1. Introduction
1. Le Forum pour l’avenir de la
démocratie, qui s’est tenu du 21 au 23 octobre 2009 à Kiev, a conclu
ceci dans la partie concernant les élections:
«3. Des élections démocratiques
sont décisives pour garantir que la volonté du peuple est respectée lorsqu’il
s’agit de former la législature et le gouvernement à tous les niveaux.
Le processus de transformation du résultat d'un scrutin en mandats
politiques doit se dérouler de manière équitable, impartiale et
fiable. Les citoyens doivent être sûrs que leur volonté collective
a été respectée et, de leur côté, ils accepteront le verdict sorti
des urnes.
4. (…) Le Conseil de l’Europe
a pour objectif que chacun s’entende sur l’ensemble des principes
qui font que des élections seront considérées comme “libres et équitables”,
conformément aux normes démocratiques. Ces normes doivent être pleinement
mises en œuvre dans toutes les élections qui se déroulent sur le
territoire des Etats membres du Conseil de l'Europe, de ceux qui
aspirent à le devenir ou de ceux qui s’engagent dans une relation
privilégiée avec l’Organisation. (...)»
2. L’Assemblée parlementaire a su jouer un rôle de premier plan
dans la création du patrimoine électoral européen. Elle a notamment
initié le travail normatif au Conseil de l’Europe dans le domaine
électoral qui a servi de base afin d’améliorer les législations
électorales nationales, voire même de créer de telles législations dans
certains pays de l’Europe de l’Est et du Sud-Est. Elle a largement
contribué au développement de la coopération dans ce domaine, aussi
bien au sein du Conseil de l’Europe, notamment avec la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et son Conseil
des élections démocratiques, qu’avec d’autres organisations, telles
que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
(OSCE) et son Bureau des institutions démocratiques et des droits
de l’homme (BIDDH), et le Parlement européen.
3. Notons que, depuis sa création en 2002, le Conseil des élections
démocratiques sert de pont interinstitutionnel en matière électorale
au sein du Conseil de l’Europe. Organe tripartite, il est en effet
composé de représentants de la Commission de Venise, de l’Assemblée
et du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe.
Il est présidé actuellement par notre collègue Andreas Gross. Son
but est de favoriser la coopération dans le domaine électoral entre
la Commission de Venise, organe juridique, et l’organe politique responsable
de l’observation des élections, l’Assemblée. Le Conseil a encouragé
le Parlement européen, la Commission européenne, le BIDDH et l'Assemblée
parlementaire de l'OSCE, ainsi que l’Association des administrateurs
d’élections de l’Europe centrale et orientale (ACEEEO) à participer
à ses travaux en tant qu'observateurs. A ce titre, les représentants
du BIDDH participent régulièrement à ces réunions.
4. Ayant déjà observé les premières élections tenues en Grèce
après la chute des colonels en novembre 1974, l’Assemblée parlementaire
a également été à l’origine de l’introduction de l’observation internationale des
élections sur le continent européen d’une manière institutionnalisée.
Depuis 1989, l’Assemblée a observé plus de 140 élections parlementaires
et présidentielles dans des pays européens, et environ 1 900 parlementaires,
membres de l’Assemblée, ont été déployés à cette fin. J’ai moi-même
observé 10 élections pour le compte du Conseil de l’Europe – et
j’ai eu l’honneur de présider quatre missions d’observation – et
j’ai également participé à plusieurs autres au sein de l’Assemblée
parlementaire de l’OSCE.
5. Avec l’institution du statut d’invité spécial en 1989, le
principe selon lequel les assemblées législatives nationales sont
constituées dans le cadre d'élections régulières, libres et équitables
est devenu une condition préalable centrale pour tout parlement
désireux d’obtenir le statut d'invité spécial à l'Assemblée. Ce
principe a été renforcé, et la Déclaration de Vienne adoptée lors
du 1er Sommet des chefs d'Etat et de
gouvernement européens du Conseil de l'Europe, en octobre 1993,
l’a clairement érigé en condition préalable à l'adhésion au Conseil
de l'Europe. Depuis l’instauration progressive d’une procédure de
suivi et du dialogue postsuivi, l'Assemblée suit régulièrement le
respect des principes relatifs aux élections libres et équitables
non seulement dans les Etats candidats à l'adhésion, mais aussi
dans les Etats membres qui font l'objet d'une procédure de suivi
ou d’un dialogue postsuivi. La même condition a été liée à l’octroi
du statut de partenaire pour la démocratie, créé plus récemment
pour les parlements du voisinage du Conseil de l’Europe.
6. Comme le précisent les rapports de l'Assemblée sur l'observation
des élections, ainsi que les avis et études de la Commission de
Venise, des progrès considérables ont été accomplis depuis dix ans
dans la plupart des Etats membres, que ce soit au niveau de la législation
électorale ou dans la pratique. Cela étant, malgré les acquis incontestables
en matière d’élections démocratiques, des irrégularités sont encore
trop souvent constatées par l’Assemblée, qui montrent que les élections
«libres et équitables» restent un défi majeur à relever. L’Assemblée
se trouve confrontée à une série de problèmes récurrents constatés
dans l’ensemble du processus électoral. En règle générale, ces problèmes
récurrents prennent deux formes: d’une part, ils peuvent être observés
dans l’application des législations pertinentes, comme des problèmes
non intentionnels d’organisation liés au caractère récent de la
démocratie dans certains pays. D’autres irrégularités sont, au contraire,
bien intentionnelles; elles sont souvent dues à la réticence des
principaux acteurs politiques à garantir un traitement égal à tous
les candidats et relèvent de la fraude électorale. Il serait opportun
de noter qu’avec le temps – cela fait presque vingt ans que l’Assemblée
observe les élections dans les Etats membres du Conseil de l’Europe
qui font l’objet d’une procédure de suivi ou d’un dialogue postsuivi
– les justifications des autorités des pays concernés faisant état
du manque d’expérience ou de l’inadéquation des cadres législatifs
et administratifs deviennent de moins en moins crédibles. A noter
également que les infractions électorales ont évolué avec le temps.
Si, dans un premier temps, les irrégularités étaient observées surtout
le jour du scrutin, aujourd’hui les infractions les plus graves
sont commises pendant la période préélectorale et, de ce fait, elles
sont plus difficiles à identifier.
7. Des irrégularités graves en matière électorale ont souvent
été à l’origine de périodes d’instabilité et de crise politique
dans certains Etats membres, et peuvent en général nuire à la «sécurité
douce» des sociétés: «Le Conseil de l’Europe a été, est, et sera
toujours indispensable pour l’application de ce concept élargi de sécurité
européenne combinant “sécurité dure” et “sécurité douce”»
.
8. D’ailleurs, comme souligné dans le document du Comité des
Ministres sur les priorités du Conseil de l’Europe pour la période
2012-1013, la promotion d’élections démocratiques reste l’une des
activités prioritaires de l’Organisation
.
9. En mettant en évidence les problèmes récurrents observés par
notre Assemblée et ses partenaires internationaux durant les missions
d’observation des élections, le présent rapport entend identifier
les principaux défis auxquels doivent faire face les Etats membres
aujourd’hui dans le domaine de la législation et de la pratique
électorales, et proposer des mesures possibles pour améliorer le
caractère démocratique des élections.
10. Dans le contexte de la préparation de ce rapport, la commission
des questions politiques et de la démocratie a tenu une audition
en décembre 2011 avec le professeur Jean-Claude Colliard, vice-président
du Conseil des élections démocratiques et membre (au titre de la
France) de la Commission de Venise, le Dr Beata
Martin-Rozumilowicz, chef du Service des élections de l’OSCE/BIDDH,
M. Nicolas Kaczorowski, directeur national, Fondation internationale
pour les systèmes électoraux (FISE), Bureau de Tunisie, et le professeur
Richard Ghevontian.
11. Je suis particulièrement reconnaissant à nos invités grâce
à qui l’échange de vues a été très intéressant. A la demande de
la commission, et sur la base des commentaires de M. Colliard, le
Conseil des élections démocratiques de la Commission de Venise a
élaboré une contribution écrite à ce rapport et je l’en remercie. Le
Conseil des élections démocratiques a décidé de poursuivre ses travaux
sur le sujet et examine actuellement des domaines concrets dans
lesquels son action pourrait se concentrer. Le présent rapport s’est largement
inspiré aussi de deux autres rapports de la Commission de Venise,
préparés dans le cadre du Conseil des élections démocratiques, l’un
de 2006 sur «Le droit électoral et l’administration des élections
en Europe – Etude de synthèse sur certains défis et problèmes récurrents»
,
et l’autre de 2010 sur «Le calendrier et l’inventaire des critères
politiques d’évaluation d’une élection»
(préparé
par notre collègue Andreas Gross). Ce dernier souligne très justement
que le caractère libre et équitable des élections ne peut pas être
évalué uniquement sur la base du jour du scrutin mais que tout le
processus préélectoral et postélectoral doit être pris en considération.
Enfin, les rapports présentés à la conférence tenue à Tirana les
2 et 3 juillet 2012 sur «Le patrimoine électoral européen: dix ans
de Code de bonne conduite en matière électorale», dans le cadre
de la présidence albanaise, ont été particulièrement utiles pour
préparer le présent rapport.
2. Le patrimoine électoral européen
2.1. Les
normes et principes du Conseil de l’Europe et d’autres sources
12. L’article 21 de la Déclaration
universelle des droits de l’homme, adoptée par les Nations Unis
le 10 décembre 1948, apparaît comme un précurseur en matière de
protection conventionnelle du droit à des élections libres au plan
international dans la mesure où il s’agit du seul texte antérieur
à l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 9).
13. Il énonce notamment le droit de prendre part à la conduite
des affaires publiques de son pays directement ou par l’intermédiaire
de représentants librement choisis et le droit de participer à des
élections libres au suffrage universel et à scrutin secret
.
14. Toutefois, la déclaration onusienne n’est qu’une proclamation
de principes en forme solennelle et l’absence de mécanisme juridictionnel
de contrôle du respect des droits garantis limite nécessairement
la portée juridique des droits énoncés, à la différence du système
instauré par la Convention européenne des droits de l’homme (STE
no 5, «la Convention»).
15. Les principes garantissant la nature démocratique des élections
reconnus par le Conseil de l’Europe forment un aspect spécifique
du patrimoine constitutionnel européen dénommé «patrimoine électoral européen».
Il recouvre deux dimensions: d’une part, un noyau dur, «à savoir
les principes constitutionnels du droit électoral, tels que le suffrage
universel, égal, libre, secret et direct»; d’autre part, le principe
que «des élections véritablement démocratiques ne peuvent se tenir
sans que soient respectées un certain nombre de conditions-cadres
propres à un Etat démocratique fondé sur la primauté du droit, telles
que le respect des droits fondamentaux, la stabilité du droit électoral
et des garanties procédurales effectives». Ces divers principes
et conditions-cadres ont été développés dans un grand nombre de
textes du Conseil de l’Europe
.
16. Le Protocole additionnel à la Convention proclame en son article
3 que «[l]es Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser,
à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin
secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de
l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif».
17. Le droit à des élections libres est de nature transversale;
il comporte des interactions nombreuses et croissantes avec d’autres
droits et principes garantis par la Convention, au premier rang
desquels se trouvent le principe de la liberté d’expression et les
libertés de réunion et d’association (articles 10 et 11).
18. Quant aux élections présidentielles, la Cour européenne des
droits de l’homme («la Cour») n’exclut pas la possibilité d’une
application de l’article 3 du protocole additionnel dans l’hypothèse
où il serait «établi que les fonctions du chef de l’Etat concerné
comprennent l’initiative législative et le pouvoir d’adopter des
lois ou incluent de vastes prérogatives en matière de contrôle de
l’adoption des lois ou le pouvoir de censurer les principaux organes
législatifs»
.
19. La Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que l’ancienne
Commission européenne des droits de l’homme, ont permis une extension
significative des droits garantis par cette disposition grâce à
la construction d’une jurisprudence audacieuse. Alors que, par exemple,
le principe du suffrage universel n'a pas été retenu dans le texte
de l'article 3 du protocole additionnel, l'ancienne Commission l’a
reconnu dès 1967 et depuis il a été confirmé dans de nombreuses
affaires examinées par la Commission et la Cour. Au cours des vingt dernières
années, la jurisprudence de Strasbourg a réduit la marge d’appréciation
des Etats membres dans ce domaine traditionnellement emblématique
de la souveraineté, au bénéfice d’un renforcement de la protection offerte
par le droit à des élections libres
.
20. En ce qui concerne l’OSCE, le document normatif en matière
électorale est le Document de la réunion de Copenhague de la Conférence
sur la dimension humaine de la CSCE (1990), généralement appelé «Document
de Copenhague». Il contient une liste plus étoffée, bien que non
exhaustive, des droits des citoyens en matière électorale et des
obligations de l’Etat. Ce document n’est néanmoins contraignant
que du point de vue politique et non juridique, et n’a pas été soumis
à ratification
.
21. En outre, ces dernières années, les deux organes statutaires
du Conseil de l’Europe, l’Assemblée parlementaire et le Comité des
Ministres, ont adopté un nombre considérable de résolutions et de recommandations
concernant les principes régissant les élections, notamment dans
les rapports de l’Assemblée sur la situation de la démocratie en
Europe
, ou sur la démocratie électronique
,
sur le vote électronique
, sur la participation équilibrée
des femmes et des hommes à la prise de décision politique et publique
et
la nécessité d’augmenter la représentation des femmes en politique
par les systèmes électoraux
, la corruption dans
le financement des partis politiques et des campagnes électorales
,
la couverture des campagnes électorales par les médias
, les
seuils électoraux et autres aspects des systèmes électoraux
. Pendant la partie
de session de juin 2012, l’Assemblée a adopté la
Résolution 1889 (2012) sur l’image des migrants et des réfugiés véhiculée pendant
les campagnes électorales.
2.2. Le
Code de bonne conduite en matière électorale et d’autres normes
et principes émanant de la Commission de Venise
22. L’Assemblée a été à l’origine
de l’initiative de rédiger le Code de bonne conduite en matière
électorale de la Commission de Venise dans le but de réunir les
«critères universels qui déterminent des minimums indispensables
ou,
a contrario, qui excluent
certains types de comportement afin que les élections puissent être
considérées comme libres et démocratiques». Cela permet d’éviter
«l’application de critères différents et [a] en même temps des effets
positifs dans l’évaluation des situations des Etats membres, dans
le cadre de l’exercice de suivi des engagements»
. Dans sa
Résolution 1264 (2001), l’Assemblée a ainsi invité la Commission de Venise
à élaborer un «code de bonne conduite en matière électorale».
23. Le code a été élaboré dans le cadre du Conseil des élections
démocratiques de la Commission de Venise et, en 2002, a été adopté
par cette dernière pour être ensuite approuvé par l’Assemblée en
janvier 2003
.
Depuis, le code a largement inspiré les législateurs d’un certain
nombre d’Etats membres pour améliorer leur législation électorale.
24. Comme mentionné ci-dessus, le code contient les normes et
principes du patrimoine électoral européen, notamment les principes
constitutionnels tels que «le suffrage universel, égal, libre, secret
et direct», mais développe également les conditions-cadres nécessaires
à leur mise en œuvre, comme le respect des droits fondamentaux,
la stabilité du cadre général législatif électoral et les garanties
procédurales telles que l’organisation du scrutin par un organe
impartial et l’existence d’un système de recours et d’observation efficace.
Il fait de l’observation des élections l’une des conditions de la
mise en œuvre des principes du patrimoine électoral européen en
tant que «garantie procédurale». Le code constitue l’instrument
juridique en matière électorale le plus détaillé sur lequel les
commissions ad hoc d’observation des élections du Bureau de l’Assemblée
fondent leur travail.
25. Conformément à son rôle d’organe consultatif du Conseil de
l’Europe en matière électorale, la Commission de Venise a aidé plusieurs
Etats membres à élaborer leur législation électorale. Elle a ainsi effectué
une multitude de travaux comparatifs ayant conduit à l’élaboration
de textes normatifs.
26. La plupart des études et rapports récents en matière électorale
ont été préparés dans le cadre du Conseil des élections démocratiques.
Ils ont ensuite été adoptés par la Commission de Venise et, le cas échéant,
l’Assemblée parlementaire. Parmi les travaux récents ainsi préparés,
on peut notamment citer le Code de bonne conduite en matière de
partis politiques
,
les lignes directrices sur l’analyse des médias au cours des missions
d’observation électorale
ou
les lignes directrices sur un statut internationalement reconnu des
observateurs d’élections
.
27. Dans son rapport susmentionné sur le calendrier et l’inventaire
des critères politiques d’évaluation d’une élection
,
la Commission de Venise a, entre autres, listé les autres droits
de l’homme internationalement reconnus qui doivent aussi être exercés
dans le contexte électoral, sans discrimination ni restriction,
aux côtés du droit à un suffrage universel, égal, libre, secret
et direct, notamment:
- le droit
à l’égalité et à la non-discrimination;
- le droit de s’associer au sein d’organisations politiques,
comme des partis politiques, des associations de soutien à des candidats
ou des groupes favorables ou défavorables à des propositions de référendums;
- le droit de se réunir pacifiquement (réunions, rencontres
ou rassemblements) et de manifester autrement son soutien à des
candidats à l’élection dans des lieux aisément accessibles au public;
- le droit de se déplacer librement, entre autres, pour
faire campagne;
- le droit de n’être l’objet d’aucune menace de violence
ou d’autres formes de coercition en faisant des choix politiques
ou en s’exprimant politiquement;
- le droit de faire valoir des opinions politiques sans
aucune ingérence;
- le droit à la liberté d’expression politique, y compris
la liberté de rechercher, de recevoir ou de communiquer des informations
ou des idées afin que les électeurs puissent faire le choix éclairé nécessaire
à la libre expression de leur volonté;
- le droit à un accès équitable aux médias publics dans
le cadre électoral;
- le droit à un recours effectif en cas de violation de
droits protégés.
28. La Commission de Venise a également adopté de nombreux avis
relatifs à la législation électorale des Etats, son expertise dans
ce domaine étant très largement reconnue au plan international.
Ces avis sont le plus souvent rédigés en étroite collaboration avec
l’OSCE/BIDDH, à la demande des autorités nationales, mais aussi
assez souvent à la demande de l’Assemblée (notamment de sa Commission
de suivi)
.
29. La Commission de Venise a ainsi régulièrement coopéré, dans
le domaine électoral, avec la majorité des Etats ayant intégré le
Conseil de l’Europe depuis 1990, notamment l’Albanie, l’Arménie,
l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la République de Moldova et l’Ukraine.
De manière plus occasionnelle, elle a été active dans de nombreux
autres Etats, notamment la Bulgarie, la Croatie, la Hongrie, la
Roumanie, la Fédération de Russie et «l’ex-République yougoslave
de Macédoine». La Commission de Venise a été chargée, en 1997, de
rédiger un premier projet de loi électorale pour la Bosnie-Herzégovine.
3. Les
défis et problèmes récurrents dans le processus électoral
30. La fraude électorale s’observe
à toutes les étapes des élections: durant la période préélectorale,
le jour du scrutin ou même au moment du dépouillement des résultats.
Tout au long de ces vingt dernières années, les techniques sont
devenues de plus en plus sophistiquées pour usurper la volonté populaire.
31. Il convient de souligner que ce rapport ne s’attarde pas sur
chacun des problèmes observés dans le processus électoral, mais
se concentre davantage sur les irrégularités les plus souvent constatées,
notamment dans la période préélectorale, qui empêchent la tenue
d’élections transparentes et libres.
32. A la demande spécifique de membres de notre commission, une
courte section est consacrée à la participation des minorités aux
élections, qui s'appuie sur l'excellent rapport intitulé «Le droit
électoral et la représentation des minorités», présenté par le professeur
Jan Velaers à la Conférence de Tirana
.
33. En ce qui concerne les problèmes relatifs à la représentation
des femmes en politique, je vous renvoie à l’avis sur mon rapport
qui sera présenté par la commission sur l'égalité et la non-discrimination,
ainsi qu'au rapport séparé que cette dernière prépare actuellement
sur la question plus spécifique de meilleures pratiques pour la
promotion de l’égalité des femmes et des hommes au sein des partis
politiques. Concernant les problèmes relatifs à la participation
des migrants, je vous renvoie à la
Résolution 1889 (2012) sur l’image des migrants et des réfugiés véhiculée pendant
les campagnes électorales ainsi qu’à l’avis que présentera la commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées.
3.1. Administration
électorale: la question de la neutralité et de l’impartialité
34. L’administration électorale
constitue l’un des points clés essentiels pour assurer la régularité
des élections tout au long du processus électoral et garantir l’application
des cinq critères constitutifs du patrimoine électoral européen.
En effet, «un organe impartial doit être compétent pour l’application
du droit électoral. Seules la transparence, l’impartialité et l’indépendance
à l’égard de toute manipulation politique assureront la bonne administration
du processus électoral, de la période précédant les élections jusqu’à
la fin du traitement des résultats», précise le Code de bonne conduite
en matière électorale. Des questions comme le découpage des circonscriptions,
l’allocation des sièges, le déroulement de la campagne et le calcul
des financements et remboursements devraient ainsi être tranchées
ou gérées par une administration électorale indépendante et impartiale
ou, à tout le moins, par des commissions électorales indépendantes.
35. Plutôt que sur des critères formels souvent difficiles à vérifier,
comme l'adhésion à un parti politique, l’accent devrait être mis
sur le bon fonctionnement de l'administration électorale – censée
être impartiale.
36. L’exigence de la neutralité de l’Etat et de l’administration
est d’autant plus essentielle que le gouvernement est partie prenante
puisque son existence même peut dépendre du résultat des élections.
Il est donc difficile qu’il soit juge et partie. Il est néanmoins
d’usage que les élections soient organisées par l’administration
électorale et, en règle générale, qu’elles soient supervisées par
le pouvoir exécutif tel que le ministère de l’Intérieur ou celui
de la Justice. A cet égard, le code précité précise que cette organisation
n’est admissible que «[d]ans les Etats où il existe une longue tradition
d’indépendance de l’administration face au pouvoir politique», dans
le but évident que l’administration électorale ne subisse pas des
pressions du pouvoir politique qui l’influencerait dans l’application
du droit électoral. En France, par exemple, l’administration électorale
est «sous le contrôle du juge».
37. En même temps, il paraît nécessaire d’établir des commissions
électorales indépendantes et impartiales dans les démocraties émergentes
afin de garantir la bonne conduite des élections ou au moins dissiper
de forts soupçons d'irrégularités, et ce à tous les niveaux – du
niveau national à celui du bureau de vote. Le Code de bonne conduite
en matière électorale exige que toute Commission électorale centrale
(CEC) soit permanente en tant que structure administrative chargée
de maintenir la liaison avec les autorités locales et les autres commissions
inférieures. La Commission de Venise salue la multiplication des
commissions électorales formellement indépendantes en Europe centrale
et orientale
. Des commissions électorales ont
été ou sont progressivement mises en place aussi dans des pays qui
traditionnellement organisent des élections démocratiques; elles
ont le mérite d'être professionnelles et impartiales, et de permettre
l’échange d’expériences et de bonnes pratiques en matière de gestion
des élections avec des partenaires internationaux.
38. Cependant, la présence de l’exécutif dans l’encadrement administratif
des élections devient plus subtile: ne se présentant plus ouvertement
comme l’unique superviseur des opérations électorales, le pouvoir
exécutif accepte le plus souvent la création de commissions électorales
indépendantes tout en gardant le contrôle sur leur composition.
Ainsi, les rapports d’observation des élections constatent souvent
une polarisation politique de l’administration électorale: un nombre
encore important de ces organes est nommé par l’exécutif.
39. Pour citer quelques exemples, dans le cas de l’Azerbaïdjan,
en 2004, la Commission de Venise et le BIDDH ont proposé que la
composition de la Commission électorale centrale (CEC), fixée dans
le Code électoral, soit révisée afin d’améliorer le critère d’indépendance:
«Pour que les principaux acteurs des élections puissent avoir confiance
dans les commissions, celles-ci ne devraient pas être dominées par
des forces progouvernementales, ce que les dispositions en vigueur
ne suffisent pas à garantir.»
Cependant, à l’occasion de
la dernière élection présidentielle organisée en Azerbaïdjan, l’Assemblée
a déploré que cette recommandation n’ait toujours pas été prise
en compte par la voie d’une modification de la loi électorale ou d’une
adaptation des comportements (
Doc. 11769).
40. Les observateurs de l’Assemblée ont également émis des critiques
sur la composition des commissions électorales en Géorgie à la suite
des deux missions déployées en 2004. Ainsi, ont-ils regretté que
«la composition de la CEC et de la Commission électorale de circonscription
soit toujours politiquement déséquilibrée, ce qui tient à la formule
Baker qui favorise le gouvernement en place dans la composition
des commissions électorales» (
Doc. 10151).
41. Un système partisan de formation des commissions électorales
ne semble pas non plus être la solution idéale. Ainsi, en Albanie,
le système d’administration électorale complexe, qui visait à accroître
la confiance des deux plus grands partis dans la conduite des élections,
a été l’objet de critiques; l'administration électorale étant divisée
selon les obédiences partisanes, ses travaux sont susceptibles d’être
bloqués par l’un ou l’autre des grands partis politiques. Cela a
conduit les corapporteurs de la commission de suivi à noter «un
manque global de confiance dans l’impartialité de l’administration
électorale»
et la Commission de Venise à recommander
une révision du système actuel de formation des commissions électorales
en vue de «réduire les possibilités d’attitudes partisanes et de
politisation de l’administration électorale»
.
Les observateurs ont par ailleurs reproché aux partis politiques
d’avoir abusé de leur droit de remplacer à loisir les membres des commissions
de niveau inférieur et intermédiaire, sans motif juridique, lors
des élections législatives de 2009.
42. La mission d’observation électorale en Ukraine, dans le cadre
des élections législatives anticipées de 2007, a critiqué «la politisation
de la CEC» (
Doc. 11469).
43. Le rapport de la commission ad hoc de l’Assemblée sur l’observation
des élections législatives en Russie du 4 décembre 2011 a noté que
les représentants de la plupart des partis avaient exprimé leur
vive défiance à l’égard de l’impartialité des commissions électorales
à tous les niveaux. Ils ont également mis en doute l’indépendance
de divers organes de l’administration de l’Etat et critiqué leur
partialité en faveur du parti au pouvoir. Un sentiment général de
manque de confiance dans l’administration électorale russe a prévalu
du fait de sa composition, qui ne garantit pas son indépendance
et son impartialité. Plus tard, lors de la campagne électorale pour
l’élection présidentielle du 4 mars 2012, la commission ad hoc de
l’Assemblée a été informée par les candidats rencontrés que la CEC
avait, de manière générale, procédé aux remplacements des membres
des commissions électorales de manière à exclure les personnes qui
avaient refusé de commettre des irrégularités en faveur du parti
Russie unie lors des élections à la Douma du 4 décembre 2011 (
Doc. 12833).
44. En 2012, le rapport de l’Assemblée sur l’observation des élections
législatives en Arménie a critiqué le fonctionnement de l’administration
électorale le jour du scrutin, dénonçant «le manque d’organisation
dans les bureaux de vote», les représentants des candidats ou des
partis ayant créé le chaos. Les observateurs de l’Assemblée ont
également constaté que «la manière dont les commissions électorales
et les tribunaux ont traité les plaintes électorales a souvent laissé
les partis prenantes sans réelle prise en considération de leurs plaintes,
du fait de l’approche excessivement formaliste utilisée» (
Doc. 12937).
45. Par ailleurs, les rapports d’observation notent fréquemment
le manque de clarté ou de précision juridique dans le descriptif
des obligations et responsabilités des différents organes électoraux
subordonnés à la CEC ou aux autres commissions électorales débouchant
ainsi sur un risque d’abus et d’incohérence dans leur fonctionnement.
46. Par exemple, dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine»,
malgré une recommandation formulée par la Commission de Venise en
2006 proposant que «le projet de code stipule clairement que la
commission électorale nationale (CEN) et les autres commissions
électorales soient tenues de superviser le travail des organes électoraux
subordonnés, ce qui devrait les inciter à intervenir davantage en
amont des irrégularités»
, l’interprétation
de la loi n’a pas pu empêcher les problèmes: «La disposition selon
laquelle tous les présidents de commissions électorales doivent
être des responsables nationaux ou municipaux s’est révélée difficile
à mettre en œuvre et l’on ne savait pas très bien ce qui constituait
effectivement une activité de campagne et ce qui constituait les
activités régulières d’un parti, ce qui a nui à l’efficacité des
dispositions contre le démarrage anticipé de la campagne» (
Doc. 11015).
47. D'autres problèmes récurrents liés à l'administration électorale
sont d’ordre organisationnel. Lors des élections législatives et
présidentielle de 2012 en Serbie, par exemple, le fait de ne pas
avoir prévu de niveau régional au sein de l'administration électorale
a une fois de plus été mis en cause par les observateurs internationaux,
qui ont estimé que cela expliquait la surcharge des commissions
électorales locales (
Doc. 12938).
48. Un problème concerne plus spécifiquement l’organisation du
vote à l'étranger. En République de Moldova, pays dont les ressortissants
expatriés n’ont la possibilité de voter que depuis les élections
législatives de 2010, le manque de transparence des critères fixés
pour l'ouverture de bureaux de vote à l'étranger et l'inadéquation
entre la répartition de ces bureaux de vote et celle des citoyens
en âge de voter ont été sévèrement critiqués. Les partis au pouvoir
ont notamment été accusés d'avoir favorisé les pays où ils pouvaient
compter sur le soutien de la majorité des électeurs, au détriment
de ceux où la majorité des électeurs étaient favorable à l'opposition
(
Doc. 12476).
3.2. Le
droit de vote et d’éligibilité: universalité du suffrage
49. Il est important que les droits
fondamentaux de vote et d'éligibilité ne soient pas restreints pour
des raisons injustifiées, que ce soit de façon formelle ou dans
la pratique. Si, aujourd’hui, les dispositions appliquées dans les
Etats membres du Conseil de l'Europe sont, en général, conformes
aux normes internationales, certains problèmes demeurent. Ils concernent,
d'une part, les restrictions appliquées à des groupes particuliers
et, d'autre part, l'inscription des électeurs et des candidats.
3.2.1. Des
restrictions imposées sur des groupes particuliers
50. Les restrictions imposées au
droit de vote des détenus condamnés sont à l'origine d'affaires
portées devant la Cour européenne des droits de l'homme. Ainsi,
dans son arrêt
Hirst c. Royaume-Uni (no
2) , la Cour a conclu à
la violation du droit de vote du requérant en considérant que des
interdictions générales du droit de vote qui touchent automatiquement
un groupe indifférencié de personnes, sur la seule base de leur
détention et indépendamment de la durée de leur peine, de la nature
ou de la gravité de l'infraction commise et de leur situation personnelle,
ne se concilient pas avec l'article 3 du protocole additionnel.
51. Dans l’arrêt rendu le 22 mai 2012 dans l'affaire Scoppola c. Italie no 3 (Requête no 126/05),
la Grande Chambre a confirmé son arrêt Hirst
(no 2),
mais sans conclure à une violation du droit de vote du requérant, qui
avait été interdit d’exercer des fonctions publiques à la suite
de sa condamnation à la réclusion à perpétuité. La Cour a notamment
conclu que, en droit italien, la privation du droit de vote n’est
appliquée qu’en cas d’atteintes à l’Etat ou à l’administration de
la justice, ou en cas de condamnation à une peine privative de liberté d’au
moins trois ans. En conséquence, il n'y avait pas, selon la Cour,
l’automaticité, la généralité et l’application indifférenciée d’une
mesure qui l’avaient conduite à conclure à une violation de l’article
3 du Protocole additionnel à la Convention dans l'arrêt Hirst (no 2)
d'octobre 2005. Dans l'arrêt de mai 2012, la Cour a toutefois souscrit
à la thèse du Gouvernement britannique, qui avait exercé son droit
d’intervenir en qualité de tierce partie, selon laquelle les Etats
jouissent d’une ample marge d’appréciation concernant tant la détermination des
catégories d’infractions entraînant l’interdiction du droit de vote
que la question de savoir si pareille mesure doit résulter d’une
décision judiciaire prise au cas par cas ou de l’application générale
d’une loi.
52. La privation du droit électoral de tous les détenus, quelle
que soit la gravité de l'infraction commise, est aussi un sujet
de préoccupation en Arménie et en Bulgarie.
53. Concernant le droit de vote des citoyens établis à l'étranger,
l'Assemblée, dans sa
Résolution
1459 (2005) sur l’abolition des restrictions au droit de vote, invite
les Etats membres à faire en sorte que leurs citoyens vivant à l’étranger
puissent participer autant que possible au processus électoral.
La Commission de Venise, pour sa part, a observé que depuis les
années 1980, la reconnaissance du droit de vote des expatriés a
progressé en Europe. Tout en recommandant aux Etats membres de faciliter
l'exercice du droit de vote des expatriés, elle ne considère pas
qu'ils aient l'obligation de le rendre possible. Elle y voit davantage
une possibilité à examiner par les parlements de chaque pays, qui
doivent mettre en balance le principe du suffrage universel avec
les besoins de sécurité du scrutin et des considérations pratiques
.
54. La question a été portée devant la Cour européenne des droits
de l'homme dans l'affaire Sitaropoulos c.
Grèce, concernant l'impossibilité pour les expatriés
grecs d'exercer leur droit de vote dans leur ville de résidence.
Contrairement à l'arrêt de chambre du 8 juillet 2010, qui avait
conclu à la violation de l'article 3 du protocole additionnel, la
Grande Chambre, dans l’arrêt du 15 mars 2012, a considéré que, si
«dans un Etat démocratique la présomption doit jouer en faveur de
l’octroi du droit de vote», cette disposition ne va pas jusqu’à
imposer aux Etats de mettre en œuvre des mesures favorisant l’exercice
du droit de vote par les expatriés temporaires ou permanents depuis
leur lieu de résidence. La Cour a aussi observé qu’une étude comparative
de la législation des Etats membres du Conseil de l’Europe montre
que, si la grande majorité d’entre eux autorisent leurs ressortissants
à voter depuis l’étranger, quelques-uns ne le font pas. Quant aux modalités
d’exercice de ce droit prévues par les Etats membres du Conseil
de l’Europe qui autorisent le vote à l’étranger, elles présentent
actuellement une grande variété et notamment: vote dans des bureaux
ouverts à l’étranger, et/ou vote par correspondance, vote par procuration
et vote électronique.
3.2.2. L’inscription
des électeurs
55. L’inscription des électeurs
sur les listes électorales est liée à l’exigence de l’universalité
du suffrage car elle établit leur admissibilité à voter et assure
la légitimité du processus électoral: si le système d’inscription comporte
des lacunes, l’ensemble du processus peut être perçu comme illégitime.
Pour la Commission de Venise, l’inscription sur les listes électorales
devrait être «largement facilitée, voire rendue automatique»
. Cependant,
elle représente «l’un des aspects (…) les moins couronnés de succès
de l’administration électorale dans les démocraties nouvelles ou
émergentes, surtout dans les périodes d’après-guerre avec leurs
cohortes de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur de
leur propre pays»
.
56. A cet égard, un grand nombre d’Etats membres du Conseil de
l'Europe ont accompli des progrès considérables au cours des dernières
années, en introduisant notamment des listes électorales uniformisées et
informatisées. Cependant, des lacunes demeurent. Des listes imprécises
et incomplètes peuvent en effet contenir des noms d’électeurs inventés
ou décédés, des électeurs doublement inscrits, ou encore ne pas inclure
le nom de certains électeurs vivants. En République de Moldova,
les rapports d’observation des élections ont, par exemple, relevé
«le vote de personnes inconnues enregistrées comme résidant dans
des appartements sans l’accord des propriétaires» (
Doc. 11878).
57. Plusieurs opérations sont à l’origine du caractère défaillant
de nombreuses listes électorales. Ainsi, sans l’existence d’une
liste électorale unique centralisée au niveau national, il est difficile
de disposer d’une liste électorale complète et légitime. Or, dans
plusieurs pays, les listes électorales sont élaborées uniquement
au niveau des collectivités locales favorisant alors les inscriptions
multiples d’un même électeur sur plusieurs listes électorales à
la fois. Les observateurs d’élections constatent très fréquemment
cette irrégularité qui demande un investissement matériel et humain
important. A ce titre, l’absence de liste électorale nationale était encore
une fois critiquée par l’Assemblée lors du référendum constitutionnel
organisé le 5 septembre 2010 en République de Moldova.
58. L’absence d’une liste permanente semble également favoriser
les irrégularités. Les listes périodiques présentent un certain
nombre d’inconvénients et créent un climat favorable à la fraude
électorale dans certaines démocraties émergentes. En effet, le plus
souvent, l’inscription des électeurs se fait dans un délai relativement
court, ce qui augmente le risque de perturbation due à des bouleversements
politiques. De plus, faute de temps, la liste périodique est particulièrement
vulnérable sur les plans de l’exactitude et de l’exhaustivité: afin
de disposer de la liste officielle à temps pour le jour du scrutin,
la qualité du contrôle des données est souvent compromise. La loi
relative à la liste électorale d’Etat de l’Ukraine proposant une
liste électorale «permanente, informatisée et constamment mise à
jour» a permis dans ce contexte de favoriser le recul de la fraude
électorale au stade de l’inscription des électeurs.
59. Pour combler l’inexactitude des listes électorales, certains
pays ont mis en place des listes électorales supplémentaires. Une
liste supplémentaire ne devrait être habituellement utilisée que
dans des cas très particuliers, visant exclusivement les personnes
ayant changé de domicile ou ayant atteint l’âge légal de vote depuis
la publication de la liste définitive. Cependant, cette technique
est concrètement utilisée dans certains Etats afin de permettre
aux électeurs qui ne retrouvent pas leur nom sur les listes officielles
le jour du scrutin de pouvoir s’inscrire sur cette liste complémentaire
et procéder au vote le jour de scrutin. D’après la Commission de
Venise, ce recours intensif aux listes complémentaires favorise
«le risque de votes multiples et d’électeurs s’exprimant dans une
autre commune que la leur. En règle générale, il convient d’éviter
autant que possible d’effectuer une inscription le jour du scrutin,
qui ne doit en tout cas pas avoir lieu au bureau de vote»
.
La pratique des listes supplémentaires ne fait qu’augmenter les
risques de manipulation des votes depuis l'étranger, qui ne peuvent
pas être observés correctement. Ainsi, lors des élections législatives
de 2010 en République de Moldova, des observateurs ont remis en
cause le fait que presque tous les électeurs résidant à l'étranger
avaient été ajoutés sur les listes supplémentaires le jour même
du scrutin (
Doc. 12476).
60. Rappelons enfin que le système plutôt abscons d’inscription
des électeurs sans identifiant personnel au Royaume-Uni a été critiqué
par la Commission de Venise et la commission de suivi de notre Assemblée comme
ouvrant la voie à la fraude électorale. Cette vulnérabilité s’est
trouvée exacerbée par l’introduction du vote par correspondance
sur demande, qui a pourtant été adoptée «pour la bonne cause», c’est-à-dire
afin d’améliorer la participation des citoyens aux élections et
rendre le vote plus facile. La commission de suivi a conclu que
«malgré cette vulnérabilité du système électoral, il n’existe aucun
doute qu’au Royaume-Uni les élections sont menées de manière démocratique
et assurent la libre expression de l’opinion du peuple», et il a
ainsi été décidé de ne pas proposer l’ouverture de la procédure
de suivi vis-à-vis du Royaume-Uni, demandée par des membres de l’Assemblée.
Néanmoins, la commission de suivi a souligné que si les élections
sont démocratiques au Royaume-Uni, «c’est en dépit de la vulnérabilité
du système électoral et celle-ci pourrait facilement affecter la
nature démocratique de futures élections dans son ensemble en Grande-Bretagne».
Elle a ainsi recommandé, avec de nombreux experts britanniques,
que cette vulnérabilité soit éliminée.
61. Tant la Commission de Venise que la commission de suivi ont
conclu que le vote par correspondance sur demande est «un bon moyen
pour lutter contre la baisse constante de la participation électorale
dans les élections britanniques et même dans celles des autres Etats
européens, et c’est aussi l’option préférée de nombreux électeurs».
Le vote par correspondance ne serait pas contraire aux normes du
Conseil de l’Europe pour des élections démocratiques, «à condition
que la sécurité du scrutin soit garantie»
.
3.2.3. Restrictions
relatives au droit de se présenter à une élection et à l’inscription
des candidats
62. Concernant les restrictions
imposées à des groupes particuliers de se présenter à des élections,
les observateurs internationaux ont émis des critiques à l’encontre
de l’Arménie, qui impose cinq ans de citoyenneté et de résidence.
Le fait que, lors des élections générales de 2010 en Bosnie-Herzégovine,
des citoyens n'aient pas été autorisés à se présenter aux élections
pour des raisons ethniques constitue clairement une violation de
la Convention européenne des droits de l'homme et a été maintes
fois condamné par la Cour de Strasbourg et par la communauté internationale,
notamment par notre Assemblée
.
63. L’inscription des candidats est également une question importante
puisque des conditions restrictives de candidature et/ou une mise
en place incorrecte de celles-ci peuvent empêcher les citoyens d'exercer
leur droit de se présenter.
64. Les règles régissant l’enregistrement des partis politiques
sont d’une importance particulière à cet égard. En Fédération de
Russie, le caractère restrictif de ces règles a été systématiquement
critiqué par les observateurs internationaux car elles restreignent
le droit des citoyens de créer des associations, pourtant protégé
par la Constitution et les articles 10 et 11 de la Convention. Le
rapport d’observation de l’Assemblée sur les élections législatives
du 4 décembre 2011 note ceci: «La loi sur les partis politiques
impose à tous les partis de disposer d’au moins 45 000 membres et
de sections régionales regroupant au moins 450 membres dans plus
de la moitié des sujets de la fédération. Plusieurs tentatives d’enregistrement
de partis politiques ont été menées depuis les élections de 2007
mais seul le parti “Cause juste”
(Pravoe
Delo) a obtenu gain de cause pour le scrutin de 2011.
Toutes les autres formations se sont vu refuser l’enregistrement
(le Parti de la liberté du peuple, le parti ROT Front (Front uni
des travailleurs de Russie), et Autre Russie). La Cour européenne
des droits de l’homme a rendu, en 2011, un arrêt sur la dissolution
du Parti républicain en 2007, au motif de son non-respect des critères
d’effectif et de représentation régionale; la Cour a considéré que
cette dissolution contrevenait à l’article 11 de la Convention.
Les autorités russes ont demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande
Chambre de la Cour, mais ce recours a été rejeté» (
Doc. 12833). Dans ses conclusions, le rapport de l’Assemblée se
félicite du fait que le Président de la Fédération de Russie ait
annoncé une réforme complète du système politique russe, y compris
une simplification radicale des règles régissant l’enregistrement
des partis politiques
(ibid.).
65. Lors des élections législatives de 2010 en Azerbaïdjan, les
observateurs de l'Assemblée ont condamné le fait que certains citoyens
n'aient pas été autorisés à présenter leur candidature en raison
d'erreurs techniques mineures et sans considération du principe
de la proportionnalité des erreurs (
Doc. 12475). Selon certaines allégations, des candidats auraient
été victimes d’intimidations ou leurs sympathisants auraient été poussés
à retirer leur signature des feuillets prévus à cet effet
.
3.3. Participation
des minorités aux élections
66. Comme le précise le professeur
Velaers, l’approche retenue jusqu'à présent par la Commission de Venise
en relation avec la participation des minorités aux élections a
toujours été double. Tout en notant que «l’intérêt à long terme
des minorités et des sociétés en général est en principe mieux servi
par une représentation dans le cadre du système électoral ordinaire
qui garantit des droits égaux aux citoyens quelle que soit leur
appartenance initiale à un groupe», elle n’exclut pas, «en cas de
nécessité, des mesures spécifiques de nature transitoire pour assurer
une représentation appropriée des minorités»
.
67. Pour sa part, la Cour européenne des droits de l'homme laisse
aux Etats une large marge d'appréciation quant au choix de leur
système électoral et plus précisément pour mettre en balance le
besoin de protection des minorités avec les dispositions nationales,
traditionnelles, constitutionnelles et électorales. Pour la Cour, tous
les bulletins ne doivent pas nécessairement avoir un poids égal
quant au résultat. Si le but poursuivi est légitime – se donner
les moyens d'une participation effective des minorités – et si l'action
menée est proportionnelle à cet objectif et aux besoins véritables
du groupe minoritaire concerné, une action positive peut être justifiée.
Une action positive peut être formulée pour les différentes dimensions
du système électoral et de la loi électorale
.
68. S’agissant du choix du système électoral, en principe, plus
un système est proportionnel, plus les minorités ont des chances
d'être représentées dans les organes élus. La proportionnalité du
résultat peut cependant être influencée par des facteurs autres
que le choix du système électoral en tant que tel, notamment la
définition d'un seuil électoral, la taille des circonscriptions
ou le nombre de sièges par circonscription.
69. La délimitation des circonscriptions peut être utilisée comme
un moyen d’avantager ou de désavantager des minorités
.
Dans les circonscriptions uninominales des zones où elles sont concentrées,
les minorités ont plus de chances d'être représentées. La Croatie
a créé un district électoral qui couvre l’ensemble de son territoire,
de sorte que les minorités peuvent choisir de voter pour un candidat
issu des minorités ou pour un candidat dans la circonscription de
leur résidence.
70. Pour les partis minoritaires, les seuils électoraux peuvent
être des obstacles de poids. Les abaisser – comme en Lituanie –
ou même les supprimer pour les partis minoritaires – sont des mesures
positives efficaces pour favoriser la représentation des minorités.
En Serbie, les partis minoritaires n'ont pas réussi à franchir la
barre des 5 % aux élections législatives de 2003. Elle a été supprimée
en 2004 et lors des élections de 2007, cinq partis minoritaires
représentant les Hongrois, les Bosniaques, les Albanais et les Roms
ont pu revenir au parlement. En Pologne et en Allemagne, le seuil
des 5 % ne s'applique pas aux listes des partis minoritaires. Dans
l'affaire
Yumak et Sadak c. Turquie,
la Cour européenne des droits de l'homme a précisé qu'il serait
souhaitable de revoir à la baisse le seuil des 10 % appliqué aux
élections en Turquie et/ou de l’assortir de correctifs pour garantir
une représentation optimale des différents courants politiques
. Notre Assemblée a
recommandé un abaissement général des seuils électoraux qui sont
supérieurs à 3 %
.
71. Les sièges réservés en fonction de l'appartenance ethnique
sont le moyen le plus évident de favoriser la représentation des
minorités. A l'Assemblée nationale de Slovénie, un siège est ainsi
réservé à la minorité italienne et un autre à la minorité hongroise.
En Roumanie, les organisations de citoyens appartenant à une minorité
nationale qui n'ont pas de représentation parlementaire dans l'une
ou l'autre chambre ont droit à un siège chacune à la chambre des
députés, à la condition que l'organisation recueille au moins 10
% du nombre moyen de votes valides pour un député élu. A l'issue
des élections de 2008, 18 sièges ont ainsi été répartis entre les
partis des minorités ethniques. En Croatie, la loi précise que,
sur 151 sièges, huit sont réservés aux membres des minorités nationales.
72. La Commission de Venise a une opinion nuancée à propos du
système des sièges réservés, mettant en avant que «toutes les solutions
prévoyant des sièges réservés pour les personnes appartenant aux
minorités nationales présentent un danger; en effet, les personnes
intéressées sont obligées de déclarer leur identité ethnique ou
linguistique»
.
73. Dans certains pays, les personnes appartenant à des minorités
nationales ont le droit de voter deux fois: elles peuvent voter
pour une liste générale mais aussi pour des listes spécifiques des
minorités («droit de double vote»). La Slovénie est actuellement
le seul pays à garantir des droits de double vote aux membres des minorités
hongroise et italienne. La Constitution croate dispose que la loi
peut accorder aux membres de toutes les minorités nationales, en
plus du droit de vote général, le droit d'élire leurs représentants
au Sabor (le parlement croate), mais ce droit n'est toujours pas
appliqué. Pour la Commission de Venise, le double vote doit être
une mesure exceptionnelle et est admissible seulement «[s’il] respecte
le principe de la proportionnalité sous ses différents aspects»
.
3.4. Egalité
des chances et entraves lors de la campagne électorale
74. Selon le Code de bonne conduite
en matière électorale, la période préélectorale doit respecter le principe
d’égalité faisant partie du patrimoine électoral européen: «L’égalité
des chances doit être assurée entre les partis et les candidats,
et conduire l’Etat à se montrer impartial envers ceux-ci et à leur
appliquer la même loi de manière égale. En particulier, l’exigence
de neutralité s’applique à la campagne électorale et à la couverture
par les médias, notamment les médias publics, ainsi qu’au financement
public des partis et des campagnes.»
75. S’ensuivent dans le même texte des recommandations concrètes:
«Le but essentiel est que les principales forces politiques puissent
se faire entendre sur les grands médias du pays, et que toutes les
forces politiques puissent organiser des réunions, y compris sur
la voie publique (…). Dans le respect de la liberté d’expression,
tous ces droits doivent être clairement réglementés et leur non-respect,
autant par les autorités que par les participants à la campagne,
doit faire l’objet de sanctions appropriées.»
76. Cependant, la période préélectorale connaît de nombreuses
entraves à ces principes et plus particulièrement aux libertés de
circulation, d’expression, d’association et de réunion. Les moyens
de l’Etat sont fréquemment mis à la disposition des membres du parti
au pouvoir (médias, véhicules, salles de réunion, forces de l’ordre)
tandis que les partis de l’opposition voient le plus souvent leur
campagne mise en difficulté: profération de menaces, intimidations,
refus des imprimeurs d’imprimer leurs documents de campagne, utilisation
non équitable des temps d’antenne sur les radios et les télévisions
publiques ou difficulté d’accéder aux salles de réunions font partie
du quotidien de l’opposition en période préélectorale dans de nombreuses démocraties
émergentes.
77. Etant donné que les violations possibles du principe d’égalité
pendant la période préélectorale sont innombrables, la campagne
électorale demande une vigilance accrue de la part des gouvernements
afin de conserver au maximum la confiance des électeurs dans le
système électoral et plus largement dans les instances étatiques.
3.4.1. Financement
de la campagne électorale: opacité des sources financières
78. Comme le note la Commission
de Venise, si le financement public des activités politiques est
maintenant largement admis et généralisé, il reste encore bien des
problèmes pour ce qui est de l’application des règles: la clé de
répartition entre partis et candidats et, peut-être surtout, la
question du plafonnement des dépenses électorales de manière à éviter
que l’argent n’y joue un rôle prépondérant comme on peut le voir
aux Etats-Unis. Encore faut-il que les règles posées soient efficaces,
ce qui suppose tout un mécanisme de contrôle et de sanctions véritables
mais aussi proportionnelles
.
79. Quant à la question de la licéité des dons des entreprises
et des organismes privés dont on a un peu de mal à penser que leur
financement soit désintéressé, différentes approches sont possibles.
Faut-il interdire (c’est le cas en France), limiter, publier? La
Commission de Venise a proposé d’approfondir cette question dans
le cadre d’une étude spécifique, en prenant en considération les
différentes traditions des Etats membres.
80. La Commission de Venise a adopté, il y a déjà plus de dix
ans, des lignes directrices et un rapport sur le financement des
partis politiques
.
De la même manière, la Recommandation Rec(2003)4 du Comité des Ministres
fixe des règles communes pour lutter contre la corruption en matière
de financement des partis politiques et des campagnes électorales.
Rappelons, en outre, qu'en 2010, notre commission avait été saisie pour
rapport à la suite d’une proposition de recommandation sur la nécessité
d'un code de bonne conduite dans le domaine du financement des campagnes
électorales. A la demande de notre commission et sur proposition
de M. Davit Harutyunyan, rapporteur, la Commission de Venise avait
adopté un avis sur la question et avait conclu que «l'adoption d'un
code de bonne conduite dans ce domaine n'apporterait pas grand-chose de
nouveau par rapport aux documents existants. Il serait certes commode
que toutes les recommandations soient regroupées dans un même document,
mais cela ne justifie pas les efforts que nécessiteraient la rédaction
et l'adoption de ce document»
.
81. Dans la réalité, il n’y a pas d’homogénéité dans les modes
de financement des campagnes. Tandis que certaines réglementations
visent le financement des partis politiques dans sa globalité, d’autres
concernent uniquement les campagnes électorales. Par ailleurs, certains
pays préfèrent pratiquer le financement public direct et interdisent
radicalement les sources privées provenant de l’étranger, d’autres
au contraire n’autorisent que le financement privé. Ainsi, la diversité
des réglementations en vigueur complique la définition des normes communes.
La seule exigence formulée par le Code de bonne conduite en matière
électorale consiste à garantir une certaine «transparence» dans
le financement des partis politiques et des campagnes électorales.
82. Il est assez intéressant de noter que le Groupe d'Etats du
Conseil de l'Europe contre la corruption (GRECO) a récemment examiné,
dans ses rapports d'évaluation pays par pays, la transparence du financement
des partis politiques dans les Etats membres du Conseil de l'Europe.
Ces rapports ont mis en lumière de graves dysfonctionnements en
la matière, y compris dans les «vieilles démocraties».
83. Ainsi, dans son rapport d'évaluation sur la Suisse, le GRECO
conclut que le fait que le système juridique suisse, conséquence
«de certaines spécificités de [son] système politique», ne prévoie
pas de règles relatives à la transparence du financement des partis
politiques et des campagnes électorales, «va clairement à l’encontre
des normes fixées dans la Recommandation Rec(2003)4 du Comité des
Ministres du Conseil de l’Europe sur les règles communes contre
la corruption dans le financement des partis politiques et des campagnes
électorales»
.
84. Le récent rapport d'évaluation du GRECO sur l'Italie conclut
que, bien que le système de financement ait été sensiblement amélioré
pour renforcer la transparence et la discipline financière des partis
politiques à la suite «des scandales retentissants de financement
illicite de partis politiques dans les années 1990», «plusieurs
lacunes majeures doivent être comblées de façon prioritaire»
.
85. En ce qui concerne la situation dans les Etats membres observés
par l’Assemblée, citons l’exemple de l’Ukraine. Après un premier
avis relatif au projet de loi sur l’élection des députés de l’Ukraine
en 2004 dans lequel elle s’était déclarée préoccupée «par le financement
électoral privé des partis ou des coalitions», la Commission de
Venise a recommandé, en 2005, à l’Ukraine, «la publication des comptes
de chaque campagne (…) [par] les partis et les coalitions (…) au
lendemain des élections. Afin de fournir, en temps utile, au public,
des informations pertinentes sur le financement de telle ou telle
campagne, la loi devrait stipuler la communication intégrale, avant
et après les élections, des sources et des montants des contributions financières
et des types et montants des dépenses engagées aux fins de la campagne
en question»
. Malgré une
modification de la loi électorale ukrainienne, la commission ad
hoc d’observation des élections de l’Assemblée a estimé en 2010
que le financement de la campagne lors de la dernière élection présidentielle paraissait
toujours opaque et a suggéré que la législation relative au financement
des partis politiques soit revue, de manière à assurer en particulier
la transparence de ce financement (
Doc. 12132).
86. La commission ad hoc de l’Assemblée pour l’observation des
élections législatives et de l’élection présidentielle anticipée
en Serbie du 6 mai 2012 a souligné ceci: «En ce qui concerne la
transparence du financement de la campagne, la délégation de l’Assemblée
attend avec intérêt le rapport de l’Agence pour la lutte contre
la corruption sur cette question. Le dernier rapport du GRECO sur
la Serbie, publié en 2010, a soulevé des problèmes concernant l’application
des règles de financement des campagnes électorales, le manque de
transparence dans ce domaine et l’efficacité des sanctions contre
les violations de la législation» (
Doc. 12938).
87. Il convient de noter l’absence, d’une manière générale, de
règles efficaces pour encadrer les révélations des sources financières.
En effet, «dans le contexte de l’intolérance politique qui prévaut,
la perspective d’une telle divulgation peut être un frein au financement
des partis d’opposition et, parallèlement, favoriser les forces gouvernementales»
. La Commission de Venise soulève le cas
de la République de Moldova pour illustrer la problématique de la
divulgation des sources financières. En effet, la loi électorale
nationale permettait à la Commission électorale centrale de connaître
le type de soutien financier qu’un candidat avait reçu avant le
jour du scrutin. Cette disposition avait donc «un effet dissuasif
sur les donateurs potentiels et [entraînait] des pressions sur ces
derniers dans le contexte moldove»
. Cependant, le rapport d’observation
des élections parlementaires en République de Moldova du 6 mars
2005 précise malheureusement qu’aucune recommandation n’a été mise
en œuvre par les autorités. La commission ad hoc pour l’observation
des élections législatives anticipées en République de Moldova du
28 novembre 2010 a été informée du fait que le financement de la
campagne électorale n’avait pas été transparent et qu’en réalité
les règles régissant le financement de la campagne électorale étaient
obscures. L’organisation non gouvernementale «Centre pour les droits
de l’homme» (CREDO) a effectué un suivi du financement de la campagne
électorale dans ce pays qui montre que les dépenses non déclarées
des principaux partis politiques seraient deux à trois fois plus importantes
que les chiffres officiels. Une telle situation ne renforce pas
la confiance des citoyens dans le processus électoral démocratique
(
Doc. 12476).
3.4.2. Accès
aux médias: manque d’égalité d’accès et d’impartialité des médias
88. Les questions relatives à l’accès
aux médias et à leur impartialité ont été amplement traitées dans différents
textes normatifs. Ce problème est particulièrement crucial pour
certains médias de masse, tels que la télévision et la radio, car
ces derniers constituent la principale source d’information de la
population dans de nombreux Etats membres.
89. L’article 10 de la Convention garantit la liberté d’expression,
laquelle comprend «la liberté d'opinion et la liberté de recevoir
ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse
y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de
frontières». Mais le second alinéa de cette disposition énonce certaines
causes limitatives pouvant donner lieu à une restriction de la liberté
d’expression.
90. Dès les premières missions d’observation des élections par
l’Assemblée, le rôle des médias a été évoqué comme un élément crucial
dans le déroulement des processus électoraux. En effet, déjà en
1992, le Manuel à l’usage des observateurs
d’élections prescrivait en son article 2.6.4 d’examiner
«les médias, leurs allégeances, leur ouverture aux partis politiques
et au public en général», de «voir s’ils penchent pour une cause
particulière ou s’ils sont vraiment indépendants», et particulièrement
de «vérifier s’ils sont dans les mains d’un seul parti politique».
91. Le Comité des Ministres, pour sa part, a adopté une importante
recommandation relative à la couverture des campagnes électorales
par les médias. Ce texte énonce des principes applicables à tous
les types d’élections politiques ayant lieu dans les Etats membres.
Il s’agit, entre autres, de la non-ingérence de la part des autorités
publiques, de la protection contre les attaques, intimidations et
autres pressions illégales sur les médias, ou de la transparence
et de l’accès aux médias
.
92. Le Code de bonne conduite en matière électorale souligne le
fait que «l’incapacité des médias à fournir des informations neutres
sur la campagne électorale et les candidats est l’un des problèmes
les plus fréquents lors d’élections». Il rappelle également que
des «élections démocratiques ne sont pas possibles sans respect des
droits de l’homme, et notamment de la liberté d’expression et de
la presse».
93. C’est aussi à la Commission de Venise, en partenariat avec
le BIDDH, que l’on doit le document le plus complet quant au contrôle
des médias lors des processus électoraux. Les lignes directrices
sur l’analyse des médias au cours des missions d’observation des
élections, adoptées en juin 2009, fournissent un inventaire détaillé
des divers éléments à prendre en compte lors d’une évaluation. Cela
va de la législation électorale au temps de parole des candidats
en passant par les sondages d’opinion
.
94. Malgré le travail considérable, effectué par différents organes
du Conseil de l’Europe dans le domaine normatif concernant la couverture
impartiale des élections, le problème continue à persister dans
certains Etats membres.
95. En Fédération de Russie, la commission ad hoc pour l’observation
du second tour de l’élection présidentielle de 1996 a estimé qu’au
«lendemain des âpres campagnes électorales il faut rétablir l'entière liberté
d'information des médias» (
Doc. 7633 Addendum I). Le rapport d’observation des élections
législatives de 1999 note qu’au plan médiatique, «la nature de cette
campagne électorale a été, sous de nombreux aspects, bien pire qu'au
cours des dernières élections législatives de 1995». En effet, «les
médias ont continué d'être exploités par les gens au pouvoir et
par leurs propriétaires, et cela d'une manière tellement flagrante
que la campagne ne peut pas être qualifiée d'équitable, propre ou
honnête» (
Doc. 8623). A nouveau, l’année d’après, il a été constaté que
«les médias indépendants ont fait l'objet de pressions croissantes
et que les médias en général, qu'ils soient étatisés ou privés,
n'ont, dans une large mesure, pas réussi à diffuser des informations
objectives sur la campagne électorale et sur les candidats» (
Doc. 8693). Selon le rapport relatif à l’élection présidentielle
de 2008, «l’égalité d’accès des candidats aux médias et au domaine
public en général ne s’est pas améliorée, ce qui remet en cause
l’équité de l’élection» (
Doc. 11536). Lors de l’élection présidentielle en Russie du 4 mars
2012, la commission ad hoc de l’Assemblée a souligné le fait que
«si les candidats ont pu faire campagne sans entraves, les conditions
étaient clairement faussées en faveur d’un candidat, le Premier
ministre Poutine, qui a bénéficié d’un net avantage en termes de
présence dans les médias; de plus, les ressources publiques ont
été mobilisées pour le soutenir à l’échelon régional. A différents niveaux,
les institutions publiques ont chargé les structures subordonnées
d’organiser et de faciliter les meetings de campagne de M. Poutine.
Les collectivités locales ont utilisé les moyens de communication officiels
(sites web et journaux institutionnels) en faveur de la campagne
de M. Poutine» (
Doc. 12903).
96. En Arménie, où dans le passé on constatait l’absence de médias
forts et impartiaux, la commission ad hoc de l’Assemblée qui a observé
les élections législatives du 6 mai 2012 a constaté et s’est félicité
des progrès significatifs en ce domaine. Selon l’avis de la commission
ad hoc, les médias ont assuré une bonne couverture des principaux
candidats politiques en lice et leur ont donné à chacun suffisamment
d’occasions de s’adresser aux électeurs. La Radiotélévision publique
a offert aux partis politiques du temps de passage à l’antenne gratuit et
payant, ainsi que le prévoit le Code électoral, ce qui semble être
un progrès par rapport à la période ayant précédé la campagne officielle
(
Doc. 12937).
97. L’Assemblée a constaté différentes irrégularités dans le cas
de la couverture médiatique de la campagne électorale en Albanie
qu’elle a liées à la perte de confiance des électeurs dans le processus électoral
dans leur pays. Les préoccupations suivantes semblent persister
en Albanie d’une élection à l’autre: «le manque d’indépendance éditoriale
dans un grand nombre de médias, l’absence de transparence concernant
le financement des médias, l’obscurité des liens entre les propriétaires
des médias et les leaders des partis politiques» (
Doc. 12007).
98. Au cours du scrutin parlementaire organisé en République de
Moldova en 2005, la «réglementation trop restrictive et parfois
ambiguë des médias a sérieusement entravé la possibilité pour les
électeurs d’obtenir les informations nécessaires pour faire un choix
éclairé le jour du scrutin». Par ailleurs, la «télévision et la
radio publiques ont fait preuve d’un parti pris évident en faveur
du parti au pouvoir, tout comme la chaîne nationale privée NIT»
(
Doc. 10480). Les élections législatives suivantes, en avril 2009,
ont confirmé cette appréciation négative puisque «la campagne électorale
du Parti communiste de la Moldova était, dans une large mesure, présentée
de façon positive, tandis que les activités des partis de l’opposition,
en règle générale, l’étaient sous un angle neutre, voire négatif»
(
Doc. 11870). A nouveau quelques mois plus tard, lors des élections
législatives anticipées, a été relevée «la mauvaise qualité des
comptes rendus de l’actualité électorale, qui ne respectaient pas
le critère d’impartialité» (
Doc. 12009).
99. L’Azerbaïdjan est un autre pays marqué par un environnement
médiatique encore trop éloigné des standards internationaux. La
première mission déployée par l’Assemblée, en 1995, dénonçait «un
quasi-monopole du parti au pouvoir à la télévision» (
Doc. 7430 Addendum III). Trois ans plus tard, la commission ad hoc
a également constaté que «les médias publics ont largement favorisé
le Président sortant», tandis que «l'information donnée par les
médias publics sur les principaux courants politiques du pays a
été loin d’être objective, en se faisant remarquer en particulier
par une intolérance manifeste vis-à-vis des opinions des partis ayant
choisi de boycotter les élections» (
Doc. 8256). Bien que des signes d’amélioration aient été perçus
par la suite, le dernier rapport d’observation en date, relatif
à l’élection présidentielle de 2008, souligne que «l'indépendance
et la liberté des médias dans ce pays reste problématique» (
Doc. 11769).
100. D’autres Etats continuent d’afficher des lacunes dans ce domaine,
bien qu’à des degrés moindres: la Bosnie-Herzégovine, la Géorgie,
le Monténégro, «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et l’Ukraine.
101. Le Conseil des élections démocratiques a récemment envisagé
d'approfondir la question des médias privés pendant les campagnes.
3.4.3. Utilisation
abusive des ressources administratives
102. L’utilisation abusive des ressources
administratives par les forces politiques au pouvoir aux fins de campagnes
électorales est une violation des engagements internationaux encore
trop fréquemment constatée dans les rapports d’observation d’élections
de l’Assemblée. Ainsi, les rapporteurs généraux du Forum pour l’avenir
de la démocratie du Conseil de l’Europe, tenu à Kiev en 2009, ont
noté dans leurs conclusions qu’il s’agissait d’un «problème particulièrement
répandu et récurrent, observé lors de nombreuses élections, [allant] de
la “publicité” cachée, l’utilisation de ressources officielles pour
les rassemblements et réunions à des récompenses en espèces ou en
nature».
103. Cette utilisation abusive peut prendre de nombreuses formes.
Ainsi, la mission d’observation des élections législatives ukrainiennes
de 2002 considère que le Bloc pour une Ukraine unie (FUU) «a profité
des fonds publics et de postes officiels pour obtenir la tenue de
réunions, utiliser des manifestations officielles aux fins de la
campagne et obtenir une couverture partiale de la part des médias
locaux et régionaux tout en déniant aux opposants les mêmes facilités».
De plus, «les membres de la commission ont observé à plusieurs reprises
la présence de matériel de campagne du FUU dans des bâtiments administratifs
locaux et même dans des locaux des CED» (
Doc. 9415 Addendum II). La commission ad hoc présente lors de
l’élection présidentielle de 2004 en Ukraine a précisé que «le Président
Koutchma a limogé quinze hauts fonctionnaires locaux après l'annonce
des résultats du premier tour». Or, «ces derniers se trouvaient
tous dans des régions où M. Louchtchenko avait remporté le scrutin
ou obtenu de bons résultats» (
Doc. 10369 Addendum).
104. Toujours en Ukraine, la commission ad hoc de l’Assemblée pour
l’observation de l’élection présidentielle du 17 janvier 2010 a
critiqué le fait que les candidats Timochenko et Louchtchenko avaient
utilisé des visites officielles liées à leurs fonctions pour mener
leurs campagnes électorales. L’Agence gouvernementale des pensions
a envoyé des lettres à tous les retraités en expliquant que le projet
de loi parrainé par le Parti des régions ne permettrait pas d’augmenter
les pensions. Dans la même lettre, l’agence a expliqué que le gouvernement
actuel avait réussi à augmenter les pensions malgré la crise économique
et promettait d’augmenter les pensions en 2010. La commission ad
hoc a aussi été informée de cas de distribution de produits alimentaires
aux personnes âgées (
Doc. 12132).
105. Dans un contexte similaire, l’élection présidentielle extraordinaire
en Géorgie de 2008 a été marquée par l’usage «de programmes de protection
sociale à des fins de campagne et d’implication active d’agents
de l’Etat à tous les échelons». Les observateurs ont estimé que
ces procédés, «bien que restant dans les limites légales, (…) ont
à l’évidence estompé la distinction entre les ressources de l’Etat
et ceux du parti» (
Doc. 11496). Des problèmes du même type ont été identifiés quelques
mois plus tard lors des élections législatives, car «la distribution
de bons d’essence aurait, dans certaines régions, coïncidé avec
les activités de campagne du parti au pouvoir» (
Doc. 11651).
106. A l’occasion de l’élection présidentielle du 2 mars 2008 en
Fédération de Russie, la commission ad hoc note qu’elle «a eu connaissance
d’allégations concernant des abus de ressources administratives
à grande échelle (infrastructures, fonds et agents publics de l’Etat)
en soutien de M. Medvedev». Elle précise, à titre d’exemple, avoir
«appris que les autorités locales ont eu instruction de faire obstacle
aux réunions de M. Ziouganov avec les électeurs dans la région d’Oulianovsk
et que, dans certains cas, les maisons d’édition ont refusé de publier
le matériel électoral des candidats de l’opposition». Cependant,
la commission ad hoc n’a été en mesure ni d’infirmer ni de confirmer
ces allégations (
Doc. 11536). Le rapport de l’Assemblée sur l’observation des élections
législatives en Fédération de Russie du 4 décembre 2011 a souligné
«qu’au cours de la campagne, certains ont profité de leurs fonctions
et brouillé ainsi la distinction entre l’Etat et le parti au pouvoir,
contrairement aux dispositions de l’article 46(4) de la loi sur
les élections à la Douma d’Etat et au paragraphe 5.4 du Document
de Copenhague de 1990 de l’OSCE. A titre d’exemple, dans deux districts moscovites,
des affiches placardées sur certains panneaux déclaraient que les
travaux de construction du métro étaient le fait de la branche locale
de “Russie unie”. Les autres partis ont estimé qu’il s’agissait
là d’un volet de la campagne électorale de “Russie unie” financé
par des fonds publics» (
Doc. 12833).
107. Des cas d’utilisation abusive des ressources administratives
ont également été observés dans d’autres Etats, parmi lesquels l’Albanie,
l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la République de Moldova et «l’ex-République yougoslave
de Macédoine».
108. Comme indiqué plus haut, la Commission de Venise a déjà entamé
une étude sur l’usage des ressources administratives.
3.4.4. Menaces,
pressions, violences et intimidation
109. Des pressions sous forme de
menaces et violences diverses peuvent être exercées sur les candidats, les
médias et les électeurs durant la période préélectorale, dans le
but de favoriser la campagne d’un parti particulier ou d’orienter
les choix des électeurs.
110. Ces méthodes sont expressément condamnées par le Code de bonne
conduite en matière électorale, selon lequel l’électeur «ne doit
pas être soumis à des menaces ou des contraintes l’empêchant d’exercer
son suffrage ou de l’exercer comme il l’entend, qu’elles émanent
d’autorités ou de particuliers; l’Etat a l’obligation de prévenir
et de sanctionner de telles pratiques».
111. Néanmoins, les rapports d’observation d’élections de l’Assemblée
montrent que le phénomène est loin d’être exceptionnel.
112. Les rapports d’observation de l’Assemblée concernant les élections
en Azerbaïdjan en 2000, 2005 et 2008 décrivent plusieurs incidents
d’ingérence par les autorités, de pression à l’encontre des électeurs,
des candidats et du personnel de campagne, y compris la détention
des candidats de l’opposition (
Doc. 8918, 10751, 11769). Le rapport final de l’OSCE/BIDDH sur
l’observation des élections législatives en Azerbaïdjan du 7 novembre
2010 a souligné de nouveau le fait que ses observateurs avaient
reçu des allégations crédibles d’actes d’intimidation et de pression
exercés sur les candidats d’opposition pour qu’ils renoncent à se
présenter aux élections, et des allégations de pressions sur les
militants pendant la campagne électorale. Plusieurs candidats de
l’opposition auraient rencontré des difficultés pour louer des locaux
à des fins électorales car les propriétaires des locaux auraient
été sous la pression des autorités locales
.
113. Des incidents de pression à l’encontre des électeurs ont été
également observés lors des élections législatives du 6 mai 2012
en Arménie (
Doc. 12937).
114. La délégation de l’Assemblée déployée dans «l’ex-République
yougoslave de Macédoine» en 2006 a regretté «de nombreux incidents
violents, surtout dans la région du nord-ouest du pays» (
Doc. 11015) au cours de la première partie de la campagne. Des
actes de violence, y compris la mort d’une personne et plusieurs blessés,
ainsi que des tentatives d’intimidation ont été observés lors du
jour des élections législatives deux ans plus tard (
Doc. 11647).
115. En Fédération de Russie, la campagne électorale pour les élections
législatives de 2007 a été «gâchée par des allégations de harcèlement
massif de l’opposition» et des «pressions auraient été exercées
à l’encontre de quelques candidats de l’opposition pour qu’ils changent
d’étiquette» (
Doc. 11473). Des actes de menace et de pression ont été également
observés dans plusieurs autres Etats membres, notamment en Géorgie
et en Ukraine.
3.5. Liberté et secret du suffrage et entraves
le jour du scrutin
116. Les rapports de l'Assemblée
sur l'observation des élections soulignent que la pratique électorale
s'est améliorée depuis quelques années. Cependant, diverses irrégularités
sont toujours présentes et entachent l'intégrité et la légitimité
du processus électoral dans son ensemble.
3.5.1. L’achat des votes
117. L’achat de votes consiste en
la distribution de biens ou d’argent à des personnes en échange
de la promesse des intéressés de voter pour un candidat ou un parti
donné. Ce type de fraude reste difficile à prouver mais est fréquente
.
3.5.2. Tamponnage du bulletin de vote ou
des papiers d’identité après le choix de l’électeur
118. Apposer un tampon sur le bulletin
de vote de l’électeur après son choix est une technique formellement interdite
par le Code de bonne conduite en matière électorale: «A partir du
moment où l’électeur prend son bulletin de vote, personne ne doit
plus y toucher.» En effet, la personne chargée de signer ou de tamponner les
bulletins pourrait y apposer une marque afin d’identifier l’électeur
lors du décompte des suffrages, allant alors à l’encontre du secret
de vote.
119. A titre d’exemple, la commission ad hoc pour l’observation
du référendum sur les réformes constitutionnelles en Arménie en
2005 a noté ceci: «Après avoir marqué leur choix sur le bulletin
de vote, les électeurs devaient le faire tamponner. Bien qu’en principe
la règle exige que le bulletin soit plié après avoir été rempli,
la délégation a observé à plusieurs reprises des électeurs oubliant
ou ne sachant simplement pas qu’il fallait procéder ainsi. Il a
parfois été difficile d’identifier le membre de la Commission électorale
apposant le tampon, notamment dans les bureaux de vote surpeuplés
et les observateurs ont été témoins d’électeurs agitant ouvertement
et aux yeux de tous leur bulletin rempli, à la recherche de la personne
chargée du tampon. Dans les bureaux où votaient les militaires,
les observateurs ont également aperçu la personne en charge du tampon
déplier le bulletin et vérifier le vote» (
Doc. 10778). Malheureusement l’utilisation de cette technique n’a pas
été abolie
.
120. Le tamponnage des papiers d’identité après le choix de vote
constitue une entrave directe au droit de voter ou de ne pas voter.
Certains Etats utilisent cette technique afin d’éviter le vote multiple.
Cette situation peut néanmoins être gênante pour les électeurs en
raison de la présence durable sur leur pièce d’identité d’une indication
sur leur participation ou non à un scrutin
.
3.5.3. Bourrage d’urnes et irrégularités
liées au décompte des voix
121. Alors que, depuis quelques
années, les infractions électorales tendent à être plus sophistiquées
et moins faciles à détecter, des violations manifestes, comme le
bourrage d'urnes et la falsification des protocoles électoraux et
des résultats dans les bureaux de vote, ne sont toujours pas l'exception.
122. Une équipe d'observateurs de l'Assemblée a été témoin d’un
bourrage d'urnes lors des élections législatives en Fédération de
Russie, le 4 décembre 2011 (
Doc. 12833). Le rapport de l’Assemblée sur l’observation des élections
législatives en Azerbaïdjan du 7 novembre 2010 a souligné le fait
que «malgré les campagnes de formation et de sensibilisation organisées
par la CEC, il y a eu d'importantes violations et irrégularités
de procédure, dont le bourrage des urnes» (
Doc. 12475). Les observateurs internationaux ont estimé que le
décompte des voix n'avait pas été effectué correctement dans 31 %
des cas observés et qu'un quart de ces décomptes était entaché d'erreurs
de procédure. Dans plus de 11 % des dépouillements observés, le
nombre de bulletins dans l’urne était supérieur au nombre de signatures
sur la liste des électeurs et 24 urnes contenaient des faisceaux
ou paquets de bulletins, suggérant que les urnes avaient été bourrées.
123. Lors de l’élection présidentielle du 19 février 2008 en Arménie,
la commission ad hoc a été «particulièrement préoccupée par les
falsifications délibérées des résultats du décompte qui ont été
notées dans un certain nombre de bureaux de vote, dont un cas notamment
noté par une équipe de l’Assemblée» (
Doc. 11564).
124. En Géorgie, alors que les observateurs de l’élection présidentielle
de 2000 ont déclaré que le «bourrage d’urne était monnaie courante»
(
Doc. 8742), le rapport de l’Assemblée sur l’observation des élections législatives
du 21 mai 2008 a constaté des progrès, notant que «les autorités
ont donné rapidement suite aux violations signalées. Le soir même
du scrutin, la CEC a annoncé l’annulation des élections dans 13
bureaux de vote». Au moment de l’établissement du rapport sur l’observation
des élections, le nombre des bureaux où les élections avaient été
annulées était passé à 45 (
Doc. 11651).
125. Lors du décompte des voix, de graves violations de procédure
peuvent aussi être observées, variant du manque de transparence
à des anomalies dans la détermination de la validité des bulletins
de vote. En Arménie, durant l’élection présidentielle organisée
en 2008, certains membres de commissions électorales ont signé des
procès-verbaux de résultats non remplis ou partiellement remplis.
Les observateurs des élections ont été aussi surpris de voir que
«les membres des commissions utilisaient constamment leurs téléphones portables
pendant le décompte des votes, apparemment pour transmettre les
résultats en cours au siège du parti. Cette utilisation constante
des téléphones fait se poser la question d’ingérences possibles
de l’extérieur dans les procédures de décompte» (
Doc. 11564).
3.5.4. Entraves à la mission d’observateur
126. La présence d’observateurs
internationaux est essentielle pour renforcer la confiance du public
dans le processus électoral. Il convient donc de préserver leurs
droits et de modifier les éventuelles dispositions juridiques qui
restreignent de fait leur mission d’observation. Parallèlement,
il est crucial que les observateurs connaissent la législation et
les responsabilités nationales concernées.
127. En effet, le plus souvent, sans les empêcher directement d’accéder
aux bureaux de vote, un ensemble de dispositions juridiques subtiles
est utilisé dans le but de compliquer la tâche des observateurs:
même lorsque les droits des observateurs sont garantis par la loi,
cette dernière peut parfois manquer de clarté et donner lieu à des
interprétations très différentes.
128. La situation étant particulièrement préoccupante, la Commission
de Venise, à la demande de la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme de l’Assemblée, a élaboré des lignes directrices visant
à reconnaître un statut international aux observateurs d’élections
: «Il importe d’accorder
les mêmes droits et libertés aux observateurs internationaux et
nationaux d’élections. Ils doivent être soumis à des principes,
droits et obligations communs, dans la mesure où ces droits et obligations
ne sont pas toujours suffisamment garantis par la législation électorale
nationale, il convient de permettre le plus possible aux observateurs
de prendre part à l’observation des élections.»
129. Plusieurs types d’actions récurrentes visant à réduire les
droits des observateurs peuvent être relevés parmi lesquelles il
convient de citer l’approbation par la Commission électorale centrale
d’une liste restreinte d’observateurs avant l’élection excluant
ainsi la présence d’autres observateurs.
130. Ainsi, en Azerbaïdjan, la Commission de Venise a relevé en
2006 «l’absence d’observateurs locaux ainsi que le très faible nombre
d’observateurs internationaux [facilitant clairement] (…) les fraudes»
. Elle a précisé que les ONG dont plus de
30 % des fonds proviennent de l’étranger n’ont pas reçu l’autorisation d’observer
les élections. En revanche, les élections législatives en Azerbaïdjan
du 7 novembre 2010 ont été observées par un très grand nombre d'observateurs
internationaux (1 029) (
Doc. 12475).
131. Lors de l’élection présidentielle de 2010, les autorités ukrainiennes
ont exclu les observateurs nationaux non partisans. Ont été autorisés
à observer les élections «uniquement les représentants des partis politiques
et des candidats à la présidence et les observateurs internationaux.
Cette situation est d’autant plus inacceptable que les observateurs
nationaux ont été très actifs lors des élections précédentes en
Ukraine et que la qualité de leur travail et leur engagement civique
ont été largement reconnus par les citoyens ukrainiens et par la
communauté internationale» (
Doc. 12132).
132. La mise en place de procédures d’enregistrement lourdes et
compliquées pour l’obtention d’une accréditation formelle des observateurs
constitue également une approche visant à empêcher les observateurs
d’accéder aux bureaux de vote. En Ukraine, par exemple, les dispositions
juridiques visant les droits des observateurs apparaissent comme
extrêmement détaillées et compliquées: elles font obligation de produire
des signatures authentifiées ou des copies conformes des statuts
de l’organisation
.
133. En Russie, selon la loi réglementant l’élection des députés
à la Douma d’Etat, il ne peut y avoir d’observateurs nationaux de
la société civile (article 30). Lors des élections législatives
en Russie du 4 décembre 2011, la principale ONG à avoir obtenu l’accréditation
pour observer les élections a été GOLOS et ses observateurs ont
été enregistrés en qualité de journalistes. Cette ONG a fait l’objet
de plusieurs enquêtes, d’une perquisition de ses locaux peu de temps
avant le jour du scrutin, ainsi que d’une procédure pénale diligentée
par le procureur pour violation de la législation électorale. GOLOS
a été condamnée à ce titre à une amende de 30 000 roubles (
Doc. 12833).
3.6. Efficacité des voies de recours en
cas d’irrégularités électorales
134. Le fait de passer des lois
protégeant l’intégrité des élections n’est pas suffisant: encore
faut-il garantir l’application efficace de la législation électorale
en assurant la mise en œuvre de recours impartiaux. En plus, il
faut veiller à ce que le processus se déroule de manière neutre
et transparente, et que les résultats des élections traduisent fidèlement
la volonté des électeurs.
135. Les possibilités de recours doivent s'appliquer à l'ensemble
du processus électoral, y compris le droit de voter, les listes
électorales, les candidatures, les règles de campagne, etc. Les
législations nationales varient en ce qui concerne l'organisation
des recours. Ces derniers peuvent être portés devant la Commission électorale
centrale ou un tribunal, ou encore devant l'une et l'autre successivement.
Toutes les parties concernées devraient y avoir accès et les organes
de recours devraient avoir le pouvoir d'annuler les élections.
136. Faute de procédure de recours adaptée, le processus électoral
perd encore de sa crédibilité auprès des électeurs. L'indépendance
de la justice est un facteur vital à cet égard.
137. Souvent, les voies de recours apparaissent difficilement accessibles
aux électeurs. Les électeurs semblent mal informés en la matière
et ne disposent que rarement de formulaires spéciaux permettant d’introduire
un recours. Pourtant, il est indispensable de pouvoir disposer d’une
procédure simple et rapide de contestation et de la rendre plus
accessible à la population. Elle peut aussi avoir des effets dissuasifs
vis-à-vis de ceux qui voudraient manipuler ou entraver le processus.
138. Un rapport publié par l’OSCE/BIDDH en 2000 fait état de la
culture d’impunité à l’égard des infractions liées aux élections
. Il est notamment
spécifié dans cette analyse la nécessité d’adopter rapidement des mesures
radicales pour briser la tolérance dont bénéficient les infractions
liées aux élections et restaurer complètement la légalité du processus
électoral, ainsi que la confiance dont celui-ci jouit envers les
électeurs.
139. Dans son rapport de 2006, la Commission de Venise condamne
fermement la complexité des dispositions électorales de nombreuses
démocraties émergentes: «dans plusieurs cas, les procédures de traitement
des recours pêchent par leur imprécision et leur complexité. Les
rapports des observateurs internationaux reprochent souvent auxdites
procédures d’être compliquées, ambiguës et portant à confusion et,
partant, de déboucher sur une interprétation et une application
incohérentes du droit électoral. Les règles et procédures sont rarement
bien comprises par les parties intéressées»
.
140. La nécessité de simplifier et/ou de clarifier les procédures
de réclamation et d'appel figure dans les derniers rapports de l'Assemblée
sur l'observation des élections en Arménie, dans «l’ex-République yougoslave
de Macédoine» et en Ukraine. Les observateurs condamnent le processus
de résolution des réclamations et l'absence de procédure de recours
lors des élections législatives de 2008 en Géorgie, des élections
législatives de 2010 en Azerbaïdjan et de la présidentielle de 2012
en Russie.
141. Comme cela a été dit à la Conférence de Tirana des 2 et 3
juillet 2012 sur «Le patrimoine électoral européen: dix ans de Code
de bonne conduite en matière électorale», nous ne pouvons que souscrire
à la conclusion du rapport de 2006 de la Commission de Venise: «Il
reste encore beaucoup à faire pour améliorer les procédures de réclamation
et d'appel en cas d'irrégularités électorales et inverser la culture
de l'impunité pour ce qui touche aux élections»
.
4. Mesures pour améliorer le caractère
démocratique des élections
142. Au cours des vingt dernières
années, différents documents du Conseil de l’Europe, y compris des
textes adoptés par l’Assemblée, ont proposé une série de mesures
visant à améliorer le caractère démocratique des élections (voir
le chapitre 2 ci-dessus). Le présent rapport n’entend pas réitérer
en détail toutes ces propositions mais plutôt attirer l’attention
des Etats membres sur les principaux impératifs dont ils devraient tenir
compte à la lumière des problèmes récurrents et persistants présentés
ci-dessus. Des aspects plus spécifiques, telles que les questions
liées à la représentation des femmes ou à la participation des minorités et
des migrants, à l’éducation des électeurs comme faisant partie de
l’éducation civique, etc., seront aussi traités dans les avis des
commissions spécialisées sur ce rapport.
143. Tout d’abord, il faudrait que les mesures proposées soient
tout à la fois suffisamment précises pour assurer leur efficacité
mais aussi suffisamment souples pour assurer leur adaptabilité aux
différentes situations dans les Etats membres du Conseil de l’Europe,
qu’il s’agisse d’Etats avec une longue expérience dans le domaine
des élections libres et démocratiques ou pas. Sur la base de l’audition
que notre commission a tenue en décembre dernier, ainsi que sur
le fondement des interventions des membres et des experts, on peut conclure
que les mesures spécifiques à proposer doivent répondre à trois
grands impératifs:
- favoriser
la participation;
- garantir la transparence;
- renforcer le contrôle.
4.1. Favoriser la participation
144. La question de la participation
des citoyens aux élections est une question centrale dans ce débat.
Dans une société démocratique, les élections sont l’apanage du peuple
.
Elles sont organisées pour permettre aux citoyens de prendre part
à la direction des affaires publiques de leurs pays et, le cas échéant,
d’accéder aux fonctions publiques. Une participation faible des
citoyens au processus électoral prive ceux-ci de son but primordial
et affaiblit la légitimité du résultat mais aussi celle du processus
dans sa globalité. Je me réfère à la participation au «processus électoral»
et pas seulement au scrutin, car il s’agit bien d’un processus qui commence
beaucoup plus tôt que le jour du scrutin et comporte plusieurs étapes
auxquelles les citoyens devraient participer, et pas d’un exercice
isolé
.
145. Or, la tendance actuelle (en dehors des systèmes très minoritaires
où le vote est obligatoire) est à une baisse sensible du niveau
de participation. Faute de confiance dans le processus électoral
ou faute de confiance plus généralement dans les institutions de
la démocratie représentative, on note des pourcentages de participation
extrêmement faibles en Europe. Pour citer un exemple récent, seuls
55,5 % des Français ont participé aux dernières élections législatives
mi-juin 2012. Notre commission a déjà exprimé sa préoccupation face
à cette tendance dans plusieurs rapports qu’elle a présentés à l’Assemblée
sur l’état de la démocratie en Europe ces dernières années.
146. Si l’on veut améliorer la légitimité et donc le caractère
démocratique des élections, il est indispensable de faire en sorte
que le niveau de participation des citoyens au processus électoral
augmente, de manière à ce que le processus, et en fin de compte
les élections, bénéficie d’une légitimité maximale.
147. Le vote obligatoire, qui pourrait apparaître comme le moyen
le plus radical de régler ce problème de la participation, ne me
paraît pas susceptible de régler, au fond, cette question. Comme
le disait le professeur Ghevontian lors de notre audition en décembre
dernier, «en substituant l’obligation au choix assumé, ne risque-t-on
pas de déplacer le problème et de se retrouver confronté à deux
types de vote: le “vote-adhésion” et le “vote-dérision”?»
148. En dehors de la question plus générale et cruciale sur le
besoin d’accroître la confiance des citoyens dans les institutions
de la démocratie représentative
, les mesures spécifiques
et concrètes suivantes pourraient être envisagées afin d’améliorer
la participation des citoyens au processus électoral.
4.1.1. Exactitude des listes électorales
149. Il faudrait établir la liste
électorale de telle sorte que le plus grand nombre possible d’électeurs
s’y inscrivent. L’inscription initiale devrait être automatique
et, en cas de changement d’adresse, il faudrait que l’Etat informe
les électeurs le mieux possible et facilite au maximum les démarches
administratives à accomplir. Dans les Etats où existe une obligation
de s’inscrire au registre de la population, il serait souhaitable que
les listes électorales en soient automatiquement tirées. Les listes
électorales devraient être permanentes et, contrairement à la tendance
actuelle, le recours à des listes supplémentaires devrait être possible seulement
afin de permettre aux personnes ayant changé de domicile ou ayant
atteint l’âge légal pour voter depuis la publication définitive
de la liste, de voter. Les Etats devraient également prendre des
mesures pour prévenir efficacement le «vote multiple», sans toutefois
enfreindre le principe du secret du vote.
4.1.2. Pluralisme des partis politiques et
démocratie interne des partis
150. Il faudrait garantir la liberté
de choix des électeurs en ouvrant l’offre politique le plus possible
en application du principe du pluralisme des partis politiques.
Les règles régissant l’enregistrement des partis politiques sont
d’une importance particulière à cet égard. Des conditions d’enregistrement
trop strictes comme des conditions d’adhésion ou de représentation
régionale excessives, ou encore l’exigence d’un trop grand nombre
de signatures ou d’une caution excessive, sont susceptibles d’empêcher
la création des partis politiques et, partant, de restreindre de
manière disproportionnée le droit des citoyens de créer des associations
mais aussi le pluralisme politique et, enfin, le choix des électeurs.
151. Tout aussi importante est la question de l’organisation interne
et du fonctionnement démocratique des partis. La démocratie à l’intérieur
des partis favorise la confiance des citoyens dans le processus
électoral et dans le système démocratique en général car elle garantit
que les partis qui choisissent les candidats qui seront élus à une
fonction officielle se conforment aux principes démocratiques au
sein de leur propre organisation.
152. La démocratie interne se manifeste par des procédures internes
aux partis qui favorisent la participation des membres du parti
aux processus de délibération et de prise de décisions, en étendant
la participation des militants de base à certaines tâches essentielles
concernant la gouvernance du parti, comme le choix des dirigeants
et des candidats aux élections ainsi que la définition des prises
de position du parti. Conformément au Code de bonne conduite en
matière de partis politiques
,
les pratiques de sélection par la base des candidats aux responsabilités
au sein du parti et aux élections sont «une bonne expression de
la démocratie interne». De la même manière, que ce soit directement
ou indirectement, les candidats aux élections doivent être choisis
démocratiquement à tous les niveaux. En outre, lorsqu’il s’agit
du remplacement d’un siège vacant, les procédures internes des partis
pour les remplacements doivent tenir compte du choix individuel
de l’électeur.
153. Le Conseil des élections démocratiques a récemment envisagé
de mettre à jour les différents principes du patrimoine électoral
européen à mettre en œuvre par les partis politiques dans ce domaine,
notamment en ce qui concerne la parité et la représentation des
minorités nationales. A mon avis, la question du fonctionnement
interne des partis et notamment du processus de sélection interne
des candidats devrait être examinée en priorité car elle est intimement
liée à la crédibilité du système électoral dans son ensemble.
4.1.3. La représentation des femmes
154. En ce qui concerne plus particulièrement
la question de la représentation des femmes en politique, les partis
politiques devraient concevoir des mécanismes visant à promouvoir
l’égalité entre hommes et femmes non seulement aux élections législatives,
mais également aux élections aux postes décisionnaires en général, tant
au sein qu’à l’extérieur du parti. Dans sa
Résolution 1706 (2010) et sa
Recommandation
1899 (2010) intitulé «Augmenter la représentation des femmes en
politique par les systèmes électoraux», l’Assemblée a énuméré des
mesures concrètes que les Etats membres devraient considérer, y
compris l’introduction de quotas par sexe et la promotion d’une
éducation civique qui tienne compte de l’égalité des sexes.
155. Le fait que, malgré des progrès législatifs significatifs
dans presque tous les Etats membres et l’introduction des quotas
par sexe (soit des quotas juridiquement contraignants, soit des
quotas volontaires imposés par les partis eux-mêmes) dans la plupart
d’entre eux, les femmes demeurent largement sous-représentées dans
les parlements met en évidence la nécessité de réfléchir à des mesures
additionnelles. Le Conseil des élections démocratiques propose ainsi
de chercher de nouvelles méthodes et solutions, en combinant, par
exemple, des mécanismes touchant à la fois aux systèmes électoraux
et au fonctionnement interne des partis politiques. L’Assemblée,
pour sa part, débattra, conjointement avec le présent rapport, un rapport
par la commission sur l’égalité et la non-discrimination sur «Partis
politiques et représentation politique des femmes», qui traitera
aussi du processus de sélection des candidats (
Doc. 13022).
156. Il reste que les électeurs peuvent être peu enclins à choisir
des femmes parmi une myriade de candidats dans une circonscription
donnée. C’est pour cette raison que le Conseil des élections démocratiques
propose également de dégager des lignes directrices destinées aux
Etats membres afin de sensibiliser les électorats mais également
les états-majors des partis politiques à cette problématique. Je
pense que cette question mérite également d’être traitée en priorité
par la Commission de Venise et j’espère que l’action résolue de
notre Assemblée et de la Commission de Venise dans ce domaine portera
ses fruits afin de permettre une augmentation effective de la représentation
des femmes en politique et ainsi de renforcer la légitimé des institutions
de la démocratie représentative et du résultat électoral.
4.1.4. Participation des minorités
157. Concernant la participation
des minorités, la courte analyse faite ci-dessus démontre qu'il
existe tout un éventail de mécanismes ou de modèles visant à faciliter
la participation des minorités au processus électoral, y compris
des mesures d’action positive telles que le système de sièges réservés
en fonction de l'appartenance ethnique ou le droit au «double vote»
qui néanmoins ont un champ d’application limité. En outre, le choix
du système électoral en tant que tel, la définition de seuils électoraux
et la délimitation des circonscriptions sont tous des facteurs qui
peuvent faciliter ou, au contraire, empêcher la participation et
la représentation des minorités. Il ne paraît pas y avoir de «bonne
pratique» universelle. Ce qui peut être une solution adaptée pour
promouvoir la représentation des minorités dans tel pays peut empêcher
une telle représentation dans tel autre. Ce qui compte, ce n'est
pas la méthode, mais le résultat: une participation effective des
minorités au processus électoral et donc au processus de décision
politique comme facteur propre à garantir la paix et la stabilité
interethnique. D’autres mesures qui améliorent la participation
des minorités au processus électoral peuvent concerner, par exemple,
la composition des commissions électorales, la traduction de documents
électoraux, les programmes d’éducation des électeurs, les quotas
au niveau des candidatures et des listes de parti, etc.
4.1.5. Une campagne électorale ouverte et
accessible, et le rôle des médias
158. Afin de favoriser la participation,
il est essentiel que les campagnes électorales soient largement ouvertes
et accessibles afin de permettre un véritable débat non seulement
susceptible d’intéresser l’électeur mais également d’éclairer son
choix. «De manière générale, une élection libre est une élection
où les candidats peuvent s’affronter sans aucun obstacle érigé par
les autorités et où l’électorat a de réelles options et peut librement
accéder à des informations concernant ses options»
.
159. Dans ce contexte, les médias ont un rôle important à jouer
pour aider les électeurs à faire un choix réel et éclairé. Mais
s’il paraît assez établi que les médias publics doivent être astreints
à des règles d’équité, et d’égalité, qu’en est-il des médias privés?
Si l’on admet, par tradition, que la presse écrite puisse faire campagne
pour tel ou tel candidat, la réponse est beaucoup plus délicate
pour les médias audiovisuels compte tenu de leur impact et de leur
nombre relativement limité
.
Des codes de bonnes pratiques ont été élaborés par des organisations
internationales observatrices d’élections, mais les bonnes pratiques
s’appliquent avant tout aux médias publics.
160. Le Conseil des élections démocratiques a récemment envisagé
de se pencher sur la question des médias privés, notamment en s’interrogeant
sur l’appartenance de tels médias à des personnalités politiques de
premier plan ou dirigeant des formations politiques
. Le conseil
s’est également proposé d’examiner plus en détail la question des
médias de radiodiffusion, compte tenu de leur impact, et de mener
une réflexion sur internet, y compris les sites web, les blogs et
les réseaux sociaux qui désormais jouent un rôle dans les campagnes
électorales. Dans quelques Etats membres, ces derniers sont encadrés
par des normes nationales, dans d’autres Etats membres tel n’est
pas le cas. Notons que toute norme dans ce domaine devrait assurer
l’égalité des chances sans pour autant restreindre de manière disproportionnée
la liberté d’expression. Il s’agit d’un équilibre assez délicat
qui n’est pas facile à mettre en œuvre dans la pratique. Cette question mérite
à mon avis d’être traitée en priorité vue son importance pour assurer
l’égalité des chances au cours des campagnes électorales.
4.1.6. La protection des électeurs à l’encontre
des menaces, pressions, violences et intimidations
161. Afin de favoriser la participation,
il est aussi important de protéger l’électeur contre toute menace
et toute pression qui seraient liées à son choix et qui seraient
exercées tant par des autorités que par des personnes. Cela implique
un strict respect des règles mettant en œuvre un principe cardinal
du droit électoral, notamment le secret du vote. Il faudrait ainsi
exclure le tamponnage du bulletin de vote ou des papiers d’identité
après le choix de l’électeur. D’autre part, lorsque des pressions,
des violences, des menaces et des actes d’intimidation ont lieu,
les Etats devraient les sanctionner de manière dissuasive.
4.1.7. Le vote des absents et le vote à l’étranger
162. Il faut garantir le droit de
vote des personnes qui ne sont pas en mesure de se rendre au bureau
de vote, au moyen du vote par procuration, du vote par correspondance
ou du vote électronique. Si de telles pratiques semblent être nécessaires
pour améliorer la participation des citoyens, pour qu’elles soient
conformes aux normes du Conseil de l’Europe, elles doivent être
encadrées par des dispositions appropriées garantissant le secret
du vote et la sécurité du scrutin
. Comme l’a constaté la Commission
de Venise, «certaines difficultés inhérentes au vote par correspondance,
par procuration ou électronique ne pourront jamais être complètement surmontées.
Les avantages et la commodité pour les électeurs – et, par conséquent,
la contribution de ces modalités à l’objectif général d’amélioration
de la participation électorale – doivent être mis en balance avec les
risques que présentent inévitablement ces systèmes de vote à distance»,
notamment en termes de secret du vote
.
163. Concernant notamment le vote électronique, dans sa
Résolution 1705 (2010), l’Assemblée a invité les Etats membres à étudier la
possibilité d’employer des outils de la technologie de l’information
et de la communication (TIC), ainsi que la mise en place de différents
types de vote électronique, y compris le vote électronique à distance.
Néanmoins, dans sa
Résolution
1653 (2009) sur la démocratie électronique, l’Assemblée a mis en
lumière les risques que l’évolution des TIC comporte pour la démocratie,
notamment l’inégalité d’accès, susceptible de générer exclusion
et discrimination, ainsi que les abus possibles. Il a ainsi demandé
aux Etats membres d’établir et de mettre en place, à un stade précoce,
des règles comportant des garanties pour la protection des citoyens.
Pour l’Assemblée, «l’accès généralisé aux outils électroniques est une
condition nécessaire au succès de la démocratie électronique et
à l’élimination du risque de “fossé technologique”. Cette généralisation
ne passe pas seulement par l’accès à des équipements et à une connexion
abordable, mais aussi par des efforts considérables en termes d’éducation
et de formation, tout particulièrement à l’intention des générations
plus âgées et autres catégories de population vulnérables».
164. Concernant le droit de vote des citoyens établis à l'étranger,
dès 2005, l'Assemblée avait invité les Etats membres à prendre des
mesures pour permettre à leurs citoyens vivant à l’étranger de participer
autant que possible au processus électoral. A cette fin, différentes
modalités sont possibles, notamment le vote dans des bureaux ouverts
à l’étranger, et/ou le vote par correspondance, le vote par procuration
et le vote électronique. Si les Etats ne sont pas obligés d’organiser
un vote à l’étranger, ceux qui le font devraient s’assurer que les critères
pour ouvrir des bureaux de vote à l’étranger sont transparents et
que leur répartition correspond à celle des citoyens résidant à
l’étranger.
4.1.8. Le droit de vote des groupes vulnérables
165. Il faut garantir le droit de
vote des groupes vulnérables (handicapés, analphabètes, etc.) en
aménageant pour eux les espaces de vote et le matériel de vote (bulletins
pour les non-voyants, pour les analphabètes, etc.)
.
Dans tous les cas, une technique semble devoir être écartée: celle
de l’urne mobile car son utilisation ouvre la voie à la fraude électorale.
4.1.9. Des restrictions au droit de vote
des détenus condamnés
166. Des restrictions au droit de
vote des détenus condamnés sont possibles seulement si elles sont
prévues par la loi et respectent le principe de la proportionnalité.
Ainsi, des dispositions qui prévoient des interdictions générales
du droit de vote touchant automatiquement un groupe indifférencié
de personnes, sur la seule base de leur détention et indépendamment
de la durée de leur peine, de la nature ou de la gravité de l'infraction commise
et de leur situation personnelle, ne sont pas conformes à l'article
3 du Protocole additionnel à la Convention et doivent être amendées.
Notons que, déjà dans la
Résolution
1705 (2010), l’Assemblée a demandé aux Etats membres «de supprimer
les dispositions obsolètes qui privent de leurs droits électoraux certaines
catégories de la population (notamment certaines catégories de détenus)».
4.1.10. Le choix du système électoral et la
présence des seuils électoraux
167. Enfin, on ne peut finaliser
un chapitre sur la participation des citoyens et tout un rapport
visant à des élections plus démocratiques en Europe sans s’intéresser
à la question fondamentale du système électoral. Comme l’Assemblée
l’a déjà dit dans sa
Résolution
1705 (2010) sur les seuils électoraux et autres aspects des systèmes
électoraux ayant une incidence sur la représentativité des parlements
dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, «pour toute démocratie,
le choix du système électoral est l’une des plus importantes décisions
institutionnelles» ayant une incidence manifeste sur la représentativité
et des conséquences profondes sur l’ensemble de la vie politique
du pays concerné. Différents systèmes électoraux peuvent aboutir à
des résultats très différents. Le système électoral détermine en
grande partie un certain nombre de processus administratifs, y compris
la création d’un gouvernement. La
Résolution 1705 (2010) souligne que toute assemblée élue «devrait refléter
la composition politique de l’électorat ainsi que d’autres aspects importants
tels que la répartition géographique, le genre, l’appartenance ethnique
ou d’autres identités de groupes, notamment d’âge ou de vulnérabilité
spécifique» et cela dépend largement du choix du système électoral.
Notant qu’il existe tout un éventail de systèmes électoraux dans
les Etats membres du Conseil de l’Europe, chacun avec ses avantages
et ses inconvénients, l’Assemblée a conclu ceci: «Il n’y a pas de
système électoral unique pouvant servir de modèle à tous les pays.»
Pour l’Assemblée «le choix dépend de plusieurs facteurs, notamment
du milieu historique et du système politique et de partis». Tout
en partageant cette conclusion, je pense que, afin de garantir le
droit des citoyens d’être représentés dans les processus décisionnels
politiques ainsi que la représentativité d’organes élus, les Etats
membres devraient opter pour un système électoral qui reflète au
mieux l’opinion du peuple et la composition politique de l’électorat.
168. Dans sa
Résolution
1705 (2010), l’Assemblée a demandé aux Etats membres du Conseil
de l’Europe de contribuer à ce que chacun s’entende sur l’ensemble
des principes qui font que des élections sont considérées comme
«libres et équitables», conformément aux normes démocratiques, «quel
que soit le type de système électoral». L’un de ces principes concerne
les seuils électoraux. Ces derniers permettent de définir quels
candidats peuvent rester en lice (en cas de scrutin majoritaire
à deux tours) ou quelles listes peuvent avoir des élus (en cas de
scrutin à la représentation proportionnelle). Sans remettre en cause
l’existence des seuils, il semble nécessaire de fixer des limites afin
d’éviter qu’ils ne deviennent un obstacle à la représentativité
des différents courants politiques dans une société pluraliste.
Des seuils trop élevés ou uniquement destinés à éliminer une formation
politique devraient être prohibés. L’Assemblée a ainsi demandé aux
Etats membres d’examiner la possibilité de baisser les seuils légaux
qui sont supérieurs à 3 %.
4.2. Garantir la transparence
4.2.1. Dans l’organisation des élections
169. Les élections devraient être
organisées par un organe indépendant et impartial, ce qui devrait
conduire à généraliser la mise en place d’une commission électorale
centrale, comme c’est le cas dans plusieurs pays.
170. Certains pays devraient œuvrer pour accroître l’indépendance
de l’administration électorale vis-à-vis tant du gouvernement que
des intérêts partisans. Plutôt que sur des critères formels comme
l'adhésion à un parti politique, l’accent devrait être mis sur le
bon fonctionnement de l'administration électorale, censée être impartiale.
Ce qui compte, c'est le fonctionnement transparent et effectif d'un
organe responsable, composé d'une ou de plusieurs personnes bien
formées, qui ne peuvent être remplacées à loisir en se fondant sur
de simples considérations politiques. Qu’elle fonctionne de manière
impartiale est important, mais l'administration électorale doit
aussi être perçue comme telle.
171. Un large accord politique sur le type et la composition de
l'administration électorale centrale est souhaitable, car susceptible
d’augmenter la crédibilité de l'administration en charge des élections
auprès du public et ainsi de favoriser la confiance de l’électorat
dans l'ensemble du processus électoral. Les commissions électorales
centrales composées de membres nommés par les partis (commissions
partisanes) ne semblent pas être la meilleure solution. Dans les
cas où cette formule est retenue, il convient d’instaurer des garanties afin
que la composition des commissions soit équilibrée sur le plan politique
et leur fonctionnement transparent tout au long du processus électoral.
L’expérience de certains Etats membres où les représentants de l’opposition
président les commissions électorales centrales pourrait être considérée
comme une bonne pratique. Néanmoins, il convient de souligner que
des commissions partisanes, comme toute autre commission électorale,
peuvent organiser des élections démocratiques seulement si elles
respectent les principes susmentionnés de transparence, impartialité
et indépendance. Même s’ils sont nommés par des partis politiques,
leurs membres doivent agir de manière professionnelle et indépendamment
d’intérêts partisans.
4.2.2. Dans le financement de la campagne
électorale
172. Comme l’analyse faite ci-dessus
l’a démontré, le financement des campagnes et des partis politiques soulève
des problèmes dans plusieurs Etats membres y compris les «vieilles
démocraties». Des mesures concrètes pour garantir la transparence
dans le financement des campagnes électorales et des partis politiques
ont été proposées aux Etats membres par la Recommandation Rec(2003)4
du Comité des Ministres sur les règles communes contre la corruption
dans le financement des partis politiques et des campagnes électorales,
qui, entre autres, mentionne la
Recommandation 1516 (2001) de l’Assemblée sur le financement des partis politiques.
Par conséquent, je me réfère à ces textes et réitère la nécessité
de les mettre en œuvre. La pertinence de la recommandation de 2003
et le fait qu’elle ne soit pas encore mise en œuvre sont démontrés
dans les récents rapports d’évaluation du GRECO.
173. En conclusion, il convient de souligner qu’une législation
régissant le financement des campagnes et des partis politiques
est nécessaire. Elle doit non seulement réglementer l’origine des
recettes et le plafond des dépenses mais aussi et surtout permettre
à chaque électeur d’avoir accès aux comptes pour connaître la nature
et le montant des dépenses de campagne. Mais la législation doit
aussi être strictement appliquée et toute infraction doit être punie
par des sanctions proportionnées. La contribution du GRECO dans
ce domaine est importante car ses rapports mettent en lumière des
défaillances ainsi que de bonnes pratiques.
174. La question de l’utilisation ou plutôt de l’abus des ressources
administratives soulève des préoccupations particulières. C’est
une fraude grave encore trop souvent observée dans la pratique électorale de
plusieurs Etats membres où la distinction entre l’Etat et le parti
au pouvoir est brouillée. Nous attendons avec beaucoup d’intérêt
l’étude en cours de préparation de la Commission de Venise sur cette
question. Cela étant, il s’agit d’un problème moins lié à la législation
qu’à la volonté politique du pouvoir.
4.2.3. Dans le déroulement du scrutin
175. Il faut prévoir une organisation
matérielle du scrutin qui permette à chaque électeur de constater,
à tout moment, la régularité de l’ensemble des opérations. Cela
concerne notamment l’aménagement du local où a lieu le vote, la
composition du bureau de vote, la transparence des urnes, la présence
d’isoloirs ou encore le caractère public du dépouillement.
176. Pour renforcer encore cette transparence, la présence d’observateurs
nationaux et internationaux devrait être facilitée. Je renvoie ici
aux lignes directrices de la Commission de Venise sur un statut internationalement
reconnu des observateurs d’élections aux termes desquelles tant
les observateurs nationaux qu’internationaux doivent être soumis
à des principes, droits et obligations communs. Il convient de leur
permettre le plus possible de prendre part à l’observation des élections.
Les observateurs nationaux, y compris ceux issus de la société civile,
devraient être admis dans tous les Etats membres. La procédure d’accréditation
devrait être simple et aisément accessible.
4.3. Renforcer le contrôle
177. Le contrôle des opérations
électorales est un élément indispensable dans un processus électoral démocratique.
Il doit être impartial, indépendant et dissuasif.
178. Alors que les spécialistes deviennent de plus en plus conscients
de l’importance de la période préélectorale, la période postélectorale
est souvent négligée. Les autorités électorales, mais aussi les
missions d’observation des élections, devraient accorder plus d’attention
à la période séparant la fin du dépouillement de la proclamation
des résultats définitifs.
179. Seule la mise en place d’un mécanisme de recours efficace,
transparent et accessible pourrait mettre fin à la culture d’impunité
pour les infractions en matière électorale et accroître la confiance
de la population dans le processus électoral.
180. A cette fin les mesures suivantes sont proposées:
- confier le contrôle à un juge
(que celui-ci soit spécialisé, ordinaire ou constitutionnel). L'indépendance de
la justice est un facteur vital à cet égard. Le contrôle juridictionnel
pourrait intervenir en dernier ressort après l’épuisement d’autres
voies de recours, par exemple après l’examen de recours par la Commission
électorale centrale. Concernant le système de la vérification parlementaire
des pouvoirs pratiqué dans certains Etats, il ne paraît pas de nature
à assurer l’impartialité nécessaire à ce contrôle;
- étendre le contrôle à tout le processus électoral: aux
actes préparatoires à l’élection, y compris aux éventuelles restrictions
au droit de voter ou d’être élu, ou de figurer sur les listes électorales,
aux règles de campagne électorale, y compris la couverture médiatique
et le financement, aux opérations matérielles du scrutin, au dépouillement
et à la proclamation, etc.;
- faciliter l’accès aux tribunaux par des procédures simplifiées
et gratuites prévoyant des délais rapides mais raisonnables;
- s’assurer que les électeurs soient bien informés du système
de recours en vigueur et qu’ils peuvent facilement accéder aux formulaires
voulus;
- prévoir des sanctions lourdes et dissuasives, mais qui
soient proportionnées, en cas de fraude, de manipulation ou de trucage.
Ces sanctions doivent pouvoir être appliquées non seulement à l’auteur direct
(qui est rarement le candidat lui-même) mais aussi au commanditaire.
L’opinion publique du pays ainsi que les observateurs internationaux
devraient être informés des sanctions infligées.
5. Conclusions
181. Depuis 1989, l’Assemblée parlementaire
a été à l’origine d’un mécanisme international d’observation des
élections sur le continent européen afin de promouvoir des élections
libres, équitables et pluralistes, essentiellement dans les pays
de l’Europe de l’Est et du Sud-Est, n’ayant pas une tradition d’élections démocratiques.
182. En étroite coopération avec les autres organes du Conseil
de l’Europe, en particulier avec la Commission de Venise et le Conseil
des élections démocratiques, l’Assemblée a contribué largement au développement
du patrimoine électoral européen à travers un travail normatif important
qui a grandement favorisé l’amélioration des législations électorales
nationales de plusieurs Etats membres et l’enracinement d’une certaine
culture d’élections pluralistes.
183. Si le travail normatif dans le domaine électoral est important,
l’application des normes reste un défi majeur à relever dans plusieurs
Etats membres. Les irrégularités graves et répétées, identifiées
d’une élection à l’autre, dont les auteurs ne seraient pas traduits
devant la justice et dont l’opinion publique ne serait pas informée,
ouvrent la voie à l’instabilité, voire aux violences et aux crises
politiques durables. La corruption en matière électorale représente
un réel danger et peut saper les principes de la bonne gouvernance.
184. L’Assemblée, dans ses rapports d’observation des élections,
souligne de plus en plus fréquemment le fait que, selon l’avis de
la Commission de Venise, en règle générale la législation électorale
nationale permet d’organiser des élections démocratiques. Dans la
plupart des cas, en effet, la racine du mal n’est pas dans la législation
électorale nationale mais dans le manque de volonté politique, au
plus haut niveau, d’assurer une mise en œuvre de cette législation
permettant l’organisation d’élections libres et équitables. Notons
que les arguments sur le manque d’expérience ne paraissent pas justifiés
ni crédibles au terme de presque vingt ans d’organisation d’élections.
185. Le présent rapport liste les principaux défis et les problèmes
récurrents observés par les commissions ad hoc de l’Assemblée dans
plusieurs Etats membres concernant notamment:
- l’administration électorale et les questions de neutralité
et d’impartialité;
- le droit de vote et d’être élu, et l’universalité du suffrage,
y compris les restrictions au droit de vote pour des groupes particuliers,
les problèmes relatifs aux listes électorales et l’inscription des
candidats;
- l’égalité des chances et les entraves existant lors des
campagnes électorales, en lien avec le financement de la campagne
(absence de transparence et opacité des sources financières), l’accès
aux médias, notamment les médias publics (manque d’égalité d’accès
et d’impartialité des médias), ainsi que l’utilisation abusive des
ressources administratives et les menaces, pressions, violences
et intimidations à l’encontre des candidats ou des électeurs;
- la liberté et le secret du suffrage et les entraves existant
le jour du scrutin comme: l’achat de votes, le tamponnage du bulletin
de vote ou des pièces d’identité après le choix de l’électeur, le
bourrage des urnes et les irrégularités liées au décompte des voix,
ainsi que les entraves à la mission des observateurs;
- l’efficacité des procédures de recours en cas d’irrégularité
dans le processus électoral.
186. Le rapport propose une série de mesures visant à améliorer
le caractère démocratique des élections en favorisant la participation,
garantissant la transparence et renforçant le contrôle. Ces mesures
figurent également dans le projet de résolution proposé.
187. Notons que l’ultime objectif est de restaurer la confiance
du public dans le processus électoral, condition indispensable pour
une élection démocratique. Et plus les citoyens font confiance au
processus, plus ils sont susceptibles de venir nombreux aux urnes.
188. En outre, la nécessité de créer la confiance du public concerne
non seulement les électeurs mais aussi les candidats à une élection.
Comme le note la Commission de Venise, si ceux qui cherchent à occuper
des fonctions officielles perdent confiance et ne croient plus que
les élections soient le meilleur moyen d’atteindre leur objectif,
ils risquent de se tourner vers des moyens non démocratiques pour
obtenir le pouvoir
.
189. En conclusion, il faut, à mon avis, aussi renforcer la synergie
et le suivi des observations d’élections tant au sein du Conseil
de l’Europe qu’en liaison avec d’autres organisations internationales
spécialisées. Ainsi, faudrait-il:
- améliorer
le suivi des recommandations contenues dans les rapports internationaux
d’observation des élections dans le contexte du travail effectué
au sein de la commission de suivi et notamment lors des visites
de corapporteurs dans les pays concernés, lors de la rédaction de
leurs rapports mais aussi, le cas échéant, dans le cadre du rapport
d’activité annuel de la commission;
- promouvoir des consultations régulières entre les différents
organes du Conseil de l’Europe ayant une expertise en la matière.
En effet, l’Assemblée dispose, au sein du Conseil de l’Europe, d’un
réseau d’expertise d’une complémentarité sans égal parmi les organisations
européennes: la Commission de Venise, la Cour européenne des droits
de l’homme et le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) en
ce qui concerne la lutte contre la corruption (notamment l’opacité
du financement des campagnes électorales et d’autres questions liées
à la corruption lors des élections). Cet avantage pourrait être mieux
exploité;
- renforcer les programmes d’assistance électorale du Conseil
de l’Europe à moyen et à long terme en les ciblant mieux sur les
problèmes observés;
- renforcer les synergies avec les autres organisations
internationales ayant une expertise en matière électorale, non seulement
dans la phase qui précède les élections (par exemple lors de la
préparation d’avis conjoints sur les législations électorales de
la part de la Commission de Venise et de l’OSCE/BIDDH) et le jour
du scrutin (missions d’observations et communiqués de presse conjoints)
mais aussi après l’observation d’une élection afin de mieux promouvoir
les recommandations faites par la communauté internationale et assurer
leur mise en œuvre.