1. Procédure
1. Le 25 janvier 2011, Mme Marietta de Pourbaix-Lundin
(Suède, PPE/DC) et plusieurs de ses collègues ont déposé, par l’intermédiaire
d’une proposition de résolution, une demande d’ouverture d’une procédure
de suivi pour la Hongrie. Dans ladite proposition
, ils faisaient
valoir que le futur cadre constitutionnel et la nouvelle législation
sur les médias portaient atteinte à la prééminence du droit et au
fonctionnement des institutions démocratiques en Hongrie au point
de justifier l’ouverture d’une procédure de suivi par l’Assemblée parlementaire.
Les auteurs de la proposition considéraient que l’ouverture d’une
procédure de suivi était d’autant plus indispensable que les pouvoirs
de la Cour constitutionnelle hongroise en matière de contrôle de la
nouvelle législation et des décisions du gouvernement étaient réduits
et que, selon certaines informations, des fonctionnaires auraient
été limogés en raison de leurs opinions politiques.
2. Le 24 janvier 2011, le Bureau a décidé de tenir un débat d’actualité
sur le fonctionnement de la démocratie en Hongrie. Lors dudit débat,
qui s’est déroulé le 26 janvier 2011, plusieurs membres ont réaffirmé qu’ils
s’inquiétaient du fait que le nouveau cadre constitutionnel soit
mis en œuvre sans les consultations et le consensus requis et qu’il
réduise – voire même supprime – l’indispensable système d’équilibre
entre les différents pouvoirs dans le pays.
3. Aux termes de la
Résolution
1115 (1997), telle que modifiée par la
Résolution 1431 (2005), une demande d’ouverture d’une procédure de suivi –
qui peut émaner, entres autres, d’une proposition de résolution
ou de recommandation déposée par au moins 20 membres de l’Assemblée
représentant au moins six délégations nationales et deux groupes
politiques – est examinée par la commission de suivi qui, après
la désignation de deux corapporteurs et après avoir procédé aux
investigations nécessaires, prépare un avis écrit au Bureau
. L’avis en
question doit contenir un projet de décision d’entamer ou non une
procédure de suivi. Si la commission de suivi et le Bureau de l’Assemblée
conviennent d’ouvrir la procédure de suivi, ou s’ils adoptent des
positions divergentes, l’avis écrit adopté par la commission de
suivi devient un rapport contenant un projet de résolution qui sera
inscrit à l’ordre du jour de la prochaine partie de session de l’Assemblée
pour y être discuté. Si la commission de suivi et le Bureau de l’Assemblée
considèrent d’un commun accord qu’il n’est pas nécessaire d’ouvrir
une procédure de suivi, leur décision est consignée dans le rapport
d’activité du Bureau et de la Commission permanente et doit être
confirmée par un vote de l’Assemblée lors de l’examen du rapport d’activité.
4. Par la suite, le 25 mars 2011, la commission de suivi a nommé
Mme Kerstin Lundgren (Suède, ADLE) et Mme Jana Fischerová (République
tchèque, GDE) corapporteures pour l’avis relatif à la demande d’ouverture
d’une procédure de suivi concernant la Hongrie. Par ailleurs, la
commission a demandé à la Commission européenne pour la démocratie
par le droit (Commission de Venise) qu’elle formule un avis sur la
nouvelle Constitution, qui était alors examinée en dernière lecture
par le Parlement hongrois.
5. Au total, trois visites d’information ont été effectuées pour
produire cet avis. La première a eu lieu du 6 au 8 juillet 2011.
Pendant cette visite, nous avons rencontré, entre autres: le Président
du Parlement hongrois; le Président de la Cour constitutionnelle;
le Président de la Cour suprême; le Vice-Premier ministre et ministre de
la Justice; le Président de la commission de la culture et des médias;
le Vice-président de la commission ad hoc chargée d’élaborer la
nouvelle Constitution; le Président et les membres de la délégation
hongroise auprès de l’Assemblée; des représentants de tous les groupes
du Parlement hongrois; le Président de la nouvelle autorité de surveillance
des télécoms et des médias; le médiateur pour les droits civils;
le Commissaire à la protection des données et à la liberté d’information;
l’ex-représentant spécial de l’Organisation pour la sécurité et
la coopération en Europe (OSCE) pour la liberté des médias; ainsi
que des représentants de la société civile et de la communauté diplomatique
de Hongrie
.
6. Pour obtenir des informations supplémentaires sur les lois
cardinales récemment adoptées, nous avons effectué une deuxième
visite d’information en Hongrie du 16 au 18 février 2012. Pendant
cette visite, nous avons rencontré, entres autres, le Président
du Parlement hongrois, le Vice-Premier ministre et ministre de l’Administration
publique et de la Justice, le Président de la Cour constitutionnelle,
le Président de la Curia, le Président de l’Office national de la
justice nouvellement créé, le Président de la commission électorale
centrale (CEC), le Commissaire parlementaire aux droits fondamentaux,
les dirigeants des groupes politiques représentés au Parlement hongrois,
le Président et les membres de la délégation nationale hongroise
auprès de l’Assemblée, le Président de l’association nationale des
journalistes, le Président de l’association du barreau hongrois
ainsi que des représentants de la société civile et de la communauté
internationale en Hongrie
.
7. La troisième visite d’information a eu lieu du 25 au 27 février
2013. Elle avait pour principal but de clarifier plusieurs points
en suspens, concernant en particulier le projet de quatrième amendement
à la Loi fondamentale récemment déposé, et d’examiner nos principales
conclusions avec les autorités
.
8. La Loi fondamentale de la Hongrie – la Constitution – a été
adoptée le 18 avril 2011 et est entrée en vigueur le 1er janvier
2012. Elle établit le cadre constitutionnel et les principes fondamentaux
régissant l’organisation de la société hongroise, mais délègue la
réglementation et la mise en œuvre détaillées de ces principes constitutionnels
à un grand nombre de lois cardinales dont l’adoption ou la modification
exige un vote à la majorité des deux tiers des députés présents
. L’élaboration de ces lois
cardinales n’a débuté qu’après l’adoption de la Constitution. Pendant
notre visite en juillet 2011, nous avons réalisé qu’il nous serait
impossible d’évaluer le nouveau cadre constitutionnel en place en
Hongrie – et ses répercussions sur le fonctionnement démocratique
et le respect de la prééminence du droit – avant que le Parlement
hongrois ait adopté lesdites lois, ce qui a considérablement rallongé
le délai dans lequel nous avons été en mesure de préparer notre
avis pour la commission. En revanche, cela nous a permis de suivre
plus étroitement les actions de différents acteurs internationaux
dont, en particulier, la Commission européenne, le Parlement européen
et le représentant de l’OSCE à la liberté des médias.
9. La grande majorité des lois cardinales ont été adoptées pour,
voire même le 31 décembre 2011, juste avant l’entrée en vigueur
de la nouvelle Constitution. Plusieurs de ces lois et la manière
dont elles ont été adoptées ont suscité une vive controverse en
Hongrie ainsi qu’à l’étranger. Leur compatibilité avec les normes internationales
a notamment été contestée, ce qui a conduit les autorités hongroises
à demander l’avis de la Commission de Venise sur les lois cardinales
sur:
- le statut juridique et
la rémunération des juges ainsi que sur l’organisation et l’administration
des tribunaux;
- le droit à la liberté de conscience et de religion et
le statut juridique des églises, des confessions et des communautés
religieuses;
- l’élection des membres du parlement.
10. En outre, le 25 janvier 2012, la commission de suivi a décidé
de demander à la Commission de Venise d’émettre des avis sur les
lois cardinales relatives:
- à
la liberté d’information;
- aux questions de nationalité;
- à la Cour constitutionnelle;
- aux services du parquet;
- à la protection de la famille.
11. Les avis sur les lois cardinales relatives au pouvoir judiciaire
et
à la liberté de religion
,
tels que demandés par les autorités, ont été adoptés pendant la
session plénière de la Commission de Venise des 16 et 17 mars 2012.
Ceux concernant les lois cardinales sur les élections
,
les questions de nationalité
,
la Cour constitutionnelle
et
les services du parquet
ont
été adoptés lors de la session plénière de la Commission de Venise
des 15 et 16 juin 2012. En outre, l’avis relatif à la loi sur la
liberté d’information a été adopté pendant la session plénière de
la Commission de Venise des 12 et 13 octobre 2012.
12. Malheureusement, le 20 avril 2012, la Commission de Venise
a refusé notre demande d’avis concernant la loi cardinale sur la
protection de la famille au motif qu’elle ne possédait pas les compétences
requises dans le domaine du droit privé.
13. Le 31 décembre 2011, le Parlement hongrois a adopté les dispositions
transitoires de la Loi fondamentale de Hongrie. Face au grand nombre
de nouvelles dispositions à la validité incertaine et aux doutes
concernant leur nature transitoire, le 13 mars 2012, la commission
de suivi a demandé un avis de la Commission de Venise sur les dispositions
transitoires. Le 29 mars 2012, la Commission de Venise a informé la
Commission que les dispositions transitoires avaient été contestées
devant la Cour constitutionnelle et que de ce fait, elle ne serait
en mesure d’émettre un avis qu’une fois que la Cour constitutionnelle
aurait pris sa décision
. Le 18 juin 2012, le
Parlement hongrois a adopté un premier amendement constitutionnel
à la nouvelle Loi fondamentale afin que les dispositions transitoires
en fassent intégralement partie. Le 28 décembre 2012, la Cour constitutionnelle
a annulé la plupart des dispositions transitoires, ce qui a conduit
à ce que la Commission de Venise n’adopte pas d’avis sur ces dispositions.
14. Le 11 mai 2012, la Direction générale des droits de l’homme
et de l’Etat de droit du Conseil de l’Europe a publié un rapport
d’expertise sur la loi concernant «la liberté de la presse et les
règles fondamentales régissant le contenu des médias» et sur la
loi relative aux «services de médias et aux médias de masse». Le Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe a en outre engagé un dialogue avec
les autorités hongroises afin que les points posant le plus problème
soient pris en compte dans la nouvelle législation relative au pouvoir judiciaire
et aux médias.
15. Nous tenons à souligner la coopération étroite et cordiale
du Parlement hongrois et, en particulier, de la délégation hongroise
auprès de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Nous
adressons nos remerciements aux autorités pour le programme de notre
visite d’excellente qualité et l’hospitalité offerte à notre délégation.
Nous tenons en outre à remercier la communauté des organisations
non gouvernementales (ONG) en Hongrie, et plus particulièrement,
le Comité Helsinki hongrois pour leur assistance. Enfin, nous remercions
les ambassadeurs suédois et tchèque pour leur hospitalité.
2. Introduction
16. Les élections législatives ont eu lieu les 11 et
25 avril 2010 dans un contexte de crise financière, qui a nécessité
un plan de sauvetage du Fonds monétaire international (FMI) en 2008,
et de climat politique particulièrement tendu
.
A l’issue de ces élections, la liste commune de la coalition du
Fidesz/KDNP a remporté 262 des 386 sièges au parlement. Le Parti
socialiste hongrois au pouvoir
a remporté 59 sièges, le parti libéral
de gauche «La politique peut être différente» (LMP) en a remporté
16 et le parti Jobbik de droite en a remporté 47. Ces résultats
ont donné à la coalition du Fidesz/KDNP une nette majorité constitutionnelle au
nouveau parlement
.
17. Depuis 1989 et la chute du communisme, ce n’est que la deuxième
fois qu’un gouvernement dispose d’une majorité des deux tiers en
Hongrie. La première fois, entre 1994 et 1998, c’était une coalition
socialiste/libérale qui était au pouvoir.
18. Le Fidesz et son chef, Viktor Orban, ont vu dans cette majorité
écrasante une «révolution électorale», qui confiait clairement à
la coalition la mission d’introduire de profonds changements
en
Hongrie. De nouveaux organismes de surveillance ont été créés, l’administration
du pouvoir judiciaire a subi une réorganisation majeure, l’institution
du médiateur a été réformée et plusieurs nouvelles autorités autonomes, dont
en particulier les organismes de réglementation des médias et un
organisme pour la protection des données et la liberté d’information,
ont été mises en place. Toutefois, l’élément décisif de ce changement
a été l’adoption d’une nouvelle Constitution pour la Hongrie, qui
est devenue la priorité absolue de la coalition au pouvoir.
19. Compte tenu de l’ampleur des réformes et de la rapidité à
laquelle elles ont été menées à bien, évaluer la situation en Hongrie
s’est révélé une tâche particulièrement difficile, car les choses
n’ont cessé d’évoluer. Nous commencerons par examiner le processus
législatif et par donner une vue d’ensemble des institutions nouvellement
créées. Nous consacrerons ensuite un chapitre au processus de réforme
constitutionnelle. Nous analyserons le système d’équilibre des pouvoirs
pour vérifier dans quelle mesure il a subi des effets des réformes
et, enfin, nous signalerons, le cas échéant, tous les aspects problématiques
de plusieurs lois cardinales, en nous basant pour ce faire sur les
conclusions de la Commission de Venise.
2.1. Activité législative
20. Du 14 mai 2010, date de la session constitutive du
parlement, à fin 2012, l’Assemblée nationale hongroise s’est transformée
en véritable «usine législative»: au total, 589 lois ou amendements
à des lois ont été adoptés. A mi-parcours, c’est autant que pour
les quatre années de la législature précédente. Ce chiffre est remarquable
d’autant qu’il n’y a que deux sessions ordinaires par an (du 1er février
au 15 juin et du 1er septembre au 15
décembre
).
21. Les projets de lois peuvent être déposés par le Président,
le gouvernement, les commissions parlementaires ou les députés.
La plupart sont présentés par le gouvernement et il est très rare
que le Président dépose un projet de loi. Au 30 décembre 2012, l’Assemblée
nationale de Hongrie avait adopté 371 projets de loi soumis par
le gouvernement. Aux termes de la législation applicable
,
les projets de loi préparés par le gouvernement ou des ministères
sont soumis à un processus de consultation obligatoire, ce qui implique notamment
de publier le projet concerné sur internet et d’autoriser la transmission
d’éventuels commentaires par courrier électronique. La consultation
publique peut aussi prendre la forme d’une consultation ciblée d’ONG
particulières, d’églises, de l’association du barreau, d’universités,
etc. Aucun délai précis n’est fixé. Toutefois, la loi dispose que
les projets de loi doivent être publiés en prévoyant un «délai suffisant»
pour que les projets puissent être examinés, que des avis correspondants
puissent être formulés et que l’ensemble des avis transmis puisse
être analysé.
22. Pendant notre première visite en juillet 2011, plusieurs de
nos interlocuteurs se sont plaints, en étayant leurs propos par
des exemples concrets
, que le processus
de consultation obligatoire n’offrait pas de réelle possibilité
de tenir un débat public constructif, notamment du fait de délais
extrêmement courts. Ni l’association du barreau, ni la Cour suprême
n’ont été consultées au sujet des réformes prévues pour le système
judiciaire.
23. Les projets de loi déposés par des députés ou des commissions
ne sont pas soumis au processus de consultation obligatoire. De
ce fait, les projets présentés par des députés à titre individuel
sont utilisés pour accélérer le processus législatif. D’ailleurs,
leur nombre a explosé et plus que doublé à mi-parcours de la législature
en cours par rapport à la législature précédente, entre 2006 et
2010: les députés de la majorité gouvernementale ont déposé 260
projets de loi (dont 199 ont été adoptés), tandis que les députés
de l’opposition en ont présenté 354 (dont un seul a été adopté)
.
Nous avons entendu de nombreuses critiques invoquant le fait que
beaucoup de projets de loi étaient soumis par des députés plutôt
que par le gouvernement afin de permettre leur adoption rapide par
le parlement, ce qui ne laissait pas suffisamment de temps pour
un débat digne de ce nom ni pour d’éventuels amendements. Une autre
critique véhémente porte sur le fait qu’un grand nombre de lois
cardinales, d’amendements constitutionnels et même le projet de
nouvelle Loi fondamentale ont été déposés par des députés à titre
individuel. Nous avons trouvé qu’il était effectivement pour le
moins contestable que des réformes aussi importantes aient été engagées
par des députés.
24. Tous les partis de l’opposition, dont le Jobbik qui est une
«opposition constructive», se sont plaints d’être écartés du processus
de décision et ignorés, la coalition du Fidesz/KDNP se servant de
sa majorité des deux tiers pour imposer ses priorités politiques
à une vitesse record. Quelques lois cardinales essentielles, telles que
la loi sur les églises, ont été adoptées en y introduisant des modifications
majeures au tout dernier moment (amendements précédant le vote).
25. Certains de nos interlocuteurs ont également critiqué les
modifications des règles internes
adoptées fin
2011 à une majorité des deux tiers. L’article 125.1 de ces règles
dispose désormais qu’à la place d’une majorité des quatre cinquièmes
des députés présents, une procédure d’urgence exceptionnelle peut
être décidée à une majorité des deux tiers. Aux termes des nouveaux
articles 128/A à 128/D, une telle procédure peut être engagée par
des députés déposant un projet de loi au maximum six fois par session
parlementaire (sessions ordinaires et extraordinaires). En conséquence,
si deux tiers des députés présents en conviennent, des amendements
à un projet de loi peuvent être déposés dans un délai de trois heures
une fois que la procédure d’urgence a été décidée et le projet peut
être voté le jour suivant.
2.2. Nouvelles institutions
et réformes majeures
26. Pour donner une idée de l’ampleur et de l’étendue
des réformes entreprises par la coalition au pouvoir en seulement
deux ans, voici une liste des institutions qui ont été:
i. Supprimées ou remplacées:
- institution du médiateur: auparavant,
elle comprenait 4 médiateurs: 1 pour les droits civils, 1 pour les
minorités nationales, 1 pour les générations futures (environnement)
et 1 pour la protection des données et la liberté d’information;
- Conseil national des juges et Cour suprême;
- anciens organismes de régulation des médias.
ii. Nouvellement créées ou dont la composition a été renouvelée:
- le Conseil du budget (qui
comprend désormais le président de la Banque nationale, le président
de la Cour des comptes et le président du Conseil du budget). Le
président de la Cour des comptes est élu par le parlement pour un
mandat de 12 ans à une majorité constitutionnelle des deux tiers
de l’ensemble des députés. Les présidents de la Banque nationale
et du Conseil du budget sont nommés par le Président pour un mandat
de six ans. Le nouveau président de la Banque nationale, qui a été
nommé début mars 2013, est l’ex-ministre de l’Economie et membre du
groupe parlementaire du Fidesz depuis 2006. Selon l’article 44 de
la Loi fondamentale, l’adoption de la loi sur le budget d’Etat nécessite
l’accord préalable du Conseil du budget;
- la Commission électorale nationale est constituée de cinq
membres élus par le parlement et de cinq membres délégués par les
partis politiques représentés au parlement. En juin 2010, sur proposition
d’un député du Fidesz, la loi de 1997 sur la procédure électorale
a été modifiée afin que la composition de la Commission électorale
nationale soit désormais renouvelée non seulement avant chaque élection
législative (à savoir, tous les quatre ans), mais aussi avant les élections
au Parlement européen et les élections locales. Comme les prochaines
élections locales étaient programmées pour octobre 2010, le mandat
des cinq membres élus en février 2010 pour quatre ans par le parlement
précédent a pris fin en juillet 2010;
- une nouvelle force de sécurité chargée de protéger le
parlement a été mise en place en 2012. Elle bénéficie d’un fondement
constitutionnel en vertu d’un amendement de la Loi fondamentale introduit
en mars 2013;
- l’autorité nationale pour la protection des données et
la liberté d’information remplace le médiateur parlementaire pour
la protection des données et la liberté d’information. Son président est
nommé par le Président de la République pour un mandat de neuf ans.
Le mandat du médiateur pour la protection des données a été interrompu,
bien avant son terme, à l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale,
ce qui a incité la Commission européenne à engager une procédure
d’infraction, laquelle est toujours en instance devant la Cour européenne
de justice;
- le Commissaire aux droits fondamentaux, assisté par deux
adjoints, un en charge des minorités et l’autre en charge des générations
futures. Les adjoints ne peuvent plus introduire de requête devant
la Cour constitutionnelle de manière indépendante. Ils sont tous
les trois élus par le parlement pour un mandat de six ans (renouvelable) à une majorité des deux
tiers. L’ancien Commissaire aux droits civils, Mate Szabo, qui avait
été élu par le parlement en 2007 pour un mandat de six ans, a pris
les fonctions de Commissaire aux droits fondamentaux jusqu’à la
fin de son mandat (septembre 2013). Cependant, le mandat de ses
adjoints prendra fin à la même date que le sien;
- la Curia remplace la Cour suprême. Son président est élu
par le parlement pour un mandat de neuf ans à une majorité des deux
tiers. Le mandat du président en exercice a pris fin bien avant son
terme , à
l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale (alors que tous les autres
juges sont restés en poste);
- l’Office national de la justice a pris en charge l’administration
des tribunaux qui, auparavant, était assurée par le Conseil national
des juges, dirigé par le Président de la Cour suprême. Son président
est élu par le parlement, à une majorité des deux tiers, pour un
mandat de neuf ans;
- le mandat du Procureur général a été porté à neuf ans
en vertu d’un amendement constitutionnel du 16 novembre 2010 . Désormais,
il est élu par le parlement à une majorité des deux tiers et non
plus à une simple majorité;
- l’autorité de régulation des médias, le Conseil des médias
et la Fondation des médias :
le président de l’autorité de régulation des médias, qui préside
également le Conseil des médias, est nommé par le Premier ministre
pour un mandat de neuf ans, tandis que le Conseil des médias (quatre
membres) est élu par le parlement à une majorité constitutionnelle des
deux tiers.
27. D’autres réformes majeures englobent un nouveau Code civil,
une réforme fiscale et des retraites, une réorganisation complète
des autorités de réglementation du système judiciaire et des médias,
de nouvelles lois sur les services de sécurité, le financement des
universités, les élections, les minorités, la citoyenneté, l’autonomie
locale, etc. L’étendue de ces réformes ainsi que les modalités et
la rapidité de leur mise en œuvre ont été une source de préoccupation
en Hongrie et au niveau international, la coalition du Fidesz/KDNP
étant soupçonnée de chercher à verrouiller ses choix politiques
bien au-delà du mandat lui ayant été accordé par les électeurs.
Les longs mandats confiés à plusieurs présidents des nouvelles institutions
et le fait que ces derniers aient tous été nommés par la majorité
des deux tiers que la coalition au pouvoir détient au parlement ne
font que renforcer cette impression.
3. Réforme constitutionnelle
28. L’idée que le Parlement hongrois devrait adopter
une nouvelle Constitution figure au rang des priorités politiques
du pays depuis la chute du mur de Berlin. Après la chute du communisme,
la Constitution hongroise n’a pas été entièrement abrogée, comme
ça a été le cas dans d’autres pays d’Europe centrale ou orientale. Au
lieu de cela, la Constitution en vigueur, qui datait de 1949, a
été modifiée en 1989 par le Parlement hongrois. Le préambule de
cette nouvelle version de la Constitution précisait que la Constitution
de 1949 telle que modifiée resterait temporairement en vigueur jusqu’à
l’adoption d’une nouvelle Constitution
.
29. Après 1989, la Constitution hongroise a été modifiée à plusieurs
reprises. Toutefois, pour différentes raisons politiques et du fait
du caractère sensible de cette question, aucune nouvelle constitution
n’a été élaborée jusqu’en 2010, après l’arrivée au pouvoir du gouvernement
formé par la coalition du Fidesz/KDNP. Pour la coalition actuellement
au pouvoir, l’adoption d’une Constitution complètement nouvelle
était d’une très grande valeur symbolique, car elle mettait définitivement
un terme à l’ère communiste et marquait un retour à la Constitution
«historique» symbolisée par la couronne de Saint-Etienne.
3.1. Les amendements
à «l’ancienne Constitution»
30. Entre mai 2010 et l’entrée en vigueur de la nouvelle
Loi fondamentale, le 1er janvier 2012
(voir ci-après), l’ancienne Constitution a été modifiée 12 fois.
Les amendements ont été soumis, dans trois cas, par le gouvernement
et, dans neuf cas, par des députés de la coalition au pouvoir. Nous
tenons à souligner une nouvelle fois la rapidité spectaculaire du
processus: en règle générale, le délai entre la date de présentation des
amendements et leur promulgation n’a pas dépassé deux à quatre semaines
.
31. Le premier amendement a été promulgué le 25 mai 2010, date
à laquelle Victor Orban a prêté serment en tant que nouveau Premier
ministre: il prévoyait à l’avenir un maximum de 200 députés et 13 sièges
réservés aux représentants des minorités. Le deuxième amendement
du 5 juillet 2010 a modifié la composition de la commission de désignation
des candidats à l’élection de juge à la Cour constitutionnelle et
abrogé l’article 24.5 de la Constitution, qui exigeait une majorité
des quatre cinquièmes des députés pour l’adoption de règles de procédure
relatives à la préparation d’une nouvelle Constitution. Le quatrième
amendement du 6 juillet 2010 a ajouté deux nouveaux paragraphes
à l’article 61, ouvrant ainsi la voie à la mise en place de nouveaux organismes
de régulation des médias et faisant de toutes les lois concernant
les médias des lois cardinales.
32. Le cinquième amendement du 11 août
2010 (projet T/579 présenté par le gouvernement) prévoyait un fondement
constitutionnel pour introduire la possibilité d’une taxation rétroactive.
Une loi a ensuite été adoptée, instituant une taxation rétroactive
à 98 % de l’indemnité versée aux fonctionnaires à leur révocation
.
Cette loi a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle
le 28 octobre 2010, après quoi le pouvoir conféré à la Cour constitutionnelle
d’examiner les questions budgétaires et fiscales a été considérablement réduit
par le biais du huitième amendement du 19 novembre 2010 (voir ci-après).
Le gouvernement a alors réintroduit un projet prévoyant la même
taxation rétroactive pendant cinq ans. Le projet en question a aussi
été invalidé par la Cour constitutionnelle le 10 mai 2011 au motif
qu’il était contraire à la dignité humaine.
33. Le septième amendement déposé par le gouvernement a ajouté
un chapitre complet établissant le fondement constitutionnel de
l’autorité de surveillance financière. Le neuvième amendement constitutionnel
du 23 décembre 2010 a institué l’autorité nationale des médias et
des infocommunications et la nomination de son président par le
Premier ministre pour un mandat de neuf ans.
34. Le dixième amendement du 14 juin 2011 a été particulièrement
controversé parce qu’il prévoyait une réduction rétroactive des
régimes de retraite spéciaux, tels que les retraites anticipées,
et leur remplacement par des allocations sociales qui seraient désormais
imposables. Cette disposition a entraîné des manifestations massives
et l’introduction de plus de 8 000 requêtes auprès de la Cour européenne
des droits de l’homme.
35. Même si la Loi fondamentale prévoyait déjà de porter la composition
de la Cour constitutionnelle de 11 à 15 membres à compter du 1er janvier
2012, le dixième amendement (14 juin 2011) à l’ancienne Constitution spécifiait
que cette disposition devrait entrer en vigueur dès le 1er septembre
2011 et que les nouveaux membres et le président devraient être
élus d’ici au 31 juillet 2011. Cinq
nouveaux membres ont ainsi été élus
le 27 juin 2011, dont un député sortant du Fidesz qui était l’un
des partisans de l’amendement. Enfin, le douzième amendement du
1er décembre 2011 prévoyait que le président
de la Curia devait être élu avant le 31 décembre 2011.
3.2. Le processus d’adoption
de la Loi fondamentale
36. En juin 2010, le parlement a mis en place une commission
parlementaire ad hoc chargée d’élaborer la nouvelle Constitution.
Cette commission devait lui soumettre des propositions relatives
aux principes fondamentaux d’une nouvelle Constitution avant le
31 décembre 2010; elle lui a présenté un document de réflexion le
20 décembre 2010. Or, un projet de nouvelle constitution était également
préparé en parallèle, sans consultation, par des membres de la majorité;
il a été présenté au parlement le 14 mars 2011. Dans la pratique, la
procédure mise en œuvre a donc exclu la commission ad hoc de l’élaboration
de la Constitution, reléguant le document de réflexion de cette
dernière au statut de document de travail dans le cadre du processus d’élaboration
de la Constitution
. En toute impartialité,
nous devons cependant faire remarquer qu’une partie de l’opposition
ne participait
déjà plus au travail de la commission ad hoc en signe de protestation
contre la limitation des pouvoirs de la Cour constitutionnelle,
instituée par un amendement constitutionnel adopté par la majorité
au pouvoir le 16 novembre 2010.
37. L’opposition avait demandé l’organisation d’un référendum
au sujet de la nouvelle Constitution. Cette demande a été rejetée
par le Fidesz, qui a objecté que la majorité des deux tiers remportée
aux élections lui donnait clairement mandat de changer la Constitution.
Pour renforcer la légitimité du processus de réforme constitutionnelle,
une campagne de «consultation nationale» a été lancée en février
2011. Dans ce cadre, un questionnaire a été envoyé à partir de mars
2011 à l’ensemble des électeurs éligibles, leur demandant de répondre
à 12 questions dans un délai de deux semaines.
38. Les citoyens hongrois étaient priés de donner leur avis non
pas sur le projet de Constitution, mais sur les 12 questions suivantes:
1) lien entre droits fondamentaux et obligations; 2) réduction de
la dette publique; 3) la Constitution devrait-elle insister davantage
sur le rôle de la famille, l’ordre public, le travail et la santé?; 4) nécessité
d’un «système électoral familial», qui autoriserait les parents
à voter au nom de leurs enfants mineurs; 5) l’Etat devrait-il interdire
le prélèvement de taxes sur les dépenses liées à l’éducation des
enfants; 6) protection des générations futures; 7) conditions applicables
aux marchés publics; 8) solidarité entre Hongrois à l’étranger;
9) protection de la diversité naturelle et des richesses nationales;
10) protection du sol et de l’eau; 11) la réclusion à perpétuité
devrait-elle être prévue dans le code pénal?; et 12) obligation
de témoigner devant une commission parlementaire.
39. Il ressort clairement de ce qui précède que ce questionnaire
ressemblait plutôt à un sondage d’opinion sur différents sujets,
dont un grand nombre était sans aucun rapport avec la Constitution.
Au total, sur l’ensemble des 8 millions de personnes auxquelles
un questionnaire a été envoyé, seules 900 000 environ ont répondu.
Les résultats de cette consultation n’ont pas été rendus publics.
Il est à noter que le questionnaire a été envoyé au public début
mars, alors que le projet de Constitution a été présenté le 14 mars.
On peut donc douter du fait que ces résultats auraient pu être dépouillés
à temps pour contribuer utilement au processus de préparation d’une
nouvelle Constitution. En conséquence, ce questionnaire ne peut
en aucun cas être considéré comme un outil de consultation publique
adapté et encore moins comme une alternative valide à un référendum.
40. La nouvelle Constitution a été adoptée au Parlement hongrois
par la coalition du Fidesz/KDNP
le
18 avril 2011. Elle a été promulguée par le Président hongrois le
25 avril 2011, soit moins d’un mois et demi après sa présentation
au parlement. L’absence de transparence du processus d’élaboration
et le délai, court, nécessaire à l’adoption de la nouvelle Constitution
ont été critiqués par la Commission de Venise
et
par la société civile hongroise. Nous nous rallions à cette appréciation
négative du processus d’adoption. Une constitution fixe non seulement
les règles du fonctionnement démocratique et juridique d’un pays,
mais établit également le cadre de protection des droits de ses
citoyens. En conséquence, en application de la tradition démocratique
européenne, l’adoption d’une constitution doit reposer sur un consensus
aussi large que possible et ne peut intervenir qu’après une consultation
approfondie et adaptée de la population. Le processus d’élaboration
opaque, l’absence de débat parlementaire digne de ce nom et de consultation
appropriée de la population hongroise ainsi que l’inexistence d’un
large consensus sur le texte et l’orientation générale de la nouvelle
Constitution fragilisent la légitimité démocratique de la nouvelle
Loi fondamentale de la Hongrie.
41. Nous attirons l’attention sur l’analyse approfondie de la
nouvelle Constitution figurant dans l’avis de la Commission de Venise
,
préparé sur demande de la commission de suivi. Cet avis énumère
plusieurs aspects positifs de la nouvelle Constitution mais aussi
un certain nombre de défaillances graves et de points posant particulièrement
problème. Nous ne reprendrons pas ici l’ensemble de ses conclusions
mais nous nous limiterons à souligner celles présentant un intérêt
particulier pour le présent avis.
42. L’adoption de la nouvelle Constitution a été largement controversée,
y compris dans les pays voisins de la Hongrie. La controverse a
porté essentiellement sur le préambule de la Constitution – unique
en son genre et formulé sans ambages à bien des égards. Ce préambule
contient plusieurs déclarations politiques et affirmations explicites
et parfois sujettes à polémique. Plusieurs de ces déclarations reposent
sur des normes morales et éthiques qui sont contestables et qui
ne sont pas partagées par l’ensemble des membres de la population.
Toutefois, nous ne souhaitons pas entamer de débat sur la valeur
des affirmations énoncées dans le préambule ni sur les normes morales
ou éthiques sur lesquelles elles sont fondées, car tel n’est pas
l’objet du présent avis.
43. Les autorités ont fait remarquer à plusieurs reprises que
le préambule est avant tout un ensemble de déclarations politiques
qui ne réduiront en aucune manière la protection des droits de l’homme
individuels garantis par la Convention européenne des droits de
l’homme (STE n° 5, «la Convention») et les autres instruments internationaux
de défense des droits de l’homme auxquels la Hongrie est Partie.
Cela étant, comme la Commission de Venise
, nous tenons à souligner qu’une
constitution devrait s’abstenir de chercher à codifier des valeurs
et des normes qui prêtent à controverse et au sujet desquelles des
opinions et des conceptions différentes ont légitimement cours dans
la société. Ce point est particulièrement important au vu de la
disposition de la Constitution
qui exige
que l’ensemble de la Constitution soit interprété en tenant compte
des déclarations figurant dans son préambule, ce qui pourrait poser
problème à l’avenir si les dispositions de la Constitution ou des
lois cardinales devaient être interprétées de manière extrêmement restrictive
en vertu de telles définitions, politiquement orientées.
44. Aux termes de l’article D de la Constitution, «la Hongrie
est responsable du sort de ses ressortissants vivant à l’étranger».
Cette disposition a bien entendu jeté une certaine consternation
chez les voisins de la Hongrie et dans d’autres pays où vivent un
grand nombre de Hongrois. Les autorités ont déclaré officiellement que
cet article devait être interprété comme une obligation de soutenir
et d’assister la diaspora hongroise à l’étranger – en coopération
avec le pays d’accueil – afin qu’elle puisse conserver son identité
et sa culture. Elles ont insisté sur le fait que cette disposition
n’établissait pas – et ne peut pas être interprétée comme établissant
– une base autorisant les autorités hongroises à prendre des décisions
applicables hors du territoire national
.
Toute autre interprétation de la part des autorités hongroises irait
à l’encontre des obligations internationales du pays et, à notre
avis, serait inacceptable du point de vue du Conseil de l’Europe.
45. Comme indiqué ci-dessus, le processus d’adoption de la nouvelle
Constitution a prêté à controverse, les autorités étant accusées
de contourner la procédure démocratique habituelle et d’user de
leur majorité constitutionnelle pour imposer leurs opinions politiques
à la minorité politique. La façon discutable dont la Constitution
a été adoptée a été réaffirmée lors de l’adoption des lois cardinales
et a conduit à une remise en cause de la volonté des autorités d’appliquer
des procédures démocratiques et de respecter le principe d’équilibre
des pouvoirs.
46. Deux raisons principales peuvent justifier qu’une majorité
des deux tiers adopte un cadre constitutionnel ou le modifie: premièrement,
pour le protéger de modifications frivoles par un parti au pouvoir
pour des intérêts partisans ou particuliers et, deuxièmement, pour
garantir un consensus aussi large que possible entre l’ensemble
des forces politiques sur les fondements juridiques et démocratiques
de l’Etat. Le fait que l’actuelle coalition au pouvoir en Hongrie
possède une majorité des deux tiers au parlement ne la dispense
pas de son obligation de rechercher un consensus aussi large que
possible entre l’ensemble des partis politiques ni de celle de consulter
la population au sujet des principaux éléments du cadre constitutionnel
.
Nous ne pouvons que déplorer qu’un processus inclusif de ce type
n’ait pas été mis en œuvre pour l’élaboration de la Constitution.
3.3. Le recours excessif
à des lois cardinales et à des dispositions cardinales
47. Comme mentionné précédemment, la Loi fondamentale
fixe le cadre constitutionnel normatif du pays. La réglementation
et la mise en œuvre détaillée de ces principes constitutionnels
sont déléguées à un nombre élevé – excessif du point de vue de la
Commission de Venise et d’autres experts en matière de constitution
– de lois cardinales. Ces dernières sont déjà adoptées et peuvent
seulement être modifiées par un vote à une majorité de deux tiers,
d’où leur importance dans l’évaluation du cadre constitutionnel
en place en Hongrie. Tel est particulièrement vrai au vu du manque
de précisions de plusieurs dispositions constitutionnelles, qui manquent
de clarté sur le plan juridique et permettent ainsi une interprétation
excessivement large. Il s’agit d’ailleurs là de l’un des principaux
aspects préoccupants relevés dans l’avis de la Commission de Venise
sur la Constitution de la Hongrie
.
48. La Loi fondamentale englobe environ 26 thèmes et fait référence
à des textes législatifs plus détaillés à adopter ultérieurement,
les lois cardinales, qui exigent une majorité des deux tiers de
tous les députés présents pour être adoptés ou modifiés. Les autorités
nous ont indiqué que les lois cardinales existent depuis 1989 et qu’en
fait, leur nombre a été réduit en application de la nouvelle Loi
fondamentale.
49. Toutefois, plusieurs dispositions sont désormais cardinales
en vertu de la Loi fondamentale, alors qu’elles ne l’étaient pas
dans l’ancienne Constitution, telles que la loi sur la protection
de la famille ou la loi sur le droit de vote passif et les dispositions
relatives aux sessions ordinaires du parlement, aux activités de surveillance
des commissions parlementaires, aux organismes d’autorégulation,
au système général d’imposition et de retraite, au fonctionnement
de la Banque nationale, au système de surveillance financière, au
Conseil du budget, à la propriété de l’Etat et aux biens nationaux.
En outre, un amendement à la Constitution adopté le 21 décembre
2012 (sous la désignation de troisième amendement) a ajouté à cette
liste l’ensemble des lois régissant l’utilisation et la possession
de terrains et de forêts.
50. Il est à noter que l’ancienne Constitution contenait déjà
un nombre excessif de références à des lois cardinales: dans la
nouvelle Loi fondamentale, de nombreuses lois cardinales sont cardinales
en vertu de l’ancienne Constitution (lois relatives au système judiciaire,
à la police, aux églises, aux forces de défense, à la citoyenneté,
aux élections, aux minorités, à la Cour des Comptes, à l’autonomie
locale ou au règlement du parlement). Environ 30 lois cardinales
ont été adoptées à ce jour, dont plusieurs sur la proposition d’un
député à titre individuel. Des changements structurels et de fond
considérables ont été introduits, touchant la quasi-totalité des
domaines de la société hongroise.
51. D’une manière générale, nous craignons que le recours excessif
à des lois cardinales et leur champ d’application trop étendu nuisent
à la pratique démocratique en Hongrie, eu égard en particulier à
la façon dont ces lois ont été préparées et adoptées au Parlement
hongrois, comme nous l’avons déjà souligné précédemment.
52. L’absence de consultation obligatoire a été aggravée par l’importante
charge de travail du parlement liée à la nécessité d’adopter un
grand nombre de lois (partiellement ou intégralement) cardinales
exigées par la nouvelle Loi fondamentale. Le 29 novembre 2011, un
mois avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi fondamentale,
seules sept des 19 lois cardinales avaient été adoptées, dix avaient
été présentées et étaient en cours d’examen et deux devaient toujours
être soumises au parlement. Etant donné la charge de travail induite,
les lois cardinales ont été adoptées en un temps record, a priori
sans véritable délibération ni discussion. Un grand nombre d’entre
elles ont été adoptées le 31 décembre 2011, quelques heures avant l’entrée
en vigueur de la nouvelle Constitution. Par ailleurs, la majorité
au pouvoir a adopté une procédure spéciale au parlement, autorisant
l’adoption accélérée des lois cardinales.
53. Au moins cinq lois cardinales ont été soumises par un député
à titre individuel, dont certaines sur des questions aussi sensibles
que la protection de la famille, la liberté de religion et le statut
des églises ou l’élection des députés et leur rémunération. Nous
considérons que des lois cardinales sur des sujets aussi sensibles
et prêtant à controverse auraient dû faire l’objet d’un processus
de consultation sociale approprié. Au lieu de cela, ces lois ont
été présentées et examinées dans un délai si court que les députés
n’ont pas pu s’y préparer convenablement
.
54. Nous estimons, comme plusieurs autres interlocuteurs – dont
la Commission de Venise –, que le recours fréquent à des lois cardinales,
qui exigent une majorité qualifiée pour pouvoir être modifiées,
fait particulièrement problème. Le nombre excessif et le champ d’application
étendu des lois nécessitant une majorité qualifiée des deux tiers
pour pouvoir être modifiées ne peuvent être interprétés que comme
une tentative de la majorité au pouvoir de verrouiller dans la Constitution
du pays les orientations politiques qu’elle privilégie, ce qui lui
permet de fixer la politique nationale bien au-delà du mandat que
les électeurs hongrois lui ont confié.
55. Comme l’a fait remarquer la Commission de Venise: «les politiques
déployées en matière culturelle, religieuse, morale, socio-économique
et financière ne devraient pas être verrouillées dans des lois organiques»
mais relever du processus politique ordinaire
et être tranchées à la majorité simple. A moins qu’un autre parti
ou qu’une autre coalition n’obtienne une majorité des deux tiers
lors d’un prochain scrutin, le verrouillage de ces politiques sous
forme de politiques cardinales donnera de fait à la coalition du
Fidesz un droit de veto sur les politiques du prochain gouvernement.
La Commission de Venise note, à juste titre, que cette pratique
semble aller à l’encontre de l’article 3 du Protocole additionnel
à la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 9)
. En outre, étant donné
que dans ces conditions les négociations pour changer ou adapter
les politiques risquent d’être longues et fastidieuses, un recours
excessif à l’exigence d’une majorité des deux tiers nuira à la souplesse
indispensable au processus législatif ordinaire et pourrait conduire
à l’instabilité politique du système ainsi qu’à des conflits.
56. Pour éviter une érosion des normes et pratiques démocratiques,
les autorités sont vivement invitées à limiter l’utilisation des
lois cardinales et leur champ d’application aux domaines où l’exigence
d’une majorité des deux tiers se justifie pleinement et à régir
les dispositions et les politiques en matière culturelle, religieuse, morale,
socio-économique et financière par le biais de lois ordinaires.
3.4. Les dispositions
transitoires de la Loi fondamentale
57. Le 31 décembre 2011, un jour à peine avant l’entrée
en vigueur de la Loi fondamentale, le Parlement hongrois a adopté
les dispositions transitoires de la Loi fondamentale de la Hongrie,
qui regroupent un total de 32 dispositions, dont une longue déclaration
et plusieurs articles concernant le passage de la dictature communiste
à la démocratie. Ces dispositions sont, pour un grand en nombre,
valides pour une durée indéterminée et considérées comme faisant
partie intégrante de la Constitution. De l’avis de plusieurs interlocuteurs,
la raison qui a incité la coalition au pouvoir à intégrer ces nouvelles
dispositions aux dispositions transitoires et non pas à des amendements
constitutionnels – ce qui aurait été une procédure appropriée –
est essentiellement symbolique, dans la mesure où modifier la Constitution
aurait nui à l’impression de perfection que les autorités ont souhaité
magnifier dans la Loi fondamentale.
58. Nous sommes au regret de constater que plusieurs des dispositions
transitoires sont le fruit de la pratique contestable des autorités
en place consistant à contourner les décisions de la Cour constitutionnelle en
modifiant la Constitution
. Le 9 novembre 2012,
les dispositions transitoires ont été enrichies d’une disposition
subordonnant le droit de vote à un enregistrement préalable afin
d’établir une base constitutionnelle pour la loi cardinale relative
aux procédures électorales, laquelle a été adoptée par le parlement
le 26 novembre 2012
.
59. La Cour constitutionnelle ayant invalidé la plupart des dispositions
transitoires le 28 décembre 2012, le quatrième amendement, déposé
– lui aussi – par des députés à titre individuel le 8 février 2013,
vise à intégrer les dispositions censurées par le biais d’une procédure
d’amendement formel de la Constitution.
3.5. Amendements à la
Loi fondamentale
60. Depuis son entrée en vigueur le 1er janvier
2012, la Loi fondamentale a déjà été modifiée à 4 reprises. Le premier
amendement à la Constitution a été adopté le 18 juin 2012; il visait
à intégrer officiellement les dispositions transitoires à la Loi
fondamentale, en les ré-adoptant à une majorité constitutionnelle
des deux tiers de l’ensemble des députés. Le 19 juin 2012, le parlement
a adopté un deuxième amendement constitutionnel, censurant l’article
30 des dispositions transitoires concernant une possible fusion
de la Banque centrale et de l’autorité de surveillance financière
(cette mesure avait été demandée par la Commission européenne, qui
avait menacé la Hongrie d’une procédure d’infraction devant la Cour
européenne de justice si l’indépendance de la Banque nationale de
Hongrie devait été réduite de quelque manière que ce soit). Un troisième
amendement a été adopté le 21 décembre 2012, aux termes duquel les
lois régissant les droits de propriété sur les terres agricoles
et les forêts et la production agricole intégrée devaient devenir
des lois cardinales.
61. Un quatrième amendement à la Loi fondamentale a été déposé
par des députés à titre individuel de la coalition au pouvoir le
8 février 2013. Il contient 14 articles qui non seulement introduisent
dans la Loi fondamentale les dispositions jugées inconstitutionnelles
par la Cour constitutionnelle dans son arrêt relatif aux dispositions
transitoires, mais qui y ajoutent aussi plusieurs autres articles
dans des domaines qui ne devraient pas être régis par la Constitution
et élèvent des dispositions juridiques au niveau constitutionnel
pour éviter leur futur examen et éventuelle censure par la Cour
constitutionnelle. D’autres dispositions visent clairement à établir
une base constitutionnelle permettant au parlement de ré-adopter
des lois précédemment déclarées inconstitutionnelles par la Cour
constitutionnelle. Les compétences de la Cour constitutionnelle
ont par ailleurs encore été réduites (voir section 4.2.1).
62. Nous estimons que la modification fréquente de la Constitution
au profit d’intérêts politiques individuels, en particulier si elle
vise à contourner des décisions défavorables de la Cour constitutionnelle,
va à l’encontre du principe de la prééminence du droit. Notre point
de vue n’est pas partagé par les autorités qui considèrent, premièrement,
qu’elles n’avaient pas d’autre possibilité pour mettre en œuvre
la décision de la Cour que d’intégrer l’ensemble des articles des
dispositions transitoires à la Loi fondamentale (consolidation du
texte). Il se trouve que c’est faux dans la mesure où la Cour constitutionnelle
avait clairement déclaré que le parlement pouvait soit introduire
lesdites mesures transitoires dans la Loi fondamentale soit décider
de régir les différentes questions à un autre niveau de normes juridiques.
63. Deuxièmement, elles estiment qu’en sa qualité de pouvoir constituant
suprême, le parlement est légitimement habilité, dans une société
démocratique, à adopter les amendements constitutionnels qu’il juge nécessaires,
même si ce faisant, il va à l’encontre d’un arrêt de la Cour constitutionnelle
ou y passe outre. Le Président du Parlement nous a indiqué, par
exemple, que le parlement n’avait pas l’intention de se conformer à
un arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 21 février 2013,
censurant une disposition du Code pénal qui interdit l’utilisation
de symboles de régimes totalitaires, ce malgré deux arrêts de la
Cour européenne des droits de l’homme
, qui a conclu à une violation
de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme dans
des affaires relatives à l’interdiction de l’étoile rouge à cinq
branches.
64. La position des autorités sur cette question peut être juste
au plan formel. Toutefois, une majorité des deux tiers ne leur confère
pas de privilèges injustifiés et, surtout, ne les autorise pas à
contourner une partie aussi essentielle du système d’équilibre des
pouvoirs. Dans une société démocratique, la rapidité et le volume de
production du processus législatif ne doivent pas nuire à la qualité,
laquelle ne peut être garantie que par une vaste consultation et
un processus de contrôle de constitutionnalité adapté.
65. Malgré les appels du Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
à reporter le vote sur le quatrième amendement afin de permettre
à la Commission de Venise de l’étudier et malgré les graves préoccupations
exprimées par le Président de la Commission européenne, plusieurs
Etats membres de l’Union européenne, dont l’Allemagne, et les Etats-Unis,
le quatrième amendement a été adopté par le parlement le 11 mars
2013. Nous considérons nous aussi que cet amendement fait particulièrement
problème, mais nous ne signalerons à ce stade que nos principales
préoccupations, étant donné que le Gouvernement hongrois et le Secrétaire
Général du Conseil de l’Europe ont demandé un avis de la Commission
de Venise. Nous espérons que cet avis détaillé sera disponible aussitôt
que possible.
4. Equilibre des pouvoirs
66. Dans une société démocratique, l’équilibre des pouvoirs
est assuré essentiellement par un système d’élections libres et
équitables, un système judiciaire indépendant et impartial, des
institutions indépendantes chargées de contrôler l’action du gouvernement
et de garantir les droits de l’homme, telles que le médiateur, des
médias libres et des lois visant à protéger les droits de l’homme.
67. Le Gouvernement hongrois a demandé l’avis de la Commission
de Venise sur les lois relatives au système judiciaire, à la liberté
de religion et aux élections. En outre, sur notre proposition, la
commission de suivi a soumis cinq autres lois, concernant la liberté
d’information, les questions de nationalité, l’exercice des poursuites,
la Cour constitutionnelle et la protection de la famille, à l’avis
de la Commission de Venise. Nous avons sélectionné ces lois soit
parce que leur adoption a, à juste titre ou pas, suscité une vive
controverse dans la population hongroise, soit parce que plusieurs
de nos interlocuteurs les ont signalées comme faisant éventuellement
problème. Nous avons donc jugé qu’il serait opportun et utile pour
les autorités et législateurs hongrois de disposer d’une appréciation
indépendante et impartiale de ces lois. Le choix de ces dernières
ne signifie donc pas forcément que nous avions de sérieuses réserves
à leur sujet en notre qualité de rapporteures. De la même manière,
le fait qu’une loi cardinale n’ait pas été soumise à l’avis de la
Commission de Venise n’implique pas qu’elle ne comporte pas de dispositions
susceptibles d’aller à l’encontre des normes et standards du Conseil
de l’Europe.
4.1. Loi cardinale CCIII
sur l’élection des membres du Parlement de Hongrie
68. La loi cardinale CCIII sur l’élection des membres
du Parlement de Hongrie a été adoptée par le parlement le 23 décembre
2011. Elle remplace la loi cardinale relative à l’élection des membres
du parlement de 1989. Cette loi définit le cadre juridique des élections
et fixe les règles de découpage des circonscriptions électorales.
Elle doit être considérée en conjonction avec la loi sur les procédures
électorales, qui régit la conduite des élections à proprement parler.
Cette dernière a été adoptée le 26 novembre 2012. Elle a été relativement
controversée, car elle a introduit un système d’enregistrement actif
des électeurs pour les élections. Or, la base juridique de cette
disposition a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle
quand elle a censuré la plupart des dispositions transitoires. Le
Président de la Hongrie a alors annoncé que ce système d’enregistrement
ne serait pas mis en place avant les prochaines élections.
69. Le projet de loi sur l’élection des membres du parlement a
été soumis au parlement par un député à titre individuel et n’a
donc pas été soumis à la procédure de consultation sociale, qui
aurait été mise en œuvre si ce projet avait été proposé par le gouvernement.
En outre, le vote concernant cette loi a été boycotté par les principaux
partis de l’opposition en signe de protestation contre l’absence
de consultation et de transparence au cours du processus d’élaboration
de la loi.
70. Nous sommes particulièrement préoccupés par la façon dont
cette loi a été proposée au parlement et adoptée. La loi en question
définit le système électoral du pays et fixe les règles d’attribution
des mandats. De plus, elle délimite les circonscriptions électorales.
En l’état, elle a considérablement modifié le cadre juridique des
élections en Hongrie. Les principes démocratiques en vigueur en
Europe exigent que la législation électorale repose sur un vaste
processus de consultation sociale et sur un consensus aussi large
que possible entre les parties prenantes au processus électoral.
L’absence de transparence du processus d’élaboration de cette loi
et l’inexistence d’un large consensus entre les différentes parties
prenantes concernant cette loi et ses principales dispositions pourraient
nuire à la confiance de l’opinion publique dans la légitimité et
l’équité du système électoral ainsi que dans la composition du parlement
en découlant.
71. Le 20 janvier 2012, les autorités ont demandé un avis de la
Commission de Venise sur la loi CCIII relative à l’élection des
membres du Parlement de Hongrie. Conformément à leur pratique habituelle,
la Commission de Venise et le Bureau des institutions démocratiques
et des droits de l'homme de l’OSCE (OSCE/BIDDH) ont préparé un avis
conjoint, qui a été adopté par la Commission de Venise lors de sa
session plénière des 15 et 16 juin 2012.
72. La loi sur l’élection des membres du parlement maintient en
Hongrie un système électoral associant représentation proportionnelle
et représentation majoritaire. Toutefois, la nouvelle loi réduit
considérablement le nombre de sièges, qui passe de 386 à 199.
Cette diminution
du nombre de députés traduit l’état d’esprit de la population en
Hongrie, clairement favorable à une assemblée parlementaire de plus
petite taille. Par suite de cette baisse du nombre de sièges, le
pourcentage de sièges au parlement attribué selon le scrutin majoritaire
a légèrement augmenté, passant de 45,6 % à 53,3 %. Dans le système
proportionnel, un seuil de 5 % est appliqué aux partis individuels,
un seuil de 10 % à une liste conjointe de partis et un seuil de
15 % aux listes électorales regroupant plus de deux partis. Ce seuil
est excessivement élevé
et
devrait être réduit.
73. Comme c’était déjà le cas dans la précédente loi relative
aux élections, un système de compensation est utilisé pour l’attribution
des sièges selon le système proportionnel. Ce système vise à garantir
un lien de corrélation entre le nombre total de sièges remporté
par un parti (au scrutin majoritaire et au scrutin proportionnel)
et la représentativité de ce parti dans le pays, telle que mesurée
par les résultats du scrutin proportionnel.
74. La nouvelle loi cardinale relative à l’élection des membres
du Parlement en Hongrie introduit des modifications dans le mécanisme
d’attribution à compensation. Dans l’ancien mécanisme, les voix
qui n’étaient pas utilisées pour l’attribution des sièges au scrutin
proportionnel et les voix en faveur des candidats ayant perdu le
scrutin majoritaire étaient prises en compte dans le mécanisme d’attribution
à compensation. A l’inverse, dans le nouveau système, l’excédent
des voix recueillies par les candidats ayant remporté un siège au
scrutin majoritaire
sera
aussi pris en compte dans le mécanisme d’attribution. De ce fait,
dans le nouveau système électoral en place en Hongrie, le degré
de proportionnalité est moindre que dans le précédent système.
75. Comme mentionné par la Commission de Venise, il n’existe pas
de normes internationales recommandant une méthode spécifique ou
un degré particulier de proportionnalité pour la distribution des sièges
. Cela étant, les normes démocratiques
exigent qu’il y ait un lien de corrélation positif entre les voix recueillies
et le nombre de sièges attribué. Qui plus est, comme indiqué ci-dessus,
le but d’un mécanisme d’attribution à compensation est de renforcer
la proportionnalité de l’attribution des sièges et non pas de la réduire.
76. Faute d’un large consensus entre les différentes parties prenantes
à la législation électorale, nous sommes particulièrement préoccupés
par ce nouveau mécanisme d’attribution. L’absence de consensus et
le risque de résultats faussés pourraient ébranler la confiance
de l’opinion publique dans l’équité et la légitimité démocratique
du système électoral.
77. Avant l’adoption de la nouvelle loi cardinale sur l’élection
des membres du Parlement en Hongrie, le découpage des circonscriptions
électorales n’avait pas été modifié depuis 1989. De ce fait, la
taille des circonscriptions majoritaires variait au point d’être
contraire au principe de l’égalité des électeurs devant le suffrage.
Cette défaillance a été relevée par la Cour constitutionnelle de
Hongrie
, qui a
déclaré que les écarts de taille entre les circonscriptions électorales
avaient conduit à une situation inconstitutionnelle, car ils enfreignaient
le principe d’égalité des droits de vote consacré dans la Constitution
hongroise. De même, la mission d’observation de l’OSCE/BIDDH pour
les élections de 2010 en Hongrie a souligné l’écart de taille excessif
entre les différentes circonscriptions, contraire aux normes internationales.
78. Par suite de la réduction du nombre de députés prévue par
la nouvelle loi sur les élections et pour remédier aux écarts excessifs
de taille entre les différentes circonscriptions, le découpage des
circonscriptions électorales a été annulé. En outre, la nouvelle
loi dispose que l’écart maximum en termes de nombre d’électeurs
ne devrait pas dépasser 15 %
entre
les différentes circonscriptions du pays. En cas d’écart supérieur,
le parlement devra modifier le découpage des circonscriptions.
79. Le découpage précis des circonscriptions est défini dans la
loi et ne peut donc être modifié que par un vote à la majorité des
deux tiers au parlement. En d’autres termes, une minorité d’un tiers
au parlement peut s’opposer au redécoupage des circonscriptions,
même si la loi dispose que ce redécoupage est indispensable si l’écart
entre deux circonscriptions dépasse 15 %. Par voie de conséquence,
le découpage des circonscriptions peut aisément faire l’objet de
tractations politiques, ce qui pourrait à nouveau nuire à la confiance
dans l’équité du processus.
80. Le fait que le découpage des circonscriptions soit établi
par le parlement fait aussi particulièrement problème. Les normes
démocratiques internationales exigent que ce découpage soit réalisé
par un organe indépendant et impartial, à l’issue d’un processus
transparent, en vertu de critères clairs et largement admis. Pour
des raisons évidentes, la façon dont les circonscriptions sont découpées
présente un intérêt particulier pour le parlement; ce dernier ne
peut donc pas être considéré comme un organe impartial et indépendant.
En outre, la nouvelle loi ne décrit pas clairement le processus
et ne définit pas de critères précis et impartiaux à appliquer pour
le découpage. En conséquence, le processus de découpage manque de
la transparence et de la clarté requises.
81. Pendant notre réunion avec le président de la commission électorale
centrale (CEC) en février 2012, nous avons appris que la commission
n’avait reçu aucune indication quant aux principes et aux critères
en vertu desquels le découpage des circonscriptions s’effectue ni
par qui il est réalisé. La CEC n’a pas été impliquée ni consultée
à ce sujet. Ce manque de transparence nuit à la confiance dans le
processus démocratique, comme en témoignent les allégations de redécoupage
abusif des circonscriptions électorales, régulièrement portées.
82. La façon dont le découpage des circonscriptions est réalisé
va clairement à l’encontre des normes et principes démocratiques
généralement admis. Faisant écho aux recommandations de la Commission
de Venise et de l’OSCE/BIDDH, nous encourageons vivement les autorités
à mettre en place une commission indépendante et impartiale chargée
d’effectuer et de revoir périodiquement le découpage des circonscriptions en
vertu de critères juridiques clairs et largement admis.
83. La nouvelle loi cardinale sur l’élection des membres du Parlement
de Hongrie accorde aux ressortissants hongrois vivant à l’étranger
le droit de prendre part à la partie proportionnelle d’un scrutin
mais pas à un scrutin majoritaire. Nous nous félicitons que la diaspora
hongroise jouisse du droit de vote aux élections nationales, ce
qui renforce le caractère universel du suffrage
et va dans le sens de la tendance générale
en Europe dans ce domaine. Il est à noter que cette diaspora
est
nombreuse et que ses membres pourraient exercer une influence considérable
sur la composition du nouveau parlement.
84. La loi comporte, et c’est un développement positif, des dispositions
spéciales visant à favoriser la participation des minorités nationales
à
l’action du parlement. Elle autorise les groupes minoritaires à déposer
des listes électorales minoritaires spécifiques pour les collectivités
locales. Pour pouvoir déposer une telle liste, un groupe doit avoir
recueilli la signature d’au moins 1 % des électeurs inscrits de
cette minorité, avec un maximum de 1 500 signatures. Par ailleurs,
ces listes ne sont pas soumises au seuil de 5 %.
85. Les électeurs qui sont inscrits en tant que membres d’une
minorité reconnue peuvent voter pour le candidat au scrutin majoritaire
dans leur circonscription et pour la liste de parti proportionnelle
ou pour une liste spécifique à leur minorité, si une telle liste
existe. Ce choix doit être fait au moment de l’inscription en tant
que membre d’une minorité. Par voie de conséquence, le choix offert
aux électeurs membres d’une minorité pendant un scrutin peut être
limité, en particulier si une seule liste est présentée par la minorité correspondante,
ce qui risque aussi de fausser les résultats de l’élection. Comme
mentionné dans l’avis de la Commission de Venise sur cette loi
, il vaudrait beaucoup mieux que les membres
d’une minorité puissent décider le jour même du scrutin si elles
souhaitent donner leur voix au parti national ou à une liste de
leur minorité.
4.2. La Cour constitutionnelle
(loi cardinale CLI de 2011 sur la Cour constitutionnelle)
86. En Hongrie, la Cour constitutionnelle contribue fondamentalement
à garantir l’équilibre des pouvoirs depuis 1989. Le système hongrois
comporte un parlement unicaméral, d’où le rôle correctif essentiel
de la Cour constitutionnelle. Il est donc très préoccupant d’observer
les décisions de la majorité au pouvoir, qui visent clairement à
réduire les pouvoirs de la Cour.
4.2.1. Limitation des
pouvoirs de la Cour constitutionnelle
87. La loi cardinale CLI de 2011 sur la Cour constitutionnelle
a été adoptée le 14 novembre 2011. Les modifications apportées au
cadre juridique applicable à la Cour constitutionnelle ont représenté
l’un des aspects les plus controversés de la réforme constitutionnelle
en Hongrie d’autant qu’elles risquent d’entraver l’équilibre des
pouvoirs. A ce sujet, il est particulièrement regrettable que ce
projet de loi n’ait pas été déposé par le gouvernement mais par
une commission parlementaire et qu’il n’ait donc pas été soumis
à un vaste processus de consultation et de contrôle par la population.
88. Des modifications ont été introduites dans le cadre juridique
relatif à la Cour constitutionnelle avant même l’adoption de la
nouvelle Loi fondamentale. La Cour constitutionnelle a rendu plusieurs
arrêts censurant les dispositions de différentes lois, après quoi
la majorité au pouvoir a adopté en novembre 2010 un amendement constitutionnel
controversé limitant considérablement ses compétences. Aux termes
de cet amendement, la Cour constitutionnelle peut seulement vérifier
la constitutionnalité des lois et décisions concernant le budget
central, les impôts nationaux, les droits de timbre et contributions,
les droits de douane et les conditions centrales dont sont assortis
les impôts locaux lorsque lesdites lois ou décisions ont porté atteinte
au droit à la vie et à la dignité humaine, à la liberté de pensée
et de religion, à la protection des données ou au droit à la nationalité
hongroise. Cette modification diminue considérablement le rôle de
la Cour constitutionnelle dans le cadre institutionnel de l’équilibre
des pouvoirs. En outre, le fait de limiter les compétences de la
Cour, sur la base de critères économiques, à un petit sous-ensemble
de droits garantis par la Constitution affaiblit le régime des droits
de l’homme et le respect de la prééminence du droit
.
89. La Commission de Venise considère que de telles restrictions
aux pouvoirs de la Cour constitutionnelle «sont contraires au but
manifeste du Parlement hongrois en tant qu’assemblée constituante
(qui consiste à “améliorer la protection des droits fondamentaux
en Hongrie”)»
.
90. Les dispositions qui ont réduit les compétences de la Cour
constitutionnelle en matière de lois et de décisions relatives au
budget central, aux impôts nationaux, aux droits de timbre et contributions,
aux droits de douane et aux conditions centrales dont sont assortis
les impôts locaux ont été maintenues dans la Loi fondamentale adoptée
le 18 avril 2011. Toutefois, la Loi fondamentale a limité cette
restriction des compétences aux circonstances où la dette de l’Etat
dépasse 50 % du produit intérieur brut (PIB)
. A notre grande
surprise, les dispositions transitoires de la Loi fondamentale de
la Hongrie indiquent que la Cour constitutionnelle ne sera pas en
mesure d’examiner la constitutionnalité de ces lois et décisions
même lorsque la situation budgétaire se sera améliorée et que la
dette de l’Etat aura été ramenée à moins de 50 % du produit intérieur
brut. Par la suite, cette disposition a été déclarée inconstitutionnelle
quand la Cour constitutionnelle a censuré la plupart des dispositions
transitoires. Elle a été réintroduite dans le quatrième amendement
(article 17), ce qui témoigne de la volonté des autorités de limiter
– définitivement et non pas dans certaines circonstances budgétaires
seulement – le pouvoir de surveillance que la Cour constitutionnelle
peut exercer sur leurs politiques et leurs décisions.
91. La loi cardinale relative à la Cour constitutionnelle a aboli
le système d’actio popularis qui
était un signe distinctif du système de justice constitutionnelle
de la Hongrie. Dans ce système, chaque individu, les ONG et même
les ressortissants étrangers pouvaient demander un examen a posteriori
de la constitutionnalité d’une loi ou de sa mise en œuvre, même
s’ils n’étaient pas directement concernés. La suppression de l’actio popularis, qui était l’un
des objectifs déclarés des autorités dans le cadre de la réforme
du système de justice constitutionnelle, a été vivement critiquée
en Hongrie et considérée comme une tentative d’affaiblir le système d’équilibre
des pouvoirs.
92. Dans son avis sur trois questions juridiques apparues lors
de la rédaction d’une nouvelle Constitution hongroise, la Commission
de Venise a souligné que l’
actio popularis ne
pouvait pas être considérée comme une norme européenne et que son
existence était plutôt une exception dans les Etats membres du Conseil
de l’Europe
. Même si elle reconnaît que ce
mécanisme est apparu comme la garantie la plus large possible d’un contrôle
global de constitutionnalité, il risque de surcharger complètement
la Cour constitutionnelle, comme ça a sans doute été le cas en Hongrie
.
93. Pour compenser la suppression de l’actio
popularis, le système de requêtes individuelles directes
a posteriori– dans lequel
l’auteur de la requête est directement concerné – a été élargi de
sorte à englober les actes juridiques et leur mise en œuvre ainsi
que les décisions de justice en découlant.
94. Un contrôle a posteriori d’actes juridiques peut être
entrepris à l’initiative du gouvernement,
d’un quart des membres du parlement ou du Commissaire aux droits
fondamentaux (médiateur)
.
Ce dernier a été ajouté à la liste des entités pouvant demander
un contrôle a posteriori d’actes juridiques sur la recommandation de
la Commission de Venise pour compenser la suppression du système
d’
actio popularis. Au départ,
les représentants de la société civile ont exprimé quelques doutes
quant à la possibilité pour le Commissaire aux droits fondamentaux
d’introduire une demande de contrôle a posteriori d’une loi devant
la Cour constitutionnelle en l’absence d’affaires déposées par des
individus dont les droits ont été violés par la loi en question
.
95. Ces craintes se sont toutefois révélées sans fondement, comme
le montre le nombre d’examens de lois cardinales effectués par la
Cour constitutionnelle à la demande du Commissaire aux droits fondamentaux
(plus de 25). Cet aspect souligne aussi le rôle fondamental de cette
institution dans le système d’équilibre des pouvoirs en Hongrie,
en particulier dans une situation où il serait difficile pour une
force politique n’appartenant pas à la majorité au pouvoir d’obtenir
le quorum requis pour pouvoir demander l’examen de la constitutionnalité d’un
acte juridique. Il faut toutefois noter que l’actuel Commissaire
aux droits fondamentaux a été élu en 2007 pour un mandat de 6 ans,
avec le soutien des différents partis. Son mandat prend fin en septembre
2013, et il reste à voir si le prochain commissaire adoptera la
même attitude proactive pour ce qui est de soumettre des requêtes
à la Cour constitutionnelle.
96. Le quatrième amendement à la Loi fondamentale limite encore
un peu plus les compétences de la Cour constitutionnelle: cette
dernière ne peut examiner la constitutionnalité de la Loi fondamentale
ou d’amendements y étant apportés qu’en cas d’infractions aux règles
de procédure définies dans la Loi fondamentale concernant son adoption
et sa promulgation. Un tel examen peut être demandé par le Président
,
le gouvernement, un quart des députés, le président de la Curia,
le Procureur général ou le Commissaire aux droits fondamentaux.
La Cour constitutionnelle doit se prononcer dans un délai de 30
jours. En d’autres termes, un examen de fond ne sera plus possible,
même sous la forme limitée pratiquée jusqu’à présent par la Cour
constitutionnelle.
97. L’article 20 du quatrième amendement annule tous les arrêts
rendus par la Cour constitutionnelle avant l’entrée en vigueur de
la Loi fondamentale. Empêcher la Cour constitutionnelle de faire
référence à sa jurisprudence si cette dernière est antérieure à
l’entrée en vigueur de la Loi fondamentale (c’est-à-dire antérieure
au 1er janvier 2012) est clairement inacceptable.
C’est aussi inutile, car la Cour constitutionnelle a déjà déclaré
dans plusieurs de ses arrêts
qu’elle
ne s’appuierait sur sa jurisprudence que pour les dispositions de
la Loi fondamentale étant sensiblement identiques à celles de l’ancienne
Constitution.
4.2.2. Indépendance de
la Cour constitutionnelle
98. La Loi fondamentale n’établit pas explicitement l’indépendance
de la Cour constitutionnelle ni du système judiciaire en général.
La Commission de Venise a recommandé d’introduire une telle disposition
dans la Loi fondamentale, mais les autorités hongroises n’en ont
pas tenu compte
. Dans ce contexte, il est
aussi regrettable que la loi cardinale CLI de 2011 ne prévoie pas
explicitement l’indépendance de la Cour constitutionnelle.
99. Par suite des amendements constitutionnels de 2010, la loi
cardinale relative à la Cour constitutionnelle a porté le nombre
de juges siégeant à la Cour de 11 à 15
.
La même loi limite le mandat des juges à un mandat unique de 12
ans
.
En outre, le Président de la Cour constitutionnelle n’est plus choisi
par les membres de la Cour en leur sein mais directement élu par
le parlement à une majorité des deux tiers. Le fait que la loi cardinale exclut
désormais leur réélection a renforcé l’indépendance des juges de
la Cour.
100. Les juges de la Cour constitutionnelle sont élus par le parlement
à une majorité des deux tiers. Les candidats sont désignés par une
commission parlementaire, regroupant l’ensemble des forces politiques
en fonction du nombre de leurs représentants au parlement. Dans
l’ancienne Constitution, toutes les forces politiques avaient la
même influence dans la commission de désignation des candidats;
les candidats pouvaient donc compter sur un large consensus parmi
les différentes forces politiques du pays
. Dans l’actuelle
composition du parlement – où la majorité au pouvoir dispose d’une
majorité constitutionnelle – la majorité qualifiée requise pour
élire un juge à la Cour constitutionnelle n’est pas une garantie
suffisante contre la politisation de la Cour. Il est donc vivement
recommandé aux autorités d’adopter des garanties supplémentaires
dans le cadre du processus de nomination afin de prévenir une éventuelle
politisation de la Cour.
101. Nous n’avons pas entendu de critiques au sujet de la Cour
constitutionnelle qui, à ce jour, semble remplir sa fonction de
garant de la Constitution de façon indépendante vis-à-vis de la
majorité actuellement au pouvoir. Une seule décision concernant
l’abaissement de l’âge obligatoire de départ à la retraite des juges
a été prise par sept voix contre sept, la voix du Président, prépondérante,
conduisant à l’annulation de cette disposition. La plupart des autres
arrêts de la Cour constitutionnelle ont été adoptés par 10 voix
contre 5, c’est-à-dire à une nette majorité. Nous soulignons toutefois
que, dans un grand nombre de cas, les cinq membres dissidents étaient
précisément les juges élus par l’actuelle majorité au pouvoir. Nous
avons appris que d’ici mars 2013, huit des 15 juges de la Cour constitutionnelle
auront été élus par l’actuelle coalition du Fidesz-KDNP disposant d’une
majorité des deux tiers. Nous ne pouvons qu’espérer que cette nouvelle
composition n’altérera pas la capacité de la Cour à prendre ses
décisions sur la base d’arguments juridiques sans se laisser influencer
par d’éventuelles préférences politiques des partis.
4.2.3. Tendance à passer
outre aux décisions de la Cour constitutionnelle
102. Ces deux dernières années, nous avons observé une
tendance particulièrement inquiétante: un grand nombre de dispositions
de lois, cardinales ou autres, censurées par la Cour constitutionnelle
ont simplement été réintroduites par le biais d’amendements constitutionnels:
- après avoir censuré les dispositions
autorisant l’imposition rétroactive à 98 % de l’indemnité de départ versée
aux fonctionnaires, la Cour s’est vue priver de son pouvoir d’examiner
toute question en rapport avec la fiscalité ou le budget;
- après avoir été censurée par la Cour, sur demande du Président
de la Cour suprême de l’époque, une disposition du Code pénal autorisant
le Procureur général à choisir un tribunal pour l’examen d’une affaire
donnée a été réintroduite dans les dispositions transitoires de
la Loi fondamentale. Le même pouvoir dans les affaires de droit
civil a été conféré par les dispositions transitoires au Président
de l’Office national de la justice. Ces deux transferts de pouvoir
figuraient aussi dans le projet de quatrième amendement (articles
14 et 15). Toutefois, la version adoptée constitutionnalise ce pouvoir
uniquement dans le cas du Président de l’Office national de la justice;
- après avoir été censurée par la Cour pour des raisons
de procédure, la loi sur les églises a été réintroduite sous la
même forme dans les dispositions transitoires. Sur demande du Commissaire
aux droits fondamentaux et de 17 églises auxquelles le droit de
s’enregistrer avait été refusé, la loi sur les églises a une nouvelle
fois été censurée pour des raisons de fond le 27 février 2013. Par
contre, le quatrième amendement dispose toujours que le parlement
procédera à l’enregistrement des églises;
- le 16 juillet 2012, la Cour constitutionnelle a déclaré
inconstitutionnel l’abaissement rétroactif de 70 à 62 ans de l’âge
obligatoire de départ à la retraite pour les juges, procureurs et
notaires, ce qui avait contraint plus de 300 juges à prendre leur
retraite. Les mêmes dispositions ont été réintroduites dans les dispositions
transitoires;
- le 6 novembre 2012, la Cour européenne de justice a aussi
rendu un arrêt indiquant que cette disposition était contraire à
la législation anti-discrimination de l’Union européenne. A ce jour,
ces deux arrêts n’ont pas été dûment mis en œuvre;
- le 20 décembre 2012, sur demande du Commissaire aux droits
fondamentaux, la Cour a annulé différentes dispositions de la loi
sur la protection de la famille en matière de droits de succession
ainsi que la définition restrictive de la famille. Or, la même définition
restrictive de la famille a été reprise dans le quatrième amendement;
- le 12 novembre 2012, la Cour constitutionnelle a annulé
les dispositions de la loi sur les contraventions qui érigeaient
en infraction pénale le fait pour des sans-abris «de vivre en permanence
dans un lieu public». Cette disposition est exactement reprise par
l’article 8 du quatrième amendement;
- sur demande du Commissaire aux droits fondamentaux, le
28 décembre 2012, la plupart des dispositions transitoires ont été
censurées par la Cour constitutionnelle, après quoi elles ont été réintroduites
par le biais d’amendements constitutionnels regroupés dans le quatrième
amendement;
- les dispositions transitoires ont été modifiées le 9 novembre
2012 afin d’y ajouter l’obligation pour les électeurs de s’enregistrer
au préalable pour pouvoir exercer leur droit de vote. Cette modification
visait à établir une base constitutionnelle pour la loi sur les
procédures électorales, adoptée le 26 novembre. Cette dernière a
toutefois été contestée avant sa promulgation par le Président,
à la suite de quoi la Cour constitutionnelle a annulé l’enregistrement
préalable des électeurs et plusieurs dispositions posant des restrictions
au financement des campagnes et à la publicité électorale (arrêt
du 7 janvier 2013). Le quatrième amendement (article 5) réintroduit
des restrictions en matière de publicité électorale;
- en juin 2012, la Cour constitutionnelle a annulé un décret
du gouvernement concernant les conventions imposant aux étudiants
de l’enseignement supérieur bénéficiant d’une bourse publique de
travailler en Hongrie après l’obtention de leur diplôme. Le 4 juillet
2012, la loi sur l’enseignement supérieur a été modifiée afin d’y
ajouter le texte du décret censuré. L’article 7 du quatrième amendement
établit désormais une base constitutionnelle permettant de subordonner
l’octroi d’une aide financière aux étudiants à l’exercice d’une
activité salariée ou indépendante.
103. Dans un Etat régi par la prééminence du droit quel qu’il soit,
il est d’une importance fondamentale que les autorités se soumettent
aux décisions de la plus haute instance du pays pour garantir la
certitude juridique et le respect des droits fondamentaux. Le fait
que la coalition du Fidesz/KDNP dispose actuellement du rare privilège
d’une majorité constitutionnelle ne l’autorise pas pour autant à
ignorer ouvertement le mécanisme correctif que peut représenter
la Cour constitutionnelle, en particulier dans une situation où,
comme c’est le cas en Hongrie, le parlement ne compte pas de deuxième
chambre qui pourrait, le cas échéant, faire contrepoids et corriger
les erreurs commises.
4.3. Lois cardinales
régissant le système judiciaire
104. Le système judiciaire est régi essentiellement par
deux lois cardinales: la loi CLXII de 2011 sur le statut juridique
et la rémunération des juges et la loi CLXI de 2011 sur l’organisation
et l’administration des tribunaux. Compte tenu de la similitude
des aspects structurels, nous examinerons aussi, dans cette section,
les lois cardinales relatives aux services du parquet (CLXIII) et
au statut du Procureur général, des procureurs et des autres agents
du parquet ainsi qu’à la carrière professionnelle au sein du parquet
(CLXIV). Les lois cardinales relatives au système judiciaire constituent
l’un des aspects les plus controversés du processus de réforme constitutionnelle
menée en Hongrie. Elles ont suscité de graves préoccupations, que
ce soit dans le pays ou à l’étranger, comme le montrent l’ouverture
d’une procédure d’infraction par la Commission européenne concernant
différents points de la loi et la décision qui a suivi du Commissaire
Reding de contester certaines dispositions devant la Cour européenne
de justice.
105. Le 20 janvier 2012, le ministre hongrois des Affaires étrangères
a demandé un avis de la Commission de Venise sur différentes lois
cardinales dont celles concernant le système judiciaire. En outre,
le 25 janvier 2012, la commission de suivi a décidé de demander
l’avis de la Commission de Venise sur, entre autres, les lois cardinales
relatives aux services du parquet. La Commission de Venise a adopté
l’avis sur le système judiciaire
lors
de sa réunion plénière des 16 et 17 mars 2012 et celui sur les services
du parquet
lors
de sa réunion plénière des 15 et 16 juin 2012.
106. Dans son avis, la Commission de Venise a sévèrement critiqué
les lois cardinales régissant le système judiciaire. Elle a fait
remarquer que ces lois ont radicalement changé le système de justice
et introduit un système d’administration judiciaire unique en Europe.
Même s’il reconnaît la nécessité d’une réforme du système de justice,
l’avis conclut qu’à bien des égards et, en particulier, pour ce
qui est de l’indépendance du système judiciaire, ce nouveau système
est contraire aux normes européennes et fait problème en ce qui concerne
le droit à un procès équitable, tel que prévu par l’article 6 de
la Convention européenne des droits de l’homme
.
107. L’avis de la Commission de Venise insiste sur trois grands
sujets de préoccupation: la concentration des pouvoirs entre les
mains du Président de l’Office national de la justice; le départ
à la retraite anticipé des juges et le traitement discriminatoire
– a priori pour des raisons politiques – réservé au président de
la Cour suprême, qui est le seul membre de cette institution à ne
pas avoir été maintenu en poste lorsque la Cour suprême est devenue
la Curia, après l’adoption de la nouvelle Constitution.
4.3.1. Les pouvoirs excessifs
conférés au président de l’Office national de la justice
108. L’un des principaux points de préoccupation était
lié à la concentration des pouvoirs entre les mains du président
de l’Office national de la justice (ONJ) nouvellement mis en place.
La loi cardinale donne à cette personne, entre autres, pleins pouvoirs
pour nommer ou révoquer un juge, nommer ou révoquer le président d’un
tribunal, transférer des juges vers une autre juridiction (avec
ou sans leur consentement) et transférer des affaires entre deux
juridictions
.
La Commission de Venise a considéré que ces pouvoirs étaient de
nature largement discrétionnaire et n’étaient pas suffisamment assortis
d’un devoir de rendre compte, dans la mesure où la loi cardinale
n’énonce pas de critères légalement établis, n’oblige pas le président
de l’ONJ à justifier ses décisions et n’autorise pas un contrôle
judiciaire de ces dernières.
109. La concentration des pouvoirs est d’autant plus préoccupante
que la loi cardinale confère l’ensemble de ces pouvoirs au président
de l’ONJ et non pas à l’institution en tant que telle. Le président
de l’ONJ est élu par le parlement pour un mandat de neuf ans à la
majorité qualifiée des deux tiers. Par voie de conséquence, une minorité
relativement faible au parlement peut empêcher l’élection d’un nouveau
président de l’ONJ, lequel resterait en poste jusqu’à ce que son
successeur ait été choisi. Les vice-présidents de l’ONJ sont désignés
par le président de l’ONJ, qui peut également les révoquer. En outre,
le président de l’ONJ ne peut être révoqué par le parlement qu’avec
une majorité des deux tiers, en vertu d’une demande de révocation
déposée par le Président de la République ou le Conseil national
judiciaire (CNJ)
.
Or, le CNJ est constitué de juges qui dépendent à différents égards
du président de l’ONJ, lequel siège de droit au CNJ. L’obligation
du président de l’ONJ de rendre compte en vertu de ces dispositions
est donc clairement insuffisant, ce qui nuit à la légitimité démocratique
de ses fonctions
.
4.3.2. L’abaissement soudain
de l’âge de départ à la retraite
110. Avant les réformes judiciaires, l’âge obligatoire
de départ à la retraite appliqué aux juges était de 70
ans. L’article
12 des dispositions transitoires et la loi cardinale relative au
système judiciaire ont modifié cette disposition et abaissé l’âge
obligatoire de départ à la retraite à 62 ans. Cette modification
est d’autant plus remarquable que le gouvernement avait indiqué
vouloir globalement repousser l’âge obligatoire de départ à la retraite
de 62 à 65 ans. Ce changement de l’âge obligatoire de départ à la
retraite a entraîné le départ massif d’environ 270 juges, dont un
grand nombre remplissaient d’importantes responsabilités.
111. L’abaissement rétroactif de l’âge de départ à la retraite
pour des raisons contestables
a
été source de préoccupation dans le pays et au niveau international.
Le médiateur hongrois a intenté un recours contre cette mesure devant
la Cour constitutionnelle de la Hongrie. Le 16 juillet 2012, cette
dernière a conclu que l’abaissement rétroactif de l’âge obligatoire
de départ à la retraite était inconstitutionnel car il compromettait l’indépendance
du système judiciaire et a donc ordonné au gouvernement de réintégrer
les juges concernés.
112. Le 17 janvier 2012, la Commission européenne a engagé une
procédure d’infraction accélérée contre la Hongrie concernant, entre
autres, l’abaissement de l’âge obligatoire de départ à la retraite.
La Commission estimait en effet que l’abaissement de l’âge obligatoire
de départ à la retraite imposé aux juges et aux procureurs constituait
une discrimination fondée sur l’âge à l’encontre de cette catégorie
d’agents. Elle a soumis au Gouvernement hongrois deux avis motivés
à ce sujet. Or, les réponses des autorités hongroises n’ont pas
satisfait la Commission, qui a introduit, le 25 avril 2012, une
requête auprès de la Cour européenne de justice contre l’abaissement
de l’âge de départ à la retraite appliquée aux juges hongrois. Le
6 novembre 2012, la Cour européenne de justice s’est ralliée à la
position de la Commission européenne et a conclu que l’abaissement
de l’âge de départ à la retraite imposé aux juges constituait une
mesure discriminatoire au motif de l’âge, déclarée illégale par
la directive de l’Union européenne sur l’égalité de traitement en
matière d’emploi et de travail (Directive 200/78/CE).
4.3.3. La destitution
du président de la Cour suprême
113. La Curia, qui a été instituée par la Loi fondamentale,
est le successeur légal de la Cour suprême de la Hongrie
. C’est pourquoi,
la loi cardinale relative au système judiciaire dispose que l’ensemble
des juges de la Cour suprême peuvent rester en fonction jusqu’à
la fin de leur mandat. Toutefois, une exception a été faite pour
le président de la Cour suprême, qui a dû être réélu. En outre,
un nouveau critère de sélection a été adopté pour le président de
la Cour suprême, aux termes duquel un candidat doit avoir exercé
la charge de magistrat en Hongrie pendant au moins cinq ans. La
durée des mandats éventuellement remplis dans des tribunaux internationaux
n’est pas prise en compte.
114. La différence de traitement appliquée au président de la Cour
suprême est particulièrement contestable. Les nouvelles dispositions
sont considérées par beaucoup comme ayant été adoptées dans le seul
but de destituer le président de la Cour suprême en exercice, M. Baka,
qui, par le passé, avait critiqué les politiques du gouvernement
en matière de réforme judiciaire et contesté, avec succès, plusieurs
décisions du gouvernement et lois devant la Cour constitutionnelle
. M. Baka
était le juge de la Hongrie auprès de la Cour européenne des droits
de l’homme de 1991 à 2007 et avait été élu président de la Cour
suprême par le Parlement hongrois en juin 2009. Il n’avait pas exercé
la charge de magistrat en Hongrie auparavant et de ce fait, malgré
ses 17 ans d’expérience comme juge au sein de la Cour européenne
des droits de l’homme, était inéligible aux fonctions de président
de la Curia. La sensation que ces dispositions juridiques ont été
adoptées contre une personne particulière est renforcée par le fait
qu’en juin 2011, le parlement a adopté une décision suspendant toutes
les procédures de nomination de juges jusqu’au 1er janvier
2012, date à laquelle M. Baka ne serait plus en poste. Cette décision
a été prise malgré le nombre d’affaires en souffrance, qui est souvent mentionné
par les autorités comme l’une des raisons ayant motivé la réforme
du système judiciaire. Comme mentionné par la Commission de Venise
, les dispositions juridiques formulées
en termes généraux qui, en réalité, visent une ou des personnes
particulières sont contraires au principe de la prééminence du droit.
En outre, la destitution pour des motifs politiques du président
de la Cour suprême pourrait avoir des répercussions négatives et
menacer l’indépendance du système judiciaire.
4.3.4. Action entreprise
par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
115. Après l’adoption de l’avis CDL-AD(2012)001 par la
Commission de Venise concernant les lois cardinales relatives au
système judiciaire, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe,
M. Thorbjørn Jagland, a engagé un dialogue avec les autorités hongroises
sur la façon dont l’avis de la Commission de Venise pourrait être
mis en œuvre. Pour traiter les points les plus urgents, M. Jagland
a proposé que les autorités hongroises se concentrent dans un premier
temps sur trois axes prioritaires
:
- introduire
des dispositions qui soumettraient les pouvoirs excessivement discrétionnaires
du président de l’ONJ à un contrôle judiciaire;
- revoir la procédure de nomination du président de l’ONJ
afin que le mandat du président en exercice ne puisse pas être indéfiniment
prolongé par une petite minorité faisant obstacle à la nomination
d’un successeur;
- introduire des mesures structurelles visant à renforcer
le système judiciaire pour qu’un transfert de certaines affaires
ne soit plus indispensable et pour garantir que tant qu’il sera
nécessaire, ce transfert se fera suivant des principes juridiques
objectifs et sera soumis à un contrôle judiciaire adapté.
116. Ceci étant, comme l’a souligné la Commission de Venise: «il
était évident que l’accent mis sur ces trois axes prioritaires n’impliquait
pas que les autorités seraient dispensées de mettre les autres recommandations de
la Commission de Venise en œuvre, mais seulement que ces trois axes
devaient être traités de toute urgence»
.
117. A l’issue des consultations tenues entre le Secrétaire Général
du Conseil de l’Europe et le Gouvernement hongrois, les autorités
ont présenté une série d’amendements aux deux lois cardinales sur
le système judiciaire. Ces amendements ont été adoptés le 2 juillet
2012. Compte tenu du fait qu’ils n’apportent pas forcément de réponse
à l’ensemble des points signalés par la Commission de Venise et
le Secrétaire général, la commission de suivi a décidé, le 28 juin
2012, de demander un avis de la Commission de Venise sur ces amendements
et, en particulier, sur la question de savoir s’ils prenaient en
compte l’ensemble des sujets de préoccupation majeurs de la Commission
de Venise concernant les lois cardinales sur le système judiciaire,
tel que figurant dans l’avis CDL-AD(2012)001. Cet avis
a
ensuite été adopté par la Commission de Venise, lors de sa réunion
plénière des 12 et 13 octobre 2012.
118. Les amendements n’ont pas introduit de modifications concernant
le mode de nomination du président de l’ONJ et la personne habilitée
à le destituer. Les autorités hongroises s’étaient par ailleurs
engagées à modifier la législation correspondante de sorte qu’elle
spécifie clairement que le président de l’ONJ ne pourrait exercer
ses fonctions que pour un mandat unique de neuf ans, non renouvelable.
Un amendement allant dans ce sens a été déposé par le ministre de
la Justice en mars 2012 avant d’être retiré le 18 juin 2012. Nous espérons
que le projet de loi présenté au parlement le 29 mars 2013 apportera
enfin une solution à ce problème.
119. De la même manière, si le parlement ne parvient pas à désigner
un successeur à une majorité des deux tiers, le vice-président sera
nommé président par intérim. Par contre, le vice-président est nommé
par le président de l’ONJ. Nous estimons donc, comme la Commission
de Venise, qu’il aurait été préférable de donner au Conseil nationale
judiciaire le pouvoir de nommer un président par intérim
.
120. Les amendements répondent dans une large mesure aux critiques
exprimées au sujet de la concentration excessive des pouvoirs discrétionnaires
entre les mains du président de l’ONJ, concentration qui ne s’accompagnait
pas d’une obligation de transparence ni de rendre des comptes suffisante.
121. Les pouvoirs conférés au président de l’ONJ concernant la
nomination des nouveaux juges ou des chefs de tribunaux ne sont
plus discrétionnaires. Si le président de l’ONJ souhaite s’écarter
du choix de la commission de nomination ou de révision, il doit
obtenir l’accord du CNJ et ne peut le faire qu’en vertu de critères
établis par ce dernier. En outre, ses décisions peuvent être frappées
d’appel devant un tribunal. Ces évolutions représentent des améliorations
sensibles de la législation. Nous avons cependant été informés que le
président de l’ONJ a toujours le pouvoir d’annuler un avis de vacance
d’une nomination à une fonction judiciaire, même après que les candidats
aient soumis leur candidature et aient été classés par le CNJ. Cela pose
clairement un problème.
122. Les lois cardinales sur le système judiciaire ont considérablement
réduit le périmètre des fonctions du CNJ, organe de l’autonomie
judiciaire en Hongrie, dans l’administration du système judiciaire.
Les amendements ont permis de remédier dans une large mesure à cette
défaillance. Les compétences du CNJ ont été renforcées, en particulier
dans le domaine de la nomination des juges et de l’administration
du système judiciaire
. Toutefois,
il est à noter que le CNJ dépend toujours de l’ONJ sur le plan fonctionnel
et qu’il fonctionne avec un système de rotation continue de ses
présidents, ce qui diminue sa capacité à exercer une surveillance
sur l’ONJ et son président.
123. Présidents et chefs de tribunaux contrôlent continuellement
l’administration de la justice dans les tribunaux placés sous leur
responsabilité, notamment pour ce qui concerne le respect des décisions
des juridictions plus hautes et les décisions rendues au mépris
d’aspects et de motifs théoriques. Dans son avis CDL-AD(2012)001,
la Commission de Venise a considéré que ce contrôle permanent pouvait
nuire à l’indépendance des juges, en particulier dans le contexte
de la procédure d’uniformité dans le cadre de laquelle la Curia
peut publier des décisions et des arrêts contraignants pour les
tribunaux. Malheureusement, ce point n’a pas été traité dans les
amendements aux lois cardinales sur le système judiciaire.
124. Par suite des amendements, et c’est une évolution positive,
un juge qui doit être définitivement changé d’affectation peut choisir
entre les différents postes judiciaires vacants de juridictions
du même niveau. Le président de l’ONJ ne peut affecter un juge à
un poste de son choix que si ce dernier n’a accepté aucun des postes
qui lui ont été proposés. En outre, cette décision peut désormais
être frappée d’appel auprès d’un tribunal administratif ou du travail.
Il est essentiel que la loi prévoie explicitement la possibilité
de soumettre une décision de changer un juge d’affectation sans
son consentement à une révision complète sur le plan de la procédure
et du fond. Les lois cardinales sur le système judiciaire habilitent
également le président d’un tribunal à «réaffecter des juges sans
leur accord à une fonction judiciaire au sein d’un autre service,
à titre temporaire, tous les trois ans pour une période maximale
d’un an, dans l’intérêt du service». La Commission de Venise a critiqué
cette disposition qu’elle a trouvée trop large et excessive. Malheureusement,
cette critique n’a pas vraiment été prise en compte dans les amendements.
4.3.5. Les transferts
d’affaires
125. Un sujet de préoccupation fondamental était lié aux
pouvoirs excessivement larges et discrétionnaires conférés au président
de l’ONJ de transférer des affaires entre deux tribunaux au motif
trop général de la «nécessité de statuer dans un délai raisonnable».
Ce pouvoir a été doté d’une base constitutionnelle en l’intégrant
aux dispositions transitoires de la Loi fondamentale, le 31 décembre
2011. Toutefois, sa durée d’application était limitée «jusqu’à ce
qu’une répartition équilibrée du nombre d’affaires ait été effectuée».
La Cour constitutionnelle a censuré la plupart des dispositions
transitoires, après quoi le pouvoir conféré au président de l’ONJ
de transférer des affaires a été réintroduit par le biais du quatrième
amendement, mais cette fois de façon définitive.
126. Les amendements aux lois cardinales ne tiennent que marginalement
compte des critiques sévères formulées par la Commission de Venise.
Par suite des amendements, la loi dispose désormais que le transfert des
affaires est une exception et que le CNJ fixera les principes à
appliquer par le président de l’ONJ pour désigner la juridiction
de départ. Toutefois, le président n’est pas lié par ces principes.
Qui plus est, les principes à définir par le CNJ se rapportent uniquement
aux critères de sélection de la juridiction de départ et pas à la
sélection des affaires qui seront transférées. De la même façon,
le contrôle judiciaire se limite à la sélection de la juridiction
de départ et n’englobe pas la sélection des affaires à proprement
parler. S’agissant de la sélection de la juridiction de départ,
le contrôle judiciaire porte uniquement sur le respect des dispositions juridiques
et pas sur les critères de fond appliqués pour la sélection des
affaires, tels qu’établis par le CNJ. En outre, les lois cardinales
habilitent le président du CNJ à confier une affaire à une autre
juridiction, même si la Curia a annulé une précédente décision d’affectation
dans la même affaire
.
127. Pour autant qu’il soit autorisé, le transfert d’affaires devrait
avoir un caractère exceptionnel et s’effectuer selon des critères
objectifs et clairement définis. Qui plus est, il devrait être soumis
à un contrôle judiciaire concernant la sélection des affaires et
la sélection de la juridiction à laquelle l’affaire est transférée,
contrôle dont les conclusions devraient être contraignantes pour
le président de l’ONJ. Les possibilités de contrôle judiciaire actuellement
en place, telles qu’introduites par les amendements, sont clairement
insuffisantes. Nous souhaitons attirer l’attention sur le fait que
le transfert d’affaires ne résout pas le problème sous-jacent de capacité
structurelle insuffisante des tribunaux à Budapest
.
128. Le Parlement hongrois devrait introduire sans plus attendre
un contrôle judiciaire approfondi du transfert d’affaires. La situation
actuelle est contraire au principe de procès équitable, prévu par
l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. En
outre, nous tenons à souligner que dans son avis sur les amendements,
la Commission de Venise a insisté sur le fait que d’une manière
générale, elle «est fermement opposée au système de transfert d’affaires,
car il est contraire au principe de «juge naturel», qui est une composante
essentielle de la prééminence du droit»
.
129. Malheureusement, les amendements aux lois cardinales ne portent
pas sur l’abaissement controversé de l’âge obligatoire de départ
à la retraite appliqué aux juges ni sur la destitution prématurée
du président de la Cour suprême hongroise.
130. Les lois cardinales sur les services du parquet établissent
un parquet puissant et indépendant. Toutefois, elles pourraient
être améliorées en instituant un système d’équilibre des pouvoirs
solide, lequel n’est actuellement pas suffisamment bien conçu dans
la législation. Tout comme dans le cas des lois cardinales sur le
système judiciaire, un sujet de préoccupation majeur est lié au
fait que les dispositions transitoires
habilitent le Procureur
général à confier une affaire à une autre juridiction que la juridiction
compétente. La possibilité pour un procureur de sélectionner la
juridiction où une affaire doit être jugée est contraire au principe de
procès équitable, prévu par l’article 6 de la Convention. Cette
possibilité devrait donc être retirée au Procureur général, même
s’il n’en a jamais usé jusqu’à présent
.
131. Cette disposition a été censurée lorsque la Cour constitutionnelle
a annulé la plupart des dispositions transitoires le 28 décembre 2012.
Nous notons que la même disposition a été réintroduite dans le quatrième amendement
(article 15) déposé le 8 février 2013.
132. Nous saluons le fait que cette disposition n’a pas été adoptée
par le parlement lors de ses délibérations sur le quatrième amendement,
la coalition au pouvoir ayant décidé de retirer le projet d’article
15 concerné.
4.4. Législation applicable
aux médias
133. Le 9 novembre 2010, le Parlement hongrois a adopté
la loi CIV sur la liberté de la presse et les règles fondamentales
régissant le contenu des médias et, le 30 décembre 2010, il a adopté
la loi CLXXXV relative aux services de médias et aux médias de masse.
Ces deux lois, qui ont été adoptées à l’issue d’un processus long
et difficile, bouleversent profondément le paysage médiatique en
Hongrie. Elles ont été vivement critiquées dans le pays et à l’étranger,
car elles étaient perçues comme nuisant à l’indépendance des médias et
limitant le droit à la liberté d’expression.
134. En réponse aux inquiétudes exprimées, Dunja Mijatovic, représentant
de l’OSCE pour la liberté des médias, a demandé une évaluation juridique
indépendante de la législation relative aux médias
.
Les résultats de cette évaluation sont accablants. Selon le rapport,
la législation applicable aux médias établit «un système de réglementation
du contenu des médias (y compris du contenu accessible via Internet
et les TIC) qui, en termes d’envergure et de portée, va au-delà
de presque tout ce qui a déjà été mis en œuvre dans des pays démocratiques
et dépasse les limites de ce qui est admis dans le débat international
comme une approche adaptée et justifiée de la réglementation des
nouveaux services de communication. Par ailleurs, ce système introduit
– souvent sans tenir compte ou en violation des besoins d’un système
démocratique de communication sociale et de la lettre et l’esprit
des normes internationales – des règles plus strictes, des contrôles
plus incessants et des restrictions à la liberté d’expression»
.
Soulignant que le paquet législatif relatif aux médias va au-delà
de «ce qui est justifié et nécessaire dans une société démocratique»,
le rapport recommandait de revoir complètement ce paquet et de le
modifier en profondeur.
135. La commissaire européenne Kroes a émis de sérieuses réserves
quant à la législation applicable aux médias et indiqué que plusieurs
de ses dispositions ne semblaient pas conformes à la législation communautaire,
en particulier à la directive sur les services de médias audiovisuels,
aux règles du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
relatives à la liberté d’établissement et à la libre prestation
des services
et à l’article 11 de la Charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne. Le 10 mars 2011, le Parlement
européen a exprimé ses inquiétudes concernant la législation relative
aux médias et invité les autorités hongroises à réexaminer et modifier
fondamentalement le paquet législatif applicable aux médias
. Le
9 février 2012, la Commission a déclaré qu’elle envisageait d’engager
une procédure de l’article 7 si la Hongrie continuait à transgresser
la législation de l’Union européenne.
136. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe
de l’époque, Thomas Hammarberg, s’était aussi dit préoccupé par
ce qu’il qualifiait «d’effets cumulatifs destructeurs»
de la nouvelle législation relative à la liberté
de la presse et à la liberté d’expression en Hongrie. Son rapport
met l’accent sur ses inquiétudes liées, entre autres, au «mécanisme
de régulation déséquilibré d’un point de vue politique et doté de
pouvoirs disproportionnés, qui n’est pas soumis à un contrôle judiciaire
suffisant», aux menaces pesant sur l’indépendance des médias audiovisuels
de service public, à la violation des droits des journalistes de
ne pas révéler leurs sources et aux tentatives de régulation a priori
du contenu
.
137. En réponse aux critiques émises dans le pays et à l’étranger,
plusieurs amendements ont été introduits. Ces amendements ont limité
l’obligation de couverture impartiale aux organismes de radiodiffusion;
spécifié que les organismes de radiodiffusion étrangers ne pouvaient
pas être condamnés à une amende en vertu de la législation hongroise
relative aux médias pour incitation à la haine; précisé que, sur
demande, les prestataires de services de médias pouvaient ne s’enregistrer
qu’après avoir commencé à fournir des services de médias; et explicité
la disposition établissant que le contenu médiatique ne doit pas
être «offensant» de sorte à ce qu’elle n’englobe que la discrimination
et l’incitation à la haine. Même si ces amendements ont été salués
comme une mesure allant dans le bon sens, ils ont été jugés insuffisants
face aux inquiétudes et aux lacunes graves concernant la législation
relative aux médias. Le 19 décembre 2011, la Cour constitutionnelle a
adopté un arrêt
dans
lequel elle déclarait inconstitutionnelles les dispositions étendant
le champ d’application de la loi relative aux médias à la presse
en ligne et à la presse écrite ainsi que les dispositions imposant
aux organismes de radiodiffusion de communiquer à l’autorité de
régulation des médias toutes les informations qu’elle était susceptible
de leur demander. En outre, la Cour a jugé que les compétences attribuées
au commissaire pour les médias et les communications, nouvellement
mis en place, étaient inconstitutionnelles, car elles représentent
une restriction injustifiée à la liberté de la presse. Elle a par
ailleurs annulé les dispositions qui auraient contraint les journalistes
à révéler leurs sources dans le cadre de procédures judiciaires.
La Cour a accordé au législateur le délai du 31 mai 2012 pour introduire
des modifications tenant compte de son arrêt à la législation relative
aux médias.
138. Le 11 mai 2012, la Direction Générale des Droits de l’homme
et de l’Etat de droit du Conseil de l’Europe a publié une expertise
sur la législation hongroise relative aux médias, qui portait notamment
sur les amendements proposés à ladite législation pour faire suite
à l’arrêt de la Cour constitutionnelle. La Commissaire de l’Union
européenne Kroes a salué cette expertise, qui a confirmé les inquiétudes
de la Commission européenne concernant la législation régissant
les médias en Hongrie.
139. L’expertise a souligné que pour être conforme aux normes démocratiques
européennes, tout système de régulation des médias devait pouvoir
garantir et, tout aussi important, être perçu comme garantissant l’indépendance
de ce système vis-à-vis de toute influence et de tout contrôle politiques.
La clé de l’indépendance de l’organisme de régulation réside dans
son mode de nomination. Or, dans le cas de la Hongrie, l’expertise
du Conseil de l’Europe a révélé que le processus de nomination des
membres des instances de régulation
«ne garantissait
pas la neutralité ni l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique»
. En outre, les experts
ont noté que les garde-fous prévus par la loi étaient considérablement compromis
du fait que la coalition au pouvoir détenait une majorité constitutionnelle
des deux tiers au parlement. C’est pourquoi, ils ont recommandé
que le processus de nomination aux instances de régulation des médias
soit complètement reconsidéré.
140. Dans la nouvelle législation relative aux médias, outre les
habituels médias de radiodiffusion linéaires, les médias écrits
et les médias en ligne sont aussi tenus de s’enregistrer auprès
du Conseil des médias. Cette obligation a considérablement inquiété,
entre autres les médias nationaux et internationaux ainsi que les organisations
internationales. Si la délivrance d’une autorisation d’exercer aux
médias audiovisuels qui utilisent les fréquences de radiodiffusion,
rares, est admise par la Convention européenne des droits de l’homme,
l’enregistrement obligatoire des médias écrits et des médias en
ligne – dépassant le cadre d’une simple inscription fiscale ou déclaration
d’activité – est contraire aux principes de proportionnalité établis
par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Cet enregistrement obligatoire des médias en ligne et des médias
écrits n’a pas été censuré par les arrêts de la Cour constitutionnelle
hongroise, et les amendements introduits par les autorités hongroises
ne tiennent pas compte des inquiétudes exprimées à ce sujet
. C’est pourquoi, nous recommandons
que l’obligation pour les médias écrits et les médias en ligne de s’enregistrer
auprès de l’autorité de régulation des médias soit supprimée.
141. Les experts du Conseil de l’Europe ont trouvé particulièrement
préoccupantes les dispositions de la loi sur les médias visant à
établir un contrôle du gouvernement sur le contenu et la diffusion
des informations fournies par les médias. La loi établit le droit
de recevoir des informations «appropriées» sur les affaires publiques.
Par ailleurs, les prestataires de services de médias sont tenus
de fournir des informations «authentiques», «détaillées», «factuelles»,
«objectives» et «impartiales»
sur les affaires
publiques. Ces critères sont subjectifs et se prêtent à interprétation,
ce qui laisse une liberté d’appréciation excessive à l’autorité
de régulation. De sérieux doutes sont donc permis quant à la compatibilité
des dispositions avec le principe de liberté d’expression, telle
que garantie par l’article 10 de la Convention. Les dispositions
en question devraient être entièrement révisées afin de lever toute
ambiguïté et de ne laisser à l’autorité de régulation des médias
aucune marge d’interprétation. En outre, il convient de remédier
à toute forme d’ingérence dans le contenu des informations diffusées
par les organismes de radiodiffusion, abstraction faite de l’obligation
de couverture impartiale à remplir par les organismes de radiodiffusion
publics.
142. Les experts du Conseil de l’Europe considèrent que la régulation
des médias de service public est aussi source de préoccupation.
Plusieurs dispositions de la loi relative aux médias, portant en
particulier sur la nomination et la composition des autorités de
surveillance, compromettent l’indépendance des organismes de radiodiffusion
publics et les exposent à une influence politique indue
.
143. Des autorités de régulation des médias indépendantes et impartiales
sont indispensables à la protection de la liberté d’expression et
à son exercice, tels que garantis par l’article 10 de la Convention.
Dans ce contexte, les critiques et inquiétudes exprimées par les
experts du Conseil de l’Europe concernant le cadre réglementaire
des médias en Hongrie
sont
particulièrement préoccupantes.
144. L’autorité nationale des médias et de l’infocommunication
est constituée de plusieurs organes étroitement liés, dont les plus
importants sont le président de l’autorité, le conseil des médias
et le bureau de l’autorité. Le président de l’autorité est directement
nommé par le Premier ministre, qui est totalement libre de son choix,
pour un mandat de neuf ans
.
Les vice-présidents sont à leur tour nommés directement, pour un mandat
illimité, par le président de l’autorité. Le conseil des médias
est nommé par le parlement. Toutefois, en application de la loi
relative aux médias, le président de l’autorité est le seul candidat
aux fonctions de président du conseil des médias. Si le parlement
n’élit pas le président de l’autorité en tant que président du conseil
des médias, celui-ci présidera tout de même le conseil des médias
mais sans pouvoir exercer de droit de vote. Tous les autres membres
sont désignés par le parlement sur la base des candidats sélectionnés
par une commission de désignation des candidats, constituée de membres
de tous les groupes politiques représentés au parlement. Chaque
membre de cette commission dispose d’un vote pondéré en fonction
de l’effectif des députés de son groupe. La commission de désignation
des candidats devrait s’efforcer de sélectionner les candidats par
consensus. Toutefois, si elle n’y parvient pas, elle peut prendre
sa décision à une majorité des deux tiers des votes pondérés. Dans
la configuration actuelle du parlement, cette règle garantit
de facto à la majorité au pouvoir
l’entier contrôle du conseil des médias. Le mécanisme de désignation
du conseil des médias et du président de l’autorité est insuffisant
pour garantir l’indépendance de l’autorité des médias vis-à-vis
de tout intérêt ou contrôle politique. Ce problème est aggravé par
l’intégration des fonctions de délivrance des autorisations et de
surveillance des médias au sein d’une seule autorité des médias
– un cas unique en Europe – et par le fait que le président de l’autorité
soit automatiquement nommé président du conseil des médias. Il est
fortement recommandé de scinder les fonctions de délivrance des
autorisations et de surveillance des médias en deux organes indépendants
et distincts sur le plan fonctionnel ainsi que d’examiner les procédures
de nomination de ces organes afin de garantir l’indépendance politique
de facto de leurs membres.
145. Outre ces quatre aspects fondamentaux, l’expertise met l’accent
sur plusieurs autres points de la législation relative aux médias
qui sont contraires aux normes européennes. Le gouvernement hongrois devrait
s’évertuer à répondre dûment aux inquiétudes formulées dans l’expertise
du Conseil de l’Europe s’il ne veut pas être considéré comme manquant
à ses responsabilités au titre de l’article 10 de la Convention.
146. Dans sa lettre au ministre hongrois de la Justice en date
du 29 novembre 2012, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
indiquait que d’autres amendements à la législation applicable aux
médias en Hongrie étaient nécessaires pour garantir l’indépendance
des médias. A cette fin, il suggérait de séparer les fonctions de
président de l’autorité des médias de celles de président du conseil
des médias, de faire élire ces personnes par le parlement plutôt
que de les faire nommer par le Premier ministre et de limiter leur
mandat à un mandat unique. Dans sa réponse du 19 décembre 2012,
le ministre de la Justice a informé le Secrétaire Général que les
autorités acceptaient sa proposition de limiter le mandat du président
de l’autorité des médias à un mandat unique, mais qu’elles refusaient
de séparer les fonctions de président du conseil des médias de celles
de président de l’autorité des médias et de revoir la procédure
de nomination à ce poste. La mise en œuvre de l’ensemble des propositions
du Secrétaire Général aurait constitué un progrès important pour
garantir l’indépendance des autorités de régulation des médias.
C’est pourquoi, nous regrettons que ces propositions n’aient pas
été entièrement suivies par les autorités.
147. Le Secrétaire Général a demandé aux experts des médias du
Conseil de l’Europe d’évaluer les amendements proposés par les autorités
hongroises. Les experts se sont félicités que l’obligation de diffuser des
informations «détaillées, factuelles, à jour, objectives et impartiales»
soit remplacée par l’obligation de fournir des informations impartiales,
ce qu’ils ont considéré être une amélioration sensible. Ils ont
noté que les modifications proposées pour le mandat du président
de l’autorité des médias se limitent, s’ils sont adoptés, à ne plus
autoriser qu’un seul mandat. En outre, les fonctions de président
du conseil des médias n’ont pas été séparées de celles de président
de l’autorité des médias, contrairement aux recommandations précédemment formulées
par le groupe d’experts et le Secrétaire Général. Les experts doutent
du fait que le mécanisme de nomination proposé puisse exclure entièrement
des nominations politiques et recommandent donc que le mandat des
membres du conseil des médias soit limité à un seul mandat. Ils
espèrent que ces amendements seront suivis d’autres mesures visant
à mettre le reste de la législation applicable aux médias en conformité avec
les normes européennes.
148. Après notre visite en février 2013, nous avons été informés
que le parlement a adopté le 25 mars des amendements à la législation
applicable aux médias: aux termes de ces amendements, le président
de l’autorité des médias sera désigné par le Président de la République
sur proposition du Premier ministre et son mandat arrivera à terme
après neuf ans, sans possibilité de renouvellement.
5. Autres lois Cardinales
5.1. Loi cardinale CXII
de 2011 sur l’autodétermination informationnelle et la liberté d’information
149. La loi cardinale CXII de 2011 sur l’autodétermination
informationnelle et la liberté d’information a été adoptée par le
Parlement hongrois le 26 juillet 2011. Le projet de cette loi avait
été présenté par le gouvernement et, de ce fait, est soumis au processus
de consultation sociale obligatoire. Cette loi remplace la loi LXIII
de 1992 sur la protection des données à caractère personnel. Tout
comme l’ancienne loi, elle régit dans une seule loi les deux droits
de l’information: le droit à la protection des données à caractère
personnel et le droit à la liberté d’accès à l’information. Cette
façon de faire, relativement unique en Europe, permet une approche
globale et cohérente de la régulation de ces deux aspects. Cependant,
ces deux éléments peuvent parfois être incompatibles, ce qui est
susceptible d’entraîner des problèmes d’application et d’interprétation.
150. Dans l’ancienne loi, la surveillance de la mise en œuvre et
du respect des principes de protection des données et de liberté
d’information était exercée par un médiateur pour la protection
des données et la liberté de l’information, qui était élu par le
parlement pour un mandat de cinq ans. La nouvelle loi a supprimé
ce poste de médiateur et l’a remplacé par une autorité nationale
pour la protection des données et la liberté d’information. Cette
décision a été sévèrement critiquée par différents acteurs du pays
et étrangers, qui ont dit craindre que la loi et la nouvelle autorité
ne réduisent l’indépendance de la structure de surveillance déjà
en place
. Face à
ces critiques, qui ont conduit à l’ouverture d’une procédure d’infraction
par l’Union européenne en janvier 2012, la loi a été modifiée à
plusieurs reprises pour dissiper les différentes inquiétudes exprimées.
151. A la demande de la commission de suivi, la Commission de Venise
a préparé un avis sur la loi cardinale CXII de 2012, telle que modifiée,
avant son entrée en vigueur le 1er juin
2012. Cet avis
a
été adopté par la Commission de Venise lors de sa session plénière
des 12 et 13 octobre 2012.
152. Les amendements à la loi ont permis de garantir dans une large
mesure l’indépendance de l’autorité de surveillance
. La loi dispose que les missions
de l’autorité ne peuvent être fixées que dans la loi. En outre, elle
garantit l’autonomie budgétaire de l’autorité. La loi énonce désormais
des critères clairs pour la destitution du président de l’autorité
et la possibilité d’introduire devant les tribunaux un recours contre
une procédure de destitution. En outre, des conditions à remplir
strictes et des charges incompatibles avec la fonction de président
ont été introduites.
153. La procédure de désignation du président de l’autorité nationale
de la protection des données et de la liberté de l’information continue
à compromettre l’indépendance de l’autorité. Ce président est nommé
par le Président de la République pour un mandat de neuf ans, sur
proposition du Premier ministre. Le parlement est donc entièrement
exclu de la procédure, ce qui pourrait fragiliser l’indépendance
du président de l’autorité, étant donné que, dans la plupart des
cas, le Premier ministre et le Président appartiennent au même parti
et à la majorité au pouvoir.
154. Dans son avis, la Commission de Venise conclut que, dans l’ensemble,
la loi CXII de 2011 sur l’autodétermination informationnelle et
la liberté d’information «peut être considérée comme conforme aux normes
européennes et internationales applicables»
.
5.2. Loi cardinale CCVI
de 2011 sur le droit à la liberté de conscience et de religion et
sur le statut juridique des églises, des confessions et des communautés
religieuses
155. La loi cardinale CCVI remplace la loi cardinale C
sur la liberté de religion et le statut des églises. L’ancienne
loi, qui est quasiment identique à la nouvelle, a été adoptée le
11 juillet 2011. Or, fin 2011, la presse a appris que la Cour constitutionnelle
allait invalider cette loi pour des raisons de procédure. En réaction,
le 19 décembre 2011, le parlement a abrogé la loi C de 2011
,
juste avant qu’elle ne soit invalidée par la Cour constitutionnelle
. Un nouveau projet de loi a
été soumis au parlement le 23 décembre 2011 par un député à titre
individuel et adopté le 30 décembre 2011. La nouvelle loi est entrée
en vigueur le 1er janvier 2012. Pour empêcher
la Cour constitutionnelle de l’annuler pour des raisons de fond,
la loi relative aux églises a été dotée d’une base constitutionnelle
en introduisant une référence à cette loi dans les dispositions
transitoires, adoptées le 31 décembre 2011.
156. Le 20 janvier 2012, les autorités hongroises ont demandé à
la Commission de Venise un avis sur cette loi. Cet avis, CDL-AD(2012)004,
a été adopté par la Commission de Venise lors de sa 90e session
plénière des 16 et 17 mars 2012.
157. L’ancienne loi
sur la liberté de religion et le
statut des églises, qui datait de 1990, fixait des conditions très
libérales pour l’enregistrement d’une église
.
De ce fait, fin 2011, plus de 300 organisations étaient enregistrées
en tant qu’église. Plusieurs d’entre elles se seraient enregistrées
en tant qu’église uniquement pour bénéficier d’avantages fiscaux
et économiques et non pas pour exercer des activités religieuses.
Il est donc compréhensible que les autorités aient souhaité remédier
au recours abusif à cette procédure d’enregistrement, trop tolérante.
Toutefois, des critiques ont été formulées au sujet de plusieurs
dispositions rétroactives et discriminatoires, ainsi que concernant
la nouvelle procédure d’enregistrement et les critères à appliquer.
158. Comme indiqué dans l’avis de la Commission de Venise, cette
loi fixe un cadre juridique libéral et approprié pour la protection
du droit à la liberté de religion et de conviction. Toutefois, certaines
dispositions importantes s’écartent des normes internationales
.
159. La disposition de cette loi cardinale indiquant qu’une «église,
confession ou communauté religieuse (dénommée ci-après «église»)
est une organisation autonome
reconnue par l’Assemblée nationale» est particulièrement
préoccupante
.
Aux termes des normes internationales, la liberté de religion englobe
le droit d’exercer sa religion en communauté, avec d’autres, sans
qu’il soit nécessaire d’obtenir la reconnaissance officielle d’une
autorité publique. L’obligation d’être reconnue par le Parlement
hongrois pour pouvoir s’enregistrer en tant qu’église est par conséquent
considérée comme une restriction au principe de la liberté de religion
.
160. S’il est légitime de demander à une église qu’elle s’enregistre
pour pouvoir bénéficier de certains privilèges et avantages économiques
de la part de l’Etat, il n’en reste pas moins que la jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l’homme établit clairement que
l’Etat devrait être strictement neutre dans l’octroi de l’autorisation
correspondante. La décision d’accorder ou de refuser un enregistrement
devrait donc reposer sur des critères impartiaux, clairement fixés.
En outre, elle devrait être motivée et préciser les motifs légitimes
qui, le cas échéant, ont justifié le refus.
161. Au vu de ce qui précède, le fait qu’aux termes de cette loi,
les églises doivent être reconnues par un vote à la majorité des
deux tiers du parlement fait particulièrement problème. Même si
la loi énumère un ensemble de critères d’enregistrement – dont certains
sont problématiques et seront examinés ci-après – le parlement est
souverain dans sa prise de décision. Les motifs de ses décisions
ne sont pas publics et n’ont pas à être expliqués. La procédure
d’enregistrement est donc non seulement opaque, mais aussi arbitraire
dans la mesure où elle dépend des orientations politiques privilégiées
par la majorité des deux tiers requise au parlement. A ce sujet,
la Commission de Venise fait valoir que la sécurité et la continuité
juridiques pourraient être menacées, car la composition du parlement
risque de varier dans le temps, ce qui pourrait conduire à ce que
les normes relatives à l’enregistrement et à la radiation des églises
évoluent de fait.
162. Le parlement prend ses décisions concernant l’enregistrement
des églises à une majorité des deux tiers. Une décision d’accorder
un enregistrement prend la forme d’une loi, jointe à la loi CCVI
de 2011, tandis qu’une décision de refuser un enregistrement se
présente sous la forme d’une résolution, laquelle ne peut être réexaminée
par un tribunal. Les recours contre une décision de refuser un enregistrement
et les demandes de réparation sont donc impossibles
.
Qui plus est, les communautés religieuses auxquelles un enregistrement en
tant qu’église a été refusé ne peuvent pas déposer de nouvelle demande
pendant un délai d’un an.
163. Le 29 février 2012, le parlement a adopté un projet de loi
accordant l’enregistrement à un total de 27 églises
. Par contre, les motifs
et critères ayant motivé la décision de reconnaître ces communautés
n’ont pas été spécifiés, ce qui illustre le manque de transparence
du processus d’enregistrement dans son ensemble.
164. Le processus d’enregistrement des églises s’écarte clairement
des normes et standards européens. Pour satisfaire aux normes européennes,
nous recommandons que l’enregistrement soit effectué soit par les tribunaux
soit par le ministère de l’Intérieur/de la Justice en vertu de critères
légaux clairs et impartiaux. Une décision de ne pas accorder un
enregistrement devrait être passible d’appel devant un tribunal.
Les observations et réserves émises par la Commission de Venise
dans son avis relatif à cette loi devraient être dûment prises en
compte.
165. Plusieurs des critères d’enregistrement mentionnés dans la
loi cardinale sont problématiques. En application de ces critères,
toute communauté religieuse souhaitant être enregistrée en tant
qu’église devrait exister depuis au moins 20 ans en Hongrie ou depuis
au moins 100 ans à l’étranger. Or, les lignes directrices de la
Commission de Venise énoncent «qu’il est contre-indiqué de faire
dépendre l’enregistrement de la présence de l’organisation pendant
une longue période sur le territoire national»
. De la même manière, la Cour européenne
des droits de l’homme a invalidé le fait de subordonner l’enregistrement
des églises à la condition d’une longue durée d’existence. Ainsi,
dans l’affaire
Kimlya et autres c. Russie , la Cour
a jugé qu’il était excessif d’imposer une durée d’existence de 15
ans. Il est donc évident que la durée d’existence de 20 ans exigée
par la loi relative à la liberté de religion va à l’encontre de
la jurisprudence établie par la Cour européenne des droits de l’homme.
166. Aux termes de la loi, une demande d’enregistrement peut être
refusée pour des motifs de sécurité nationale. Comme indiqué par
la Commission de Venise
, la «sécurité nationale» n’est
pas un motif légitime susceptible de justifier des restrictions
à la liberté de religion ou de conviction telle que prévue par la Convention
européenne des droits de l’homme
.
Il conviendrait donc de retirer cette disposition de la loi.
167. La radiation d’églises à l’adoption de la nouvelle loi est
un autre sujet de préoccupation majeur concernant la loi cardinale
sur la liberté de religion. Toutes les églises, sauf les 14 qui
figuraient dans la loi initiale, ont été tenues de déposer une nouvelle
demande d’enregistrement en tant qu’église. Ce processus de radiation
est discriminatoire, soulève des questions sur l’application rétroactive
de dispositions légales ainsi que sur la continuité juridique et
fait problème au regard de la jurisprudence de la Convention européenne
des droits de l’homme. Une radiation devrait être considérée comme
une restriction à la liberté de religion qui ne peut se justifier
qu’en vertu de normes juridiques internationales bien précises
. Il est à noter que les lignes directrices
de la Commission de Venise pour les lois relatives aux convictions
religieuses spécifient que «des dispositions rétroactives qui ne
protègent pas les intérêts acquis (en obligeant par exemple les
entités religieuses à se faire réenregistrer sur la base de nouveaux
critères) ne peuvent être que discutables
.
168. Le 12 août 2012, le médiateur hongrois, Máté Szabó, a demandé
à la Cour constitutionnelle d’annuler la loi cardinale sur la liberté
de religion au motif qu’elle était contraire au principe de séparation
des Eglises et de l’Etat. De son point de vue, l’obligation pour
les églises d’être reconnues par le parlement allait à l’encontre de
la séparation des Eglises et de l’Etat ainsi qu’au principe de procédure
équitable. Qui plus est, un recours juridique n’était pas possible.
Le 28 décembre 2012, la Cour constitutionnelle a annulé celles des
dispositions transitoires qui habilitaient le parlement à prendre
les décisions relatives à l’enregistrement des églises et à définir
les critères correspondants. Le 26 février 2013, elle a en outre
censuré sur le fond plusieurs dispositions de la loi cardinale relative
aux églises. Cependant, la majorité au pouvoir a réintroduit les
mêmes dispositions par le biais du quatrième amendement, adopté
le 11 mars 2013. De ce fait, les églises continueront à être enregistrées
par le parlement.
5.3. Loi cardinale CLXXIX
de 2012 sur les droits des nationalités
169. La loi cardinale CLXXIX de 2011 sur les droits des
minorités nationales a été adoptée le 19 décembre 2011. Le projet
de loi correspondant avait été proposé par le gouvernement et a
donc été soumis au processus de consultation sociale obligatoire.
Nous nous félicitons que cette loi ait été élaborée par le gouvernement
et qu’une consultation sociale ait été menée sur un sujet aussi
sensible que les droits des minorités. Cette démarche a clairement
profité à la qualité de la loi. Sur demande de la commission de
suivi, la Commission de Venise a préparé un avis
sur
cette loi qu’elle a adopté lors de sa 91e session plénière des 15
et 16 juin 2012.
170. Selon le recensement de 2001, environ 4,34 % de la population
seraient membres d’une minorité nationale ou ethnique. La loi sur
les minorités de 1993, qui était en place avant l’adoption de la
loi cardinale CLXXIX de 2011, était réputée une loi particulièrement
progressiste. En revanche, les dispositions régissant l’élection
des instances autonomes des minorités étaient considérées par beaucoup
comme susceptibles de donner lieu à des abus.
171. Une évolution majeure introduite par la nouvelle loi concerne
le passage de la notion de minorités ethniques et nationales à celle
de nationalités. Aux termes de l’avis de la Commission de Venise,
la
nouvelle loi confirme l’engagement de la Hongrie à l’égard de la
protection des minorités, sur la base des normes et standards internationaux.
La loi établit des mécanismes de protection d’ensemble pour les
droits individuels et collectifs des minorités. Par contre, elle
est complexe et excessivement détaillée, ce qui est quelque peu fâcheux,
compte tenu du fait qu’elle a le statut de loi cardinale et que,
de ce fait, elle ne peut être modifiée qu’à une majorité des deux
tiers. Comme nous l’avons mentionné dans notre évaluation générale
du cadre constitutionnel, un tel niveau de détail devrait être réservé
aux lois ordinaires afin de garantir la souplesse requise pour l’élaboration
des lois au quotidien.
172. La loi consolide et renforce le domaine de l’autonomie des
minorités, en particulier en ce qui concerne l’élection des instances
autonomes des minorités, point particulièrement critiqué dans l’ancienne
législation. A cet égard, la Loi fondamentale de la Hongrie de 2011
dispose que les nationalités
participent aux travaux du parlement en vertu d’une loi cardinale.
Cette disposition est régie par la loi cardinale sur l’élection
des membres du parlement, qui sera examinée ci-après.
5.4. Loi cardinale CXI
de 2011 sur la protection de la famille
173. La loi cardinale CXI de 2011 sur la protection de
la famille a été adoptée le 23 décembre 2011. Le projet de loi correspondant
avait été introduit, le 2 décembre 2011, par un député à titre individuel
et n’avait donc pas été soumis à la procédure de consultation sociale
qui aurait été appliquée si le projet avait été proposé par le gouvernement.
C’est fâcheux si l’on considère le caractère sensible du domaine
régi par cette loi et la controverse déclenchée par la position
stricte adoptée à l’égard de plusieurs aspects ayant trait à la
morale et aux valeurs.
174. La commission de suivi a demandé à la Commission de Venise
un avis sur la loi cardinale relative à la protection de la famille.
Malheureusement, le 20 avril 2012, la Commission de Venise a rejeté
cette demande au motif qu’elle ne possédait pas les compétences
requises en matière de droit privé.
175. La loi sur la protection de la famille adopte des positions
strictes et souvent controversées sur différents aspects relevant
de la morale et des valeurs. Le présent avis n’est pas indiqué pour
examiner le bien-fondé de telles positions. Toutefois, nous tenons
à souligner que dans son avis sur la Constitution, la Commission
de Venise a insisté à juste titre sur le fait que «les politiques
déployées en matière culturelle, religieuse, morale, socio-économique
et financière ne devraient pas être verrouillées dans des lois organiques»
mais relever du processus politique ordinaire
et être tranchées à la majorité simple. Cette réserve vaut également
pour la loi sur la protection de la famille.
176. La loi sur la protection de la famille introduit une définition
extrêmement restrictive de la famille. Aux termes de la loi cardinale,
cette définition doit être reprise dans tout autre texte législatif,
quel qu’en soit l’objet. Toutefois, cette définition semble être
en contradiction avec la législation de rang inférieur. Sans vouloir entamer
un débat sur le bien-fondé de cette définition, nous craignons qu’une
interprétation aussi restrictive conduise à une législation discriminatoire
au niveau inférieur et, de ce fait, soit contraire à la législation internationale
relative aux droits de l’homme et aux obligations de la Hongrie
envers le Conseil de l’Europe.
177. La loi cardinale sur la protection de la famille comporte
une disposition qui impose aux prestataires de services de médias
de respecter l’institution du mariage ainsi que la valeur de la
famille et du rôle de parent. Comme indiqué dans l’avis d’experts
du Conseil de l’Europe sur la législation relative aux médias, une interprétation
restrictive de cette disposition pourrait «non seulement aller à
l’encontre de la liberté d’expression telle que garantie par l’article
10 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi être
contraire au droit à la liberté de conscience protégé par l’article
9 de la même convention»
.
C’est pourquoi l’avis recommande de supprimer cette disposition
de la loi cardinale, et nous y sommes tout à fait favorables.
178. Le médiateur de la Hongrie a demandé à la Cour constitutionnelle
de se prononcer sur la constitutionnalité de la loi sur la protection
de la famille. Le 20 décembre 2012, la Cour a rendu un arrêt indiquant
que la définition de la famille était trop restrictive et que les
dispositions de cette loi en matière de succession étaient inconstitutionnelles,
car non conformes au Code civil de la Hongrie (qui garantit l’égalité entre
le mariage et l’union civile). La Cour constitutionnelle a considéré
que ce point était contraire au principe de certitude juridique
garanti par la Constitution hongroise. Cet arrêt ajoute foi à nos
craintes concernant l’incohérence de cette loi cardinale avec la
législation de rang inférieur et avec les obligations à remplir
par la Hongrie dans le domaine des droits de l’homme en vertu d’instruments
internationaux.
179. Nous constatons avec inquiétude que le quatrième amendement
à la Loi fondamentale a réintroduit, le 11 mars 2013, cette définition
de la famille particulièrement restrictive.
6. Conclusions
180. Le présent rapport décrit plusieurs évolutions inquiétantes
et défaillances graves du processus de réforme constitutionnelle
en Hongrie. Ces défaillances se reflètent dans celles que présente
la réforme de la législation applicable aux médias. C’est pourquoi
nous traiterons ces deux aspects conjointement dans nos conclusions.
181. La Constitution et les lois cardinales ont été adoptées à
l’issue d’un processus manquant de transparence, au mépris d’une
procédure démocratique en bonne et due forme et sans véritable consensus
ni consultation digne de ce nom du plus grand nombre des forces
politiques représentées dans la société hongroise. Ce processus
d’adoption nuit à la légitimité démocratique de la nouvelle Loi
fondamentale. Qui plus est, la Constitution et les lois cardinales
comportent plusieurs dispositions et déclarations qui reposent sur
des normes morales et éthiques controversées et contestées dans
la société hongroise. Sans vouloir entamer de débat sur ces déclarations
et dispositions, nous tenons à faire remarquer qu’un cadre constitutionnel
devrait s’abstenir de codifier des valeurs et des normes qui prêtent
à controverse et au sujet desquelles des opinions et conceptions
différentes ont légitimement cours dans la société.
182. L’ancienne Constitution a été modifiée à 12 reprises par l’actuelle
coalition au pouvoir. Les dispositions transitoires adoptées juste
avant l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi fondamentale l’ont
considérablement modifiée et complétée. En outre, la nouvelle Loi
fondamentale a déjà été modifiée à quatre reprises, la dernière fois,
entre autres, pour réintroduire les dispositions transitoires invalidées
par la Cour constitutionnelle. Le remaniement continu du cadre constitutionnel
s’est transformé en instrument du pouvoir politique au lieu d’établir
un cadre régissant l’organisation de l’Etat et du gouvernement,
ce qui n’a fait que compromettre davantage la légitimité démocratique
du nouveau cadre constitutionnel.
183. Le cadre constitutionnel repose sur un recours excessif –
abusivement détaillé – aux lois cardinales et aux dispositions cardinales
contenues dans les lois ordinaires, qui exigent une majorité qualifiée
des deux tiers pour pouvoir être adoptées ou modifiées. Cette utilisation
excessive des lois et dispositions cardinales ne peut être interprétée
que comme une tentative de la majorité au pouvoir de verrouiller
dans le cadre constitutionnel du pays les orientations politiques
qu’elle privilégie, ce qui lui permet de définir la politique nationale
bien au-delà du mandat que les électeurs hongrois lui ont confié.
184. Ce souhait d’exercer un contrôle sur la société hongroise
bien au-delà de son mandat démocratique ressort aussi clairement
du seul nombre des institutions et organes de régulation que la
majorité au pouvoir a soit créés soit complètement réformés. Cette
démarche a permis à l’actuelle majorité au pouvoir, qui a utilisé sa
majorité des deux tiers au parlement, de placer les institutions
et organes en question sous son contrôle politique étroit. Les longs
mandats et le fait que, dans le futur, le parlement ne parviendra
très probablement pas à désigner à la majorité des deux tiers requise
les successeurs des dirigeants de ces organes font que l’actuelle
majorité au pouvoir pourra exercer de fait un contrôle sur, entre
autres, l’autorité de régulation des médias, la Banque centrale,
le conseil du budget, le corps judiciaire, le médiateur après la
fin de son actuel mandat et la Cour constitutionnelle.
185. Du fait du verrouillage, dans le cadre constitutionnel, des
orientations politiques privilégiées et du contrôle politique exercé
sur des institutions et des organes de régulation théoriquement
indépendants, les futures élections perdront tout intérêt puisqu’un
nouveau gouvernement ne sera pas en mesure de modifier la législation
adoptée par son prédécesseur dans un grand nombre de domaines, à
moins de rassembler lui aussi une majorité des deux tiers. Cet état
de fait est une source potentielle d’instabilité politique et constitutionnelle, systémique.
Tout parti ou coalition de partis réunissant plus d’un tiers des
voix au parlement pourra de facto mettre
son veto à la politique nationale. En conséquence, les négociations
concernant la modification ou l’adoption de lois seront vraisemblablement
longues et difficiles.
186. Le nouveau cadre constitutionnel a gravement érodé le système
d’équilibre des pouvoirs en Hongrie. Le pouvoir a été extrêmement
concentré et une marge d’appréciation excessive a été accordée pour
la prise de décision à plusieurs acteurs clés des principaux organes
de régulation et de surveillance. En revanche, l’obligation de ces
personnes de rendre compte de leur action a diminué au même titre
que la possibilité d’introduire un recours et de demander un réexamen
de leurs décisions, réexamen qui se limite désormais, dans de nombreux
cas, à des aspects de procédure.
187. C’est par la réduction systématique des pouvoirs et compétences
conférés à la Cour constitutionnelle que l’érosion du système d’équilibre
des pouvoirs se manifeste le plus clairement. La Cour constitutionnelle joue
un rôle de contrepoids et de modération essentiel dans le système
juridico-politique hongrois, en particulier dans le contexte du
système politique unicaméral du pays. Dans ces conditions, la diminution
de ses pouvoirs et compétences a des effets directs et négatifs
sur le fonctionnement démocratique du système politique hongrois.
En outre, dans tout Etat de droit, il est primordial de se conformer
aux décisions de la plus haute instance du pays. A cet égard, le
fait que la coalition au pouvoir se soit, à plusieurs reprises,
servi abusivement de sa majorité des deux tiers pour réintroduire
des dispositions que la Cour constitutionnelle avait précédemment
jugées inconstitutionnelles est particulièrement préoccupant.
188. A ce sujet, nous tenons à souligner que deux raisons principales
peuvent justifier une majorité des deux tiers en matière constitutionnelle,
à savoir protéger le cadre constitutionnel de modifications abusives
par un parti au pouvoir pour des intérêts partisans ou particuliers
et faire en sorte que la Constitution ne soit adoptée ou modifiée
qu’en vertu d’un consensus le plus large possible entre l’ensemble
des forces politiques sur les fondements juridiques et démocratiques
de l’Etat. La propension de l’actuelle coalition au pouvoir à utiliser
sa majorité qualifiée unique en violation de ces principes pour
imposer sa volonté et contourner les arrêts de la Cour constitutionnelle
soulève des questions quant au respect des principes démocratiques
et de la prééminence du droit, d’autant que cette majorité constitutionnelle
ne repose que sur un peu moins de 53 % du vote populaire. De la
même façon, le boycott des délibérations et du vote du nouveau cadre
constitutionnel par l’opposition soulève des questions concernant
la culture politique et démocratique de l’actuel parlement.
189. Les avis de la Commission de Venise préparés sur la Loi fondamentale
et sur plusieurs lois cardinales, de même que d’autres expertises
de spécialistes renommés et des décisions de justice internes ou internationales
mentionnées dans le présent avis ont révélé qu’à différents égards,
le nouveau cadre constitutionnel s’écarte ou va à l’encontre des
normes européennes – en particulier de la Convention européenne
des droits de l’homme – ainsi que de la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme et du droit de Union européenne.
Tel est par exemple le cas des lois cardinales relatives aux élections,
au système judiciaire, à la reconnaissance des églises, à la protection
de la famille et aux affaires sociales. En outre, les arrêts de
la Cour constitutionnelle ont montré que certaines de ces lois sont
contraires à la Loi fondamentale hongroise et aux garanties constitutionnelles.
190. Nous reconnaissons que, ces deux dernières années, plusieurs
amendements ont été apportés à la législation et ont dissipé, dans
une certaine mesure, quelques-unes des inquiétudes exprimées dans
le pays et à l’étranger. Toutefois, il est à noter que ces modifications
ont été introduites sous une pression internationale massive et
concertée, notamment par crainte de sanctions, et que les autorités
n’ont pas apporté de réponse à la plupart des critiques et sujets
de préoccupation majeurs.
191. Il est donc permis de douter de la volonté du pays de se conformer
aux normes européennes, ainsi qu’aux principes démocratiques et
à la prééminence du droit. De notre point de vue, l’absence de volonté
des autorités actuelles de respecter ces principes fondamentaux
s’est manifestée par l’adoption du quatrième amendement à la Constitution.
Ce dernier a été adopté en dépit des recommandations d’un grand
nombre de personnalités et d’experts nationaux et internationaux
et contre l’avis explicite des partenaires européens de la Hongrie.
Nous considérons que le fait que cet amendement ait délibérément
servi à réintroduire plusieurs dispositions qui avaient été précédemment
jugées anticonstitutionnelles ou considérées incompatibles avec les
normes européennes et la jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l’homme est inacceptable et incompatible avec les obligations
de la Hongrie en sa qualité de membre du Conseil de l’Europe.
192. Nous estimons que chacun des sujets de préoccupation décrits
dans le présent avis est par nature grave en termes de démocratie,
de prééminence du droit et de respect des droits de l’homme. Pris
séparément, ils mériteraient déjà d’être soumis à un examen approfondi
de l’Assemblée. En fait, ce qui est frappant en l’espèce, c’est
l’accumulation même des réformes visant à établir un contrôle politique
sur la plupart des institutions stratégiques tout en affaiblissant
volontairement le système d’équilibre des pouvoirs, notamment en
contournant et en court-circuitant la Cour constitutionnelle.
193. En sa qualité de membre du Conseil de l’Europe, la Hongrie
est tenue de respecter les normes les plus exigeantes possibles
en matière de fonctionnement de ses institutions démocratiques,
de protection des droits de l’homme et de respect de la prééminence
du droit. Telles sont les obligations que le pays s’est volontairement
engagé à remplir lorsqu’il est devenu membre du Conseil de l’Europe.
Les évolutions décrites dans le présent avis suscitent de sérieux
doutes quant à la mesure dans laquelle le pays respecte toujours
ces principes fondamentaux et à la volonté des autorités de continuer
à s’y conformer. C’est pourquoi nous ne voyons pas d’autre possibilité
que de recommander l’ouverture d’une procédure de suivi concernant
la Hongrie, jusqu’à ce que l’Assemblée considère qu’une réponse
satisfaisante a été apportée aux sujets de préoccupation décrits
dans le présent avis.