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Rapport | Doc. 12951 | 08 juin 2012

La jeune génération sacrifiée : répercussions sociales, économiques et politiques de la crise financière

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteur : M. Luca VOLONTÈ, Italie, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: Décision du Bureau, Renvoi 3832 du 23 janvier 2012. 2012 - Troisième partie de session

Résumé

L’instabilité économique durable qui frappe l’ensemble de l’Europe expose la jeunesse à des difficultés sans précédent. Le chômage, le sous-emploi, les inégalités socio-économiques, la pauvreté et l’exclusion frappent de manière disproportionnée la jeune génération, dont l’autonomie, la dignité, le bien-être et l’accès aux droits connaissent une érosion rapide. En conséquence, l’Europe risque non seulement de voir apparaître une «génération perdue» de jeunes désabusés, mais aussi de mettre à mal sa stabilité politique et sa cohésion, sa justice et sa paix sociales, tout autant que sa compétitivité et ses perspectives de développement sur le long terme dans le contexte mondial.

Le rapport affirme que les jeunes doivent être considérés à la fois comme un atout essentiel dans une Europe vieillissante et comme des acteurs cruciaux pour aider la société à surmonter la crise. Pour aller de l’avant et prospérer, l’Europe doit réactiver les mécanismes de solidarité entre les générations et mieux partager les pouvoirs politiques et socio-économiques avec la jeune génération. Il faut pour cela davantage soutenir les jeunes et investir dans cette génération, au moyen de choix et d’actions politiques appropriés.

Le rapport propose ainsi une série de mesures destinées à faciliter l’intégration des jeunes dans la société par le biais de la citoyenneté active, du dialogue social, d’un meilleur accès aux droits et d’un emploi durable. Cela implique notamment de renforcer les politiques de jeunesse et la participation, d’encourager la création d’emplois, d’améliorer les possibilités de formation tout au long de la vie et la protection sociale, ainsi que de stimuler l’esprit d’entreprise chez les jeunes et de créer des partenariats public-privé entre les acteurs sociaux.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 22 mai 2012.

(open)
1. Les jeunes sont un atout essentiel pour l’Europe. Les conditions doivent être créées pour qu’ils puissent participer pleinement à la prise de décisions, aux processus démocratiques et à l’établissement d’une société plus cohésive, prospère et juste. Or, les crises financière et économique, conjuguées à des problèmes structurels sous-jacents, menacent l’exercice effectif des droits par la jeune génération, dont l’autonomie, la dignité et le bien-être sont fortement touchés par des inégalités socio-économiques de plus en plus marquées. Dans certains pays, l’énorme dette publique, la spéculation financière et la crise économique mondiale obligent la jeune génération à faire de douloureux sacrifices.
2. L’Assemblée parlementaire dénonce la très sérieuse discrimination à l’encontre des jeunes et est profondément préoccupée par le fait que la jeune génération européenne se retrouve prise dans un engrenage disproportionné de chômage et de sous-emploi, de pauvreté et d’exclusion. Cette situation pourrait avoir des conséquences tragiques. Si l’on n’apporte pas des améliorations concrètes, l’Europe risque non seulement de voir apparaître une «génération perdue» de jeunes désabusés, mais aussi de saper sa stabilité politique et sa cohésion, sa justice et sa paix sociales, tout autant que sa compétitivité et ses perspectives de développement sur le long terme dans le contexte mondial.
3. A l’heure où l’Europe vieillissante a besoin du dynamisme des jeunes pour aller de l’avant et pour prospérer, les décideurs politiques ont le devoir d’agir rapidement et de façon déterminante pour offrir aux jeunes de réelles perspectives d’avenir – et pour faire face à la montée de l’extrémisme et à un sentiment d’aliénation de plus en plus répandu au sein de la société. L’Assemblée est convaincue que l’Europe doit réactiver les mécanismes de solidarité entre les générations et mieux partager les pouvoirs socio-économiques et politiques avec la jeune génération. Le meilleur investissement que l’Europe peut faire aujourd’hui, même en ces temps d’austérité, pour assurer sa vitalité future et une croissance de qualité, est d’apporter aux jeunes le soutien dont ils ont besoin.
4. S’agissant du défi majeur que pose l’emploi des jeunes, l’Assemblée réitère les propositions énoncées dans sa Résolution 1828 (2011) «La forte baisse du taux d’emploi des jeunes: inverser la tendance», et encourage vivement les parlements nationaux à s’assurer que des mesures sont prises en ce sens. Elle se félicite de la stratégie pour la création d’emploi dévoilée par l’Union européenne en avril 2012 et soutient fermement les propositions qui ont trait spécifiquement à la jeunesse.
5. L’Assemblée se réfère aux travaux de recherches de valeur effectués par ses institutions partenaires concernant les stratégies et les outils visant à améliorer l'intégration des jeunes sur le marché du travail et encourager les progrès dans la société. Elle est notamment convaincue de l'utilité de mettre en pratique les propositions de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), comme souligné dans les Perspectives de l’emploi de l’OCDE et les études sur les emplois pour les jeunes et les défis auxquels sont confrontés les marchés du travail européens, et recommande leur mise en œuvre.
6. De plus, l’Assemblée demande instamment aux Etats membres du Conseil de l’Europe:
6.1. concernant les politiques de jeunesse:
6.1.1. d’orienter les stratégies pour la jeunesse et les plans d’action sur une meilleure intégration des jeunes dans la société par une citoyenneté active, le dialogue social et des opportunités d’emploi durables;
6.1.2. d’assurer le plein accès des jeunes à tous leurs droits fondamentaux (y compris sociaux);
6.1.3. de garantir que les politiques de jeunesse figurent en tête des priorités politiques et reçoivent des ressources financières suffisantes;
6.1.4. de réaffecter à des projets, programmes et organismes consacrés à la jeunesse une partie du reliquat budgétaire non dépensé et des ressources supplémentaires générées par les ajustements du régime fiscal;
6.1.5. de mettre en œuvre des politiques favorables à la famille pour soutenir les jeunes parents, ainsi que les propositions contenues dans la Recommandation 1912 (2010) «Investir dans la cohésion familiale en tant que facteur de développement en temps de crise», dans la réponse du Comité des Ministres (Doc. 12450) et dans la Résolution 1864 (2012) «Tendances démographiques en Europe: transformer les défis en opportunités»;
6.1.6. de favoriser la mise en œuvre des propositions énoncées dans la Résolution 1778 (2010) et la Recommandation 1948 (2010) «Promouvoir le volontariat et le bénévolat en Europe» et dans la Résolution 1800 (2011) «Combattre la pauvreté»;
6.2. concernant l’employabilité et les compétences des jeunes, ainsi que le passage des études au travail et entre deux emplois:
6.2.1. de réorienter leurs politiques macroéconomiques vers la création d’emploi durable et l’investissement dans l’éducation, la formation et les programmes d’apprentissage tout au long de la vie, en privilégiant la qualité;
6.2.2. d’adapter leurs systèmes éducatifs afin de doter les jeunes d’un plus large éventail de compétences et de capacités linguistiques leur permettant de mieux correspondre aux besoins de marchés du travail en pleine évolution et au profil de multiples postes vacants dans toute l’Europe;
6.2.3. d’améliorer l’accès des jeunes à un enseignement de qualité, qui peut être mieux réalisé par une plus grande compétitivité des écoles à la fois dans les secteurs public et privé;
6.2.4. de supprimer les obstacles administratifs et fiscaux à la mobilité des jeunes motivée par les études, la formation et le travail, et stimuler la mobilité;
6.2.5. de stimuler l’esprit d’entreprise chez les jeunes grâce à un environnement propice, à des services de conseil, des avantages fiscaux, des subventions et microcrédits particulièrement conçus pour les jeunes;
6.2.6. de profiter de l'Année internationale des coopératives des Nations Unies (2012) pour encourager la création et le développement de coopératives de jeunes;
6.2.7. d’améliorer la reconnaissance à l’échelle européenne des qualifications professionnelles et de l’éducation non formelle;
6.2.8. de prévoir des incitations fiscales pour les employeurs qui proposent aux jeunes des formations en apprentissage tout en préservant les postes des travailleurs plus âgés, notamment à des fins de transmission intergénérationnelle des compétences en milieu professionnel;
6.2.9. d’approuver et de promouvoir la mise en œuvre de la Charte européenne pour la qualité des stages et des apprentissages dans le contexte national;
6.3. concernant la protection sociale:
6.3.1. de soutenir la mise en œuvre de programmes nationaux de «garantie pour la jeunesse» pour s’assurer qu’aucun jeune ne se retrouve, contre son gré, sans emploi ni enseignement ou formation durant plus de quatre mois;
6.3.2. de garantir l’égalité des chances pour que les jeunes puissent faire leur choix en toute liberté et aient réellement accès à une éducation de qualité grâce au recours systématique aux bourses d’études en fonction des ressources familiales;
6.3.3. d'améliorer la couverture fournie par la sécurité sociale publique et d'encourager plus largement le recours aux régimes de pensions privés à l’égard des jeunes travailleurs se trouvant dans des situations d'emplois temporaires, mal rémunérés ou autres formes d’emplois précaires;
6.3.4. d’assurer l’accès aux prestations sociale des jeunes à la recherche d’un premier emploi;
6.4. concernant la promotion d’une citoyenneté active et du dialogue social:
6.4.1. de faire meilleur usage des nouveaux moyens de communication, de la consultation et de la représentation institutionnelle (y compris les conseils de jeunesse, les organisations de jeunesse et les parlements de jeunes), en vue d’établir des modèles sociaux plus collaboratifs qui permettent aux jeunes de s’exprimer et tiennent dûment compte de leur contribution;
6.4.2. de favoriser le dialogue social pour traiter les problèmes auxquels sont confrontés les jeunes, par le développement de partenariats public-privé entre les établissements d’enseignement, les entreprises, les pouvoirs locaux, les syndicats, les agences de l’emploi et les services sociaux;
6.4.3. d'envisager de mettre en place des fonds de soutien multifonctionnels à la jeunesse pour pouvoir octroyer davantage de bourses aux étudiants, encourager la création d’entreprises «start-up» par de jeunes entrepreneurs et promouvoir les projets d'inclusion sociale pour la jeune génération.
7. L’Assemblée décide d’utiliser régulièrement ses débats sur «la situation des droits de l’homme et de la démocratie» et d’autres dispositifs de suivi existants prévus dans les instruments juridiques du Conseil de l’Europe pour évaluer les progrès enregistrés et l’efficacité des mesures prises par les Etats membres afin d’améliorer l’accès aux droits sociaux, notamment pour les segments les plus vulnérables de la population, comme les jeunes en général, et les jeunes handicapés ou les plus marginalisés, en particulier.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet de recommandation
adopté à l’unanimité par la commission le 22 mai 2012.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire, se référant à sa Résolution … (2012) sur la jeune génération sacrifiée: répercussions sociales, économiques et politiques de la crise financière, invite le Comité des Ministres à porter cette résolution à l’attention des Etats membres, en particulier à l’occasion de la 9e Conférence du Conseil de l’Europe des ministres responsables de la jeunesse (Saint-Pétersbourg, Fédération de Russie, 23-25 septembre 2012) et du Forum mondial de la démocratie (Strasbourg, 5-11 octobre 2012), y compris l’Assemblée des jeunes (5-7 octobre 2012), et à promouvoir sa mise en œuvre.
2. De plus, l’Assemblée demande au Comité des Ministres d’aider les Etats membres à moderniser leurs systèmes juridiques et institutionnels dans la mesure où ils ont trait aux politiques de jeunesse, en vue d’améliorer la coopération européenne et l’efficacité des dispositifs pour favoriser l’accès des jeunes aux opportunités et aux droits socioéconomiques inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et dans la Charte sociale européenne révisée (STE no 163).
3. L’Assemblée recommande également au Comité des Ministres:
3.1. d’accélérer l’examen du projet de recommandation aux Etats membres sur l’accès aux droits sociaux pour les jeunes de quartiers défavorisés, en vue de son adoption et de sa présentation aux ministres responsables de la jeunesse pendant leur conférence à Saint-Pétersbourg;
3.2. s’examiner à nouveau la proposition de rédiger une convention-cadre européenne relative aux droits des jeunes, comme le proposent l'Assemblée dans sa Recommandation 1978 (2011) ainsi que les diverses organisations de jeunesse européennes;
3.3. s’associer étroitement le Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud) et la Banque de développement du Conseil de l’Europe à la promotion des politiques axées sur la jeunesse et des mesures de renforcement des capacités, en particulier dans le cadre de la stratégie de voisinage du Conseil de l’Europe dans les pays situés au sud et à l’est de la Méditerranée;
3.4. d’exhorter le secteur de la jeunesse et le Service de la cohésion sociale et de la diversité à préparer des propositions de nouveaux projets menés conjointement avec l’Union européenne, en vue d’améliorer l’accès des jeunes aux droits sociaux, économiques et politiques.

C. Exposé des motifs, par M. Volontè, rapporteur

(open)

1. Introduction: la jeune génération, otage de la crise financière

La crise économique prouve bien l’importance d’inaugurer une nouvelle ère pour une activité économique mondiale durable, basée sur la responsabilité. Extrait de la Déclaration finale, Sommet du G20, 29 septembre 2009, Pittsburgh.

If today’s youth do not find prospects for their lives, our today is mistaken and wrong. Pope Benedict XVI, World Youth Day, 19 August 2011, Madrid.

1. Il est largement reconnu que la jeune génération est un atout essentiel pour toute société, quelle qu’elle soit. Cependant, il est tout aussi évident que les jeunes paient un lourd tribut à la crise que nous connaissons aujourd’hui. Dans le contexte actuel marqué par l’instabilité économique, la jeune génération semble particulièrement vulnérable aux chocs économiques. Les jeunes sont les derniers à être embauchés et les premiers à être licenciés 
			(3) 
			«Global
employment trends for youth: 2011 update», Organisation internationale
du travail (OIT), octobre 2011., et il ne fait aucun doute que la crise économique a mis en exergue leur fragilité sur le marché de l’emploi. L’insécurité sociale, le désenchantement à l’égard de la politique et de la démocratie, la pauvreté, le désengagement de la vie politique et l’émigration sont autant de conséquences des problèmes d’emploi auxquels les jeunes sont confrontés. Les manifestations qui ont éclaté dans le monde entier témoignent de l’insatisfaction des jeunes face à leurs perspectives sociales limitées en regard de celles des générations précédentes.
2. Au cours des débats tenus en novembre dernier au sein de la Commission permanente de l’Assemblée, les membres de la commission ont souligné que les difficultés rencontrées par cette jeune génération révèlent toute une série de problèmes structurels dans la société: l’érosion de l’accès à l’emploi, au logement et aux prestations sociales et l’absence de perspectives de développement qui en résulte; l’impossibilité pour bon nombre de jeunes de poursuivre leurs études dans la filière de leur choix et de trouver un emploi convenable dans leur pays d’origine; l’émigration massive de jeunes éduqués et hautement qualifiés vers des économies plus dynamiques, hors d’une Europe vieillissante; et pour finir, la perte de confiance des jeunes en la démocratie en raison du manque de solidarité intergénérationnelle. Un membre de la commission a tiré la sonnette d’alarme sur l’absence totale d’espoir et d’accès aux emplois et aux avantages sociaux, qui pourrait être source de frustration et mener à la violence contre les autorités. Il est donc urgent que l’Europe s’attaque à ces problèmes et qu’elle s’emploie à autonomiser la jeune génération en mettant l’accent sur les droits sociaux, économiques et politiques des jeunes défavorisés.
3. A la lumière de ces problèmes graves, le rapporteur se propose d’examiner les défis sociaux, politiques et économiques auxquels sont confrontées la jeune génération et la société tout entière. Le présent rapport se fonde sur l’examen de documents directifs officiels, de statistiques et d’articles scientifiques, ainsi que sur les échanges de vues tenus avec des experts, notamment lors de l’audition organisée par la commission le 22 mars 2012 et lors de la partie de session d’avril 2012. Le rapport vise à développer un ensemble de recommandations concrètes pouvant contribuer à bâtir une société plus inclusive, dans laquelle chaque citoyen, quel que soit son âge, serait en mesure de vivre dans la dignité et de participer pleinement à cette entreprise commune.

2. Faire face à la crise: aperçu des défis pour l’Europe et ses jeunes

2.1. La croissance et le développement ont besoin des jeunes

4. L’Assemblée a de nombreuses raisons d’être profondément préoccupée par les difficultés croissantes qui se posent à la jeune génération, et pas uniquement pour des raisons d’équité et de justice sociale. L’Europe gagnerait beaucoup à faire un meilleur usage de la richesse des connaissances, de l’enthousiasme et des capacités d’innovation indéniables des jeunes. Le manque de dynamisme de la croissance européenne ces dernières années n’est que le reflet des opportunités manquées et de la diminution des perspectives des jeunes de contribuer au développement économique et social.
5. L’Europe est-elle un continent pour les jeunes? En d’autres termes, notre continent peut-il sortir de la crise sans donner la priorité à des politiques visant à soutenir les jeunes et à les intégrer dans le monde du travail? Peut-on garantir les retraites des anciennes générations sans offrir des emplois aux jeunes? L’Europe peut-elle croître et prospérer sans la contribution des jeunes? A l’occasion du Forum économique mondial qui s’est tenu à Davos en janvier 2012, de nombreux dirigeants européens se sont ralliés à l’appel à l’action des responsables de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) en faveur de la création d’emplois. Ils ont tiré la sonnette d’alarme au sujet du chômage des jeunes, une véritable bombe à retardement qui menace l’économie mondiale. Il suffit en effet d’une étincelle, comme cela a été le cas en Tunisie, pour embraser toute une région. Les élites politiques de l’Europe ne peuvent pas se permettre d’ignorer ces avertissements.
6. Aujourd’hui, on considère bien trop souvent les jeunes comme un problème à résoudre et non comme un atout. Or, le rapporteur est convaincu que la crise économique actuelle constitue à la fois un défi et une opportunité pour l’Europe, et que tous les jeunes Européens ont un rôle majeur à jouer pour surmonter la crise. En effet, comme l’a fait remarquer le président de la Banque centrale européenne, il ne peut y avoir de croissance économique en Europe sans les jeunes, et sans la croissance, les jeunes ne peuvent rien faire. Il est essentiel de tirer pleinement parti de la contribution que les jeunes peuvent apporter à la poursuite du développement économique et à la modernisation de la société. Le savoir des jeunes est fondamental pour construire une économie fondée sur le savoir; ce capital humain, qui a été une composante essentielle de la croissance ces vingt dernières années, doit être porté à son maximum.
7. L’un des aspects les plus préoccupants de la crise actuelle est l’inefficacité apparente des mesures de soutien et des modèles de protection sociale traditionnels. La crainte d’une récession rampante crée un climat général d’incertitude, qui touche principalement les couches de la société ayant le moins de garanties sociales, et plus particulièrement les personnes qui vivent en marge du système de protection et en dehors du réseau permettant de maintenir les droits acquis. Malheureusement, ce sont précisément les jeunes sans qualifications professionnelles solides qui se trouvent confrontés aux perspectives d’avenir les plus incertaines. Les stratégies individuelles jouent un rôle de plus en plus déterminant dans ce domaine, à côté des mesures prises par les autorités pour mieux réguler le marché et assurer le respect des règles établies: en effet, la motivation des individus compte pour beaucoup, de même que leur capacité à trouver des ressources pour investir dans leur éducation et leur formation, à définir leurs projets professionnels et à se tourner vers des professionnels qualifiés pour renforcer leurs compétences.
8. L’incertitude provoquée par la crise est source de désenchantement, en particulier chez les jeunes au chômage: face aux opportunités limitées qui s’offrent à eux, ils sont tentés d’abandonner toute recherche d’emploi. Le désir d’accomplissement de soi – qui est si fort chez les jeunes et constitue une aspiration fondamentale de tout être humain – semble s’évanouir, bien que l’on observe également une crise du modèle ultralibéral et d’hyperconsommation. Cela dit, les attitudes dominantes restent dictées par le cycle productivité-consommation et non par la quête de la dignité humaine. Toujours est-il qu’il n’est absolument pas question de laisser s’installer le renoncement à l’épanouissement personnel et à la croissance. L’Europe peut vaincre la crise moyennant des choix personnels et collectifs dont les fondements doivent être établis par ses institutions.

2.2. Vieillissement, chômage, pauvreté, exclusion sociale, migration: appauvrissement et perte de démocratie en Europe

9. La situation de l’Europe connaît aujourd’hui des changements radicaux et rapides. La société européenne est une société vieillissante qui connaît un déclin démographique en raison de faibles taux de natalité et d’une émigration pour des raisons économiques. Les jeunes (âgés de 15 à 29 ans) représentent aujourd’hui 20 % de la population européenne et n’en constitueront plus que 15 % en 2050, lorsque les personnes âgées (plus de 65 ans) seront deux fois plus nombreuses que la population en âge de travailler (15-64 ans). Principale conséquence de ces changements démographiques, les jeunes deviennent minoritaires et leur voix est de moins en moins entendue au sein du système démocratique. En outre, avec la baisse du nombre de cotisants, le montant des dépenses publiques consacrées aux retraites augmente de manière disproportionnée, ce qui constitue une menace pour la pérennité des systèmes de retraite. Ce déclin démographique de l’Europe doit être inversé au moyen de stratégies qui renforcent le taux d’activité des groupes de population sous-utilisés ou exclus, notamment les jeunes, et de politiques en faveur de la famille, qui réduisent la précarité économique et qui améliorent l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée 
			(4) 
			Voir le rapport de
Mme Nursuna Memecan intitulé «Tendances
démographiques en Europe: transformer les défis en opportunités», Doc. 12817, et la Résolution
1864 (2012)..
10. Le chômage des jeunes a connu une augmentation spectaculaire dans la plupart des pays développés, notamment en Europe: à cet égard, le taux de chômage des jeunes est le principal indicateur des difficultés rencontrées par ce que l’on appelle la «génération des limbes». Sur un plan général, les jeunes ont quasiment trois fois plus de risques de connaître le chômage que les autres adultes. Ce fléau touchait 12,7 % des jeunes économiquement actifs dans le monde avant le début de la crise économique. Alors qu’avant 2007, le taux de chômage des jeunes était relativement stable compte tenu des nouveaux emplois créés entre 1996 et 2006, il a considérablement augmenté depuis 2008. Selon les rapports de l’Organisation internationale du travail (OIT), en 2011, 74,8 millions de jeunes âgés de 15 à 24 ans étaient sans emploi, soit une augmentation de plus de 4 millions depuis 2007 ou de 1 % par rapport au niveau d’avant la crise 
			(5) 
			«Global Employment
Trends 2012», OIT.. Dans les pays de l’Union européenne, le taux de chômage des jeunes a atteint un niveau record de 22,4 %, à comparer à la moyenne de 10 % pour la population en âge de travailler. Près de la moitié des jeunes qui travaillent (42 %) ont des contrats temporaires, contre 11 % chez les 25-59 ans.
11. Cette situation de l’emploi, la plus catastrophique depuis des décennies, a causé un réel traumatisme social et économique qui menace le développement à long terme de la société. La crise financière et économique se transforme en une crise sociale. L’explosion du travail sous contrat temporaire, par exemple, crée une génération de jeunes qui occupent des emplois précaires assortis de garanties sociales limitées, d’où leurs difficultés pour accéder au logement et fonder une famille. Dans les faits, la montée de la précarité engendre un sous-emploi persistant, entretient leur insécurité sociale et financière ainsi qu’un cadre social qui leur est de plus en plus étranger.
12. Cette crise sociale produit une génération de personnes qui n’ont plus les moyens de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles, ni à ceux des personnes âgées. Bien que les jeunes Européens aient un niveau d’instruction supérieur à celui de leurs parents, leurs conditions de vie seront pires que celles connues par toutes les générations précédentes depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et ils auront plus longtemps besoin du soutien de leurs parents avant d’accéder à une autonomie stable. De plus en plus de jeunes souffrent aujourd’hui d’exclusion sociale, de dépression ou de problèmes de santé, et connaissent des taux de criminalité, d’incarcération et de suicide relativement élevés. D’un autre côté, les jeunes ambitieux hésitent moins que les générations précédentes, liés par leurs engagements familiaux et professionnels, à chercher des opportunités loin de leur pays d’origine. Les problèmes des jeunes se traduisent donc par des coûts directs pour la société, sous la forme de prestations supplémentaires à verser, de pertes de recettes fiscales et de capacités non exploitées, ainsi que par des coûts indirects dus à l’émigration et à ses effets collatéraux sur le marché de l’emploi.
13. En période de récession économique, les jeunes migrants sont particulièrement vulnérables. Leurs mouvements au-delà des frontières nationales étant à la fois une expression et une conséquence de la mondialisation, leur vulnérabilité augmente à mesure que le ralentissement économique prend une tournure planétaire. Cette situation accroît les inégalités qui, à leur tour, affaiblissent la cohésion sociale et la démocratie sur tout le continent européen. Le déclin de la participation politique de la jeune génération se traduit par de faible taux de participation électorale et d’adhésion à des partis politiques, un désintérêt pour la politique et un manque de confiance dans les institutions représentatives. Les jeunes sont en effet peu motivés à participer à un système de gouvernance qui se montre incapable de défendre leurs intérêts. La jeune génération sombre dans une apathie politique lente et progressive, laissant les fondements de la démocratie instables et chancelants dans toute l’Europe.

2.3. Evolution des marchés de l’emploi et perte de compétitivité en Europe

14. La crise financière et économique a accéléré les réformes du marché de l’emploi qui étaient en cours dans de nombreux pays européens pour faire face à la mondialisation 
			(6) 
			Comme les réformes
Hartz du début des années 2000 en Allemagne et les cycles de libéralisation
successifs en Espagne en 1994, 1997, 2001-2002 et 2006, ainsi que
le train de réformes le plus récent en 2012. et accentué leurs effets sur les jeunes. Bien que l’ouverture croissante des marchés de l’emploi nationaux, la mobilité accrue des travailleurs et demandeurs d’emploi et la flexibilité de plus en plus importante des politiques en matière de contrats devienne la nouvelle norme 
			(7) 
			La flexicurité est
devenue la principale stratégie de l’Union européenne en matière
d’emploi ces dix dernières années. Avec les crises financières et
économiques mondiales, il a été démontré qu’elle augmente la segmentation
de la population active entre les travailleurs «installés» (travailleurs
relativement protégés) et les travailleurs «en marge» (population
relativement mal protégée: chômeurs, travailleurs intermittents
ou précaires et groupes vulnérables, y compris les jeunes). La discussion
autour des politiques publiques pose la question de savoir si cette
stratégie de flexicurité est encore valable en ces temps économiques
difficiles, dans un contexte où la création de postes est limitée., certains remettent en cause la libéralisation totale du marché de l’emploi en raison de ses nombreuses conséquences sociales indésirables. Avec la crise, il y a eu bien plus de suppressions que de créations d’emploi: le réservoir d’emplois s’est donc restreint tandis que le nombre de chômeurs de longue durée dans toutes les classes d’âge a atteint des niveaux sans précédent. En dépit de l’assouplissement des réglementations relatives au marché de l’emploi dans de nombreux pays européens, les employeurs, face à des perspectives de croissance médiocres, hésitent à recruter des jeunes n’ayant que peu ou pas d’expérience professionnelle, d’où la nécessité accrue d’une formation continue.
15. Selon la Commission européenne, on compte environ quatre millions de postes vacants dans les pays de l’Union européenne: ces postes en attente d’être pourvus pourraient certainement contribuer à réduire le chômage des jeunes. La Commission européenne estime en outre que les Etats membres ont un énorme potentiel encore inexploité de création d’emploi d’ici à l’horizon 2020, qui se chiffrerait à plus de 20 millions de postes dans l’économie verte et les secteurs de la santé et des nouvelles technologies. En avril 2012, le Commissaire de l’Union européenne chargé de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion a dévoilé un ambitieux «paquet emploi» 
			(8) 
			Voir le communiqué
de la Commission européenne «Vers une reprise génératrice d’emplois»,
Com(2012)173final du 18 avril 2012.. Ce train de mesures contient des propositions visant à réduire la pression fiscale pour favoriser l’embauche et la création d’entreprises, à renforcer les stratégies de planification et de recrutement concernant le personnel de santé, à promouvoir les compétences numériques et les compétences «vertes», à réduire l’inadéquation des compétences, à parfaire les stratégies contractuelles et à favoriser la mobilité de la main-d’œuvre par la suppression des obstacles d’ordre juridique et pratique à la libre circulation des chercheurs d’emploi en Europe et par le lancement, en 2013, d’un portail européen proposant des offres d’emploi et des services de placement et de recrutement. Il incombe maintenant aux Etats de relever le défi en concevant des stratégies nationales pour offrir plus de perspectives d’emploi aux jeunes.
16. Une étude récente 
			(9) 
			«Young
people and NEETs in Europe: first findings», Fondation européenne
pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, 20 décembre 2011. sur la situation dans 21 pays de l’Union européenne a montré que les jeunes les plus marginalisés (ceux qui ne sont ni étudiants, ni employés, ni en formation, que l’on appelle en anglais les «NEETS» pour «Not in Education, Employment or Training») coûtent chaque année quelque 100 milliards d’euros – soit près de 1 % du PIB moyen – en ressources perdues (manque à gagner) et qu’ils constituent une charge supplémentaire pour les budgets publics (due à des prestations d’aide sociale supplémentaires, dépenses de justice pénale, etc.). Le groupe des NEET représentait en 2010 près de 13 % des jeunes (âgés de 15 à 24 ans) – soit 7,5 millions de jeunes – dans l’Union européenne. A l’autre extrême, on trouve de nombreux jeunes diplômés qui ont été formés pour un monde professionnel qui n’existe plus: la société n’étant pas en mesure de leur proposer des offres d’emploi adaptées, elle ne récupère pas en termes de compétitivité future son investissement dans l’éducation de ces jeunes.
17. Par conséquent, il n’est pas surprenant qu’un nombre important de jeunes Européens envisagent de fuir (ou l’ont déjà fait) la situation économique et sociale désastreuse provoquée par la crise financière et les programmes d’austérité dans leur pays d’origine, situation qui entraîne inévitablement une hausse des inégalités – perçues ou réelles – sur le marché de l’emploi. L’une des conséquences de cette émigration est le risque de voir une pénurie de jeunes sur le marché de l’emploi dans certains pays (par exemple en Europe de l’Est et du Sud) et une saturation dans d’autres. L’émigration économique des jeunes liée à la crise peut avoir des effets positifs comme négatifs pour le pays d’accueil et le pays d’origine. Il est donc primordial d’encourager la création de postes, de faciliter l’intégration des jeunes travailleurs et d’offrir aux jeunes spécialistes de meilleures perspectives d’emploi à long terme pour limiter ce type de migrations et obtenir un résultat bénéfique pour tous.
18. Pour les pays d’accueil, principalement en Europe occidentale ou du Nord, les jeunes immigrants présentent bien des avantages. Ils acceptent souvent des emplois que, pour diverses raisons, les habitants du pays d’accueil n’exercent pas ou ne peuvent exercer. En outre, les jeunes travailleurs migrants travaillent souvent pour des salaires plus bas, apportent de nouveaux talents et compétences et peuvent contribuer à la diversité de la société d’accueil, ce qui favorise la tolérance et la compréhension. Néanmoins les migrations de la jeune génération présentent également de nombreux inconvénients: les immigrants peuvent être exploités car ils constituent une main d’œuvre bon marché; les pays d’Europe du Sud et de l’Est peuvent souffrir d’un exode des compétences et d’une perte de compétitivité car les ressources qu’ils consacrent à l’éducation et à la formation de leurs étudiants ont des retombées ailleurs; des tensions et hostilités peuvent également apparaître en cas d’exploitation des sensibilités par des extrémistes reprochant aux immigrés d’être la source de tous les maux de la population locale ou de bénéficier d’un supposé meilleur traitement que les plus démunis au niveau local.
19. Pour aller plus loin, nous devrons nous pencher très sérieusement sur le problème de la fuite des cerveaux, qui peut être considérée comme une forme de fuite du capital et de perte de compétences, notamment lorsque les jeunes migrants acceptent dans leur pays de destination des emplois qui ne sont pas à la hauteur de leurs qualifications tandis que leur pays d’origine manque de personnes qualifiées. La perte des talents est potentiellement dévastatrice pour toute l’Europe, mais la situation devient particulièrement préoccupante dans les pays baltiques et méditerranéens où, ces dernières années, le phénomène de l’exode des compétences prend des proportions critiques sous l’effet de la crise et des perspectives peu encourageantes d’amélioration économique tangible. Cette vague d’émigration récente est différente des précédentes car cette fois, ce sont des travailleurs ayant suivi des études universitaires qui sont les premiers à quitter leur pays.
20. L’Europe souffre de l’exode des compétences à bien des égards. En Espagne, par exemple, où près d’un jeune sur deux est au chômage, la plupart de ceux qui parviennent à trouver un emploi doivent vivre avec un bas salaire (on les appelle les «mileuristas» car leur salaire mensuel est de 1 000 euros). Ceux qui décident d’aller à l’étranger pour y trouver un emploi satisfaisant se tournent en premier lieu vers l’Europe (principalement vers la Norvège, l’Allemagne et le Royaume-Uni, où l’économie est relativement saine), mais bon nombre d’entre eux vont plus loin, vers l’Amérique latine, le Brésil, la Chine, les Etats-Unis, l’Australie ou encore les pays du Golfe. Selon les estimations, l’Espagne perdra près de 500 000 de ses résidents dans les dix prochaines années, alors que le solde migratoire du pays est déjà négatif.
21. En Irlande, l’émigration des jeunes a doublé depuis 2005. Les mêmes tendances s’observent en Grèce et au Portugal. Plus de 65 000 personnes quittent le Portugal chaque année, la majorité d’entre elles choisissant comme destination d’anciennes colonies comme l’Angola, où les salaires sont élevés pour les diplômés de l’université. De même, des milliers de jeunes Français quittent chaque année leur pays pour le Québec, province francophone du Canada. Le Royaume-Uni est également l’un des principaux pourvoyeurs de jeunes migrants vers le Canada, tandis que les Etats-Unis attirent depuis un bon moment déjà des professeurs d’université et jeunes scientifiques européens, sous-payés dans leur pays d’origine.
22. Parmi les facteurs qui incitent les jeunes à émigrer, au sein des frontières européennes ou au-delà, se trouvent l’inquiétude à propos de perspectives d’emploi et de promotion insuffisantes, les structures de management rigides, les infrastructures inadéquates, la charge de travail élevée en dépit de faibles salaires, la dégradation des conditions de vie, la pauvreté, les politiques d’emploi défavorables, le manque de soutien public et le sentiment d’insécurité croissant.

2.4. Nord-Sud, Est-Ouest: quelles différences?

23. La situation des jeunes est très inégale de par l’Europe et il convient de tenir compte de grandes divergences d’un pays à l’autre. Le taux de chômage des jeunes a connu une forte augmentation depuis 2007: toutefois, il reste inférieur à 10 % en Allemagne, en Autriche, en Norvège et aux Pays-Bas, alors que dans la plupart des autres pays européens, en particulier au sud, il est bien supérieur à 20 %, voire 30 %. En outre, les taux de chômage sont plus élevés chez les jeunes femmes que chez les jeunes hommes dans les pays d’Europe du Sud, et continuent de grimper. Le taux de chômage des jeunes est particulièrement inquiétant en Espagne (51,4 %), dans les Etats des Balkans (plus de 50 % en Bosnie-Herzégovine, en Albanie, au Monténégro, en Serbie, dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et au Kosovo 
			(10) 
			Toute
référence au Kosovo mentionnée dans ce texte, que ce soit le territoire,
les institutions ou la population, doit se comprendre en pleine
conformité avec la Résolution
1244 du Conseil de Sécurité des Nations Unies et sans préjuger
du statut du Kosovo.), en Grèce (51,2 %), en République slovaque (36 %), au Portugal (35,1 %), en Lituanie (34,4 %), en Italie (31,1 %), en Lettonie (29,9 %) et en Irlande (29,6 %) 
			(11) 
			Communiqué de presse
d’Eurostat 31/2012 du 1er mars 2012.
Les données relatives aux Etats des Balkans se fondent sur les informations
obtenues des offices nationaux de la statistique sur la situation
en 2010-2011.. On peut, dès lors, se poser de sérieuses questions quant au bien-fondé des choix politiques et des mesures d’austérité adoptées par ces pays pour lutter contre la crise économique.
24. Il est également préoccupant de constater, parallèlement à l’augmentation générale du chômage des jeunes, une hausse du chômage de longue durée des jeunes. Ce phénomène, que tous les chercheurs jugent aujourd’hui crucial dans le ralentissement du développement, renforce le sentiment d’insécurité et d’incertitude chez les jeunes (c’est à la fois l’effet et la cause du manque de confiance dans l’investissement et la prise de risques). Parmi les dangers les plus insidieux auxquels le continent européen est aujourd’hui confronté, se trouve celui de l’absence de vision à long terme, qui nous empêche de nous projeter au-delà du lendemain. Nous risquons de couper les ailes aux jeunes à un moment de leur vie où leur dynamisme, leur volonté de s’engager et leur créativité sont plus forts que jamais.
25. La crise a-t-elle épargné certains pays et leur jeunesse? La prospérité de l’Allemagne en dépit de la crise est largement enviée et le modèle «allemand» est souvent cité en exemple à suivre par d’autres pays européens, notamment ceux du Sud, qui tentent laborieusement de réduire le chômage des jeunes, de renforcer la protection de la jeunesse et la compétitivité. Cependant, de nombreux détracteurs avancent que certaines réformes structurelles du marché du travail ayant facilité la création de nouveaux emplois ont également développé les emplois précaires, notamment pour la jeune génération: les contrats temporaires et peu rémunérés ont accru les inégalités salariales et les jeunes travailleurs allemands sont fréquemment sous-payés comparativement à leurs pairs d’autres pays européens d’un niveau de vie équivalent.
26. Outre le fait qu’il n’existe pas de salaire minimum en Allemagne, entre 2005 et 2010 les emplois à bas salaires ont progressé trois fois plus vite que les autres types de contrat. Dans ce pays, certains postes peuvent être très peu rémunérés, en particulier dans les régions de l’Est, et le nombre de travailleurs pauvres a considérablement augmenté (7,2 % des travailleurs gagnent si peu qu’ils étaient en 2010 très proches du seuil de pauvreté, alors qu’ils n’étaient que 4,8 % en 2005) même si leur pourcentage demeure inférieur à la moyenne de la zone euro (8,2 %).
27. En réponse à la crise, de nombreux gouvernements européens ont, ces deux dernières années, pris diverses mesures, dont le gel ou les coupes dans les dépenses publiques (comme en Espagne, en Grèce, en Hongrie, en Irlande, en Italie, en Lettonie, en Lituanie, au Portugal, en Roumanie, etc.), les réformes des systèmes de retraite et les modifications de la structure des prestations et allocations sociales. Ces mesures affectent tant les investissements des secteurs privé et public dans le capital social que la vie de millions de citoyens. Certains économistes doutent sérieusement de la pertinence de ces plans de rigueur, qui risquent de marquer durablement la société en général et la jeune génération en particulier.
28. Globalement, la participation des jeunes à la vie politique a connu un déclin en Europe ces dernières années, même si les tendances diffèrent selon les pays et les régions. D’après une étude de l’European Social Survey, dans tous les pays européens la participation électorale des jeunes est inférieure au taux de participation global. Par ailleurs, une analyse de la participation aux élections nationales menée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montre une nette tendance à la baisse de la participation de la jeune génération dans bon nombre de pays d’Europe occidentale, notamment l’Autriche, la Finlande, la France, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni. La situation est contrastée dans la majorité des autres pays et seuls certains pays scandinaves n’enregistrent pas de changements significatifs.
29. Ce déclin, ainsi qu’un comportement hésitant, sont les signes manifestes de l’impact de la crise sur la confiance des jeunes dans les institutions et la politique. Selon une étude récente réalisée par Gallup Organisation, 20 % des jeunes européens n’ont pas voté aux élections locales, nationales ou européennes ces trois dernières années. Par ailleurs, diverses enquêtes sociales 
			(12) 
			European
Social Survey, 2010. laissent entrevoir que deux jeunes Européens sur trois ne s’intéressent pas à la politique; en Europe de l’Est, la plupart des jeunes se désintéressent davantage aujourd’hui de la vie politique qu’il y a une vingtaine d’années, tandis que le militantisme politique croît en Europe du Sud (notamment en France, en Espagne, en Italie et en Roumanie) et en Irlande et reste relativement élevé en Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas.
30. L’adhésion des jeunes à des organisations politiques, par exemple des partis ou des syndicats, suit la même tendance: si le niveau de participation demeure particulièrement élevé dans les pays scandinaves, il connaît une diminution considérable dans le sud de l’Europe. Par ailleurs, le nombre de jeunes (de moins de 30 ans) siégeant au Parlement varie de zéro dans des pays tels que la France, Malte, Chypre, la Grèce et le Liechtenstein à 6,7 % aux Pays-Bas et 8,9 % en Estonie 
			(13) 
			«Youth
participation in policy making» par Manfred Zentner, Vienne, novembre 2011,
dans le cadre du partenariat entre la Commission européenne et le
Conseil de l’Europe dans le secteur de la jeunesse.. Le groupe des NEET est généralement – et souvent beaucoup – moins engagé dans la politique et les structures sociales.
31. L’étude met en lumière l’existence d’un lien manifeste entre la participation politique de la jeune génération, le niveau de vie et la socialisation politique par l’environnement familial. Alors que le désintérêt et le sentiment de frustration à l’égard de la politique touchent davantage les formes conventionnelles de participation, des modes alternatifs d’engagement politique et social mobilisent les jeunes du monde entier. Depuis le début de la crise économique, on observe dans certains pays européens une montée inquiétante de mouvements extrémistes et xénophobes qui cherchent à attirer les jeunes marginalisés. Les résultats des récentes élections législatives confirment cette tendance. Les Résolutions 1826 (2011) «Renforcement de la démocratie par l’abaissement de la majorité électorale à 16 ans» et 1874 (2012) «La promotion d’une citoyenneté active en Europe» de l’Assemblée insistent sur l’importance d’encourager la participation des jeunes aux décisions politiques par l’abaissement de la majorité électorale à 16 ans et de favoriser le dialogue démocratique à l’échelon local (y compris par le biais des conseils et parlements de jeunes) comme moyen de promouvoir une citoyenneté active.

3. De la protestation sociale à la confrontation politique

32. Certains avancent que le taux de chômage élevé et la situation économique déplorable ont réveillé la jeune génération. Ainsi, des mouvements de protestation ont éclaté contre l’establishment politique, jugé incapable de représenter convenablement les besoins de larges fractions de la population. Le Printemps arabe, au début de l’année 2011, la révolution silencieuse islandaise et le mouvement des Indignés (Indignados) en Espagne (qui a commencé en mai 2011) ont ouvert la voie à des manifestations massives de protestation sociale partout dans le monde, y compris le «Geração à Rasca» portugais («génération à la traîne»), les manifestations en Grèce, Stuttgart 21, le mouvement de contestation «Occupy Wall Street» («Occupons Wall Street») et les manifestations estudiantines autrichiennes, britanniques et françaises. Des rassemblements de contestation ont été organisés le 15 octobre 2011 dans plus de 950 villes de 82 pays. Les plus importants ont eu lieu en Espagne, où des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue.
33. Les manifestants européens réclament de meilleurs emplois et en plus grand nombre, une répartition plus équitable des richesses et des changements radicaux au sein des partis politiques jugés obsolètes, déconnectés de la réalité et corrompus. Ils s’estiment lésés par l’érosion des droits sociaux et économiques faisant suite aux mesures de rigueur successives adoptées par leurs dirigeants politiques. Bien que les protestataires forment un groupe hétérogène, ils s’élèvent tous fermement contre la réduction des prestations sociales et la grande majorité des jeunes engagés appellent instamment à une mobilisation pacifique et au changement.
34. Un an après la vague du mouvement des Indignés et autres manifestations qui a déferlé sur les villes des pays occidentaux, de nombreux jeunes manifestants sont revenus occuper les places des villes d'une cinquantaine de pays pour réitérer leur message d'indignation, affirmant qu'ils ont encore plus de raisons de protester. Le défi actuel est de transformer les mouvements de protestation en propositions: l’arrêt des plans de sauvetage pour les banques, une éducation et une santé publique de qualité pour tous, la lutte contre les emplois précaires, la nécessité de disposer de logements sûrs et abordables, des retraites pour tous, le paiement des arriérés de salaire. Le réseau des associations qui s’inspirent du mouvement des Indignés organisera des séminaires et des débats dans de nombreuses capitales européennes et au-delà dans les mois à venir.
35. Malgré leur mécontentement à l’égard de la participation politique conventionnelle, les jeunes Européens croient encore aux valeurs démocratiques et civiques. Ils ont des points de vue personnels tranchés sur les problèmes sociaux, la société et la politique et participent à différentes formes d’activités démocratiques répondant à leur vision de la démocratie, de la citoyenneté et de l’intégration au sein de la société. En fait, la jeune génération teste de nouvelles formes de participation civique (par exemple via les réseaux de médias sociaux) fondées sur des valeurs et modes de vie en pleine évolution – plus individualistes, spontanés et informels. Internet, les réseaux sociaux et les nouvelles technologies en général peuvent contribuer pour beaucoup à stimuler la participation des jeunes à la vie politique. Ils deviennent également de plus en plus intéressants pour les responsables politiques désireux d’engager un dialogue direct avec la jeune génération.
36. S’ajoute à cela le fait que les structures plus conventionnelles permettant d’associer des représentants des jeunes à la prise de décisions politiques ne garantissent pas toujours une prise en compte adéquate de l’avis et des besoins des jeunes. Le contexte national influence fortement la participation associative de la jeunesse. Ainsi, les pays nordiques enregistrent les taux les plus élevés d’engagement civique actif; ils sont suivis par les pays anglo-saxons et d’Europe centrale, tandis que les pays d’Europe de l’Est sont à la traîne par rapport aux pays méditerranéens.
37. On peut voir dans ces mouvements de contestation sociale un appel à une plus grande solidarité, tant au sein d’une même génération qu’entre les générations. Les liens intergénérationnels doivent donc être renforcés. Par ailleurs, il est de notre responsabilité de mieux guider les jeunes dans l’environnement socio-économique changeant qui est le nôtre, car ils vivront dans une société moins prospère où il sera plus difficile de trouver un emploi stable et de fonder une famille, et où la qualité de vie ne pourra pas se limiter de façon illusoire à la consommation. Pour que les individus continuent d’être mus par le désir d’une vie meilleure même en période de crise, les élites politiques et sociales européennes devraient réaffirmer leur volonté de mettre en place des politiques de développement centrées sur l’être humain, qui portent dûment attention aux besoins de toutes les générations.

4. Construire ensemble un avenir meilleur: comment les principaux acteurs concernés peuvent-ils améliorer la situation?

4.1. Une concertation entre responsables politiques et partenaires sociaux pour investir dans la jeunesse

38. Le manque d’intérêt pour les difficultés que rencontrent les jeunes aura un effet boomerang sur la construction d’une société européenne cohésive, basée sur des valeurs communes. Il est donc plus que jamais urgent d’agir. Compte tenu de l’ampleur des problèmes des jeunes et de leurs conséquences, ainsi que des coûts sociaux que représente la jeune génération ainsi sacrifiée, que peuvent faire les principaux acteurs européens pour améliorer la situation? En effet, si les décideurs politiques ne parviennent pas à proposer des solutions réalistes, l’Europe paiera un lourd tribut pour cette «génération des limbes» et mettra en péril sa sécurité, sa compétitivité, sa protection sociale et son développement futur. La crise devrait être l’occasion pour l’Europe de mieux mettre à profit les talents, l’énergie et la créativité de ses jeunes.
39. Le rapporteur rappelle la série de recommandations adressées aux Etats membres dans la Résolution 1828 (2011) de l’Assemblée «La forte baisse du taux d’emploi des jeunes: inverser la tendance» 
			(14) 
			Voir Doc. 12626, rapport préparé par Mme Marija
Pejčinović-Burić. et souligne le rôle important de l’emploi dans l’intégration sociale des jeunes, notamment par un meilleur accès aux droits sociaux et une participation accrue aux décisions au niveau local, national et européen. Il réitère la position de l’Assemblée selon laquelle l’Union européenne et le Conseil de l’Europe doivent consentir des efforts supplémentaires pour aider leurs Etats membres à offrir de meilleures perspectives d’emploi à la jeune génération. Par ailleurs, leurs partenaires institutionnels, tels que la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la Banque de développement du Conseil de l’Europe (CEB) et le Centre Nord-Sud, le Fonds social européen (FSE) et la Banque européenne d’investissement (BEI), pourraient compléter utilement les programmes d’action européens et nationaux.
40. Avec sa stratégie Europe 2020 en faveur d’une croissance intelligente, durable et inclusive, l’Union européenne entend apporter une réponse stratégique aux problèmes de l’emploi. Elle accorde une place importante à la qualité du modèle de croissance inclusive (emploi), intelligente (savoir) et durable (équité) qu’elle propose: à cette fin, elle a élaboré un ensemble d’indicateurs qui permettront de mesurer les progrès réalisés. Parmi les principaux objectifs proposés figurent l’augmentation du taux d’emploi des 20-64 ans, l’abaissement du taux de décrochage scolaire à 10 % et l’augmentation de l’investissement à 3 % du produit intérieur brut (PIB) dans la recherche et le développement. Le projet de l’Union européenne Youth on the move comporte un certain nombre d’activités spécifiques qui permettront d’atteindre ces objectifs pour les jeunes. Toutefois, les résultats obtenus à ce jour sont décevants.
41. A ce propos, il convient de prendre note de la coopération très positive entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne dans le secteur de la jeunesse, par exemple dans le programme-cadre de partenariat 2010-2013 dans le domaine de la jeunesse qui vise à promouvoir les politiques de jeunesse fondées sur le savoir, la reconnaissance de l’apprentissage/éducation non formels et la capacité d’action. La priorité donnée par le programme à l’Europe du Sud-Est et de l’Est, au Caucase et au sud de la Méditerranée est particulièrement bienvenue. La portée de ce programme pourrait être encore élargie afin de tirer pleinement parti des complémentarités entre les initiatives de l’Union européenne («Jeunesse en mouvement» et «Perspectives d’emploi des jeunes» 
			(15) 
			Voir
le communiqué de la Commission européenne COM(2011) 933 du 20 décembre
2011.) et les objectifs de la politique de jeunesse du Conseil de l’Europe 
			(16) 
			Comme
ceux formulés dans la Résolution CM/Res(2008)23 du Comité des Ministres. pour stimuler l’emploi et l’employabilité des jeunes par l’éducation, la formation, l’apprentissage tout au long de la vie et la mobilité.
42. A cet effet, la coordination entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe se poursuit dans le cadre d’un programme conjoint pour 2011-2012 intitulé «L’Europe du bien-être pour tous: faciliter la transition des jeunes vers la vie active par un renforcement de la responsabilité sociale partagée» qui met l’accent sur les besoins spécifiques du groupe NEET. Ce programme vise à promouvoir la solidarité avec les jeunes et à faciliter l’entrée des jeunes dans la vie active par la mobilisation de différentes parties prenantes, notamment via une plateforme numérique pouvant servir à recueillir et à échanger des bonnes pratiques.
43. Le rapporteur considère qu’il n’existe pas de solution miracle permettant de garantir un bon démarrage des jeunes sur le marché de l’emploi. Un bagage éducatif et une formation professionnelle solides peuvent servir de tremplin. Toutefois, avec la crise, même les jeunes travailleurs hautement qualifiés rencontrent des difficultés exceptionnelles. Le secteur privé peut contribuer pour beaucoup à faciliter l’accès des jeunes à l’emploi, en particulier par la création de nouveaux postes. A titre d’exemple, la promotion d’un recours plus massif aux programmes d’apprentissage, aux formations en cours d’emploi et aux stages pourrait profiter à la fois aux entreprises et aux jeunes employés, à condition d’assurer une rémunération et des conditions de travail décentes 
			(17) 
			Les contrats d’apprentissage
peuvent se révéler une arme à double tranchant, les entreprises
cherchant à les utiliser à mauvais escient pour sous-payer les jeunes
travailleurs. Ce type de situation peut alimenter la précarité,
à l’instar de ce qui se produit en Allemagne et en Autriche.. Les gouvernements doivent garantir le versement d’un salaire minimal et le respect des horaires de travail prévus afin de protéger les jeunes travailleurs et apprentis contre toute exploitation. Nous devrions également soutenir un appel à la réaffectation d’une part importante des 82 millions d’euros de reliquat des fonds structurels de l’Union européenne au profit de projets pour l’emploi des jeunes dans les Etats membres qui en ont le plus besoin.

4.2. Focalisation sur la qualité, l’équité et la liberté de choix

44. Dans son rapport intitulé «Global Employment Trends for Youth: 2011 update», l’OIT identifie un certain nombre de mesures permettant d’assurer l’autonomie des jeunes générations. Elles englobent l’investissement dans une éducation de qualité, l’amélioration de la qualité des emplois et de la compétitivité des entreprises, l’élaboration d’une stratégie globale en matière de croissance et de création d’emplois pour garantir une action à long terme, durable et concertée en faveur de prestations sociales satisfaisantes ainsi que la mise en œuvre de politiques financières et macroéconomiques visant à lever les obstacles à la croissance. L’autonomisation des jeunes par l’emploi et la participation aux décisions est essentielle pour maintenir la prospérité de l’Europe car c’est de cette jeune génération que dépendra la pérennité de la solidarité et de la démocratie dans la société de demain.
45. Les principaux facteurs déterminant l’évolution de la rémunération des jeunes au cours de leur vie – rémunération généralement liée à leur niveau d’instruction – ont changé du fait de la crise, et dépendent de plus en plus de la situation socio-économique de leurs familles. Afin de garantir aux jeunes Européens des conditions de départ plus équitables, il pourrait être utile d’envisager des mesures de redistribution des richesses, et non uniquement des revenus. Par exemple, en recevant une dotation en capital au début de sa vie d’adulte, chaque jeune, homme ou femme, pourrait décider de son avenir de manière plus libre et plus responsable et aurait la possibilité de créer une entreprise ou d’accéder à un diplôme universitaire.
46. Ces dix dernières années, l’environnement a indéniablement évolué pour devenir plus dynamique. La stabilité de l’emploi appartient au passé et la notion d’emploi à vie a été remplacée par l’idée d’un cheminement. On observe en conséquence une augmentation significative du nombre de personnes qui changent d’emploi ou sont en mobilité professionnelle et contractuelle. Il paraît donc plus réaliste de considérer aujourd’hui l’expérience professionnelle, en particulier pour un jeune homme ou une jeune femme, comme un «cheminement professionnel» dans divers secteurs, à des postes et avec des responsabilités différentes nécessitant des compétences et des connaissances très variées.
47. En conséquence, il devient de plus en plus important d’établir une distinction entre «travail précaire» et «travail flexible» dans les systèmes sociaux européens. S’il est certain que la poursuite des réformes du marché de l’emploi est nécessaire pour réduire les rigidités qui touchent les jeunes arrivant sur le marché de l’emploi, il faut en parallèle libéraliser totalement les professions et créer des systèmes de placement plus modernes pour répondre aux besoins locaux et globaux, tout en mettant en place des dispositions visant à encourager la liberté de choix dans l’éducation et la formation professionnelle, une protection sociale adéquate pour les travailleurs temporaires, etc.
48. La principale attaque dirigée contre l’orientation croissante de l’économie vers le secteur financier et spéculatif, qui a entraîné la crise que nous connaissons, est le fait que le monde politique a négligé l’importance d’améliorer le capital humain tant au plan qualitatif que quantitatif pour un développement stable à long terme (cette théorie du capital humain a été défendue par Gary S. Becker et James Heckman, qui ont reçu le prix Nobel pour leurs travaux). En effet, le capital humain influe à bien des égards sur la capacité à produire et sur la productivité: il renforce la capacité de recherche d’un pays et le développement technologique, permet une meilleure utilisation des technologies, accroît la créativité et génère de ce fait de l’innovation, tout en contribuant au développement des compétences dans l’environnement de proximité, ce qui constitue l’une des clés de la réussite au niveau local et national.
49. De nombreux pays ont étendu l’offre d’enseignement supérieur en réalisant des investissements considérables avant 2007. Les pays de l’OCDE, par exemple, consacrent en moyenne 6,2 % de leur PIB aux établissements d’enseignement, les chiffres allant de plus de 7 % au Danemark, en Islande, en Russie et aux Etats-Unis à 4,5 % ou moins en Italie et en République slovaque 
			(18) 
			«Regards sur l’éducation
2010», OCDE.. Toutefois, des études montrent 
			(19) 
			Par exemple les études
menées par E.A. Hanushek et D. Kim, «Schooling, labour force quality
and economic growth» (1995) et par E.A. Hanushek, «Lack of incentives
and foundational problems in education». que le fait de consacrer plus d’argent à l’éducation n’entraîne pas nécessairement de meilleurs résultats, et que la qualité de l’éducation est plus importante que la durée des études. Il convient donc d’insister sur l’importance d’un investissement dans une éducation de qualité. A cet égard, il est préoccupant de constater qu’en 2011, près de la moitié des Etats membres de l’Union européenne ont réduit leurs budgets consacrés à l’éducation 
			(20) 
			Actes du séminaire
«From education to the workplace: a global challenge», organisé
le 30 juin 2011 par le Parlement européen et plusieurs agences spécialisées
de l’Union européenne..
50. Du point de vue de l’élaboration des politiques, nous devons considérer les mesures en faveur des jeunes et du capital humain non comme une dépense sociale, mais comme un investissement à moyen ou à long terme pour la croissance de chacun des pays et du continent européen dans son ensemble. Cela peut sembler évident, mais les politiques à court terme qui prédominent aujourd’hui dans de nombreux pays européens montrent que cette approche est tout sauf évidente. Il y a là deux objectifs complémentaires, qui ne doivent pas être opposés l’un à l’autre: le premier est quantitatif, le second qualitatif. En d’autres termes, il ne faut pas seulement augmenter le nombre de diplômés, mais également améliorer la qualité de leur éducation en prenant davantage de mesures pour favoriser l’excellence chez les jeunes et aider ceux qui sont en réelle difficulté. Pour reprendre les propos du célèbre pédagogue allemand, Wolfgang Brezinka, le courage d’offrir une bonne éducation, c’est avant tout le courage d’exiger davantage de soi-même et de son mode de vie, en vivant conformément aux valeurs qui donnent une stabilité et un sens à la vie.
51. Le rapporteur estime en outre que d’autres mesures pourraient contribuer à améliorer les perspectives économiques et sociales des jeunes. Elles englobent les mesures qui visent: à lever les obstacles à la création ou à l’administration de nouvelles entreprises et à en réduire les coûts; à encourager l’accès au capital-risque; à réduire la segmentation du marché de l’emploi, qui est aujourd’hui trop orienté vers les anciennes générations; à mieux employer les compétences et les capacités des étudiants.

4.3. Nécessité d’une action cohérente pour améliorer l’accès aux droits socio-économiques

52. Dans sa réponse à la Recommandation 1978 (2011) de l’Assemblée parlementaire «Vers une convention-cadre européenne relative aux droits des jeunes», le Comité des Ministres a considéré que les structures, politiques, programmes et instruments juridiques du Conseil de l’Europe couvraient suffisamment les droits des jeunes et que la priorité devait être donnée à une mise en œuvre plus effective des instruments existants, notamment en encourageant systématiquement les politiques d’amélioration de l’accès des jeunes à leurs droits.
53. Le rapporteur rappelle qu’outre les droits fondamentaux énoncés dans la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5), la Charte sociale européenne révisée (STE no 163) contient un ensemble de dispositions relatives à la jeunesse et aux droits des jeunes, notamment les articles 7 et 17 (droit des enfants et des jeunes à une protection sociale, juridique et économique), 11 (droit à une protection de la santé) et 16 (droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique). En outre, plusieurs articles concernent le droit des jeunes à l’éducation et à la formation (articles 7, 9, 10 et 17), à l’emploi (articles 1-4, 7 et suivants) et au logement (articles 16 et 31). Les mesures d’austérité prises en réponse à la crise faisant s’accroître les inégalités dans la société et compromettant la capacité des jeunes à exercer leurs droits, il est essentiel que les Etats membres adhèrent pleinement à la Charte et maintiennent leurs engagements en faveur de la jeune génération.
54. S’appuyant sur sa Résolution 1824 (2011) sur le rôle des parlements dans la consolidation et le développement des droits sociaux en Europe, sur la déclaration faite par le Comité des Ministres à l’occasion du 50e anniversaire de la Charte sociale européenne (adoptée le 12 octobre 2011) et sur les conclusions du Comité européen des Droits sociaux concernant la non-conformité des Etats membres avec les dispositions de la Charte (adoptées en décembre 2011 et publiées en janvier 2012), l’Assemblée devrait à présent user de son pouvoir et mettre à profit ses structures de coopération pour examiner avec les parlements nationaux concernés les préoccupations exprimées dans les conclusions, notamment en ce qui concerne les jeunes particulièrement vulnérables. En outre, il reste à voir comment le projet de charte du Conseil de l’Europe sur les responsabilités sociales partagées et la Stratégie de cohésion sociale révisée pourraient contribuer à faire participer tous les partenaires sociaux à la mise en œuvre des droits sociaux et économiques de la jeune génération.
55. Certains experts font état d’un paradoxe européen. Du fait de l’investissement des pays européens dans une meilleure éducation, une amélioration des conditions de vie et la défense de valeurs communes qui constituent le fondement de l’identité européenne, les jeunes Européens étaient mieux armés que leurs parents pour tirer profit d’une «Europe sans frontières». Malheureusement, en quelques années seulement, la crise a réduit à néant une bonne partie des progrès sociaux réalisés ces dernières décennies: la jeune génération doit désormais batailler plus durement et plus longtemps que les générations précédentes pour gagner son autonomie 
			(21) 
			Oliveira, Ivo, «The
Benjamin Button effect: Europe’s economic crisis postpones young
generations», Fair Observer, janvier 2012.. C’est pourquoi la société et les responsables politiques doivent adapter les stratégies en faveur de la jeunesse afin d’offrir plus de débouchés aux jeunes et de les préparer aux changements irréversibles qui s’opèrent dans la société. En effet, on leur demande de faire preuve d’adaptabilité et de flexibilité, et de beaucoup d’énergie, de courage et de patience. Redéfinir les termes du contrat social, c’est demander aux jeunes d’accepter de nouveaux risques, d’être prêts pour le changement et d’induire eux-mêmes l’évolution dans la société.

4.4. Propositions du secteur de la jeunesse

56. Il va de soi que l’aggravation de la situation des jeunes préoccupe fortement les organisations de jeunesse européennes, qui voient en cela un risque réel qu’un cercle vicieux de faible reprise et de cohésion socio-économique fragilisée ne menace l’intégration européenne et laisse bon nombre de jeunes européens sur la touche, non sans répercussions négatives sur l’ensemble de la société. Il est crucial d’investir davantage dans l’éducation, la formation, la création et la recherche d’emploi pour permettre aux jeunes de participer pleinement, d’une part, à la sortie de la crise, et d’autre part, à l’établissement d’une société plus prospère.
57. Le Forum européen de la jeunesse 
			(22) 
			Le Forum européen de
la jeunesse est un organisme indépendant créé par des organisations
de jeunesse. Il regroupe plus de 90 conseils nationaux et OING de
jeunesse, qui représentent d’autres organisations de jeunesse. Ainsi, à
travers le forum, des dizaines de millions de jeunes européens sont
représentés. et le Conseil consultatif sur la jeunesse du Conseil de l’Europe 
			(23) 
			Le Conseil consultatif
se compose de 30 représentants d’ONG et de réseaux de jeunesse qui
contribuent aux activités du secteur de la jeunesse. Il associe
également les jeunes à d’autres activités du Conseil de l’Europe. attirent l’attention sur les lacunes des mesures prises par de nombreux gouvernements pour lutter contre la crise, notamment les réductions inappropriées des dépenses publiques sans que soit prévu un quelconque redéploiement des ressources pour les actions prioritaires, dont fait partie l’aide aux jeunes. Les deux organismes s’inquiètent de la dégradation des conditions du marché du travail pour les jeunes, en particulier de l’augmentation du nombre d’emplois précaires et de stages non rémunérés ou sous-payés, qui finit par miner l’accès à l’autonomie, la participation politique et les services sociaux, tout en favorisant la montée de l’extrémisme. Ils préconisent donc une approche des politiques de jeunesse axée sur les droits, afin de promouvoir activement l’autonomie et la participation des jeunes, en accordant une attention spéciale aux besoins des jeunes plus vulnérables issus de milieux défavorisés (migrants, réfugiés, minorités ethniques, etc.).
58. En conséquence, nous accueillons favorablement et encourageons la consultation constructive entre le Comité des Ministres, le Conseil mixte pour la jeunesse et le Service de la cohésion sociale et de la diversité du Conseil de l’Europe, de même que les contributions du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe 
			(24) 
			Notamment la Résolution 319 (2010) sur l’intégration des jeunes des quartiers défavorisés., dans l’optique de formuler une recommandation et des lignes directrices adressées aux Etats membres sur l’accès aux droits sociaux pour les jeunes de quartiers défavorisés. Par ailleurs, le rapporteur est d’avis qu’une fois adoptées, cette recommandation et ces lignes directrices pourraient être portées également à l’attention des pays voisins du Conseil de l’Europe situés au sud et à l’est de la Méditerranée, en particulier dans le cadre des activités du Centre Nord-Sud liées à la coopération de la jeunesse.
59. Le Forum et le Conseil consultatif encouragent vivement les organisations internationales et les Etats à renforcer l’aide proposée aux organisations de jeunesse et insistent sur la nécessité pour les pays européens d’adopter la «garantie pour la jeunesse» (dispositif stratégique conçu pour veiller à ce qu’aucun jeune ne se retrouve, contre son gré, sans emploi, ni enseignement ou formation durant plus de quatre mois). Ces organismes font campagne pour que les personnes à la recherche d’un premier emploi aient accès aux allocations de chômage, pour la mise en œuvre de régimes de revenu minimum adaptés (comme l’a demandé le Parlement européen 
			(25) 
			Voir le rapport d’Ilda
Figueiredo sur le rôle du revenu minimum dans la lutte contre la
pauvreté et la promotion d’une société fondée sur l’intégration
(2010/2039(INI)), Ilda Figueiredo, 16 juillet 2010, et la Résolution
P7_TA(2010)0375 du Parlement européen du 20 octobre 2010.), pour le soutien à la Charte européenne pour la qualité des stages et des apprentissages 
			(26) 
			Voir
le site <a href='http://qualityinternships.eu/'>http://qualityinternships.eu/</a>. et pour la création d’emplois par la stimulation de l’esprit d’entreprise chez les jeunes, dans un environnement à la fois stable et propice en termes de revenu, de protection sociale, d’avantages fiscaux et d’accès au financement des banques de développement multilatérales européennes.
60. Dans ce contexte, il convient de tenir compte de la précieuse contribution aux échanges de la commission de Mme Snežana Samardžić-Marković, la nouvelle directrice générale de la démocratie au Conseil de l’Europe, qui a souligné la nécessité que les parlements nationaux soient particulièrement attentifs aux dangers de la «lassitude de la démocratie» et aux idées de la jeune génération et des organisations de la société civile. Il importe que les systèmes politiques évoluent et s’adaptent aux nouvelles réalités en faisant de la justice sociale la pierre angulaire de la démocratie. Il est tout aussi essentiel de faire participer pleinement les pouvoirs locaux, d’accorder une place plus importante aux politiques de jeunesse dans les priorités politiques nationales et de véhiculer une image plus positive des jeunes dans les médias.
61. Nous ne doutons pas que les grands événements à venir – comme la 9e Conférence du Conseil de l’Europe des ministres responsables de la jeunesse (Saint-Pétersbourg, 23-25 septembre 2012) et l’Assemblée des jeunes (Strasbourg, 5-7 octobre 2012), qui se tiendra dans le cadre du Forum mondial pour la démocratie (5-11 octobre 2012) – favoriseront la compréhension entre les jeunes et les responsables de l’élaboration des politiques, en vue de lancer une action concrète et d’amorcer des changements positifs sur le terrain.

5. Conclusions et remarques finales: il est temps de passer des paroles aux actes

62. La crise sociale et économique menace l’exercice effectif des droits par la jeune génération, dont l’autonomie et les perspectives pâtissent des inégalités économiques et sociales grandissantes. Les politiques de la jeunesse sont particulièrement sensibles à la récession économique et trop souvent reléguées au second plan des priorités gouvernementales et des allocations de ressources. Ce dont l’Europe a besoin, c’est que la jeune génération joue pleinement son rôle dans le processus décisionnel, le renforcement de la démocratie et la construction de la société de demain, plus cohésive, plus prospère et plus juste. Le meilleur moyen d’atteindre cet objectif est de favoriser l’intégration sociale des jeunes en les associant davantage au pouvoir politique, social et économique et en leur offrant le plein accès à l’emploi, aux droits et à la citoyenneté active.
63. Malgré les pressions accrues que la crise économique et la dette souveraine font peser sur les finances publiques, il ne faudrait pas que les mesures d’austérité diminuent le soutien public aux politiques de jeunesse. Au contraire, ces mesures devraient contraindre les pouvoirs publics à mieux servir l’intérêt général et à promouvoir davantage la cohésion sociale en ciblant mieux les dépenses pour répondre en particulier aux besoins des populations vulnérables, comme les personnes handicapées et les jeunes les plus marginalisés («NEETs»). De leur côté, les parlements nationaux devraient s’assurer que les politiques de jeunesse figurent en tête des priorités politiques et reçoivent suffisamment de ressources financières, conformément à l’idée que les mesures en faveur des jeunes sont essentielles au bon développement, à la justice sociale et à la compétitivité de l’Europe. Le meilleur investissement que l’Europe peut faire aujourd’hui pour assurer sa vitalité et sa prospérité futures consiste à aider les jeunes et à leur donner plus de moyens d’action.
64. De plus, le dialogue entre les partenaires sociaux sur les moyens d’améliorer l’insertion des jeunes dans la société devrait être renforcé, et les mesures de relance macroéconomique pourraient être repensées pour garantir une reprise économique créatrice d’emplois et une croissance axée sur la qualité. Les autorités doivent être particulièrement attentives aux tendances du marché de l’emploi, notamment du côté de la demande, afin de moderniser les systèmes d’éducation et de formation professionnelle pour qu’ils préparent mieux les jeunes à la vie professionnelle et qu’ils répondent aux impératifs d’apprentissage tout au long de la vie, à l’évolution des carrières professionnelles et aux pressions concurrentielles découlant de la mondialisation. Le développement des partenariats public-privé entre établissements d’enseignement, entreprises, pouvoirs locaux, syndicats et services de recrutement pourrait contribuer à faciliter la transition des jeunes du système éducatif au monde du travail, ainsi que d’un emploi à un autre.
65. Pour renforcer la démocratie de proximité, la gouvernance et la solidarité entre générations, il faut que les pouvoirs publics à tous les niveaux en Europe se mettent à l’écoute de la jeune génération en s’aidant des nouveaux outils de communication, de mécanismes de consultation régulière et d’une meilleure représentation institutionnelle. Cela serait un pas dans la bonne direction pour bâtir de nouveaux modèles sociaux plus collaboratifs qui offrent véritablement des chances identiques et permettent à tous les Européens de s’exprimer.
66. En conclusion, comme le dit le sociologue Zygmunt Bauman dans son récent essai 
			(27) 
			Z.
Bauman, «Per costruire una vera comunità non tralasciamo i piccoli
gesti», Vita e Pensiero, Milan, novembre 2011., nous ne devrions pas nous concentrer sur le monde dans lequel nous voulons vivre, mais sur le monde dans lequel nous devrions vivre. Nos problèmes sont de nature mondiale, mais nous n'avons que des moyens locaux pour y faire face, et ceux-ci ne sont pas adaptés à cette tâche. Par conséquent, la question cruciale de «vie ou de mort» pour le XXIe siècle, comme le suggère Bauman, est la suivante: Qui traitera ces problèmes? En ces temps modernes, beaucoup d’hommes et de femmes courageux ont changé le cours de l'histoire de manière radicale et positive. Nous devrions donc aider les jeunes à prendre leur propre destin en main: ensemble, nous pouvons changer les choses pour vivre des vies meilleures.