Imprimer
Autres documents liés
Résolution 1786 (2011) Version finale
La réconciliation et le dialogue politique entre les pays de l’ex-Yougoslavie
1. Les conflits qui ont ravagé le
territoire de l’ex-Yougoslavie entre 1991 et 1995 ont été les plus
meurtriers qu’a connus l’Europe depuis la seconde guerre mondiale.
Ils ont donné lieu à d’abominables crimes de guerre, y compris le
génocide, la purification ethnique et le viol, utilisés comme instruments
de guerre, et environ 140 000 personnes ont perdu la vie.
2. L’Assemblée parlementaire note que les conflits ont façonné
un nouveau panorama politique et institutionnel, et qu’ils ont dessiné
une nouvelle géographie humaine avec de profondes transformations démographiques:
on compte plus de 300 000 personnes déplacées à l’intérieur de leur
propre pays et plus de 120 000 réfugiés, qui ne peuvent ou ne veulent
pas revenir sur les lieux où ils vivaient avant le déclenchement de
la guerre. L’identification des personnes disparues et la mise au
jour de charniers se poursuivent, mais près de 14 000 personnes
n’ont toujours pas été retrouvées.
3. L’Assemblée soutient les efforts des pays de l’ex-Yougoslavie
pour se réconcilier et pour reconstruire une nouvelle relation entre
eux, et se félicite de leur engagement à l’égard de la coopération
régionale, qui témoigne d’une plus forte volonté de surmonter les
séquelles du passé. Elle note avec satisfaction plusieurs exemples
positifs d’actions collectives de personnes et de dirigeants de
la région en faveur du changement:
3.1. la coopération avec le Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie (TPIY) s’est nettement améliorée au fil des ans
et la grande majorité des personnes inculpées ont déjà été remises
au TPIY; ce qu’il est convenu d’appeler le «processus Palić» a favorisé
le dialogue interétatique et la coopération judiciaire en matière
de poursuite des crimes de guerre;
3.2. les relations entre Zagreb et Belgrade se sont renforcées;
les chefs d’Etat de tous les pays de l’ex-Yougoslavie ont assisté
à une cérémonie commémorative à Srebrenica en juillet 2010 pour commémorer
le 15e anniversaire du massacre;
3.3. la mise au jour de charniers et les systèmes d’identification
par l’ADN ont permis de faire la lumière sur le sort d’un grand
nombre de personnes disparues; en novembre 2010, les Présidents
Tadićet Josipovićse sont prononcés pour l’ouverture
de toutes les archives sans exception;
3.4. la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, le Monténégro et la
Serbie se sont engagés à mettre en œuvre ce qu’il est convenu d’appeler
la «Déclaration de Sarajevo» signée en 2005, par laquelle ces pays
ont accepté de trouver une solution aux problèmes des personnes
déplacées à l’intérieur de leur propre pays et des réfugiés, avec
l’aide de la communauté internationale;
3.5. en mars 2010, plusieurs pays de l’ex-Yougoslavie ont lancé
le «processus de Brdo» et sont convenus de s’entraider et de s’investir
sans relâche pour régler les différends bilatéraux en cours dans un
esprit européen;
3.6. dans la Déclaration d’Istanbul, signée en avril 2010,
la Bosnie-Herzégovine et la Serbie se sont engagées à surmonter
leurs différences historiques et à construire un avenir commun fondé
sur la tolérance et la compréhension, et sont convenues que la politique
régionale devrait reposer sur la garantie de la sécurité et le dialogue
politique permanent;
3.7. plusieurs Etats commencent à accepter que des instances
extérieures interviennent pour arbitrer les désaccords relatifs
aux frontières, la Croatie et la Slovénie constituant un précédent
positif;
3.8. des dispositions ont été prises dans l’ensemble de la
région pour adopter des mesures contre les discriminations et des
conseils des minorités nationales ont également été créés en Bosnie-Herzégovine
et en Serbie pour représenter les droits et les intérêts des minorités.
4. L’Assemblée salue tout particulièrement l’initiative prise
récemment par une coalition d’organisations non gouvernementales
de la région de créer une commission régionale visant à établir
la vérité sur les crimes de guerre commis en ex-Yougoslavie (RECOM)
chargée de recueillir des informations sur tous les crimes perpétrés
pendant les guerres afin d’honorer et de reconnaître l’ensemble
des victimes.
5. Malgré les progrès notables réalisés ces dernières années,
l’Assemblée considère que la situation varie considérablement selon
les pays et que l’efficacité des réformes politiques reste souvent
en deçà des attentes.
6. En outre, l’Assemblée constate avec préoccupation que le discours
public sur la guerre et ses séquelles varie d’un pays à l’autre
et que cela peut être une source potentielle de haine et de conflit.
Elle considère que, de la même façon que le conflit ethnique et
la guerre civile ne sont pas naturels, mais sont des tragédies provoquées
par l’homme, leur prévention et leur règlement ne se produisent
pas automatiquement non plus. Les dirigeants doivent être compétents,
déterminés et visionnaires dans leurs engagements pour la paix.
7. L’Assemblée estime que des efforts renouvelés de la part de
tous les gouvernements de la région sont nécessaires en vue de leur
véritable réconciliation et intégration euro-atlantique. Elle invite
donc les pays de l’ex-Yougoslavie concernés:
7.1. à faire en sorte que la question des personnes disparues
reste une priorité, à ouvrir leurs archives et à fournir les fonds
nécessaires aux initiatives de la société civile qui cherchent à
établir des registres des victimes des conflits afin de surmonter
les blessures du passé;
7.2. à garantir une pleine et entière coopération avec le TPIY
pour les poursuites pour crime de guerre, à accorder la priorité
à trouver et à arrêter les fugitifs qui courent toujours, et à garantir
la protection totale des témoins;
7.3. à intensifier la coopération technique afin d’établir
des statistiques claires correspondant au retour des réfugiés et
à l’intégration locale, et à continuer d’apporter leur assistance
pour favoriser le retour et la réintégration des réfugiés dans leur
lieu d’origine ou, le cas échéant, pour l’intégration dans leur
lieu d’accueil, en coopération avec la communauté internationale,
en privilégiant la promotion de l’accès aux droits de base, notamment
le droit au logement, à l’éducation, à la santé, à l’emploi et aux services
sociaux;
7.4. à se résoudre à régler tous les différends non résolus
sur les frontières et, le cas échéant, à s’engager à faire appel
à un mécanisme d’arbitrage contraignant;
7.5. à mettre en place des mesures pour garantir une mise en
œuvre efficace des lois antidiscriminatoires et la protection des
minorités, et à mener des enquêtes approfondies et rapides sur tous
les incidents de violences, d’intimidation et de harcèlement à l’encontre
de membres de minorités qui leur sont signalés;
7.6. à soutenir les initiatives transfrontalières, populaires
et de la société civile visant à réconcilier les citoyens de différents
pays;
7.7. à soutenir la constitution d’une commission régionale
pour la vérité et la réconciliation, avec la participation de tous
les pays impliqués dans les conflits, en vue de parvenir à une compréhension mutuelle
des événements du passé et de rendre hommage à l’ensemble des victimes.
8. En ce qui concerne la situation en Bosnie-Herzégovine, l’Assemblée
regrette que, lors des élections législatives du 3 octobre 2010,
des restrictions – fondées sur l’origine ethnique et le lieu de
résidence – aux droits de suffrage actif et passif aient encore
été appliquées, et que l’impasse constitutionnelle continue de faire obstacle
à l’évolution du pays vers une démocratie à part entière qui pourrait
être responsable de ses propres affaires. Elle réitère donc ses
recommandations à la Bosnie-Herzégovine:
8.1. de prendre d’urgence des mesures pour respecter ses engagements
en tant que membre du Conseil de l’Europe et engager des réformes
d’envergure, y compris des réformes constitutionnelles, et pour
assurer une conformité totale avec la décision de décembre 2009
de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine, faisant
plein usage des recommandations de la Commission européenne pour
la démocratie par le droit (Commission de Venise);
8.2. d’œuvrer pour le renforcement du fonctionnement de ses
institutions démocratiques étatiques afin de parvenir à un état
totalement viable susceptible de gérer efficacement les défis de
l’intégration euro-atlantique et de progresser vers la fermeture
du bureau du haut représentant.
9. L’Assemblée souligne que la perspective d’une intégration
dans l’Union européenne reste une motivation importante pour le
succès du processus de réconciliation dans la région. Prenant note
du fait que les pays de l’ex-Yougoslavie sont dans des situations
différentes face à ce processus et que les progrès réalisés par
rapport à l’adhésion à l’Union européenne varient grandement, elle
estime que l’Union européenne peut donner l’impulsion politique
nécessaire et exercer son influence en faveur d’un dialogue, notamment
par le biais du Service européen pour l’action extérieure, en coopération
avec les autres acteurs pertinents présents dans la région. L’Assemblée
encourage donc l’Union européenne:
9.1. à promouvoir un processus à l’échelle régionale, dissocié
du processus d’adhésion et de préadhésion, afin d’aider les pays
dans leurs efforts pour un règlement efficace des questions en suspens
et des défis permanents qui se posent pour une normalisation totale
de la région;
9.2. à coopérer étroitement avec le Conseil de l’Europe, l’Organisation
pour la sécurité et la coopération en Europe, le Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés et le Conseil de coopération
régionale, qui disposent des instruments juridiques et de l’expertise
pour résoudre les questions en souffrance.
10. L’Assemblée est convaincue que le dialogue interparlementaire
devrait être encouragé au niveau régional et souligne l’importance
de renforcer le rôle des parlements nationaux des Etats de l’ex-Yougoslavie dans
chaque effort visant à une réconciliation complète dans la région.
Pour sa part, l’Assemblée est décidée à offrir une plate-forme pour
ce dialogue, le cas échéant en coopération avec le Parlement européen.