1. Introduction
1. L’Azerbaïdjan est devenu membre
du Conseil de l’Europe le 21 janvier 2001. Lors de son adhésion,
il s’est engagé à honorer non seulement les obligations incombant
à tous les Etats membres au titre de l’article 3 du Statut de l’Organisation,
mais également un certain nombre d’engagements spécifiques énoncés
dans l’
Avis 222 (2000) qui, conjointement, constituent la base de la procédure
de suivi conformément à la
Résolution 1115 (1997) sur la création d'une commission de l'Assemblée pour
le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil
de l'Europe (commission de suivi), telle que modifiée par la
Résolution 1431 (2005) sur l’ouverture d'une procédure de suivi et dialogue
post-suivi,
la Résolution 1515 (2006) sur l’évolution de la procédure de suivi de l'Assemblée
(mai 2005-juin 2006) et la Résolution 1710 (2010) sur le mandat
des corapporteurs de la commission de suivi.
2. Depuis lors, la commission de suivi a présenté à l’Assemblée
parlementaire plusieurs rapports sur les progrès réalisés par l’Azerbaïdjan:
des rapports complets sur le respect des obligations et engagements
en 2002 et 2007, ainsi que des rapports sur le fonctionnement des
institutions démocratiques en 2004, 2005, 2008 et 2010
.
3. Par ailleurs, la commission des questions juridiques et des
droits de l’homme a présenté plusieurs rapports sur le respect d’un
engagement spécifique, à savoir celui de libérer ou de rejuger les
prisonniers politiques présumés
. L’examen par l’Assemblée du rapport
le plus récent sur ce sujet est prévu à la partie de session de
janvier 2013
.
4. Le cas de l’Azerbaïdjan est en outre examiné dans les rapports
périodiques sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme («la Cour») dans les Etats membres du Conseil
de l’Europe, élaborés par la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme. Le rapport le plus récent dans ce domaine
a été présenté à l’Assemblée en 2011
.
5. Certains problèmes non résolus dans le domaine des droits
de l’homme en Azerbaïdjan ont également fait l’objet de rapports
thématiques d’autres commissions de l’Assemblée, concernant soit
l’ensemble, soit une partie seulement des Etats membres du Conseil
de l’Europe. On citera en particulier ici le rapport sur la liberté d’expression
dans les Etats membres du Conseil de l’Europe présenté par la commission
de la culture, de la science et de l’éducation
ainsi que le rapport sur les défenseurs
des droits de l’homme dans les Etats membres du Conseil de l’Europe
présenté par la commission des questions juridiques et des droits
de l’homme
. En octobre 2012, l’Assemblée parlementaire
a tenu un débat d’actualité sur l’affaire Safarov.
6. Les développements politiques concernant le conflit du Haut-Karabakh
ont été suivis par la commission des questions politiques et de
la démocratie
, tandis que la situation spécifique
des réfugiés et des personnes déplacées en Azerbaïdjan a été examinée
par la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées
.
7. Des représentants de l’Assemblée ont observé toutes les élections
législatives et présidentielles ayant eu lieu depuis l’adhésion
de l’Azerbaïdjan, ainsi qu’un référendum constitutionnel; les rapports
correspondants ont été présentés à l’Assemblée
. Les conclusions du rapport
élaboré à la suite des élections de 2005 ont abouti à la contestation
des pouvoirs de la délégation de l’Azerbaïdjan à l’ouverture de
la partie de session de janvier 2006 de l’Assemblée
.
8. Enfin, le respect des obligations et engagements de l’Azerbaïdjan
est suivi par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe dans
le cadre du sous-groupe sur l’Arménie et l’Azerbaïdjan du Groupe
de rapporteurs sur la démocratie (GR-DEM) qui a remplacé le «Groupe
AGO» en décembre 2011. Tous les six mois, ce sous-groupe fait le
point sur les progrès réalisés dans chaque pays.
9. Dans le présent rapport, nous nous sommes basés sur les constatations
et conclusions des institutions compétentes et des mécanismes de
suivi des conventions du Conseil de l’Europe auxquelles l’Azerbaïdjan
est partie. Ont été pris en compte les travaux des organes suivants:
la Cour européenne des droits de l’homme, le Comité des Ministres
dans sa fonction de surveillance de l’exécution des arrêts de la
Cour, le Commissaire aux droits de l’homme, le Congrès des pouvoirs
locaux et régionaux du Conseil de l’Europe, le Groupe d’Etats contre
la corruption (GRECO), le Comité d'experts sur l'évaluation des
mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement
du terrorisme (MONEYVAL), le Comité européen pour la prévention
de la torture et des peines oui traitements inhumains ou dégradants
(CPT), le Comité consultatif de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales ainsi que la Commission européenne contre
le racisme et l'intolérance (ECRI).
10. Nous nous sommes également appuyés sur l’expertise juridique
de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise) et en particulier sur ses conclusions au sujet de la
conformité d’un certain nombre de lois de l’Azerbaïdjan avec les
normes du Conseil de l’Europe. Au cours de la période considérée,
la Commission de Venise a rendu les avis suivants: sur le projet
de modification du Code électoral de la République d’Azerbaïdjan
(avis conjoint avec le Bureau des institutions démocratiques et
des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE/BIDDH))
; sur le projet d’amendements
à la Constitution de la République d’Azerbaïdjan
;
sur le projet de loi relatif à l’obtention d’informations sur les
activités des tribunaux de l’Azerbaïdjan
;
sur le projet de loi complétant la loi sur le statut des municipalités
de la République d’Azerbaïdjan
;
sur la compatibilité de la législation de la République d’Azerbaïdjan
relative aux organisations non gouvernementales avec les normes
relatives aux droits de l’homme
;
ainsi que sur la loi relative à la liberté de religion
.
A cet égard, nous tenons à féliciter les autorités de l’Azerbaïdjan
pour leur coopération constructive avec la Commission de Venise.
11. Nous avons été nommés corapporteurs de la commission de suivi,
respectivement en novembre 2009 pour M. Debono Grech, en remplacement
de Mme Evguenia Jivkova (Bulgarie, SOC) qui a quitté l’Assemblée, et
en juin 2010 pour M. Agramunt, en remplacement de M. Andres Herkel
(Estonie, PPE/DC), dont le mandat était arrivé à expiration. Dans
le cadre de la préparation du présent rapport et en vue de maintenir
un dialogue politique, nous nous sommes rendus en Azerbaïdjan à
quatre reprises: en février 2011, en février 2012, en juin 2012
et en novembre 2012. A l’issue de ces visites, nous avons présenté
des notes d’information
à
la commission, lesquelles ont ensuite été déclassifiées.
12. Au cours de nos visites, nous avons tenu plusieurs réunions
avec les plus hauts représentants des pouvoirs législatif, exécutif
et judiciaire du pays, les représentants de la société civile nationale
et internationale, et les chefs de l’opposition extraparlementaire.
13. La commission a tenu une audition sur la liberté d’expression
en Azerbaïdjan après la publication d’un rapport d’Amnesty International
à ce sujet en décembre 2011. De plus, nous rencontrons régulièrement
les représentants des organisations non gouvernementales (ONG) d’Azerbaïdjan
présents à Strasbourg au cours des sessions parlementaires.
14. Lors de la préparation du présent rapport, nous avons été
confrontés à une pression sans précédent de la part d’un certain
nombre d’organisations non gouvernementales azerbaïdjanaises qui
ne semblaient pas comprendre la nature du suivi parlementaire, fondé
sur le dialogue politique et sur une approche constructive. Leurs
critiques quelquefois sans fondement à l’égard de notre travail
ainsi que leurs tentatives de nous discréditer ne nous ont pas facilité
la tâche.
15. D’entrée de jeu, nous nous sommes efforcés de structurer notre
dialogue avec les autorités de manière à parvenir à une vision commune
des problèmes existants et des mesures pouvant être prises pour
améliorer la situation et réaliser des progrès dans le respect,
par l’Azerbaïdjan, de ses obligations et engagements.
16. Nous tenons à souligner que, tout au long de la préparation
du présent rapport, la coopération avec les autorités azerbaïdjanaises
et la délégation parlementaire de l’Azerbaïdjan a été excellente.
Nous avons obtenu toutes les informations nécessaires et bénéficié
de tout le soutien organisationnel requis pour nos visites d’information.
17. Le tableau relatif au respect des engagements pris par l’Azerbaïdjan
lors de son adhésion est joint au présent rapport (voir annexe 1).
2. Situation géopolitique du
pays
2.1. Contexte régional et géopolitique
18. La situation de l’Azerbaïdjan
sur le plan politique et de la sécurité étant dans une grande mesure déterminée
par le contexte géopolitique, elle ne peut guère être examinée en
faisant abstraction de ce dernier. Le pays jouxte la Fédération
de Russie, l’Iran et l’Arménie.
19. Dans cette société séculaire et multireligieuse, l’immense
majorité de la population est musulmane (plus de 97 %), à dominante
chiite. Toutefois, en Azerbaïdjan, contrairement à la plupart des
autres pays musulmans, chiites et sunnites fréquentent souvent les
mêmes mosquées et il n’y a aucun conflit entre eux. Pour l’heure,
le gouvernement azerbaïdjanais est parvenu à tenir à distance le
fondamentalisme islamique et veille à ce que les autres religions
puissent être pratiquées librement. Nous avons examiné de près la
question des libertés religieuses et y reviendrons plus en détail
dans l’un des chapitres suivants.
20. Depuis son indépendance, l’Azerbaïdjan s’est efforcé, dans
le cadre de sa politique étrangère, de trouver un équilibre dans
ses relations avec l’Union européenne, la Turquie, l’Iran et ses
autres voisins de la mer Caspienne, la Fédération de Russie et les
Etats-Unis. Il entretient également des relations cordiales avec Israël.
Les autorités ont toujours affiché leurs aspirations pro-européennes
et mené une politique d’intégration aux structures euro-atlantiques.
21. En ce qui concerne la politique étrangère de l’Azerbaïdjan,
l’actualité est dominée par le conflit en cours avec l’Arménie au
sujet du Haut-Karabakh. Cette question sera traitée dans le prochain
chapitre.
22. Les relations entre l’Azerbaïdjan et l’Iran sont influencées
par divers facteurs, parmi lesquels la présence d’une vaste minorité
ethnique azérie de plusieurs millions de personnes dans le nord
de l’Iran, les craintes récurrentes d’infiltrations islamiques par
la frontière du sud avec l’Iran ou encore la coopération dans le
secteur de l’énergie. Ces relations se caractérisent également par
des tensions périodiques. Une partie de la classe politique iranienne
considère même ouvertement l’Azerbaïdjan comme une simple province
de la République islamique d’Iran. Bien conscientes de cette menace
potentielle et craignant en particulier de perdre leur laïcité dans
ce contexte géopolitique, les autorités azerbaïdjanaises recherchent
clairement un soutien politique ferme de la part de l’Union européenne.
Elles se veulent également le partenaire fiable, moderne et laïc
de l’Union européenne aux frontières orientales de l’Europe.
23. Les incidents suivants avec l’Iran illustrent bien le problème:
le 19 janvier 2012, le ministère azerbaïdjanais de la sécurité nationale
a annoncé avoir découvert qu’un groupe terroriste planifiait l’assassinat de
personnalités publiques. D’après le ministère, deux citoyens azerbaïdjanais,
qui étaient en contact avec les services spéciaux iraniens, avaient
fait entrer illégalement des armes à feu et des explosifs en Azerbaïdjan depuis
l’Iran. Ils ont été détenus par les forces de sécurité azerbaïdjanaises.
La dénonciation de ce complot a entraîné une véritable épreuve de
force.
24. Dernièrement, l’Iran a également accusé l’Azerbaïdjan d’avoir
permis le passage en toute sécurité d’agents des services secrets
israéliens qu’il tenait pour responsables des deux derniers d’une
série d’assassinats ou de tentatives d’assassinat de scientifiques
nucléaires iraniens, ayant eu lieu en janvier 2012. L’Azerbaïdjan
a réfuté ces accusations et affirmé, par la voix du porte-parole
du ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères, M. Elman Abdullayev,
que la position de l’Iran était une «réaction absurde» aux doléances de
l’Azerbaïdjan concernant le complot qui aurait été orchestré par
des agents iraniens en vue de l’assassinat d’Israéliens en Azerbaïdjan.
25. L’Azerbaïdjan a établi de bonnes relations avec les Etats-Unis.
La visite de la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton à Bakou
en juin 2012 peut être considérée comme une confirmation de l’importance de
l’Azerbaïdjan en tant qu’allié stratégique dans la région, à la
fois en sa qualité de producteur d’énergie et pour sa proximité
avec l’Iran.
26. La Fédération de Russie joue également un rôle important dans
la politique étrangère de l’Azerbaïdjan, notamment dans les négociations
relatives au conflit du Haut-Karabakh. Un nombre considérable de ressortissants
azerbaïdjanais travaillent et vivent en Russie.
27. En 2009, les autorités se sont montrées vivement préoccupées
par l’amélioration des relations entre l’Arménie et la Turquie en
l’absence de solution au problème du Haut-Karabakh. L’établissement
de relations diplomatiques entre ces deux pays et la réouverture
de la frontière fermée par la Turquie en 1993 par solidarité avec
l’Azerbaïdjan à la suite du conflit du Haut-Karabakh ont été perçus
par l’Azerbaïdjan comme une menace pour la stabilité de la région.
28. Enfin, et ce n’est pas négligeable, la richesse des ressources
de l’Azerbaïdjan en pétrole et en gaz font de ce pays la cible d’intérêts
et de stratégies divergents. Comme nous le verrons plus loin, l’Azerbaïdjan
est et sera un important fournisseur de pétrole et de gaz naturel,
notamment vers l’Europe. Les revendications conflictuelles concernant
les frontières maritimes et la délimitation des fonds marins de
la mer Caspienne entre tous les pays riverains, et en particulier
entre l’Azerbaïdjan et l’Iran, créent un climat d’incertitude permanente
.
2.2. Conflit du Haut-Karabakh
29. Lors de son adhésion, l’Azerbaïdjan
s’est engagé à «poursuivre les efforts pour résoudre ce conflit exclusivement
par des moyens pacifiques» et à «régler les différends internationaux
et internes par des moyens pacifiques et selon les principes de
droit international (obligation qui incombe à tous les Etats membres
du Conseil de l’Europe), en rejetant résolument toute menace d’employer
la force contre ses voisins».
30. Depuis l’accord de cessez-le-feu de 1994, les négociations
relatives au conflit du Haut-Karabakh ont été menées au sein du
groupe de Minsk, coprésidé par la France, la Fédération de Russie
et les Etats-Unis, mais elles n’ont malheureusement donné aucun
résultat tangible jusqu’ici. L’absence de progrès réels dans la résolution
du conflit suscite un profond mécontentement au sein du gouvernement
et de l’opinion publique. Nous avons constaté que la communauté
internationale, à laquelle on peut reprocher de n’avoir pas respecté ses
propres résolutions relativement à ce conflit, exerce par ailleurs
une pression politique considérable sur l’Azerbaïdjan dans d’autres
domaines.
31. Dix-huit ans après l’accord de cessez-le-feu, aucune solution
pacifique n’a été trouvée: près de 20 % du territoire azerbaïdjanais,
et notamment le Haut-Karabakh et sept districts environnants, est
toujours occupé. Quelque 900 000 personnes, soit 10 % de la population
du pays, restent déplacées, ce qui pèse lourdement sur la situation
économique et sociale de l’Azerbaïdjan
.
32. Lors de notre visite en février 2012, nous nous sommes rendus
dans l’un des camps de réfugiés de la banlieue de Bakou et avons
rencontré le secrétaire d’Etat aux réfugiés et aux personnes déplacées,
qui nous a dressé un panorama exhaustif de la situation.
33. Dans le rapport de la mission d’évaluation sur le terrain
des coprésidents du groupe de Minsk de l’OSCE réalisée dans les
territoires occupés adjacents au Haut-Karabakh, publié fin 2010,
les coprésidents, évoquant les conséquences humanitaires désastreuses
qu’ils ont pu observer dans ces territoires, ont souligné que «la dure
réalité de la situation dans ces territoires ne fait que conforter
le point de vue des coprésidents selon lequel le statu quo est inacceptable,
et que seul un règlement pacifique négocié peut apporter la perspective d’un
avenir meilleur et plus sûr aux personnes qui vivaient dans ces
territoires et à celles qui y vivent aujourd’hui»
.
34. Sur fond de tensions croissantes le long de la ligne de contact,
les efforts de médiation n’ont apporté que des avancées très limitées
dans l’enquête portant sur la violation de l’accord de cessez-le-feu.
35. Nous avons appris que le conflit, qui est qualifié de «gelé»,
fait chaque jour des victimes. D’après les informations que nous
avons obtenues lors de nos visites, environ 30 personnes sont tuées
chaque année, et plus encore sont blessées. Comme l’a dit un intervenant
lors de la discussion sur l’Azerbaïdjan au sein de la commission,
«le pays n’est ni en guerre, ni en paix».
36. L’Assemblée parlementaire a essayé de contribuer au processus
de paix. En 2005, elle adoptait la
Résolution 1416 (2005) sur le conflit du Haut-Karabakh traité par la Conférence
de Minsk de l’OSCE, dans laquelle elle décidait de participer activement
à l’établissement d’un climat positif autour du processus de paix, sans
intervenir dans les négociations. Le Bureau de l’Assemblée créa
une commission ad hoc chargée d’assurer la mise en œuvre de cette
résolution, composée des présidents des délégations nationales de l’Arménie
et de l’Azerbaïdjan, des corapporteurs pour ces deux pays, de représentants
des groupes politiques non représentés par les membres précités
et de représentants du principal parti d’opposition de chaque pays. Le
regretté Lord Russell-Johnston fut nommé président et remplacé ensuite
par M. Jordi Xuclà i Costa.
37. Le travail de cette commission ad hoc a été rendu difficile,
dès le départ et plus encore après le décès de son premier président,
par un manque de coopération du côté arménien. Durant toute l’année
2011, les membres arméniens ont refusé de prendre part aux réunions
. La commission ad hoc n’a pas encore
été reconstituée en 2012, la situation étant restée inchangée.
38. Au cours de nos visites en Azerbaïdjan, nous avons pu observer
un consensus politique général à propos du conflit, et bon nombre
de nos interlocuteurs, parmi lesquels les représentants de la société
civile, se sont dits déçus par l’indifférence et la passivité de
la communauté internationale, y compris au sein du Conseil de l’Europe.
Nous avons même entendu des accusations selon lesquelles une politique
de deux poids, deux mesures aurait été appliquée aux pays concernés.
39. Il est également très inquiétant de constater que l’inefficacité
de la médiation internationale entraîne une fréquence accrue des
propos hostiles et des menaces de recours à la force dans les déclarations
publiques. L’augmentation du budget de la défense de l’Azerbaïdjan
est une autre source de vive préoccupation. Depuis 2005, il a augmenté
de 70 %, et notamment de 45 % entre 2010 et 2011
.
En 2011, les dépenses d’armement représentaient 3,1 milliards de
dollars sur un budget total de l’Etat de 15,9 milliards de dollars
(19,47 %)
.
40. Il est évident que l’incapacité à résoudre ce conflit, qui
touche à l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, a pesé sur l’évolution
du pays dans tous les secteurs. L’occupation permanente des territoires
en question et la présence de réfugiés et de personnes déplacées
à l’intérieur de leur pays restent un problème important. La réussite
des initiatives de règlement de ce conflit, qui a été un frein au
développement interne du pays dans le domaine politique, économique,
institutionnel et social, est déterminante pour les progrès démocratiques
futurs de l’Azerbaïdjan.
41. Cela étant, seule une solution pacifique peut être envisagée:
par conséquent, l’Azerbaïdjan et l’Arménie devraient redoubler d’efforts
pour parvenir à un accord sur les principes de Madrid, conformément
aux engagements pris par les présidents de ces deux pays dans le
cadre du groupe de Minsk. Nous avons noté, cependant, que la crédibilité
de ce format est de plus en plus contestée.
2.3. Relations avec l’Union européenne
42. Les relations entre l’Azerbaïdjan
et l’Union européenne sont régies par l’Accord de partenariat et
de coopération (APC) Union européenne-Azerbaïdjan signé en 1996
et entré en vigueur en 1999. Les principaux objectifs et priorités
de coopération sont définis dans le Document de stratégie par pays
2007-2013.
43. A la suite de son élargissement en 2004, l’Union européenne
a lancé la Politique européenne de voisinage (PEV) avec cinq pays,
dont l’Azerbaïdjan. La PEV définit des objectifs ambitieux reposant
sur l’attachement de l’Union européenne et de l’Azerbaïdjan à des
valeurs communes, en particulier le respect de la souveraineté,
de l’intégrité territoriale et de l’inviolabilité des frontières
internationalement reconnues des uns et des autres ainsi que les
valeurs démocratiques.
44. Un plan d’action de la PEV visant à «rapprocher sensiblement
la législation et les normes azerbaïdjanaises de celles de l’Union
européenne» a été adopté en 2006. Il définit plusieurs domaines prioritaires,
parmi lesquels la contribution au règlement pacifique du conflit
du Haut-Karabakh, le renforcement de la démocratie dans le pays,
au moyen notamment d’un processus électoral équitable et transparent conforme
aux exigences internationales, le renforcement de la protection
des droits de l’homme, des libertés fondamentales et de l’Etat de
droit conformément aux engagements internationaux de l’Azerbaïdjan,
la lutte contre la corruption ou encore l’intégration économique.
A plusieurs reprises, ce plan d’action fait directement référence
au travail du Conseil de l’Europe et à nos activités de suivi
.
45. Ce plan d’action est arrivé à expiration le 31 décembre 2011,
mais les deux parties ont convenu de l’étendre pour une durée indéterminée,
jusqu’à la signature de l’Accord d’association actuellement en cours
de négociation.
46. En 2007-2010, l’enveloppe consacrée à l’Instrument européen
de voisinage et de partenariat était de 88 millions d’euros. Le
nouveau Programme indicatif national pour 2011-2013 est quant à
lui doté d’un budget de 122,5 millions d’euros. Cette hausse témoigne
de l’intérêt accru pour un renforcement de la coopération. Le but
de ce programme est la réalisation des objectifs et priorités du
plan d’action: structures démocratiques et bonne gouvernance; réforme
socio-économique et développement durable, commerce et investissements; partenariat
et coopération dans divers domaines dont l’énergie, la mobilité
et la sécurité.
47. L’Azerbaïdjan participe activement au Partenariat oriental,
lancé en 2009, qui s’appuie sur la PEV. C’est aussi un membre fondateur
d’Euronest.
48. Le 15 juillet 2010, des négociations ont été engagées en vue
de la conclusion d’un Accord d’association Union européenne-Azerbaïdjan,
qui devrait succéder à l’Accord de partenariat et de coopération,
mais elles progressent lentement. Une fois signé, cet accord couvrira
un grand nombre de domaines, et notamment le dialogue politique,
la justice, la liberté et la sécurité ainsi que la coopération économique,
ce qui renforcera considérablement l’intégration économique et l’association
politique de l’Azerbaïdjan avec l’Union européenne.
49. Cette intensification du dialogue politique est strictement
liée au renforcement des relations économiques. Depuis 2004, l’Union
européenne est le principal partenaire commercial de l’Azerbaïdjan.
En 2010, les échanges commerciaux avec l’Union européenne représentaient
42,5 % du total des échanges de l’Azerbaïdjan.
50. Bien que la part de l’Azerbaïdjan dans le volume global des
échanges de l’Union européenne reste très faible (moins de 0,5 %),
le pays reste un fournisseur majeur de pétrole et de gaz vers l’Union
européenne. Son importance stratégique particulière est reconnue
dans le mémorandum d’accord sur l’énergie conclu en 2006 entre l’Union
européenne et l’Azerbaïdjan.
51. Le pétrole et le gaz de la mer Caspienne sont acheminés vers
l’Union européenne par des oléoducs et gazoducs qui traversent la
Géorgie et la Turquie, ainsi que par voie ferrée jusqu’aux ports
géorgiens de Poti et Batoumi. Un «couloir méridional» d’acheminement,
qui inclurait notamment le gazoduc Nabucco, est en projet. L’accord
de construction du gazoduc transanatolien (TANAP), qui pourrait
être une solution de remplacement au gazoduc Nabucco, prévoit l’acheminement
futur de gaz vers l’Europe via un «couloir méridional».
2.4. Signature et ratification
des conventions du Conseil de l’Europe
52. A la date du 5 juin 2012, l’Azerbaïdjan
avait signé et ratifié 56 des 213 conventions du Conseil de l’Europe,
et notamment tous les instruments juridiques figurant dans la liste
des engagements, sauf un.
53. Il s’agit de la Charte européenne des langues régionales ou
minoritaires (STE no 148), qui a été
signée le 21 décembre 2001 mais n’a pas été ratifiée, en dépit de
l’engagement qui a été pris de le faire dans un délai d’un an suivant
l’adhésion.
54. Au cours de notre visite en février 2012, nous avons été informés
que le processus de ratification est en cours, mais qu’il progresse
lentement. On peut supposer que la réticence des autorités en la
matière est liée à la crainte que la mise en œuvre de la Charte
ne soit utilisée de manière abusive par certains groupes radicaux
dans les régions proches de la frontière iranienne.
55. Dans son rapport biennal de 2012 sur l’application de la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires
, le Secrétaire Général a invité
les autorités de l’Azerbaïdjan à tirer profit de l’aide juridique
des experts du Conseil de l’Europe en vue d’élaborer un instrument
de ratification qui tienne pleinement compte des problèmes spécifiques
pouvant exister dans le pays. Au cours de la partie de session d’avril 2012
de l’Assemblée à Strasbourg, nous avons rencontré les membres du
Secrétariat de la Charte, qui nous ont fourni des informations intéressantes
sur les garanties contre l’utilisation abusive des dispositions
de la Charte. Nous espérons pouvoir convaincre les autorités d’accélérer
le processus de ratification et de le conclure sans plus attendre.
56. Enfin, l’Azerbaïdjan n’a pas encore signé la version actualisée
de la Convention sur le blanchiment de capitaux et le financement
du terrorisme (STCE n° 198). Nous avons appris que ce processus
était également en cours.
3. Situation économique et
sociale
57. L’économie de l’Azerbaïdjan
a connu un déclin important après l’effondrement de l’Union soviétique
et n’a commencé à se redresser que dans le milieu des années 1990.
Après une croissance exceptionnellement rapide entre 2001 et 2010,
qui atteignait en moyenne plus de 16 % au cours de cette période
et était largement
tirée des exportations de pétrole, la croissance du produit intérieur
brut (PIB) réel s’est quasiment arrêtée en 2011, à +0,1 %.
58. Le pétrole et le gaz restent des facteurs essentiels dans
l’économie de l’Azerbaïdjan, puisqu’ils représentent plus de 40
% du PIB
. Le prix élevé du pétrole
a largement profité à l’économie du pays. Toutefois, en 2011, le
volume total des exportations de produits pétroliers a chuté de
21,6 %. Selon des sources officielles azerbaïdjanaises, la baisse
dans le secteur du pétrole et du gaz était due à des travaux de réparation
sur certaines plateformes de forage et dans certaines raffineries.
59. L’Azerbaïdjan est considéré comme l’une des régions les plus
importantes du monde en termes d’exploration et de développement
des gisements de pétrole et de gaz. Les réserves de pétrole prouvées
dans le bassin Caspien, que le pays partage avec la Russie, le Kazakhstan,
l’Iran et le Turkménistan, sont estimées à 7 milliards de barils
, un
volume comparable en taille aux réserves de la mer du Nord.
60. L’Union européenne est le principal consommateur d’hydrocarbures
azerbaïdjanais: elle représente près de la moitié des exportations
du pays.
61. L’Azerbaïdjan a conclu plusieurs accords de partage de la
production avec diverses sociétés pétrolières. La production totale
du pays est assurée à moins de 20 % par la compagnie pétrolière
nationale de la République d’Azerbaïdjan (SOCAR) et à 80 % par l’AIOC
(Azerbaijan International Operating Company) dirigée par BP
.
Les grandes sociétés pétrolières internationales ont investi plus
de 60 milliards de dollars dans l’extraction, la production et le
transport du pétrole de l’Azerbaïdjan. En 2006, l’oléoduc BTS transportant le
pétrole de la mer Caspienne vers la Méditerranée via la Géorgie
et la Turquie est entré en service. Il achemine près de 80 % des
exportations de pétrole de l’Azerbaïdjan, les 20 % restants étant
partagés entre deux autres oléoducs (Bakou-Novorossiysk sur la mer
Noire en Russie et Bakou-Supsa sur la mer Noire en Géorgie). Un
«couloir méridional» incluant l’oléoduc de Nabucco est en construction.
A noter également, comme indiqué plus haut, l’accord concernant
le gazoduc transanatolien, qui a été ratifié par le Parlement azerbaïdjanais
le 20 novembre 2012.
62. L’Azerbaïdjan a déployé des efforts considérables pour moderniser
et réformer son économie. Le gouvernement a engagé des réformes
de la réglementation dans plusieurs domaines et a notamment entrepris une
ouverture marquée de la politique commerciale, mais l’impact de
ces réformes est limité en raison de l’inefficacité de l’administration
publique. Le gouvernement a pratiquement terminé la privatisation
des terres agricoles et des petites et moyennes entreprises. Toutefois,
l’Etat continue de jouer un rôle très important dans l’industrie
et il reste encore beaucoup à faire pour développer l’économie,
notamment par la modernisation de l’administration fiscale et douanière
et le renforcement de la lutte contre la corruption.
63. La place prépondérante de la dépense publique dans la croissance
non liée au pétrole et le faible rôle du commerce extérieur sont
des sources de préoccupation. Parmi les autres problèmes, on peut
citer le taux de chômage des jeunes relativement élevé et les points
faibles du contexte pour les investisseurs, y compris les petites
et moyennes entreprises (corruption, transparence budgétaire et
gestion des affaires publiques notamment).
64. Le principal défi pour l’économie de l’Azerbaïdjan sera de
conforter cette croissance, notamment par la diversification, c’est-à-dire
le développement des secteurs non pétroliers. De nouvelles réformes
structurelles sont nécessaires pour favoriser le développement du
secteur privé par l’amélioration de la gouvernance économique et
l’ouverture de la concurrence
.
65. L’Azerbaïdjan a présenté une demande d’adhésion à l’Organisation
mondiale du commerce (OMC) en 1997. Le processus de négociation
est en cours mais avance très lentement. L’adhésion pourrait avoir
lieu en 2013 au plus tôt.
66. En dépit du ralentissement de l’activité économique, l’Azerbaïdjan
a maintenu une stabilité macroéconomique, continué à lutter contre
la pauvreté et encouragé la diversification de l’économie. D’après la
Banque mondiale, l’Azerbaïdjan a obtenu des résultats remarquables
en réussissant à faire baisser le taux de pauvreté de 49 % en 2001
à près de 9 % en 2010. Cette performance est d’autant plus impressionnante que,
d’après les estimations, une personne sur neuf en Azerbaïdjan est
une personne déplacée dans son pays des suites du conflit du Haut-Karabakh.
Le recul de la pauvreté est également spectaculaire si on le compare aux
résultats obtenus dans d’autres pays, notamment ceux de la région.
67. Les inégalités ont régressé, le coefficient de Gini ayant
baissé de près de 8 % pour passer à 34 % en 2008. En 2010, la différence
de revenu moyen entre les villes et les zones rurales était relativement
faible, avec des coefficients de 33 % et 27 % respectivement
.
68. Le gouvernement met actuellement à exécution un plan d’action
2011-2015 en vue de la mise en œuvre du programme d’Etat pour la
réduction de la pauvreté et le développement durable.
69. Le taux de chômage, qui reste relativement faible, s’élevait
à 5,5 % en 2011. Il y a eu une augmentation marquée des salaires
réels.
70. En 2005, le président a signé une stratégie nationale en faveur
de l’emploi pour 2006-2013, élaborée en coopération avec l’OIT et
axée en particulier sur la formation professionnelle, le développement
des petites et moyennes entreprises et la protection sociale.
71. Cela dit, il reste encore beaucoup à faire. L’accès aux équipements
de santé essentiels, en particulier pour les tranches les plus pauvres
de la population, reste préoccupant. Dans le classement des pays
suivant l’indice de développement humain (IDH), qui tient compte
de la santé, de l’éducation et du revenu, l’Azerbaïdjan se place
encore derrière les pays comparables d’Europe et d’Asie centrale.
Les évaluations menées par la Banque mondiale et l’Organisation
de coopération et de développement économiques (OCDE) mettent en
évidence des inégalités dans l’accès à l’éducation et à la santé.
4. Situation politique
72. La période faisant l’objet
du présent rapport a été marquée par l’élection présidentielle d’octobre 2008 et
les élections législatives de novembre 2010, ainsi que par la réforme
constitutionnelle faisant suite au référendum de mars 2009 sur les
amendements et ajouts à la Constitution. Les élections municipales
se sont tenues en décembre 2009.
73. Sur les sept candidats à la présidence enregistrés par la
Commission électorale centrale, le président sortant, M. Ilham Aliev,
soutenu par le parti au pouvoir, a remporté l’élection avec 88,73
% des suffrages exprimés et un taux de participation de 75,64 %.
La commission ad hoc de l’Assemblée parlementaire qui a observé
les élections a conclu qu’en dépit d’un certain nombre de manquements,
les résultats de l’élection tenue le 15 octobre 2008 «traduisaient
la volonté de l’électorat national»
.
74. Lors des élections législatives du 7 novembre 2010, le parti
au pouvoir, le Parti du nouvel Azerbaïdjan (YAP), a remporté la
majorité, avec 71 sièges (sur 125). Les candidats indépendants ont
obtenu 42 sièges, le parti de la solidarité civique trois sièges,
le parti Ana Vatan deux sièges, tandis que le parti UMID, l’Union
des citoyens, le parti Adalat, le parti des réformes démocratiques,
le parti du Front populaire uni, le parti de la prospérité sociale
et le parti de la grande construction ont obtenu un siège chacun.
Le taux de participation était de 49,56 %. Dans leur déclaration
commune, les observateurs de l’Assemblée parlementaire du Conseil de
l’Europe, de l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, du Parlement européen
et du BIDDH/OSCE ont conclu que «le processus dans sa globalité
ne constituait pas un progrès significatif dans le sens de la démocratie»
.
75. Bien qu’ils apportent des modifications positives comme l’inscription
dans la constitution du principe de l’accès public des sessions
du parlement et de l’obligation de publication des décisions de
la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle ainsi que des lois
adoptées, mais aussi l’extension de la compétence de l’initiative législative
à 40 000 citoyens, les amendements constitutionnels de 2009 instaurent
d’autres règles qui suscitent des inquiétudes.
76. Parmi ces dernières figure en particulier la possibilité d’une
réélection illimitée du président
. En effet, la limitation
constitutionnelle expresse des mandats présidentiels consécutifs
est particulièrement importante dans les pays dont les structures
démocratiques et la culture politique n’ont pas encore été consolidées.
Les critiques formulées lors des élections successives ne font que
renforcer ces craintes.
77. Les autres points préoccupants dans les amendements constitutionnels
de 2009 sont la prolongation du mandat du Milli Mejlis (Parlement
de l’Azerbaïdjan) et du président en cas d’opérations militaires,
les modifications relatives aux organes de l’autonomie locale, non
conformes à la Charte européenne de l’autonomie locale (STE no 122)
et
les restrictions imposées à la liberté des médias.
78. Il est à noter que les autorités n’avaient pas, avant la tenue
du référendum, sollicité l’avis de la Commission de Venise sur les
amendements proposés, malgré l’impact considérable de ces derniers
sur le fonctionnement des institutions démocratiques. La demande
d’avis a été présentée fin janvier 2009 par la commission de suivi
et le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe. Toutefois, l’avis
n’a été adopté qu’en mars 2009, quelques jours avant le référendum,
et n’a pas été pris en compte par les autorités azerbaïdjanaises
.
79. Le taux de participation au référendum sur les amendements,
tenu le 18 mars 2009, était de 70,83 %. Les 41 amendements, présentés
en 29 questions, ont été acceptés, avec un pourcentage de «oui»
variant entre 87,15 et 91,76 %. Une délégation de l’Assemblée parlementaire
était présente lors du référendum.
80. Les élections municipales ont été observées par une délégation
du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe,
qui les a considérées «comme un élément symptomatique de la situation encore
insatisfaisante de la démocratie locale et plus généralement de
la faiblesse des gouvernements locaux en Azerbaïdjan»
.
81. Depuis les élections législatives de 2005, les relations entre
les autorités et l’opposition sont restées tendues et se sont caractérisées
par une absence quasi totale de dialogue entre les deux parties.
En dépit de la participation de l’opposition aux élections de 2005,
certains partis d’opposition ont décidé de ne pas se présenter à
l’élection suivante, évoquant des entraves à l’égalité des chances,
et ceux qui y ont pris part se sont finalement retirés de la répétition
partielle des élections législatives dans 10 circonscriptions en
mai 2006 et de l’élection présidentielle d’octobre 2008, en guise
de protestation. Lors des élections de 2005, le parti au pouvoir
(Parti du nouvel Azerbaïdjan – YAP) a remporté 64 des 125 sièges
tandis que 45 sièges sont revenus à des candidats indépendants,
qui soutiennent dans l’ensemble le parti au pouvoir mais sont parfois
critiques à l’égard des autorités. Le parti d’opposition Musavat
comptait quatre députés au parlement. Certains partis d’opposition,
parmi lesquels le parti du Front populaire d’Azerbaïdjan, ont refusé
d’occuper leurs sièges au parlement.
82. Lors des élections de 2010, l’opposition était désunie et
très fragmentée (cinq blocs et deux partis); de ce fait, très peu
de candidats de l’opposition ont remporté des sièges (nous reviendrons
sur la question des élections dans le chapitre intitulé «Fonctionnement
de la démocratie pluraliste»).
83. L’absence de véritable dialogue politique a malheureusement
été aggravée par la détérioration du contexte politique. Nous jugeons
inquiétantes les informations faisant état de restrictions de la
liberté d’expression et de réunion ainsi que de violations des droits
de l’homme, et notamment d’actes de harcèlement et de violence à
l’encontre de journalistes, de défenseurs des droits de l’homme,
d’avocats et de militants. Ces questions seront également examinées
plus en détail dans les chapitres suivants.
84. Le recours excessif à la force par la police pour disperser
les manifestations de protestation qui ont eu lieu à Bakou en mars
et en avril 2011, ainsi que la détention de participants, soulève
des préoccupations légitimes. Quinze personnes ayant écopé de peines
d’emprisonnement de deux à trois ans pour hooliganisme à cette occasion
ont été considérées par Amnesty International comme des prisonniers
d’opinion. Fort heureusement, toutes ont désormais été libérées,
soit sur décision de justice, soit à la suite de grâces présidentielles.
Nous reviendrons sur ce point dans le cadre plus général du chapitre
consacré à l’Etat de droit, où nous nous penchons sur l’application
restrictive du Code pénal et l’indépendance du pouvoir judiciaire,
et continuerons à suivre l’évolution de la situation des différents
prisonniers politiques présumés dans nos visites d’information et
rapports futurs.
85. En mai 2012, l’Azerbaïdjan s’est retrouvé sous les feux des
projecteurs en accueillant le Concours Eurovision de la chanson
2012. Des militants azerbaïdjanais ont saisi cette occasion pour
attirer l’attention de la communauté internationale sur les violations
des droits de l’homme commises par les autorités, en lançant une
campagne intitulée «Chanter pour la démocratie» avec le soutien
d’Amnesty International.
86. Dans tous nos contacts avec les plus hautes autorités, nous
avons exprimé notre profonde conviction qu’il est de l’intérêt supérieur
du processus démocratique et du parti au pouvoir lui-même d’affronter l’opposition
au sein d’un organe représentatif et d’engager un dialogue politique
vraiment significatif dans le cadre parlementaire.
87. Nous avons également insisté sur le fait que l’on ne peut
s’affranchir des critiques par une limitation de la liberté d’expression
et de réunion.
5. Fonctionnement de la démocratie
pluraliste
5.1. Elections libres et équitables
88. Depuis l’adhésion de l’Azerbaïdjan
au Conseil de l’Europe en 2001, deux élections présidentielles (en 2003
et 2008) et deux élections législatives (en 2005, suivie d’une répétition
partielle en 2006, et en 2010) ont eu lieu. Toutes ont été observées
par l’Assemblée
.
Malheureusement, aucun de ces scrutins ne respectait pleinement
les normes démocratiques.
89. Les élections de 2005 ont même conduit à la contestation des
pouvoirs de la délégation azerbaïdjanaise pour des raisons substantielles
au sein de l’Assemblée parlementaire
et à la répétition partielle des
élections en 2006.
90. Récemment, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu
des arrêts dans sept affaires (sur 35 jugées recevables) relatives
aux élections législatives de 2005 en Azerbaïdjan, dans lesquels
elle a conclu à une violation de l’article 3 du protocole n° 1 (droit
à des élections libres)
.
Cinq affaires portaient sur des plaintes, présentées entre autres
par les dirigeants des partis d’opposition, concernant l’invalidation
arbitraire des résultats du scrutin dans la circonscription électorale
des requérants, cette invalidation les ayant privés de la victoire.
Une autre affaire concernait une plainte portant sur l’examen arbitraire
et inefficace des réclamations du requérant à propos d’irrégularités
électorales. Après avoir rendu cet arrêt, la Cour a radié sept autres
requêtes analogues, à la suite d’une déclaration unilatérale du
gouvernement dans laquelle ce dernier reconnaissait les violations
invoquées. Le dernier arrêt concernait le refus arbitraire d’inscrire
le requérant sur la liste des candidats aux élections législatives.
91. Au cours de la période considérée, comme nous l’avons déjà
indiqué, une élection présidentielle et une élection législative
ont eu lieu. En 2008, l’élection présidentielle a été observée par
des observateurs internationaux du Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l’homme de l’OSCE (OSCE/BIDDH), de l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe et du Parlement européen
. Dans une déclaration commune, ils
ont conclu que des progrès considérables avaient été accomplis dans
l’organisation de l’élection présidentielle en Azerbaïdjan mais
que tous les engagements internationaux souscrits par le pays n’avaient pas
été remplis et que des efforts supplémentaires étaient nécessaires
pour répondre à des engagements internationaux cruciaux, notamment
ceux ayant trait au pluralisme, à la neutralité dans l’environnement
de la campagne et aux médias. Les observateurs ont noté que cinq
partis d’opposition avaient boycotté l’élection en invoquant des
entraves persistantes à l’égalité des chances.
92. Dans ses conclusions, la commission ad hoc a mis en évidence
un certain nombre de lacunes dans le processus électoral, en particulier
en ce qui concerne le Code électoral, la composition des commissions électorales,
l’environnement médiatique et l’application restrictive de la loi
sur la liberté de réunion.
93. Lors de son adhésion, l’Azerbaïdjan s’est engagé à «réviser
la législation en matière d’élections, en particulier la loi sur
la commission électorale centrale et la loi électorale, en tenant
compte des recommandations faites par les observateurs internationaux
lors des scrutins passés, de façon à ce que les prochaines élections
législatives qui auront lieu en automne 2000 confirment définitivement
les progrès effectués et que leurs résultats soient acceptés par
la majorité des partis politiques participant aux élections, et
qu’elles puissent être considérées comme libres et équitables par
des observateurs internationaux».
94. Les autorités azerbaïdjanaises ont fait appel à l’expertise
de la Commission de Venise pour la réforme du Code électoral juste
avant les élections partielles de mai 2006. Les consultations se
sont poursuivies jusqu’en 2008 et la loi sur les amendements au
Code électoral a été adoptée par le parlement en juin 2008. Dans
son avis sur ces amendements
,
la Commission de Venise a fait remarquer que «certaines recommandations
précédentes ne sont pas prises en compte dans les amendements ou
en partie seulement». Les aspects qui posaient le plus problème
étaient la composition de la Commission électorale centrale (CEC) et
des commissions électorales territoriales, l’enregistrement des
candidats, les observateurs, la liste électorale et son exactitude,
ainsi que les procédures de réclamation et de recours.
95. Dans deux résolutions consécutives sur le fonctionnement des
institutions démocratiques en Azerbaïdjan, adoptées en 2008 et 2010,
l’Assemblée a demandé aux autorités de garantir les conditions permettant
aux élections législatives de novembre 2010 d’être pleinement conformes
aux normes européennes, et en particulier de coopérer avec la Commission
de Venise en vue de réviser le Code électoral sur les questions
en suspens, à savoir celles évoquées à la fin du paragraphe précédent.
96. Ces deux résolutions demandaient également de mettre en place
les conditions d’une campagne électorale équitable, notamment par
l’application pleine et entière de la loi sur la liberté de réunion
et par le respect de la liberté des médias.
97. Ces problèmes n’avaient pas été pleinement résolus pour les
élections législatives de novembre 2010 qui, selon les observateurs
internationaux et notamment de ceux de l’Assemblée parlementaire,
ne constituaient pas un progrès significatif dans le sens du développement
démocratique du pays. Les observateurs étaient particulièrement
préoccupés par les restrictions à la liberté des médias et à la
liberté de réunion, ainsi que par les irrégularités dans le processus
d’enregistrement des candidats. Ils ont également souligné que ces
défaillances, ajoutées à un environnement entravant la compétition,
ont instauré pour les candidats des règles du jeu inégales qui,
pour les électeurs, ont limité la possibilité d’un choix informé.
Enfin, ils se sont inquiétés des allégations crédibles d’intimidation
des électeurs et des candidats, ainsi que d’abus de ressources administratives,
de l’absence de recours juridiques effectifs contre les décisions
relatives à des plaintes en matière électorale et du manque de pluralisme
dans la couverture médiatique. Les observateurs ont déploré que
les recommandations figurant dans l’avis de 2008 de la Commission
de Venise n’aient pas été prises en compte.
98. Malheureusement, plusieurs des problèmes soulevés lors des
précédentes élections n’ont toujours pas été réglés à ce jour. La
prochaine élection présidentielle est prévue pour la mi-2013. Lors
de nos visites, nous avons souligné l’importance – déjà relevée
dans les recommandations de la Commission de Venise – de réviser
le Code électoral en vue d’assurer sa conformité avec les normes
européennes. Nous espérons que cela sera fait pour la prochaine
élection.
5.2. Pluralisme des partis
99. L’Azerbaïdjan compte de nombreux
partis politiques enregistrés, dont une grande partie sont critiques à
l’égard des autorités. Toutefois, à la suite des élections de novembre 2010,
plusieurs partis d’opposition n’ont remporté aucun siège au parlement.
Comme nous l’avons déjà indiqué, le parti au pouvoir a obtenu 71 sièges sur
125, les autres se répartissant entre 45 candidats indépendants
et des représentants uniques d’autres partis qui, de manière générale,
soutiennent le parti au pouvoir, mais adoptent aussi une attitude
souvent critique à l’égard des politiques gouvernementales.
100. Certains partis d’opposition, parmi lesquels le parti Musavat
et le parti du Front populaire d’Azerbaïdjan, ont contesté le résultat
des dernières élections législatives. Les autorités ont toutefois
attiré notre attention sur la fragmentation de l’opposition qui,
selon elles, a contribué à la défaite de cette dernière.
101. Le dialogue politique entre les autorités et les principaux
partis d’opposition est largement insuffisant à nos yeux. Nous avons
abordé cette question à chacune de nos visites. Les autorités ont
bien souligné que l’absence de dialogue était due à l’attitude non
constructive de l’opposition extraparlementaire.
102. Cela étant, au cours de nos entretiens, les représentants
de l’opposition extraparlementaire se sont plaints du climat de
restriction permanent qui pèse sur leurs activités. et notamment
des restrictions à la liberté d’expression et à la liberté de réunion,
ainsi que du manque d’accès à la télévision publique; il y aurait
même eu, selon eux, des actes d’intimidation et de harcèlement,
voire de persécution à l’encontre de certains membres et sympathisants
(nous évoquerons ces questions plus en détail dans les chapitres
suivants). Ils ont également évoqué les arrêts précités de la Cour
européenne des droits de l’homme relatifs aux violations commises
lors des élections de 2005 ainsi qu’un certain nombre d’affaires
concernant les élections de 2010, en instance devant la Cour.
103. Ils se sont déclarés préoccupés par le financement des partis
politiques
ainsi
que par de graves problèmes d’ordre logistique, et notamment de
difficultés à louer des locaux pour accueillir le siège de leurs partis
et leurs antennes régionales.
104. A la suite de leur défaite aux élections de 2010, les candidats
des principaux partis d’opposition extraparlementaire ont créé,
le 28 décembre 2010, le Mouvement civique pour la démocratie ou
«Chambre publique». Cette grande formation d’opposition comprend
notamment les dirigeants du parti Musavat et du parti du Front populaire
azerbaïdjanais, ainsi que les dirigeants de huit autres partis politiques
et des représentants de la société civile. L’objectif affiché de
la Chambre publique est de promouvoir la démocratisation et de nouvelles
solutions aux problèmes que rencontre le pays. Dans une déclaration
publiée à l’issue de sa session de janvier 2012, la Chambre publique
a fixé les grands objectifs de son action: assurer le respect des
droits de l’homme et la liberté de réunion et créer les conditions
permettant la tenue d’élections pleinement respectueuses des principes
démocratiques.
105. La Chambre publique ne regroupe pas l’ensemble de l’opposition
extraparlementaire. Le 12 janvier 2012, des représentants de cinq
partis d’opposition extraparlementaire (le parti du Front populaire classique,
Aydinlar, le parti de la Société ouverte, le parti démocratique
libéral et Azadliq) ont créé un nouveau «Mouvement de la résistance
pour une société démocratique», dont l’objectif affiché est de réformer
la législation électorale, de créer les conditions permettant la
tenue d’élections conformes aux critères démocratiques, de combattre
la corruption et de trouver une solution au problème du Haut-Karabakh.
106. Ce nouveau mouvement est prêt à coopérer avec la Chambre publique
et les deux formations négocient actuellement en vue d’une éventuelle
fusion. Cela étant, leurs points de vue diffèrent pour ce qui est
de l’évaluation de la situation et de la stratégie à adopter.
107. En ce qui concerne le pluralisme des partis, nous tenons à
évoquer ici les modifications de la loi de 2004 relative aux partis
politiques, qui ont été adoptées récemment par le parlement. En
décembre 2011, la Commission de Venise a adopté un avis sur ces
modifications, à la demande du gouvernement
.
Nous tenons à saluer ici le fait que le gouvernement ait décidé
de solliciter l’expertise de la Commission de Venise, mais déplorons
qu’il n’ait pas tenu compte de l’ensemble des recommandations de
cette dernière.
108. En 2004, la Commission de Venise avait déjà formulé un avis
sur la première loi relative aux partis politiques et recensé un
certain nombre de problèmes dans cette dernière. Malheureusement,
les modifications proposées dernièrement ne portent pas sur les
lacunes alors mises en évidence.
109. En particulier, les nouveaux projets d’amendements ne tiennent
pas compte de la question de la transparence du financement et de
l’utilisation des fonds des partis politiques et des dons privés,
question déjà soulevée par la Commission de Venise dans son avis
de 2004. Or, il s’agit là d’un problème majeur, qui peut être source
de corruption et qui crée les conditions d’une concurrence déloyale
entre les partis. De façon plus générale, le financement des partis
demeure problématique, conduit à l’inégalité des chances et pénalise
dans une large mesure les partis d’opposition.
110. Outre le fait qu’elles ne tiennent pas compte de problèmes
signalés antérieurement, les modifications proposées instaurent
de nouvelles règles que la Commission de Venise critique dans son
avis. Pour l’heure, on ne voit pas encore clairement quel organe
serait chargé de prononcer la dissolution éventuelle de partis qui ne
respecteraient pas la législation. L’impartialité et l’indépendance
d’un tel organe doivent par ailleurs être garanties
.
Cela dit, nous constatons avec satisfaction qu’à la suite de la
recommandation de la Commission de Venise, la disposition qui portait
de 1 000 à 5 000 le nombre minimal de membres nécessaire à l’enregistrement
d’un parti politique a finalement été retirée du projet de loi.
111. La création d’un système politique inclusif et d’un environnement
favorisant l’instauration d’un pluralisme politique revêt une importance
toute particulière dans la perspective de la prochaine élection
présidentielle prévue en 2013. Il est encore temps de traiter un
certain nombre de problèmes soulevés à maintes reprises par l’opposition
et la société civile ainsi que par la communauté internationale,
et notamment par l’Assemblée parlementaire et d’autres organes du
Conseil de l’Europe, en particulier en ce qui concerne le Code électoral.
112. Enfin, il y a lieu de s’attaquer aux problèmes persistants
de restrictions aux libertés et de violations des droits de l’homme
(que nous traiterons dans le chapitre suivant), ce afin de créer
les conditions d’un environnement politique véritablement concurrentiel
et sans entraves, de nature à promouvoir le pluralisme des partis.
113. Une fois encore, nous tenons à souligner ici notre profonde
conviction qu’il est de l’intérêt supérieur du processus démocratique
et du parti au pouvoir lui-même d’affronter l’opposition au sein
d’un organe représentatif et d’engager un dialogue politique vraiment
significatif dans le cadre parlementaire.
5.3. Séparation et équilibre
des pouvoirs
114. Lors de l’adhésion, les autorités
azerbaïdjanaises se sont engagées à «poursuivre les réformes visant à
renforcer l’indépendance du pouvoir législatif vis-à-vis de l’exécutif
pour que le premier puisse exercer le droit d’interpellation des
membres du gouvernement».
115. La Constitution de l’Azerbaïdjan, adoptée en 1995, met en
place un système présidentiel fort, encore renforcé par les amendements
constitutionnels entrés en vigueur en 2002 et 2009. Tous les précédents rapports
de suivi ont souligné la nécessité d’accroître le contrôle parlementaire
sur l’exécutif afin de garantir l’équilibre des pouvoirs.
116. Afin d’honorer cet engagement et de créer un mécanisme permettant
au pouvoir législatif d’exercer le droit d’interpellation des membres
du gouvernement, une loi constitutionnelle «sur les sauvegardes
pour le vote de confiance du Milli Mejlis envers le gouvernement»
a été adoptée en 2001.
117. La Commission de Venise a observé dans son avis
que
cette loi n’introduisait aucun changement dans le système politique
de l’Azerbaïdjan, mais prévoyait un mécanisme permettant au parlement
d’exercer un certain contrôle sur l’exécutif au moyen d’un vote
de défiance prenant la forme d’une recommandation. Tout renforcement
substantiel du contrôle parlementaire nécessiterait une révision
de la Constitution par référendum. En d’autres termes, la loi en
question établit le cadre d’un mécanisme qui doit encore être instauré.
Malheureusement, cela n’a pas été fait lors du référendum sur les
amendements constitutionnels en 2009.
118. La principale faiblesse du parlement est l’absence de véritable
opposition. Comme nous l’avons déjà vu, certains partis d’opposition
n’ont pas de représentants au sein de l’organe élu et ceux qui y
siègent semblent soutenir le parti au pouvoir dans la plupart des
cas. Cette perception, souvent sans fondement, est renforcée par
les restrictions aux possibilités d’action parlementaire des membres
individuels imposées dans le règlement interne actuel du Milli Meijlis.
119. Conformément à ce règlement, il faut au minimum 25 députés
pour constituer un groupe parlementaire, soit 20 % du total des
députés (125). Dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe,
ce chiffre oscille entre 3 % et 5 %. Un tel pourcentage élevé semble
particulièrement inapproprié dans un parlement où l’opposition est
si fragmentée. Les députés qui n’appartiennent pas au parti au pouvoir
étant soit indépendants, soit les seuls représentants de différents
partis, il n’y a qu’un groupe parlementaire, celui du parti au pouvoir. Par
ailleurs, les possibilités d’action parlementaire dont bénéficient
ces députés sont extrêmement limitées par rapport à celles des membres
d’un groupe parlementaire. Ils sont donc privés de nombreux droits
importants, indispensables à l’exercice de leurs fonctions.
120. La nécessité d’une révision du règlement interne du Milli
Meijlis a déjà été soulignée dans le rapport de 2007 sur le respect
des obligations et engagements de l’Azerbaïdjan; elle a également
été mise en avant par nos interlocuteurs, non membres du parti au
pouvoir, lors de notre réunion au sein du parlement. Nous partageons
pleinement ce point de vue et sommes convaincus qu’un renforcement
du rôle des membres individuels et une baisse du nombre de membres
requis pour la création d’un groupe parlementaire contribueraient
de manière significative à accroître le rôle du parlement.
121. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour renforcer
le contrôle parlementaire de l’exécutif et améliorer l’équilibre
des pouvoirs dans un Etat caractérisé par un système présidentiel
fort. Comme tous nos prédécesseurs, nous soulignons l’importance
de renforcer l’application dans la pratique du principe de séparation
des pouvoirs garanti par la Constitution, notamment par une consolidation
du rôle du parlement vis-à-vis de l’exécutif.
122. La question de l’indépendance de la magistrature est une autre
source de préoccupation. Nous l’examinerons dans un chapitre distinct.
5.4. Démocratie locale et régionale
123. Lors de l’adhésion, l’Azerbaïdjan
s’est engagé à «signer et à ratifier, dans un délai d’un an suivant
son adhésion, la Charte européenne de l’autonomie locale». La charte
a été ratifiée en 2002; depuis, l’Azerbaïdjan est soumis à la procédure
de suivi du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil
de l’Europe (le Congrès).
124. Le dernier rapport de suivi du Congrès a été présenté en octobre
2012
. Dans leurs conclusions, les rapporteurs
regrettent que l’Azerbaïdjan n’ait accompli aucun progrès réel dans
la mise en œuvre de la charte depuis les recommandations faites
par le Congrès en 2003. Ils soulignent que le pays ne respecte pas
certains principes et dispositions fondamentaux de la charte. Les
problèmes soulevés dans le rapport de suivi de 2003 n’ont pas été
résolus.
125. Au contraire, la situation s’est même détériorée depuis l’adoption
des amendements à la Constitution de la République d’Azerbaïdjan
en 2009, et en particulier d’un nouvel article 146 sur l’autonomie
locale, comme l’ont confirmé l’avis de la Commission de Venise sur
les projets d’amendements
et les déclarations du président
du Congrès citées précédemment
.
126. Les autorités doivent entreprendre des réformes complexes
visant une décentralisation administrative et financière afin de
développer l’autonomie locale. Dans son récent rapport, le Congrès
a mis en évidence plusieurs problèmes, parmi lesquels le caractère
ambigu et insuffisant de la définition de l’autonomie locale. Il importe
que la législation reconnaisse les municipalités comme des institutions
de l’Etat exerçant la puissance publique dans le cadre de l’administration
publique du pays, conformément à la Charte européenne de l’autonomie
locale.
127. La répartition peu claire des responsabilités entre les municipalités
et les organes locaux de l’Etat entraîne des conflits et une ingérence
injustifiée dans les activités des municipalités. La relation hiérarchique de
fait qui existe entre les autorités exécutives locales directement
rattachées aux autorités gouvernementales centrales et les municipalités
élues n’est pas conforme aux normes démocratiques européennes ni
à la Charte. La loi sur le statut des municipalités devrait être
révisée en vue de définir une répartition claire des tâches et des
pouvoirs entre le système centralisé parallèle de l’administration
d’Etat relevant du président de la République et les municipalités.
128. En outre, il convient d’assurer la transparence des fusions
des organes de l’autonomie locale, avec la participation des municipalités
concernées, conformément à la Charte et aux mécanismes de consultation qu’elle
prévoit.
129. Le projet de loi portant ajouts à la loi sur le statut des
municipalités de la République d’Azerbaïdjan présenté à la Commission
de Venise par les autorités azerbaïdjanaises en 2010 ne résolvait
pas ces problèmes, comme l’a confirmé l’avis de la Commission de
Venise à ce sujet
. La loi n’a pas été modifiée depuis.
130. Il importe que les autorités prennent des mesures concrètes
pour mettre en place des programmes de renforcement des capacités
et de formation des employés municipaux, afin d’améliorer la qualité
de leur travail quotidien.
131. La recommandation
adoptée par le Congrès
à l’issue du débat sur le rapport précité inclut un certain nombre
de mesures qui devraient être prises par les autorités azerbaïdjanaises
pour avancer dans la mise en œuvre de la Charte européenne de l’autonomie
locale. Nous espérons que les autorités règleront toutes les questions
soulevées par le Congrès.
132. Lors de l’adhésion, l’Azerbaïdjan s’est engagé «à amender,
avant la tenue des prochaines élections locales, la législation
actuelle relative aux pouvoirs des autorités locales en vue d’accroître
leurs compétences et leur autonomie, en tenant compte des recommandations
formulées en la matière par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
de l’Europe (CPLRE)».
133. Le Code électoral, adopté en 2003 et modifié en 2008 et 2009,
définit les règles applicables à l’organisation et à la conduite
des élections de tous les organes élus, y compris les municipalités.
Comme nous l’avons déjà indiqué, faisant suite à une demande des
autorités azerbaïdjanaises, la Commission de Venise a rendu un avis
sur les amendements au Code électoral juste après leur adoption
en 2008. Les préoccupations exprimées dans cet avis s’appliquent
également aux élections municipales.
134. Cela a été confirmé, tel que mentionné dans l’un des chapitres
précédents, par les conclusions de la délégation du Congrès qui
a observé les élections municipales en 2009
.
135. De plus, les observateurs ont soulevé trois sujets de préoccupation
majeurs: l’absence de véritable pluralisme politique des partis,
la rareté des candidats représentant une opposition réelle et, en
conséquence, l’absence de campagne électorale active, le caractère
contestable du processus d’inscription et du décompte des votes,
ainsi que la démocratie territoriale peu développée en Azerbaïdjan.
6. Etat de droit
6.1. Pouvoir judiciaire
136. Depuis 2000, les autorités
azerbaïdjanaises travaillent en étroite coopération avec le Conseil
de l’Europe pour la réforme de leur système judiciaire. Le parlement
a adopté plusieurs lois visant à garantir une plus grande indépendance
des juges et à améliorer les procédures judiciaires, et notamment
la loi sur le barreau et les juges (loi relative aux tribunaux et
aux juges), conformément à la liste d’engagements pris lors de l’adhésion.
137. Parmi les lois en question, celle qui a instauré le Conseil
juridique et judiciaire en 2005 a constitué une avancée décisive
pour le bon fonctionnement du système judiciaire. La législation
nouvellement adoptée prévoyait également une procédure révisée de
recrutement des juges suivant une procédure de sélection équitable
et transparente élaborée en coopération avec le Conseil de l’Europe
. Par ailleurs,
elle étendait aux juges les règles financières définies dans la
loi de 2004 sur la lutte contre la corruption, et notamment la présentation
des déclarations d’impôt et les restrictions en matière de cadeaux.
Un circuit a été mis en place pour permettre aux personnes physiques
et morales de signaler les cas de corruption dans le système judiciaire.
Des programmes de formation pour les candidats souhaitant s’engager
dans le système judiciaire ont également été établis.
138. Enfin, les autorités ont réalisé d’importants investissements
en termes d’infrastructures et de renforcement des capacités
.
139. En février 2009, le président a publié un décret établissant
le programme d’Etat 2009-2013 pour le développement du système judiciaire.
Les objectifs de ce programme englobaient l’amélioration de la législation
et de la qualité de la formation professionnelle du personnel.
140. Toutefois, les progrès indéniables réalisés dans l’établissement
d’un cadre législatif doivent s’accompagner d’une mise en œuvre
effective et systématique des lois adoptées. Le manque d’indépendance du
système judiciaire reste très préoccupant en Azerbaïdjan.
141. L’indépendance du pouvoir judiciaire est l’une des conditions
indispensables à la réalisation des principes démocratiques que
sont la séparation et l’équilibre des pouvoirs. De notre point de
vue, les autorités de l’Azerbaïdjan devraient redoubler d’efforts
pour assurer la pleine indépendance du pouvoir judiciaire, notamment
vis-à-vis de l’exécutif. En Azerbaïdjan, l’exécutif continue d’exercer
une influence sur le pouvoir judiciaire, de sorte que le problème
perdure. Notre visite dans le pays en juin 2012 était principalement consacrée
à cette question.
142. Conformément aux normes du Conseil de l’Europe, l’indépendance
du pouvoir judiciaire et des juges individuels devrait être garantie
par un organe judiciaire autonome. Il importe au plus haut point
que les fonctions de cet organe, sa composition et la sélection
de ses membres respectent les normes démocratiques, pour assurer
son indépendance et son impartialité absolues.
143. Comme cela a été évoqué ci-dessus, un tel organe – le Conseil
judiciaire et juridique – a été mis en place en 2005 en Azerbaïdjan.
Cependant, il n’inclut pas au nombre de ses missions celle d’assurer
et de mettre en œuvre l’indépendance du pouvoir judiciaire, le principal
garant de cette indépendance étant le président du pays, en vertu
de la Constitution de l’Azerbaïdjan. Le fait de confier cette compétence
à une seule personne et non à une institution indépendante pose
problème, et ce dans n’importe quel pays.
144. La loi sur le Conseil judiciaire et juridique, adoptée par
le parlement en 2005 n’inclut pas parmi ses fonctions, comme indiqué
précédemment, celle d’assurer et de mettre en œuvre l’indépendance
du pouvoir judiciaire. Les domaines de compétence du Conseil judiciaire
et juridique englobent l’organisation et le fonctionnement de l’appareil
judiciaire, et notamment la sélection, l’évaluation et la promotion
des juges, ainsi que l’exercice de poursuites disciplinaires à leur
encontre, leur nomination à différents postes, mais aussi, plus généralement,
la mise en œuvre de l’autonomie du pouvoir judiciaire. De notre
point de vue, pour garantir et renforcer l’indépendance du pouvoir
judiciaire, l’Azerbaïdjan devrait réviser la Constitution et la
loi sur le Conseil judiciaire et juridique de manière à entériner
la principale fonction du Conseil judiciaire et juridique en Azerbaïdjan.
145. Pour pouvoir mener à bien sa mission, le Conseil judiciaire
et juridique doit être totalement indépendant, comme indiqué précédemment.
Conformément aux normes du Conseil de l’Europe, il devrait être
composé soit exclusivement de juges, soit d’une majorité de juges
élus par leurs pairs. Le Conseil judiciaire et juridique d’Azerbaïdjan
comporte 15 membres, dont la majorité sont des juges, les autres
étant des représentants des organes exécutifs et législatifs, du
ministère public et de l’Ordre des avocats.
146. Si, en théorie, la composition de ce Conseil est conforme
aux normes européennes applicables en la matière, la procédure de
nomination pose davantage problème. Certes, les nominations sont
faites sur la base d’une recommandation de l’Assemblée générale
des juges, mais cette dernière doit toujours proposer au moins deux
candidats pour un même poste et la décision finale est prise, selon
le poste, par divers organes, dont le ministre de la Justice, la
Cour constitutionnelle et la Cour suprême de justice.
147. En d’autres termes, la procédure de sélection de la majorité
des membres du Conseil fait intervenir non seulement des juges qui
élisent leurs pairs, mais également le pouvoir exécutif. Cette procédure
n’est pas conforme aux normes du Conseil de l’Europe et devrait
être révisée. Nous recommandons de modifier la loi sur le Conseil
judiciaire et juridique en vue de simplifier la procédure de sélection
et de nomination des membres du Conseil et de transférer à l’Assemblée
générale des juges le droit de sélectionner et d’élire directement
ces membres.
148. L’influence du pouvoir exécutif sur l’autonomie du pouvoir
judiciaire est encore renforcée par le fait que le Conseil participe,
dans une moindre mesure, au processus d’élaboration du budget des
tribunaux, ce qui est contraire aux bonnes pratiques européennes.
La loi sur le Conseil judiciaire et juridique devrait donner davantage
de pouvoirs au Conseil concernant son propre budget
.
149. Les procédures de sélection, de nomination et de promotion
des juges revêtent également une importance cruciale pour assurer
l’indépendance de la magistrature. Elles devraient notamment être
libres de toute ingérence politique: c’est pourquoi le rôle de l’assemblée
législative et de l’exécutif devrait être limité, tout au long de
la procédure. Malheureusement, la pratique actuelle dans ce domaine
en Azerbaïdjan est contraire aux normes européennes, compte tenu
du pouvoir décisionnel du président en matière de nomination des juges,
pouvoir consacré dans la Constitution, la loi sur le Conseil judiciaire
et juridique ainsi que la loi sur les juges. Nous recommandons vivement
aux autorités de réviser la législation en vigueur afin de renforcer
le rôle du Conseil judiciaire et juridique dans le processus de
nomination, en le faisant passer du statut d’organe chargé de formuler
des recommandations à celui d’organe décisionnaire. Elles devraient
également veiller à ce que la loi prévoie la mise en place de critères
de promotion des juges, aujourd’hui inexistants
.
150. Afin d’assurer l’indépendance des juges et de supprimer toute
possibilité d’influence sur ces derniers, il faudrait fixer une
même durée de mandat pour tous et rendre ce mandat permanent. En
Azerbaïdjan, les règles en vigueur autorisent l’extension du mandat
de certains juges jusqu’à l’âge de 70 ans au lieu de 65. Il faudrait instaurer
un âge de départ à la retraite obligatoire qui soit le même pour
tous les juges. Les décisions au cas par cas prises par le Conseil
juridique et judiciaire augmentent le risque d’ingérence injustifiée.
151. Par ailleurs, l’inamovibilité devrait être garantie jusqu’à
l’âge de la retraite obligatoire. Les exceptions à ce principe,
en particulier celles découlant de sanctions disciplinaires, devraient
être clairement définies et limitées aux cas les plus graves. Malheureusement,
les motifs de cessation du mandat d’un juge, tels que définis dans
la loi, sont peu clairs et dépourvus de cohérence. Ils englobent
l’exercice d’activités incompatibles avec le poste, une infraction
grave ou des infractions multiples à la loi dans l’examen des affaires,
ou encore l’impossibilité d’exercer les fonctions de juge à la suite
d’un avis émis par une commission médicale. Ces motifs sont vagues
et offrent une trop grande marge d’interprétation. Nous recommandons
de réviser la législation applicable en la matière afin qu’elle
respecte pleinement les normes du Conseil de l’Europe
.
152. Les préoccupations exprimées dans le paragraphe précédent
s’appliquent également aux procédures disciplinaires. Le fait que
le Conseil judiciaire et juridique soit le seul compétent pour engager
une telle procédure est conforme aux normes européennes, mais à
nouveau, certains motifs manquent de clarté et sont susceptibles
de donner lieu à des abus. Compte tenu des inquiétudes précédemment
exprimées concernant la composition du Conseil judiciaire et juridique,
nous considérons qu’il y a un risque d’ingérence injustifiée. L’ensemble
de la procédure devrait être plus transparente
.
153. La question de l’équité des procès a été posée à maintes reprises
lors de nos entretiens avec la société civile et constitue également
une préoccupation de la communauté internationale. L’OSCE suit systématiquement
les procès les plus sensibles et son rapport le plus récent
, ainsi que les informations exhaustives
qui nous ont été fournies lors de notre réunion à Bakou, nous ont
été très utiles.
154. Des irrégularités sont quelquefois observées dès le stade
préalable au procès, comme les arrestations sans mandat approprié,
les audiences préliminaires à huis clos, l’impossibilité pour le
prévenu de se faire assister par un avocat en temps utile ou d’avoir
accès à l’avocat de son choix ou encore l’extension sans justification
de la période de détention provisoire, en violation des dispositions
du droit azerbaïdjanais.
155. L’absence d’égalité des armes au cours du procès est une autre
source de vives inquiétudes. Des avocats se sont plaints de n’avoir
pas eu la possibilité de contester des témoignages ou des arguments contradictoires
ou erronés présentés par l’accusation en tant que pièces à conviction,
de présenter leurs propres preuves ou de faire appel à un certain
nombre de témoins essentiels.
156. D’autres irrégularités dans le déroulement des procès ont
été signalées, parmi lesquelles le refus, de la part d’un juge,
d’autoriser la défense à examiner les preuves utilisées contre un
prévenu (par exemple, dans le procès de participants aux manifestations
d’avril qui s’est conclu le 25 août 2011, il n’a pas été donné suite aux
demandes faites par les avocats de la défense d’obtenir la présentation
au tribunal des enregistrements vidéo disponibles pour analyser
les actes criminels qui auraient été commis lors des manifestations
par les personnes poursuivies), et les condamnations sans preuves
évidentes.
157. Plus généralement, il est préoccupant de constater que, comme
dans d’autres pays ayant un héritage soviétique, les tribunaux semblent
dans de nombreux cas être une extension du ministère public. En
témoigne, entre autres, le pourcentage quasi-nul d’acquittements
(moins de 1 %). Ce chiffre a été fourni par le Conseil judiciaire
lors de notre réunion.
158. L’un des principaux problèmes dans le déroulement des procès
est l’accès quelquefois difficile à l’aide judiciaire, en particulier
dans les affaires politiquement sensibles. Le climat s’est détérioré
pour les avocats et les défenseurs des droits de l’homme
.
159. Des cas de radiations arbitraires de l’Ordre des avocats d’Azerbaïdjan
et de procédures pénales engagées à l’encontre de certains avocats
ont également été signalés
. Nous
sommes particulièrement préoccupés par les informations faisant
état de violations de la loi sur le barreau, notamment en rapport
avec l’élection de la présidence. Nous espérons qu’il sera rapidement
mis fin à cette situation, qui porte atteinte à l’Etat de droit.
160. Les avocats indépendants et les défenseurs des droits de l’homme
subissent eux aussi des pressions dans leurs activités. Ils sont
la cible de menaces et de chantages de la part des autorités; dans
certains cas, ils sont privés de la jouissance de leurs droits professionnels
ou victimes d’ingérences dans ces droits, pour ce qui est des entretiens
avec leurs clients ou de l’exercice indépendant de leurs fonctions,
par exemple.
161. Plusieurs avocats auraient fait l’objet d’avertissements dans
le but de les empêcher de défendre les droits des personnes détenues.
Les affaires qui suivent sont autant d’exemples illustrant ce problème:
des poursuites pénales en diffamation ont été engagées à l’encontre
de l’avocat M. Khalid Bagirov pour avoir diffusé dans les médias
des informations selon lesquelles la police aurait joué un rôle
dans les mauvais traitements infligés à M. Elvin Askarov et dans
son décès. Nous relevons cependant avec satisfaction que cette affaire
a été classée en avril 2011 par le tribunal de district en charge
du dossier.
162. Le 4 février 2011, M. Osman Kazimov, célèbre avocat de la
défense, a été suspendu temporairement par l’Ordre des avocats d’Azerbaïdjan
après avoir été accusé d’actes illicites dans une affaire pénale.
A la suite d’une décision de justice favorable, l’Ordre des avocats
est toutefois revenu sur sa décision et a abandonné les poursuites.
163. M. Alaif Hasanov, avocat de MM. Bakhtiyar Hajiev et Shahin
Hasanli, a affirmé avoir été victime d’une campagne de dénigrement
de la part des autorités locales dans sa région de résidence à compter
de mars 2011.
164. D’après les informations que nous avons obtenues, rares sont
les avocats en Azerbaïdjan qui sont prêts à s’occuper d’affaires
politiques ou de droits de l’homme sensibles
.
165. Nous sommes également préoccupés par des informations faisant
état d’une application restrictive de certains articles du Code
pénal (en particulier les articles 221 et 233) à l’encontre des
participants à des manifestations pacifiques mais non autorisées.
166. Tel a été le cas en particulier de 15 personnes arrêtées et
condamnées à la suite des manifestations ayant eu lieu à Bakou en
mars-avril 2011. Elles ont été condamnés en application de l’article 233
du Code pénal pour avoir organisé des actions occasionnant des troubles
à l’ordre public ou y avoir participé. Elles se sont vu infliger
des peines d’emprisonnement allant de un an et demi à deux ans et
demi. D’après Amnesty International, elles ont été condamnés au
seul motif qu’elles auraient participé à ces manifestations et/ou
à leur organisation.
167. Nous avons rencontré deux militants incarcérés à la prison
n° 19 de Bakou pour y purger des peines de deux et trois ans d’emprisonnement
respectivement. Les informations qu’ils nous ont fournies confirment
nos craintes.
168. L’article 233 précité est une disposition vague et mal définie.
Les activités criminelles qu’il définit vont de la «perturbation
de l’activité normale des transports, et entreprises» à l’«insubordination
aux autorités». Il n’y a pas de distinction entre «l’organisation»
et «la participation». L’interprétation restrictive de cet article
par des juges a, à plusieurs reprises, abouti à la condamnation
de personnes qui avaient appelé à la participation à des manifestations
pacifiques. La même remarque vaut pour l’article 221, couramment
appelé «article sur le hooliganisme».
169. Les allégations de corruption dans le système judiciaire sont
un problème susceptible de miner la confiance de la population dans
l’impartialité des juges.
170. Faisant suite aux recommandations du GRECO, le gouvernement
a adopté un certain nombre de mesures visant à éradiquer ce fléau.
Dans le cadre d’une campagne de lutte contre la corruption dans
le système judiciaire, des groupes de surveillance interne ont été
créés au sein des institutions judiciaires et une division de lutte
contre la corruption a été établie au sein du Conseil juridique
et judiciaire. En 2010, le ministère de la Justice a indiqué que
le Conseil judiciaire avait engagé des procédures disciplinaires
à l’encontre de 21 juges; 11 employés du ministère ont fait l’objet
de mesures disciplinaires et deux de ces affaires ont été transmises
au ministère public, ce qui a abouti à une condamnation.
171. Les capacités du service de lutte contre la corruption du
ministère public ont été renforcées et des mesures ont été prises
en vue de la mise en place de services en ligne. En septembre 2011,
le service de lutte contre la corruption du ministère public a annoncé
qu’il avait engagé 133 poursuites pénales en 2011, dont 88 avaient
été transmises au tribunal. 147 personnes ont été accusées de corruption,
d’abus de position dominante, de fraude ou de falsification.
172. Toutefois, la lutte contre la corruption nécessite une approche
globale et plus systémique. Le chapitre suivant examine cette question
plus en détail.
6.2. Corruption et crime organisé
173. L’opinion publique considère
la corruption comme une pratique normale en Azerbaïdjan. Ce phénomène touche
l’ensemble de la société, que ce soit la sphère politique, le pouvoir
exécutif ou le système judiciaire, et a un impact négatif sur la
situation économique. Transparency International classe systématiquement l’Azerbaïdjan
parmi les pays les plus corrompus du monde. Dans le classement 2011
de l’indice de perception de la corruption, l’Azerbaïdjan occupait
la 143e place sur 183 avec un score de
2,4 sur 10. Les autorités du pays ont fait de la lutte contre la
corruption une priorité politique.
174. Lors de l’adhésion, l’Azerbaïdjan s’est engagé «à adopter,
dans un délai d’un an suivant son adhésion, une loi sur la lutte
contre la corruption et, dans un délai de deux ans suivant son adhésion,
un programme d’Etat de lutte contre la corruption» et à «signer
et à ratifier, dans un délai de deux ans suivant son adhésion, la Convention
pénale sur la corruption et la Convention civile sur la corruption».
175. L’Azerbaïdjan a ratifié la Convention pénale sur la corruption
(STE n° 173) en 2004. Il a ensuite adhéré au GRECO. Depuis, il est
soumis à la procédure de suivi de la convention. Le rapport le plus
récent sur le troisième cycle d’évaluation date d’octobre 2010.
176. A la suite de la ratification de la convention, l’Azerbaïdjan
a introduit en 2006 des amendements aux dispositions du Code pénal
relatives à la corruption, ce qui a marqué une étape importante
dans la mise en conformité de la législation avec les dispositions
de la convention. La corruption active et passive dans le secteur
public, le trafic d’influence, les avantages non matériels et la
corruption par l’intermédiaire d’un tiers ont été érigés en infraction
pénale, conformément à la convention. En mars 2012, la responsabilité
des personnes morales a été inscrite dans le Code pénal.
177. Bien que l’Azerbaïdjan ait fait d’importants progrès dans
la pénalisation de la corruption, d’autres modifications législatives
majeures sont nécessaires, notamment en ce qui concerne deux définitions,
celle d’«agent public» qui doit inclure tous les fonctionnaires
et employés publics au niveau central et régional et celle d’«infraction
de corruption consommée» qui doit couvrir également la promesse
d’un pot-de-vin et l’acceptation d’une offre
.
178. En outre, l’immunité accordée aux agents publics ne doit pas
constituer un obstacle à l’exercice de poursuites pénales effectives
pour corruption. Cette immunité devrait se limiter à l’exercice
des fonctions officielles.
179. Le pays a fait des progrès dans la mise en place de règles
de conduite pour les agents publics en général et pour certaines
administrations et professions en particulier; un code de déontologie
pour les juges a notamment été établi. La loi impose aux agents
publics de déclarer leurs revenus et actifs, mais l’application de
cette obligation ne semble pas être assurée dans la pratique. En
outre, il n’y a pas de règles claires concernant les conflits d’intérêts
et aucune législation relative à la protection des donneurs d’alerte
.
180. Bien que la législation de l’Azerbaïdjan soit largement conforme
à la convention pour ce qui est de la confiscation des produits
de la corruption, il conviendrait d’améliorer la mise en œuvre des
lois en vigueur
.
181. En outre, l’Azerbaïdjan devrait revoir sa position en ce qui
concerne les réserves faites à la convention, introduites en 2004
pour une période de trois ans et par la suite reconduites pour une
nouvelle période de trois ans de juin 2010 à juin 2013. Ces réserves
concernent la corruption d’agents publics étrangers, de membres d’assemblées
publiques étrangères et de membres d’assemblées parlementaires internationales,
ainsi que le trafic d’influence
.
182. Enfin, l’Azerbaïdjan devrait adhérer sans plus tarder au Protocole
additionnel à la Convention pénale contre la corruption (STE n°
191).
183. En tout état de cause, l’application effective de la législation
reste la principale tâche à laquelle doit s’atteler l’Azerbaïdjan
en matière de lutte contre la corruption. Si les autorités ont,
à différents niveaux, fait de la lutte contre la corruption une
priorité politique, l’incapacité à mettre en œuvre certaines mesures
peut être le signe d’une volonté insuffisante de traduire les paroles
en actes.
184. En 2007, l’Azerbaïdjan a élaboré une Stratégie nationale de
renforcement de la transparence et de lutte contre la corruption,
qui a été complétée par un plan d’action pour 2007-2011. Nous avons
été informés qu’un nouveau plan d’action venait d’être préparé et
était en cours d’examen par le gouvernement. Nous avons également
appris que la société civile avait été associée à l’élaboration
de certaines parties de ce plan d’action, ce qui constitue à nos
yeux une évolution positive.
185. Cela dit, de manière générale, la contribution des organisations
non gouvernementales aux activités anticorruption menées par le
gouvernement reste limitée à la participation de leurs représentants
à un groupe de travail de la Commission de lutte contre la corruption.
On ne peut que le regretter, car les ONG pourraient jouer un rôle
beaucoup plus important dans ce domaine. Le gouvernement devrait
donc établir des mécanismes permettant d’assurer une participation
plus active de la société civile à la stratégie anticorruption.
186. Nous tenons à féliciter les autorités pour la campagne anticorruption
lancée en 2011, qui comporte des activités et des programmes de
sensibilisation à la corruption à l’intention des agents publics
et des membres des forces de l’ordre, notamment pour ce qui est
des aspects juridiques et du signalement des cas de corruption.
Jusqu’à présent, son impact a été plutôt modeste
.
187. Les autorités ont accompli d’importants progrès dans le renforcement
des capacités du service de lutte contre la corruption du ministère
public, qui est le principal organe chargé de la lutte contre la
corruption par l’application de la loi. L’année dernière, le nombre
d’agents placés sous la responsabilité directe du Procureur général
est passé de 60 à 100. Les salaires ont également été sensiblement
relevés.
188. Ce service autonome est composé de procureurs spécialisés,
compétents pour mener des enquêtes et engager des poursuites pénales
dans les affaires de corruption. Ils proposent également des mesures
de lutte contre la corruption. Une ligne téléphonique spéciale,
le «161», a été créée pour recevoir les plaintes des citoyens concernant
des faits de corruption.
189. En 2011, le service anticorruption a traité 142 dossiers impliquant
229 personnes et en a saisi les tribunaux. En 2012, ce chiffre était
de 70 affaires impliquant 134 personnes.
6.3. Exécution des arrêts de
la Cour européenne des droits de l’homme
190. D’après les informations fournies
par le greffe de la Cour européenne des droits de l’homme, en 2011, 1 543 affaires
contre l’Azerbaïdjan étaient pendantes devant la Cour.
191. Comme cela a déjà été mentionné, la commission des questions
juridiques et des droits de l’homme suit dans des rapports périodiques
l’exécution des arrêts par les autorités nationales des Etats concernés.
Lors de l’examen du rapport le plus récent à l’Assemblée en 2011,
l’Azerbaïdjan n’a pas été inclus dans le groupe de neuf Etats qui
connaissent des problèmes structurels majeurs à l’origine de retards
extrêmement préoccupants dans l’exécution des arrêts.
192. Tous les grands problèmes évoqués dans le présent rapport
se retrouvent dans les arrêts de la Cour relatifs à l’Azerbaïdjan.
Ainsi, la majeure partie des requêtes portées devant la Cour concernent
les mauvais traitements en détention, la liberté d’expression ou
la non-exécution des décisions de justice internes. Nous avons ajouté
à ces catégories les affaires relatives à des violations des droits
électoraux.
7. Droits de l’homme et libertés
fondamentales
193. Le rapport le plus récent du
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a été publié
en juin 2010. En septembre 2011, le Commissaire a publié des observations
sur le respect des droits de l’homme en Azerbaïdjan, faisant suite
à son rapport de 2010, dans lesquelles il affirmait que les recommandations formulées
dans le rapport n’avaient pas été suivies d’effet.
194. Le rapport le plus récent de l’ECRI a été publié en mai 2011.
Il soulevait des préoccupations concernant la liberté de religion.
195. En décembre 2011, Amnesty International a publié un rapport
sur l’Azerbaïdjan. Comme cela a déjà été mentionné, la commission
de suivi a tenu une audition sur ce thème avec le représentant d’Amnesty International
le 16 décembre 2011.
196. Dans le présent chapitre, nous nous sommes également appuyés
sur des rapports de Human Rights Watch, Human Rights House et d’autres
organismes de surveillance nationaux et internationaux.
197. En 2011, un programme d’action national visant à accroître
l’efficacité de la protection des droits de l’homme et des libertés
en République d’Azerbaïdjan a été approuvé par ordonnance présidentielle.
Cette ordonnance chargeait le Commissaire aux droits de l’homme
(ombudsman) de la République d’Azerbaïdjan de diriger le groupe
de coordination de la mise en œuvre du programme; elle contient
diverses mesures concrètes à prendre (notamment l’élaboration d’une
législation) pour assurer le respect des obligations et engagements de
l’Azerbaïdjan découlant des traités et conventions internationaux.
7.1. Prisonniers politiques présumés
et problèmes humanitaires
198. A ce jour, Amnesty International
considère qu’il y a huit personnes en Azerbaïdjan qui sont des prisonniers
d’opinion ou qui sont poursuivies sur la base d’accusations fabriquées
de toutes pièces; 15 autres, détenues et condamnées à des peines
de deux à trois ans d’emprisonnement l’année dernière à la suite
des manifestations de mars et d’avril, ont été libérées sur décision
de justice ou par grâce présidentielle.
199. En 2010, la Cour européenne des droits de l’homme a ordonné
la libération du journaliste Eynulla Fatullayev et lui a accordé
25 000 euros pour préjudice moral. Elle a conclu à deux violations
de l’article 10 de la Convention ainsi qu’à une violation des articles 6.1
et 6.2 (présomption d’innocence).
200. Comme indiqué précédemment, la question des prisonniers présumés
est traitée par notre collègue de la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme, M. Strässer. Son rapport, adopté en commission
en juin dernier, figure à l’ordre du jour de la prochaine partie
de session de l’Assemblée qui se tiendra en janvier 2013 (
Doc. 13079).
201. Sans préjuger du débat à venir au sein de l’Assemblée, nous
tenons à évoquer ici les questions importantes suivantes.
202. Tout d’abord, un problème persistant se pose dans le domaine
de la justice en Azerbaïdjan. Le recours à des accusations forgées
de toutes pièces (voir ci-après) ou l’utilisation de certains articles
du Code pénal à des fins répressives contre des militants et des
journalistes sont trop souvent mentionnés dans les rapports d’ONG
internationales pour être ignorés ou considérés comme de simples
erreurs de la part des tribunaux. Les grâces présidentielles répétées
ne sont pas non plus une solution. C’est aux juges qu’incombe en
dernier ressort la responsabilité de statuer sur les affaires au
fond et en toute impartialité, et d’analyser de manière critique
les preuves fournies par le ministère public et par la défense.
203. Depuis le début de notre mission, nous sommes très préoccupés
par la question des prisonniers politiques présumés et prisonniers
d’opinion. Tout en comprenant que l’Azerbaïdjan craigne l’extrémisme
et les menaces terroristes, nous condamnons aussi la suppression
des libertés fondamentales au moyen de poursuites pénales. Au cours
de chacune de nos visites, nous avons rencontré des personnes qui
étaient ou avaient été détenues et déclaraient que la raison réelle
de leur détention était leurs opinions et leurs avis critiques,
même si elles avaient été condamnées sous le coup d’accusations
pénales. Leurs témoignages étaient extrêmement troublants. Nous
avons discuté de certains cas individuels avec les autorités compétentes et
avons obtenu des résultats positifs, certaines personnes ayant été
libérées.
204. Après avoir consulté les autorités, des militants de la société
civile, des représentants d’ONG, des journalistes et des juristes
indépendants, nous avons instamment demandé aux autorités de revoir
les cas des personnes suivantes dans le but de trouver une voie
de recours judiciaire aux problèmes soulevés: personnes toujours
en détention: Aliyev Mamedali Dilavar, Asgarov Mammad Tofiq, Bayramli
Anar, Farzullayev Jeyhun Hidayet, Hasanli Shahin, Ilyasov Fari,
Iskandarov Zaur Shalar, Iskenderov Vivaldi, Ismaylov Araz Vasif, Jabiyev
Azer, Janiyev Aydin, Khasmammadov Taleh, Musayev Ilgar, Panahov
Neymat; ainsi que les personnes sous le coup d’une inculpation et
en attente de jugement, dont la situation a été évoquée avec les autorités:
Gonagov Vugar, Guliyev Zaur, Zeynalli Avaz, Seyidov Elnur, Mamedov
Bakthiar, Amiraslanov Ilhan, Gulaliyev Ogtay, Babayev Dayanat, Huseynov
Mehman.
205. Fin 2011, le ministère de la Justice a autorisé l’OSCE à mener
un certain nombre de missions de suivi des droits de l’homme dans
les lieux de détention, ce que nous considérons comme un signe de
bonne volonté, laissant entrevoir des perspectives encourageantes
pour l’avenir.
7.2. Conditions de détention
et violations commises par les forces de l’ordre
7.2.1. Torture et autres mauvais
traitements
206. Des défenseurs des droits de
l’homme et des ONG nationales et internationales ont signalé plusieurs cas
alarmants d’allégations de torture et de mauvais traitements en
garde à vue, durant la phase d’instruction et au sein d’établissements
pénitentiaires. Des actes de torture auraient également été commis
dans les forces armées. Enfin, la police aurait eu recours à la
violence contre des journalistes couvrant certains événements. A
notre demande expresse, les représentants des autorités nous ont
assuré que les forces de l’ordre prenaient toutes les mesures nécessaires
pour faire la lumière sur ces accusations.
207. Les circonstances des décès en prison de M. Novruzali Mammadov,
rédacteur en chef du journal Tolishi Sado en
2009, et de M. Turaj Zeynalli dans le département de Nakhitchevan
du ministère de la sécurité nationale en 2011 ne sont pas claires
et n’ont pas fait l’objet d’enquêtes effectives.
208. M. Afgan Mukhtarli se plaignait d’avoir été agressé par des
membres des forces de l’ordre en janvier 2009 alors qu’il couvrait,
en reportage pour Yeni Musavat,
un rassemblement devant l’ambassade d’Israël. Les poursuites ont
été abandonnées par le procureur faute de preuves et cette affaire
est maintenant en instance devant la Cour européenne des droits
de l’homme.
209. D’après des ONG locales, en février 2009, des agents de la
sécurité nationale de la République autonome du Nakhitchevan auraient
détenu et maltraité le journaliste indépendant Idrak Abbasov
.
210. M. Seymur Haziev, reporter pour Azadliq,
a été détenu et maltraité le 15 mai 2010, alors qu’il participait à
un rassemblement où les manifestants appelaient à la levée des restrictions
à la liberté de réunion. Il a porté plainte mais l’enquête n’a pas
abouti.
211. Plusieurs militants détenus lors des manifestations de mars-avril 2011
et à l’issue de ces dernières se sont plaints de mauvais traitements
durant leur arrestation puis lors de leur garde à vue.
212. A ce jour, aucune enquête effective n’a été menée dans les
affaires portant sur des allégations de mauvais traitement à l’encontre
des personnes suivantes: M. Hasan Karimov, vice-président du parti
du Front populaire, qui a été arrêté à son domicile sans mandat
d’arrêt et détenu dans des conditions mettant en danger sa santé,
ce qui a entraîné son hospitalisation; M. Tazakhan Miramamli, président
de la section de Jalilabad du parti du Front populaire, qui a été
frappé par la police le 2 avril 2011 au cours de son arrestation
et de sa garde à vue; M. Tural Abbasli, qui a été arrêté le 2 avril 2011,
n’a pas été autorisé à voir son avocat pendant les deux premiers
jours de sa détention et dit avoir été frappé; M. Bakhtiyar Hajiyev,
militant de l’opposition, qui a été détenu et accusé de s’être soustrait
au service militaire le 4 mars 2011, peu après avoir appelé à une manifestation
en ligne. Il aurait été menacé et frappé durant sa garde à vue.
Le 4 juin 2012, un tribunal a accordé à M. Bakhtiyar Hajiyev une
libération conditionnelle neuf mois avant le terme de sa peine de
deux ans. Toutefois, aucune enquête effective n’a été menée sur
les allégations de mauvais traitements, qui demeurent
.
213. Plus récemment, en décembre 2011, des actes de torture ont
été signalés au Nakhichevan à l’encontre du défenseur des droits
de l’homme, M. Zeynal Bagirzade; en mars 2012, on a appris que de
fortes pressions étaient exercées sur M. Zaur Guliyev, rédacteur
en chef de la société de radiodiffusion régionale «Khayal», et l’un
de ses employés, M. Vugar Gonagov.
214. Lors de notre visite en juin 2012, nous avons rencontré M. Ogtay
Gulaliyev, journaliste et coordinateur de Kur Civil Society, une
organisation non gouvernementale qui défend les droits des résidents
touchés par les inondations de mai 2010. Nous notons avec satisfaction
qu’il a été libéré après avoir été détenu pendant deux mois, depuis
avril 2012. Il dit avoir été victime de mauvais traitements durant
cette période et a signalé des abus de la part de la police. Les
poursuites engagées à son encontre n’ont pas été abandonnées.
215. Ces allégations de mauvais traitements, tout comme le climat
d’impunité, sont confirmés par plusieurs arrêts de la Cour européenne
des droits de l’homme. Ces dernières années, la Cour a plusieurs
fois déclaré l’Azerbaïdjan coupable de violations des articles 2
(droit à la vie) et 3 (interdiction des traitements inhumains ou
dégradants) de la Convention
.
216. En 2007, M. Jalaloglu a obtenu gain de cause dans l’affaire
portant sur les actes de torture dont il a été victime en prison
en 2003, mais personne n’a été sanctionné à ce jour, bien que l’identité
d’un des auteurs des faits soit connue.
217. Dans l’affaire
Hummatov c. Azerbaïdjan,
la Cour a conclu que l’absence de prise en charge médicale adéquate
de la tuberculose et l’absence de recours effectif constituaient
une violation des articles 3 et 13 respectivement
.
218. Il est préoccupant de constater qu’aucun de ces arrêts n’a
pour l’instant donné lieu à des poursuites à l’encontre de membres
des forces de l’ordre.
219. Cela dit, un nombre bien plus important encore d’affaires
sont toujours en instance devant la Cour. Ainsi, M. Emin Huseynov,
journaliste et directeur de l’IRFS, a été détenu en juin 2008 et
aurait subi des mauvais traitements en garde à vue. La police a
abandonné l’enquête et la Cour européenne des droits de l’homme
a été saisie de l’affaire. Nous avons rencontré M. Huseynov à plusieurs
reprises et avons entendu sa version des faits.
220. Le rapport le plus récent du CPT sur l’Azerbaïdjan a été publié
en 2008. Il fait également état de cas de mauvais traitements en
prison. A cet égard, nous saluons le Programme national d'action
approuvé par le Président azerbaïdjanais le 27 décembre 2011, qui
renforce la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Ce programme définit des mesures renforcées pour que soient instruites
les affaires de violation des droits de l'homme concernant des détenus,
y compris les cas de torture, de mauvais traitements et de sévices.
Il prévoit également l'adoption d'une nouvelle loi relative aux
droits des personnes qui sont arrêtées, ainsi que des formations
pour les juges et les représentants des forces de l'ordre.
221. La violence à l’égard des journalistes couvrant divers événements
est une autre source de préoccupation. M. Elmin Badalov, reporter
de
Yeni Musavat, et un autre
reporter, M. Anar Gerayli, affirment avoir été agressés par la police
le 28 juillet 2010 alors qu’ils prenaient des photos pour un article
d’investigation sur des villas de luxe dans la périphérie de Bakou.
Ils ont porté plainte
.
222. Le 2 avril 2011, plusieurs journalistes qui couvraient les
manifestations contre le gouvernement ont été empêchés, par des
représentants des forces de l’ordre, de photographier et d’interviewer
les participants puis ont été placés en détention
.
223. Certains journalistes azerbaïdjanais, qui suivaient la démolition
de logements à Bakou, ont été victimes d’agressions. Par exemple,
M. Idrak Abbasov, lauréat 2012 du prix du journalisme Index-Guardian,
a été frappé le 18 avril 2012 alors qu’il filmait une démolition
en périphérie de Bakou. MM. Etimad Budagov et Nushaba Fatullayeva,
respectivement photographe et reporter de l’agence d’information
Turan, ont été agressés alors qu’ils filmaient une autre démolition
à Bakou
.
7.3. Liberté d’expression
224. La liberté d’expression soulève
des préoccupations en Azerbaïdjan. La situation, telle que décrite
par les organisations de la société civile et l’opposition extraparlementaire,
se caractérise par une mainmise de l’Etat sur les médias, un manque
de diversité de la presse écrite, une pénalisation de la diffamation
et des pratiques d’intimidation à l’encontre des journalistes critiques,
aggravées par l’impunité des auteurs de ces actes.
225. Des organismes de surveillance nationaux et internationaux,
parmi lesquels Reporters sans Frontières, le Comité pour la protection
des journalistes, Amnesty International, Human Rights Watch et la
Human Rights House Foundation, nous ont fourni des informations
très inquiétantes faisant état de violations de la liberté d’expression.
226. En outre, de graves préoccupations au sujet de la liberté
d’expression ont été soulevées par le Commissaire aux droits de
l’homme du Conseil de l’Europe dans son rapport de 2010 sur l’Azerbaïdjan
et ses observations sur la situation des droits de l’homme en 2011,
ainsi que par le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias
et le Parlement européen
.
227. L’Azerbaïdjan occupe la 162e place
sur 173 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse de
Reporters sans Frontières. C’est le pire résultat de tous les Etats
membres du Conseil de l’Europe. L’Azerbaïdjan arrive derrière des
pays comme l’Arabie Saoudite ou l’Ouzbékistan.
228. On observe un manque flagrant de diversité dans les médias.
Il ressort de l’étude des chaînes de télévision nationales du pays
(deux chaînes d’Etat, une chaîne publique et cinq chaînes privées)
menée dans le cadre du projet «Free Airways» financé par la Commission
européenne que la télévision est utilisée comme plateforme de propagande
gouvernementale et qu’il y a une absence totale d’opinions critiques
.
En outre, bon nombre d’hommes politiques de l’opposition et de défenseurs
de droits de l’homme ne bénéficient ni d’un temps d’antenne, ni
d’une couverture de leurs activités suffisants.
229. Lors de son adhésion, l’Azerbaïdjan s’est engagé à «transformer
la chaîne nationale de télévision en chaîne publique, gérée par
un conseil d’administration indépendant». La deuxième chaîne de
télévision d’Etat (AzTV2) a juridiquement été transformée en un
service public de radiodiffusion en 2005. Toutefois, la première chaîne
de télévision d’Etat (AzTV1) reste sous contrôle de l’Etat et continue
de fonctionner avec un budget accru, en dépit des demandes répétées
du Conseil de l’Europe, du représentant de l’OSCE pour la liberté
des médias et du OSCE/BIDDH de remédier à cette situation. En 2007,
des experts du Conseil de l’Europe ont formulé des recommandations
en vue d’introduire dans la législation des garanties permettant
d’assurer l’indépendance des médias, mais la loi sur la radio et
la télévision d’Azerbaïdjan n’a pas été modifiée pour l’instant.
230. En outre, en 2008, le gouvernement a interdit à trois stations
de radio étrangères – Radio Liberty, BBC et VOA – de diffuser via
des fréquences locales. Ces stations étaient très appréciées par
la population.
231. En Azerbaïdjan, le marché de la publicité est très limité
en volume. Il y a toutefois quelques journaux nationaux, et notamment
deux journaux d’opposition, Azadliq et Yeni Musavat, qui conservent leur indépendance
éditoriale mais ne sont diffusés qu’à 25 000 exemplaires dans un
pays comptant plus de neuf millions d’habitants.
232. Dans ce contexte, Internet et les médias sociaux sont devenus
une tribune importante pour l’expression de points de vue critiques
et d’opposition. Bien que les médias électroniques soient considérés
comme étant largement à l’abri de toute censure directe en Azerbaïdjan,
les autorités en surveillent le contenu et prennent quelquefois
des mesures à l’encontre de ceux qui expriment des points de vue
critiques (voir ci-après).
233. Le cadre législatif relatif à la liberté d’expression pose
également problème. L’Assemblée parlementaire, le représentant de
l’OSCE pour la liberté des médias et le Commissaire aux droits de
l’homme ont appelé à plusieurs reprises les autorités à supprimer
les articles 147 (diffamation) et 148 (injure) du Code pénal, qui prévoient
des peines allant jusqu’à trois ans et six mois d’emprisonnement
respectivement. La Cour européenne des droits de l’homme a rendu
plusieurs arrêts condamnant le placement en détention pour diffamation
.
La dépénalisation de la diffamation est une mesure essentielle pour
la protection de la liberté d’expression.
234. Le ministère de la Justice a adressé des avertissements à
l’Institut pour la liberté et la sécurité des reporters
ainsi qu’au centre
de ressources pour le développement des ONG et de la démocratie
basé au Nakhitchevan, évoquant la diffusion d’informations «biaisées»
via le lien
www.nakhchivan.org.az en février 2012.
235. Ces dernières années, des journalistes, y compris M. Eynulla
Fatullayev, ont été condamnés en vertu des dispositions relatives
à la diffamation et cette pratique se poursuit. La diffamation étant
considérée comme une infraction pénale en Azerbaïdjan, les autorités
se servent de ce motif contre les journalistes d’opposition, pour
faire taire les critiques. Un exemple particulièrement probant à
cet égard est le cas de M. Eyyub Karimov, rédacteur en chef de Femida
OO7, qui a été condamné à 18 mois de redressement par le travail
et à une amende à la suite d’accusations portées contre lui par
le ministre de l’Intérieur concernant certains articles critiques
publiés dans les journaux
.
236. Rien qu’au premier semestre 2011, il y a eu sept affaires
de diffamation contre des journalistes, dont deux ont abouti à une
incarcération
.
237. Le programme d’action national visant à accroître la protection
des droits de l’homme et des libertés en République d’Azerbaïdjan
prévoyait l’adoption en 2012 d’une nouvelle loi visant à dépénaliser
la diffamation Au cours de notre dernière visite en novembre 2012,
nous avons appris que les autorités azerbaïdjanaises avaient demandé,
en septembre 2012, l’assistance de la Commission de Venise pour
élaborer la nouvelle loi sur la diffamation.
238. Les lois relatives à la protection des données et à l’accès
à l’information ont été modifiées dernièrement. Les amendements
introduits récemment à la loi sur l’obtention d’informations n’obligent
guère les organes de l’Etat à répondre aux demandes d’information
du public et restreignent considérablement la liberté d’information
des citoyens azerbaïdjanais.
239. Dans son rapport sur l’Azerbaïdjan, le Commissaire aux droits
de l’homme attirait l’attention sur l’existence d’une «liste noire
de journaux racketteurs», publiée par le Conseil de la presse azerbaïdjanais
et contenant
les noms de 90 journaux qui n’auraient pas respecté les règles de
déontologie du journalisme et auraient eu recours au chantage. Tout
en reconnaissant la nécessité d’assurer le professionnalisme des journalistes,
le Commissaire se montrait particulièrement réservé quant à cette
façon de procéder, qui risquait de donner lieu à des décisions partiales
et arbitraires. Nous avons été informés que la tenue d’une telle
«liste noire de journaux racketteurs» par le Conseil de la presse
azerbaïdjanais avait des aspects positifs. En effet, un journal
peut être placé sur la liste s’il reçoit plusieurs avertissements
à l’issue de procédures d’examen de plaintes menées par le Conseil.
Cette liste noire n’a aucune force juridique mais, constituant une
forme de blâme, elle permet de faire connaître au public les journaux
qui ne respectent pas le code de conduite des journalistes.
240. Nous avons reçu des informations inquiétantes concernant le
recours à des chefs d’accusation fabriqués de toutes pièces pour
arrêter des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme,
des candidats aux élections législatives et des militants. L’une
des recommandations du rapport de 2010 du Commissaire aux droits
de l’homme du Conseil de l’Europe était de mettre un terme aux pratiques
consistant à engager des poursuites pénales injustifiées ou sélectives
contre des journalistes ou d’autres personnes pouvant exprimer des
opinions critiques.
241. Cette pratique peut être illustrée par l’exemple de M. Eynulla
Fatullayev, accusé en 2009 de possession de drogues alors qu’il
était en prison pour diffamation. Il a été libéré par grâce présidentielle
en 2011. Les cas des deux militants «blogueurs» de Bakou, M. Emin
(Milli) Abdulayev et M. Adnan Hajizadeh, condamnés en 2010 pour
hooliganisme et libérés en 2011, sont similaires.
242. Parmi les exemples les plus récents, on peut évoquer la situation
de M. Avaz Zeynalli, rédacteur en chef de Khural,
qui a été arrêté en octobre 2011 pour avoir accepté des pots-de-vin.
Il se défend en expliquant que la personne qui l’accuse aujourd’hui
lui avait en fait proposé des pots-de-vin en échange de son silence,
mais qu’il avait refusé ces derniers. Reporters sans Frontières,
qui suit cette affaire, ainsi que d’autres organismes de surveillance
internationaux, estiment que les chefs d’accusation à l’encontre
de M. Zeynalli ont été fabriqués de toutes pièces.
243. En novembre 2011, M. Taleh Khasmammadov, blogueur et défenseur
des droits de l’homme, a été accusé de hooliganisme et d’agression
physique contre un fonctionnaire, mais il affirme avoir été poursuivi
en raison de son blog consacré aux actions menées dans le domaine
des droits de l’homme.
244. Le blogueur et militant de la société civile, M. Bakhtiyar
Hajiyev, qui a été mis en liberté conditionnelle le 4 juin 2012,
avait été condamné en mai 2011 à une peine d’emprisonnement de deux
ans pour s’être soustrait au service militaire, après avoir participé
à l’organisation des manifestations de mars 2011 via Facebook. Le
moment choisi pour son arrestation et les accusations portées contre
lui semblent être révélateurs d’une tentative de le faire abandonner
ses activités critiques à l’égard du gouvernement. En outre, sa
condamnation a trait à l’un des engagements de l’Azerbaïdjan, à
savoir la mise en place d’une solution alternative au service militaire,
garantie à l’article 76 de la Constitution. On notera à ce propos
que la loi sur le service de remplacement n’a pas encore été adoptée
(voir ci-après).
245. En mai 2011, M. Jabbar Savalan, membre de l’Association des
jeunes du parti du Front populaire d’Azerbaïdjan, a été condamné
à deux ans et demi de prison pour détention de stupéfiants. Peu
avant cela, il avait publié plusieurs commentaires critiques à l’égard
des autorités et appelé à des manifestations sur des réseaux sociaux.
Des organisations nationales et internationales de la société civile
ont exprimé leur préoccupation face à ce qu’elles considèrent comme
des chefs d’accusation fabriqués de toutes pièces. M. Jabbar Savalan
a été libéré par grâce présidentielle en décembre 2011.
246. En août 2011, M. Vidadi Iskenderov, candidat aux élections
législatives de 2010, a été condamné à trois ans de prison pour
ingérence dans le processus électoral. Il avait auparavant dénoncé
des fraudes dans le déroulement de ces élections.
247. D’après la Human Rights House Foundation, au 4 juin 2012,
sept journalistes étaient en prison en Azerbaïdjan. Les défenseurs
des droits de l’homme et les militants politiques et de la société
civile sont confrontés à des problèmes similaires lorsqu’ils émettent
des critiques à l’encontre des autorités. Toujours d’après la Human
Rights House Foundation, à la même date, quatre défenseurs des droits
de l’homme étaient en prison
.
248. Lors de notre visite en Azerbaïdjan le 12 juin 2012, M. Mehman
Huseynov, photojournaliste et blogueur, a été arrêté et accusé d’agression
physique contre des policiers lors d’un rassemblement non autorisé
contre le gouvernement, organisé en marge du concours Eurovision
de la chanson qui a eu lieu à Bakou en mai 2012. Il a été libéré
après quelques heures mais les poursuites n’ont pas été abandonnées.
Nous nous sommes entretenus avec son frère, M. Emin Huseynov, directeur
de l’Institut pour la liberté et la sécurité des reporters, qui
estime que faire pression sur un photojournaliste revient à faire
pression sur tous les participants à la campagne «Chanter pour la
démocratie».
249. Ces dernières années, les personnes placées en détention pour
des raisons liées à l’exercice de leur droit à la liberté d’expression
ont souvent été libérées avant la fin de leur peine d’emprisonnement
(tel a été le cas de M. Eynulla Fatullayev fin mai 2011, et des
blogueurs Adnan Hajizade et Emin Milli). Cependant, tous ces anciens
détenus conservent un casier judiciaire, ce qui constitue un handicap
manifeste pour leur vie future.
250. Les accusations fallacieuses et l’incarcération ne sont pas
les seules menaces qui pèsent sur les journalistes qui enquêtent
sur les violations des droits de l’homme et les signalent: ils sont
aussi quelquefois victimes d’agressions. Selon le rapport 2012 de
Human Rights World sur l’Azerbaïdjan, il y aurait eu en 2011 plus
de 50 cas signalés de harcèlement ou d’agression contre des journalistes.
Dans la grande majorité des cas, les auteurs de ces actes n’ont
pas été traduits en justice.
251. L’assassinat du rédacteur du magazine Monitor,
M. Elmar Huseynov, en 2005, et l’agression fatale contre le journaliste
et écrivain Rafiq Tagi en 2011 restent non résolus et les enquêtes
en cours n’ont pas abouti.
252. M. Seymur Haziyev, journaliste au journal d’opposition Azadliq, aurait été frappé le 26 mars 2011.
A ses dires, ses agresseurs l’auraient mis en garde contre la rédaction
d’articles critiques. Son dossier a récemment été renvoyé par la
Cour d’appel pour un complément d’enquête. Nous avons demandé instamment
aux autorités de faire la lumière sur cette affaire.
253. M. Agil Khalil, correspondant d’investigation d’Azadliq, a été victime de plusieurs
agressions, dont une à l’arme blanche. Bien qu’il ait signalé à
la police locale les menaces de mort dont il avait fait l’objet,
aucune mesure de protection n’a été prise à son égard.
254. Le 3 avril 2011, un autre journaliste d’Azadliq,
M. Ramin Deko, aurait été agressé physiquement et mis en garde contre
la rédaction d’articles critiques.
255. D’après les documents de Human Rights Watch, les cas de harcèlement,
d’agressions, d’intimidation et de menaces à l’encontre de journalistes
azerbaïdjanais se sont multipliés ces dernières années. Dans la
quasi-totalité des affaires consignées par Human Rights Watch, les
journalistes ont porté plainte, mais il n’y a pas eu d’enquêtes
effectives ayant donné lieu à des poursuites à l’encontre des auteurs
de ces actes
.
256. Le 7 mars 2012, la journaliste d’investigation de Radio Free
Europe, Mme Khadija Ismailova, qui enquêtait sur des plaintes concernant
un éventuel conflit d’intérêts dans un projet de construction lucratif
dans la ville de Bakou, a reçu des photographies prises en caméra
cachée dans son appartement, la montrant dans son intimité, accompagnées
d’une lettre la menaçant d’une publication des clichés sur internet
si elle ne mettait pas un terme à son enquête. La journaliste a
dénoncé publiquement cette tentative de chantage. Cela a entraîné
la publication de la vidéo – un acte que les autorités ont ouvertement
condamné. D’après les informations reçues, le Bureau du Procureur
général a ouvert une enquête judiciaire pour faire suite à la plainte de
Mme Ismailova. L’instruction est en cours. A ce jour, personne n’a
encore été traduit en justice.
7.4. Liberté de réunion
257. Depuis le début de l’année
2006, les pouvoirs locaux de Bakou interdisent systématiquement
les rassemblements publics dans le centre-ville au motif qu’ils
dérangeraient la population. Les événements de ce type doivent par
conséquent se tenir dans des zones officiellement désignées à cet
effet, éloignées du centre-ville et donc de la vie urbaine. Les
manifestations qui se déroulent sans autorisation préalable sont
souvent dispersées par la force et mènent à des arrestations, voire
dans certains cas à des peines de détention administrative ou d’emprisonnement
excessivement sévères.
258. La liberté de réunion a été gravement bafouée en 2011, notamment
en mars et en avril, avec le placement en détention de près de 200 personnes,
parmi lesquelles le chef de l’organisation des jeunes du parti Musavat,
M. Tural Abbasli, à la suite de manifestations non autorisées dans
le centre de Bakou. D’après les militants, les manifestations ont
parfois été dispersées par un recours excessif à la force et le
travail des journalistes a été entravé. Selon les autorités, 13 policiers
ont été blessés, plus de 20 véhicules ont été endommagés et les
vitrines de 17 magasins et établissements bancaires ont été brisées
par les manifestants. Des enregistrements vidéo confirment dans
une certaine mesure les allégations de part et d’autre.
259. Les tribunaux azerbaïdjanais ont condamné au moins 30 personnes
à des peines d’emprisonnement allant de cinq à huit jours de prison
dans le cadre de procès à huis clos. En outre, la plupart des prévenus
n’ont pas eu le droit de contacter leurs avocats. Quatorze personnes
ont été condamnées à des peines d’un an et demi à trois ans de prison
pour avoir participé à des «actions portant atteinte à l’ordre public»,
à la suite de procès dont la conformité avec les normes des droits
de l’homme a été mis en cause par des ONG et des défenseurs des
droits de l’homme.
260. Comme nous l’avons déjà mentionné, au cours de notre visite
en février 2012, nous avons rendu visite en prison à deux militants
du parti Musavat et du parti du Front populaire condamnés respectivement
à deux et trois ans d’emprisonnement pour vandalisme. Ils nous ont
décrit les circonstances de leur détention, confirmant ainsi les
craintes de la société civile nationale et internationale.
261. A ce jour, aucun participant à ces manifestations n’est plus
en détention. Lors de nos deux dernières visites, nous avions demandé
instamment que toutes les personnes soient libérées sans délai par
tous les moyens légaux possibles.
262. En mars 2012, la police de Bakou a employé la force pour disperser
une manifestation non autorisée mais pacifique dans le centre-ville.
Quatre jeunes militants ont été frappés et 14 manifestants ainsi
qu’un journaliste couvrant l’événement ont été arrêtés.
263. Egalement en mars 2012, à Guba près de 1 000 personnes sont
descendues dans la rue pour demander la démission du chef du pouvoir
exécutif local. Cette manifestation pacifique a été dispersée brutalement
par les forces anti-émeutes. Au moins deux journalistes ont été
grièvement blessés
.
264. Des manifestations non autorisées à proximité du lieu où se
tenait le Concours Eurovision de la chanson ont également été dispersées.
265. Dans tous les cas précités, les organisateurs n’ont pas eu
le droit de manifester au centre de Bakou; les autorités leur ont
proposé des sites de substitution en périphérie de la ville. Le
Commissaire aux droits de l’homme a publiquement dénoncé cette méthode
de restriction de la liberté de réunion. La jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme
indique
qu’un tel refus de la part des autorités constitue une violation
de l’article 11 de la convention.
266. Il est inquiétant de voir que le parlement a récemment adopté
des modifications au Code pénal et au Code administratif, qui visent
à alourdir les peines infligées aux participants et aux organisateurs
de manifestations non autorisées. Il est probable que ces modifications,
conjuguées à l’interdiction générale et continue des rassemblements
à Bakou, vont encore restreindre les libertés de réunion et d’expression.
Lors de nos entretiens avec les autorités, nous avons insisté sur
la nécessité de trouver une solution de compromis avec les organisateurs
de manifestations et de désigner un lieu, à Bakou, susceptible de
leur convenir et, en même temps, de répondre aux exigences de sécurité.
267. Le OSCE/BIDDH et la Commission de Venise ont publié conjointement
des lignes directrices relatives à la liberté de réunion pacifique
(Guidelines on Freedom of Peaceful Assembly),
dont les législateurs et les autorités devraient s’inspirer.
7.5. Liberté d’association
268. Selon les autorités, plus de
2 700 ONG sont enregistrées en Azerbaïdjan. La grande majorité d’entre elles
regroupent des personnes qui partagent les mêmes intérêts et s’efforcent
de les promouvoir (par exemple personnes âgées, femmes, vétérans
de guerre, PDI, etc.).
269. Le gouvernement encourage le militantisme civil dans certains
domaines et reçoit à cette fin le soutien de la communauté internationale,
notamment du Conseil de l’Europe et de l’OSCE dans le cadre de programmes
de coopération. Lorsque nous étions à Guba, nous avons rencontré
le représentant d’une association chargée d’aider les ONG locales
à mener leurs activités. Cette action est financée pour partie par le
gouvernement et pour partie par les projets d’ONG internationales.
270. Toutefois, les ONG œuvrant dans le domaine des droits de l’homme
et des libertés, en particulier celles qui critiquent ouvertement
le gouvernement, rencontrent quelques problèmes.
271. La question de l’enregistrement des organisations non gouvernementales
demeure problématique. Les modifications de la loi relative aux
ONG adoptées le 9 juin 2009 ont instauré un certain nombre de dispositions restrictives
concernant les ONG internationales, notamment celle interdisant
aux ONG étrangères d’exercer leurs activités à moins que celles-ci
ne reposent sur un accord international officiel. La procédure à
suivre pour conclure ce type d’accord, qui a été annoncée par le
gouvernement dans un décret publié le 16 mars 2011 seulement, n’est
pas claire.
272. Pourtant, le 10 mars 2011, l’antenne azerbaïdjanaise de la
fondation Human Rights House a été fermée à la suite d’une notification
émanant du service de l’immatriculation du ministère de la Justice,
selon laquelle la fondation n’avait pas conclu d’accord avec le
ministère, comme l’exigeaient les modifications apportées à la loi
relative aux ONG. Cette organisation a récemment choisi un coordinateur
local et poursuit ses activités dans le pays. Par ailleurs, une
autre ONG internationale présente en Azerbaïdjan depuis le milieu
des années 1990, le National Democratic Institute, a été fermée.
273. Le décret précité dispose, en outre, que les organisations
internationales doivent respecter les «valeurs nationales et morales»
et ne pas s’engager dans la «propagande politique ou religieuse»,
des motifs qui peuvent toujours servir de prétexte pour ne pas enregistrer
une ONG. Ces termes sont trop vagues et peuvent faire l’objet d’interprétations
erronées.
274. Les ONG nationales rencontrent, elles aussi, des difficultés
à exercer leurs activités
.
Bien que la réglementation nationale azerbaïdjanaise n’instaure
pas expressément une obligation d’enregistrement des ONG locales,
ces dernières doivent être enregistrées pour acquérir le statut
de personne morale nécessaire à leur fonctionnement. Par conséquent,
dans la plupart des cas, les ONG présentent une demande d’enregistrement
au ministère de la Justice. Cela dit, elles font quelquefois l’objet
d’une application restrictive de la réglementation, qui aboutit
à de longs délais d’attente ou à l’absence de réponse formelle aux
demandes d’enregistrement. Dans plusieurs cas, les refus d’enregistrement
ne précisaient pas la base juridique sur laquelle reposait la décision
négative. D’après l’ONG «Human Rights Home Foundation» basée en
Norvège, l’EMDEC (Election Monitoring and Democracy Education Centre),
ONG bien connue, s’est retrouvé dans cette situation
.
275. Le 3 octobre 2011, la Conférence des Organisations internationales
non-gouvernementales du Conseil de l'Europe a dénoncé les modifications
apportées à la loi relative aux ONG et adopté une recommandation dans
laquelle elle invitait les autorités azerbaïdjanaises à réviser
cette loi.
276. Dans un avis juridique rendu en octobre 2011, la Commission
de Venise recensait un certain nombre de problèmes concernant essentiellement
la procédure d’enregistrement. Elle estimait que les modifications apportées
en 2009 et le décret de 2011 constituaient un retour en arrière
par rapport aux efforts entrepris précédemment pour se conformer
aux normes internationales.
277. Enfin, depuis plusieurs mois, certaines ONG nationales et
internationales rencontrent des difficultés pour exercer leurs activités
en toute liberté. Il y a eu des signalements de menaces et d’actes
de harcèlement contre des membres de la société civile, et notamment
des défenseurs des droits de l’homme et leurs familles. Les problèmes
évoqués dans le précédent chapitre sur la liberté d’expression sont
directement liés aux activités de la société civile en Azerbaïdjan.
7.6. Démolition de logements
278. La mairie de Bakou a lancé
en 2009 une campagne d’expropriation en vue de la construction d’un complexe
«parc-jardins» parmi d’autres projets architecturaux, dans le cadre
d’un programme de reconstruction. Les habitants qui ont refusé d’être
dédommagés ou relogés ont été expulsés. Selon les autorités, certains
d’entre eux se sont plaints du montant de la compensation financière,
mais une large majorité a accepté la proposition standard.
279. Au cours de nos réunions avec les représentants de la société
civile, des critiques ont été exprimées à ce propos. Les problèmes
sont multiples: tout d’abord, l’ensemble du processus manque de
transparence. La planification à long terme ne fait pas l’objet
d’une communication publique suffisante, il n’y a pas d’accès public à
la documentation, la procédure et la prise de décisions sont peu
clairs et le préavis au terme duquel les habitants sont tenus de
quitter leur logement est parfois très court. Nous avons été informés
qu’à aucune des audiences dans lesquelles les résidents ont contesté
la démolition de leurs logements devant les tribunaux, les autorités
de la ville de Bakou n’ont présenté de programme de développement
urbain.
280. Deuxièmement, les expulsions forcées sont contraires à la
législation azerbaïdjanaise en vigueur, qui garantit le droit à
la propriété privée et n’autorise les expropriations que dans des
cas limités, notamment pour des questions de défense nationale ou
pour les besoins de l’Etat
.
Les expropriations doivent en outre reposer sur une ordonnance d’un
tribunal
. De nombreuses démolitions
ont eu lieu sans ordonnance de ce type voire, dans certains cas,
en dépit de décisions de justice interdisant la démolition avant
la fin de la procédure judiciaire.
281. Troisièmement, une compensation financière unique de 1 900 dollars
par mètre carré a été définie, indépendamment de l’usage, de l’âge
ou de l’état des habitations. Les autorités nous ont expliqué que
les logements à détruire étaient, pour la plupart, anciens et délabrés.
Par ailleurs, il est apparu clairement au cours des discussions
que les prix de 5 000 dollars par mètre carré évoqués ne concernaient
que des appartements bien situés dans des immeubles construits récemment.
Les habitants n’ont pas obtenu de dédommagement pour les terrains
sur lesquels leurs maisons étaient construites, contrairement aux
dispositions de la loi en vigueur.
282. En outre, à ce jour, 30 maisons qui avaient été classées parmi
les bâtiments présentant un intérêt architectural par la décision
n° 132 (2001) du gouvernement ont été démolies
. Leurs propriétaires ont
obtenu la même indemnisation standard.
283. De nombreux éléments, y compris des enregistrements vidéo,
montrent que la police a participé activement aux expulsions forcées
.
284. Le 12 août 2011, le bâtiment qui abritait plusieurs organisations
de droits de l’homme, dont le renommé Institut pour la paix et la
démocratie, a été rasé au bulldozer. Nous nous sommes entretenus
avec la directrice de l’institut, Mme Leyla Yunus, défenseur des
droits de l’homme qui se bat depuis longtemps contre les expulsions
forcées. Nous avons appris que le personnel de l’institut n’avait
pas été autorisé à évacuer le matériel (ordinateurs, etc.). Mme
Yunus a estimé la valeur de marché de son immeuble à 625 000 dollars,
alors que les autorités considéraient que la superficie totale de
son appartement et du bureau de son institut n’était que de 85 m2,
soit une demande de plus de 7 300 dollars par mètre carré. Mme Yunus
affirme en outre n’avoir reçu aucun préavis d’expulsion. Après avoir
engagé une action en justice contre la ville en février 2011, elle
a obtenu en mai une décision d’un tribunal de commerce local ordonnant
la suspension de tous les travaux de démolition jusqu’à la fin de
la procédure. Autrement dit, l’expulsion forcée enfreignait la décision
du tribunal. Toutefois, Mme Yunus n’a pas encore poursuivi son action
au civil.
7.7. Liberté de conscience et
de religion
285. D’après les chiffres officiels,
97 % de la population azerbaïdjanaise (qui compte 9 millions de
personnes) est musulmane. Le reste de la population se compose principalement
d’orthodoxes russes, d’orthodoxes arméniens, d’autres groupes chrétiens,
de Juifs et de non-croyants.
286. La Constitution de l’Azerbaïdjan garantit la liberté religieuse.
Toutefois, d’autres lois et politiques d’application soulèvent des
préoccupations en ce qu’elles sont pourraient restreindre la liberté
de conscience et de religion.
287. Certaines conditions déjà restrictives pour les communautés
religieuses ont été renforcées par l’adoption, en mai 2009, d’amendements
à la loi sur la liberté de religion obligeant les communautés religieuses
à se réenregistrer pour pouvoir poursuivre leurs activités. Par
ailleurs, des amendes plus élevées peuvent désormais être imposées
aux étrangers ou aux apatrides qui font de la propagande religieuse,
ainsi qu’aux personnes qui pratiquent leurs rites à toute adresse
autre que celle enregistrée par leur communauté religieuse, qui
publient, importent ou exportent des ouvrages religieux sans avoir
obtenu au préalable l’autorisation du Comité d’Etat chargé des relations
avec les organisations religieuses, qui diffusent des ouvrages religieux
sans autorisation, qui vendent des ouvrages religieux en dehors
des lieux autorisés ou qui s’engagent dans des activités de prosélytisme
non prévues par les statuts de leur communauté religieuse.
288. Dans son rapport le plus récent sur l’Azerbaïdjan, l’ECRI
s’est déclarée vivement préoccupée par cette situation, soulignant
qu’elle n’était pas en conformité avec la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme et, plus particulièrement, avec
la jurisprudence concernant la pratique d’activités religieuses
en privé et les restrictions préalables à la publication, ainsi
que sur la distinction faite par la Cour entre, d’une part, le témoignage
religieux et, d’autre part, le prosélytisme abusif.
289. Certains groupes n’ont eu aucun mal à se conformer à l’obligation
de réenregistrement de tous les groupes religieux indépendamment
de leur statut antérieur, entrée en vigueur en 2010. Néanmoins,
d’autres groupes se sont vu refuser l’enregistrement et se retrouvent
dans une situation incertaine. Tel est le cas en particulier de
certaines communautés de Témoins de Jéhovah, de Baptistes, d’Adventistes
du septième jour, de la mosquée Fatima Zahra, du Baku International
Fellowship, de l’Eglise baptiste d’Aliabad et de l’église Cathedral
of Praise, de l’église Nehemiah et de l’église Pentecôtiste.
290. D’après les chiffres fournis par le ministère de la Justice,
avant l’entrée en vigueur des amendements de 2010, il y avait 534 communautés
religieuses enregistrées.
291. A la date de décembre 2010, le Comité d’Etat a indiqué qu’un
total de 576 communautés religieuses avaient été enregistrées, parmi
lesquelles 493 étaient musulmanes, 9 chrétiennes, 6 juives, 1 Hare
Krisjna et 1 Baha’I, et 17 non musulmanes. Le processus d’enregistrement
est en cours pour d’autres groupes. Toutefois, certaines communautés
se plaignent d’avoir obtenu des réponses contradictoires, malgré
des tentatives répétées de réenregistrement. Sept groupes ont reçu
une réponse négative. D’après la jurisprudence de la Cour européenne
des droits de l’homme, tout refus de réinscription de communautés
qui existaient déjà dans le pays depuis un certain temps et y exerçaient
leurs activités en toute légalité doit reposer sur des motifs particulièrement
impérieux et solides.
292. Certaines communautés ont contesté la décision négative des
autorités devant les tribunaux.
293. En décembre 2010, le parlement a adopté une loi qui augmentait
considérablement les amendes imposées pour violation des lois sur
les activités religieuses, notamment s’agissant de l’importation
de certains matériels religieux. Aux termes de la précédente loi,
un individu reconnu coupable d’une violation seule (production,
importation ou diffusion d’ouvrages religieux sans autorisation
du Comité d’Etat et «propagande religieuse» par des étrangers) était
passible d’une amende de 100 à 300 manat (environ 105 à 315 euros).
Aux termes de la nouvelle loi, un individu reconnu coupable de la
même violation s’expose à une amende de 1 500 à 2 000 manat (environ
1 580 à 2 100 euros).
294. Les amendements à la législation nationale adoptés courant 2011
ont entraîné un nouveau durcissement des règles à respecter pour
la création d’une communauté religieuse et instauré une obligation de
déclaration au Conseil des musulmans du Caucase et au Comité d’Etat
chargé des relations avec les communautés religieuses, ce qui a
considérablement accru la gravité des sanctions encourues. Des obligations
d’enregistrement contraignantes sont également imposées aux groupes
religieux. L’avis de la Commission de Venise a été adopté en octobre
2012. Nous demandons aux autorités azerbaïdjanaises de s’attaquer
à ces problèmes et de suivre les recommandations figurant dans cet
avis.
295. A notre demande, la commission de suivi a décidé, à sa réunion
du 31 mai 2012, de solliciter l’avis de la Commission de Venise
sur la loi relative à la liberté religieuse.
296. Lors de notre visite en juin 2012, nous avons, il faut le
reconnaître, été marqués par notre rencontre avec les représentants
des principales confessions présentes en Azerbaïdjan (musulmans,
orthodoxes, catholiques et juifs). Selon eux, les conditions d’exercice
du culte sont pleinement satisfaisantes et la coopération entre
les confessions est exemplaire, ce qui confirme le climat de tolérance
religieuse qui règne dans le pays. Ils ont tous insisté sur le fait
qu’ils sont totalement libres de pratiquer leur religion et qu’ils
adhèrent pleinement à la politique des autorités azerbaïdjanaises
en ce qui concerne la liberté de religion. Ils ont invité l’Union européenne
à se focaliser sur cet aspect spécifique de la société azerbaïdjanaise
et à apporter au pays un soutien sans équivoque afin d’encourager
cette politique de tolérance religieuse aux confins de l’Europe.
297. S’il est vrai que les communautés religieuses traditionnelles
ne rencontrent aucun obstacle majeur à l’exercice de leur religion,
nous avons eu connaissance d’informations selon lesquelles les autorités
auraient surveillé et perquisitionné certains services, ou encore
confisqué du matériel religieux à de petits groupes religieux sectaires.
La polémique actuelle concernant l’interdiction officielle du port
du hijab (voile) à l’école et l’incarcération des chefs du parti
islamique d’Azerbaïdjan en 2011 risque d’entraîner une montée de l’extrémisme
religieux dans une société par ailleurs tolérante.
7.8. Service de remplacement
298. Lors de l’adhésion, l’Azerbaïdjan
s’est engagé «à adopter une loi sur un service de remplacement conforme
aux normes européennes dans les deux années suivant son adhésion
et, entre-temps, à amnistier les objecteurs de conscience purgeant
actuellement des peines de prison ou servant dans des bataillons disciplinaires,
en les autorisant (une fois la loi sur le service de remplacement
entrée en vigueur) à choisir de faire leur service militaire dans
des unités non armées ou dans un service civil de remplacement».
299. La Constitution de l’Azerbaïdjan contient une disposition
stipulant expressément que, si le service militaire est contraire
aux convictions d’une personne, une forme alternative du service
militaire peut, dans les cas prévus par la loi, être autorisée au
lieu du service militaire ordinaire (article 76.II). Malheureusement,
la loi correspondante n’a jamais été adoptée.
300. Un projet de loi a été préparé et a fait l’objet d’un avis
de la Commission de Venise en 2006, mais n’a pas été adopté.
301. Les autorités nous ont expliqué au cours de nos visites que
ce retard était dû au conflit non résolu avec l’Arménie à propos
du Haut-Karabakh. Toutefois, au cours de notre visite en juin 2012,
nous avons été heureux d’apprendre que la loi sur le service de
remplacement était en cours de préparation.
302. Nous demandons instamment aux autorités d’adopter sans plus
tarder une loi sur le service civil de remplacement conformément
aux normes du Conseil de l’Europe et, dans l’intervalle, de ne pas
poursuivre ou emprisonner les objecteurs de conscience au service
militaire, mais de leur offrir la possibilité d’accomplir leur devoir
envers la société conformément à leurs convictions.
7.9. Protection des minorités,
xénophobie et intolérance
303. L’Azerbaïdjan est un pays multi-ethnique
et multi-culturel. Les principaux groupes ethniques de la population
sont les Azerbaïdjanais (91,6 %), les Lezguiens (2,02 %), les Arméniens
(1,35 %), les Russes (1,35 %), les Talish (1,26 %), les Avars (0,56
%) et les Turcs (0,43 %). Lors de l’adhésion, l’Azerbaïdjan s’est engagé
à adopter, dans un délai de trois ans suivant son adhésion, «une
loi sur les minorités qui complète les dispositions sur la non-discrimination
contenues dans la Constitution et le Code pénal et qui se substitue
au décret présidentiel sur les minorités nationales».
304. Depuis qu’il a ratifié la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales (STE no 157)
en juin 2000, l’Azerbaïdjan est soumis à la procédure de suivi de
la Convention. Le rapport le plus récent du Comité consultatif date
de 2008. Le rapport étatique le plus récent a été présenté en 2011.
305. Le cadre juridique et institutionnel applicable à la protection
des minorités nationales en Azerbaïdjan est très limité. La loi
sur les minorités, qui constitue l’un des engagements du pays, fait
l’objet d’un débat public depuis plusieurs années mais n’a pas encore
été adoptée pour l’instant et les principales bases législatives
de la politique à l’égard des minorités restent le décret présidentiel
de 1992 sur les droits et libertés des minorités nationales et l’article 45
de la Constitution qui énonce le droit de suivre un enseignement
dispensé dans une langue minoritaire.
306. En outre, il n’y a pas de structure institutionnelle chargée
de traiter spécifiquement et de manière régulière les questions
relatives à la protection des minorités nationales. Il n’existe
pas non plus de mécanisme permettant la consultation et la participation
effective des personnes appartenant aux minorités nationales dans
la prise de décisions sur les sujets qui les concernent.
307. Des efforts ont certes été déployés pour préserver les monuments
culturels des minorités nationales, notamment les établissements
de culte, mais les politiques en faveur des minorités nationales
et des activités de leurs organisations sont rares. En outre, il
n’existe pas de système institutionnel d’attribution d’aides aux organisations
de minorités.
308. Il y a lieu de se féliciter, toutefois, des progrès accomplis
dans le domaine de l’éducation des minorités, et du fait qu’il existe
des écoles où l’intégralité du programme est dispensé en russe ou
en géorgien. Il est également possible d’étudier d’autres langues
minoritaires à l’école primaire dans les régions où résident des minorités.
309. Les personnes appartenant aux minorités nationales sont présentes
dans la vie politique azerbaïdjanaise, y compris au sein d’organes
élus. Toutefois, elles ne disposeraient pas d’un véritable moyen de
défendre les intérêts et d’exprimer les préoccupations des minorités.
7.10. L’institution de l’Ombudsman
310. La loi constitutionnelle sur
le commissaire aux droits de l’homme de la République d’Azerbaïdjan
a été promulguée en 2002. L’ombudsman est élu par le parlement parmi
trois candidats présentés par le président de la République. Depuis
la création de l’institution, ce poste est occupé par Mme Elmira
Suleymanova, que nous avons rencontrée à plusieurs reprises. Le
bureau du commissaire compte quatre centres régionaux.
311. Outre le traitement des requêtes individuelles concernant
des violations de droits de l’homme, le commissaire peut présenter
au parlement des propositions de révision de la législation.
312. L’ordonnance présidentielle de 2009 a désigné le commissaire
comme étant le mécanisme national de prévention de la torture. Le
commissaire est donc autorisé à effectuer régulièrement des visites
dans les lieux de détention, les centres d’isolement, les cellules
d’isolement utilisées durant les enquêtes, les établissements pénitentiaires,
les prisons et les établissements psychiatriques. Il publie des
rapports périodiques contenant ses conclusions
et formule
des propositions pour résoudre les problèmes recensés.
313. Comme mentionné précédemment, le commissaire est également
responsable de la coopération relative à la mise en œuvre du Plan
d’action national de protection des droits de l’homme.