et les vice-ministres, qui doivent à leur tour
être confirmés dans leurs fonctions par la Chambre des représentants.
Si le candidat proposé par la présidence n’est pas approuvé par
la Chambre des représentants, la présidence dispose de huit jours
pour proposer une nouvelle nomination.
39. Etant donné ses résultats électoraux, le SDP prétendait initialement
obtenir le poste de président du Conseil des ministres, de préférence
au profit du président du SDP
.
Les deux partis HDZ et les partis serbes se sont vigoureusement
opposés à cette éventualité en invoquant la règle informelle de
rotation mentionnée plus haut. Etant les deux partis croates les
plus importants, les deux HDZ considèrent que le poste leur revient de
droit. Ils affirment en outre avoir droit à deux postes ministériels.
40. Le SDP, en tant que parti pluriethnique, a alors proposé de
nommer un professeur croate non partisan de Mostar, M. Slavo Kukic.
Le HDZ a proposé la candidature de Borjana Kristo, ancienne présidente
de la fédération, et le NSRzB, un autre des partis de la Plate-forme,
celle de Mladen Ivankoviv-Lijanovic. Le 14 juin 2011, la présidence
a examiné ces candidatures et décidé de soumettre la nomination
de Slavo Kukic à la Chambre des représentants pour confirmation.
Cependant, le 29 juin, la candidature de M. Kukic, bien qu’ayant recueilli
une majorité de 22 voix, n’a pas été approuvée parce que la majorité
en question ne comprenait pas un tiers de voix favorables de la
Republika Srpska. Aux termes de la Constitution de Bosnie-Herzégovine,
au deuxième tour, les voix des 14 délégués de la Republika Srpska
ne devaient pas inclure deux tiers ou plus de voix opposées à la
nomination. Le 14 juillet, la nomination de M. Kukic a donc finalement
été rejetée car plus des deux tiers des délégués de la Republika
Srpska ont voté contre.
41. En vertu de la loi sur le Conseil des ministres, la présidence
disposait de huit jours pour soumettre une nouvelle proposition
de nomination à la Chambre des représentants. Elle ne l’a pas fait
et a envoyé à la place une lettre aux principaux partis politiques
leur demandant de désigner un candidat susceptible d’obtenir le soutien
d’au moins 22 délégués de la Chambre des représentants, ce qui n’a
toujours pas eu lieu.
42. Les dirigeants des six principaux partis (SDP, SDA, HDZ, HDZ
1990, SNSD et SDS) se sont réunis plusieurs fois depuis mais aucun
accord n’est en vue: la Republika Srpska revendique quatre ministères,
dont le ministère des Affaires étrangères
, les deux HDZ
insistent pour obtenir la présidence et deux ministères, le SDP
veut toujours obtenir au moins le ministère des Affaires étrangères.
La répartition des postes de vice-ministres est également source
de conflits: les partis de la Plate-forme ont accepté à un certain
moment de confier des postes au HDZ, y compris la présidence, mais
en exigeant qu’au moins un poste de vice-ministre leur revienne.
Cette proposition a été rejetée. Le SDA a proposé de prendre en
compte non seulement les 19 postes du Conseil des ministres mais,
globalement, 63 à 70 postes dans toutes les institutions de l’Etat
et de les répartir sur la base des taux d’appartenance ethnique
résultant du recensement de 1991. Cette proposition a également
été rejetée parce que le HDZ revendiquait une égalité complète,
c’est-à-dire un tiers de tous les postes. Afin de faire montre d’une
certaine flexibilité, la Republika Srpska a admis à un certain moment
la possibilité que l’un des ministres désigné sur le territoire
de la Republika Srpska soit un Bosniaque ou un Croate
. Il serait trop long
de présenter en détail ici les différentes propositions qui ont
été mises en avant. Nous pensons que ce type de marchandage politique
doit cesser et nous appelons tous les acteurs politiques à se ressaisir
et à parvenir enfin à un accord sur la nomination d’un gouvernement
professionnel et compétent, indépendamment de l’appartenance ethnique
des personnes qui le composent. Malheureusement, cela semble n’être
aujourd’hui qu’un souhait.
4. Conséquences de l’absence de
gouvernement au niveau de l’Etat
43. Pendant notre visite, nous avons entendu dire à plusieurs
reprises que la situation concernant la formation du gouvernement
n’était pas pire qu’en Belgique, un Etat membre de l’Union européenne.
Mais la Belgique n’est pas la Bosnie‑Herzégovine et un accord sur
la formation du gouvernement a finalement été signé à Bruxelles
le 1er décembre. La classe politique
de la Bosnie-Herzégovine devrait comprendre que le marchandage constant
autour de chaque poste et les querelles ethniques quasi incessantes
ne sont guère de nature à favoriser la poursuite de l’intégration
au sein de l’Europe.
44. Nous ne pouvons accepter non plus l’idée selon laquelle la
Bosnie-Herzégovine serait un Etat spécial, soumis à une camisole
institutionnelle qui lui a été imposée à Dayton par des pays étrangers
au terme d’un conflit long et sanglant, et méritant par conséquent
un traitement spécial. A notre avis, les contraintes du cadre issu
de Dayton ont été considérablement aggravées par les hommes politiques
locaux depuis la guerre, par exemple en abusant de la double majorité
qualifiée ou du «vote par entité». Cette majorité est requise pour tous
les aspects de la procédure parlementaire: la définition de l’ordre
du jour, l’approbation des rapports annuels, le dépôt des motions
et certaines nominations comme celle du président du Conseil des
ministres. Aucun effort n’a été fait non plus pour essayer de limiter
la possibilité d’invoquer un intérêt vital national à certaines
questions particulières touchant effectivement à un intérêt national
essentiel des trois principaux groupes ethniques. Les institutions
communes au niveau de l’Etat sont constamment contestées et critiquées, ou
systématiquement affaiblies, en particulier par la Republika Srpska.
En tant qu’Etat, la Bosnie‑Herzégovine fonctionne avec un budget
d’environ 500 millions d’euros
par
an seulement et 22 000 employés.
45. On rapporte que le Président par intérim, M. Nikola Spiric,
aurait déclaré ne pas comprendre l’agitation fébrile de la communauté
internationale au sujet de la formation du gouvernement. A son avis,
le Conseil des ministres ne constitue pas de toute façon un gouvernement
véritable, la nomination des ministres s’effectue sur la base de
considérations politiques et les décisions sont prises ailleurs.
Il n’existe, par exemple, aucune garantie qu’un projet de loi adopté
par le Conseil des ministres sera aussi approuvé par les deux chambres
du parlement.
46. Nous sommes prêts à admettre que, comme le dit M. Spiric,
le Conseil des ministres n’est pas un véritable gouvernement au
sens que l’on donne habituellement à ce terme et nous en approuverions
le renforcement, comme le recommandait la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) dès 2005.
Dans le contexte institutionnel actuel, cependant, l’absence d’un gouvernement
en état de fonctionner se fait déjà sentir: le 14 juillet 2011,
le parlement a rejeté la proposition de budget de la présidence
pour 2011, de nouveau au moyen du «vote par entité». La Republika
Srpska souhaite une réduction du budget de l’Etat et, par conséquent, ses
délégués ont voté contre. L’Etat fonctionne depuis janvier 2011
sur la base de fonds temporaires qui lui permettent uniquement de
payer les salaires de ses employés et d’assurer le service de la
dette publique. Le conseil fiscal n’a toujours pas établi la balance fiscale
globale, ni défini les politiques d’imposition pour la période 2011-2013.
En l’absence de ce cadre fiscal global, le Fonds monétaire international
(FMI) ne pourra débourser la deuxième tranche de l’accord de confirmation
de 1,2 milliard d’euros et l’Union européenne son aide macrofinancière,
qui tourne autour de 100 millions d’euros. En septembre, la Bosnie-Herzégovine
avait déjà failli perdre 96 millions d’euros des fonds déjà alloués
pour 2011 de l’Instrument d’aide de préadhésion (IPA), car la Republika
Srpska s’était soudainement opposée à ce que 8 millions d’euros
soient affectés au renforcement ou à la création de certaines institutions
au niveau de l’Etat comme un registre national des sociétés
.
47. Du fait du blocage de la situation politique, l’investissement
direct étranger a atteint seulement 65 millions de marks convertibles
(KM)
(environ 32,5 millions d’euros) au premier
semestre 2011, soit une baisse de près de 20 % par rapport au premier
semestre 2010. Le taux de chômage se situe toujours à un niveau
incroyablement élevé: 43 % de la force de travail. Le 16 mai 2011,
Moody’s a abaissé la perspective de crédit du pays de «stable» à
«négative». Cela devrait entraîner une diminution de la note de
crédit de la Bosnie-Herzégovine, qui est actuellement de B2.
48. Depuis plus d’un an maintenant, les performances gouvernementales
et parlementaires, aussi bien au niveau de l’Etat qu’à celui des
entités, sont maigres: le parlement qui fonctionne le mieux, l’Assemblée nationale
de la Republika Srpska, n’a adopté que 36 textes de loi sur les
68 prévus. Au niveau de l’Etat, l’Assemblée parlementaire a adopté
seulement 10 textes de loi amendant la législation existante. Cela
est dû au fait que le Conseil des ministres provisoire, bien qu’il
se soit réuni régulièrement, n’a pas soumis de projets de loi à
la procédure parlementaire.
49. Aucun progrès n’a été réalisé non plus en ce qui concerne
les priorités du partenariat européen comme l’adoption d’une loi
sur l’aide de l’Etat, d’une loi de recensement et des amendements
à la Constitution et à la loi électorale qui sont nécessaires pour
mettre la législation en conformité avec l’arrêt rendu dans l’affaire Sejdić et Finci. L’accord de stabilisation
et d’association, bien qu’ayant été ratifié par les 27 Etats membres
de l’Union européenne, n’a pas été effectivement introduit par le
Conseil européen parce que la Bosnie‑Herzégovine aurait été immédiatement
suspendue pour violation de cet accord, notamment sur les trois
points mentionnés plus haut.
50. La plupart des partenaires internationaux de la Bosnie-Herzégovine
perdent patience, et ce d’autant plus que la situation actuelle
semble sans issue: soit l’une des factions en présence cède et réalise
que le maximalisme et l’obstructionnisme permanent risquent d’entraîner
sa marginalisation complète à l’avenir, soit l’ensemble des factions
parviennent à un compromis dans lequel chacune d’elle accepte de
céder quelque chose. Il convient de noter à cet égard que la tenue
d’élections anticipées n’est pas possible dans le cadre constitutionnel
et légal actuel.
5. Mise en œuvre de l’arrêt rendu
dans l’affaire Sejdić et Finci
51. Inutile de le dire, le blocage politique actuel a
aussi eu un impact sur la réforme constitutionnelle. La Commission
mixte provisoire des deux chambres du parlement a finalement été
créée début octobre 2011, après un an pendant lequel aucun travail
de réforme n’a été réalisé depuis les élections. Elle s’est vu imposer des
délais excessivement brefs: le 30 novembre pour les amendements
constitutionnels et le 31 décembre pour les amendements à la loi
électorale. La commission s’est réunie dix fois, notamment pour
auditionner des représentants de la société civile et des minorités,
mais, le 1er décembre, il a été officiellement
annoncé qu’aucun consensus n’avait pu être obtenu sur les amendements
constitutionnels.
52. Il semble que la raison pour laquelle aucun consensus n’a
pu être atteint est que les avis sur la portée et le contenu des
amendements divergent largement et ne sont pas conciliables. La
Republika Srpska n’est prête à accepter que des amendements a minima et uniquement ceux qui
sont nécessaires pour respecter l’arrêt. En ce qui concerne l’élection
à la présidence, la Republika Srpska souhaite conserver le système d’élection
directe du membre serbe, alors que les partis croates sont favorables
à l’élection indirecte par le parlement des membres croate et bosniaque
pour être sûrs que leur candidat soit élu. S’ils ne peuvent obtenir satisfaction
sur ce point, les partis croates appellent à la création d’une troisième
entité afin que les Croates puissent disposer en propre d’une circonscription
électorale. Aucun accord n’a été trouvé sur les moyens de garantir
le droit des «autres» à se présenter à la présidence. Toutefois,
il semble qu’un consensus se soit dégagé au sujet de la Chambre
des peuples, auquel il convient d’ajouter un certain nombre d’«autres».
La manière dont cela fonctionnerait en pratique n’est pas claire
mais les constitutions des entités envisagent une solution similaire.
53. Nous avons parfaitement conscience du fait que, dans un climat
politique aussi tendu et marqué par une absence de confiance manifeste
ainsi que par des appels fréquents à la sécession d’une partie du
pays, il est pour le moins difficile aux hommes politiques, même
animés des meilleures intentions, d’assurer le respect des obligations
internationales essentielles du pays. Néanmoins, les options sont
limitées: ou bien la Bosnie-Herzégovine se met en conformité avec
l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, ou bien elle
devra en définitive quitter le Conseil de l’Europe. Le respect de
la Convention européenne des droits de l’homme est la condition
première d’appartenance au Conseil de l’Europe et il est impensable
que les prochaines élections, prévues en 2014, se déroulent une
nouvelle fois sous le régime discriminatoire existant.
54. M. Thorbjørn Jagland, Secrétaire Général du Conseil de l’Europe,
a récemment déclaré ce qui suit: «Dayton constitue pour certains
un mécanisme délicat de partage du pouvoir qui est le garant de
la paix en Bosnie-Herzégovine. Ils affirment que ce fédéralisme
consociatif est un dispositif soigneusement équilibré qui supporterait
mal le bricolage. Que prévoit la “paix de Dayton” ? Elle prévoit
un accommodement entre les différents groupes ethniques, afin d’éviter
qu’un groupe ou “peuple constituant” ne parvienne à dominer les institutions
de l’Etat. Elle prévoit aussi un accommodement entre les entités,
afin d’éviter qu’une entité ne domine les institutions ou les politiques
au niveau étatique. Ces garanties sont entièrement compatibles avec les
exigences de l’arrêt
Sejdić et Finci.
Cet arrêt instaure un précédent pour la mise en œuvre du Protocole no 12
et de l’interdiction générale de la discrimination; il est l’aboutissement
des efforts de deux messieurs persistants et pourrait bien aussi
sauver la démocratie pour les Bosniaques, les Serbes et les Croates
en Bosnie-Herzégovine. Pourquoi? Parce qu’il exige de la Constitution
qu’elle reconnaisse le primat du citoyen individuel en tant que
détenteur de droits et source du pouvoir souverain “du peuple”.
Cela ne nie, n’annule ou ne diminue aucunement l’importance de la
communauté ethnique à laquelle se trouve appartenir ce citoyen. Toutefois,
cela signifie que l’existence des communautés ethniques, y compris
celles qui jouent un rôle “constituant”, ne saurait limiter la participation
des non membres, ni limiter le droit d’un individu qui en est membre
à avoir plusieurs identités. La mise en œuvre de cet arrêt est pour
la Bosnie-Herzégovine une invitation à devenir un pays qui serait
plus que la simple somme de ses parties.»
55. Tout comme M. Jagland, nous pensons que la mise en œuvre de
l’arrêt Sejdić et Finci n’est
que le premier pas sur la voie d’un Etat véritablement européen
valorisant à la fois le citoyen individuel et les particularités
des communautés ethniques.
56. Pour notre part, nous voyons mal pourquoi la nomination d’un
président unique pour l’ensemble du pays devrait être considérée
comme inacceptable par les trois principaux groupes ethniques, alors
que certains proposent déjà d’ajouter un quatrième membre à la présidence
afin de supprimer la discrimination à l’égard des «autres». Une
présidence tripartite, avec en outre une rotation tous les huit
mois, n’existe dans aucun autre Etat membre de l’Union européenne.
Ce système nuit à la réputation du pays et l’empêche de jouer un
rôle dans les forums internationaux: la Bosnie-Herzégovine est le
seul pays de la région (avec la Serbie) à ne pas reconnaître le
Kosovo
. La Bosnie-Herzégovine,
en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations
Unies, devra s’abstenir ou voter contre la demande de l’Autorité
palestinienne de devenir membre à part entière des Nations Unies
à cause d’une absence de consensus entre les trois membres de la présidence.
57. Nous pensons que la Constitution de Dayton devra en définitive
être entièrement réécrite. Rétrospectivement, il apparaît qu’annexer
une Constitution à un traité de paix était probablement une erreur. Le
fait est que l’on a bien abusé de la «camisole» de Dayton pendant
les seize dernières années, à un point tel que l’obstruction et
l’immobilisme sont devenus la norme plutôt que l’exception. La Republika
Srpska avec ses appels répétés à la séparation ou à la sécession
pacifique doit être mise au pied du mur. Les constitutions des deux
entités devront aussi être révisées (la Constitution de la Republika
Srpska prévoit toujours la peine capitale, par exemple, et la Constitution
de la fédération mentionne toujours l’institution du médiateur de
l’entité alors qu’elle n’existe plus).
6. Conclusions
58. Nous insistons sur le fait que la crise actuelle
risque d’avoir des conséquences graves non seulement pour la Bosnie-Herzégovine
en tant que telle mais aussi au regard de sa participation aux organisations internationales.
Rappelons que 2012 marquera le dixième anniversaire de l’adhésion
de la Bosnie-Herzégovine au Conseil de l’Europe.
59. Le 24 avril 2002, l’adhésion de la Bosnie-Herzégovine au Conseil
de l’Europe a fait naître chez les citoyens de Bosnie-Herzégovine
de nombreux espoirs d’une vie plus sûre, fondée sur la démocratie,
les droits de l’homme et la primauté du droit, et elle s’est s’accompagnée
de la promesse d’une poursuite de l’intégration européenne et euro‑atlantique.
Nous sommes au regret de déclarer que, en tant qu’Etat membre du
Conseil de l’Europe, malgré certains progrès, la Bosnie-Herzégovine
n’a pas répondu aux attentes de l’Organisation et n’a pas suffisamment
mis à profit son adhésion pour apprendre de l’expérience et des
meilleures pratiques des autres Etats membres. Du fait de la poursuite
des désaccords sur la répartition des postes entre les différents
groupes ethniques, y compris au sein des organisations internationales,
la présidence doit encore nommer ou désigner des candidats à certains
postes essentiels du Conseil de l’Europe, notamment à la Commission
de Venise, au Comité européen pour la prévention de la torture et
des peines ou traitements inhumains et dégradants (CPT), à la Commission
européenne contre la racisme et l’intolérance (ECRI), et aux instances
de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales,
etc. La juge siégeant à la Cour européenne au nom de la Bosnie-Herzégovine
(une Serbe) a aussi démissionné récemment, bien avant la fin de
son mandat (mai 2013). La délégation de Bosnie-Herzégovine à l’Assemblée,
enfin nommée – au moins en partie – à temps pour la session de juin
2011 de l’Assemblée, n’a toujours pas élu son président.
60. Nous appelons par conséquent la présidence de la Bosnie-Herzégovine
à prendre enfin les mesures nécessaires en vue des nominations au
sein des organes du Conseil de l’Europe. Nous formulons d’autres recommandations
à l’intention des autorités de la Bosnie-Herzégovine dans le projet
de résolution joint.