1. Introduction
1.1. Etat actuel de
la procédure et cadre géographique du rapport
1. Le présent rapport devait au départ prendre en compte
les deux mandats pour lesquels j’ai été désigné rapporteur, respectivement
le 24 mars et le 16 décembre 2009, sur:
- «Le suivi de la question des prisonniers politiques en
Azerbaïdjan»;
- «La définition des prisonniers politiques».
2. Les deux mandats de rapporteur ont été regroupés sur décision
de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
lors de sa réunion du 24 juin 2010. Au cours de la même réunion,
sur la base d’une note introductive que j’avais présentée
et d’une audition d’experts, la
commission a avalisé les critères proposés pour la définition des
prisonniers politiques et m’a autorisé à effectuer une visite d’étude
à Bakou. Lors de sa réunion du 5 octobre 2011, la commission a rebaptisé
le rapport conjoint «Revoir la question des prisonniers politiques»
sur proposition de son président, dans le cadre d’un compromis avec
la délégation azerbaïdjanaise, qui s’opposait à ce que son pays
soit désigné de façon distincte dans l’intitulé du rapport et refusait
de m’autoriser à effectuer une visite d’étude.
3. Lors de la réunion du 8 mars 2011, la délégation azerbaïdjanaise
a tenté de revenir sur la décision du 24 juin 2010 et de scinder
ce double mandat, en rétablissant les deux mandats distincts initiaux;
cette proposition a été rejetée par la commission. J’ai tenté à
plusieurs reprises, mais en vain, d’obtenir la collaboration des
autorités azerbaïdjanaises pour organiser ma visite d’étude. En
août 2011, ma demande de visa a été officiellement rejetée
. Deux autres tentatives d’organisation
d’une visite en novembre 2011 et fin janvier 2012 ont également
échoué, en dépit de plusieurs interventions des présidents de la
commission, M. Pourgourides, puis M. Chope. Après la fixation d’un
dernier délai d’invitation au 12 mars 2012 par le président lors
de la réunion de janvier 2012, la commission a été informée à l’occasion
de sa réunion du 12 mars 2012 qu’une date de visite avait été prévue
pour la première semaine de mai 2012. Malheureusement, une semaine avant
la visite convenue, au cours de la partie de session d’avril 2012,
la délégation azerbaïdjanaise a soumis l’octroi de mon visa à une
nouvelle condition: je devais accepter d’examiner uniquement la
définition théorique des prisonniers politiques et non les cas présumés
de prisonniers politiques azerbaïdjanais. Je me suis fait un devoir
d’insister pour effectuer une visite d’étude sur la base du double
mandat qui m’avait été confié. Je n’ai finalement pas obtenu de
visa et la visite déjà prévue pour la semaine suivante a dû être
annulée. La commission, lors de sa réunion du 24 avril 2012, m’a
autorisé à présenter mon rapport sans avoir effectué la visite d’étude
habituelle.
4. A l’occasion de sa réunion du 21 mai 2012, la commission a
finalement décidé de scinder mon double mandat et m’a demandé de
présenter deux rapports distincts, l’un sur la définition des prisonniers
politiques
et l’autre sur les cas présumés
de prisonniers politiques. Comme l’a expliqué le Secrétaire général
de l’Assemblée parlementaire au cours de la même réunion, cette
décision rétablit la situation qui existait avant la fusion des
deux propositions du 24 juin 2010. En conséquence, la modification
de l’intitulé à laquelle il avait été procédé en octobre 2011 n’est
plus d’actualité.
5. Pour ce qui est du cadre géographique du présent rapport,
la première des deux propositions sur lesquelles il repose se limite
expressément à l’Azerbaïdjan. La deuxième, qui concerne la définition
des prisonniers politiques, ne vise pas un pays précis. La décision
de regrouper ces deux propositions dans un même rapport, prise en
juin 2010, n’a entraîné aucune modification du cadre géographique.
Le fait de rebaptiser en octobre 2011 le futur rapport (nouvel intitulé:
«Revoir la question des prisonniers politiques») m’a permis d’étendre
le cadre géographique possible de mon mandat, conformément à l’explication
donnée par le président de la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme, qui avait proposé le nouvel intitulé.
Mais compte tenu de l’annulation, le 21 mai 2012, de la décision
de fusionner les deux rapports, il n’y a plus lieu de modifier l’intitulé
du rapport, ni d’en élargir éventuellement le cadre géographique.
6. En guise d’introduction, je donnerai un aperçu de la longue
et douloureuse histoire de la question des prisonniers politiques
en Arménie et en Azerbaïdjan (chapitre 1.2 ci-dessous) et je rappellerai
les points de vue que j’ai défendus, et que la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme a avalisés lors de sa réunion
du 24 juin 2010, à propos de la répartition des tâches entre l’Assemblée
et la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour») (chapitre
1.3 ci-dessous). J’évoquerai, dans la première grande partie du
présent rapport (chapitre 2 ci-dessous), la définition en vigueur,
parfaitement admise, des prisonniers politiques, applicable en principe
à l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe, comme l’a
réaffirmé la commission des questions juridiques et des droits de
l’homme lors de sa réunion du 24 juin 2010. La deuxième grande partie
(chapitre 3 ci-dessous) consistera en une application de ces critères
à un certain nombre de cas et de catégories de cas de prisonniers
politiques présumés en Azerbaïdjan.
1.2. Le contexte historique
de la question des prisonniers politiques au Conseil de l’Europe: l’adhésion
de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan
7. La question des prisonniers politiques au Conseil
de l’Europe remonte aux négociations engagées lors de l’adhésion
de l’Azerbaïdjan à l’Organisation. L’Azerbaïdjan s’était notamment
engagé «à libérer ou rejuger ceux des prisonniers qui sont considérés
comme des “prisonniers politiques” par des organisations de protection
des droits de l’homme»
. En novembre 2000,
le Comité des Ministres adoptait les Résolutions Res(2000)13 et
Res(2000)14, qui invitaient simultanément l’Arménie et l’Azerbaïdjan
à devenir Etats membres du Conseil de l’Europe, statut qui devait
être confirmé une fois fixée la date d’adhésion. Afin de permettre
à certains Etats de surmonter leurs réticences à l’égard de ces
deux adhésions à l’époque, un compromis avait été obtenu au sein
du Comité des Ministres, en vertu duquel il avait également été
décidé en novembre 2000 que le Comité des Ministres assurerait le
suivi régulier de l’évolution démocratique des deux pays. L’Arménie et
l’Azerbaïdjan adhéraient au Conseil de l’Europe le 25 janvier 2001.
Le Comité des Ministres ensuite approuvait, le 31 janvier 2001,
l’initiative prise par le Secrétaire Général de nommer trois éminents
«experts indépendants»
chargés
d’examiner les listes de cas de prisonniers politiques présumés
établies par des organisations non gouvernementales (ONG) arméniennes
et azerbaïdjanaises de défense des droits de l’homme
. Avant cet examen, les experts indépendants
avaient entrepris de déterminer, en agissant quasiment en qualité
de juges, quelles personnes pouvaient «être considérées comme des
prisonniers politiques sur la base de critères objectifs, à la lumière
de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
et des normes du Conseil de l’Europe»
. Ils avaient alors procédé
à l’examen des 716 cas figurant sur cette liste en vue de définir,
en se fondant sur une série de critères préétablis et admis par
l’ensemble des organes pertinents du Conseil de l’Europe et des
autorités azerbaïdjanaises, si les détenus en question étaient effectivement
des prisonniers «politiques»
. Le Comité des Ministres
avait aussi créé un groupe spécial présidé par l’Ambassadeur italien
de l’époque M. Ago («le groupe Ago») pour suivre la mise en œuvre
de cet engagement. Malheureusement, les 716 cas n’ont pas tous été
résolus en temps voulu. Vingt-trois cas de la liste initiale, qui
en comptait 716, avaient été traités en priorité par les experts
comme des «affaires pilotes». En avril 2003, une bonne partie de
ces 716 affaires avaient été résolues et leur liste réduite à 212
cas, qui ont fait l’objet d’un deuxième mandat des experts. En juillet
2004, les experts ont remis la version définitive de leur rapport
au Secrétaire Général. Outre les 20 avis émis à propos des affaires
pilotes, ils ont rendu 104 avis relatifs aux 212 affaires qui leur
avaient été transmises. Ils ont ainsi conclu que 62 détenus avaient
la qualité de prisonniers politiques, ce qui n’était pas ou plus
le cas de 62 autres personnes.
8. Une liste complémentaire de 88 nouvelles affaires de prisonniers
politiques présumés a ensuite été établie par des ONG. Elle comporte
les noms de personnes arrêtées ou condamnées avant le 1er janvier
2001 et qui avaient été omises par erreur de la liste initiale des
716 prisonniers politiques présumés ou qui ont été arrêtées ou condamnées
entre le 1er janvier 2001 et le 14 avril
2002, date de l’entrée en vigueur de la Convention européenne des
droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»)
en Azerbaïdjan. Seule l’Assemblée parlementaire a procédé à une
évaluation de cette liste, qui figure en annexe de son rapport de janvier
2004 (
Doc. 10026). Dans sa
Résolution
1359 (2004) sur les prisonniers politiques en Azerbaïdjan, l’Assemblée
avait invité en vain le Secrétaire Général de l’époque, M. Walter
Schwimmer, à prolonger les travaux des experts indépendants en leur
assignant un troisième mandat pour cette liste supplémentaire. L’Assemblée
a présenté une autre liste de 107 nouveaux cas dans son rapport
sur le «Suivi de la Résolution 1359 (2004) sur les prisonniers politiques
en Azerbaïdjan»
, qui a conduit à l’adoption de la
Résolution 1457 (2005) et de la
Recommandation
1711 (2005).
9. Depuis l’adhésion de l’Azerbaïdjan en 2001, l’Assemblée parlementaire
a examiné à quatre reprises la question des prisonniers politiques
en Azerbaïdjan: en janvier 2002, juin 2003, janvier 2004 et juin
2005
. Dans la dernière résolution consacrée
à ce sujet, la
Résolution
1457 (2005), l’Assemblée
«réaffirme
fermement sa position de principe suivant laquelle les détenus qui
ont été reconnus comme prisonniers politiques doivent être libérés.
Elle demande aux autorités azerbaïdjanaises de trouver une issue
rapide et définitive à la question des prisonniers politiques et
prisonniers politiques présumés:
i. en libérant les trois prisonniers politiques
restants, reconnus comme tels par les experts indépendants, ou en
ouvrant la possibilité de voir leurs affaires réellement examinées
par la Cour européenne des droits de l’homme, moyennant un procès
en révision ou en appel, comme l’ont proposé les autorités azerbaïdjanaises;
ii. en libérant immédiatement,
en application des dispositions du Code pénal relatives à la libération conditionnelle,
les prisonniers politiques présumés qui ont déjà purgé plusieurs
années de leur peine;
iii. en libérant ou en rejugeant
les prisonniers politiques présumés dont les jugements sont contraires
aux principes du droit à un procès équitable;
iv. en libérant, pour des raisons
humanitaires, les prisonniers politiques présumés qui sont gravement
malades;
v. en libérant ou en rejugeant
les prisonniers politiques présumés qui ont été impliqués dans certains
événements politiques à un degré moindre et très secondaire, sachant
que les commanditaires présumés ont été eux-mêmes déjà graciés;
vi. en libérant les prisonniers
politiques présumés qui n’ont d’autre lien avec les événements en question
que d’être parent, ami ou simple connaissance des membres éminents
de précédents gouvernements;
et elle salue l’engagement des autorités azerbaïdjanaises
d’exploiter toutes les procédures juridiques possibles (amnistie,
procès en révision devant les tribunaux de plus haute instance,
libération conditionnelle, libération pour motif de santé, grâce)
afin de résoudre ce problème».
10. En dépit de quelques avancées réalisées à la suite des diverses
résolutions adoptées par l'Assemblée
, cette question n'est toujours
pas réglée, comme le rappellent dans les termes suivants les auteurs
de l’une des propositions sur laquelle se fonde le présent rapport:
«Aucune suite n'a malheureusement
été donnée aux recommandations de l'Assemblée. On n'a enregistré
aucun résultat et le groupe d'action a été bien moins actif depuis
l'adoption de la Résolution 1545
(2007). Il n'a eu que deux réunions. Aucun décret de grâce
n'a été pris depuis le mois de mars 2007 en dépit de promesses de
le faire.
Dans le même temps, la liste de prisonniers politiques
allégués ne cesse de s'allonger. Certains journalistes qui ont été
condamnés pour diffamation ont été déclarés prisonniers de conscience
par Amnesty international. Au total, la liste de la Fédération azerbaïdjanaise
d'organisations de défense des droits de l'homme comprend 72 prisonniers
politiques, neuf prisonniers politiques probables et 10 ‘ex-prisonniers
politiques’. Certains d'entre eux ont été arrêtés pour la seconde
fois. Mme Faïna Kungurova, ex-prisonnière politique, est morte en
prison (le 18 novembre 2007) dans des circonstances peu claires» .
11. En juin 2010, l'Assemblée a débattu d’un rapport sur le fonctionnement
des institutions démocratiques en Azerbaïdjan qui, dans son chapitre
consacré aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, met
en avant un certain nombre d'affaires de journalistes et de militants
emprisonnés, qu'il convient de régler d'urgence
. A la suite de
la visite des corapporteurs en Azerbaïdjan du 31 janvier au 2 février
2012, la commission pour le respect des obligations et engagements
des Etats membres du Conseil de l’Europe (commission de suivi) a
examiné une note d'information de ces derniers, datée du 25 avril
2012, qui évoque une fois de plus des cas de militants de l'opposition
et de journalistes emprisonnés, ainsi que la nécessité pour la commission
des questions juridiques et des droits de l'homme de préciser la
notion de prisonnier politique
.
12. Le Commissaire aux droits de l'homme de l'époque, Thomas
Hammarberg, a publié en mars 2010 et septembre 2011 deux rapports
dans lesquels il dénonçait l'utilisation de chefs d'accusations
inventés de toutes pièces pour arrêter et réduire au silence des
candidats aux élections législatives, des journalistes et des membres
de groupes de jeunesse
. Au vu de mes propres constatations,
je souscris pleinement à la manière dont les conclusions et les
recommandations
du Commissaire résument les
problèmes constatés.
13. Le 17 décembre 2009, le Parlement européen a indiqué que,
«préoccupé par la détérioration de la liberté des médias en Azerbaïdjan,
[il déplorait] les pratiques d'arrestation, de poursuite et de condamnation de
journalistes d'opposition accusés de divers délits» et invitait
les autorités d'Azerbaïdjan «à libérer sans délai les journalistes
emprisonnés». Le 24 mai 2012, le Parlement européen a adopté une
autre résolution
qui critique
vivement les récentes arrestations de journalistes et de militants
en Azerbaïdjan et demande que les «personnes détenues pour des motifs
politiques» soient libérées.
14. Parmi les affaires survenues récemment et qui méritent, selon
moi, d'être traitées de toute urgence, figurent celles des jeunes
journalistes d'Internet («blogueurs») et militants de la jeunesse
qui ont été condamnés à de lourdes peines d'emprisonnement pour
«hooliganisme» après avoir été eux-mêmes victimes, sans provocation,
d'une agression des forces de sécurité
. En novembre 2011, Amnesty International
a lancé un appel urgent en faveur de la libération de 17 «prisonniers
de conscience»
. Ces affaires récentes traduisent
la persistance en Azerbaïdjan du problème structurel du recours
à l'emprisonnement pour réduire au silence toute opposition.
15. Bon nombre des «cas anciens» ont fini par devenir des questions
humanitaires urgentes au vu du temps que les intéressés ont déjà
passé en prison et compte tenu de leur âge et de leur état de santé
précaire. Il est parfaitement injuste de maintenir en prison des
personnes qui, au moment où les infractions alléguées ont été commises,
étaient extrêmement jeunes et auxquelles seule une complicité accessoire
pouvait dans le pire des cas être reprochée, alors que la qualité
de prisonniers politiques a été reconnue aux instigateurs et organisateurs,
qui ont été libérés depuis longtemps. Il est tout aussi injuste
de maintenir en prison des personnes arrêtées après expiration du
mandat des experts indépendants et qui n'ont pu être prises en compte dans
les travaux de ces derniers pour cette unique raison. Elles continuent
de purger une peine pour avoir participé à la commission d’infractions
dont les instigateurs et les organisateurs, là encore, ont été libérés depuis
longtemps après que la qualité de prisonniers politiques leur avait
été reconnue.
1.3. Répartition des
tâches entre la Cour européenne des droits de l’homme et l’Assemblée parlementaire
16. Les critères retenus pour la définition des «prisonniers
politiques» se réfèrent fréquemment à la Convention européenne des
droits de l’homme. Est considérée comme un prisonnier politique
une personne détenue en violation de la Convention (et notamment
de ses articles 5, 6 et 10). Il va sans dire que l’interprétation
authentique de la Convention relève de la seule compétence de la
Cour européenne des droits de l’homme. Depuis l’entrée en vigueur
de la Convention en Azerbaïdjan, la Cour est également compétente pour
examiner les requêtes individuelles introduites par les personnes
qui s’estiment victimes d’une violation de leurs droits consacrés
par la Convention. Rappelons à cet égard que le 22 avril 2010, la
Cour a conclu que M. Eynulla Fatullayev, incarcéré en avril 2007
après avoir écrit une série d’articles critiques à l’égard du pouvoir,
avait été emprisonné à tort et a demandé sa libération immédiate
.
Mais le fait qu’un certain nombre d’affaires de prisonniers politiques
présumés soient encore pendantes devant les juridictions nationales
ou la Cour européenne des droits de l’homme n’interdit pas en principe
à l’Assemblée de procéder à l’évaluation politique d’un éventuel
problème systémique: l’emprisonnement fréquent des opposants politiques
et des journalistes indépendants, dû soit à l’absence de conformité
des dispositions juridiques pertinentes avec les normes du Conseil
de l’Europe, soit à une application incompatible avec ces normes
des dispositions en question. Conformément à un usage bien établi
au sein de l’Assemblée
, les rapporteurs
sont libres d’évoquer des affaires individuelles pour déceler et
illustrer d’éventuelles violations structurelles, ainsi que de formuler des
observations au sujet de ces affaires, en vue de proposer des solutions
possibles. Bien entendu, l’Assemblée n’a aucune intention, lorsqu’elle
porte une appréciation politique sur ces affaires en se fondant
sur la Convention, de commettre une ingérence dans l’indépendance
de la Cour, qu’elle a systématiquement affirmée et défendue. Comme
la Cour est actuellement submergée par les requêtes individuelles
de certains pays causées par des problèmes «systémiques», l’Assemblée
peut faire œuvre utile en abordant de tels problèmes sur la base
d’exemples soigneusement documentés et en proposant aux autorités
nationales des solutions susceptibles de tarir à la source cet afflux
massif de requêtes.
2. La notion
de «prisonnier politique» selon la définition retenue par les experts
indépendants du Conseil de l’Europe
17. Le juge Stefan Trechsel a présenté les conclusions
établies par ses collègues et lui-même sur la définition et les
critères de la notion de «prisonnier politique» lors de l’audition
de la commission des questions juridiques et des droits de l’homme,
le 24 juin 2010 à Strasbourg
. Les experts indépendants ont fondé
leurs travaux sur ceux du professeur Carl Aage Nørgaard, qui était
alors Président de la Commission européenne des droits de l’homme
et avait été invité par le Conseil de sécurité des Nations Unies
à définir la qualité de prisonnier «politique» en Namibie en 1989
et 1990. Le proche collaborateur du professeur Nørgaard, Andrew Grotrian,
figure également parmi les experts entendus lors de l’audition du
24 juin. Le troisième expert présent lors de cette audition était
M. Javier Gómez Bermúdez, juge, président de la chambre criminelle
de l’Audiencia Nacional (Espagne). A la suite de ces échanges avec
les experts, la commission a approuvé les conclusions de ma note
introductive
et m’a invité à poursuivre mes travaux sur
la base de ces critères objectifs.
18. Au cours de ces échanges, les experts sont convenus que les
personnes condamnées pour des crimes violents, comme les actes terroristes,
ne pouvaient prétendre à la qualité de «prisonniers politiques»,
même si elles affirmaient avoir agi pour des raisons «politiques».
M. Gómez Bermúdez a précisé que ce principe était applicable aux
Etats démocratiques dirigés par des gouvernements légitimes, où
il ne saurait être question de «résistance légitime», comme ce fut
le cas pour la «Résistance» française pendant la seconde guerre mondiale.
Cet argument est étayé par l’article 17 de la Convention européenne
des droits de l’homme, intitulé «Interdiction de l’abus de droit»
.
19. Pour résumer
, le cadre suivant a été établi
par les experts indépendants sur la base de la Convention européenne
des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme; il varie en fonction de la nature de l’infraction
pour laquelle l’intéressé est emprisonné.
2.1. Infractions à caractère
purement politique
20. Il s’agit des infractions qui concernent uniquement
l’organisation politique de l’Etat, comme la «diffamation» à l’égard
de ses instances ou d’autres infractions du même type.
21. Tous les auteurs d’infractions emprisonnés pour ces motifs
n’ont pas la qualité de «prisonniers politiques». Le critère de
la légalité de leur détention au regard de la Convention européenne
des droits de l’homme, selon l’interprétation retenue par la Cour
européenne des droits de l’homme, permet de les distinguer. Le discours
«à caractère politique», y compris lorsqu’il se montre extrêmement
critique à l’égard de l’Etat et du pouvoir en place, est en principe
protégé par l’article 10: son libellé n’en permet pas l’interdiction au
nom d’un «besoin social impérieux» dans une «société démocratique»
.
Mais il arrive que le discours à caractère politique aille au-delà
des limites fixées par la Convention, par exemple lorsqu’il incite
à la violence, au racisme ou à la xénophobie
.
Il convient de noter que, chaque fois que la Cour a jugé la répression
de ce discours admissible au titre de la Convention, les peines
infligées par les juridictions nationales étaient en grande partie
symboliques. Comme l’interprétation de la Convention doit être cohérente
et dépourvue de contradictions, une personne condamnée au titre
de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention ne peut être considérée
comme détenue illégalement au regard de l’article 5 ni, par voie
de conséquence, avoir la qualité de prisonnier politique. Il est
cependant entendu que les peines infligées pour la tenue de propos
à caractère politique qui ne bénéficient pas de la protection de
l’article 10 peuvent être contraires à la Convention (et soulever
la question du caractère «politique» du détenu concerné) lorsque
la peine infligée est disproportionnée, discriminatoire ou le fruit
d’un procès entaché d’iniquité.
2.2. Autres infractions
à caractère politique
22. Il s’agit des infractions commises pour des motifs
politiques (et non par intérêt personnel) et qui portent atteinte
aussi bien aux intérêts de l’Etat qu’à ceux d’autres particuliers,
comme c’est le cas des actes terroristes. Bien entendu, l’Etat territorialement
compétent lorsque de tels actes sont commis n’est pas seulement
habilité à poursuivre leurs auteurs, il en a également l’obligation
positive. En conséquence, les personnes condamnées pour ce type
d’infraction ou placées en détention provisoire parce qu’elles sont soupçonnées
d’avoir commis de telles infractions n’ont pas la qualité de prisonniers
politiques. Ce principe souffre toutefois les mêmes exceptions que
dans la catégorie précédente lorsque la peine est disproportionnée,
discriminatoire ou infligée à l’issue d’un procès inique.
2.3. Infractions dépourvues
de caractère politique
23. Les personnes placées en détention pour avoir commis
des infractions dépourvues de caractère politique (c’est-à-dire
toute autre infraction dans laquelle ni l’acte ni l’intention délictueuse
n’ont une connotation politique) n’ont pas, en principe, la qualité
de prisonniers politiques. Là encore, ce principe connaît un certain
nombre d’exceptions. Une personne condamnée pour une infraction
dépourvue de caractère politique peut avoir la qualité de prisonnier
politique lorsque les pouvoirs publics l’incarcèrent pour des motifs politiques.
Ceux-ci peuvent devenir évidents lorsque la peine prononcée est
totalement disproportionnée par rapport à l’infraction commise ou
lorsque la procédure est clairement entachée d’iniquité.
2.4. Charge de la preuve
24. La répartition de la charge de la preuve est particulièrement
cruciale dans un domaine qui dépend en grande partie de la motivation
«politique» ou autre de l’auteur de l’infraction ou des pouvoirs
publics. L’approche retenue par les experts indépendants du Conseil
de l’Europe est la suivante: il appartient en premier lieu à ceux
qui affirment qu’une personne précise a la qualité de prisonnier
politique de fournir un commencement de preuve. Ces éléments sont
alors soumis à l’Etat concerné qui, à son tour, aura la possibilité de
présenter des éléments de preuve qui réfutent cette allégation.
Comme l’a résumé Stefan Trechsel
,
«sauf
capacité de l’Etat défendeur à démontrer que la détention de l’intéressé
est pleinement conforme aux dispositions de la Convention européenne
des droits de l’homme, telles que les a interprétées la Cour européenne
des droits de l’homme sur le fond de l’affaire, que les règles de
proportionnalité et de non-discrimination ont été respectées et
que la privation de liberté est le résultat d’une procédure régulière,
l’intéressé devra être considéré comme un prisonnier politique».
25. Les personnes chargées d’établir le caractère politique d’une
détention peuvent également appliquer, par analogie, la jurisprudence
rendue par la Cour au sujet des présomptions de fait dans les affaires
où l’Etat défendeur refuse de coopérer en mettant à disposition
certains documents ou d’autres informations exclusivement détenus
par les pouvoirs publics
.
2.5. Résumé des critères
26. «Une personne privée de
sa liberté individuelle doit être considérée comme un “prisonnier
politique”:
a. si la détention a été imposée en violation
de l’une des garanties fondamentales énoncées dans la Convention
européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et ses Protocoles, en particulier
la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression
et d’information et la liberté de réunion et d’association;
b. si la détention a été imposée
pour des raisons purement politiques sans rapport avec une infraction quelle
qu’elle soit;
c. si, pour des raisons politiques,
la durée de la détention ou ses conditions sont manifestement disproportionnées
par rapport à l’infraction dont la personne a été reconnue coupable
ou qu’elle est présumée avoir commise;
d. si, pour des raisons politiques,
la personne est détenue dans des conditions créant une discrimination par
rapport à d’autres personnes; ou,
e. si la détention est l’aboutissement
d’une procédure qui était manifestement entachée d’irrégularités
et que cela semble être lié aux motivations politiques des autorités.»
27. Le fait d’affirmer qu’une personne est un «prisonnier politique»
doit se fonder sur des indices sérieux; il appartient dès lors à
l’Etat dans lequel la personne est détenue de prouver que la détention
est pleinement conforme aux dispositions de la Convention européenne
des droits de l’homme, selon l’interprétation retenue par la Cour
européenne des droits de l’homme sur le fond de l’affaire, que les
principes de proportionnalité et de non-discrimination ont été respectés
et que la privation de liberté est le résultat d’une procédure équitable.
28. L’examen attentif de ces critères montre qu’une personne à
laquelle la qualité de prisonnier «politique» est reconnue n’est
pas nécessairement «innocente». La dimension politique d’une affaire
peut résider, par exemple, dans l’application sélective du droit,
dans le fait d’infliger à l’intéressé une lourde peine, disproportionnée
par rapport à celle à laquelle seraient condamnées pour une infraction
similaire des personnes dépourvues d’antécédents «politiques», ou
dans l’absence d’équité de la procédure, qui peut néanmoins aboutir
à la condamnation d’un coupable. Par conséquent, le fait de reconnaître
à un détenu la qualité de prisonnier «politique» n’impose pas nécessairement
qu’il soit immédiatement libéré: la façon la plus appropriée de
remédier à cette situation est sans doute de le juger une nouvelle
fois au cours d’un procès équitable. Cela dit, compte tenu du temps
que bon nombre de ces prisonniers ont déjà passé en prison, le fait de
les libérer d’urgence, même s’ils sont effectivement «coupables»
des crimes qui leur sont reprochés, est désormais souvent le seul
moyen de dissiper le soupçon que le traitement particulièrement
dur qui leur a été appliqué l’a été pour des raisons «politiques».
2.6. Acceptation générale
des critères retenus par les experts indépendants
29. Les critères résumés ci-dessus ont été transmis à
l’ensemble des parties concernées. Comme le précise le document
d’information du Secrétaire Général sur les conclusions des travaux
réalisés par les experts indépendants, «[a]ucune objection de fond
n’a été soulevée [au sujet de ces critères]»
.
Lors de leur 765e réunion du 21 septembre
2001
,
les Délégués ont «[pris] note avec satisfaction du rapport des experts indépendants
du Secrétaire Général sur les prisonniers politiques présumés en
Arménie et Azerbaïdjan, tel qu’il figure dans le document [SG/Inf(2001)34
et les Addendum I et Addendum II] (…)» et ont adopté la déclaration
suivante sur cette question:
«Le
Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a appris avec satisfaction
que le Président de la République d’Azerbaïdjan a, le 17 août 2001,
par décret accordé son pardon à 89 prisonniers politiques,
dont 66 ont été libérés et 23 ont vu leur peine réduite (…)» (caractère
gras ajouté pour souligner le fait que le terme «prisonniers politiques»
a été utilisé par le Comité des Ministres lui-même)
30. Trois ans plus tard, au terme du deuxième mandat des experts
indépendants, le document d’information établi par le Secrétaire
Général réaffirme que «[c]es critères ont été acceptés par les autorités azerbaïdjanaises
et toutes les instances du Conseil de l’Europe»
. Les résolutions
ultérieures de l’Assemblée parlementaire se fondaient également
sur ces critères généralement admis, établis par les experts indépendants
.
31. Au cours de mon mandat actuel de rapporteur, certains membres
de la commission ont tenté à plusieurs reprises de rouvrir la question
de la définition des prisonniers politiques
. Mais je reste convaincu
que toute tentative de «réinventer la roue» aurait pour seul effet
de nous détourner de l’importante mission qui est la nôtre: aider
l’Azerbaïdjan à régler de façon durable sa question des prisonniers
politiques.
32. Je tiens à rappeler à ce propos qu’il ne fait aucun doute
que les terroristes de l’ETA, du PKK ou de n’importe quelle autre
organisation terroriste n’entrent pas dans le champ d’application
de la définition des prisonniers politiques, même s’ils affirment
avoir commis leurs crimes odieux pour des raisons «politiques». Toutefois,
les personnes accusées d’avoir commis des actes terroristes et condamnées,
pour des motivations politiques, invoquées cette fois par les autorités,
sur la base d’un procès inique et de preuves douteuses («aveux»
extorqués sous la torture ou témoignages obtenus sous la contrainte,
par exemple) peuvent parfaitement être présumées «prisonniers politiques»
si des indices suffisants conduisent à penser que ces violations
ont bel et bien eu lieu.
3. Application de
la définition à un certain nombre de cas présumés de prisonniers
politiques
3.1. Méthodologie
33. Au cours de l’enquête menée pour la préparation du
présent rapport, j’ai proposé aux autorités azerbaïdjanaises de
suivre une procédure en six étapes:
- Première étape: établir
un «projet de liste récapitulative des prisonniers politiques présumés»,
à partir des listes de prisonniers politiques présumés présentées
par les différentes ONG.
- Deuxième étape: transmettre
le «projet de liste récapitulative» aux autorités azerbaïdjanaises
pour qu’elles y apportent leurs observations.
- Troisième étape: communiquer
les observations des autorités aux ONG ayant transmis les noms des intéressés,
en leur demandant de se prononcer sur ces observations.
- Quatrième étape: au
cours de la visite d’étude prévue à Bakou, examiner avec les représentants
des autorités et de la société civile les résultats obtenus de la
première à la troisième étape.
- Cinquième étape: analyser
les informations obtenues et apprécier chaque cas à la lumière des
critères réaffirmés par la commission des questions juridiques et
des droits de l’homme lors de sa réunion de juin 2010.
- Sixième étape: présenter
les conclusions sous la forme d’un projet de résolution et d’un
rapport, pour adoption par la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme, puis par l’Assemblée parlementaire.
34. Malheureusement, les autorités n’ont pas transmis leurs observations
sur la liste que je leur ai fournie en décembre 2011. L’expert sélectionné
par les autorités et invité à l’audition de janvier 2012 a lui aussi
choisi d’examiner uniquement les questions d’ordre général et n’a
pas commenté sur le fond les cas que j’avais soulevés. Comme je
l’ai déjà indiqué
, les autorités azerbaïdjanaises
ne m’ont pas non plus autorisé à effectuer une visite d’étude à
Bakou, ce qui leur aurait pourtant donné une autre occasion de me
présenter un point de vue officiel sur les affaires en question.
35. J’ai en revanche reçu de nombreuses observations, des précisions
supplémentaires, des éclaircissements et d’autres explications au
sujet des différentes catégories de cas de la part des organisations non
gouvernementales, que j’ai consultées avant et après l’audition
de janvier 2012. Les 10 et 11 mai 2012, notamment, j’ai eu l’occasion
de travailler avec deux défenseurs azerbaïdjanais des droits de
l’homme, qui se sont rendus à Berlin et nous ont transmis, à mes
collaborateurs et moi-même, une profusion d’informations sur un
certain nombre de cas choisis. J’aimerais remercier MM. Anar Mammadli
et Anar Gasimli pour le professionnalisme et la patience dont ils
ont fait preuve en faisant face au rythme soutenu des questions
que nous leur avons posées pendant ces deux jours de travail intense
.
36. Dans la mesure où les affaires en question remontent aux mandats
successifs des experts indépendants du Conseil de l’Europe, je me
suis appuyé en grande partie sur les études de cas des experts. Je
n’ai pas cherché à remettre en cause a posteriori les conclusions
des éminents experts indépendants, qui ont bénéficié pour leurs
travaux de ressources bien supérieures à celles dont je disposais
en qualité de rapporteur de l’Assemblée. Les représentants des ONG
qui avaient auparavant collaboré avec les experts indépendants m’ont
indiqué sur la base de solides éléments que l’absence de reconnaissance
de la qualité de prisonnier politique a parfois uniquement été due
au fait que les intéressés n’avaient pas fourni aux experts les informations
qui leur permettaient de constater l’existence d’un «commencement
de preuve»
. D’après les ONG, cela peut
s’expliquer par un manque de conseils juridiques ou d’assistance
prodigués aux intéressés par certaines ONG, qui ne font pas toutes
preuve du même professionnalisme et de la même objectivité. Certaines
personnes dont les noms figuraient sur la liste ont pu avoir, à
tort, l’impression que leur inscription sur cette liste entraînerait
automatiquement leur libération. Comme cette occasion représente
peut-être pour elles une dernière chance d’être libérées, j’ai décidé
de les faire figurer sur le «projet de liste récapitulative des prisonniers
politiques supposés» transmis aux autorités et aux représentants
de la société civile pour observations. Lorsque je disposais dans
ces affaires d’éléments suffisants pour me permettre de conclure qu’un
commencement de preuve permettait de considérer que les cas de ces
intéressés étaient de nature «politique», alors que les autorités
ne fournissaient aucun élément qui démontrait le contraire, je les
ai inscrits sur la version définitive de ma liste. Ces affaires
englobaient notamment le cas de très jeunes (à l’époque des faits)
soldats des forces spéciales du ministère de l’Intérieur (“OPON”),
qui avaient pris part à un coup d’Etat avorté en 1995, en obéissant
aux ordres de leurs supérieurs. Alors que leurs officiers supérieurs,
c’est-à-dire les organisateurs et les instigateurs de cette tentative
de coup d’Etat, ont été libéré depuis longtemps après que la qualité
de «prisonniers politiques» leur a été reconnue par le Conseil de
l’Europe, plusieurs hommes de troupe et chauffeurs, notamment, sont
toujours en prison. Il convient de les libérer eux aussi, sous peine
de faire preuve à leur égard de discrimination, à moins qu’ils n’aient
été condamnés à l’occasion d’un procès équitable pour des infractions
commises à l’occasion de la tentative de coup d’Etat pour laquelle
la responsabilité de leurs chefs n’a pu être engagée.
37. Comme je l’ai indiqué plus haut
, j’ai conscience que cette Assemblée n’est
pas une juridiction. C’est pourquoi je n’établirai pas de conclusion
définitive sur les cas de prisonniers politiques présumés portés
à mon attention. Mais j’ai réuni un nombre considérable d’informations
puisées auprès de plusieurs sources différentes. Comme les autorités
azerbaïdjanaises ne m’ont pas fait connaître leur point de vue sur
les informations que je leur ai transmises
, j’ai appliqué, mutatis
mutandis, le principe juridique de la présomption de fait auquel
la Cour européenne des droits de l’homme recourt lorsque l’Etat
défendeur ne donne pas une autre version crédible des faits présentés
par le requérant
. A la lumière de ce principe, l’examen
attentif de toutes les informations dont je disposais m’a donc conduit
à reconnaître à un certain nombre de personnes la qualité de prisonniers
politiques «présumés»
.
Il convient en effet de libérer ces personnes ou tout au moins de
les juger une nouvelle fois au cours d’un procès équitable, à moins
que les autorités ne parviennent à réfuter point par point les éléments
spécifiques sur lesquels se fonde mon appréciation. Comme les autorités azerbaïdjanaises
n’ont pas fait cette démarche lors de l’élaboration du présent rapport,
elles devront à présent l’effectuer dans le cadre du suivi de ce
rapport, si elles ne veulent pas être tenues pour absolument responsables
d’avoir permis que, dans un Etat membre du Conseil de l’Europe,
des cas de prisonniers politiques présumés ne trouvent aucune issue.
Il appartiendra à d’autres de déterminer en temps utile les conséquences
d’une telle situation.
38. Les cas de prisonniers politiques présumés seront exposés
dans ce rapport par catégorie, afin de les replacer plus clairement
dans leur contexte politique. Faute de place, seuls un ou deux cas
particulièrement représentatifs de chaque catégorie pourront être
présentés en détail. Pour faciliter les renvois, une liste alphabétique
de tous les cas examinés figure en annexe
. Le rapport
principal comporte uniquement les cas des personnes qui, au moment
de sa rédaction, étaient toujours emprisonnées. J’ai cependant établi
une deuxième liste en annexe qui énumère les personnes qui satisfont
aux critères des «prisonniers politiques», mais qui ne sont plus
en prison, soit parce qu’elles ont purgé leur peine, soit parce
qu’elles ont été graciées. L’existence même de ces cas est une illustration
supplémentaire des problèmes systémiques que ce rapport entend aborder.
Cette même raison m’a amené à regrouper certains cas dans une «liste
d’observation» de personnes qui restent placées en détention provisoire
et n’ont pas encore été condamnées. Quoi qu’il en soit, les listes
que j’ai établies n’ont pas l’ambition d’être exhaustives; il est
de fait très probable qu’un certain nombre d’affaires aient échappé
à mon attention.
3.2. Les cas de prisonniers
politiques présumés
39. La présentation des cas de prisonniers politiques
présumés sera scindée en deux grandes parties: les nouveaux cas,
qui se sont produits après le dernier rapport de l’Assemblée de
2005, et les cas plus anciens, qui remontent à l’époque des experts
indépendants du Conseil de l’Europe ou sont liés à ces affaires.
3.2.1. Les nouveaux cas
40. Les «nouveaux» cas de prisonniers politiques présumés
sont répartis en cinq catégories principales. La première comprend
les cas des responsables ou des militants des principaux partis
d’opposition laïcs (notamment «Musavat» et le «Front populaire»).
La deuxième catégorie regroupe les cas de militants des droits civiques
(y compris les membres d’«Assemblée des citoyens»/Ictimai Palata,
qui réunit plusieurs groupes de la société civile et de l’opposition,
mais pas la totalité d’entre eux). La troisième catégorie comprend les
journalistes (dont plusieurs figurent sur ma «liste d’observation»
des personnes placées en détention provisoire). La quatrième catégorie
comporte différentes séries d’affaires qui concernent des militants islamistes,
tandis que la cinquième et dernière catégorie regroupe d’autres
cas emblématiques, comme ceux d’anciens ministres qui ont pris leurs
distances avec le pouvoir actuel.
3.2.1.1. Les cas de responsables
et militants des principaux partis d’opposition laïcs
41. Dans cette catégorie figurent un certain nombre de
jeunes arrêtés au cours de la manifestation pacifique générale organisée
par l’«Assemblée des citoyens» le 2 avril 2011, alors que les autorités
craignaient que le «Printemps arabe» ne se propage à l’Azerbaïdjan.
Il leur est principalement reproché d’avoir provoqué des «troubles»
lors de cette manifestation ou d’y avoir participé.
Cas n° 1: Abbasli (Abbasly),
Tural
42. M. Abbasli, président de l’organisation de jeunesse
du parti d’opposition «Musavat», était étudiant à l’université de
Bakou (Master de journalisme); il en a été exclu au moment de son
arrestation. Il a été arrêté le 2 avril 2011, tout au début du rassemblement
organisé par l’«Assemblée des citoyens», alors qu’il scandait des
slogans en faveur de la liberté et de la démission du gouvernement.
D’après ses avocats, deux policiers l’ont frappé à coups de matraque
et l’ont conduit au commissariat de police du district de Yasamal,
où il a à nouveau été frappé, cette fois par le responsable du commissariat.
Lorsque son avocat, M. Gasimli, s’est rendu au commissariat, il
a constaté des traces de coups (autour des yeux et sur les jambes
de M. Abbasli) et a demandé à un enquêteur l’autorisation de prendre
des photos, ce qui lui a été refusé. L’enquêteur a également refusé
d’être photographié. Au cours du procès, M. Abbasli a informé le
juge qu’il avait été frappé. Le juge a ordonné au procureur d’ouvrir
une enquête par écrit, ce que le parquet a refusé. Selon le parquet,
les traces de coups, dont la présence avait été entre-temps confirmée
par un expert, ont été causées par M. Abbasli lui-même, alors qu’il
opposait une résistance au moment de son arrestation.
43. Le 7 septembre 2011, M. Abbasli a été reconnu coupable du
délit prévu à l’article 233 du Code pénal (organisation d’un acte
ayant entraîné un trouble à l’ordre public) et condamné à une peine
de deux ans et six mois d’emprisonnement.
44. La peine maximale encourue au titre de l’article 233 du Code
pénal est de trois ans d’emprisonnement. Cette disposition offre
plusieurs alternatives à l’emprisonnement, comme une amende, des
travaux d’intérêt général ou une peine maximale de deux ans de restriction
de liberté. Quatorze personnes au total ont été arrêtées à l’occasion
du rassemblement du 2 avril, dont quatre en qualité d’organisateurs
et les 10 autres pour y avoir pris une «part active». Trois des
quatre «organisateurs», M. Abbasli, M. Hajili (cas no 34)
et M. Majidli (cas no 64), ont été condamnés
à de lourdes peines d’emprisonnement; le quatrième, M. Fuad Gahramanli,
a uniquement été assigné à résidence, alors qu’il était l’un des
organisateurs officiels de la manifestation. Les défenseurs des
droits de l’homme estiment que cette différence de traitement correspond
à une stratégie «diviser pour régner», pour favoriser les rumeurs
de collusion avec les autorités, de manière à faire régner la méfiance
entre les militants de l’opposition.
45. En revanche, le fait d’avoir reconnu M. Abbasli coupable d’avoir
été un «organisateur» de ce rassemblement est une erreur judiciaire
manifeste: au moment où le comité d’organisation de la manifestation se
réunissait et décidait de la tenue de ce rassemblement le 2 avril
2011, c’est-à-dire le 18 mars 2011, M. Abbasli était en réalité
placé en détention administrative. Il avait été arrêté le 12 mars
2011 à la suite d’un rassemblement des organisations de jeunesse
le 11 mars 2011 et n’avait été remis en liberté que le 19 mars 2011.
46. Les lourdes peines prononcées contre les organisateurs et
les participants du rassemblement du 2 avril ont été motivées par
les prétendues «violences» commises par certains participants. D’après
les avocats et les ONG, qui nous ont fourni les séquences filmées
des événements
qui semblent confirmer leurs dires,
cette manifestation correspondait un exercice pacifique du droit
à la liberté d’expression. Alors que des vitrines étaient brisées
à la fin de la manifestation par des personnes inconnues des organisateurs
(et soupçonnées d’être des «agents provocateurs»), certains policiers
ont frappé les manifestants, qui se sont contentés de lever les
bras pour se protéger des coups de matraque. Les dépositions de
certains témoins de l’accusation, propriétaires d’échoppes dans
un marché proche du lieu de la manifestation, qui ont affirmé que
l’accès à leur échoppe avait été perturbé à un point tel qu’ils
avaient été obligés de les fermer provisoirement, ont été «parfaitement
répétées» selon les avocats. En tout état de cause, aucune des personnes
condamnées pour avoir organisé ou pris une part active à cette manifestation
n’a été accusée d’avoir commis des actes de violence et encore moins
condamnée pour violence.
47. Amnesty International a reconnu à M. Abbasli la qualité de
«prisonnier de conscience». Je le considère également comme un prisonnier
politique présumé au regard des «critères Trechsel». Le fait d’organiser
un événement ou d’y participer en exerçant son droit à l’expression
pacifique de ses opinions ne devrait pas être incriminé et ne devrait
assurément pas donner lieu à des peines d’emprisonnement aussi lourdes.
Les vices de procédure et l’établissement illogique des faits corroborent
encore la présomption du caractère politique de cette affaire.
Cas n° 23: Eyvazli Zulfugar
(Zulfuqar) / Eyvazov Zulfigar
48. M. Eyvazli est président de la section du parti d’opposition
Front populaire (AXCP/PPFA) du district de Nizami. Il a été condamné
à une peine d’un an et six mois d’emprisonnement pour avoir pris
une «part active» à la manifestation du 2 avril 2011 (voir le cas
no 1 ci-dessus).
Cas n° 33: Hajili (Hajily),
Arif
49. M. Hajili dirige l’appareil central du parti Musavat;
il a été arrêté au cours du rassemblement «Assemblée des citoyens»
le 2 avril 2011 (voir le cas no 1 ci-dessus)
et condamné à une peine de deux ans et six mois d’emprisonnement.
M. Hajili avait été auparavant arrêté lors d’un rassemblement de
protestation organisé à la suite de l’élection présidentielle de
2003 et condamné à une peine d’un an d’emprisonnement.
50. Le 10 janvier 2012, la Cour européenne des droits de l’homme
a statué en faveur de M. Hajili
, en concluant à la
violation de l’article 3 du Protocole no 1
à la Convention (droit à des élections libres). Bien que cette affaire
ne soit pas liée au motif de son emprisonnement, elle illustre le
conflit politique qui oppose M. Hajili aux autorités azerbaïdjanaises.
51. Amnesty International a reconnu à M. Hajili la qualité de
«prisonnier de conscience». Il est également un prisonnier politique
présumé, compte tenu du caractère politique de son action, de la
peine disproportionnée qui lui a été infligée et du contexte dans
lequel s’est inscrit son procès et celui d’autres militants, sur
fond de conflit antérieur avec les autorités à propos du droit à
des élections libres.
Cas n° 34: Hajibeyli, Rufet
(Rufat)
52. M. Hajibeyli a pris part aux activités des partis
et mouvements d’opposition; il a été reconnu coupable d’avoir pris
une «part active» à la manifestation du 2 avril 2011 (voir le cas
no 1 ci-dessus) et a été condamné à une
peine d’un an et six mois d’emprisonnement.
Cas n° 35: Hasanli, Shahin
53. M. Hasanli, responsable de direction du parti d’opposition
Front populaire, a été arrêté avant la manifestation du 2 avril
2011, alors qu’il passait la nuit chez sa mère à l’extérieur de
Bakou. Il avait quitté son domicile après avoir été averti de son
arrestation. Lorsque la police a investi la maison de sa mère durant
la nuit, il n’a opposé aucune résistance, mais a refusé de signer
le procès-verbal de perquisition en raison de l’absence des témoins
indépendants prévus par la loi. Au cours de la perquisition litigieuse,
la police a trouvé une cartouche. Des témoins de cette perquisition
ont comparu lors du procès, mais la défense a déclaré qu’ils ne
se trouvaient pas sur les lieux au moment de la perquisition. Le
21 juillet 2011, M. Hasanli a été reconnu coupable d’avoir pris
une «part active» à la manifestation du 2 avril 2011 (voir le cas
no 1 ci-dessus), de n’avoir pas exécuté
un ordre donné par la police et de détention illicite de munitions;
il a été condamné à une peine de deux ans d’emprisonnement.
54. La nature politique de l’acte dont il a été reconnu coupable
et le caractère disproportionné de la lourde peine d’emprisonnement
à laquelle il a été condamné font de lui un prisonnier politique
présumé (curieusement, alors qu’il était effectivement un «organisateur»
officiel de la manifestation du 2 avril, il ne s’y trouvait pas
puisqu’il avait été arrêté auparavant et condamné pour y avoir pris
une «part active»). Le fait qu’il ait été déclaré coupable de détention
de munitions semble particulièrement suspect au regard des circonstances:
outre l’absence alléguée des témoins, pourquoi aurait-il apporté
une cartouche dans la maison de sa mère s’il avait des raisons de
craindre une arrestation imminente?
Cas n° 36: Hasanov, Babek
55. M. Hasanov est militant d’un parti d’opposition;
il a été reconnu coupable d’avoir pris une «part active» à la manifestation
du 2 avril 2011 (voir le cas no 1 ci-dessus)
et condamné à une peine d’un an et demi d’emprisonnement.
Cas n° 57: Kerimov, Sahib
56. M. Kerimov est militant d’un parti d’opposition;
il a été reconnu coupable d’avoir pris une «part active» à la manifestation
du 2 avril 2011 (voir le cas no 1 ci-dessus)
et condamné à une peine de deux ans d’emprisonnement.
Cas n° 60: Majidli, Elnur
57. M. Majidli est militant d’un parti d’opposition;
il a été reconnu coupable d’avoir pris une «part active» à la manifestation
du 2 avril 2011 (voir le cas no 1 ci-dessus)
et condamné à une peine d’un an et demi d’emprisonnement.
Cas n° 61: Majidli, Mahammad
(Mohammad)
58. M. Majidli est vice-président du parti d’opposition
Front populaire (AXCP/PPFA); il a été reconnu coupable d’avoir été
l’un des organisateurs de la manifestation du 2 avril 2011 (voir
le cas no 1 ci-dessus) et condamné à
une peine de deux ans d’emprisonnement.
Cas n° 64: Mammadli (Mamedli),
Ahad
59. M. Mammadli est un membre actif du parti d’opposition
Musavat; il a été reconnu coupable d’avoir pris une «part active»
à la manifestation du 2 avril 2011 (voir le cas no 1
ci-dessus) et d’avoir opposé une résistance par la force à des agents
de l’Etat (article 315 du Code pénal); il a été condamné à une peine
de trois ans d’emprisonnement.
Cas n° 80: Quliyev, Ulvi
60. M. Quliyev est un militant de l’opposition. Il a
été reconnu coupable d’avoir pris une «part active» à la manifestation
du 2 avril 2011 (voir le cas no 1 ci-dessus)
et d’avoir opposé une résistance par la force à des agents de l’Etat
(article 315 du Code pénal); il a été condamné à une peine de trois
ans d’emprisonnement.
3.2.1.2. Les cas de militants
des droits civiques
Cas n° 43: Iskenderov (Isganderov),
Vivadi
61. M. Iskenderov a été candidat indépendant aux élections
législatives de 2010. Il est président de l’association publique
«Aide à la protection de la démocratie» et milite pour la défense
des droits civiques; il a été reconnu coupable le 27 août 2011 de
«pressions exercées sur les électeurs» (article 159.3, du Code pénal),
d’«ingérence auprès des membres d’une commission électorale» (article
160.1), de «voies de fait et violence physique» (article 132) et
condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement.
62. Selon ses avocats, les événements suivants se sont déroulés
dans un bureau de vote du district d’Agdash-Goychay pendant les
élections législatives de 2010: M. Iskenderov, qui était habilité,
en sa qualité de candidat, à être présent dans le bureau de vote,
a constaté un bourrage des urnes. Il a demandé l’annulation des
résultats de ce bureau de vote et a entamé une discussion avec les
membres de la commission électorale qui s’y trouvaient. Des personnes
non autorisées présentes dans le bureau de vote l’ont contraint
à quitter les lieux, tandis que M. Iskenderov tentait de protéger
passivement son intégrité physique et son droit à être présent dans
le bureau de vote. Les témoins cités par l’accusation lors du procès
avaient un lien de parenté avec les membres de la commission électorale
et les observateurs autorisés présents dans le bureau de vote n’ont
pas confirmé que M. Iskenderov ait frappé qui que ce soit. L’allégation
de bourrage des urnes dans ce bureau de vote n’a fait l’objet d’aucune
enquête, malgré les preuves (notamment les enregistrements vidéo) produites
par M. Iskenderov.
63. Les autorités étaient semble-t-il mécontentes du fait que
M. Iskenderov dispense gratuitement des conseils juridiques aux
habitants de la région de Goychay-Kurdemir.
64. Compte tenu de la connotation politique des faits dont il
a été reconnu coupable, de ses activités de militant politique et
des droits civiques, ainsi que de la lourde peine qui lui a été
infligée à l’issue d’un procès suspect, apparemment pour le punir
de son insistance à dénoncer une fraude électorale, je considère
M. Iskenderov comme un prisonnier politique présumé.
3.2.1.3. «Liste d’observation»:
personnes placées en détention provisoire, arrêtés dans des circonstances
suspectes, mais pas encore condamnées
65. Human Rights Watch (HRW) m’a demandé de signaler
les deux cas suivants de militants des droits civiques arrêtés dans
des circonstances suspectes:
Cas n° 54: Khasmammadov, Taleh
66. M. Khasmammadov est avocat, défenseur des droits
de l’homme et blogueur à Goychay; il a été arrêté en novembre 2011
sous le chef d’accusation de «hooliganisme» et voies de fait sur
un agent public. M. Khasmammadov est spécialisé dans les enquêtes
menées en cas d’allégation de violence et d’activités illégales
commises par des fonctionnaires de police. Je partage les craintes
de HRW: il se peut qu’il soit victime de représailles de la part
des forces de l’ordre mécontentes de ses enquêtes.
Cas n° 62: Mamedov, Bakthiar
67. M. Mamedov, de Bakou, est également avocat; il a
défendu les droits de deux familles victimes d’une expulsion illégale
dans le district de Bail à Bakou. Selon Amnesty International, il
a été arrêté le 30 décembre 2011 sous le chef d’accusation apparemment
fallacieux d’extorsion et de fraude et se trouve toujours placé
en détention provisoire.
Cas n° 29: Gulaliyev, Ogtay
68. Human Rights House (HRH) et plusieurs autres ONG
m’ont également demandé d’inscrire d’urgence le cas suivant sur
notre «liste d’observation».
69. M. Gulaliyev est un défenseur des droits de l’homme bien connu,
qui assure la coordination du centre «Kura», dont le but est d’aider
les victimes des inondations d’avril et mai 2010 à obtenir l’aide
que l’Etat leur a promis. Après avoir dénoncé de graves irrégularités
de gestion et des actes de corruption, il a été arrêté le 8 avril
2012. Le traitement qui lui a été réservé en détention et le déroulement
de l’enquête sont extrêmement inquiétants
.
Il a été mis en liberté le 13 juin 2012 par le tribunal de Sabirabad,
mais les poursuites contre lui continueraient selon les informations
que j’ai reçues juste avant l’adoption de ce rapport.
Cas n° 84: Seyidov, Elnur
70. Un groupe de membres éminents du Conseil de coordination
d’«Assemblée des citoyens» d’Azerbaïdjan m’a demandé d’attirer l’attention
sur l’affaire suivante, qui concerne le beau-frère d’un important responsable
politique de l’opposition, M. Ali Karimli, qui subirait depuis plusieurs
années des pressions exercées par les autorités.
71. M. Seyidov, qui n’a aucune activité politique et souffre d’une
grave incapacité physique (sclérose en plaques), aurait été arrêté
le 27 mars 2012 sous le chef d’accusation de fraude apparemment
inventé de toutes pièces. D’après de nombreux observateurs, cette
arrestation visait à faire pression sur M. Ali Karimli. Cette affaire
fait l’objet d’une enquête du ministère de la Sûreté nationale,
au mépris des dispositions classiques de la procédure pénale.
3.2.1.4. Les cas de journalistes
emprisonnés
72. Tous les cas suivants, à l’exception du premier,
m’ont été communiqués par Human Rights Watch en avril 2012. Je les
ai également examinés en détail avec les deux avocats de Bakou venus
à Berlin les 10 et 11 mai 2012. Contrairement aux autres cas évoqués
dans le présent rapport, il ne figurait pas dans les listes initiales
de cas supposés de prisonniers politiques présentées par les ONG
azerbaïdjanaises qui ont participé à l’audition de janvier 2012.
Cas n° 21: Bayramov, Ramin
73. M. Bayramov est éditeur du site Web «Islamazeri.az».
Il a été arrêté le 11 juillet 2011 et condamné le 26 janvier 2012
à une peine d’un an et six mois d’emprisonnement pour détention
de drogue et d’armes à feu. Selon les observateurs
, on peut s’interroger sur les véritables
raisons de son arrestation, qui a eu lieu le même jour que celle
des dirigeants du Parti islamique d’Azerbaïdjan (PIA)
. Le ministère de la Sûreté nationale
soupçonnait au départ M. Bayramov d’entretenir des liens avec le
Centre culturel iranien de Bakou et de faire partie du groupe chiite
radical «Jafari», mais il a ensuite été accusé de détention de drogue
et d’armes à feu.
74. D’après un militant de défense des droits de l’homme qui ne
peut être soupçonné de sympathie particulière envers les idées islamistes,
les accusations dont M. Bayramov fait l’objet ne sont guère convaincantes.
La drogue a été trouvée dans la poche d’un fidèle musulman traditionaliste
arrêté dans la rue soi-disant par hasard et dont l’examen médico-légal
a révélé qu’il n’était pas toxicomane.
75. Le site Web publié par M. Bayramov se montre extrêmement critique
vis-à-vis du gouvernement sur le plan de l’islam et s’est, par exemple,
opposé à l’interdiction du port du foulard islamique («hijab») à
l’école
.
Cas n° 49: Janiyev, Aydin
76. M. Janiyev, journaliste du quotidien Khural de Lankaran, a été condamné
à une peine de trois ans d’emprisonnement en novembre 2011 pour
«hooliganisme», en représailles semble-t-il des articles qu’il avait publiés.
3.2.1.5. «Liste d’observation»:
personnes placées en détention provisoire, arrêtées dans des circonstances
suspectes, mais pas encore condamnées
77. Human Rights Watch et d’autres associations locales
de défense des droits de l’homme m’ont demandé d’attirer l’attention
sur les cas suivant de journalistes qui se trouvent toujours placés
en détention provisoire:
Cas n° 20: Bayramli, Anar
78. M. Baramli, journaliste de la chaîne de télévision
iranienne «Sahar», a été arrêté le 17 février 2012, sous le chef
d’accusation visiblement suspect de détention de drogue. Il s’est
rendu de lui-même au commissariat de police locale après avoir été
informé à son domicile par des fonctionnaires de police que leur
responsable souhaitait s’entretenir avec lui. A son arrivée au commissariat,
il a dû laisser sa veste dans une pièce et a été conduit dans une
autre pièce. Le chef de la police n’est jamais venu et M. Bayramli
n’a pas été interrogé; il a alors été ramené dans la première pièce
où les policiers ont fouillé ses vêtements. Selon l’avocat de M. Bayramli,
ceux-ci ont trouvé 0,387 g d’héroïne dans une poche de sa veste.
Le chauffeur de M. Bayramli, Ramil Dadashov, a été arrêté séparément
le même jour sous le chef d’accusation tout aussi douteux de détention
de drogue.
79. Human Rights Watch m’a signalé que les forces de l’ordre azerbaïdjanaises
ont souvent recours aux fausses accusations de détention de drogue
à l’encontre des personnes qui critiquent le gouvernement, de façon
à les réduire au silence, comme cela a été le cas dans les récentes
affaires Eynulla Fatullayev, Jabbar Savanli et Mirza Zakit. J’ai
été informé peu avant la distribution de ce rapport que M. Bayramli
a en effet été condamné le 11 juin 2012 par la cour de Binaqadi
à deux ans de prison pour possession de drogue.
Cas n° 28: Gonagov, Vugar
Cas n° 30: Guliyev, Zaur
80. M. Gonagov et M. Guliyev, respectivement directeur
exécutif et rédacteur en chef de la chaîne de télévision Xayal TV
de Guba, sont depuis le 13 mars 2012 en détention provisoire, pour
avoir «organisé et pris part à des troubles à l’ordre public et
abus de fonctions». Ces accusations semblent liées au fait qu’ils
avaient posté sur «YouTube» le discours prononcé par un haut responsable
du pays à Guba, qui a été, d’après de nombreuses personnes, le déclencheur
des manifestations de masse de Guba le 1er mars
2012.
81. Le traitement qui leur est réservé en détention est préoccupant:
ils ont été détenus illégalement dans une cellule des services de
police jusqu’au 6 avril 2012, date à laquelle ils ont été transférés
à la maison d’arrêt de Kurdakhani. M. Guliyev n’a pas été autorisé
à recevoir la visite de son avocat du 13 mars au 6 avril. M. Gonagov
a pu recevoir deux fois la visite de son avocat, mais uniquement
pour apprendre lors de la deuxième visite que cet avocat refusait
d’assurer sa défense, sans doute à cause des pressions qui ont été
exercées sur lui. Jusqu’à leur transfert à Kurdakhani, ils n’étaient
pas autorisés à recevoir la visite de membres de leur famille. Malgré
de nombreuses demandes, les avocats des deux journalistes n’ont
pas eu accès à leur dossier. M. Guliyev souffre par ailleurs de
graves ulcères. Bien qu’il ait été examiné par un médecin dans le
centre de détention provisoire, l’établissement prétend ne pas disposer
des médicaments nécessaires à son traitement.
Cas n° 89: Zeynalli, Avaz
82. M. Zeynalli, rédacteur-en-chef du quotidien Khural, a été arrêté en octobre
2008 et se trouve toujours placé en détention provisoire sous le
chef d’inculpation contestable d’extorsion; selon HRW, il est apparemment
retenu en représailles des articles critiques parus dans Khural. Les accusations portées
contre M. Zeynalli ont été retenues sous la pression d’un parlementaire
membre de la majorité au pouvoir. M. Zeynalli a également été accusé
en mars 2012 d’évasion fiscale. En outre, le quotidien a été saisi
par les huissiers en octobre 2011, suite au non-paiement des amendes
infligées pour diffamation dans les actions en justice intentées
par le chef de l’administration présidentielle et le directeur du
Fonds national d’aide aux médias de masse.
3.2.1.6. Les cas de militants
islamistes
83. Cette catégorie de cas est particulièrement délicate
et leur liste est indéniablement incomplète. Mes interlocuteurs
au sein des associations de défense des droits de l’homme en Azerbaïdjan
distinguent trois sous-catégories, qui regroupent largement plus
de 200 cas: premièrement, les membres d’organisations politiques
et de groupes armés illégaux et clandestins; deuxièmement, les membres
du «Parti islamique d’Azerbaïdjan», qui n’est pas enregistré officiellement,
mais agit ouvertement et de façon non-violente; et, troisièmement,
les fidèles et les ecclésiastiques liés à Saïd Dadashbeyli, qui
sont persécutés en raison de leurs activités religieuses.
84. Il convient de rappeler, pour replacer la situation dans son
contexte, que les musulmans azerbaïdjanais se répartissent en 70
% de chiites et 30 % de sunnites. Les chiites sont traditionnellement
tournés vers l’Iran et vivent principalement dans les provinces
méridionales de Lankaran, Astara, Masally et Bilasuvar; mais les régions
de Bakou et Sumqayit comptent également d’importantes communautés
chiites. Les sunnites vivent essentiellement dans le nord du pays
ou dans la région de Bakou, ainsi que dans d’autres régions, leurs communautés
se composant alors de réfugiés des zones occupées du centre du pays.
Ils sont traditionnellement liés au Daguestan et à la Tchétchénie
et certains d’entre eux ont participé au Jihad au Caucase du Nord
et en Afghanistan, sous l’influence radicale de courants étrangers
comme le wahhabisme (d’Arabie Saoudite).
85. D’après mes interlocuteurs de la société civile, rien ne prouve
que le PIA et le groupe de Saïd Dadashbeyli recourent à la violence,
bien qu’ils semblent avoir choisi la clandestinité (le groupe de Dadashbeyli
n’a jamais cherché à obtenir son enregistrement officiel et le PIA
n’a pas tenté de contester devant les tribunaux le refus d’enregistrement
opposé par le ministère de la Justice). Des interlocuteurs m’ont
indiqué que l’objectif de ces groupes était bien l’établissement
de la charia, certes par des moyens pacifiques, ce qui signifierait
l’abolition de bon nombre des droits protégés par la Convention
européenne des droits de l’homme.
86. Il ne m’a pas été possible, pour des raisons évidentes, de
rencontrer les dirigeants emprisonnés de ces groupes en Azerbaïdjan.
J’ai cependant consulté la direction du PIA par courrier, par l’intermédiaire
de leur avocat, M. Gasimli, avec lequel je me suis longuement entretenu
des cas présentés ci-dessous lors de notre réunion de travail à
Berlin les 10 et 11 mai 2012. J’ai posé à cette occasion des questions
«irrévérencieuses» sur les objectifs politiques des dirigeants du
parti et les moyens qu’ils comptaient utiliser pour arriver au pouvoir.
Ils m’ont systématiquement donné des réponses «bien convenables»,
en récusant les principes archaïques de la charia et en condamnant
sans réserve toute violence. Je dois néanmoins reconnaître que j’ai encore
quelques difficultés à évaluer ces catégories de cas particulièrement
diverses. Fidèle aux critères convenus de la définition des prisonniers
politiques, je me suis attaché principalement à vérifier l’existence
d’un procès équitable. Il est parfaitement légitime et expressément
admis par l’article 17 de la Convention européenne des droits de
l’homme qu’un Etat puisse défendre son ordre constitutionnel contre
les groupes qui souhaitent le renverser pour établir un nouveau
régime contraire aux droits et libertés protégés par la Convention.
Mais il peut arriver qu’une personne soit innocente, même si elle
est reconnue coupable d’un acte de violence constitutif d’une infraction
par un tribunal à l’évidence partial et sur la base, par exemple,
d’aveux extorqués sous la torture, et que la qualité de prisonnier
politique lui soit reconnue si elle est persécutée pour des raisons
politiques. Je ne puis qu’inviter solennellement les autorités azerbaïdjanaises,
et notamment les autorités judiciaires, à s’abstenir de recourir
à des méthodes iniques et illégales pour lutter contre l’extrémisme islamique.
Le recours à la torture, à des accusations forgées de toutes pièces,
à la manipulation des témoins ou à une appréciation partiale des
éléments de preuve, par exemple, finit uniquement par priver la
lutte contre les groupes extrémistes de sa légitimité et par les
renforcer en donnant naissance à des «martyrs». C’est la position
adoptée par notre Assemblée à la lumière de récents rapports, comme
ceux de Dick Marty et de Lord Tomlinson, qui traitent des différents
aspects de la lutte contre le terrorisme, tout en préconisant le
respect des droits de l’homme
; je la partage totalement.
87. Au vu de ce qui précède, je privilégierai un petit nombre
d’affaires emblématiques au sujet desquelles j’ai recueilli des
informations suffisamment précises
.
3.2.1.7. Les militants du
Parti islamique d’Azerbaïdjan
88. Le président, le vice-président et les autres membres
du PIA ont été arrêtés en 2011 pour tentative de coup d’Etat. Selon
les observateurs, la persécution des membres de ce parti a débuté
après un discours prononcé par son président et posté sur internet
,
qui critiquait vivement le gouvernement et appelait tous les musulmans
à le renverser. Des armes auraient été trouvées au domicile de plusieurs
membres du parti ou de membres de leur famille, mais les perquisitions,
les saisies et le procès ont été entachés d’importants vices de forme.
Je présenterai plus en détail le cas du président du parti, Movsum
Samedov; j’ai pu interroger son avocat durant notre session de travail
à Berlin les 10 et 11 mai 2012. La plupart des cas qui suivent,
présentés par ordre alphabétique, sont liés à cette affaire (à l’exception
de ceux de quatre autres militants du PIA, de M. Ganiyev (cas no 25)
et de M. Ilyasov (cas no 40)).
Cas n° 3: Abbasov, Faramiz (Faramaz)
89. M. Abbasov a été arrêté en 2011 et condamné à une
peine de 11 ans d’emprisonnement pour tentative de coup d’Etat.
Cas n° 5: Abdullayev, Vagif
90. Vice-président du Parti islamique, il a été arrêté
en 2011 et condamné à une peine de 11 ans d’emprisonnement pour
tentative de coup d’Etat.
Cas n° 7: Ahundzade, Ruxulla
(Akhundazadeh, Rufulla)
91. Président de la section régionale d’Astara du Parti
islamique, il a été arrêté en 2011 et condamné à une peine de 11
ans et six mois d’emprisonnement pour tentative de coup d’Etat.
Cas n° 25: Ganiyev, Arif
92. Militant éminent du PIA, M. Ganiyev a été arrêté
le 11 juillet 2011 (au même moment que le blogueur islamique Ramin
Bayramov)
et
condamné le 26 janvier 2011 sous le chef d’accusation fallacieux
de détention de drogue et d’armes
.
Cas n° 40: Ilyasov, Fahri
93. Condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans
et six mois pour «hooliganisme», M. Ilyasov est un théologien islamique
et un membre dirigeant du PIA. Il a été arrêté à l’occasion d’une
manifestation distincte de protestation contre l’interdiction du
«hijab» dans la ville de Ganja et a été reconnu coupable de dégradation de
matériel policier et «d’atteinte aux conditions de travail harmonieuses»
du commissariat de police, sur la seule base de preuves présentées
par les services de police.
Cas n° 63: Mamedrzayev, Firdovsi
94. Membre du Parti islamique, M. Mamedrzayev a été arrêté
en 2011, condamné à une peine de 10 ans d’emprisonnement pour tentative
de coup d’Etat et placé à l’isolement en prison.
Cas n° 82: Samedov, Dayanat
95. Ce membre de la famille du président du Parti islamique
a été arrêté en 2011, accusé de tentative de coup d’Etat et condamné
à une peine de 10 ans d’emprisonnement.
Cas n° 83: Samedov, Movsum
96. M. Samedov est président du Parti islamique d’Azerbaïdjan
et médecin de formation. Il a été placé en détention administrative
le 7 janvier 2011, en détention provisoire le 20 janvier 2011 et
condamné le 7 octobre 2011 à une peine de 12 ans d’emprisonnement
pour tentative de coup d’Etat («prise du pouvoir par la violence»).
97. La principale preuve sur laquelle est basée sa condamnation
a été le discours qu’il a prononcé. M. Samedov a notamment accusé
le gouvernement actuel d’être corrompu et «l’ami des sionistes»;
il a déclaré que «le peuple azerbaïdjanais [devait] en finir avec
ce régime cruel». La signification de ce discours, constitutif d’une
tentative de «prise du pouvoir par la violence», a été appréciée
par un expert désigné par le tribunal, physicien de formation. La
demande de contre-expertise déposée par la défense a été rejetée
par le tribunal.
98. M. Samedov a également été reconnu coupable de préparation
d’actes terroristes contre les juifs de la région de Guba (que l’on
appelle les «juifs montagnards» et qui sont considérés comme particulièrement
bien intégrés dans la société azerbaïdjanaise). Le ministère public
n’a fourni aucune précision sur ce supposé complot. Un parlementaire
juif de la région, M. Jevda Abrahamov, a déclaré publiquement que
sa communauté n’avait aucun litige avec les musulmans de cette zone.
99. La procédure suivie au cours de la phase qui a précédé le
procès est discutable. Alors que M. Samedov avait été arrêté le
7 janvier 2011, les membres de sa famille ignoraient où il se trouvait.
Ils se sont adressés à un avocat le 12 janvier, pour lui demander
de les aider dans leur recherche. L’avocat a écrit à toutes les autorités
compétentes (ministères de l’Intérieur et de la Justice, administration
pénitentiaire) mais n’a obtenu aucune réponse pendant une semaine.
La semaine suivante, il a pu rencontrer son client une seule fois,
au ministère de l’Intérieur et sous surveillance policière. M. Samedov
n’a été placé en détention provisoire et accusé d’une infraction
pénale (tentative de prise du pouvoir par la violence, l’élément
constitutif de l’infraction étant le discours susmentionné) que
le 20 janvier 2011.
100. Des armes ont été trouvées chez des membres de sa famille:
une Kalashnikov, trois grenades et quelques munitions dans le mini-marché
qui appartient à son neveu; une semaine plus tard, une autre Kalashnikov
et d’autres grenades ont été trouvées au domicile d’un de ses beaux-frères.
Dans les deux cas, les procès-verbaux de perquisition ont été signés
par des personnes amenées par la police. Elles ont été qualifiées
de «policiers à temps partiel» par son avocat, qui m’a indiqué avoir
la preuve que les services de police avaient constamment recours
aux mêmes témoins, ayant attesté leur présence parfois au même moment
dans des lieux différents.
101. Son avocat a décrit un autre type de vice de procédure comme
suit: les témoins cités par le ministère public avaient été «bien
préparés», mais s’ils commençaient à perdre pied devant les questions
de la défense, le juge mettait un terme à leur interrogatoire. Ainsi,
un témoin qui se présentait comme un «homme pieux» a été interrogé
sur la fréquence de ses prières quotidiennes; il a répondu qu’il
priait «17 fois» par jour, suite à quoi le juge a interrompu l’interrogatoire.
102. Les avocats n’avaient pas la possibilité de rencontrer de
façon constructive leur client au cours du procès: il se poursuivait
toute la journée, jour après jour, sans que les avocats ne puissent
voir leur client à l’issue de l’audience.
103. Comme M. Samedov était accusé et a été reconnu coupable d’être
le cerveau d’un prétendu complot et d’une prétendue tentative de
coup d’Etat, il est surprenant que, malgré les possibilités de surveillance évidentes
des personnes soupçonnées de tels actes, l’accusation n’ait pas
même cherché à présenter une preuve, par exemple des messages ou
des conversations interceptés, pour étoffer les accusations, qui
sont apparemment restées très vagues.
104. Compte tenu de la nature politique de l’acte dont il a été
reconnu coupable (un discours public), du rôle politique joué par
M. Samedov, de l’arrestation et de la condamnation parallèles de
l’intégralité de la direction du parti, ainsi que des apparents
vices de procédure et incohérences du dossier de l’accusation, je
considère M. Samedov comme un prisonnier politique présumé au regard
des critères retenus.
3.2.1.8. Le «groupe Saïd
Dadashbeyli»
105. Les cas suivants sont ceux des membres d’un groupe
constitué principalement de jeunes gens arrêtés le 13 janvier 2007
pour une supposée tentative de coup d’Etat. Ce groupe est réputé
pro-islamique. Il semble que les procès aient été entachés de nombreux
vices de forme. Les accusés ont fait état de fortes pressions et
de torture; certains d’entre eux ont introduit une requête devant
la Cour européenne des droits de l’homme. Des observateurs d’ONG
locales, qui n’ont en règle générale aucune sympathie pour les objectifs
politiques de ce groupe, estiment qu’il n’y a guère, voire aucune
preuve de violences avérées ou projetées par celui-ci et que de
nombreux chefs d’accusations ont été fabriqués de toutes pièces
(«découverte» d’armes ou de drogue).
106. Les cas suivants appartiennent à cette catégorie. Je traiterai
plus en détail du cas personnel de M. Dadashbeyli.
Cas n° 6: Agayev, Farig (Farid)
Nadir
107. M. Agayev a été condamné à une peine de 13 ans d’emprisonnement;
son affaire est pendante devant la Cour européenne des droits de
l’homme
.
Cas n° 9: Aliyev, Ceyhun (Djeyhun/Jeyhun)
Saleh
108. Condamné à une peine de 14 ans d’emprisonnement.
Cas n° 13: Aliyev, Rashad Ismail
109. Condamné à une peine de 14 ans d’emprisonnement.
Cas n° 22: Dadashbeyli, Said
Alakbar
110. M. Dadashbeyli est né en 1975; il a été arrêté le
13 janvier 2007 et reconnu coupable le 10 décembre 2007 au titre
de huit articles différents du Code pénal, notamment pour tentative
de prise du pouvoir par la violence (article 228.4), détention illicite
d’armes et de munitions (article 228.1), constitution d’un groupe terroriste
(article 218.2) et utilisation de fausse monnaie (article 204.3.1).
Il a été condamné à une peine de 14 ans d’emprisonnement.
111. Il a été reconnu coupable d’être le chef d’un complot terroriste
islamiste. Environ 35 conspirateurs présumés ont été arrêtés, puis
placés à l’isolement dans des cellules du ministère de la Sûreté
nationale pendant deux jours. Onze d’entre eux ont été mis en accusation:
10 ont été condamnés et le onzième est mort en détention. D’après
mes interlocuteurs, les familles de neuf condamnés auraient refusé
de payer des pots-de-vin qui leur auraient été demandés (aucune
proposition n’aurait été faite à la famille de M. Dadashbeyli). On
présume qu’une vingtaine de libérations d’autres détenus ont été
«achetées». Aucun des neufs condamnés n’a jamais critiqué publiquement
le gouvernement.
112. Certains membres supposés de ce groupe sont connus pour être
laïques, d’autres pour être chiites et d’autres encore pour être
sunnites. Les jugements parlent de rapports entretenus avec l’Iran
et l’Arabie Saoudite, ainsi qu’avec des loges maçonniques. Mes interlocuteurs
jugent peu probable que des chiites (soutenus par l’Iran) et des
sunnites (soutenus par l’Arabie saoudite) prennent part ensemble
à une conspiration avec des francs-maçons. Les relations entre les
deux principaux courants de l’islam en Azerbaïdjan sont généralement
réputées aussi froides que celles qu’entretiennent les deux pays
réputés les soutenir. Les observateurs jugent plus probable que
les autorités aient évoqué un «complot islamiste» imaginaire pour
renforcer le soutien des Azerbaïdjanais laïques et des pays occidentaux
au régime.
113. Bien que certains membres du groupe aient «avoué» avoir fait
partie de cette conspiration, il semble que ces aveux leur aient
été arrachés sous la torture. L’un des accusés, M. Emin Mammadov,
est décédé pendant sa détention provisoire. Le ministère public
a déclaré qu’il était mort de maladie. Les familles des membres présumés
du groupe ont subi des pressions pour qu’elles ne s’entretiennent
pas avec les défenseurs des droits de l’homme. Après le prononcé
du jugement, les familles des personnes condamnées ont cependant
créé un groupe de soutien et affirmé notamment que les aveux avaient
été arrachés aux accusés sous la torture. M. Dadashbeyli, que l’on
m’a présenté comme un homme cultivé, qui s’exprime avec distinction,
s’est également plaint d’avoir été torturé. Il a précisé au cours
du procès qu’il avait été frappé et qu’on l’avait contraint à ingérer des
psychotropes.
114. Selon les avocats, les perquisitions qui ont conduit à la
saisie des armes et des munitions sont entachées de vices de forme
comme celles qui ont été menées dans les affaires du PIA
. Les enquêteurs n’ont, semble-t-il,
pas même présenté de mandats de perquisition ni prélevé d’empreintes
digitales sur les objets saisis.
115. M. Dadashbeyli a été qualifié dans le jugement de «chef» de
ce groupe, sans aucune justification ni preuve. D’après les avocats,
la plupart des personnes accusées d’être membre du groupe ont déclaré
au cours du procès qu’ils ne se connaissaient même pas personnellement
avant leur arrestation et s’étaient uniquement croisés à l’occasion
dans un café, où ils avaient abordé des sujets politiques et religieux;
l’accusation n’a pas apporté la preuve contraire, en dehors d’une
vidéo dépourvue de son
prise dans un café et sur laquelle
bon nombre des accusés étaient présents
.
116. J’ai appris que le juge chargé du procès de M. Dadashbeyli,
M. Anvar Seyidov, était souvent saisi des affaires à caractère politique
et que la Cour européenne des droits de l’homme avait déjà constaté
de nombreuses violations de la Convention dans les affaires confiées
à ce juge. En l’espèce, le juge Seyidov aurait adressé une lettre
datée du 24 décembre 2007 au ministre de la Sûreté nationale, M.
E. Mahmudov, pour lui demander de récompenser les agents du ministère
qui avaient travaillé sur cette affaire
.
Ceci semble constituer une violation des obligations constitutionnelles
et conventionnelles de séparation des pouvoirs, de neutralité et
d’objectivité des juges.
117. Compte tenu de la troublante absence de preuves, à l’exception
de quelques aveux obtenus dans des circonstances douteuses, de la
mort d’un prévenu pendant sa détention provisoire et des pressions
exercées sur les membres de la famille de l’accusé, à quoi s’ajoute
le scénario improbable d’une conspiration commune entre chiites
soutenus par l’Iran, sunnites soutenus par l’Arabie Saoudite et
francs-maçons, je considère M. Dadashbeyli et les autres membres
de son groupe supposé comme des prisonniers politiques présumés.
Cas n° 27: Gocayev (Gojayev),
Samir Edik
118. M. Gocayev été condamné à une peine de 13 ans d’emprisonnement;
son affaire est pendante devant la Cour européenne des droits de
l’homme
.
Cas n° 31: Guliyev (Quliyev),
Baybala (Beybala) Yahya
119. M. Guliyev a été condamné à une peine de 13 ans d’emprisonnement.
Il souffrirait de tuberculose et l’hôpital psychiatrique de Sumgayit
a établi à son sujet en août 2004 le diagnostic suivant: «personne
de type schizoïde».
Cas n° 39: Idrisov, Mikayil
Garib
120. M. Idrisov a été condamné à une peine de 12 ans d’emprisonnement;
il souffrirait de graves problèmes de santé. Son affaire est pendante
devant la Cour européenne des droits de l’homme
.
Cas n° 53: Karimov (Kerimov),
Rasim Rafig
121. M. Karimov a été arrêté à son retour d’un pèlerinage
à la Mecque; il a passé neuf mois dans un centre de détention du
ministère de la Sûreté nationale et a été condamné à une peine de
11 ans d’emprisonnement.
Cas n° 56: Kerimov (Karimov),
Jahangir Ramiz
122. M. Kerimov a été condamné à une peine de 14 ans d’emprisonnement
et souffrirait de tuberculose.
Cas n° 69: Mehbaliyev, Emin
(Emil) Nuraddin
123. M. Mehbaliyev a été condamné à une peine de 12 ans
d’emprisonnement.
3.2.1.9. «L’affaire du hijab»
124. Le groupe de cas suivant concerne un certain nombre
de personnes, principalement des jeunes, arrêtées le 6 mai 2011
alors qu’elles manifestaient devant le ministère de l’Education
contre l’interdiction du port du foulard islamique (hijab) à l’école.
Elles ont été condamnées à des peines comprises entre un an et six mois
et trois ans et six mois d’emprisonnement. Selon les observateurs
des ONG, les actes de violence qui leur sont reprochés étaient essentiellement
destinés à leur permettre de se défendre contre la violence physique
dont les forces de l’ordre ont fait usage à leur égard; c’est la
raison pour laquelle leurs cas peuvent être comparés à ceux des
jeunes militants arrêtés pour des actes commis en faveur du PIA
(chapitre 3.2.1.7 ci-dessus)
.
125. L’expert qui a examiné les jugements (en azéri) à ma demande
a
conclu que «les accusations portées contre eux étaient exagérées
et semblaient parfois peu sérieuses». Ainsi, dans le jugement prononcé
contre le premier groupe, le 7 octobre 2011, cinq participants de
la manifestation étaient accusés d’avoir blessé 30 policiers armés
de matraques en leur opposant une résistance à l’aide de bâtons
et de pierres. Les accusés qui, sur les enregistrements vidéo, ne
manipulaient ni bâton ni pierre ont précisément été ceux auxquels
les plus lourdes peines ont été infligées. Aucun des membres du
second groupe, condamnés le 5 décembre 2011, n’avait été filmé un
bâton ou une pierre à la main, mais ils ont eux aussi été condamnés
aux peines les plus lourdes. Aucun des membres du troisième groupe,
condamnés le 23 décembre 2011, ne figurait muni d’une arme sur un
enregistrement. Aucune lésion n’a été décelée chez un seul manifestant,
alors qu’ils étaient accusés d’avoir opposé une vive résistance
à leur arrestation; les enregistrements vidéo des forces de police ne
montraient d’ailleurs aucun manifestant frappant un policier ou
un véhicule. Selon cet expert, même la version officielle des événements
confirme que la manifestation était pacifique, au moins jusqu’à
ce que les policiers commencent à la disperser.
126. Les cas de Hasan Mammadov (cas no 65)
et Ilgar Musayev (cas no 70) ne sont
pas liés à la manifestation contre l’interdiction du hijab du 6
mai 2011, mais concernent une manifestation distincte, qui a eu
lieu à Jalilabad le 2 juin 2011.
Cas n° 2: Abbasov, Elshan Sardar
127. M. Abbasov été condamné à une peine d’un an d’emprisonnement.
Cas n° 8: Alekberov, Taleh
128. M. Alekberov a été condamné à une peine d’un an et
six mois d’emprisonnement.
Cas n° 16: Arbarov, Taleh
129. Condamné à une peine d’un an et six mois d’emprisonnement.
Cas n° 17: Asgarov, Mammad Tofiq
130. M. Asgarov a été condamné à une peine de trois ans
d’emprisonnement.
Cas n° 19: Bagirov, Taleh Kamil
131. M. Bagirov a été condamné à une peine d’un an et
six mois d’emprisonnement en sa qualité d’«organisateur».
Cas n° 42: Iskandarov (Isgandarov),
Zaur Shahlar (Toghrul)
132. M. Iskandarov a été condamné à une peine de trois
ans d’emprisonnement le 5 décembre 2011; cette peine a été confirmée
par la cour d’appel de Bakou le 29 février 2012.
Cas n° 45: Ismaylov, Araz Vasif
133. M. Ismaylov a été condamné à une peine de deux ans
et six mois d’emprisonnement.
Cas n° 47: Ismaylov, Tarlan
Cas n° 48: Jabiyev, Azer
Cas n° 14 : Mammadov,
Nurani Ahmad
134. Les trois personnes susmentionnées ont été condamnées
à une peine de deux ans d’emprisonnement.
Cas n° 65: Mammadov (Mammedov),
Hasan Alipasha
Cas n° 70: Musayev, Ilgar
135. M. Mammadov et M. Musayev ont été condamnés respectivement
à une peine de trois ans et six mois et trois ans d’emprisonnement
pour «hooliganisme», pour avoir prononcé un discours public contre l’interdiction
du port du foulard à Jalilabad à l’occasion de la fête d’«Ashura»,
le 2 juin 2011. Le verdict se fondait sur le seul témoignage des
fonctionnaires de police, qui affirmaient que les détenus avaient
opposé une résistance au moment de leur arrestation.
Cas n° 75: Novruzov, Chingiz
Farman
136. M. Novruzov a été condamné à une peine d’un an et
six mois d’emprisonnement.
Cas n° 76: Nuriyev, Rufat Fazil
137. M. Nuriyev a été condamné à une peine de deux ans
d’emprisonnement.
Cas n° 88: Valiquliyev (Valiguliyev),
Rashad
138. M. Valiquliyev a été condamné à une peine d’un an
et six mois d’emprisonnement.
3.2.1.10. Autres affaires
politiques emblématiques
139. Les cas suivants sont peut-être les plus emblématiques
du traitement réservé par les forces de l’ordre à ce qu’elles considèrent
comme des opposants politiques; ils concernent l’ancien ministre
du Développement économique, Farhad Aliyev. Les autorités ont non
seulement pris pour cible l’ancien ministre, qui a été arrêté pour
avoir participé à un supposé coup d’Etat, puis, après 17 mois de
détention provisoire, a été accusé d’infractions radicalement différentes;
mais elles ont également persécuté les membres de sa famille et
ses anciens collaborateurs. La ferme détermination des autorités
transparaît également dans le fait qu’elles n’ont même pas réagi
aux nombreux appels à la libération de M. Aliyev pour raisons humanitaires,
compte tenu de ses graves problèmes de santé, lancés notamment par
la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
de l’Assemblée.
Cas n° 10: Aliyev, Farhad
140. L’ancien ministre du Développement économique a été
arrêté à la veille des élections législatives de 2005 et accusé
de participation à une tentative de coup d’Etat. Mais au cours de
son procès, il a uniquement été accusé d’infractions économiques
(abus de fonctions et vol de biens publics) et condamné à une peine
de 10 ans d’emprisonnement.
141. Durant l’exercice de ses fonctions de ministre du Développement
économique, Farhad Aliyev avait vivement critiqué la corruption
à grande échelle et l’absence de transparence dans l’utilisation
des revenus pétroliers; il avait entrepris de profondes réformes
pour prévenir tout abus de fonctions des fonctionnaires gouvernementaux
(par exemple la réduction du nombre d’activités commerciales soumises
à l’octroi d’une licence, qui était passé de 270 à 30, et la création
du Fonds pétrolier)
.
Une campagne avait alors été lancée contre lui et contre l’ensemble
des membres de sa famille et plusieurs de ses proches collaborateurs,
dont Alihuseyn Shaliyev, qui est mort en détention apparemment après
avoir refusé de témoigner contre Farhad Aliyev. Dès l’arrestation
de M. Aliyev, le 3 novembre 2005, le Président azerbaïdjanais aurait
tenu des propos menaçants à son encontre et manifesté son intention
de lui nuire
. Le
procès de M. Aliyev a été apparemment entaché de vices de forme
particulièrement graves. L’accusation initiale de tentative de coup
d’Etat n’ayant pu être corroborée d’aucune façon, de nouveaux chefs
d’accusation, constitués cette fois «d’infractions économiques»,
avaient été retenus contre lui après 17 mois de détention provisoire.
Il aurait à cette occasion subi de très fortes pressions (notamment
été menacé de se voir reprocher la responsabilité du meurtre du célèbre
journaliste Elmar Huseynov) pour qu’il accepte de reconnaître qu’il
avait projeté de faire une «révolution orange» avec la complicité
des services secrets de plusieurs pays occidentaux. Le procès s’est déroulé
dans une petite salle d’audience, dont les places avaient été préalablement
occupées par de prétendues «victimes» de M. Aliyev, de manière à
empêcher concrètement les défenseurs des droits de l’homme, les
journalistes et les représentants étrangers d’assister à l’audience.
Ses avocats et les témoins cités par la défense auraient également
subi des pressions et ses avocats n’ont pas eu la possibilité de contester
les éléments de preuve produits par l’accusation, ni de présenter
leurs propres preuves. Enfin, des personnes arrêtées et mises en
accusation parallèlement à M. Aliyev ont été remises en liberté
après avoir témoigné contre lui. Un proche collaborateur de Farhad
Aliyev au ministère du Développement économique, M. Alihuseyn Shaliyev,
a également été arrêté et aurait été soumis à la torture pour qu’il
accepte de témoigner contre lui. Il est mort à l’hôpital pénitentiaire
et les causes de son décès n’ont apparemment jamais fait l’objet d’une
enquête en bonne et due forme.
142. Farhad Aliyev souffre de graves problèmes de santé. La commission
des questions juridiques et des droits de l’homme a demandé aux
autorités de le libérer pour raisons humanitaires en septembre 2011.
La Cour européenne des droits de l’homme a constaté plusieurs violations
des articles 5 et 6 de la Convention
(son frère
Rafiq a obtenu gain de cause devant la Cour le 6 décembre 2011).
143. Au vu de la connotation politique du procès intenté à un ancien
ministre, dont les réformes économiques menaçaient les bénéficiaires
de monopoles liés aux autorités en place, des nombreux vices de
forme commis avant et pendant le procès, de la persécution parallèle
des membres de la famille et des proches collaborateurs de M. Aliyev,
ainsi que de la peine excessivement lourde qui lui a été infligée
et du traitement excessivement rigoureux auquel cet homme âgé et
gravement malade est soumis, je considère Farhad Aliyev comme un prisonnier
politique présumé au regard de nos critères
.
Cas n° 12: Aliyev, Rafiq
144. Rafiq Aliyev est le frère de Farhad Aliyev (cas no 10)
et l’ancien président de la société «Azpetrol». Comme son frère,
il a été arrêté à la veille des élections législatives de 2005 et
accusé d’infractions économiques (abus de fonctions, vol de biens
publics). Plusieurs observateurs considéraient à l’époque que cette
arrestation visait à faire pression sur son frère Farhaq, afin qu’il
«avoue» sa participation à un complot politique. Une fois expirée
la durée maximale de la détention provisoire prévue en cas d’infraction
économique, il a été accusé de participation à une tentative de
coup d’Etat. Cette accusation n’ayant pu être corroborée par aucun
élément, il a été condamné à une peine de neuf ans d’emprisonnement
pour diverses infractions économiques.
145. Comme son frère, Rafiq Aliyev a obtenu gain de cause devant
la Cour européenne des droits de l’homme
, qui a constaté plusieurs
violations de la Convention en raison de la durée excessive de sa détention
provisoire, de l’absence de contrôle juridictionnel et de l’atteinte
à son droit à la propriété privée (article 1er du
Protocole no 1). Selon moi, Rafiq Aliyev
est, pour les mêmes raisons que son frère, un prisonnier politique
présumé.
Cas n° 11: Aliyev, Mamedali
Dilavar
146. Bien qu’il s’agisse d’un «nouveau» cas, dans la mesure
où Mamedali Aliyev n’a été arrêté qu’en 2008, il est étroitement
lié à «l’affaire des généraux» (tentative supposée de coup d’Etat).
Les personnes condamnées dans cette affaire figuraient sur la «liste
des 716 personnes» examinée par les experts indépendants du Secrétaire
Général (c’est-à-dire Rahim Gaziyev, Alikram Gumbatov, Elkhan Abbasov, Huseynbala
Huseynov, Rafik Agayev). En 2002, les experts ont reconnu à chacun
d’eux la qualité de prisonnier politique, suite à quoi ils ont tous
été libérés
. Malheureusement pour lui, Mamedali
Dilavar Aliyev, partisan de l’ancien président Ayaz Mutalibov et
vice-président du Parti travailliste pro-Mutalibov, a été arrêté seulement
en 2008. Son cas n’a par conséquent pas été examiné par les experts
indépendants. Mais je suis convaincu que la qualité de prisonnier
politique lui serait reconnue au regard des mêmes critères et qu’il
doit par conséquent être remis en liberté sans tarder.
147. M. Aliyev a 70 ans et il est en très mauvaise santé. Il convient
donc également de le libérer pour raisons humanitaires.
Cas n° 24: Farzullayev Jeyhun
Hidayet
148. M. Farzullayev a été arrêté le 8 janvier 2011 par
la police du district de Nasimi, au même moment que Nemat Panahov
(cas no 81 ci-dessous), célèbre militant
de l’opposition. Le responsable adjoint du service de police aurait
ordonné à M. Farzullayev de faire un faux témoignage contre M. Panahov.
Comme il refusait de le faire, il a été arrêté, mis en accusation
parallèlement à M. Panahov et finalement condamné à une peine de quatre
ans d’emprisonnement pour «hooliganisme».
Cas n° 77: Panahov, Neymat (Panahly,
Nemat)
149. M. Panahov est l’un des chefs historiques du mouvement
de libération nationale de l’Azerbaïdjan. Il a renoué il y a quelque
temps avec ses activités politiques en s’opposant au gouvernement
actuel, qu’il a vivement critiqué en public. Il a été arrêté le
8 janvier 2011 pour «hooliganisme» (article 221 du Code pénal) et
coups et blessures volontaires (articles 126 et 127) et condamné
à une peine de six ans d’emprisonnement. Il existe de sérieuses
allégations de vices de procédure, notamment les pressions que la
police a tentées d’exercer sur une autre personne, Farzullayev Jeyhun
Hidayet (cas no 24 plus haut), pour qu’il
se livre à un faux témoignage contre M. Panahov. Au cours de l’audience,
la victime prétendue (des insultes et coups et blessures) et d’autres
témoins présentés par le ministère public ont en réalité nié les
accusations portées. Le tribunal s’est apparemment contenté d’ignorer
ces témoignages, ainsi que ceux des témoins oculaires de la défense,
qui ont déclaré qu’aucune infraction n’avait été commise. Les avocats
venus travailler à mes côtés à Berlin en mai 2012 ont confirmé ces
allégations, que j’ai d’abord eu beaucoup de mal à croire. Elles
jettent une ombre sur l’objectivité et même sur le professionnalisme
dont font preuve les juridictions azerbaïdjanaises dans les affaires
judiciaires à caractère politique.
150. D’autres défenseurs des droits de l’homme
soulignent
que l’arrestation de M. Panahov est essentiellement due aux vives
critiques qu’il a formulées à l’égard du gouvernement dans le quotidien
«Nota P.S.», en déplorant notamment
les fraudes électorales auxquelles il avait assisté dans sa circonscription.
Ces militants observent également que les objets saisis au domicile
de M. Panahov, comme des vidéocassettes en rapport avec le Mouvement
de libération nationale, n’ont aucun lien avec le chef d’accusation
de «hooliganisme». Par ailleurs, ils font remarquer que des pressions
ont également été exercées sur la famille de M. Panahov (il a la
charge de six enfants et de ses deux parents âgés), notamment en
procédant à la coupure de l’électricité et du chauffage de son domicile
fin décembre 2011. Le père de M. Panahov, âgé de 83 ans et qui vivait
à son domicile, est mort à la suite de problèmes cardiaques. Contrairement
à ce que prévoient les dispositions pénitentiaires azerbaïdjanaises
, M. Panahov n’a même pas été autorisé
à assister aux funérailles de son père.
151. Une requête introduite par M. Panahov serait pendante devant
la Cour européenne des droits de l’homme.
152. Au vu du traitement rigoureux et discriminatoire que lui ont
réservé le tribunal et les autorités pénitentiaires, qui s’explique
uniquement par des motivations en rapport avec ses activités politiques,
je considère M. Panahov comme un prisonnier politique présumé.
Cas n° 32: Gurbanov, Maarif
153. M. Gurbanov était responsable d’une direction du
ministère du Développement économique au moment de son arrestation
en 2005; il a été condamné à une peine de sept ans et six mois d’emprisonnement
pour détournement de fonds et corruption. Cette affaire est directement
liée à celle des frères Aliyev (cas nos 10
et 12 plus haut), prisonniers politiques présumés. M. Gurbanov aurait
refusé de donner un faux témoignage contre Farhad Aliyev et a été
condamné en représailles à une peine de prison particulièrement
lourde.
154. Il aurait introduit une requête devant la Cour européenne
des droits de l’homme.
Cas n° 41: Insanov, Ali
155. Il s’agit d’un autre cas emblématique, qui a déjà
été évoqué dans plusieurs résolutions de l’Assemblée parlementaire.
M. Insanov est un ancien ministre de la Santé, spécialiste des sciences
médicales de renom international et ancien membre du comité exécutif
de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il a été arrêté le
20 octobre 2005, à la veille des élections législatives, et accusé
d’avoir participé à une tentative de coup d’Etat. Au cours de son
procès, il a cependant été uniquement accusé et reconnu coupable
d’infractions économiques (abus de fonctions, vol de biens publics).
Il a été condamné à une peine de 11 ans d’emprisonnement, et serait
détenu dans des conditions particulièrement dures, malgré son âge
(M. Insanov est né en 1946) et les graves problèmes de santé dont
il souffre.
156. Les membres de sa famille et ses anciens collaborateurs auraient
été intensément persécutés. Bon nombre d’entre eux ont perdu leur
emploi, ont vu leurs biens confisqués ou ont été poursuivis pour
des chefs d’accusation apparemment fabriqués de toutes pièces. La
vente de l’ouvrage médical de M. Insanov sur le traitement de la
tuberculose, pourtant plébiscité au niveau international, a même
été interdite en Azerbaïdjan.
157. Le cas de M. Insanov a déjà été évoqué dans deux textes adoptés
par l’Assemblée le 16 avril 2007
et le 6 juin 2008
.
La requête qu’il a introduite le 31 mars 2008 devant la Cour européenne
des droits de l’homme est encore pendante
.
158. Compte tenu du contexte politique de cette affaire, de la
modification des chefs d’accusation pendant la détention provisoire
de l’intéressé, des fortes pressions exercées sur les membres de
sa famille et ses collaborateurs, du traitement discriminatoire
réservé à M. Insanov, dont témoignent la durée inhabituelle de sa peine
d’emprisonnement, la confiscation de l’ensemble de ses biens, l’interdiction
de la vente de son ouvrage médical et ses dures conditions de détention
en dépit de son âge et de ses problèmes de santé, je ne puis que considérer
M. Insanov comme un prisonnier politique présumé.
3.2.2. «Cas anciens» de
prisonniers politiques présumés
159. Les cas suivants sont, soit ceux de la liste des
716 prisonniers politiques présumés, arrêtés jusqu’en 2000 et examinés
par les experts indépendants, mais qui n’ont toujours pas été réglés,
soit les cas de personnes arrêtées ultérieurement pour avoir participé
aux mêmes événements ou qui ont été omis par mégarde sur cette liste
de 716 noms, mais qui ont été insérés dans la deuxième liste des
107 cas examinés par le premier rapport de suivi de l’Assemblée
en 2004.
3.2.2.1. OPON (événements
de mars 1995)
160. Les trois premiers cas sont les plus emblématiques:
la qualité de «prisonnier politique» leur a été reconnue par les
experts indépendants en 2002 et les intéressés n’ont toujours pas
été libérés. Ces détenus ont participé à la mutinerie de l’unité
spéciale de la police «OPON» (événements de mars 1995).
Cas n° 15: Amiraslanov, Elchin
Samed
Cas n° 55: Kazymov, Arif Nazir
Cas n° 78: Poladov, Safa Alim
161. Les cas de ces trois personnes ont été étudiés de
façon très précise par les experts indépendants, qui les considéraient
comme des cas pilotes et leur ont reconnu la qualité de prisonniers
politiques
. Les intéressés continuent à purger
leur peine de prison à perpétuité à la prison de Qobustan.
162. La reconnaissance de leur statut de «prisonnier politique»
se fonde sur de graves vices de procédure, et notamment de graves
accusations de torture subie par M. Amiraslanov et M. Kazymov; le
refus de permettre à M. Amiraslanov d’être assisté par un avocat
avant et pendant son procès; le harcèlement des membres de leur
famille, et notamment les coups violents portés par des fonctionnaires
de police à la sœur cadette de M. Amiraslanov; l’utilisation des
aveux faits au cours de l’enquête par M. Kazymov, qui s’est ensuite
rétracté; et, enfin, le manque d’indépendance et d’impartialité
des magistrats au cours du procès où d’anciens officiers à la retraite
ont joué le rôle «d’assesseurs populaires».
163. En septembre 2007, les derniers membres du «Groupe de travail
sur les prisonniers politiques» (dont plusieurs représentants d’importantes
ONG étaient exclus à l’époque) auraient convenu avec les autorités
que Elchin Samed Amiraslanov, Arif Kazymov et Safa Alim Poladov
étaient en fait des «criminels». M. Poladov a été rejugé et reconnu
coupable une nouvelle fois.
164. Les cinq cas suivants concernent également des personnes qui
auraient participé à la mutinerie des «OPON», mais auxquelles les
experts indépendants n’ont pas reconnu la qualité de «prisonniers
politiques».
Cas n° 4: Abdullayev, Shamsi
Vahid
165. La qualité de prisonnier politique n’a pas été reconnue
à M. Abdullayev par les experts indépendants. En l’espèce, il ne
prétendait pas avoir été torturé. Les experts indépendants n’ont
pas constaté l’absence d’indépendance et d’impartialité du tribunal,
même si M. Abdullayev a été jugé dans le cadre du même procès que
M. Amiraslanov (cas no 15 plus haut).
Elément déterminant, M. Abdullayev a avoué le meurtre, de droit commun,
d’un homme d’affaires.
Cas n° 50: Karimov (Kerimov)
Dayanat Kerim
166. La qualité de prisonnier politique n’a pas davantage
été reconnue à M. Karimov par les experts indépendants. Là non plus,
aucun acte de torture n’était allégué. M. Karimov a été reconnu
coupable de graves crimes de droit commun, dont l’homicide, dans
cinq procès distincts. Aucun jugement ne mentionne la participation
de M. Karimov aux événements de mars 1995 (mutinerie des OPON).
Cas n° 72: Mustafayev, Hasan
Huseyn
167. La qualité de prisonnier politique n’a pas davantage
été reconnue à M. Mustafayev par les experts indépendants; en absence
d’allégations de torture, il a été reconnu coupable de graves crimes
de droit commun, dont l’homicide et la prise d’otages.
Cas n° 87: Tahirov, Aliyusif
Damet
168. M. Tahirov n’a pas été considéré comme un prisonnier
politique, bien qu’il ait été également condamné pour sa participation
aux événements de mars 1995 (OPON), dans la mesure où il a également
été condamné pour un certain nombre de crimes graves sans rapport
avec ces événements (homicide et enlèvements); son cas a été mentionné
dans l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 19 janvier
2006 (Requête no 35608/02).
169. Je partage l’avis des experts indépendants au sujet des cas
précités (cas nos 4, 50, 72 et 87). La
qualité de prisonniers politiques ne devrait pas être reconnue à
ces détenus puisqu’ils ont été reconnus coupables de graves crimes
de droit commun sans rapport avec leur participation aux événements
de mars 1995 (mutinerie des OPON).
170. D’après les informations que m’ont communiquées les ONG, la
qualité de prisonniers politiques a été reconnue à plusieurs personnes
jugées et condamnées parallèlement à ces trois cas (cas nos 15,
55 et 78), qui n’ont jamais figuré sur aucune liste de prisonniers
politiques présumés ou ont été rayées de ces listes pour des raisons
qui n’ont aucun rapport avec leurs activités criminelles supposées
et qui sont toujours emprisonnées aujourd’hui. Puisque ces membres
de l’OPON étaient extrêmement jeunes à l’époque des faits, qu’ils
étaient soldats du rang ou de grades inférieurs et qu’ils se sont
contentés d’obéir aux ordres de leurs supérieurs, sans commettre
aucune infraction violente en marge de leur participation aux événements
de mars 1995, et au vu du temps qu’ils ont déjà passé en prison
et des graves vices de procédure qui entachent ce procès collectif,
ils doivent être libérés.
171. Cet argument est d’autant plus valable après l’amnistie dont
a bénéficié fin 2011 M. Nizami Orudj Shamuradov, commandant en chef
de tous les soldats de l’OPON encore incarcérés aujourd’hui. Il
n’a passé que quatre ans en prison, après avoir été en fuite pendant
plusieurs années et s’être rendu de lui-même en 2007. Afin d’éviter
cette «ironie du sort», pour reprendre les termes d’un avocat azerbaïdjanais
défenseur des droits de l’homme, il importe que les autorités tournent
à présent la page et libèrent également les soldats du rang ou de
grades inférieurs qui composent encore ce groupe de cas.
3.2.2.2. Les partisans de
l’ancien Premier ministre Suret Huseynov/Guseynov («affaire SH»)
172. Un autre catégorie «historique» de cas est celle
des partisans de l’ancien Premier ministre Suret Huseynov. Tout
d’abord reconnu coupable de tentative de coup d’Etat en 1994, la
qualité de prisonnier politique lui a été reconnue par les experts
indépendants
et il a ensuite été libéré. Mais un certain
nombre de ses partisans sont toujours en prison. Le statut de prisonniers
politiques ne leur a pas été reconnu par les experts indépendants
parce qu’ils ont été condamnés pour des crimes graves, de droit
commun, commis avec violence, notamment l’homicide, le vol et l’enlèvement,
en l’absence d’allégations de torture ou d’autres vices de procédure
particulièrement graves.
173. Les cas suivants relèvent de cette catégorie.
Cas n° 37: Huseynov, Magsud
Vagif (Maqsud Vaqif)
174. M. Huseynov est le fils de Vagif Huseynov (cas no 38
ci-dessous).
Cas n° 38: Huseynov, Vagif (Vaqif)
Rza
175. M. Huseynov était un proche partisan de l’ancien
Premier ministre, ainsi qu’un parlementaire du Front populaire d’Azerbaïdjan,
parti de l’opposition. Mais il a été reconnu coupable à l’issue
de son procès, au cours duquel il a joui des droits élémentaires
de la défense, de graves crimes de droit commun commis avec violence (homicide,
vol, enlèvements), ainsi que «d’usurpation du pouvoir» dans un district
administratif, parallèlement à la tentative de coup d’Etat de Suret
Huseynov.
Cas n° 46: Ismaylov, Rashid
Nurulla
176. M. Ismaylov a rejoint l’unité de l’armée commandée
par Suret Huseynov après s’être évadé de la maison d’arrêt où il
était placé en détention provisoire pour avoir participé à une crise
de folie meurtrière avec une bande armée. Les experts ont estimé
que «bien que les faits dont M. Ismaylov a été reconnu coupable
soient liés à des événements politiques, leur qualification juridique
est de droit commun».
Cas n° 52: Karimov (Kerimov),
Keramat Pasha
177. M. Karimov, cousin de Suret Huseynov, a été l’un
des principaux «exécutants» de la tentative de coup d’Etat dont
Suret Huseynov aurait été l’instigateur en 1994. Mais d’après le
jugement, il a participé à des actes de violence (y compris des
crimes dépourvus de caractère politique, comme l’homicide, le vol,
l’enlèvement et la torture) et a incité d’autres personnes à commettre
de tels actes, de sorte que la peine d’emprisonnement à perpétuité
qui lui a été infligée ne peut être considérée comme disproportionnée
pour des raisons politiques. Les allégations d’actes de torture
dont il aurait été victime au cours de sa détention provisoire,
selon sa famille, n’ont pas été reprises par M. Karimov au cours
de son procès.
Cas n° 71: Mustafayev, Elshad
Teyyub
Cas n° 73: Mustafayev, Maqsad
Teyyub
178. Ils étaient tous deux membres du groupe armé de Vaqif
Huseynov, qui a pris part à la tentative de coup d’Etat dont Suret
Huseynov aurait été l’instigateur (voir plus haut le cas no 38).
Ils ont été reconnus coupables de crimes dépourvus de caractère
politique et commis avec violence, notamment du meurtre avec préméditation
d’un procureur. Certaines contradictions demeurent dans les jugements,
notamment le fait qu’ils auraient dû tous deux se trouver encore
en prison pour y purger leur peine précédente au moment où ils étaient censés
avoir commis certains des crimes qui leur étaient reprochés dans
l’acte d’accusation.
179. Plusieurs défenseurs des droits de l’homme azerbaïdjanais
ont fait observer, à propos du refus des experts indépendants de
reconnaître aux cas précités un statut «politique» (cas nos 37,
38, 46, 52, 71 et 73), qu’il était fort possible que l’une ou l’autre
de ces personnes n’ait pas été informée de la procédure de vérification
en cours ou n’ait pas bénéficié des services d’un avocat compétent
et n’ait pas présenté pour cette raison un commencement de preuve
de l’existence de graves violations, comme l’exigent les critères
définis par les experts.
180. Le fait de rejeter ces considérations me met mal à l’aise,
mais je ne suis pas en mesure de remettre en cause a posteriori
les conclusions des experts indépendants, qui disposaient de moyens
beaucoup plus importants que moi pour examiner en profondeur ces
affaires. Cela dit, considérant le temps qu’ils ont déjà passé en
prison, ils devraient pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle
au titre des dispositions ordinaires. Si les autorités persistent
à refuser d’appliquer les dispositions ordinaires à ces personnes,
cela pourrait constituer en soi une discrimination et faire naître
des soupçons de motivations politiques.
3.2.2.3. Membres du groupe
paramilitaire «Quaranqush» (Hirondelle), 1993
181. Le détachement «Quaranqush», composé de huit volontaires,
avait été créé pour la défense du district frontalier de Gubadli
à cause de la menace d’une invasion militaire de l’Arménie. Un membre
de ce groupe avait été tué au combat et célébré à titre posthume
comme un héros; un autre membre avait quitté le détachement après
avoir été blessé au combat. Après la création de l’armée nationale
azerbaïdjanaise en octobre 1991, les six derniers membres du détachement
«Quaranqush» avaient été transférés dans des unités régulières de
la police et de l’armée. Selon les autorités, ils avaient continué
à mener ensemble des activités criminelles dignes de gangsters dans
ce district; elles leur reprochaient également d’avoir attaqué à
main armée un service de police et d’avoir assassiné cinq «traîtres»
supposés le jour de l’invasion arménienne. D’après les ONG de défense
des droits de l’homme, les liens que ce groupe entretenait avec
le mouvement du Front populaire
inquiétaient
les autorités nouvellement en place, qui en ont persécuté les membres
avec une dureté particulière. Un membre du groupe, F. Shahmuradov,
a été tué au cours de son arrestation. Un autre membre, M. Maharramov,
s’est suicidé. Un troisième, M. Qayibov, a tenté de se suicider
à deux reprises (lors de son arrestation et pendant sa détention).
Deux autres membres, les frères Novruzov, sont morts pendant l’instruction.
Cas n° 58: Maherramov, (Maharramov)
Nadir Eldar
182. M. Maherramov a été condamné en 2002 à une peine
de prison à perpétuité en tant que membre supposé de «Quaranqush».
Il figurait sur la «liste des 107» examinée par les premiers rapports
de l’Assemblée sur les prisonniers politiques en Azerbaïdjan. Mon
prédécesseur M. Malcolm Bruce, rapporteur sur cette question, qui
a pu encore effectuer une visite d’étude en Azerbaïdjan, a formulé
à propos de ce cas les observations suivantes dans son rapport de
2005:
«J’avoue avoir été particulièrement
interpellé par le cas de Nadir Maharramov, arrêté en 2003 et condamné
à perpétuité pour avoir soi-disant fait partie du groupe de reconnaissance
Garangush. Ce groupe avait été “dissous” en 1993 (doux euphémisme
pour dire que ces membres, d’abord héros de l’Azerbaïdjan, ont été
pourchassés, arrêtés, torturés et proprement liquidés!). Nadir avait
18 ans à l’époque des faits et tous les témoignages concordent pour
dire qu’il n’a jamais fait partie de ce groupe. »
183. Considérant que ce groupe, après avoir perdu deux membres,
en conservait six, dont trois sont morts lors de leur arrestation
ou de leur détention et trois autres (les cas nos 66,
79 et 85 ci-dessous) sont toujours détenus, je ne peux qu’inviter,
comme mon collègue, les autorités à réparer l’injustice évidente
faite à cet homme qui a désormais passé un tiers de son existence
en prison.
Cas n° 66: Mammedaliyev (Mammadaliyev),
Sahib Nureddin
Cas n° 79: Qayibov, Intiqam
Yusif
Cas n° 85: Shahmuradov, Yashar
Khasay
184. Ces trois hommes ont été condamnés en 1993 à mort
(condamnation transformée par la suite en perpétuité). Ils avaient
été membres du groupe paramilitaire «Qaranqush» (Hirondelle) et
partisans du mouvement du Front populaire. Les experts indépendants
ne leur ont pas reconnu la qualité de prisonniers politiques, considérant
que, même si le tribunal n’avait pas précisé la responsabilité individuelle
de chaque membre de la bande dans les crimes commis par elle, ils
avaient été tous les trois condamnés pour leur participation à un
crime particulièrement violent (meurtre avec préméditation).
185. Bien que le fait de ne pas considérer ces trois détenus comme
des prisonniers politiques présumés me mette mal à l’aise, compte
tenu du caractère politique évident de ce dur traitement réservé
à d’anciens «héros», je ne souhaite pas remettre en cause a posteriori
les conclusions des experts indépendants, qui ont fondé leur décision
sur le caractère violent des crimes dont les intéressés ont été
reconnus coupables, conformément aux critères auxquels j’ai moi
aussi souscrit dans la première partie du présent rapport.
3.2.2.4. Autres «cas anciens»
Cas n° 14: Aliyev, Sadykh Mikayil
Cas n° 67: Mammedveliyev, Sabuhi
Seyfeddin
186. Tous deux ont été arrêtés en 2000 et condamnés à
perpétuité en leur qualité de membres dirigeants du groupe «Bohran»
(Crise). Le Comité de la sécurité d’Etat de l’Azerbaïdjan (KGB)
avait créé ce groupe en 1989 pour contrer la menace qu’était censée
représenter, pour la sécurité, le mouvement azerbaïdjanais Front populaire.
Ce groupe aurait commis plusieurs assassinats politiques de partisans
du Président Heydar Aliyev, ainsi que d’autres meurtres motivés
par des raisons privées. Les experts indépendants n’ont pas reconnu
à M. Sadykh Aliyev la qualité de prisonnier politique en raison
de la nature violente des actes dont il a été reconnu coupable et
la requête qu’il avait introduite devant la Cour européenne des
droits de l’homme a été jugée irrecevable. M. Mammedveliyev figure
sur la «liste des 107» jointe en annexe du précédent rapport de l’Assemblée
sur cette question, établi par Malcolm Bruce. Je ne souhaite pas
me dissocier de l’appréciation des experts indépendants; par conséquent,
je ne considère pas ces deux hommes comme des prisonniers politiques
présumés.
Cas n° 51: Karimov, Kamran Sultan
Cas n° 59: Mahsimov (Maksimov),
Rahib Shaval
Cas n° 81: Safaraliyev, Alfat
Khalid
187. M. Karimov a été condamné en 1999 à une peine de
14 ans d’emprisonnement pour ses activités de membre du mouvement
national lezguien «Sadval» (Unité). Ce groupe serait officiellement
enregistré en Fédération de Russie, mais considéré comme un groupe
terroriste illégal en Azerbaïdjan. Il a fait campagne dans les années
1990 pour l’unification de tous les Lezguiens dans un seul et même
Etat (le «Lezguistan») regroupant des régions appartenant à la Russie
(le sud du Daghestan) et au nord de l’Azerbaïdjan. M. Karimov a
été reconnu coupable d’avoir participé à une attaque à main armée
perpétrée sur des gardes frontière.
188. M. Mahsimov, chef de la branche azerbaïdjanaise de «Sadval»,
a été condamné en 1994 à perpétuité pour sa participation supposée
dans l’attentat terroriste du métro de Bakou en 1994, qui avait
fait 14 morts.
189. Tous deux figuraient sur la «liste des 107» nouveaux prisonniers
politiques établie par Malcolm Bruce
. La requête
introduite par M. Mahsimov devant la Cour européenne des droits
de l’homme a abouti, en ce sens que la Cour a conclu à la violation
de l’article 6, alinéa 1 (procès équitable), en se fondant sur le
fait que le pourvoi en cassation avait été examiné par la Cour suprême
d’Azerbaïdjan en l’absence de M. Mahsimov
.
190. M. Safaraliyev a été condamné en 2000 à une peine de 15 ans
d’emprisonnement pour complicité dans l’attentat à la bombe du métro
de Bakou en 1994. Il aurait également participé à une émeute survenue
dans la prison de Qobustan en janvier 1999. Les experts indépendants
ne lui ont pas reconnu la qualité de prisonnier politique au vu
de la nature violente des actes dont il a été reconnu coupable.
Je partage ce point de vue.
Cas n° 18: Badalov, Rovshan
Cas n° 68: Mammedov (Mammadov),
Mammad Ali
191. Les deux détenus auraient participé en tant que combattants
aux conflits de Tchétchénie et du Karabakh.
192. M. Badalov a été arrêté en 2004 et condamné à une peine de
neuf ans d’emprisonnement pour homicide, cambriolage et constitution
de formations armées illégales.
193. M. Mammedov a été condamné en 2001 et 2003 à perpétuité pour
le meurtre d’un garde frontière alors qu’il introduisait des armes
de contrebande sur le territoire géorgien. Son avocat conteste qu’il
soit l’auteur de ce meurtre et prétend qu’il a uniquement tiré en
l’air et que le tribunal a interprété les éléments de preuve de façon
partiale, au détriment de M. Mammedov, pour éviter toute implication
des membres des forces du ministère de l’Intérieur azerbaïdjanais
dans cet incident. M. Mammedov a obtenu gain de cause auprès de
la Cour européenne des droits de l’homme devant laquelle il avait
introduit une requête
;
elle a conclu à la violation de l’article 6 (procès équitable),
mais pas à celle de l’article 3 (interdiction de la torture et des
peines ou traitements inhumains ou dégradants), faute d’épuisement
des voies de recours internes. Les autres griefs invoqués sur le
fondement des articles 5, 6 13 et 14 de la Convention ont été rejetés
comme étant manifestement mal fondés. M. Mammedov figurait sur la
«liste des 107». J’hésite néanmoins à reconnaître à ces deux personnes
la qualité de prisonnier politique présumé, faute d’éléments suffisants
sur les vices de forme précis dont ils ont été victimes et sur le
caractère «politique» des actes dont ils ont été reconnus coupables
et qui constituent, au regard de n’importe quelle norme, des crimes
commis avec violence.
4. Conclusions
194. A la lumière des différentes catégories de cas que
j’ai examinées et brièvement présentées dans le présent rapport,
mes conclusions politiques sont les suivantes:
195. En Azerbaïdjan, la procédure judiciaire peut et semble toujours
être utilisée de manière abusive à des fins politiques, en vue d’intimider,
de réduire au silence ou de neutraliser les opposants en qui l’élite
au pouvoir voit une menace, qu’il s’agisse des militants des partis
d’opposition laïcs ou religieux ou des militants indépendants de
la société civile, des avocats, des défenseurs des droits de l’homme
et des journalistes. La pression croissante qui est exercée sur
les avocats qui continuent à oser défendre les personnes qui font
l’objet d’affaires «politiques» représente un symptôme inquiétant,
que l’ONG norvégienne «Human Rights House» a porté à ma connaissance
récemment
.
196. Cette stratégie d’intimidation n’impose pas de mettre constamment
sous les verrous l’ensemble des opposants. Le «jeu» consiste apparemment
à condamner certains opposants plus lourdement que d’autres, à laisser
les uns purger l’intégralité de leur peine et à libérer les autres
plus tôt, de préférence après une démonstration publique de soumission
et de repentance; cette méthode est indigne d’un Etat membre du Conseil
de l’Europe. Tout juge professionnel qui se respecte se doit de
ne pas participer à ce «jeu» et de condamner uniquement sur la base
de la preuve crédible d’une infraction avérée.
197. Peut-on encore parler de tribunal au sens de la Convention
européenne des droits de l’homme lorsqu’un responsable politique
âgé peut être reconnu coupable de hooliganisme et condamné à une
peine de six ans d’emprisonnement, alors que les témoins à charge
et la prétendue victime elle-même témoignent devant cette juridiction
de l’absence de toute infraction
?
Le système de la Convention et la Cour européenne des droits de
l’homme sont-ils outillés pour traiter d’affaires forgées de toutes
pièces à partir de fausses preuves, comme la drogue «trouvée» sur
M. Fatullayev peu de temps après que la Cour avait conclu, de façon
exceptionnelle, que le seul moyen d’exécuter un arrêt qui constatait
les nombreuses violations de la Convention commises lorsque l’intéressé
avait été reconnu coupable d’un «crime» d’opinion consistait à le
libérer immédiatement? Qu’en est-il des affaires dans lesquelles
les perquisitions effectuées au domicile d’opposants ciblés permettent de
«trouver» des armes, des munitions (parfois une seule cartouche)
ou de la drogue, systématiquement en présence de «témoins» qui sont
parfois miraculeusement présents en plusieurs lieux au même moment?
La Cour européenne des droits de l’homme a les moyens de constater
les vices de procédure ou les autres violations de la Convention
dans les affaires de manipulations les plus extrêmes et les plus
maladroites. Mais ensuite? La constatation même de graves vices
de procédure, généralement plusieurs années après la décision définitive
des juridictions nationales, ne conduit pas automatiquement à rejuger
le prisonnier concerné, encore moins à l’acquitter et à le libérer.
Le système de la Convention suppose que l’ensemble des Etats aient
la volonté politique de faire respecter les droits de l’homme et
de permettre à leurs partenaires de corriger leurs erreurs dans
le cadre de la procédure de contrôle mutuel prévue à cette fin par
la Convention. Pour être franc, je ne suis pas convaincu que les
autorités azerbaïdjanaises actuelles aient cette volonté politique,
si j’en juge par l’absence de coopération dont elles ont fait preuve
à mon égard lorsque j’ai tenté pendant des années d’engager un dialogue
constructif avec elles pour examiner le problème des prisonniers politiques
et trouver des solutions.
198. Mais la délégation azerbaïdjanaise peut encore me démontrer
que je me trompe, en acceptant et en appuyant les propositions pragmatiques
et constructives que je soumets à l’approbation de l’Assemblée le projet
de résolution établi sur la base du présent rapport.