1. Introduction
et contexte
1. Alors que les Etats membres
du Conseil de l’Europe sont aux prises avec les crises financières, économiques
et aussi budgétaires, la problématique de la mobilisation des recettes
fiscales et de la nécessité de répartir équitablement la charge
fiscale entre toutes les couches de la société est de plus en plus
à l’ordre du jour. Pour cela, il convient non seulement de supprimer
les possibilités d’échappatoires légales et de mettre fin à certaines
niches fiscales, mais aussi de revoir certaines pratiques liées
au fonctionnement du système financier mondial qui permettent la
fraude fiscale à grande échelle et, de ce fait, une instabilité
monétaire, une concurrence déloyale et des pratiques criminelles.
Récemment, les médias se sont fait l’écho de fraudes fiscales généralisées
par des Européens (à titre individuel ou par des entreprises) grâce
aux paradis fiscaux et du rôle des centres financiers offshore dans
la survenance de la crise, ce qui a galvanisé les pouvoirs publics,
les incitant à agir pour s’attaquer plus efficacement aux pratiques
fiscales dommageables et à la fraude fiscale elle-même. Le soutien
politique de plus en plus affirmé a permis de marquer dans ce domaine
plus de progrès depuis 2008 que les avancées enregistrées sur dix
ans depuis 1996, année qui avait vu le G7 lancer le coup d’envoi
de cette coopération.
2. En 2009, l’appel du G20 à protéger les finances publiques
et à renforcer l’engagement envers les normes internationales de
transparence fiscale
a poussé le Conseil de l’Europe et
l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)
à réactualiser la Convention concernant l’assistance administrative
mutuelle en matière fiscale (STE no 127)
par un Protocole d’amendement (STCE no 208)
lancé avec succès en mai 2010
et a ainsi ouvert la convention
à l’adhésion d’Etats non membres. Cette initiative illustre bien
le regain de vigueur avec lequel les grandes économies de la planète
ont accéléré leur action contre la fraude fiscale, les juridictions
opaques et non coopératives et le secret bancaire (fiscal) abusif. Toutefois,
dans tous ces domaines, les progrès demeurent loin d’être satisfaisants.
3. Le présent rapport mettra en lumière le rôle que les paradis
fiscaux jouent dans un monde où les flux de capitaux ne connaissent
pas de frontières, ainsi que les difficultés auxquelles se heurtent
les Etats-nations qui cherchent à faire appliquer leur législation
fiscale à l’égard des paradis fiscaux. Du fait du manque inhérent
de transparence, personne ne sait vraiment combien d’argent public
est siphonné via les paradis fiscaux; selon diverses estimations,
on parlerait de billions. Ainsi, une étude de 2010 du Fonds monétaire
international (FMI) estimait que les seuls comptes des centres financiers
des petites îles enregistraient des flux financiers d’au moins 18
billions de dollars, soit environ un tiers du produit intérieur
brut (PIB) mondial cumulé. Le FMI estime aussi que jusqu’à 1,5 billion
de dollars d’argent sale sont blanchis chaque année dans le système
financier mondial par le biais des paradis fiscaux.
4. Selon les autorités américaines (Government Accountability
Office) en 2009, 83 des 100 entreprises les plus importantes avaient
des filiales dans des paradis fiscaux. De même, une recherche du
Tax Justice Network a conclu que 99 des 100 premières sociétés européennes
(essentiellement des banques) utilisaient des filiales offshore
. Les quatre plus grosses banques britanniques
(HSBC, Royal Bank of Scotland, Barclays et Lloyds) totalisent à
elles seules 1 649 filiales offshore (sur les quelque 8 000 détenues
par les 100 premières entreprises britanniques cotées en Bourse)
dans des paradis fiscaux. Pour
la France, quatre grosses banques (BNP Paribas, Crédit agricole,
Banque populaire et Société générale) comptaient au total 451 entités offshore
sur les quelque 1 500 détenues par les sociétés du CAC 40
.
Etant donné que la moitié des échanges mondiaux transite par les
paradis fiscaux, les multinationales utilisent ces derniers de manière
régulière et, de ce fait, ne paient que peu ou pas d’impôt sur bon
nombre de leurs opérations.
5. L’une des difficultés qui se posent pour évaluer la situation
au niveau mondial est qu’il n’y a pas de définition communément
acceptée de ce qu’est un paradis fiscal. Certains parlent de «juridiction
à faible niveau de taxation», ou de «juridiction du secret», d’autres
de «centre financier offshore» (CFO) – ce sont là des notions globalement
interchangeables. Pour le FMI, les CFO se spécialisent dans l’offre
de services financiers à des sociétés ou personnes physiques non
résidentes, l’offre se distinguant par plusieurs caractéristiques: niveau
faible ou nul de taxation, réglementation financière modérée ou
légère, fonds extérieurs pour l’essentiel, secret bancaire et anonymat.
Les opposants aux CFO font valoir que le fonctionnement de ces derniers
pose de graves problèmes – relevant, par exemple, le risque qu’il
fait peser sur la stabilité financière mondiale, le risque de fraude
fiscale et de blanchiment d’argent – du fait de l’absence de transparence
ou de réglementation adéquate qui accompagne une mondialisation
débridée. C’est pourquoi plusieurs instances internationales, notamment
le Conseil de stabilité financière (Financial Stability Board),
le Groupe d’action financière (GAFI) et l’OCDE ont cherché à renforcer
les politiques réglementaires dans le cadre desquelles opèrent les
CFO.
6. Pour l’OCDE, une juridiction est un paradis fiscal si elle
répond aux quatre grands critères ci-après:
- taxation très faible ou absence de taxation;
- manque de transparence et supervision financière locale
très légère;
- dispositions législatives ou administratives qui empêchent
l’échange effectif d’informations à des fins fiscales (tout en mettant
en œuvre des sauvegardes appropriées pour protéger les données personnelles)
avec les pouvoirs publics d’autres Etats;
- pas d’obligation qu’une activité économique enregistrée
sur le territoire en question soit substantielle.
7. Le Service américain pour la responsabilité des pouvoirs publics
(Government Accountability Office) utilise un ensemble de critères
similaire, ajoutant un critère de plus – lorsqu’une juridiction
se présente elle-même comme un centre financier offshore. D’autres
auteurs suggèrent qu’un paradis fiscal est une structure fiscale
complexe établie délibérément pour mettre à profit, et exploiter,
une demande mondiale d’occasions de se soustraire à l’impôt
. Une distinction s’impose
entre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal: alors que, dans le premier
cas, les moyens retenus pour se soustraire à l’impôt sont illégaux,
dans le second, on utilise légalement le régime fiscal à son avantage
pour réduire l’impôt à payer dans le pays de résidence. Cependant, entre
ces deux notions, une zone grise existe. Comme l’ancien chancelier
britannique Denis Healey l’a expliqué une fois: «Entre l’évitement
fiscal et l’évasion fiscale, il y a l’épaisseur du mur d’une prison.»
8. Le Réseau pour la justice fiscale (Tax Justice Network) a
tendance à ne pas parler de paradis fiscaux ou de CFO, mais plutôt
de «juridictions du secret», qu’il définit comme étant un territoire
qui crée intentionnellement, à l’usage et dans l’intérêt primordiaux
de ceux qui ne résident pas sur son territoire géographique, une
réglementation conçue pour saper la législation ou la réglementation
d’une autre juridiction et qui, en outre, crée un voile de secret
délibéré, s’appuyant sur des textes légaux et garantissant que les utilisateurs
hors de sa juridiction qui mettent à profit sa réglementation ne
peuvent être identifiés lorsqu’ils agissent de la sorte.
9. Dans ce contexte, rappelons que ce même réseau déclare que
«l’impôt est le fondement d’un bon gouvernement et la clé de la
richesse ou de la pauvreté des nations» et signale que les pays
en développement sont les grands perdants du fait de la perte de
recettes fiscales (quelque 160 milliards de dollars par an, selon l’estimation
de Christian Aid
,
et de 641 milliards à 979 milliards de dollars selon une commission
du Gouvernement norvégien
), qui dépasse largement l’aide publique
au développement. Pour les pays développés, le respect de la fiscalité
est également essentiel pour garantir les recettes nécessaires au
maintien de leurs systèmes de gouvernance et de protection sociale.
Comme le rappelle M. Viktor Pleskachevskiy dans son rapport intitulé
«L’économie souterraine: une menace pour la démocratie, le développement
et l’Etat de droit» (
Doc. 12700), les dysfonctionnements dans l’administration fiscale
sont le syndrome d’une faiblesse de l’autorité publique, ils risquent
de saper la démocratie et de fragiliser l’économie nationale.
10. Au Royaume-Uni, selon le National Fraud Office, en janvier
2011, la fraude coûtait au pays 38 milliards de livres par an, alors
que les pertes du secteur public étaient estimées à 21 milliards
de livres, dont 15 milliards de livres de fraude fiscale. Une étude
de Tax Research UK conclut que le Royaume-Uni perd au moins 18 milliards
de livres par an de recettes fiscales du fait d’activités liées
à des paradis fiscaux, ce qui représente quatre fois le montant
que coûterait l’éradication de la pauvreté des enfants dans ce pays
. L’arnaque au fisc est
également endémique dans d’autres pays. Ainsi, par exemple, les
services du fisc italien sont parvenus à récupérer quelque 37 milliards
d’euros au cours des cinq dernières années grâce à des mesures de
lutte contre la fraude fiscale. Les dernières données montrent que
des contrôles renforcés ont rapporté 11,5 milliards d’euros supplémentaires
au budget national pour 2011. En France, la Cour des comptes a estimé
que la fraude fiscale était d’au moins 29 milliards d’euros chaque
année. Pour ce qui est de la Grèce, la fraude fiscale massive coûterait
au pays 15 milliards d’euros par an, et contribuerait sans nul doute
significativement à réduire le déficit budgétaire du pays si elle
était récupérée
.
11. Certes, la fraude fiscale et les paradis fiscaux ne sont pas
automatiquement liés, mais étant donné qu’une grosse part des flux
commerciaux et de capitaux transite par des entités réputées être
des paradis fiscaux, ces derniers sont très fortement suspects.
Malheureusement, dans un marché libre, lorsqu’il y a une demande,
une offre se présente – y compris pour des services qui aboutissent
à gruger les systèmes fiscaux nationaux et à contourner les accords
internationaux applicables. Le rapporteur estime que les dirigeants politiques
doivent faire preuve d’une forte détermination pour clarifier et
améliorer la situation dans ce domaine. Aux fins du présent rapport,
il a consulté des experts de l’OCDE, de la Commission européenne
et du Réseau Tax Justice Network. En outre, le 9 décembre 2011,
l’ancienne commission des questions économiques et du développement
de l’Assemblée parlementaire a tenu une audition
avec la participation de:
- Donal Godfrey, chef adjoint
du Forum mondial sur la transparence et l’échange d’informations
à des fins fiscales, Centre pour la politique et l’administration
fiscales, OCDE;
- Philip Kermode, directeur pour la taxation directe, la
coordination fiscale, l’analyse économique et l’évaluation, Direction
générale Fiscalité et Union douanière de la Commission européenne;
- John Christensen, directeur du Secrétariat international, Tax Justice Network;
- Professeur Clemens Fuest, directeur de recherche du Centre
pour la fiscalité des entreprises, Université d’Oxford, Royaume-Uni.
2. Les grands problèmes autour
des paradis fiscaux
12. Pour le Fonds monétaire international,
la croissance des centres financiers offshore remonte aux années
1960-1970, lorsque de nombreuses économies développées ont mis en
place des régimes réglementaires restrictifs en matière de mouvements
de capitaux et que des grandes multinationales et institutions financières
ont progressivement transféré certaines de leurs activités vers
d’autres juridictions à leurs yeux plus attractives. A mesure que
les transactions financières s’accéléraient et que leur volume augmentait
grâce à la libéralisation financière des années 1980-1990, les centres
financiers se sont adaptés à une concurrence internationale croissante
en adoptant des caractéristiques telles qu’une fiscalité des entreprises
nulle ou très basse, des frais de transaction faibles et des normes
de supervision souples, l’anonymat des détenteurs de comptes, des
produits financiers de plus en plus complexes proposés aux clients et
de nombreux autres services de niche, notamment le secret ou «la
discrétion la plus absolue» comme règle du jeu. Très tôt, cette
course à l’environnement le plus laxiste a fait naître au sein des
grandes institutions internationales des préoccupations concernant
les risques pour la stabilité financière mondiale
.
13. L’ingénierie financière par le biais de «véhicules d’investissement
structurés» était si complexe, l’effet de levier des opérations
financières si important et la perception des prises de risques
si inadéquate qu’on estime aujourd’hui que les CFO ont joué un rôle
majeur dans la survenance de la crise financière de 2008-2009. En
fait, les CFO étaient utilisés pour circonvenir les règles afin
de réduire les niveaux de réserve de capital exigés pour l’entreprise
cliente. Or, les règles en place avaient été établies pour une bonne
raison – protéger toute la société. Et pourtant elles se sont révélées
insuffisantes: une partie des dettes d’entreprise d’institutions
importantes sur le plan systémique a été transférée aux Etats, dont
les déficits et la dette souveraine ont, en conséquence, explosé
– les rendant plus vulnérables à l’égard des marchés financiers internationaux,
et déplaçant la charge supplémentaire qui est désormais portée par
les contribuables ordinaires.
14. A ce stade, il convient de préciser que la notion de «offshore»
dans l’expression «centres financiers offshore» signifie «ailleurs»,
puisque le système offshore propose pour l’essentiel des services
à des non-résidents – qu’ils soient personnes physiques ou personnes
morales (pour l’essentiel des multinationales, des fonds et des
banques). Ces services incluent de la gestion d’actifs, des services
bancaires, d’assurance, du trading financier et divers services
d’enregistrement. Avec l’intégration des marchés financiers, les
problèmes rencontrés par des institutions qui utilisent énormément
les CFO peuvent rapidement se propager ailleurs, ce qui explique
pourquoi les autres pays cherchent à consolider la supervision de
toutes les opérations des institutions enregistrées dans leurs juridictions
– et à tenir leurs engagements internationaux visant à dépister l’argent
sale. Toutefois, une supervision consolidée de ce type n’est pas
efficace lorsque la coopération et l’échange d’informations avec
les CFO sont faibles.
2.1. Secrets et prise de pouvoir
15. Un des problèmes majeurs provient
du secret, alors même que la transparence est essentielle: en théorie,
un marché libre fonctionne de manière rationnelle et la supervision
démocratique donne de bons résultats lorsque tous les participants
ont un accès identique aux informations pertinentes. Le système
offshore permet de filtrer les informations dont disposent les décideurs
dans le pays de résidence. Il contrôle l’information, et le pouvoir
qu’elle comporte, au bénéfice d’initiés, tout en transférant la
charge des coûts sur le reste de la société. Des fonds significatifs
sont gérés en offshore au risque du client, l’activité hors bilan
n’étant généralement pas enregistrée dans les statistiques – ce
qui entraîne des distorsions dans les flux d’informations, dont
la précision est à la base de la prise de décision ainsi que de
la coordination et de la réglementation au niveau international.
16. Cela aboutit à la formation de réseaux d’influence puissants
reposant sur des réseaux d’avocats, de comptables et de gestionnaires,
qui contribuent à transformer des pratiques abusives en pratiques
sous une certaine forme acceptables – techniquement légitimes, mais
perverties dans l’esprit. En permettant aux élites riches de ne
pas payer d’impôt dans leur pays de résidence, les paradis fiscaux
sapent le contrat social dans les Etats-nations, et au sein de la
société tout entière. Ils portent également atteinte à la responsabilité démocratique
et à la bonne gouvernance en limitant la portée de la supervision
publique. En fait, les dispositions liées au secret dans les centres
financiers offshore sont le principal motif d’incitation à les choisir pour
ceux qui cherchent des cachettes sûres pour leurs actifs taxables
ou leurs biens d’origine douteuse. Elles permettent d’éviter la
taxation, les réglementations financières, les dispositions du droit
pénal et autres règles de la société (par exemple les règles sur
la gouvernance d’entreprise et la responsabilité sociale, sur les
procès et le droit des successions, etc.). De la même manière, les
intermédiaires privés se taillent un puissant pouvoir d’influence
politique
.
17. Le secret des centres financiers offshore est en général assuré
par des comptes bancaires anonymes et des sociétés écrans derrière
lesquelles se cachent les vrais clients. La plupart de ces juridictions
utilisent des lois sur le secret bancaire, des structures de holding
complexes et des fiducies ou fonds en pratique impénétrables (qui,
en théorie, dissocient la propriété des actifs des revenus servis,
à la faveur de mandataires; il n’y a pas d’enregistrement obligatoire).
Si l’on ajoute à cette structure simplifiée la technique du découpage –
en français, le saucissonnage – qui permet d’allouer différentes
parties du montage financier à plusieurs juridictions et de l’assortir
de clauses de fuite (qui permettent de déplacer les actifs automatiquement
au premier signe d’investigation le long de la chaîne), on obtient
une véritable forteresse. A l’autre extrémité, on trouve les juridictions
et administrations fiscales nationales, dont les enquêtes transfrontalières
se fraient péniblement un chemin à travers un maquis de procédures
juridiques complexes, et peuvent prendre des années avant de reconstituer
des fragments de la piste de l’argent. En somme, c’est comme jouer
au chat et à la souris dans le noir, la souris étant libre de ses
mouvements et le chat ayant les yeux bandés.
18. Une étude menée par l’Initiative Stolen Asset Recovery de
la Banque mondiale et l’UNDOC (Office des Nations-Unies sur les
drogues et le crime)
, fondée sur l’étude de 150 grosses
affaires de corruption, a mis au jour des liens directs entre la
corruption à grande échelle par des agents publics de haut rang
et la dissimulation d’actifs volés grâce à des sociétés écran, fondations
et trusts opaques; cela explique les obstacles auxquels se heurtent
les enquêtes, et la difficulté de retracer les actifs volés du fait
de l’incapacité à accéder aux informations sur le bénéficiaire effectif
et de l’utilisation de structures d’entreprises complexes relevant
de plusieurs juridictions.
2.2. Le maquis des prix de transfert
19. L’un des aspects très préoccupants
est la fraude à grande échelle en matière d’impôt sur les bénéfices des
sociétés par l’utilisation des paradis fiscaux accompagnée de techniques
comptables «créatives». Certains problèmes se posent lorsque les
entreprises s’efforcent d’éviter la double imposition. Selon l’OCDE, environ
60 % du commerce mondial est réalisé en interne au sein des multinationales.
Lorsque des entreprises en aussi grand nombre ont étendu leurs opérations
dans plusieurs pays, il n’est pas facile de savoir quelle est la
part d’impôt sur le bénéfice attribuée à quel pays. La tâche est
d’autant plus compliquée que les multinationales utilisent des techniques
de fixation des prix de transfert – en général avec la participation
de centres offshore – pour ajuster leurs comptes de telle manière
que les bénéfices seront engrangés dans des juridictions faiblement
taxées et le maximum du coût déduit dans des pays fortement taxés.
Cette technique de fixation (ou plutôt, devrait-on dire, de manipulation)
des prix de transfert permet non seulement une optimisation fiscale,
mais en réalité la quasi-annulation de l’impôt. Dans les cas les
plus extrêmes, comme aux Etats-Unis, certaines grandes entreprises
sont même parvenues à obtenir de l’argent public grâce à des exonérations
d’impôt, qui ressemblent à des subventions fiscales.
20. Si les pouvoirs publics des pays riches sont en permanence
à la recherche de moyens d’améliorer leur système réglementaire
afin de récupérer une certaine partie des impôts sur les bénéfices
des sociétés qui sont perdus par l’utilisation de techniques de
fixation (manipulation) des prix de transfert, bon nombre de pays moins
aisés sont, pour la plupart, peu au courant, mal équipés et donc
sans défense face aux ruses sophistiquées des entreprises pour éviter
de payer des impôts. En fait, bon nombre de pays en développement ne
parviennent à collecter qu’environ 40 % des recettes fiscales potentielles
. Il
n’est donc pas surprenant que leur ratio recettes fiscales/PIB se
situe entre 10 et 20 % contre 25 à 40 % pour les pays développés
.
De plus, comme le suggère l’étude de l’Union européenne sur la fixation
des prix de transfert et les pays en développement, ces derniers
manquent, en général, de la législation, de la capacité administrative
et de l’expertise minimales en matière de fixation des prix de transfert,
ainsi que de règles comptables complètes et de réseaux liés aux
traités fiscaux.
21. Dans le même temps, les pays développés aussi perdent gros.
Il suffit de lire une étude du National Audit Office britannique,
qui a conclu qu’environ un tiers des 700 plus grandes entreprises
du pays n’avait pas payé d’impôt au Royaume-Uni en 2006. La fixation
du prix des transferts a, c’est indéniable, des effets budgétaires
délétères pour la société, lorsque les «plus malins» deviennent
également les moins responsables du bien commun et qu’une part disproportionnée
de la charge fiscale est réorientée pour être assumée par les acteurs
de marché les plus petits, et que la main-d’œuvre et la consommation
ou l’investissement public doivent être réduits. En outre, il est
prouvé que l’évitement fiscal sur les bénéfices des sociétés aboutit
à creuser les disparités de revenus au sein des Etats-nations et
entre eux
.
22. La manipulation du prix des transferts n’est, hélas, pas la
seule technique comptable qui permet de frauder le fisc. Dans ce
même ordre d’idées, on citera la refacturation, le recours aux entités/véhicules d’investissement
spécifiques (SPV), à ce que l’on appelle les «inversions d’entreprises»,
aux diverses formes de trusts, etc. Et, dans tous ces cas, les paradis
fiscaux jouent un rôle. De plus, les règles comptables internationales
permettent aux multinationales de présenter leurs bénéfices après
agrégation des données de différents pays de telle manière qu’il
devient impossible de voir quels sont les véritables résultats et
bénéfices d’une société et combien elle a payé d’impôt par pays.
A l’arrivée, une part considérable des bénéfices qui échappent à
l’imposition des entreprises se retrouve dans des flux financiers
spéculatifs au lieu de servir à investir de manière productive dans
l’économie réelle, ce qui entraîne des distorsions sur les marchés
locaux du fait de la montée en puissance de monopoles secrets opérant
sous couverture du secret offshore, et accroît l’instabilité du
système financier mondial en créant des bulles, qui finissent par
éclater.
2.3. Les mouvements brutaux de
capitaux, facteurs de déstabilisation
23. Les finances offshore sont
tout sauf une part dormante de l’économie mondiale: des flux de
capitaux circulent constamment entre les zones offshore et onshore,
au détriment des activités bancaires traditionnelles, et les zones
offshore sont des intermédiaires financiers très actifs. Les problèmes
commencent lorsque des flux d’argent considérables quittent certains
pays pour en alimenter d’autres: les fuites de capitaux en un endroit
se traduisent par un afflux de capitaux ailleurs. Ce mouvement se
produit classiquement par le biais du système offshore et les grands
bénéficiaires de ces flux financiers sont en définitive les principaux centres
financiers des pays développés. Le système bancaire occulte du monde
– impliquant les centres financiers offshore et des structures d’investissement
non réglementées – était plus grand que l’ensemble du système bancaire
américain (qui pesait environ 10 billions de dollars en 2007) selon
Timothy Geithner, aujourd’hui Secrétaire du Trésor américain. Au
niveau mondial, environ 69 % des fonds spéculatifs étaient domiciliés
dans des centres financiers offshore en 2007, les îles Caïmans et
les îles Vierges britanniques en hébergeant à elles seules la moitié
– contre 30 % au total pour les Etats-Unis et l’Europe ensemble.
24. En 2005, la Banque mondiale a reconnu la validité des travaux
du GFI (Global Financial Integrity), basé à Washington, qui estime
que les flux financiers illicites transfrontaliers représentent
entre 1 et 1,6 billion de dollars par an. L’analyse de 2009 du GFI
montre également que les sorties financières illicites des seuls
pays en développement sont de l’ordre de 850 milliards de dollars
à 1 billion de dollars. Si l’on compare avec les flux annuels d’aide
mondiale au développement, qui représentent quelque 100 milliards
de dollars, cela signifie que, pour chaque dollar d’aide publique
occidentale, le système financier mondial a récupéré jusqu’à 10
dollars sous forme de capitaux en fuite, y compris les fonds pillés
par des dirigeants corrompus. Dans cette jungle financière, le pire
est que les actifs de bon nombre de pays en développement ont tendance
à appartenir à une petite élite riche, alors que la dette publique
extérieure est supportée par l’ensemble de la population – grâce à
des initiés du monde politique et des affaires. Les juridictions
pratiquant le secret financier sont au cœur de la problématique.
Elles ont, en outre, été au centre des grands scandales d’entreprises
des dernières années, telles que les affaires Enron, Parmalat, Lehman
Brothers, AIG et Northern Rock, pour ne citer qu’elles.
25. Avec la libéralisation financière, les flux de capitaux internationaux
sont extrêmement mobiles et volatils. Selon des analystes
, le développement
de systèmes offshore remet sérieusement en question la stabilité monétaire
nationale (les banques centrales ayant des difficultés à contrôler
l’offre et la demande monétaires) et peut aboutir à une surchauffe,
ou une stagnation, de l’économie intérieure d’un pays. En outre,
comme l’a montré l’épisode 2007-2009 de la crise financière mondiale,
les répercussions des mouvements de capitaux se transmettent rapidement
entre pays et régions, et les risques persistent à l’égard de la
stabilité financière mondiale.
2.4. Dumping fiscal et réglementaire
26. Les paradis fiscaux reposent,
par définition, sur une caractéristique essentielle: pas
ou peu d’impôts. Ces pratiques
encouragent les ressources à aller non là où elles peuvent être
le plus productives, mais là où elles sont le moins imposées. Cette
imposition minimale agit comme une force qui introduit des distorsions dans
la concurrence mondiale, en particulier lorsque la réglementation
et la supervision sont faibles. Dans le contexte mondial de la libéralisation
financière et de l’intermédiation offshore, la concurrence fiscale
aboutit au dumping dans ce domaine. L’OCDE a produit, en 1998, un
rapport pertinent sur la concurrence fiscale dommageable, qui a
contribué à sensibiliser le monde politique et à faire pression
pour traiter le problème, comme cela a été le cas dans le processus
de l’intégration européenne.
27. En mettant à la disposition des non-résidents un cadre réglementaire
très peu contraignant, les juridictions adeptes du secret créent
des facilités pour les personnes physiques et morales qui leur permettront de
contourner les règles en vigueur ailleurs et, d’une certaine manière,
interfèrent avec la capacité d’autres Etats souverains à garantir
que la primauté du droit s’applique à tous leurs citoyens et aux
entreprises enregistrées selon leurs lois nationales. En conséquence,
la course tirant la réglementation vers le bas, due à l’existence
même des paradis fiscaux, fait peser une forte pression sur d’autres
Etats et, dans les cas extrêmes, permet à des multinationales puissantes
de confisquer l’Etat lui-même
. Pourtant, comme le fait justement
remarquer M. Tuur Elzinga dans son avis sur les droits de l’homme
et entreprises (au nom de l’ancienne commission des questions économiques
et du développement – voir
Doc. 12384), «[l]es entreprises devenant des acteurs influents
sur la scène nationale, européenne et mondiale, se posent un certain
nombre de questions ouvertes sur leurs droits et responsabilités
envers la société» qui peuvent être éclaircies – notamment dans
le contexte d’un débat parlementaire sur les politiques concernant
les paradis fiscaux.
28. Selon certains experts, il convient également de garder à
l’esprit que certains services proposés par des centres financiers
offshore peuvent avoir des effets positifs dans le contexte mondial,
en particulier lorsqu’ils exploitent des opportunités de développement
de niches reposant sur un avantage comparatif, facilitent l’activité
économique transfrontalière en réduisant les coûts de mise en conformité
fiscale ou la double imposition et assurent la protection des résidents
d’Etats dysfonctionnels. En outre, comme l’a fait remarquer le professeur
Fuest lors de l’audition de la commission en décembre 2011, certains
experts voient dans les paradis fiscaux un contrepoids à certains
excès dans les régimes fiscaux nationaux et un facteur de stimulation de
la concurrence dans le secteur financier. Ces considérations devraient
pousser les pays à évaluer régulièrement leurs régimes fiscaux et
réglementaires en vue d’éliminer les dysfonctionnements et de renforcer
la transparence.
3. Nécessité d’améliorer la
transparence des flux financiers internationaux et l’efficacité
des cadres réglementaires
29. Les diverses préoccupations
concernant le fonctionnement des CFO ont naturellement été soulevées dans
les grandes tribunes internationales telles que le Forum pour la
stabilité financière (aujourd’hui le Forum mondial sur la transparence
et l’échange d’informations à des fins fiscales), le GAFI (Groupe
d’action financière sur le blanchiment de capitaux), l’OCDE, l’Union
européenne, le FMI et les diverses réunions au niveau des G7/G8/G20.
Après le premier examen par le GAFI de la conformité avec la norme
internationale (40+8 recommandations) en 2000, de graves déficiences
ont été identifiées dans 15 territoires en matière de dispositions
de lutte contre le blanchiment de capitaux. L’OCDE, pour sa part,
a poursuivi ses efforts de lutte contre les pratiques fiscales dommageables,
identifiant 47 pays dotés de régimes fiscaux potentiellement dommageables
et dressant la liste de 35 juridictions constituant des paradis
fiscaux. En 2002, une liste noire de 7 paradis fiscaux non coopératifs
a été publiée et une trentaine de CFO se sont engagés à accroître
la transparence et la coopération en matière d’échange d’informations.
30. Dans le cadre de leurs travaux pour consolider l’architecture
et la stabilité financières mondiales après la crise asiatique de
la fin des années 1990, le FMI et la Banque mondiale ont mené une
Initiative conjointe sur les normes et codes
pour
une surveillance plus étroite de leurs Etats membres, y compris
les CFO. Elles ont sélectionné 12 domaines politiques jugés essentiels
pour des systèmes financiers sains, couvrant les normes de transparence
en matière de données et de politiques; la politique monétaire et
financière et la transparence fiscale; la supervision des banques
et des assurances; la réglementation des titres; le secteur financier,
les normes comptables et d’audit; l’intégrité des marchés, et enfin
la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du
terrorisme (fondée sur les recommandations du GAFI). Malheureusement,
les examens des pays se font sur la base du volontariat. Un programme
d’évaluation consacré aux CFO, entamé en 2000, a été intégré au
programme d’évaluation du secteur financier en 2008.
31. Dans le cadre de cette initiative, la majorité des pays, y
compris un certain nombre de CFO, ont été évalués au moins une fois,
mais la couverture n’est pas complète, et a été en fait réduite
de moitié à partir de 2004 du fait des restrictions au sein du FMI
et de certains changements de priorités. De nouvelles révisions des
normes et procédures d’évaluation se profilent, à la lumière de
la dernière crise financière, des travaux du FSB (Financial Stability
Board) et des décisions pertinentes qui seront prises par la communauté internationale.
La difficulté reste cependant de renforcer la «remise en ordre»
de la finance offshore, notamment du fait que la récente crise a
révélé des lacunes dans les règles, la supervision, l’application
de mesures répressives, la coordination entre les organismes normatifs,
les évaluateurs et les planificateurs politiques, l’assistance par
pays et la coopération internationale. Il faut également veiller
à ce que les évaluations couvrent les juridictions non membres (qui
étaient incluses dans l’ancien programme d’évaluation sur les CFO).
32. La communauté mondiale déployant des efforts renouvelés pour
réduire l’évitement fiscal et l’évasion fiscale, le Forum mondial
(sur la transparence et l’échange d’informations à des fins fiscales)
– sous l’égide de l’OCDE – a été restructuré en 2009. Il est à la
tête de la coopération multilatérale de plus d’une centaine de membres
(dont tous les pays du G20 et de l’OCDE ainsi que de grands centres
financiers) grâce à un examen par les pairs du cadre légal et réglementaire
de chaque juridiction et la mise en œuvre concrète des normes sur
la transparence et l’échange d’informations à des fins fiscales.
Parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe, plusieurs pays d’Europe
centrale et orientale ne sont pas encore membres du Forum mondial (Albanie,
Arménie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, République
de Moldova, Monténégro, Roumanie, Serbie et Ukraine).
33. En préparation du sommet d’avril 2009 du G20, l’OCDE avait
annoncé un système de listes noire/grise/blanche permettant d’épingler
les centres financiers qui ne coopèrent pas avec d’autres juridictions
sur des questions fiscales et de transparence. Malheureusement,
à la suite d’intenses pressions de la part de certaines grandes
puissances économiques et d’activités de lobbying de la part des
entreprises opposées à ce projet, l’action sur cette piste a été
limitée et aucune liste noire n’a été publiée.
34. En 2010, l’OCDE a publié une version actualisée de ses Lignes
directrices sur la fixation des prix de transfert destinées aux
entreprises multinationales et administrations fiscales (la première
version remontait à 1995). Entre autres choses, ces lignes directrices
précisent qu’il ne faut pas confondre la vérification d’un prix de
transfert avec les vérifications portant sur des cas de fraude fiscale
ou d’évitement fiscal, même s’il arrive que les politiques suivies
en matière de prix de transfert poursuivent de tels objectifs. Cependant,
«lorsque les prix de transfert ne reflètent pas les mécanismes du
marché et le principe de pleine concurrence, cela peut avoir pour
effet de fausser aussi bien le montant de l’impôt dû par des entreprises
associées que les recettes fiscales du pays d’accueil». Le rapporteur
est d’avis que l’utilisation de techniques de fixation des prix
de transfert à des fins d’évitement fiscal ou de l’évasion fiscale
doit être réévaluée, étant donné que les paradis fiscaux sont à
l’origine de distorsions considérables sur les marchés financiers
mondiaux et sont utilisés de plus en plus par les multinationales
pour manipuler leurs bénéfices. De récentes propositions, faites
par la Chancelière Merkel et le Président Sarkozy, en vue d’une
fiscalité d’entreprise commune au niveau européen, méritent d’être
explorées car elles permettraient d’avancer pour contribuer à résoudre
au moins partiellement ce problème.
35. Le Réseau Tax Justice Network a élaboré l’indice de secret
financier qui permet de classer les pays en fonction de leur importance
comme fournisseurs de services de secret financier dans la finance
mondiale. Fondés sur des scores d’opacité (évalués selon 12 indicateurs
de secret financier) et sur la pondération de 60 territoires, les
résultats pour 2009 et 2011, tels qu’ils figurent en annexe au présent
rapport, montrent que les progrès réels ont été maigres et qu’une
bonne partie des pays européens ont encore de gros problèmes avec la
transparence de leur secteur financier.
36. Des donneurs d’alerte mondiaux épinglent un certain nombre
d’Etats membres du Conseil de l’Europe qui accueillent ou tolèrent
des modalités financières et juridiques plus ou moins douteuses
du système offshore. Reposant sur les dynamiques des indicateurs
de secret financier pour 2009 et 2011 du Réseau Tax Justice Network,
parmi eux, on citera la City de Londres au Royaume-Uni, les territoires
dépendant de la Couronne britannique (Jersey, Guernesey et l’île
de Man) et les territoires d’outre-mer (notamment Anguilla, les
îles Caïmans, les Bermudes, les îles Vierges britanniques, les îles
Turks –et Caicos, Montserrat et Gibraltar), la Suisse, le Luxembourg,
le Liechtenstein, Monaco, Andorre et les Antilles néerlandaises.
Des préoccupations distinctes entourent le rôle de l’Autriche, de
la Belgique, de l’Irlande, des Pays-Bas, de Chypre, de Malte et
de Madère (Portugal) en tant qu’intermédiaires financiers qui facilitent
les montages d’optimisation fiscale dommageables pour des firmes
transnationales qui aboutissent à l’évitement fiscal. En ce que
concerne le Royaume-Uni, un nombre impressionnant d’anciennes possessions
coloniales gravite encore sous l’influence de l’administration britannique
.
37. En Suisse, la loi sur le secret bancaire, adoptée en 1934,
fait de toute violation du secret bancaire un délit pénal passible
d’amendes et de peines de prison. Selon la Banque nationale suisse,
en 2009, le pays détenait environ 2,1 billions de dollars sur des
comptes de non-résidents. Des analystes financiers suisses estiment
qu’environ 80 % des quelque 836 milliards de francs suisses en actifs
européens ne sont pas déclarés à l’administration fiscale du pays
de rattachement de leurs propriétaires (le taux de non-déclaration
atteint 99 % pour les Italiens). Sous la pression des autorités
américaines, la banque UBS (première en Europe en matière de gestion
de patrimoine privé) a été sanctionnée par une amende de 780 millions
de dollars pour avoir dissimulé des avoirs imposables de citoyens
américains et s’est engagée à communiquer des données sur 285 titulaires
de comptes. A cette occasion, les autorités suisses ont reconnu
que le but du secret bancaire était la protection de la vie privée,
et non pas de la fraude fiscale. Elles participent très activement
aux travaux du Forum mondial (voir le paragraphe 32 ci-dessus) et
plaident pour l’implication totale de tous les Etats afin d’éviter
des distorsions dans la concurrence au niveau mondial. En 2009,
la Suisse a également adopté la norme de l’OCDE sur l’entraide administrative
internationale en matière fiscale, permettant ainsi de contrôler des
comptes suisses – sur requête d’autorités étrangères – pour évasion
fiscale, en plus du motif de fraude fiscale.
38. En août 2011, la Suisse et l’Allemagne ont signé un accord
fiscal
aux
termes duquel les clients allemands paieront rétroactivement aux
banques suisses une somme forfaitaire sur leurs avoirs, plus une
taxe annuelle sur les intérêts des placements financiers: cela permet
en quelque sorte de taxer de manière anonyme les actifs allemands
en Suisse, sans lever le secret bancaire helvétique. Un autre accord
de ce type a été signé entre la Suisse et le Royaume-Uni début octobre
2011 et des arrangements similaires sont en cours de préparation
avec d’autres pays.
39. Comme l’a signalé Bloomberg le 6 octobre 2011, l’accord helvético-britannique
– qui doit entrer en vigueur en mai 2013 et est soumis à l’approbation
parlementaire – prévoit que les banques suisses verseront 500 millions
de francs suisses au Gouvernement britannique en compensation du
fait que leurs clients n’ont pas déclaré des montants occultes dans
le passé. Les banques se rembourseront ensuite en prélevant à la source
des taxes sur les avoirs de leurs clients (qui devraient représenter
48 % des revenus de placement et 27 % des gains en capital réalisés
par les détenteurs de comptes offshore britanniques). Les montants
ainsi générés seront versés au fisc britannique, mais les identités
des clients demeureront secrètes.
40. Les experts du Tax Justice Network ont décelé 10 grosses failles
dans cet accord. Il est alarmant ainsi de constater que les bénéficiaires
de trusts et fondations discrétionnaires, ainsi que les succursales
des banques suisses dans d’autres pays, sont explicitement non couverts
par cet accord, qui laisse encore beaucoup d’échappatoires aux fraudeurs
du fisc et ruine les efforts de l’Union européenne pour introduire davantage
de transparence dans ce domaine, notamment par le biais de sa Directive
sur la taxation de l’épargne. M. Šemeta, le Commissaire de l’Union
européenne chargé des affaires fiscales, s’exprimant devant le Parlement
européen le 25 octobre 2011, a souligné que les accords fiscaux
bilatéraux de la Suisse avec l’Allemagne et le Royaume-Uni sont
incompatibles avec l’accord existant entre l’Union européenne et
la Suisse sur la taxation des revenus de l’épargne et doivent être
retirés.
41. De plus en plus d’experts critiquent la norme de l’OCDE dominante
en matière d’échange d’informations, jugeant qu’elle ne va pas assez
loin. De fait, cette norme, activée sur demande, ne peut jouer que
s’il existe des traités bilatéraux en vigueur et que les autorités
fiscales d’un pays qui demande l’information ont déjà un soupçon
et quelques éléments de base pouvant motiver une requête pour un
complément d’informations à des fins fiscales. La solution consistant
à automatiser l’échange d’informations sur une base multilatérale
se justifie dès lors, sous réserve de sauvegardes appropriées pour
une protection adéquate des données personnelles et d’un renforcement
de la capacité administrative pour traiter des flux d’information
transfrontaliers.
42. Le traité de l’Union européenne sur le Marché unique prévoit
la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des
personnes. Comme cela est indiqué dans une communication du 23 mai
2001 intitulée «Politique fiscale dans l’Union européenne – les
priorités pour les années à venir» (COM(2001)260), la stratégie
de la Commission européenne en matière de politique fiscale ne vise
pas l’harmonisation des systèmes fiscaux des Etats membres, qui
sont libres de choisir ce qui leur agrée. Toutefois, elle a reconnu ultérieurement
que bon nombre de problèmes fiscaux – en particulier les régimes
ou pratiques de «prédation» fiscale – exigent une meilleure coordination
des politiques nationales (voir COM/2006/823 du 19 décembre 2006).
En outre, comme l’a fait ressortir l’audition sur les paradis fiscaux
organisée par l’ancienne commission des questions économiques et
du développement le 9 décembre 2011, le partage de souveraineté
au titre des Traités de l’Union européenne entraîne naturellement
une harmonisation progressive des pratiques fiscales entre les Etats
membres. Les grandes priorités de la politique de l’Union européenne
dans ce domaine visent à éliminer les obstacles fiscaux à toute
forme d’activités économiques transfrontalières, à poursuivre la
lutte contre la concurrence fiscale dommageable et à promouvoir
une plus forte coopération entre les administrations fiscales pour
assurer le contrôle et la lutte contre la fraude.
43. Le Code de conduite de l’Union européenne en matière d’imposition
des entreprises, repris dans les conclusions du Conseil des ministres
de l’économie et des finances (ECOFIN) du 1er décembre
1997, s’il n’est pas un instrument juridiquement contraignant, n’en
a pas moins une certaine force politique par le biais des examens
critiques exercés par les pairs. En adoptant ce code, les Etats
membres se sont engagés à mettre de l’ordre dans les mesures fiscales
existantes qui constituent une concurrence fiscale dommageable et
à éviter à l’avenir de prendre des mesures de ce type. Le Groupe
du code de conduite, placé sous la présidence de Dawn Primarolo,
a identifié (en novembre 1999) 66 mesures fiscales présentant des
caractéristiques dommageables (40 dans des Etats membres de l’Union
européenne, 3 à Gibraltar et 23 dans des territoires dépendants
ou associés). Les Etats membres de l’Union européenne et leurs territoires
dépendants et associés ont depuis introduit des mesures visant à
remplacer ces 66 pratiques ou sont sur le point de le faire.
44. La Commission européenne cherche en outre à promouvoir une
bonne gouvernance en matière fiscale fondée sur la transparence,
l’échange d’informations et une concurrence équitable en matière
de fiscalité, dans l’esprit de sa communication sur la bonne gouvernance
du 28 avril 2009 (COM(2009)201). Dans le cadre de sa politique sur
les services financiers, elle a adopté (le 19 octobre 2009) une
recommandation demandant aux pays de l’Union de faciliter les formalités
d’exonération pour les investisseurs résidant et investissant dans
les Etats membres de l’Union européenne, tout en protégeant les
recettes fiscales de toute erreur ou fraude, sans entraver le fonctionnement
du Marché unique. On citera également dans ce contexte la Directive
sur la taxation de l’épargne, qui vise à traiter le problème de
fraude fiscale concernant les revenus de dépôt. En ce qui concerne
la concurrence fiscale dommageable, la stratégie de l’Union européenne
repose sur une communication, «Prévenir et combattre les malversations
financières et pratiques irrégulières des sociétés» (COM(2004)611).
Pour ce qui est des accords visant à éliminer la double imposition
entre pays de l’Union européenne, une plus grande coordination est
nécessaire, notamment dans des situations triangulaires et à l’égard
des pays tiers. La Commission européenne organise actuellement une
procédure de consultation sur des exemples factuels et les moyens
possibles de s’attaquer à la «double-non-imposition»
.
45. L’entraide entre Etats membres de l’Union européenne en matière
d’impôts directs a été établie en 1977 et améliorée en 2011 grâce
à la Directive du Conseil 2011/16/UE, qui garantit que les normes
européennes en matière de transparence et d’échange d’informations
sur demande s’alignent sur les standards internationaux: les Etats
membres de l’Union européenne ne peuvent plus refuser de fournir
des informations uniquement du fait que celles-ci sont détenues
par une banque ou tout autre type d’institution financière. La directive
introduit également l’échange automatique d’informations à partir
du 1er janvier 2015 concernant cinq catégories
de revenus et de capitaux, sur la base des informations disponibles
(revenus du travail, jetons de présence, produits d’assurance si
non couverts par d’autres directives, pensions, propriété de biens immobiliers
et revenus tirés de ceux-ci; sur la base d’une nouvelle proposition
de la Commission européenne et d’un rapport qui devra être soumis
avant juillet 2017; cette liste pourrait être en outre étendue aux dividendes,
revenus de placements financiers et redevances). De plus, le Conseil
de l’Union peut également décider d’introduire l’échange d’informations
automatique et inconditionnel concernant au moins trois des cinq catégories
susmentionnées. Enfin, la directive améliore également les mécanismes
existants pour l’échange d’informations en prévoyant un délai maximal
pour accélérer les procédures à la fois concernant l’échange d’informations
sur demande (réponse dans les six mois suivant la réception de la
demande) et l’échange d’informations spontané (transmission d’informations
au plus tard un mois après que celles-ci sont disponibles).
4. Rechercher des solutions
véritablement mondiales par une action parlementaire et gouvernementale
46. Comme nous l’avons vu dans
les parties précédentes du présent rapport, le système financier
offshore impliquant des paradis fiscaux n’est pas un phénomène marginal
de l’économie mondiale. Son impact sur les finances publiques et
sur la société tout entière est énorme, même s’il passe largement
inaperçu. Tous les pays ayant abdiqué une part de leur souveraineté
au bénéfice de la mondialisation et de l’économie globale, s’attaquer
aux distorsions mondiales induites par des pratiques fiscales dommageables
ou prédatrices est une obligation morale autant qu’une cause commune.
Les organisations internationales et les décideurs politiques nationaux
doivent se pencher davantage sur les multiples problèmes issus du
secret, des cadres réglementaires laxistes et des dispositions permettant
un dumping fiscal, qui sont des caractéristiques inhérentes aux
paradis fiscaux. L’OCDE estime que les efforts internationaux à
l’encontre de la fraude fiscale et des paradis fiscaux non coopératifs
ont jusqu’ici permis à 20 pays de récupérer au moins 14 milliards
d’euros sur les deux dernières années, et qu’il reste encore beaucoup
plus de recettes fiscales susceptibles d’être récupérées grâce à
une action cohérente et coordonnée, au niveau national comme international.
47. L’une des difficultés majeures consiste à garantir une supervision
consolidée et effective du système financier offshore et des territoires
considérés comme des paradis fiscaux. La Banque des règlements internationaux
(BRI), le FMI et l’OCDE devraient s’engager plus activement – en
conjuguant leurs efforts – pour mesurer et analyser les flux financiers
de et vers les CFO, ainsi que leur interaction avec l’activité économique dominante
d’autres Etats. De plus, la surveillance du FMI et de l’OCDE concernant
les régimes fiscaux des pays membres devrait aller plus loin et
stimuler les améliorations. Cela permettrait aux décideurs politiques d’obtenir
une image plus précise et réelle des problèmes qui restent à résoudre.
Etant donné que les normes réglementaires minimales relatives aux
paradis fiscaux ne sont plus suffisantes, et que, dans le contexte
de la mondialisation, l’action individuelle d’un seul pays ne l’est
pas non plus, il est crucial de mettre en place une action et une
coordination multilatérales, par exemple via le G20.
48. Les privilèges accordés au niveau national aux grandes multinationales
devraient être revus pour mieux équilibrer les droits et les obligations
(à l’égard de la société des pays dans lesquels elles opèrent).
La responsabilité sociale d’entreprise devrait être renforcée en
obligeant les sociétés à publier des informations sur leur utilisation
de filiales offshore, et tout lien avec des territoires considérés
comme des paradis fiscaux. Pour cela, cependant, il faut que la
communauté internationale s’entende sur la liste de ces derniers.
Enfin, il conviendrait également de passer en revue les politiques
en matière de fixation des prix de transfert, afin de limiter les
occasions pour les multinationales de manipuler leurs déclarations
de bénéfices.
49. Afin d’améliorer la responsabilisation en matière de fiscalité
des entreprises et la divulgation des informations financières (notamment
sur les coûts, les bénéfices et les impôts versés) concernant des
activités commerciales dans des pays tiers, il conviendrait de procéder
à la reddition des comptes pays par pays pour ce qui est des comptes
d’entreprises multinationales dans tous les secteurs d’activités,
en particulier le secteur financier. La Commission européenne évalue
actuellement les options et les modalités à adopter pour mettre en
œuvre ce type d’obligations à l’égard des entreprises cotées en
Bourse dans l’Union européenne. Cette pratique devrait être généralisée
et pourrait être mise en place progressivement dans tous les Etats
membres du Conseil de l’Europe et pays membres de l’OCDE, ainsi
que pour les membres du G20.
50. En outre, le rapporteur aimerait proposer que les gouvernements
se livrent à un exercice de typologie pour déceler le type d’entreprises
immatriculées dans leur juridiction et qui ont l’habitude de contourner
leurs règles nationales, notamment en matière de fiscalité, et d’éviter
de se soumettre à une supervision ou un contrôle dignes de ce nom,
au niveau tant national qu’international. Certes, les pratiques
de concurrence fiscale pénalisantes sont progressivement éliminées
dans l’Union européenne, mais cette approche devrait aller plus
loin – avec le soutien d’autres organisations internationales (l’OCDE
ou encore le FMI, la Banque mondiale, etc.). Cela vaut également
pour l’examen de pratiques consistant à proposer des abattements fiscaux
pour certains types de revenus (intérêts, redevances, dividendes
et gains en capital) provenant de filiales étrangères
,
ce qui pourrait contribuer à réduire la pratique de la recherche
de la taxation optimale en fonction des pays («tax shopping»), le
nombre des sociétés boîte à lettres et les occasions de blanchir
de l’argent.
51. Comme des doutes sérieux pèsent sur l’efficacité de l’échange
d’informations à des fins fiscales «sur demande», les Etats devraient
commencer à passer à l’échange d’informations automatique, sous
réserve des sauvegardes appropriées en matière de protection des
données personnelles
.
L’OCDE pourrait éventuellement être un bon point de départ pour
commencer à construire la «coalition des volontaires» au niveau
mondial et accroître la pression sur les paradis fiscaux afin qu’ils
deviennent davantage coopératifs à cet égard. Nous devrions ajouter
que la simple conclusion de 12 accords sur l’échange d’informations
à des fins fiscales – le minimum requis par l’OCDE – est loin d’être
suffisante, étant donné que les paradis fiscaux signent souvent
ce type d’accord entre eux mais non avec des pays qui sont leurs
principaux partenaires commerciaux. Dans l’intervalle, les Etats
membres du Conseil de l’Europe qui n’ont pas encore adhéré au Forum
mondial (sur la transparence et l’échange informations à des fins
fiscales) devraient être vivement incités à envisager de le faire.
En outre, le processus du Forum mondial devrait être renforcé en
passant d’un examen par les pairs à un examen par des experts.
52. Nous devrions, à cet égard, nous réjouir des conclusions du
Sommet du G20 à Cannes (3-4 novembre 2011), à l’issue duquel les
dirigeants des pays du G20 se sont engagés à signer la Convention
multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en
matière fiscale, ont fortement encouragé d’autres juridictions à
y adhérer et ont décidé d’envisager d’échanger des informations
automatiquement sur une base volontaire le cas échéant et tel que
prévu dans la convention.
53. Comme l’a relevé le représentant de la Commission européenne
lors de l’audition de l’ancienne commission des questions économiques
et du développement (voir ci-dessus le paragraphe 11), l’échange automatique
d’informations fiscales exige des efforts supplémentaires en matière
de coopération interétatique, mais, pour les pays qui ont tenté
l’expérience sur la base du volontariat, c’est une solution qui
fonctionne sans heurts. Quoi qu’il en soit, l’Union européenne a
déjà prévu d’introduire l’échange automatique d’informations fiscales
entre ses Etats membres à compter de 2015, en laissant une marge
substantielle de souplesse aux Etats – qui pourront retenir les
modalités pratiques qui répondent le mieux à leurs besoins. En outre,
des négociations sont en cours avec des pays tiers européens (la
Suisse, le Liechtenstein, Andorre, Monaco, Saint-Marin, etc.) et
au-delà (notamment avec Singapour, Hong Kong et Macao) sur des questions
de concurrence fiscale, d’échange automatique d’informations en
matière fiscale et sur l’application extraterritoriale des outils
juridiques communautaires pertinents par le biais d’accords bilatéraux.
54. Les dispositions légales permettant de détenir des comptes
anonymes, la tenue d’une comptabilité hors bilan et les actions
au porteur
devraient
être abolies. Il est aussi extrêmement important de veiller à ce
que toutes les entités (y compris les fiducies et les fonds) soient
enregistrées et que leurs propriétaires effectifs soient déclarés,
en particulier pour ce qui est des flux de capitaux en provenance
ou à destination d’Etats membres du Conseil de l’Europe. Le rapporteur
partage pleinement la recommandation de la Banque mondiale/UNDOC
selon laquelle tous les registres d’immatriculation des entreprises
devraient fournir un ensemble d’informations standard sur les sociétés
immatriculées (par exemple des données sur les actionnaires, les
membres, les directeurs et sur l’historique) et permettre un accès
en ligne à ces informations.
55. Il faudrait envisager d’élargir l’action des cellules de renseignement
financier, afin qu’elles puissent aller au-delà des stratégies de
lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme
et puissent aussi traiter de la fraude fiscale. De même, les compétences
en matière d’investigation et la capacité des autorités fiscales
nationales doivent être renforcées – par des pouvoirs et des mandats
étendus, une formation adéquate, des ressources humaines et budgétaires
– pour permettre des contrôles et des poursuites plus efficaces
avec la bonne récupération des actifs mal acquis.
56. Les modèles actuels d’imposition concernant les multinationales
semblent à l’évidence favorables aux intérêts des pays riches. Pour
l’essentiel, ils drainent les recettes fiscales vers le pays de
«résidence» des multinationales (des fonds substantiels aboutissant
au passage dans des paradis fiscaux) plutôt que vers les pays source.
A la lumière de la déclaration du Sommet du G20 de Cannes, qui se
félicite que les pays en développement reçoivent de plus en plus
de soutien pour contrer les fixations abusives de prix des transferts, le
rapporteur suggère que l’OCDE et la Commission européenne explorent
des moyens de travailler ensemble en synergie en vue d’optimiser
les modèles de fiscalité existants et d’aider à maximiser les recettes
fiscales dans les pays où les multinationales réalisent une part
substantielle de leurs activités. Les Etats membres du Conseil de
l’Europe pourraient également recourir davantage au Comité d’experts
des Nations Unies sur la coopération internationale en matière fiscale
comme le forum approprié à la fois pour des activités normatives et
pour le soutien aux pays en développement dans leurs efforts pour
contrer les pratiques fiscales abusives.
57. Le rapporteur est en outre persuadé qu’il est nécessaire d’harmoniser
la politique fiscale des entreprises au niveau européen, par exemple
en adoptant la base fiscale consolidée commune en tant que premier
pas sur la voie de la taxation des bénéfices des compagnies multinationales
en fonction d’une formule qui tienne compte de la véritable substance
économique (chiffre d’affaires des ventes, actifs investis et emploi)
dans les divers pays où elles opèrent.
58. Le rapporteur estime également qu’il serait utile d’évaluer
la mise en œuvre de la Convention multilatérale concernant l’assistance
administrative mutuelle en matière fiscale telle qu’amendée par
le Protocole additionnel de 2010 et son entrée en vigueur en 2011.
L’Assemblée et le secteur intergouvernemental du Conseil de l’Europe
devraient également promouvoir avec détermination cet outil juridique,
en particulier au sein des Etats membres et auprès des juridictions
adeptes du secret.
5. Conclusions
59. Le grand public est de plus
en plus sensibilisé à la fraude, à l’évasion et à l’évitement fiscaux
et les actions ciblées menées à l’encontre de ces phénomènes révèlent
que les impôts non acquittés coûtent chaque année des milliards
aux budgets des Etats membres du Conseil de l’Europe. La fraude
massive des particuliers et des entreprises par l’intermédiaire
de paradis fiscaux et de centres financiers offshore se traduit
par une charge fiscale supplémentaire pour ceux qui paient, par
des finances publiques pressurées ainsi que par une réduction des
dépenses publiques dans des secteurs sociaux essentiels et dans
les investissements en infrastructures. Ce phénomène aggrave aussi
les distorsions macroéconomiques, l’instabilité financière et la concurrence
déloyale au niveau mondial. En mettant à profit l’élan dû à la crise
économique et financière planétaire, l’Europe devrait montrer l’exemple
et être activement chef de file pour lutter contre le secret bancaire
fiscal, les pratiques fiscales prédatrices, la concurrence fiscale
dommageable et le dumping réglementaire, non seulement sur son territoire,
mais également auprès de ses partenaires commerciaux dans le reste
du monde.