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Rapport | Doc. 12819 | 09 janvier 2012

Le transfert forcé de population: une violation des droits de l'homme

Commission des questions juridiques et des droits de l'homme

Rapporteur : M. Egidijus VAREIKIS, Lituanie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 11982, Renvoi 3604 du 2 octobre 2009. 2012 - Première partie de session

Résumé

Les transferts forcés de population constituent un phénomène complexe, dont les principes et la pratique ont été très largement absents du débat sur les droits de l'homme. Ils ont lieu dans diverses circonstances, dont l’éventail s’étend des situations de guerre et d’après-guerre jusqu’aux conflits internes, et surviennent même en temps de paix. Ils peuvent prendre la forme de déplacements ou de réinstallation de personnes, à l’intérieur ou au-delà des frontières d’un Etat. Les transferts forcés de population étaient autrefois admis comme moyen de règlement des conflits politiques, ethniques et religieux. Ils sont aujourd'hui considérés à juste titre comme de graves violations du droit international.

Tandis qu’aucun principe juridique unique n’est applicable à l’ensemble des transferts forcés de population, ceux-ci peuvent être incompatibles avec les principes du droit international public, comme le principe de l’autodétermination, avec le droit international des droits de l'homme et, en temps de guerre, avec le droit international humanitaire. De surcroît, les Etats peuvent voir leurs responsabilités engagées en cas de transferts forcés de population et être tenus au versement de réparations. Comme de tels actes sont contraires au droit international pénal, la responsabilité pénale de leurs auteurs peut également être engagée.

Le rapport condamne fermement toute forme de transfert forcé de population. En outre, les Etats membres du Conseil de l'Europe sont invités à condamner cette pratique, y compris dans leurs relations internationales avec les Etats non européens, à réexaminer correctement leur propre comportement en la matière par le passé et à promouvoir, au sein des instances internationales, l’adoption d’un instrument international juridiquement contraignant qui regroupe les normes en vigueur dans les différents instruments de droit international et définisse, en les interdisant, toutes les formes de transfert forcé de population.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 13 décembre 2011.

(open)
1. Le transfert de population est une pratique ou une politique qui a pour but ou pour effet de déplacer des personnes à l'intérieur de frontières internationales ou au-delà de ces frontières ou à l'intérieur ou à l'extérieur d'un territoire occupé, sans le libre et plein consentement de la population qui fait l'objet du transfert et de la population d'accueil quelle qu'elle soit. Il s’accompagne d’expulsions ou de déportations collectives et souvent de nettoyage ethnique.
2. Les transferts forcés de population n’ont pas seulement eu lieu au cours de l’histoire; cette pratique et ses conséquences touchent encore les conflits actuels, comme ceux qui ont déchiré l’ouest des Balkans, Chypre et la région du Caucase.
3. Le transfert forcé de population est un traumatisme pour les populations concernées, une source considérable de souffrance individuelle et un facteur d’instabilité politique.
4. L’illégalité des actes de transfert forcé de population a été soulignée à plusieurs reprises depuis la Résolution des Alliés sur les crimes de guerre de l’Allemagne, adoptée en 1942. La condamnation la plus sévère et la plus récente de cette pratique figure dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, qui qualifie clairement la déportation, le transfert forcé de population et l’installation de colons de crimes de guerre.
5. La déportation de groupes de population pour des motifs politiques et ethniques a été pratiquée au lendemain de la seconde guerre mondiale dans les anciens pays communistes et ses effets perdurent encore aujourd'hui.
6. Il n’existe à ce jour aucun principe juridique unique applicable aux transferts de population, qui prennent plusieurs formes. Les transferts forcés de population enfreignent néanmoins le droit international des droits de l'homme (notamment la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5) et ses protocoles), le droit international pénal et le droit international humanitaire, ainsi que les principes du droit international public, comme le principe de l’autodétermination.
7. L’Assemblée parlementaire:
7.1. condamne expressément toute forme de transfert forcé de population en Europe et dans le monde
7.2. invite les Etats membres du Conseil de l'Europe à condamner cette pratique, y compris dans leurs relations internationales avec les Etats non européens;
7.3. invite les Etats membres du Conseil de l'Europe à étudier correctement les transferts forcés de population survenus au cours de leur histoire et à en promouvoir la connaissance auprès de leurs populations;
7.4. invite les Etats membres du Conseil de l'Europe à promouvoir, au sein des instances internationales, l’adoption d’un instrument international juridiquement contraignant qui regroupe les normes en vigueur dans les différents instruments de droit international et définisse, en les interdisant, toutes les formes de transfert forcé de population.
8. L’Assemblée rappelle sa Résolution 1522 (2006) sur la création d’un centre européen en mémoire des victimes des déplacements forcés de population et du nettoyage ethnique.

B. Exposé des motifs, par M. Vareikis, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Le 7 juillet 2009, l’Assemblée parlementaire a décidé de saisir, pour rapport, la commission des questions juridiques et des droits de l'homme de la proposition de résolution sur «Le transfert de population: une violation des droits de l'homme» (Doc. 11982) du 30 juin 2009. Lors de sa réunion du 16 novembre 2009, la commission a désigné M. Renato Farina (Italie, PPE/DC) en qualité de rapporteur. A la suite du départ de l'Assemblée de M. Farina, la commission m’a nommé rapporteur le 25 janvier 2011.
2. Le transfert de population est un phénomène complexe, dont les principes et la pratique ont été très largement absents du débat sur les droits de l'homme.
3. Les transferts involontaires de population n’ont pas seulement eu lieu au cours de l’histoire; ils se sont également produits à l’époque contemporaine et les conséquences des transferts récents sont toujours très perceptibles dans des régions comme l’ouest des Balkans, le Caucase et Chypre.
4. Je partage la profonde inquiétude qu’inspire aux signataires de la proposition de résolution la pratique ancienne et toujours d’actualité de ces violations des droits de l'homme commises par des Etats avec lesquels les pays européens ont d’intenses relations économiques et autres, voire, ce qui est plus regrettable encore, les transferts de population effectués en Europe même. En mettant en avant un certain nombre de cas de transfert de population qui se sont produits en Europe et ailleurs dans le monde, l’Assemblée doit impérativement adopter une position claire sur cette question des droits de l'homme et condamner sans équivoque ces pratiques.
5. Jusqu’ici, l'Assemblée n’a traité qu’à de rares occasions la question du transfert de population en tant que tel, sans jamais aborder les aspects juridiques et relatifs aux droits de l'homme de cette pratique.
6. Le 5 octobre 2006, l'Assemblée a adopté la Résolution 1522 (2006) sur la création d’un centre européen en mémoire des victimes des déplacements forcés de population et de nettoyage ethnique. Elle y invite à créer un centre de commémoration des victimes de déportations, d’expulsions massives et de transferts de population sous les auspices du Conseil de l'Europe, pour sensibiliser le public et promouvoir la recherche sur les déportations massives passées, présentes et possibles à l’avenir dans les Etats membres du Conseil de l'Europe. Dans son exposé des motifs, le rapporteur, M. Mats Einarsson, a évoqué l’expulsion de plus de 16 millions d’Allemands au sortir de la seconde guerre mondiale, dont 2 millions sont morts au cours de cet exode, ainsi que les transferts forcés de Juifs, Roms, Polonais, Finlandais, Hongrois, Italiens, Slovaques, Lituaniens, Lettons, Ukrainiens, Biélorusses, Serbes, Croates et Estoniens.
7. Ce centre, que l'Assemblée appelait de ses vœux dans sa résolution, n’a jamais vu le jour, car cette idée n’a eu aucune suite.
8. Les Nations Unies ont, par le passé, abordé la question du transfert de population. L’ancienne Commission des droits de l'homme de l’époque et le Conseil économique et social (ECOSOC) ont adopté en 1998 un projet de déclaration sur le transfert de population 
			(2) 
			Cette déclaration a
été rédigée par la Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires
et de la protection des minorités de la Commission des droits de
l'homme, rebaptisée en 1999 Sous-commission de la promotion et de
la protection des droits de l'homme, jusqu’au transfert en 2006
de ses fonctions et compétences au Conseil des droits de l'homme
des Nations Unies. Elle est disponible en annexe II sur 
			(2) 
			www.unhchr.ch/Huridocda/Huridoca.nsf/TestFrame/202385a2591b32b28025665e005b4c61?Opendocument. (ci-après «déclaration sur le transfert de population»). Ce texte avait été précédé par un rapport publié en 1997 par le rapporteur spécial, M. Al‑Khasawneh, sur «Les droits de l'homme et les transferts de population» 
			(3) 
			Droits de l'homme et
transferts de population, rapport final du rapporteur spécial, M.
Al-Khasawneh, E/CN.4/Sub.2/1997/23, 27 juin 1997, 
			(3) 
			www.unhchr.ch/Huridocda/Huridoca.nsf/TestFrame/202385a2591b32b28025665e005b4c61?Opendocument.. Ce rapport, dont le cadre était étendu, portait sur le phénomène du transfert de population en général, les droits de l'homme, les droits économiques, sociaux et culturels, les modifications territoriales, les successions d’Etats et la nationalité, les impératifs militaires et les réparations, tout cela à échelle mondiale.
9. Nous nous emploierons à faire le bilan de la situation juridique actuelle des transferts de population, en apportant tout d’abord un certain nombre d’éclaircissements d’ordre terminologique, puis en soulignant plusieurs exemples de transferts de population, avant d’aborder enfin les aspects juridiques et relatifs aux droits de l'homme de cette pratique.

2. Terminologie et formes du transfert de population

10. Il n’existe aucune définition internationale juridiquement contraignante du terme «transfert de population», mais une abondante terminologie accompagne cette expression.
11. Le transfert de population suppose un déplacement de population. Tous les transferts de population présentent la caractéristique commune d’un déplacement à grande échelle de groupes de personnes. Ils entraînent le déplacement permanent d’une région à une autre d’un groupe important de personnes, qui se définissent bien souvent par leur origine ethnique ou leur religion. Il arrive que deux groupes soient transférés en même temps dans des directions opposées; on parle alors d’«échange de population». Pour bien distinguer le transfert de population des autres processus migratoires, et aux fins de l’intitulé du présent rapport, il convient d’intégrer dans le terme employé le caractère involontaire ou forcé du transfert de population. Cette distinction ne peut être faite de manière parfaitement claire, car les processus migratoires «volontaires» sont parfois déclenchés par l’action ou l’inaction des Etats, qui rendent les conditions de vie de certains groupes de population si difficiles que ceux-ci préfèrent migrer «volontairement».
12. Le plus souvent, les transferts de population sont initiés par une politique gouvernementale. En règle générale, cette pratique repose sur des motifs de composition ethnique de la population déplacée ou de la population sur le territoire de laquelle sont réinstallées les personnes déplacées. Les transferts forcés de population, qu’ils prennent la forme d’une réinstallation ou d’un déplacement, s’inscrivent bien souvent dans le cadre d’une politique plus vaste appliquée à un groupe racial, ethnique ou religieux précis. Ils sont d’ordinaire motivés par des considérations d’ordre politique et trouvent leur origine dans le racisme. Il existe deux grandes catégories de personnes touchées par les transferts forcés de population: les personnes transférées (les personnes réinstallées ou déplacées) et les habitants de la région dans laquelle est déplacée la première catégorie (les habitants présents à l’origine; il arrive qu’ils soient eux aussi, en tout ou partie, déplacés contre leur volonté).
13. Le transfert de population au sens du présent rapport implique par conséquent une décision politique délibérée, d’ordre militaro-stratégique ou politique. En d’autres termes, il existe toujours une «raison» sous‑jacente aux transferts de population décidés par les gouvernements. Cela signifie que tous les déplacements de population à grande échelle ne constituent pas un transfert de population, qui se distingue de la situation des réfugiés, comme nous l’avons indiqué plus haut. Il arrive souvent que des justifications soient invoquées à l’appui de cette décision, comme «la sécurité nationale», «le caractère volontaire» du transfert ou son «caractère temporaire», mais il convient de les considérer avec scepticisme, car il n’est pas rare qu’elles dissimulent uniquement le souhait d’un gouvernement de procéder à des changements démographiques en vue de consolider, maîtriser, voire dans certains cas détruire, en tout ou partie une communauté particulière.
14. Nous utiliserons, aux fins du présent rapport, l’article 3 de la Déclaration des Nations Unies (non contraignante) sur le transfert de population, qui définit le transfert illicite de population comme suit:
«Les transferts de population illicites reposent sur une pratique ou une politique qui a pour but ou pour effet de déplacer des personnes à l'intérieur de frontières internationales ou au-delà de ces frontières ou à l'intérieur ou à l'extérieur d'un territoire occupé, sans le libre et plein consentement de la population qui fait l'objet du transfert et de la population d'accueil quelle qu'elle soit.»
15. On peut déduire de cette définition que les transferts de population librement consentis peuvent être licites 
			(4) 
			Pour une analyse détaillée
de la question, voir Haslam E., «Population, Expulsion and Transfer», Max Planck Encyclopedia of Public International
Law, paragraphe 14, <a href='http://www.mpepil.com/ViewPdf/epil/entries/law-9780199231690-e861.pdf?stylesheet=EPIL-display-full.xsl'>www.mpepil.com/ViewPdf/epil/entries/law-9780199231690-e861.pdf?stylesheet=EPIL-display-full.xsl</a>.. Je traiterai, dans le présent rapport, de ce que l’on qualifie habituellement de transfert de population obligatoire ou involontaire.
16. Le transfert de population peut prendre plusieurs formes, comme le soulignait également notre ancien collègue Mats Einarsson dans son exposé des motifs sur la création d’un centre européen en mémoire des victimes des déplacements forcés de population et du nettoyage ethnique 
			(5) 
			Voir Doc. 10925, paragraphe 13.. Il peut ainsi prendre l’aspect d’une déportation massive, d’une expulsion massive ou d’autres types de nettoyage ethnique. Ces diverses formes de transfert de population ont toutes un point en commun: rendre un ou plusieurs Etats plus homogènes d’un point de vue ethnique, religieux ou linguistique.
17. Historiquement, les transferts forcés de population poursuivaient deux buts: l’acquisition de territoires sans leur population indigène et la déportation à des fins d’esclavage 
			(6) 
			Voir de Zayas A., «Forced
Population Transfer», Max Planck Encyclopedia
of Public International Law, paragraphe 8, <a href='http://www.mpepil.com/ViewPdf/epil/entries/law-9780199231690-e802.pdf?stylesheet=EPIL-display-full.xsl'>www.mpepil.com/ViewPdf/epil/entries/law-9780199231690-e802.pdf?stylesheet=EPIL-display-full.xsl</a>..
18. Comme nous le verrons plus loin, deux formes de transfert de population ont pu être observées au XXe siècle: le transfert de population classique et le transfert de population non conventionnel.

3. Exemples de transfert de population

19. L’histoire fourmille d’exemples de transfert de population 
			(7) 
			Voir, pour une vue
d’ensemble: Haslam E., «Population, Expulsion and Transfer», op. cit., paragraphes 3-11.. L’exposé des motifs de notre ancien collègue Mats Einarsson donne un solide aperçu d’un certain nombre de transferts de population qui ont eu lieu au XXe siècle et depuis 
			(8) 
			Il a mis en avant plusieurs
exemples survenus après la dissolution de l’Empire ottoman, le cas
de l’Union soviétique et des Républiques baltes, celui de l’Allemagne
nazie et d’autres transferts de population qui se sont produits
au cours de la seconde guerre mondiale, au sortir de la seconde
guerre mondiale et à des époques récentes, notamment lors des conflits
qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie et le Caucase du Sud. Voir les
paragraphes 27 à 54 du rapport. .
20. D’importants transferts de population ont eu lieu dès l’époque biblique, par exemple entre le IXe et le VIIe siècle av. J.-C., lorsque l’Empire néo-assyrien a réinstallé de force quelque 4,5 millions de personnes, dont 10 des 12 tribus d’Israël. Au VIe avant J.-C., Nabuchodonosor a déporté les dernières tribus de Juda à Babylone, où elles sont restées en captivité pendant soixante-dix. Plusieurs transferts ont été effectués à l’époque romaine et ont également fait suite aux invasions d’Attila et de Gengis Khan. Aux Amériques, les populations indigènes ont été déplacées et confinées dans des réserves, tandis que les Acadiens français ont été déracinés par le Gouvernement britannique de Nouvelle-Ecosse et dispersés dans les autres colonies britanniques. Les Africains ont été transférés en Amérique pour y travailler comme esclaves.
21. Au cours du XXe siècle, les Arméniens, les Assyriens et les Grecs ont été déplacés et massacrés au sein de l’Empire ottoman; des échanges forcés de populations ont eu lieu en application du Traité de paix de Lausanne, signé avec la Turquie 
			(9) 
			Ce traité prévoyait
le transfert obligatoire d’1,5 million de membres de l’ethnie grecque
de nationalité turque et 400 000 membres de l’ethnie turque de nationalité
grecque. Pour les minorités exemptées de l’application de ce traité, voir
la Résolution 1704 (2010) de l'Assemblée sur la liberté de religion et autres
droits de l'homme des minorités non musulmanes en Turquie et de
la minorité musulmane en Thrace (Grèce orientale) (Doc. 11860) et le rapport sur la situation des habitants de Rhodes
et de Kos de culture turque (Doc.
12526).; la population allemande de Prusse orientale, de Poméranie et de Silésie a été intégralement expulsée entre 1945 et 1948 
			(10) 
			Pour
une étude détaillée de la question, voir Kossert A., Kalte Heimat – Die Geschichte der deutschen
Vertriebenen nach 1945, Siedler Verlag, Munich, 2008..
22. En outre, le déplacement partiel de groupes ethniques susceptibles d’être source de troubles a été constamment pratiqué par Joseph Staline: ce fut le cas à l’égard des Polonais (1939-1941 et 1944-1945), des Roumains (1941 et 1944-1953), des Lituaniens, des Lettons, des Estoniens (1941 et 1945-1949), des Allemands de la Volga (1941-1945), des Finlandais ingriens (1929-1931 et 1935-1939), des populations finlandaises de Carélie (1940-1941, 1944), des Tatars de Crimée, des Grecs de Crimée, des Kalmouks, des Balkars, des Karatchaïs, des Turcs meskhètes, des Turcs karapapaks/terekeme, des Coréens d’Extrême-Orient (1937), ainsi que des Tchéchènes et Ingouches (1944). Peu de temps avant, pendant et immédiatement après la seconde guerre mondiale, Staline a fait procéder à une série de déportations à grande échelle qui ont profondément modifié la carte ethnique de l’Union soviétique. On estime qu’entre 1941 et 1949, près de 3,3 millions de personnes ont été déportées vers les républiques de Sibérie et d’Asie centrale.
23. Plus récemment, au cours des années 1990, la politique de nettoyage ethnique appliquée en ex-Yougoslavie a entraîné d’importants déplacements de population, tandis qu’au XXIe siècle le conflit tribal et religieux du Soudan a occasionné un exode et un déplacement massifs de population, notamment dans la région du Darfour.
24. Enfin, les conflits récents ou actuels de la région du Caucase 
			(11) 
			Comme la guerre qui
a récemment opposé la Russie et la Géorgie (voir la Résolution 1648 (2009) de l’Assemblée sur les conséquences humanitaires de
la guerre entre la Géorgie et la Russie) ou le conflit entre l’Arménie
et l’Azerbaïdjan (voir la Résolution
1553 (2007) sur les personnes disparues en Arménie, en Azerbaïdjan
et en Géorgie dans les conflits touchant les régions du Haut-Karabakh,
d’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud). ont eux aussi entraîné des déplacements de populations.

4. Aspects juridiques et relatifs aux droits de l’homme

25. Il n’existe à l’heure actuelle aucun code unique qui interdise expressément et clairement le transfert forcé de population ou qui règle ses répercussions; il reste encore à reconnaître l’existence d’un droit distinct accordé aux personnes et aux groupes de ne pas faire l’objet d’un transfert forcé de population. Il n’existe pas davantage de principe juridique unique applicable à toutes les formes de transfert forcé de population, compte tenu de la diversité de ce phénomène.
26. Plusieurs cas de transferts forcés de population enfreignent néanmoins le droit international des droits de l’homme, le droit international humanitaire et le droit international pénal.
27. Nous examinerons, dans les paragraphes suivants, le transfert obligatoire de population. Compte tenu de leurs conséquences pour chaque intéressé, il convient de ne faire aucune différence du point de vue juridique entre le transfert de population (à sens unique) et l’échange de population (à double sens).

4.1. Droit international des droits de l’homme

4.1.1. La Convention européenne des droits de l’homme et ses protocoles

28. La Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention») et ses protocoles comportent un certain nombre de droits qui peuvent être invoqués en cas de transfert de population. L’article 2 garantit le droit à la vie, l’article 3 interdit les traitements inhumains et dégradants, l’article 5 consacre le droit à la liberté et à la sûreté, et l’article 8 garantit le respect de la vie privée et familiale et du domicile. L’article 1er du Protocole no 1 à la Convention garantit la protection de la propriété. L’article 1er du Protocole no 7 à la Convention énonce les garanties procédurales applicables en cas d’expulsion d’étrangers, en accordant aux étrangers en situation régulière un certain nombre de droits judiciaires. L’alinéa 2 de cet article autorise toutefois leur expulsion lorsqu’elle s’avère nécessaire dans l’intérêt de l’ordre public ou lorsqu’elle se fonde sur des motifs de sécurité nationale. Il comporte de ce fait une garantie procédurale applicable aux ressortissants étrangers menacés d’expulsion, qui est comparable à celle de l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
29. L’article 3 du Protocole no 4 à la Convention est extrêmement clair. Intitulé «Interdiction de l’expulsion des nationaux», il est libellé comme suit:
«Nul ne peut être expulsé, par voie de mesure individuelle ou collective, du territoire de l’Etat dont il est le ressortissant.
Nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’Etat dont il est le ressortissant.»
30. Cet article interdit par conséquent expressément les expulsions massives. L’article 4 du Protocole no 4 interdit quant à lui l’expulsion collective des étrangers. Ces deux articles ne comportent aucune clause restrictive.
31. L’article 2 du Protocole no 4 reconnaît que «quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence»; ce principe fait cependant l’objet de clauses générales d’exception et de restriction aux alinéas 3 et 4 selon ces dispositions, certaines formes de transfert de population pourraient apparemment se justifier pour des motifs de sécurité ou d’ordre public.
32. La Commission européenne des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme ont conclu dans plusieurs rapports et arrêts, à propos de l’expulsion de 180 000 Chypriotes grecs de la partie nord de Chypre par la Turquie au cours de l’invasion de cette partie de l’île en 1974, à la violation par la Turquie des dispositions de la Convention (droit à la vie familiale, droit à la restitution de son domicile et de ses biens, et droit à la protection de la propriété) 
			(12) 
			Voir
les affaires Chypre c. Turquie (Requête
no 6780/74), Chypre
c. Turquie (Requête no 6950/75)
et Chypre c. Turquie (Requête
no 25781/94). La Commission européenne
des droits de l'homme a notamment estimé dans ses avis «que le transfert
de Chypriotes grecs vers d'autres lieux, en particulier dans le
territoire contrôlé par l'armée turque, et le transfert des Chypriotes
grecs vers la ligne de démarcation constituaient également une ingérence
dans leur vie privée», dont le respect est garanti par l’article
8.1. Selon elle, «les transferts» et les déportations de Chypriotes
grecs étaient considérés comme des atteintes à leur droit au respect
de la vie privée..
33. La question de la réparation du préjudice subi a été soulevée dans l’affaire de référence Loizidou c. Turquie 
			(13) 
			Requête
no 15318/89., dans laquelle la Cour européenne des droits de l'homme a conclu à la violation de l’article premier du Protocole no 1 
			(14) 
			Ce n’est qu’en décembre
2003 que Titina Loizidou a reçu la somme de 1,3 million d'euros
versée par la Turquie à titre de réparation pour la perte de l’usage
de son bien immobilier situé dans la partie occupée de Chypre, au
nord de l’île. Elle n’a cependant toujours pas été autorisée à retourner
chez elle. Cette réparation sous forme d’indemnisation ordonnée par
la Cour européenne des droits de l’homme au profit de Titina Loizidou
n’a pas été exécutée pendant plus de cinq ans. Il a fallu trois
résolutions du Comité des Ministres pour convaincre la Turquie d’effectuer
les versements prévus au titre de réparation par l’arrêt de 1998..

4.1.2. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques

34. Le transfert obligatoire de population est très certainement susceptible de porter atteinte à plusieurs dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIRDCP) 
			(15) 
			http://www2.ohchr.org/french/law/ccpr.htm., notamment le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des traitements inhumains (article 7), l’interdiction du travail forcé (article 8), le droit de tout individu à la liberté et à la sécurité de sa personne (article 9), le droit à la liberté de circulation et le droit au retour dans son propre pays (article 12), le droit pour les étrangers à une procédure judiciaire et administrative individuelle en cas d’expulsion (article 13), le droit à un procès équitable (article 14), le droit au respect de la vie privée (article 17), le droit de fonder une famille (article 23), le droit de l’enfant à une protection particulière (article 24), le droit de participation à la vie politique (article 25), le droit à l’égalité devant la loi (article 26), les droits des minorités (article 27) et l’interdiction de l’incitation à la violence et à la haine raciale (article 20).

4.1.3. Les autres conventions du Conseil de l'Europe et des Nations Unies

35. Les transferts forcés de population peuvent également être contraires à d’autres conventions du Conseil de l'Europe (notamment la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales) et des Nations Unies que, faute de place, nous n’aborderons pas 
			(16) 
			Pour une analyse approfondie
de la question, voir «Réalisation des droits économiques, sociaux
et culturels – Les transferts de populations, y compris l'implantation
de colons et de colonies, considérés sous l'angle des droits de
l'homme, rapport préliminaire préparé par M. A.S. Al-Khasawneh et
M. R. Hatano, paragraphes 183-274, 
			(16) 
			www.unhchr.ch/Huridocda/Huridoca.nsf/%28Symbol%29/E.CN.4.Sub.2.1993.17*.FR?Opendocument#..

4.2. Le droit à l’autodétermination

36. Le transfert obligatoire de population peut par ailleurs porter atteinte au droit à l’autodétermination des groupes de populations concernés, consacré aux articles 1er, 55, 73 et 76 de la Charte des Nations Unies, puisque nulle personne ni communauté ne peut exercer ce droit si elle fait l’objet d’une expulsion 
			(17) 
			Il est
entendu que ce principe constitue une norme impérative de droit
international général (jus cogens) du
droit international coutumier et qu’il s’agit d’un droit constant.
Ainsi, le déplacement forcé de personnes hors de leur territoire traditionnel
ou l’installation de colons sans le consentement des premiers habitants
des territoires dans lesquels ils sont déplacés, par exemple, constitue
une atteinte évidente au droit à l’autodétermination. .

4.3. Le droit international pénal

37. La première mention explicite du transfert de population dans un document juridique international a été celle de la reconnaissance des expulsions massives, qualifiées de crimes de guerre dans la Résolution des Alliés sur les crimes de guerre de l’Allemagne, adoptée par les représentants de neuf pays occupés, en exil à Londres en 1942 
			(18) 
			Resolution
on German war crimes signed by representatives of nine occupied
countries, Londres, 12 janvier 1942, <a href='http://www.ibiblio.org/pha/policy/1942/420112a.html'>www.ibiblio.org/pha/policy/1942/420112a.html</a>..
38. L’Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des puissances européennes de l’Axe, et le Statut du Tribunal international militaire (Tribunal de Nuremberg) 
			(19) 
			www.icrc.org/dih.nsf/FULL/350?OpenDocument. qualifie la déportation, dans l’article 6, alinéa c, de ce dernier, de crime contre l’humanité.
39. Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale 
			(20) 
			<a href='http://www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf'>www.icc-cpi.int/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf</a>. qualifie la déportation ou le transfert forcé de population, c'est-à-dire le déplacement forcé des personnes concernées par l’expulsion ou les autres actes coercitifs depuis la région dans laquelle elles sont présentes en toute légalité, sans motif autorisé par le droit international, de crime contre l’humanité 
			(21) 
			Voir
les articles 7.1.b et 7.2.b. et, en se référant aux Conventions de Genève, de crime de guerre 
			(22) 
			Voir l’article 8.2.a.vii.. En outre, lorsqu’il est commis dans l’intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, le transfert forcé d’enfants est expressément qualifié de forme de génocide 
			(23) 
			Voir l’article 6.e..
40. De même, le Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) 
			(24) 
			<a href='http://www.icty.org/x/file/Legal Library/Statute/statute_sept09_fr.pdf'>Statut
du TPIY</a>. qualifie la déportation de crime contre l’humanité 
			(25) 
			Voir
l’article 5.d. et mentionne expressément le transfert forcé d’enfants dans le cadre d’un génocide 
			(26) 
			Voir
l’article 4.2.e..
41. Le crime de transfert forcé de population conçu comme une composante de la politique de nettoyage ethnique en ex-Yougoslavie dans les années 1990 a ainsi fait l’objet de plusieurs actes d’accusation du TPIY, y compris ceux de Slobodan Milošević 
			(27) 
			Le
procureur du tribunal c. Slobodan Milošević (acte d’accusation)
ICTY-02-54 [8 octobre 2001] paragraphe 35, <a href='http://www.icty.org/x/cases/slobodan_milosevic/ind/fr/mil-ii011008f.htm'>www.icty.org/x/cases/slobodan_milosevic/ind/fr/mil-ii011008f.htm</a>., Radovan Karadžić et Ratko Mladić 
			(28) 
			Le
procureur du tribunal c. Radovan Karadžić et Ratko Mladić (acte
d’accusation) ICTY– 95-5 [24 juillet1995] paragraphe 19..
42. Dans certains cas, le TPIY a conclu que certains aspects du nettoyage ethnique, comme le massacre de Srebrenica en 1995, constituait un génocide 
			(29) 
			Voir
par exemple l’arrêt rendu à l’unanimité dans l’affaire Le procureur du tribunal c. Radislav Krstić,
affaire no IT-98-33-A, <a href='http://www.icty.org/x/cases/krstic/acjug/fr/krs-aj040419f.pdf'>www.icty.org/x/cases/krstic/acjug/fr/krs-aj040419f.pdf</a>..
43. Les affaires susmentionnées illustrent le fait que les transferts forcés de population constituent non seulement des actes illicites, mais également des crimes internationaux passibles de sanctions pénales.

4.4. Le droit international humanitaire

44. Le droit international humanitaire est un ensemble de dispositions qui visent, à des fins humanitaires, à limiter les effets des conflits armés. Il protège les personnes qui ne prennent pas ou plus part aux hostilités et restreint les moyens et les méthodes de la guerre 
			(30) 
			Pour
de plus amples informations, voir la publication du CICR sur: <a href='http://www.icrc.org/eng/assets/files/other/what_is_ihl.pdf'>www.icrc.org/eng/assets/files/other/what_is_ihl.pdf</a>.. Cet ensemble législatif est particulièrement pertinent pour les transferts de population qui ont lieu au cours ou à l’occasion d’un conflit armé.

4.4.1. La Quatrième Convention de La Haye (1899, révisée en 1907)

45. La Quatrième Convention de La Haye concernant «les lois et coutumes de la guerre sur terre» 
			(31) 
			www.icrc.org/dih.nsf/full/195., adoptée en 1899 et révisée en 1907, codifie en détail la conduite à adopter en temps de guerre. Elle ne porte pas expressément sur le transfert de population, mais ses articles 42 à 56, qui traitent de l’autorité militaire sur le territoire de l’Etat ennemi, prévoient une protection implicite contre les transferts de population. Selon l’article 43, l’occupant a l’obligation de prendre toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d’assurer, autant qu’il est possible, l’ordre et la sécurité publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays. L’article 46 précise que l’honneur et les droits de la famille, la vie des individus et la propriété privée, ainsi que les convictions religieuses et l’exercice des cultes, doivent être respectés et que la propriété privée ne peut être confisquée.

4.4.2. La Quatrième Convention de Genève (1949) et ses Protocoles additionnels I et II (1977)

46. Conformément à l’article 49 de la Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (1949) 
			(32) 
			www.icrc.org/ihl.nsf/FULL/380?OpenDocument., les transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la puissance occupante ou dans celui de tout autre Etat, occupé ou non, sont interdits, quel qu’en soit le motif. Cette interdiction est pratiquement absolue, la seule exception prévue au paragraphe 2 étant que la puissance occupante peut procéder à l’évacuation totale ou partielle d’une région occupée déterminée si la sécurité de la population ou d’impérieuses raisons militaires l’exigent. En outre, l’article 49 précise que la puissance occupante ne peut procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle. Il convient de souligner, une fois encore, que l’article 49 est uniquement applicable en cas de conflit armé international.
47. S’agissant des conflits armés non internationaux, on peut considérer que l’interdiction du transfert de population peut être déduite de l’article 3 
			(33) 
			Il
est libellé comme suit: 
			(33) 
			«En cas de conflit armé ne
présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire
de l'une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au
conflit sera tenu d'appliquer au moins les dispositions suivantes: 
			(33) 
			1.
Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités,
y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes
et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure,
détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes circonstances,
traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable
basée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe,
la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue. 
			(33) 
			A
cet effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout
lieu, à l'égard des personnes mentionnées ci-dessus: 
			(33) 
			a. les atteintes portées à la vie
et à l'intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses
formes, les mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices; 
			(33) 
			b. les prises d'otages; 
			(33) 
			c. les atteintes à la dignité des
personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants; 
			(33) 
			d. les condamnations prononcées
et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par
un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires
reconnues comme indispensables par les peuples civilisés. 
			(33) 
			2.
Les blessés et les malades seront recueillis et soignés. 
			(33) 
			Un
organisme humanitaire impartial, tel que le Comité international
de la Croix-Rouge, pourra offrir ses services aux parties au conflit. 
			(33) 
			Les
parties au conflit s'efforceront, d'autre part, de mettre en vigueur
par voie d'accords spéciaux tout ou partie des autres dispositions
de la présente convention. 
			(33) 
			L'application des dispositions
qui précèdent n'aura pas d'effet sur le statut juridique des parties
au conflit.», commun à l’ensemble des Conventions de Genève, étant donné que cet article, bien qu’il ne mentionne pas expressément le transfert de population, établit une norme minimale pour le traitement des personnes protégées par les Conventions de Genève.
48. L’article 147, qui traite des infractions graves, englobe la déportation ou le transfert illégal ou la détention illégale d’une personne protégée.
49. En vertu de l’article 85, paragraphe 4, du Protocole I, le transfert volontaire par la puissance occupante d’une partie de sa population civile dans le territoire qu’elle occupe ou la déportation ou le transfert à l’intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la population de ce territoire, en violation de l’article 49 de la Quatrième Convention, constitue une infraction grave au protocole. En outre, l’article 85 précise que «sous réserve de l’application des conventions et du présent protocole, les infractions graves à ces instruments sont considérées comme des crimes de guerre».
50. L’article 17 du Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II) précise que le déplacement de la population civile ne peut être ordonné pour des raisons ayant trait au conflit, sauf dans les cas où la sécurité des personnes civiles ou des raisons militaires impératives l’exigent; si un tel déplacement doit être effectué, toutes les mesures possibles seront prises pour que la population civile soit accueillie dans des conditions satisfaisantes de logement, de salubrité, d’hygiène, de sécurité et d’alimentation. Les personnes civiles ne pourront pas être forcées de quitter leur propre territoire pour des raisons ayant trait au conflit.

4.4.3. La Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité

51. La Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité 
			(34) 
			<a href='http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/WarCrimes.aspx'>http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/WarCrimes.aspx</a>. étend la notion de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité définie par le Statut du Tribunal de Nuremberg. Elle consacre également le principe en vertu duquel les crimes visés par la Convention sont imprescriptibles, «quelle que soit la date à laquelle ils ont été commis». En outre, l’article 1er, alinéa b, précise que les crimes contre l’humanité peuvent être commis «en temps de guerre ou en temps de paix». L’article 2 souligne que l’inaction des autorités de l’Etat qui ne préviennent pas la commission de crimes internationaux, qu’il distingue du fait de prendre une part active à la commission de ces crimes, suffit pour que les intéressés relèvent du champ d’application de la convention.

5. Conclusion

52. Les transferts de population ont lieu dans diverses circonstances, depuis les situations de guerre et d’après-guerre jusqu’aux conflits internes, et même en temps de paix. Ils peuvent consister en un déplacement ou une installation de personnes, à l’intérieur ou au-delà des frontières d’un Etat. Les transferts de population étaient autrefois admis comme moyen de règlement des conflits politiques, ethniques et religieux. Ils sont aujourd'hui considérés à juste titre comme de graves violations du droit international.
53. Aucun principe juridique unique n’est applicable à l’ensemble des transferts de population. Selon les circonstances propres à chaque transfert et les divers groupes de population qu’il touche, des normes et des principes juridiques différents sont applicables.
54. L’absence d’instrument international unique consacré au transfert de population entraîne le chevauchement, l’inaccessibilité et la disparité du degré de protection dont disposent les victimes des différentes formes de transfert forcé de population 
			(35) 
			Voir Haslam E., «Population,
Expulsion and Transfer», op. cit.,
paragraphe 27..
55. Le transfert forcé de population n’est pas compatible avec le droit international public. Comme nous l’avons vu, il est contraire aux principes du jus cogens, et notamment au droit à l’autodétermination. En temps de paix, ces transferts portent atteinte aux droits civils, politiques, socio-économiques et culturels. En temps de guerre, ils portent également atteinte au droit international humanitaire. A cet égard, le droit international public interdit l’annexion de territoires occupés, les manipulations démographiques et le travail forcé.
56. L’Etat peut voir sa responsabilité engagée en cas de transfert forcé de population et être tenu au versement de réparations. Comme il est contraire au droit international pénal, la responsabilité pénale des auteurs de tels actes peut être engagée.
57. J’aimerais conclure sur une citation d’Alfred de Zayas, tirée de l’Encyclopédie Max Planck de droit international public, à laquelle je souscris pleinement: «Le "transfert" est un euphémisme employé pour masquer le traumatisme vécu par des personnes séparées de force de leur pays d’origine et la dislocation conséquente de leur identité et de leurs traditions, qui s’accompagnent de la destruction des liens historiques et émotionnels avec la terre natale, les paysages ancestraux, le patrimoine culturel, les lieux de culte et les cimetières. Les analystes politiques tentent parfois de camoufler les expulsions massives au nom de l’établissement d’une paix durable, qui n’a pourtant jamais été le véritable motif des transferts de population. Le seul moyen de garantir la paix consiste à respecter les droits de l'homme des populations concernées.» 
			(36) 
			Voir de Zayas A., «Forced
Population Transfer», op. cit., paragraphe
4.