1. Origine et contexte du rapport
1. Ce rapport fait suite à une
proposition de résolution sur le thème «Femmes musulmanes en Europe: pour
l’égalité des chances
» présentée
par Mme Memecan et plusieurs de ses collègues
le 2 juillet 2010 (
Doc. 12327). Cette proposition a été déposée quelques jours à peine
après l’adoption par l’Assemblée de la
Résolution 1743 (2010) «L’islam, l’islamisme et l’islamophobie en Europe»,
dans laquelle plusieurs paragraphes sont consacrés à la situation
des femmes musulmanes, et l’adoption de la
Recommandation 1927 (2010). Par ailleurs, la commission de la culture, de la science
et de l’éducation a pris en compte une proposition de résolution
intitulée
«Le voile intégral
– faut-il agir?
» lors de l’élaboration de son rapport
sur «L’islam, l’islamisme et l’islamophobie en Europe».
2. Buts
du rapport
2. La
Résolution 1743 (2010) reflète les grandes lignes du débat politique sur les
femmes musulmanes en Europe tel qu’il s’est dessiné ces dernières
années. Cependant, ce débat est resté d’une ampleur assez limitée,
car il tend à considérer les femmes musulmanes comme des victimes:
victimes d’une discrimination fondée sur le sexe, qui s’exerce dans
leur famille, au sein de leurs communautés et dans la société, d’une discrimination
fondée sur leur religion, ou liée à l’islamophobie, victimes de
formes de violence fondée sur le sexe telles que les crimes dits
«d’honneur», les mariages forcés, le viol conjugal, les mutilations
génitales féminines; victimes enfin de traditions étouffantes comme
l’obligation de porter un foulard ou le voile intégral.
3. Sans minimiser le fait que les femmes musulmanes sont trop
souvent des victimes, je souhaite aborder le sujet sous un autre
angle, celui des femmes musulmanes en tant qu’actrices du changement
et de l'autonomisation. Dans ce rapport, je me suis efforcée d’étudier
la question de l’émancipation des femmes musulmanes et de mettre
en lumière leurs efforts pour obtenir l’égalité entre les sexes
et l’égalité des chances dans les sociétés européennes, par rapport
aux hommes mais aussi par rapport aux femmes non musulmanes, dans
le droit-fil de la proposition de résolution d’origine.
4. Les efforts positifs et les réussites des femmes musulmanes
en Europe, trop souvent encore, sont ignorés et ne sont pas reconnus.
Et pourtant, comme l’a montré le rapport
Vivre
ensemble élaboré par le Groupe d'éminentes personnalités
et, plus encore, l'avis rédigé par Mme Kovács
, les femmes musulmanes sont particulièrement
bien placées pour jeter des ponts entre leur communauté et d’autres
groupes dans les sociétés européennes, et leur rôle est fondamental
pour éduquer de jeunes générations qui seront à même de concilier
leur foi et les valeurs fondamentales européennes. Elles se rendent
compte qu’elles ne peuvent pas laisser les obstacles et les inégalités
se perpétuer dans la prochaine génération
.
5. Le présent rapport s’appuie sur les résultats d’un travail
de recherche documentaire et de réunions organisées par la commission
sur l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, devenue
la commission sur l’égalité et la non-discrimination en janvier
2012 à la suite de la réforme de l’Assemblée parlementaire:
- un échange de vues avec M. Marco
Perolini, chercheur sur la discrimination pour Amnesty International, lors
de la réunion tenue par la commission sur l’égalité et la non-discrimination
le 26 avril 2012 à Strasbourg;
- une audition sur les crimes dits «d’honneur», avec Mme Jacqueline
Thibault, présidente de la Fondation SURGIR (Suisse), Mme Hannana
Siddiqui, responsable chargée de la recherche et des politiques,
à l’ONG Southall Black Sisters (Royaume‑Uni), et Mme Liri
Kopaçi-Di Michele, chef de division, à la Direction de la justice
et de la dignité humaine du Conseil de l’Europe (organisée dans
le cadre de la réunion du Réseau parlementaire pour le droit des
femmes de vivre sans violence le 25 janvier 2012);
- une audition consacrée à la loi française interdisant
la dissimulation du visage dans l’espace public et à sa mise en
œuvre, avec M. Julien Le Gars, directeur adjoint des Libertés publiques,
ministère de l’Intérieur, Mme Nathalie
Tournyol du Clos, chef du service des droits des femmes et de l’égalité
entre les sexes, ministère de la Solidarité et de la Cohésion sociale,
et M. Didier Joubert, chef du pôle ordre public au cabinet du directeur
général de la Police nationale (France), tenue lors de la réunion
de la commission en décembre 2011;
- une audition avec la participation de Mme Sara
Silvestri, universités de Londres City et de Cambridge (Royaume-Uni),
et M. Stephanos Stavros, secrétaire exécutif de la Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance (ECRI), tenue pendant la réunion
de la commission le 4 octobre 2011;
- une audition avec la participation de Mme Andrea
Murray, directrice des politiques, Direction de la stratégie de
la commission de l’égalité et des droits de l’homme (Royaume-Uni),
et Mme Noura Jaballah, présidente du
Forum européen des femmes musulmanes (Bruxelles).
6. Dans un premier temps, Mme Mirjana
Ferić-Vac a été rapporteure sur ce rapport et a mené des travaux préparatoires.
J’ai été nommée rapporteure après son départ de l’Assemblée en janvier
2012 et j’ai continué à développer le rapport sur la base d’une
approche similaire, afin d’examiner l’émancipation des femmes musulmanes
dans les pays européens dans lesquels l’islam n’est pas la religion
de la plus grande partie de la population.
3. Portrait
des femmes musulmanes d’Europe
7. Les musulmans d’Europe appartiennent
à tout un éventail de traditions religieuses. Ils ont des origines ethniques,
culturelles et linguistiques diverses, des nationalités différentes
et des liens avec différents pays. Comme l’a souligné Mme Noura
Jaballah, les femmes musulmanes ne forment pas un bloc monolithique
. Elles présentent une grande diversité
tant du point de vue du rapport à la religion et aux traditions
culturelles que de la situation sociale et économique. La plupart
des femmes musulmanes en Europe considèrent leur citoyenneté européenne
comme un élément essentiel de leur identité.
8. L’islam est la religion de la majorité de la population en
Albanie, en Azerbaïdjan et en Turquie. Dans d’autres Etats balkaniques
et dans le Caucase, il existe des communautés musulmanes autochtones,
parfois très importantes. Dans ces pays, lorsque les femmes musulmanes
sont l’objet de certaines formes de discrimination, ce n’est pas
en raison de leur appartenance à une minorité religieuse mais de
leur sexe. Dans tous les autres Etats membres du Conseil de l’Europe,
la population musulmane est d’origine immigrée d'Afrique du Nord,
de Turquie ou d’Asie. Seul un faible pourcentage de musulmans possède
la citoyenneté du pays où ils résident. Les autres sont soit des
résidents de longue durée, des immigrés de la deuxième génération
qui n’ont pu acquérir la nationalité du pays d’accueil, ou des migrants
de fraîche date sur le territoire de celui-ci. Il y a aussi un petit
pourcentage de femmes converties à l’islam.
9. Dans ce rapport, j'ai décidé d’examiner la situation des femmes
musulmanes dans les pays européens où l’islam n'est pas la religion
de la majorité et où elles peuvent être l’objet de discriminations
multiples, à la fois comme femmes, membres d’une minorité religieuse
et personnes d’origine immigrée. J'ai pris la décision de limiter
la portée géographique du rapport, non pas parce que la situation
des femmes musulmanes dans les pays où l'islam est la religion majoritaire
n’a pas d’importance, mais parce que je veux me concentrer tout particulièrement
sur le problème des discriminations multiples, et mettre en avant
le rôle positif que les femmes peuvent jouer pour promouvoir la
cohésion sociale dans les sociétés multiculturelles.
10. Dans les Etats membres du Conseil de l'Europe, un nombre croissant
d’immigrés sont des femmes. En fait, la féminisation des migrations
a pris de telles proportions que les femmes représentent actuellement
plus de 52 % des flux migratoires vers l’Europe
. La plupart d’entre elles ont migré
de façon autonome en quête d’un emploi; d’autres ont rejoint leurs
maris par le biais des procédures de regroupement familial ou, dans
un petit nombre de cas, ont déménagé dans le cadre de mariages arrangés
ou forcés. Comme l’a indiqué Mme Jaballah,
les médias représentent souvent ces femmes de manière stéréotypée
en les classant dans l’une ou l’autre de ces deux catégories: celle
des femmes musulmanes non intégrées à la réalité européenne qui portent
le voile intégral et celles des femmes musulmanes non religieuses.
Cette représentation ne reflète pas la réalité.
11. Le nombre de conversions à l’islam parmi les Européens va
croissant, bien qu’il n’y ait pas de statistiques officielles
. Au Royaume-Uni, il semble que la
plupart des personnes converties soient des femmes
.
12. En général, il n’y a pas de données officielles sur la taille
et la composition exactes de la population musulmane d’Europe, car
la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe ne collectent
pas d’informations sur la religion lors des opérations de recensement
.
Selon les estimations, cette population serait comprise entre 40
et 60 millions de personnes. Des recherches indiquent qu’en 2010
les musulmans représentaient 7,5 % de la population in France, 6 %
en Belgique, 5,5 % aux Pays-Bas, 5,7 % en Suisse, 5 % en Allemagne
et 4,6 % au Royaume-Uni
. Bien qu’il n’existe pas de chiffres
exacts sur la taille actuelle de la population musulmane, on sait
qu’elle va augmenter, selon des projections, d’un tiers d’ici à
2030
.
4. Créer
les conditions permettant aux femmes musulmanes de réaliser leur
potentiel
4.1. Faire
face aux discriminations multiples
13. Jusqu’ici, les décideurs politiques
et les législateurs se sont intéressés à des groupes cibles envisagés collectivement
comme les «migrants», les «minorités», ou les «femmes», sans s’arrêter
aux différences au sein de chaque catégorie ni aux problèmes auxquels
les individus sont confrontés aux points de contact entre différents
motifs de discrimination. Ainsi, dans la plupart des Etats membres
du Conseil de l’Europe, les «discriminations multiples» ne sont
pas une notion juridique, ni un motif qui peut être invoqué en justice
ou qui est traité par des mesures appropriées.
14. Cependant, les femmes musulmanes sont un exemple flagrant
de groupe confronté à des discriminations multiples, par exemple
pour des motifs liés au statut juridique, à l’origine ethnique,
à la race, à la religion, aux prescriptions religieuses sur l’habillement
et d’autres.
15. L’ECRI a reconnu dès 2000 que les femmes musulmanes sont souvent
victimes de multiples discriminations fondées sur le sexe et la
religion, en recommandant aux gouvernements des Etats membres de
«porter une attention particulière à la situation des femmes musulmanes
étant donné que celles-ci peuvent souffrir à la fois des discriminations
envers les femmes en général et des discriminations envers les musulmans»
. Le dernier rapport annuel de l’ECRI,
qui traite aussi des discriminations multiples, indique ce qui suit:
«Les femmes musulmanes font par exemple l'objet de préjugés non
seulement en raison de leur religion, mais aussi de leur sexe et,
très souvent, du fait qu’elles sont issues de l’immigration. Bon
nombre des difficultés liées à la recherche d’un emploi ou d’un
logement tiennent à leur choix de porter un foulard. L’ECRI a relevé
que la discrimination multiple est rarement contrôlée»
.
16. L’ECRI devrait, selon moi, examiner la possibilité d’adopter
une recommandation spécifique sur les discriminations multiples
dans la mesure où cela touche les femmes musulmanes d’Europe, et
incorporer cet aspect dans ses rapports par pays. Je souhaite également
demander ici la reconnaissance des «discriminations multiples» comme
notion juridique qui pourrait être inscrite dans les cadres juridiques nationaux.
4.2. Santé
17. Selon les données fournies
par Mme Murray sur la base de l’analyse
du recensement de 2010 au Royaume-Uni, les femmes musulmanes sont
celles qui présentent globalement le taux le plus élevé de personnes
«n’étant pas en bonne santé» et un quart des femmes musulmanes y
sont atteintes d’une maladie invalidante de longue durée
.
18. S’il est possible, au Royaume-Uni, de ventiler les données
sur l'accès à la santé en fonction de la religion, il est plus difficile
de recueillir ce type d’informations dans les autres Etats membres
du Conseil de l'Europe. La Fondation Soros en a tenu compte lorsqu’elle
a mené son étude dans 11 villes européennes, étude qui lui a permis
de conclure ceci: «Si on prend en compte le sexe, la religion et
le pays de naissance, alors les femmes musulmanes nées en Europe
(17 %) représentent le groupe le plus susceptible d'avoir le sentiment
que les hôpitaux et les cliniques font trop peu pour respecter les
différentes coutumes religieuses.»
19. De fait, les hôpitaux et les centres de soins ne sont pas
équipés pour répondre aux attentes des femmes qui, pour des raisons
culturelles, peuvent ressentir une gêne plus ou moins profonde à
cause du manque d'intimité et de personnel féminin. Parallèlement,
les professionnels de la santé ne sont globalement pas formés pour
prendre en charge avec tact et respect des patientes d’origines
diverses. Ce problème du manque de connaissance est encore aggravé
par la faible représentation des minorités parmi les membres du personnel.
20. La langue constitue aussi un obstacle à l’accès à des soins
adaptés: la présence d'interprètes n'est pas systématique et les
brochures ne sont pas nécessairement multilingues. Les femmes musulmanes,
en particulier les plus âgées, peuvent avoir du mal à communiquer
et dépendent de leurs proches pour obtenir un rendez-vous et parler
à un médecin. Le manque d'information disponible dans une langue
qui leur soit familière pourrait, à mon avis, être résolu en faisant
appel à des «traducteurs de garde» que l'hôpital pourrait faire
venir en cas d'urgence; les brochures d’information devraient également
être produites dans plusieurs langues.
21. La santé maternelle est un domaine souvent négligé et où le
potentiel d'amélioration est considérable: j’ai été choquée de lire
dans un rapport de l’ONG The Maternity Alliance qu’au Royaume-Uni
la probabilité qu’une femme musulmane meure au cours d’une grossesse
ou en couches est deux fois plus élevée que pour une femme non musulmane
.
22. Enfin, comme on peut le lire dans l'étude Soros
,
les femmes musulmanes qui travaillent dans le secteur de la santé
peuvent elles aussi être victimes de discrimination. Elle cite l’exemple
d’une infirmière musulmane qui, parce qu’elle portait un foulard,
s’est heurtée à des patients qui sont allés jusqu’à lui interdire d'entrer
dans leur chambre. L'infirmière a pu compter sur le soutien du personnel
hospitalier et le patient a été invité à aller se faire soigner
ailleurs.
4.3. Education
et travail
23. Il n’y a pas de statistiques
utilisables à des fins comparatives au niveau européen sur l’accès
des femmes musulmanes à l’enseignement, leur niveau éducatif, leur
accès au marché du travail, les emplois qu’elles obtiennent et leur
capacité à entreprendre. Les femmes musulmanes en Europe ont des
problèmes en commun avec les autres femmes, tels que la poursuite
d’une carrière dans un environnement dominé par les hommes, l’accès
à des services de crèche ou de garderie adéquats et la difficulté
de trouver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée
.
24. Certains Etats membres du Conseil de l’Europe et l’Union européenne
ont réalisé des recherches spécifiques et collecté des données dans
le domaine de l’emploi en prenant tantôt les migrantes, tantôt les femmes
membres de minorités comme groupes de référence. Ces travaux ont
donné les résultats suivants
:
- le taux de chômage des femmes
de ces groupes est plus élevé que celui des hommes;
- il y a des disparités salariales entre les immigrés et
la population autochtone et, au sein du groupe d’immigrés, entre
les femmes et les hommes;
- même quand les femmes migrantes ont du travail, leur qualité
d’emploi tend à être médiocre (contrats temporaires ou précaires),
ce qui les rend vulnérables sur le plan social et économique.
25. Les recherches sociologiques réalisées en France par la Haute
Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE)
montrent que, chez les filles d’origine immigrée, le sentiment d’exclusion
apparaît à l’école primaire, quels que soient leurs résultats scolaires,
si leur nom, la couleur de leur peau ou leur adresse indiquent une
origine sociale qui retient l’attention
.
26. Le sentiment d’exclusion se renforce à l’adolescence parce
que, pour des raisons culturelles ou économiques (ou pour ces deux
motifs), elles sont souvent dans l’impossibilité de fréquenter les
mêmes lieux de socialisation que leurs camarades de classe. Il arrive
que des parents interdisent à leurs filles d’assister aux cours
de sport et d'éducation sexuelle, et de participer aux sorties scolaires,
les privant ainsi d’aspects importants de la vie scolaire
. J'ai la conviction que l'intégration
commence à l'école et qu'il conviendrait de mettre plus l’accent
sur la promotion de la culture de la démocratie et des droits humains
dans et par l’éducation. Le respect de la dignité humaine de tous
doit être promu dès le plus jeune âge, et les bienfaits de la diversité
culturelle doivent être soulignés dans tous les programmes et activités
éducatifs. Les enseignants ont un rôle clé à jouer dans la promotion
du respect
. Les différences entre les élèves
peuvent enrichir la qualité de l'éducation.
27. Par la suite, la recherche de formations ou d’un premier emploi
est souvent difficile, car l’apparence physique, l’origine ethnique
et le sexe sont souvent des éléments déterminants du processus de
sélection. Voilà pourquoi les jeunes femmes d’origine immigrée sont
amenées à rechercher des emplois pour lesquels elles sont surqualifiées,
en se fondant souvent sur un réseau de connaissances et de proches
ayant la même origine qu’elles. Au Royaume-Uni, d’après les données
recueillies par la Commission sur l’égalité et les droits de l’homme,
les jeunes musulmans connaissent plus fréquemment des périodes en
dehors du système éducatif et du marché de l’emploi que les chrétiens
ou ceux sans religion
.
28. L'éducation est la clé de l'autonomisation et un passeport
pour l'émancipation des femmes musulmanes. Toute une génération
de jeunes femmes musulmanes européennes réclame désormais les mêmes
droits que les autres, tout en se reconnaissant dans les valeurs
de l’islam. Dans certains Etats membres du Conseil de l'Europe,
les femmes musulmanes sont majoritaires parmi les étudiants qui
poursuivent des études islamiques
.
29. Au Royaume-Uni, les enquêtes montrent que 68 % des femmes
musulmanes sont actuellement inactives sur le marché du travail
et seulement 29 % occupent un emploi
.
Malgré un niveau d’éducation élevé, le chômage des femmes musulmanes
britanniques demeure élevé: «Certains des obstacles auxquels se
heurtent les femmes musulmanes britanniques, comme la discrimination
fondée sur le sexe, le manque de flexibilité et l’absence de crèches,
affectent toutes les femmes, mais les femmes musulmanes doivent surmonter
des difficultés supplémentaires, en particulier la discrimination
sur la base de l’habillement ou de la religion»
.
Selon Amnesty International, les personnes musulmanes qui décident
de porter des tenues vestimentaires associées à l’islam sont victimes
de discrimination sur le lieu de travail
.
Des employeurs privés en Belgique, en France, aux Pays-Bas ou en
Suisse ont affirmé que des clients risquaient de se sentir mal à
l’aise si une employée portait le foulard
.
30. L’exclusion se poursuit à l’âge adulte et prend notamment
la forme du chômage. Les femmes musulmanes affichent généralement
un taux d’emploi moins élevé et semblent même avoir le taux d’emploi
le plus faible au Royaume-Uni, la moitié des femmes musulmanes britanniques
de la seconde génération (nées au Royaume-Uni) étant inactives,
contre 17 % seulement pour les femmes hindoues de la seconde génération. Selon
Mme Andrea Murray, «les femmes musulmanes
se heurtent au Royaume-Uni à des difficultés très importantes pour
bénéficier de l’égalité des chances, tout particulièrement en une
période de réduction des dépenses publiques et de crise économique»
.
31. En période de crise économique, l'intégration professionnelle
des minorités visibles s’avère parfois difficile. Dans les 11 villes
couvertes par l'étude «Les musulmans en Europe», les musulmanes
nées en Europe considèrent la religion (21 %) comme la première
cause de discrimination lors de la recherche d’emploi, devant l'appartenance
ethnique (12 %)
. En France, la HALDE a reçu 259 plaintes
fondées sur la religion ou les convictions en 2009
. L’ONG Amnesty International a été
informée que la plupart de ces plaintes concernaient des musulmans,
et que 57 % des plaintes pour discrimination religieuse étaient
déposées par des femmes. Amnesty International constate avec préoccupation
qu’en France «les employeurs continuent d’exclure des musulmans
de l’emploi sur la base de stéréotypes et de préjugés et que cela
affecte de manière disproportionnée les femmes musulmanes»
.
32. Résoudre le problème de la discrimination dans l'accès à l'emploi
et sur le lieu de travail est essentiel pour qu’il y ait égalité
des chances. D'après la Fondation Soros, en Europe, les musulmans
ont en général trois fois plus de chances d'être au chômage que
les non-musulmans
. «Ce phénomène est dû en partie
au capital humain, mais d'autres facteurs jouent aussi, comme le
manque de réseaux sociaux, de connaissance et de compréhension du
marché de l'emploi et de maîtrise de la langue. Des éléments tendent
à prouver que certains musulmans sont confrontés à un handicap à
la fois ethnique et religieux. La discrimination basée sur la religion
pose particulièrement problème pour les femmes qui portent le voile
et le foulard»
.
Je souhaite encourager davantage de recherches sur la discrimination
fondée sur la religion sur le lieu de travail.
33. Plusieurs organisations accompagnent les femmes dans leur
quête d’autonomie et d’émancipation économique, notamment en organisant
des sessions de formation sur l’accès à des postes de responsabilité et
le soutien aux femmes entrepreneurs. Je voudrais, avec ce rapport,
encourager de telles initiatives et appeler à leur développement
en tant que l’un des moyens essentiels de favoriser l’autonomisation
des femmes musulmanes.
4.4. Success
stories
34. Les exemples de femmes d’origine
musulmane qui, sans rejeter leur identité religieuse, ont atteint
des fonctions politiques éminentes dans un gouvernement, un parlement
ou au sein de collectivités locales sont la preuve qu’il est possible
de réussir. Ainsi, Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des
femmes et porte-parole du Gouvernement français, Rachida Dati, députée
européenne et ex-ministre de la Justice, Rama Yade, ancienne secrétaire
d'Etat aux droits de l'homme (France), Fadela Amara, ancienne secrétaire
d'Etat chargée de la politique de la ville (France), la baronne
Sayeeda Warsi, coprésidente du parti conservateur britannique et
ministre sans portefeuille (Royaume-Uni), la baronne Pola Manzila
Uddin, membre de la Chambre des Lords (Royaume-Uni), la députée
italienne Souad Sbai ou Aygül Özkan, ministre des Affaires sociales,
des Femmes, de la Santé familiale et de l’Intégration de l’Etat
de Basse‑Saxe en Allemagne, sont des exemples. Il importe de faire
connaître ces exemples, de redire à l’opinion publique que l’intégration
est possible et d’encourager les jeunes femmes musulmanes à avoir
confiance en elles pour embrasser des carrières ambitieuses.
35. La participation des femmes musulmanes à la vie politique
reste cependant assez faible; au Royaume-Uni, trois femmes musulmanes
sont entrées pour la première fois au parlement en 2010. Le Muslim
Women’s Network du Royaume-Uni a identifié de nombreux obstacles
à la participation des femmes musulmanes aux affaires civiques et
à la vie politique, en particulier les structures et attitudes patriarcales
rigides existant au sein des communautés et parmi les décideurs
.
36. Les médias sont un autre domaine important où les musulmanes
s’affirment de plus en plus. Parmi d'autres exemples, on peut citer:
Sara Joseph, musulmane convertie, première femme à devenir rédactrice
en chef d’un magazine musulman britannique
(Trends),
fondatrice et rédactrice en chef du mensuel de style de vie musulman
Emel; Fareena Alam, rédactrice en
chef du magazine musulman
Q-News,
et Yvonne Ridley, journaliste britannique controversée, qui elle
aussi s’est convertie
.
37. En Europe, les médias audiovisuels ne sont pas encore représentatifs
de la diversité de sa population. Les préjugés ont la vie dure et
rares sont les exemples de journalistes qui affichent ouvertement
leur religion, quelle qu’elle soit. Sachant que les médias audiovisuels
arrivent en tête pour informer et briser les clichés, les diffuseurs
ont une lourde responsabilité lorsqu’ils présentent des membres
d'une communauté religieuse. En général, les femmes et les hommes
de confession musulmane sont présentés de manière plutôt négative. J’aimerais
encourager les recherches sur la couverture médiatique et l’image
des femmes musulmanes dans l’opinion publique dans les Etats membres
du Conseil de l'Europe où l'islam n'est pas la religion majoritaire.
38. Le projet «Muslim Women Power List», lancé en 2009 par la
Commission sur l’égalité et les droits de l’homme du Royaume-Uni,
vise à remettre en cause les stéréotypes concernant les femmes musulmanes
et à rendre hommage à celles d’entre elles qui sont sur la voie
d’atteindre – ou ont déjà atteint – le sommet de leur carrière dans
les affaires, la vie publique, les arts, les médias ou le secteur
public
.
La Commission sur l’égalité et les droits de l’homme gère le projet
en coopération avec
The Guardian et
le magazine
Emel, afin d’offrir
des modèles et de sensibiliser le public aux conséquences de certains
clichés persistants qui s’opposent au développement de la participation
civile et politique des femmes musulmanes, ainsi qu’à leur autonomisation
sur le plan économique. Les initiatives de ce type, qui remettent
en cause les stéréotypes existants, me paraissent constituer un
premier pas sur la voie de l’accès des femmes musulmanes à l’égalité des
chances.
4.5. Les
réseaux
39. On compte de plus en plus de
femmes musulmanes activement engagées dans les sociétés européennes
et dans la vie politique, en tant qu’entrepreneuses, parlementaires,
ou exerçant une profession libérale. Dans le même temps, un certain
nombre d’initiatives privées et publiques ont été mises en œuvre
pour promouvoir la visibilité de ces exemples à prendre en modèle,
de l'intérêt des mentors et du travail en réseau. Ces réseaux contribuent
à faire évoluer le rôle des femmes musulmanes dans leur communauté.
40. Le CEDAR (Connecting European Dynamic Achievers & Role
Model
s) est un exemple intéressant;
il s’agit d’un réseau de professionnels musulmans couvrant 10 pays
européens, qui s’efforce d'instaurer une culture de la réussite
et du leadership au sein des communautés musulmanes d’Europe
.
41. La «European Muslim women of influence list» (liste des femmes
musulmanes européennes d’influence) est l’un des projets du CEDAR.
Ce projet salue les efforts des femmes musulmanes et les érige en
modèles à suivre et en exemples positifs
.
L'architecte irako-britannique Zaha Hadid, la journaliste allemande
Hilal Sezgin et la spécialiste britannique des droits humains Shaheed
Fatima figurent avec d’autres sur la liste 2010. La prochaine liste
sera publiée en 2013.
42. L’lnitiative féminine islamique pour la spiritualité et l'égalité
(Women’s Islamic Initiative in Spirituality and Equality – WISE)
se présente comme «un programme mondial, un réseau social et un
mouvement de justice sociale citoyen géré par des femmes musulmanes»
. Lancée en 2006, WISE vise à améliorer
la situation des femmes musulmanes dans le monde et les encourage
à participer pleinement dans leurs communautés.
43. Le Réseau des femmes musulmanes du Royaume-Uni (Muslim Women's
Network UK)
soutient également les efforts des
femmes musulmanes. Son ancienne directrice exécutive, Shaista Gohir,
souligne que «l'identité féminine musulmane a pu se réduire à un
vêtement à une époque, or les femmes musulmanes qui réussissent
défient constamment les stéréotypes. Le fait que les musulmanes
fassent progresser les droits des femmes et se battent pour être
entendues des décideurs politiques et de leurs communautés, tout
en cherchant un équilibre entre vie de famille et travail malgré
de nombreux obstacles, prouve clairement la grande capacité des
femmes musulmanes»
.
44. Enfin, je voudrais aussi citer le Fatima Women’s Network,
qui agit pour améliorer la capacité des groupes de femmes musulmanes
à créer des réseaux et faire évoluer les politiques
. Au Royaume-Uni,
il existe également une initiative soutenue par l'Etat: le Gouvernement
britannique a mis en place le groupe consultatif national des femmes
musulmanes afin de donner davantage d'espace aux femmes musulmanes dans
la société britannique.
5. Le
mouvement féministe islamique
45. Bien qu’il soit presque totalement
négligé par les médias traditionnels, il existe une forme de féminisme préoccupé
par le rôle des femmes dans l’islam. Le féminisme islamique cherche
à instaurer l’égalité pleine et entière de tous les musulmans (hommes
ou femmes) dans la vie publique et privée. Les féministes islamiques défendent
les droits des femmes, l’égalité entre les sexes et la justice sociale,
en s'appuyant sur le Coran et ses enseignements.
46. Les partisans de ce courant cherchent à mettre en valeur les
principes d’égalité enracinés dans la religion et encouragent une
remise en question de l’interprétation patriarcale de l’enseignement
islamique pour instaurer une société plus égalitaire et plus juste.
La première conférence a eu lieu à Barcelone en 2005, et la quatrième
à Madrid en 2010
.
Elle a été lancée par Ndeye Andújar, éditrice en chef du site de
référence
webislam.com, qui vise à véhiculer une meilleure image de la communauté
musulmane auprès de l’opinion espagnole, et cofondatrice du Comité
musulman catalan.
47. Au nombre des grands thèmes de campagne du mouvement féministe
islamique, on citera notamment:
- le droit de la famille, en particulier
concernant le mariage, la polygamie, le divorce, la garde des enfants, l’entretien
et les biens du couple selon la charia. Certains groupes féministes
musulmans, comme le Conseil canadien des femmes musulmanes, se sont
prononcés pour des réformes non discriminatoires et favorables aux
femmes de ces aspects du droit, sur la base du Coran; d'autres,
en revanche, font valoir qu'il n'y a pas de possibilité de réforme
et qu'il faudrait les rejeter en bloc;
- l’orientation sexuelle: s’il
y a débat sur l’interprétation des passages du Coran qui semblent
bannir l’homosexualité, certains universitaires et groupes de pression
islamiques avancent des arguments en faveur d’une interprétation
libérale, malgré la résistance de la grande majorité de la communauté musulmane;
- code vestimentaire: à
cet égard, les opinions divergent. L’islam demande que les hommes
et les femmes fassent preuve de modestie vestimentaire, selon le
principe du hijab, suffisamment souple pour accepter différents
comportements et vêtements. Certains, professant des points de vue
féministes, ont ouvertement pris position en faveur de l’interdiction
du voile intégral dans les lieux publics, faisant valoir qu’il n’est
pas exigé par la religion et qu'il est un signe de l'assujettissement
de la femme; d'autres défendent le port du voile intégral dans la
mesure où la femme concernée l’a choisi librement, et soutiennent
que l’interdiction aliène encore plus les femmes dans la société;
- égalité en matière de pratiques
religieuses et de prière: dans la plupart des mosquées,
les femmes sont tenues de prier dans une salle séparée de celle
des hommes. En Amérique du Nord notamment, des féministes islamiques
ont commencé à s'élever contre cette pratique, demandant que les
femmes soient autorisées à prier aux côtés des hommes, sans séparation,
comme elles le font à La Mecque. En outre, en vertu de ce qu’enseignent
les écoles traditionnelles de l’islam, une femme ne peut diriger
une congrégation mixte lors de la prière; or, en Europe et en Amérique
du Nord, ces dernières années, à de nombreuses reprises, des femmes
ont dirigé des congrégations mixtes. En 2010, Mme Raheel
Raza a été la première musulmane de naissance à diriger une congrégation
britannique mixte pour la prière.
48. Les femmes ont joué un rôle de premier plan dans les révolutions
en Egypte, en Libye, en Tunisie et dans de nombreux autres pays,
qui ont été animées par la quête de la liberté et de la dignité.
Nous avons tous été témoins l’an dernier de la lutte de nombreuses
femmes du monde arabe pour l'égalité des chances, que ce soit en
matière d’accès à l’éducation, pour travailler en dehors de leur
domicile ou pour conduire une voiture. Les femmes musulmanes, en
Europe et dans le monde, lancent un appel pour l’égalité des droits,
dans le respect de leur religion. Cet appel ne doit être ni sous-estimé,
ni ignoré, mais au contraire soutenu. Je suis convaincue que notre
Assemblée peut encourager les femmes musulmanes et leur apporter
une aide dans leur revendication de l’égalité et la promotion et
la protection de leurs droits, tout en assurant le respect de leurs convictions
religieuses. Il est possible de concilier religion musulmane et
autonomisation des femmes
.
6. Le
débat sur le port du voile intégral
49. On ne dispose pas d’informations
statistiques sur le nombre de femmes portant le voile intégral en Europe,
ou portant le foulard. Pour ce qui est du voile intégral, elles
ne sont qu’une petite centaine, du moins dans des pays comme le
Danemark, la Finlande, l’Italie, les Pays-Bas et la Suède. On ne
sait pas non plus combien le portent par choix volontaire, contrairement
à celles qui y sont contraintes. En France, le ministère de la Solidarité
et de la Cohésion sociale estime qu’environ 1 900 femmes musulmanes
portent le voile intégral
.
50. Même s’il s’agit d’un phénomène marginal, le port du voile
intégral est souvent perçu comme le symbole d’une «diversité» autant
qu'un signe de subordination de la femme à l’homme. Il n’est pas
rare d’entendre dire que le voile intégral n’est pas compatible
avec les valeurs européennes
et qu'il est «dérangeant». Malheureusement,
il est arrivé aussi à un certain nombre de reprises que des femmes
portant le voile intégral dans l'espace public aient été agressées
physiquement par d’autres femmes, s’appuyant parfois sur une interprétation
erronée de la loi en la matière.
51. Ces deux ou trois dernières années, les autorités des Etats
membres du Conseil de l’Europe, au niveau national ou local, ont
pris de plus en plus de mesures pour réguler le port du foulard
et, en particulier, du voile intégral. Parmi les motifs avancés
pour justifier l’interdiction du voile intégral figurent la protection
de la dignité des femmes et de l’égalité entre les femmes et les
hommes, la garantie de la sécurité publique et la préservation des
interactions sociales
.
La loi française interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public
a entraîné des discussions dans toute la région du Conseil de l’Europe.
Fondée sur le besoin d’assurer le respect de l’ordre public, cette
loi souligne l’importance de parvenir à vivre ensemble dans la paix
afin d’atteindre à une coexistence harmonieuse
.
Le Conseil constitutionnel français a déclaré que le fait de dissimuler
son visage dans les lieux publics pouvait constituer un danger pour
la sécurité publique en empêchant d’identifier facilement un individu.
Il a également souligné la dimension «égalité entre les sexes» qui
est liée à cette question, les femmes qui dissimulent leur visage
étant en situation d’exclusion et d’infériorité
.
Selon une étude menée par Amnesty International, un tiers des Suisses
estiment que le foulard est humiliant pour les femmes
.
52. En France, des sanctions sont prévues dans les deux cas suivants:
lorsqu’une personne dissimule son visage et lorsqu’une personne
contraint une autre à le faire par la menace, la violence ou l’abus
d’autorité ou de pouvoir. Une amende de 150 euros et un stage sur
la citoyenneté sont prévus dans le premier cas; le deuxième cas
est considéré comme un délit passible d’une peine d’emprisonnement
d’un an maximum et d’une amende de 30 000 euros, la sanction pouvant
être multipliée par deux lorsque la victime est âgée de moins de
18 ans. D’après les informations fournies par M. Joubert, au 8 décembre
2011, 220 violations de cette loi avaient été enregistrées. Bien
que je comprenne l’importance d’assurer la coexistence pacifique
au sein de la société, il me paraît également nécessaire d’éviter
de stigmatiser plus encore les femmes qui font le choix de porter
le voile intégral. Je suis convaincue que les activités de promotion
des droits de toutes les femmes, quelles que soient leurs croyances
religieuses, doivent éviter de contribuer à un isolement plus grand du
reste de la société. Les femmes activistes qui s'en prennent aux
femmes musulmanes portant le voile sont en réalité en contradiction
avec leurs propres principes.
53. La question du voile intégral a en effet complètement dominé
le débat politique à propos des femmes musulmanes, qui demeure confiné
dans une vision étroite et assez simpliste des choses. Le risque
d’exposer de façon accrue les femmes portant le foulard ou le voile
intégral à la discrimination devrait aussi, à mon avis, être pris
en compte et étudié de façon approfondie, afin de recommander des
mesures pour empêcher que cela ne se produise
. Comme le souligne la
Résolution 1743 (2010) intitulée «Islam, islamisme et islamophobie en Europe»,
«une interdiction générale [du voile intégrale dans les lieux publics]
pourrait avoir un effet contraire, en poussant les familles et la
communauté à faire pression sur les femmes musulmanes pour qu’elles
restent chez elles et se limitent à entretenir des contacts avec
d’autres femmes. Les femmes musulmanes subiraient une exclusion
supplémentaire si elles devaient quitter les établissements d’enseignement,
[et] se tenir à l’écart des lieux publics».
7. Crimes
dits «d’honneur», mariages forcés et mutilations génitales féminines
54. Outre le débat sur le voile
intégral, les médias ont tendance à aborder la situation des femmes musulmanes
en Europe uniquement en relation avec les cas de crimes dits «d’honneur»,
de mariages forcés ou de mutilations génitales féminines. L’Assemblée
a attiré l’attention sur de tels crimes commis au nom de l’honneur
en Europe dans ses
Résolutions
1681 (2009) et 1327 (2003), qui condamnent l’une et l’autre toutes les
formes de violence à l’égard des femmes et des filles commises au
nom de codes d’honneur traditionnels, la première soulignant le
fait qu’«aucune tradition ni aucune culture ne sauraient se prévaloir
d’un quelconque honneur pour porter atteinte aux droits fondamentaux
des femmes»
.
55. D’après la Fondation suisse SURGIR, le nombre de crimes dits
«d’honneur» augmente en Europe, principalement au Royaume-Uni, en
Italie, aux Pays-Bas, en Belgique, en France, en Allemagne, au Danemark,
en Suède, en Norvège et en Suisse
. Par exemple, 88 cas de crimes dits
«d’honneur» ont été enregistrés en Allemagne de 1996 à 2007
.
En Belgique, la police fédérale a identifié officieusement 17 crimes
ou tentatives de crimes d’honneur entre 2004 et 2008
.
En France, 10 cas environ ont été enregistrés depuis 1993 et, au
Royaume-Uni, une douzaine de cas sont déclarés chaque année. Jusqu’ici, seuls
les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont adopté un cadre légal complet
incluant la prévention, la protection des témoins, la formation
des policiers et la création d’unités de police spéciales
. En Turquie,
une commission d’enquête sur les crimes d’honneur, créée en 2006,
a recensé 332 cas de 2006 à 2010
.
56. Les crimes dits «d'honneur» relèvent d'une mentalité patriarcale
et peuvent toucher des femmes issues de différentes appartenances
religieuses. Bien que la plupart de ces crimes aient lieu dans la
communauté musulmane, il serait faux de les relier à des principes
ou à des pratiques de l’islam, comme c’est malheureusement souvent
le cas dans les médias
.
57. L’Assemblée a condamné en 2005 la pratique des mariages forcés
dans la
Résolution 1468
(2005) et la
Recommandation
1723 (2005) sur les mariages forcés et mariages d’enfants, en exprimant
ses préoccupations au sujet des violations graves récurrentes des
droits de l’homme et des droits de l’enfant que constituent les
mariages forcés et les mariages d’enfants. La résolution indiquait
clairement que le mariage forcé ne peut être justifié d’aucune façon.
58. D'après le Parlement européen, environ 500 000 femmes ont
été victimes de mutilations génitales en Europe et 180 000 femmes
et filles risquent d'en être victimes
. Je souhaite rappeler qu'aucune
religion ne prescrit de telles mutilations
. Si elles sont surtout pratiquées
par des musulmans, des chrétiens, des juifs et des animistes y ont
aussi recours
. L'Assemblée a condamné
les mutilations génitales féminines dès 2001 dans la
Résolution 1247 (2001).
59. La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et
la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique (STCE no 210), qui a été ouverte
à la signature en mai 2011 à Istanbul, demande aux Parties de prévenir
et de combattre toutes formes de violence à l'égard des femmes,
y compris les mariages forcés et les mutilations génitales féminines.
La tradition ou le prétendu «honneur» ne peuvent être considérés
comme justifiant de tels actes (article 42 de la convention) ni
comme une circonstance atténuante dans le cadre de procédures judiciaires.
Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe qui ne l’ont pas encore
fait décideront, je l’espère, de signer, de ratifier et de mettre
en œuvre cet instrument innovant et révolutionnaire pour la protection
des droits de toutes les femmes.
60. J'aimerais ajouter que si la mise en œuvre des activités de
prévention et de sensibilisation dans le domaine de la violence
à l'égard des femmes pouvait impliquer les leaders religieux musulmans,
cela ne pourrait être que très bénéfique pour les femmes musulmanes
en Europe.
8. Conclusions
et recommandations
61. Dans les Etats membres du Conseil
de l'Europe où l’islam n'est pas la religion de la majorité de la population,
les femmes musulmanes sont souvent victimes de discriminations multiples,
en raison de leur sexe et de leur religion. Par ailleurs, elles
sont victimes de représentation stéréotypées, leur identité étant
souvent réduite à leurs seules convictions religieuses. De la même
manière, le fait que, dans un grand nombre de pays, le débat politique
autour des femmes musulmanes se soit focalisé sur la seule question
du voile intégral et de sa compatibilité avec les valeurs des droits
humains, et le fait que les médias ne parlent d’elles qu’en tant
que victimes de crimes dits «d’honneur» et de mutilations génitales,
ne reflètent pas la situation réelle des femmes musulmanes en Europe.
62. J’estime qu’il est temps d’ajouter une nouvelle perspective.
Les femmes musulmanes en Europe sont souvent victimes de discrimination
et de clichés, et parfois de violence, que ce soit de la part d’agents
de l'Etat ou de personnes privées. Mais elles sont aussi des actrices
du changement et de l'autonomisation. Au lieu d’être isolées ou
stigmatisées en raison de leur sexe et de leurs convictions religieuses,
ces femmes devraient être encouragées dans leur quête d'égalité
dans la société et devraient bénéficier de meilleurs instruments pour
y parvenir. Cela est nécessaire non seulement pour leur propre bien-être
et leur épanouissement, mais également pour la cohésion des sociétés
multiculturelles européennes.
63. Les membres des parlements devraient utiliser leur influence
politique pour contrecarrer les stéréotypes négatifs associés aux
femmes musulmanes dans toute l’Europe et pour mettre en valeur la
contribution positive que ces femmes apportent à nos sociétés.
64. Les législateurs devraient aussi soutenir les femmes dans
leur quête d’autonomisation, en développant des politiques destinées
à faciliter leur accès aux principaux moyens d’intégration et de
participation, tels que l’éducation, la formation professionnelle
et l’emploi.
65. Dans ce processus, les groupes de la société civile, les chefs
religieux musulmans et les associations de femmes peuvent jouer
un rôle essentiel. Ces acteurs ne doivent pas être mis de côté,
car cela risquerait d'accentuer les clivages entre les différents
groupes. Toutefois, dans le même temps, les autorités publiques devraient
devenir exemplaires en reflétant la composition multiethnique, multiculturelle
et multireligieuse des sociétés européennes.
66. Dans la période actuelle de crise financière et économique,
alors que le racisme, la xénophobie et d’autres formes d’extrémisme
se développent, les Etats membres du Conseil de l'Europe devraient
considérer un investissement dans l’intégration, la protection et
l’autonomisation des femmes musulmanes comme prioritaire. La diversité
en Europe est une réalité incontournable. Si nous voulons qu’elle
soit un élément de cohésion, et non pas de division, nous devons
gagner les esprits et les cœurs des femmes musulmanes. Les premières
étapes de ce processus consistent à les prendre au sérieux en tant
qu’interlocutrices, à cesser de politiser la question du voile intégral
et à écouter leurs vraies demandes.