1. Introduction
1.1. Procédure
1. Le 22 mars 2011, l'Assemblée parlementaire a décidé
de renvoyer, pour rapport, la proposition de résolution «Sécurité
nationale et accès à l'information» à la commission des questions
juridiques et des droits de l'homme
. Lors
de sa réunion du 6 juin 2011, la commission m'a désigné rapporteur.
2. A l'occasion de l'audition consacrée à la liberté des médias
en Europe, organisée par la sous-commission des médias en Suède
le 12 septembre 2011, Mme Agnès Callamard, directrice exécutive
de l’organisation non gouvernementale (ONG) Article 19, s'est adressée
aux parlementaires sur la question de la sécurité nationale et de
l'accès à l'information.
3. Lors de sa réunion du 6 septembre 2012, la commission a examiné
une note introductive
présentant les éléments en jeu et
les évolutions en cours en la matière.
4. A la suite de l'invitation de l’Open Society Justice Initiative
(OSJI) et du Center for Advanced Security Theory (CAST) de l’université
de Copenhague, j’ai assisté à une consultation d'experts consacrée
à la sécurité nationale et au droit à l'information à Copenhague
du 20 au 22 septembre 2012. Cette réunion portait sur les lois et
pratiques des pays européens en matière de juste équilibre entre
le droit à l'information du public et la nécessité occasionnelle
du secret en vue de protéger les intérêts nationaux légitimes dans
le domaine de la sécurité et, d'autre part, à contribuer à l'élaboration
des «Principes globaux de la sécurité nationale et du droit à l'information»
(ci-après les «Principes
globaux») qui ont été finalisés le 12 juin 2013. A Copenhague, j’ai présenté
l’acquis du Conseil de l’Europe dans ce domaine, notamment les précédentes
résolutions de l’Assemblée basées sur les rapports de M. Dick Marty
sur la restitution et la détention secrète
.
5. Lors de sa réunion du 11 décembre 2012, la commission a tenu
un échange de vues avec trois experts:
- Mme Sandra Coliver, juriste, Liberté d’information et
d’expression, à l’Open Society Justice Initiative (OSJI), qui assure
la coordination du projet «Principes globaux de la sécurité nationale
et du droit à l’information», New York, Etats-Unis;
- Mme Susana Sanchez Ferro, Professeur à l’Université de
Madrid, Espagne;
- Lord Alexander Carlile of Berriew CBE QC, ancien contrôleur
indépendant, Londres, Royaume-Uni.
M. Matthew Pollard,
conseiller juridique, Amnesty International (Londres), a aussi participé
à la discussion lors de la réunion de la commission.
1.2. Aperçu des principaux
éléments en jeu
6. La sécurité nationale a, tout particulièrement depuis
le déclenchement en 2001 de la «guerre contre le terrorisme», fréquemment
été invoquée pour restreindre les libertés et justifier les abus
des agents publics. Le fait que l’administration accorde au parlement,
à la justice et aussi aux citoyens un accès infime aux informations
secrètes crée un déséquilibre des pouvoirs en faveur de l'exécutif.
Ce problème prend sa source dans une question plus vaste: l'absence
d'accès aux informations détenues par l'Etat, qui est renforcée
par «l’invocation systématique et arbitraire du privilège du secret
d’Etat»
.
7. L’accès à l'information revêt une importance capitale dans
une société démocratique. Il est l'instrument de la jouissance des
autres droits de l'homme; il offre une garantie contre les abus
de pouvoir, en renforçant la transparence et l'obligation de rendre
des comptes de l'administration, tout en permettant la participation effective
des citoyens à une société avertie
.
8. La protection de la sécurité d'une nation et de ses citoyens
représente, bien entendu, un élément important de l'intérêt général.
Pour pouvoir protéger la nation et mener à bien des opérations militaires
et de renseignement, il est souvent indispensable de tenir certains
types d'information hors de portée du grand public. Le conflit inévitable
entre l'accès autorisé ou interdit aux informations est renforcé
par l'absence de cadre juridique clair et de normes internationales,
voire par leur manque de mise en œuvre effective. Le caractère excessivement
étendu et flou des exceptions faites au principe de l’accès à l’information
au nom de la sécurité nationale permet de dissimuler des activités
illégales et restreint l'accès des victimes à la justice
.
9. Les mécanismes de surveillance parlementaires et judiciaires
sont souvent mal armés pour trouver le juste équilibre entre ces
intérêts contradictoires. Cela tient au fait que ces mécanismes
n'ont pas eux-mêmes accès aux informations secrètes ou classées
confidentielles ou, s'agissant des mécanismes parlementaires, au
fait que leur composition est d'ordinaire le reflet de la majorité
parlementaire qui soutient le gouvernement au pouvoir. La plupart
des atteintes aux droits de l'homme commises dans le cadre de la
«guerre contre le terrorisme» ont de fait été dévoilées grâce aux
informations révélées par des donneurs d’alerte et au travail d’investigation
des journalistes et des ONG plutôt que par l’action des mécanismes
de surveillance parlementaires ou judiciaires
.
10. Ces donneurs d'alerte ont ainsi acquis une certaine importance,
en dévoilant des informations qui présentaient un intérêt pour le
public, notamment sur les atteintes aux droits de l'homme commises
sous couvert de sécurité nationale et de secret d'Etat. Malheureusement,
certaines de ces personnes sont aujourd'hui en détention provisoire,
accusées d'espionnage
.
Citons, pour de plus amples informations sur ce sujet majeur, l'admirable
travail de notre collègue de l’Assemblée, M. Pieter Omtzigt
. Les Principes
globaux cités auparavant couvrent également quelques orientations
importantes sur la protection des donneurs d’alerte
.
11. L'absence d'information sur d'importantes questions d'intérêt
général empêche tout contrôle effectif et favorise une culture du
secret et de l'impunité qui, à son tour, menace les valeurs démocratiques
sur lesquelles reposent nos sociétés. Il convient par conséquent
de veiller à créer un environnement favorable, qui permette à l'exécutif
de respecter, de protéger et de garantir la transparence, en évitant
ainsi la création d'un terrain propice aux atteintes aux droits
de l'homme commises au nom de la sécurité nationale.
2. Le droit
international des droits de l'homme applicable en matière d'accès
à l'information
12. Diverses résolutions
ont
reconnu à l'échelon international l’existence d'un droit de l'homme
de l'accès à l'information, bien qu'il soit habituellement considéré
comme un aspect du droit à la liberté d'expression
. Les dispositions relatives
à la liberté d'expression de la Déclaration universelle des droits
de l'homme et du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques (ci-après «le PIDCP») garantissent le droit individuel
à rechercher et obtenir des informations, qui est une composante
du droit d'accès à l'information
.
L’observation générale N° 34 affirme que l’article 19 du PIDCP «vise
un droit d’accès à l’information détenue par les organismes publics»
. La Convention européenne des
droits de l’homme (STE n° 5, «la Convention») prévoit le droit de
recevoir des informations en vertu de la garantie de la liberté
d’expression
, même s’il ressort difficilement
de la Convention l’existence d’un droit général d’accès à l’information
détenue par l’Etat. L’Organisation des Etats Américains et l’Union
africaine ont récemment adopté des lois-types sur l’accès à l’information
pour contribuer à l’adoption d’une législation nationale.
2.1. L’évolution à l’échelon
national
13. La législation relative à la liberté d'information
a connu ces dernières décennies une évolution rapide à l'échelon
national et régional, avec la reconnaissance d'un droit d'accès
aux informations détenues par l'Etat et aux documents publics
.
Selon l’Open Society Justice Initiative, en juin 2013, 94 pays dans
le monde avaient adopté, sous une forme ou une autre, des dispositions
ou une législation sur la liberté d'information
, tandis que 20 autres Etats étaient
en passe de se doter de ce type de texte
. Depuis le début des années 1990,
le droit à l'information a également été intégré dans un certain
nombre de constitutions nationales nouvelles ou révisées
.
Au moment de la rédaction de ce rapport, plus de 5,2 milliards de
personnes dans 95 pays du monde bénéficiaient du droit d’accès à
l’information au moins en droit
. Sur les 47 Etats membres du Conseil
de l’Europe, seuls six, à savoir Andorre, Chypre, Luxembourg, Monaco,
Saint-Marin et l’Espagne, ne possèdent pas encore de législation
sur l’accès à l’information
.
14. Mais la qualité de la législation nationale et de sa mise
en œuvre varie considérablement d'un pays à l'autre
; il est donc souhaitable que les
normes internationales soient précisées, notamment les exceptions au
principe de l'accès à l'information au nom de la sécurité nationale.
2.2. L’évolution en
Europe
2.2.1. La Convention du
Conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics
15. Le Conseil de l'Europe a affirmé à diverses occasions
l'existence d'un droit d'accès à l'information
et a
adopté la première convention internationale sur le droit d'accès
aux documents publics, la Convention du Conseil de l’Europe sur
l’accès aux documents publics (STCE n° 205) en 2008
.
16. La réalisation la plus importante de la Convention est la
reconnaissance du principe selon lequel l’accès aux documents publics
est la règle, et son refus l’exception
. La Convention donne
le droit à «toute personne» d’accéder à des documents publics, quels
que soient ses motifs ou intentions. Elle énonce aussi la première définition
largement admise de la notion de «documents publics», qui signifie
«toutes informations enregistrées sous quelque forme que ce soit,
rédigées ou reçues et détenues par les autorités publiques»
–
comprenant donc aussi les documents qui ne sont pas produits par
les autorités publiques qui les détiennent, et quelle que soit leur
forme ou leur format (textes écrits, enregistrements vidéos ou audiovisuels,
photographies, courriels, informations stockées dans des bases de
données électroniques)
.
17. Une faiblesse, selon l’approche de ce rapport, est la longue
liste de limitations possibles au droit d’accès à l’information
dressée à l’article 3, notamment la protection de la sécurité nationale,
la défense et les relations extérieures, la sûreté publique, les
missions de tutelle, l’inspection et le contrôle par l’administration,
jusqu’aux intérêts commerciaux et autres intérêts économiques, et
la protection de l’environnement. J’imagine difficilement dans quelle
mesure la protection de l’environnement pourrait tirer un avantage
du fait que des informations restent hors du domaine public – l’inverse
serait normalement vrai. Ces exceptions ne sont pas définies dans
la Convention. Mais la phrase introduisant la liste de l’article 3
prévoit que les limitations «sont établies précisément dans la loi,
nécessaires dans une société démocratique et proportionnelles au
but».
18. Cette Convention a été critiquée par plusieurs organisations
de la société civile
,
par certains Etats européens et par l'Assemblée parlementaire du
Conseil de l'Europe pour l'étroitesse de sa portée. L'
Avis 270 (2008) de l'Assemblée adressé au Comité des Ministres
,
rédigé par M. Klaas de Vries pour le compte de notre commission,
a fait le choix inhabituel de recommander au Comité des Ministres
de demander au Comité directeur pour les droits de l'homme (CDDH)
de rouvrir les négociations:
- pour
élargir la définition des «pouvoirs publics», de manière à englober
un plus large éventail d'activités des pouvoirs publics et à accroître
ainsi l'étendue des informations mises à disposition;
- pour prévoir un délai de traitement des demandes;
- pour préciser et renforcer la procédure de contrôle applicable
en cas de rejet d'une demande d'information.
19. Le Comité des Ministres n'a pas suivi la recommandation de
l'Assemblée et le texte a été ouvert à la signature dans la version
présentée à celle-ci. L'existence même de cette convention, quand
bien même elle se limiterait à l’expression du plus petit dénominateur
commun, constitue néanmoins un progrès pour le droit d'accès à l'information
en droit international. L'objectif déclaré de la convention est
l'établissement de normes communes minimales, qui devraient être
acceptables pour le plus grand nombre d'Etats possible, tout en incitant
chacun d'eux à s’acheminer vers le niveau de transparence atteint
par les Etats les plus avancés. Il convient de noter à ce propos
que plusieurs «nouvelles démocraties», dans lesquelles régnaient
autrefois, du temps des régimes précédents, l'absence de transparence
et l'oppression, sont désormais à l'avant-garde des pays qui disposent
de la législation la plus libérale en matière d'accès aux documents
publics, alors que certaines «démocraties bien établies» demeurent
à la traîne
.
20. La convention doit obtenir 10 ratifications pour entrer en
vigueur. Jusqu’à présent, six pays (Bosnie-Herzégovine, Hongrie,
Lituanie, Monténégro, Norvège et Suède) ont ratifiée et huit autres
(Belgique, Estonie, Finlande, Géorgie, Monaco, Slovaquie et Slovénie)
ont signé la convention mais ne l’ont pas encore ratifiée. Quatre
ans après l’ouverture à la signature, la participation est décevante,
compte tenu du fait que le texte n’a volontairement pas imposé de
dispositions trop ambitieuses.
21. A mon avis, l’Assemblée devrait appeler les Etats membres
qui ne l’ont pas encore fait à signer et ratifier la Convention
sur l’accès aux documents publics, afin de démontrer leur engagement
de principe en faveur de la transparence et de la bonne gouvernance.
Dès l’entrée en vigueur de l’instrument, l’organe de suivi, le Groupe
de spécialistes sur l’accès aux documents publics
,
commencera ses activités et pourra examiner les questions en suspens
au cas par cas. Ce travail majeur sera engagé par les spécialistes
nommés sur proposition des pays qui ont montré le plus vif intérêt
pour la transparence, en ratifiant rapidement l’instrument. On peut
par conséquent escompter que le Groupe de spécialistes fixe un cap
progressiste, notamment sur des questions sur lesquelles l’Assemblée,
dans son avis mentionné auparavant, a estimé le texte de la convention trop
restrictif. La convention prévoit aussi un dispositif visant à faire
des propositions d’amendement au texte
, qui permettra
des améliorations au regard de l’expérience pratique du Groupe de
spécialistes.
22. Tout bien considéré, la façon la plus réaliste pour l’Assemblée
de contribuer à un réel progrès sur ce sujet est donc, selon moi,
de promouvoir vivement la ratification de la convention du Conseil
de l’Europe, afin qu’elle entre en vigueur. En tant que parlementaires
nationaux, nous pouvons faire pression sur nos gouvernements quant
à la signature et la ratification de cet instrument et leur demander
de rendre compte de la façon dont ils la mettent en œuvre. Nous
devrions agir ainsi, au lieu d’encourager le Comité des Ministres
à entamer les négociations visant à améliorer la convention avant
même son entrée en vigueur.
2.2.2. L’évolution dans
l’Union européenne
24. Access Info Europe a fait une demande intéressante en décembre 2008
concernant un document relatif à la réforme (toujours) en cours
des règles de transparence de l’Union européenne. Le Conseil de
l’Union européenne a fourni à Access Info Europe le document comprenant
des propositions de réforme des Etats membres, mais en ayant supprimé
les noms des pays, de sorte qu’il était impossible de savoir quel
pays avait fait quelle proposition. Access Info Europe a contesté
la décision du Conseil et le 22 mars 2011, le Tribunal (de l’Union
européenne) a statué en faveur de la transparence. Le Conseil, rejoint
par la République tchèque, la France, la Grèce, l’Espagne et le
Royaume-Uni, a fait appel de la décision, alors que le Parlement
européen s’est joint à Access Info Europe pour demander la pleine
transparence de la procédure législative. L’avocat général espagnol,
Cruz Villalón, a récemment constaté dans ses conclusions à la Cour
de justice de l’Union européenne, à Luxembourg, que la procédure
législative du Conseil doit être aussi transparente que les procédures
similaires au niveau national, affirmant que «“Légiférer” est, par
définition, une activité normative qui, dans une société démocratique,
ne peut se développer qu’en suivant une procédure à caractère public
». En tant que membre d’un organe
législatif, je ne peux qu’être d’accord.
25. Un autre exemple très concret a récemment illustré la nécessité
de renforcer la transparence des institutions européennes. Deux
demandes d’un journaliste de Bloomberg News en vue de la communication par
la Banque centrale européenne de deux documents internes
ont été refusées par son
Président, M. Mario Draghi. En résumé, ces documents portent sur
des allégations selon lesquelles, au début des années 2000, la Grèce
s’est arrangée pour dissimuler ses niveaux d’endettement grâce au
recours de swaps de devises avec la banque américaine d’investissement
Goldman Sachs. Elle aurait agi de la sorte afin de se conformer
aux critères sur les niveaux de la dette publique desquels dépendait
l’adhésion de la Grèce à la zone euro
.
Quand Bloomberg a poursuivi la BCE pour avoir accès à ces documents,
la BCE a fait valoir avec succès devant le Tribunal (de l’Union
européenne) que ces documents ne devaient pas être divulgués au
motif que «la divulgation de ces documents aurait porté atteinte
à la protection de l'intérêt public en ce qui concerne la politique
économique de l'Union et de la Grèce
».
26. Il semble que la BCE craignait que la divulgation porte atteinte
à la confiance publique quant à la capacité de la Grèce à honorer
ses obligations au titre de la dette et menace donc la confiance
en la monnaie unique
.
Personnellement, je considère que la confiance publique dans les
politiques économiques de l’Union, notamment les mesures prises
par la BCE, tireront parti, au lieu d’en souffrir, d’une plus grande transparence.
Des hypothèses au sujet de l’incidence sur les marchés financiers
de la communication de ces documents ne sont pas, à mon avis, un
obstacle légitime à la divulgation. Je comprends donc la déception
de Bloomberg vis-à-vis de la décision, qui concerne clairement les
ONG préoccupées par la liberté de la presse
. L’engagement
juridiquement contraignant pris par les institutions européennes
à l’égard de l’accès à l’information dans l’article 42 de la Charte
risque, semble-t-il, d’être écrasé par une nouvelle «culture du secret»
à Bruxelles et à Francfort. Un pourvoi intenté par Bloomberg devant
la Cour de justice de l’Union européenne est toujours en suspens
.
27. Il convient de noter que M. Draghi, l’actuel président de
la BCE, était vice-président de Goldman Sachs au moment où les swaps
mentionnés auparavant auraient été réalisés. Tandis que M. Draghi
a nié toute implication
,
la simple apparence ou l’éventualité d’un conflit d’intérêt devrait
peser fortement en faveur de la divulgation des documents permettant
potentiellement de régler l’affaire une fois pour toutes.
28. Alors que le refus de divulguer ces documents n’était pas
basé sur une exemption de sécurité nationale, il est rappelé que
tous les autres motifs d’intérêt public visant à restreindre l’accès
doivent aussi respecter les normes des Principes globaux
. L’affaire démontre la
nécessité de réformer le Règlement 1049/2001 au regard des normes
modernes afin d’éviter une culture du secret qui se développe au
niveau européen.
29. A mon avis, il est fondamental que les institutions européennes
donnent le meilleur exemple possible en matière de transparence
et d’accès aux informations. La confiance du public envers les responsables politiques
pâtit de l’excès de confidentialité. Ceci est d’autant plus marqué
dans le cas de la politique européenne, que les citoyens perçoivent
inévitablement comme étant plus distante, plus complexe et plus technocratique
que leurs propres préoccupations locales.
2.3. La jurisprudence
de la Cour européenne des droits de l'homme en matière d'accès à l'information
30. Pendant des années, la Cour européenne des droits
de l’homme a considéré, dans son interprétation de l’article 10
de la Convention européenne des droits de l’homme (liberté d’expression),
que celui-ci ne conférait aucun droit d’accès individuel à l’information
détenue par l’Etat
.
Ces derniers temps, elle a modifié prudemment, au cas par cas, son
interprétation. En 2006, la Cour a examiné une affaire dans laquelle
une ONG de protection de l’environnement s’était vue refuser l’accès
à des documents qui concernaient une centrale nucléaire. Elle a
en l’espèce estimé que le refus de l’Etat de communiquer ces informations
portait atteinte au droit de la requérante, découlant de l’article
10, à les obtenir
.
Cette approche a été confirmée à nouveau dans deux affaires de 2009
contre la Hongrie. La Cour a conclu que le refus opposé aux demandes d’information
– dans le premier cas, de la part de l’Union hongroise pour les
libertés civiles concernant des documents relatifs aux procédures
devant la Cour constitutionnelle et dans le second, de la part d’un
historien concernant des données historiques détenues par le service
de sécurité de l’Etat hongrois – violait l’article 10
. Dans le premier
cas, la Cour a pourtant renvoyé à sa jurisprudence antérieure plus
restrictive résumée dans l’arrêt
Leander,
mais pour ensuite affirmer:
«Cela
étant, [la Cour] a récemment élargi son interprétation de la notion
de “liberté de recevoir des informations” (Sdružení Jihočeské Matky/République
tchèque (déc.), n° 19101/03, 10 juillet 2006), s'approchant de la
reconnaissance d'un droit d'accès à l'information .»
31. En 2012, la Cour a confirmé cette avancée dans un arrêt de
la Grande Chambre contre la Suède, où elle a conclu que le refus
d’un administrateur de l’Université de donner aux demandeurs – des
chercheurs indépendants – accès à des données provenant de la recherche
médicale rassemblées par l’Université «porterait atteinte aux droits
[des demandeurs] […] de recevoir des informations par le biais de
la consultation des documents publics en question
».
32. Il convient de noter que la Cour a été la première instance
judiciaire à invoquer le principe selon lequel dès lors qu’une information
a été rendue publique, les restrictions relatives à sa publication
ultérieure ne sont plus justifiables, même pour des raisons de sécurité
nationale: en 1991, la Cour a statué que l’injonction permanente
sur une biographie d’un ancien membre des services de sécurité du
Royaume-Uni ne pouvait être maintenue étant donné que le document
avait déjà été publié aux Etats-Unis, estimant qu’en raison de la diffusion
antérieure, la publication ne pouvait plus produire de préjudice
identifiable
.
Ce principe a été confirmé à l’ère d’internet où l’information devient
publique rapidement et de manière irréversible. Il se reflète aussi
dans les Principes globaux
.
33. Dans son arrêt de la Grande Chambre sur l’affaire
El-Masri c. L’ex-République yougoslave de Macédoine , concernant une victime
allemande du programme de remises et de détentions secrètes de la CIA
, la Cour a fait
un grand pas vers la reconnaissance d’un «droit à la vérité» des
victimes des violations de droits de l’homme
. Renvoyant au rapport de l’Assemblée,
la Cour a aussi vivement critiqué le secret dont les autorités ont
entouré les violations commises à l’encontre de M. El-Masri:
«La notion de “secret d’Etat” a
souvent été brandie pour faire obstacle à la recherche de la vérité (paragraphes
46 et 103 ci-dessus), et elle a également été invoquée par le gouvernement
américain dans le cadre de l’affaire portée par le requérant devant
les tribunaux américains (paragraphe 63 ci-dessus). Le rapport Marty
a en outre conclu que “[l]a même démarche a[vait] induit les autorités
de «l’ex-République yougoslave de Macédoine» à cacher la vérité”
(paragraphe 46 ci-dessus) .»
34. A mon avis, il convient de féliciter et d’encourager la Cour,
qui continue sur la voie de l’élaboration, au cas par cas, d’un
droit à l’information. Un tel droit est une condition préalable
importante à l’exercice effectif de nombreux autres droits qui sont
expressément reconnus par la Convention, tel que le droit à la vie
et à ne pas subir de torture (articles 2 et 3), à la liberté et
à la sûreté (article 5), au respect de la vie privée (article 8),
à la liberté d’expression (article 10), et même à des élections
libres (article 3, Premier Protocole).
3. Restrictions imposées
au droit d’accès à l’information
35. Le droit d’accès à l’information, qui est un des
aspects du droit à la liberté d’expression, n’est pas absolu en
vertu de la Convention européenne des droits de l’homme et peut
faire l’objet des restrictions prévues à l’article 10.2. Parmi les
motifs de limitation figure la protection du souci légitime de la
sécurité nationale, ainsi que le souligne le titre de ce rapport.
Mais toute restriction doit être prévue par la loi, poursuivre un
but légitime et être nécessaire dans une société démocratique
. Cette exception à la règle doit
être interprétée de façon restrictive.
36. Compte tenu du fait que la sécurité nationale est l’un des
motifs publics les plus importants pour restreindre l’information,
lorsque les autorités publiques font valoir d’autres raisons pour
restreindre l’accès dans l’intérêt général – notamment les relations
internationales, l’ordre public, la santé publique et la sécurité publique,
l’application de la loi et les intérêts économiques de l’Etat –,
elles doivent respecter les mêmes normes pour imposer des restrictions
à l’accès à l’information que celles appliqués aux considérations
de sécurité nationale
.
37. Afin d’éviter autant que possible toute ambiguïté et toute
disparité dans l’application de ces exceptions à la règle de libre
accès à l’information détenue par les organismes publics, j’estime
qu’un aspect fondamental de mon mandat de rapporteur est de contribuer
à la définition et à la diffusion de certains principes directeurs à
cet égard. Le projet d’élaborer les Principes globaux susmentionnés
s’est révélé extrêmement utile. En ma qualité de rapporteur à l’Assemblée,
j’ai pris activement part à l’élaboration de ces principes, lors
de la conférence européenne de consultation à Copenhague en septembre 2012.
Je constate avec satisfaction que mes principaux arguments, ainsi
que ceux d’autres acteurs européens, ont été pris en considération
dans la formulation du texte définitif des Principes globaux rédigés
à Pretoria (Tshwane) en avril 2013
.
3.1. Le point de départ:
il convient de présumer du caractère accessible de toute information détenue
par l’Etat
38. Compte tenu des principes de démocratie et d’Etat
de droit, il convient de présumer du caractère public et accessible
de toute information détenue par l’Etat
.
39. Les Principes globaux rappellent qu’en plus de l’Etat et d’autres
autorités publiques, les entreprises du secteur de la sécurité nationale,
notamment les sociétés privées de services militaires ou de sécurité,
ont la responsabilité de divulguer l’information sur des situations,
activités ou pratiques dont il y a raisonnablement lieu de croire
qu’elles ont un effet sur l’exercice des droits de l’homme
.
40. Les autorités souhaitant restreindre l’accès à des documents
doivent justifier leur choix en démontrant sa conformité avec l’article 10.2
de la Convention européenne des droits de l’homme. Les Principes
globaux confirment que, dans tous les cas, la «charge de la preuve»
visant à démontrer la légitimité de toute restriction à l’accès
à l’information incombe à l’autorité publique qui cherche à retenir
l’information
.
41. Outre cette présomption générale, certaines catégories d’information
entraînent une plus forte présomption en faveur de la divulgation.
Parmi ces catégories d’information, qui peuvent ne pas être divulguées
pour des raisons de sécurité nationale uniquement dans des circonstances
tout à fait exceptionnelles, figurent les suivantes
:
- des violations du droit international
des droits de l’homme et du droit international humanitaire; s’agissant
des violations flagrantes des droits de l’homme ou des violations
graves du droit humanitaire international et des violations systématiques
ou généralisées des droits à la liberté et à la sûreté de la personne,
ces informations ne peuvent en aucun cas être retenues pour des
raisons de sécurité nationale;
- les garanties relatives au droit à la liberté et à la
sûreté de la personne, à la prévention de la torture et des traitements
inhumains et dégradants (interdits par l’article 3 de la Convention)
et le droit à la vie (consacré à l’article 2), en particulier les
lois et règlements portant sur les motifs, les procédures de détention
et le traitement des détenus, notamment les méthodes d’interrogatoire;
- les structures et pouvoirs publics, notamment les lois
et règlements applicables à ces autorités et leurs instances de
surveillance et mécanismes de contrôle internes;
- les décisions de recourir à la force militaire ou d’acquérir
des armes de destruction massive, notamment l’information sur l’ampleur
et la portée générales de l’intervention et l’explication des motifs;
- l’information sur la surveillance: le cadre juridique
relatif aux procédures à suivre pour l’autorisation, l’utilisation,
le partage, le stockage et la destruction des données interceptées;
- l’information budgétaire et financière, notamment une
information budgétaire suffisante pour permettre au public de comprendre
les finances et les règlements du secteur de la sécurité;
- l’obligation de rendre des comptes concernant les violations
constitutionnelles et statutaires et autres abus de pouvoir;
- la santé publique, la sûreté publique et l’environnement,
notamment (ainsi que spécifié au Principe général 10.H):
«1. En cas de menace réelle ou
imminente contre la santé publique, la sûreté publique ou l’environnement,
toute information qui pourrait permettre au public de comprendre
ou prendre des mesures pour éviter ou atténuer les préjudices résultant
de cette menace, qu’elle soit due à des causes naturelles ou provoquée
par des activités humaines, notamment par des actions de l’Etat
ou des actions d’entreprises privées;
2. D’autres informations, mises à jour régulièrement,
sur l’exploitation des ressources naturelles, la pollution et les
inventaires des émissions, les effets sur l’environnement des vastes
travaux publics proposés ou existants, ou des extractions de ressources,
et les plans d’évaluation et de gestion des risques pour les installations
particulièrement dangereuses.» (traduction non officielle).»
42. Les informations dont le caractère secret est jugé légitime
devraient, elles aussi, conserver ce statut uniquement tant qu’il
s’avère «nécessaire dans une société démocratique», ainsi que mentionné
dans l’article 10.2. Comme une information peut, avec le temps,
perdre de son intérêt, mais aussi de son caractère dangereux en
cas de publication, il convient de tenir compte de ce facteur et
d’éviter toute période de classification inutilement et/ou excessivement
longue.
43. La notion d’information «publique» ou «détenue par l’Etat»
doit être définie de façon large, de manière à englober les informations
détenues par l’administration dans son ensemble, notamment celle
des pouvoirs exécutif, législatif ou judiciaire, ainsi que par les
instances de surveillance, les agences de renseignement, les forces
armées, la police et d’autres agences de sécurité, et par tout organisme
assumant une mission de service public et financé par les contribuables.
Il importe que, même lorsque le service concerné est susceptible
de faire exception à la règle de par la nature de ses activités,
il ne soit pas totalement exonéré, d’emblée, de l’obligation de
communiquer les informations dont il dispose
.
44. En outre, «les exceptions doivent s’appliquer uniquement lorsqu’il
y a un risque de préjudice important pour un intérêt protégé et
dès lors que ce préjudice l’emporte sur l’intérêt général global
que présente l’accès à l’information
».
(traduction non officielle) Cette conception transparaît à juste
titre dans diverses séries de principes énoncés par des dispositions
non contraignantes applicables à l’accès à l’information, comme
les Principes globaux
.
45. Enfin, le principe de divulgation de l’information concernant
les violations des droits de l’homme s’applique que les violations
aient été commises par l’Etat qui détient l’information ou par un
autre Etat
. Cela implique que
les Etats membres du Conseil de l’Europe divulguent les informations
qu’ils détiennent sur les violations des droits de l’homme commises
par d’autres pays, par exemple dans la lutte contre le terrorisme.
3.2. La primauté de
l’intérêt général
46. La «primauté de l’intérêt général»
affirme l’existence d’un droit
d’accès à une information qui fait en principe l’objet d’une exception
légitime, dès lors que l’intérêt général qui commande la communication
de cette information revêt une importance supérieure à la défense
des intérêts qui conduisent l’administration à la tenir secrète.
Cette «primauté» offre une garantie précieuse, car il est impossible
de donner une définition suffisamment étroite des exceptions pour
prendre en compte l’ensemble des informations légitimement secrètes
. La définition de «l’intérêt
général» doit être suffisamment large pour en permettre l’interprétation souple
. Cet intérêt général prime habituellement
lorsque l’information en question:
- apporte d’importants éléments de réflexion à un débat
public en cours;
- favorise la participation des citoyens au débat politique;
- fait état de graves abus, notamment de violations des
droits de l’homme commises par des agents publics;
- renforce l’obligation de rendre des comptes dans la gestion
des affaires publiques en général et dans l’utilisation des fonds
publics en particulier;
- présente un avantage pour la santé publique ou la sécurité
publique .
3.3. Une administration
indépendante pour statuer sur les demandes d’information formulées
en vertu de la liberté d’information
47. Le caractère quelque peu flou (inévitable, malgré
nos efforts) de la notion d’intérêt général laisse aux autorités
publiques une marge d’appréciation considérable pour communiquer
ou non une information, dans la pratique. Pour cette raison, et
afin d’éviter un effet dissuasif général sur la divulgation, les
agents des autorités publiques qui sont chargés de répondre aux
demandes d’information «ne doivent pas être sanctionnés pour la
communication d’une information qu’ils estimaient raisonnablement
et de bonne foi pouvoir divulguer conformément à la loi»
(traduction non officielle).
48. Le rejet d’une demande d’accès à l’information doit être motivé
et garantir le droit du requérant à son réexamen diligent à un faible
coût par une autorité indépendante sur le plan institutionnel, financier
et opérationnel du pouvoir exécutif et de toutes les autorités du
secteur de la sécurité
. En cas de non communication de l’information,
l’autorité à l’origine du refus doit attester qu’elle détient ou
non l’information demandée et motiver son refus par écrit
.
Elle doit fournir des informations suffisantes sur l’identité de
l’agent à l’origine de la décision et les moyens de faire appel
de celle-ci
.
49. L’autorité de contrôle indépendante «doit disposer des compétences
et des ressources nécessaires pour garantir un réexamen efficace,
notamment avoir pleinement accès à toutes les informations pertinentes, même
si elles sont classées confidentielles
».
(traduction non officielle) Ses décisions doivent en principe aussi
pouvoir faire l’objet d’un recours devant une autorité judiciaire
.
3.4. La sécurité nationale
en tant qu’exception à l’accès à l’information
3.4.1. Mise en balance
des intérêts en jeu
50. La protection de la sécurité nationale est indispensable
à la pérennité de tout Etat et à la sécurité de sa population. Il
va sans dire que bien des aspects de l’activité des services chargés
de la sécurité de l’Etat doivent demeurer hors du domaine public
pour que leur action soit efficace. Les informations relatives aux méthodes
de travail (tactique), à l’identité des collaborateurs et informateurs,
ainsi qu’à d’autres éléments sensibles doivent rester secrètes.
On peut difficilement affirmer qu’il existe un intérêt général légitime
supérieur à de telles considérations sécuritaires.
51. Mais dans bien des pays, une «culture du secret» s’est développée
au fil du temps, enveloppant du secret tout aspect des structures
et des activités des agences chargées de la sécurité. Certains services spéciaux
sont en effet devenus «un Etat dans l’Etat», et échappent à toute
obligation de rendre des comptes. Ce recours abusif au secret a
servi à dissimuler de graves violations des droits de l’homme, compromettant
le respect de l’Etat de droit
.
52. L’introduction des Principes globaux donne un bon aperçu des
intérêts en jeu:
«Un examen attentif
de l’histoire récente laisse à penser que les intérêts légitimes
en matière de sécurité nationale sont, dans la pratique, mieux protégés
lorsque le public est amplement informé des activités que mène le
gouvernement, notamment de celles qui visent à protéger la sécurité
nationale .» (traduction
non officielle)
«Il est d’autant plus difficile de trouver un équilibre
que, dans de nombreux pays, les tribunaux font preuve d’une indépendance
minimale et de la plus grande déférence envers les revendications
des pouvoirs publics lorsqu’il s’agit de la sécurité nationale.
Cette considération est renforcée dans bon nombre de pays par des
dispositions législatives en matière de sécurité qui soulèvent des
exceptions au droit à l’information ainsi qu’aux règles ordinaires
en matière d’administration de preuve et aux droits de l’accusé,
dès lors que les autorités prouvent ou simplement invoquent un danger
pour la sécurité nationale. Une invocation exagérée des préoccupations
relatives à la sécurité nationale de la part de l’Etat peut gravement
affaiblir les principales garanties institutionnelles contre les
abus de ce dernier: indépendance de la justice, primauté du droit,
contrôle du pouvoir législatif, liberté des médias et transparence
de l’administration .» (traduction
non officielle)
53. A mon sens, ces «garanties institutionnelles» sont effectivement
des éléments de la «sécurité nationale» appréhendée en termes de
sécurité de nos Etats démocratiques en tant que tels.
3.4.2. La notion de sécurité
nationale
54. Compte tenu de ce qui précède, une restriction basée
sur un intérêt de sécurité nationale ne devrait être considérée
comme légitime que dans certaines circonstances limitées. Les
Principes
de Johannesburg sur la sécurité nationale, la liberté d’expression
et l’accès à l’information de 1995 sont très stricts, compte tenu
du fait qu’une menace contre la sécurité nationale correspond à
une menace contre l’existence du pays et qu’il est «nécessaire de
protéger l’indépendance politique ou l’intégrité territoriale du
pays du recours ou de la menace de recours à la force
.»
55. Les Principes globaux s’abstiennent d’essayer de fournir une
définition positive de la «sécurité nationale». Parvenir à une telle
définition, si elle doit être universelle, serait tout aussi difficile
que de tenter de définir la notion de «terrorisme», avec laquelle
les Nations Unies se débattent depuis des décennies.
56. Au contraire, le Principe 2 prévoit une recommandation sur
les procédures, à savoir qu’il convient de faire figurer une définition
précise de la «sécurité nationale» dans le droit national, d’une
manière conforme aux besoins d’une société démocratique
. Dans le même ordre d’idées sur
les procédures, le Principe 3, empruntant les termes de la Convention
européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg, précise:
«Aucune
restriction du droit à l’information fondée sur des motifs de sécurité
nationale ne peut être imposée, à moins que les pouvoirs publics
ne soient en mesure de prouver que: (1) la restriction est (a) prévue
par la loi et (b) nécessaire dans une société démocratique, (c)
afin de protéger un intérêt légitime de sécurité nationale, et (2)
la loi prévoit des garanties suffisantes contre les abus, notamment
un contrôle rapide, complet, accessible et efficace de la validité
de la restriction par une autorité de surveillance indépendante
et un contrôle juridictionnel complet.» (traduction non officielle)
57. Ces conditions sont énoncées clairement et, selon moi, de
manière convaincante:
a. Prévue par la loi. La loi doit être
accessible, sans ambiguïtés, écrite de manière précise et restrictive
de façon à permettre aux individus de comprendre quelle information
peut être retenue, quelle information doit être divulguée, et quelles
actions concernant l’information font l’objet de sanction .
b. Nécessaire dans une société démocratique.
i. La divulgation de l’information
doit présenter un risque réel et identifiable de porter un préjudice significatif
à un intérêt légitime de sécurité nationale.
ii. Le préjudice que risque de causer la divulgation doit
être supérieur à l’intérêt général présenté par la divulgation.
iii. La restriction doit respecter le principe de proportionnalité
et constituer le moyen le moins restrictif disponible de se protéger
contre le préjudice.
iv. La restriction ne doit pas compromettre la nature même
du droit à l’information.
c. Protection d’un intérêt légitime
de sécurité nationale. Les catégories restrictives des
informations qui peuvent être classées confidentielles sur des motifs
de sécurité nationale doivent être définies clairement par la loi.
58. Quant au fond, les Principes globaux débutent par la définition
«négative» suivante:
«Un intérêt
de sécurité nationale n’est pas légitime si son véritable but ou
son principal effet est de protéger un intérêt ne concernant pas
la sécurité nationale, par exemple de protéger un gouvernement ou
des agents publics d’une situation embarrassante ou de la divulgation
de graves abus; de dissimuler des informations sur les violations
de droits de l’homme, toute autre violation du droit, ou le fonctionnement
des institutions publiques; de renforcer ou alimenter un intérêt
politique, un parti ou une idéologie particulière; ou de réprimer
des manifestations légales .»
(traduction non officielle)
59. Je note avec satisfaction que les Principes globaux reflètent
la position de l’Assemblée parlementaire selon laquelle les informations
relatives aux violations des droits de l’homme ne peuvent être considérées comme
des secrets d’Etat légitimes
, position que j’ai
défendue lors de la consultation de Copenhague en septembre 2012.
60. Les Principes globaux illustrent les situations où l’accès
à l’information peut être limité, mais où l’intérêt général revêt
une importance supérieure et l’accès à l’information reste protégé,
par les exemples suivants
:
- les plans et opérations militaires en cours et les moyens
dont disposent les forcés armées, aussi longtemps que ces informations
présentent une utilité opérationnelle (les Principes limitent ainsi l’obligation
de communiquer l’information aux cas où elle ne révèle plus rien
permettant à l’ennemi de comprendre l’état de préparation, la capacité
ou les plans de l’Etat en question);
- les informations sur la production, les capacités ou l’utilisation
des systèmes d’armement et autres systèmes militaires, notamment
les systèmes de communications;
- les informations sur les mesures spécifiques visant à
protéger le territoire de l’Etat, les infrastructures essentielles,
ou les institutions nationales essentielles contre les menaces ou
le recours à la force ou le sabotage, dont l’efficacité dépend du
secret;
- les informations concernant les questions de sécurité
nationale relevant ou provenant des opérations, sources et méthodes
des services de renseignement;
- les informations concernant des questions de sécurité
nationale qui ont été fournies par un Etat étranger ou une instance
intergouvernementale avec une attente explicite de confidentialité
et d’autres communications diplomatiques dans la mesure où elles
concernent des questions de sécurité nationale.
61. J’avais, en ce qui me concerne, proposé certaines modifications
au stade de l’élaboration, par exemple d’ajouter les informations
relatives à la prévention des actes terroristes et des crimes de
même ordre ainsi que des informations en matière de lutte contre
le terrorisme au sein de la catégorie des informations dont l’accès peut
être limité. En conséquence, une note explicative au Principe 9
indique que:
«Dans la mesure où
des informations particulières concernant le terrorisme et des mesures
de lutte contre le terrorisme sont couvertes par l’une des catégories
ci-dessus, le droit du public à l’accès à ces informations peut
faire l’objet de restrictions pour des raisons de sécurité nationale
conformément à cette disposition et à d’autres dispositions prévues
par les Principes.» (traduction non officielle)
62. S’agissant des communications diplomatiques, j’avais préconisé
la limitation de la protection du secret aux communications diplomatiques
qui concernaient directement les questions de sécurité nationale.
Cela se reflète désormais au Principe général 9. Bon nombre de rapports
«confidentiels» d’ambassades vont à peine au-delà de la compilation
d’articles de presse et je vois mal en quoi leur publication pourrait
être un tant soit peu préjudiciable. Même la publication par «Wikileaks»
d’un nombre considérable de télégrammes d’ambassades américaines
ne semble pas avoir eu de graves répercussions diplomatiques ou
avoir été durablement préjudiciable. Au contraire: nombre de télégrammes
parmi ceux qui semblent le plus embarrasser le gouvernement américain
montrent en réalité que les diplomates américains ne sont pas nés
de la dernière pluie et font heureusement preuve de réalisme et
de franchise dans leurs rapports. Cette fuite à grande échelle a
permis de tirer un enseignement: la publication d’informations relativement
sensibles n’est jamais aussi préjudiciable qu’on pouvait le croire
autrefois. Je considère donc la sévérité extrême avec laquelle les
autorités américaines traitent M. Bradley Manning, le jeune soldat
qui serait la «source» de ces fuites, comme des plus inappropriée
.
63. Un dernier motif peut amener à ne pas respecter le droit d’accès
à l’information: un «état d’urgence», proclamé en vertu du droit
national et international et menaçant l’existence d’un Etat
. Ce motif doit être utilisé avec
la même prudence que le recours à l’«état d’urgence» en général.
Toute dérogation au droit à l’information doit être cohérente avec
les autres obligations prévues par le droit international. Les notes
du Principe 8 indiquent à juste titre que certains aspects du droit
de chercher, recevoir et répandre des informations et des idées
sont étroitement liés à l’exercice de certains droits non susceptibles
de dérogation (tels que le droit à la vie ou l’interdiction de la
torture) et doivent par conséquent aussi être respectés en situation
d’urgence.
3.5. Méthodes de classification
de l’information
64. Si les informations peuvent être classifiées en fonction
de critères restrictifs et juridiques, les Etats utilisent diverses
méthodes en la matière, notamment la classification systématique
ou automatique de l’ensemble des documents en fonction de critères
préétablis et au cas par cas
.
Du point de vue de la liberté de l’information, les critères juridiques
de classification doivent être définis de façon suffisamment claire
et étroite et la méthode appliquée doit s’accompagner de garanties
procédurales adéquates. Il convient, par exemple, que la loi précise
qui est autorisé à classifier les informations et fasse en sorte
que ces individus puissent être retrouvés ou identifiables à partir
du document classifié afin de faciliter l’obligation de rendre des comptes
.
65. Il importe que tout document faisant l’objet d’une classification
en porte la mention, que la justification de ce choix soit consignée,
que le niveau et la durée de classification soient indiqués et que
le préjudice que pourrait causer sa divulgation soit précisé
. Les agents publics devraient pouvoir
contester la classification au niveau interne s’ils estiment qu’elle
est inadaptée ou qu’elle n’est plus justifiée
.
De plus, le fait qu’une information soit classifiée ne doit pas
exclure sa divulgation à la suite d’une demande
.
66. Des délais doivent être imposés pour la classification, conformément
au principe selon lequel l’information ne peut être retenue que
tant que cela s’avère «nécessaire dans une société démocratique»,
en vertu de l’article 10.2 de la Convention. Pour garantir le respect
de ce principe, une révision régulière de la classification des
informations doit avoir lieu au moins tous les cinq ans, avec une
règle absolue: aucune information ne doit être classifiée indéfiniment.
Au moment de la classification, le personnel concerné doit préciser
la date, les conditions ou l’événement à partir duquel la classification
devient caduque, pour l’efficacité du processus de contrôle
.
67. La politique de déclassification du Conseil de l’Europe, adoptée
par le Comité des Ministres en 2001
, donne un exemple positif en la
matière: tandis qu’un grand nombre de documents sont publics dès
le départ, les documents classés «diffusion restreinte» deviennent
automatiquement publics un an après leur production, et les rares
documents classés «confidentiel» ou «secret» le deviennent respectivement
au bout de dix ans et trente ans, sauf décision spéciale de faire
exception à cette règle. L’Assemblée parlementaire, et en particulier la
commission des questions juridiques et des droits de l’homme, applique
aussi une politique plutôt libérale en la matière. Si la plupart
des documents sont initialement classés «diffusion restreinte»,
les projets de rapport entrent dans le domaine public dès leur adoption
par la commission, et celle-ci déclassifie librement d’autres documents
dès lors que le rapporteur en fait la demande.
68. Le grand public devrait avoir accès aux procédures et aux
normes du système de classification en vigueur dans son pays
, ainsi qu’à un index d’informations
classifiées
.
69. L’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme
(pas de peine sans loi) prévoit semble-t-il clairement que, lorsque
la violation d’un secret d’Etat est passible de sanction pénale,
les citoyens aient accès à la liste des documents protégés à ce
titre et mentionnés dans les dispositions pénales pertinentes, et que
l’utilisation des informations qui figurent déjà dans le domaine
public ne soit pas constitutive d’une violation de secret d’Etat.
Le rapport de notre ancien collègue Christos Pourgourides, «Equité
des procédures judiciaires dans les affaires d’espionnage ou de
divulgation de secrets d’Etat»
,
montre que cette situation ne va pas de soi partout: en Fédération
de Russie, plusieurs scientifiques ont été condamnés à de longues peines
d’emprisonnement pour avoir «divulgué» des informations qui relevaient
déjà incontestablement du domaine public avant que les scientifiques
en question ne les utilisent dans le cadre de leurs activités universitaires
de recherche et de publication.
70. Parallèlement, les autorités des Etats-Unis ont invoqué le
secret d’Etat pour éviter que des plaintes civiles présentées par
des victimes de «remise» comme Khalid el-Masri ne soient entendues
par une juridiction. Alors que les pouvoirs publics ont affirmé
que le procès imposerait d’examiner des secrets d’Etat relatifs
à la lutte contre le terrorisme, le rapporteur de l’Assemblée, Dick
Marty, a mis en évidence dans un mémoire d’
amicus
curiae qu’il a soumis à la Cour suprême des Etats Unis
que l’ensemble des informations nécessaires à la défense de l’affaire
de M. el-Masri relevaient déjà du domaine public – plus précisément,
dans les propres rapports de l’Assemblée sur les remises et les
détentions secrètes
, qui ont largement couvert l’affaire
de M. el-Masri.
71. Les affaires susmentionnées en Russie et aux Etats-Unis auraient
violé les Principes globaux. S’agissant des affaires des universitaires
russes, les Principes prévoient que les personnes qui n’ont pas
accès aux informations classifiées ne doivent pas faire l’objet
de poursuites pour la violation des législations sur le secret de
l’Etat
et que toute loi ou autre
règlement juridique en la matière doit être rendu public
.
Ces dispositions visent principalement à protéger les journalistes,
mais couvrent aussi, par exemple, les chercheurs universitaires
ou d’ONG. Parallèlement, ainsi que l’énoncent clairement les Principes,
il n’est pas question de garantir l’impunité aux journalistes et
aux autres chercheurs qui commettent d’autres infractions pénales
afin d’obtenir des informations secrètes auxquels ils n’ont pas
accès. Inutile d’illustrer ce propos par l’exemple extrême d’un
journaliste ou chercheur qui torture ou fait chanter une «source»
pour qu’elle lui fournisse une information secrète: une effraction
commise afin d’obtenir l’accès à l’information souhaitée demeure
une infraction répréhensible.
72. Je partage avec les rédacteurs des Principes l’idée que «les
divulgations à des tiers constituent un correctif important pour
une classification généralisée.» (traduction non officielle) Je
souscris aussi à la position des Rapporteurs spéciaux des Nations
Unies et de la Commission interaméricaine des droits de l’homme
qui, dans leur déclaration conjointe sur Wikileaks en 2010, ont
affirmé que:
“[I]l incombe exclusivement
aux autorités publiques et à leurs agents de protéger la confidentialité
des informations légitimement classifiées sous leur contrôle. La
responsabilité d’autres individus, notamment les journalistes, les
travailleurs des médias et les représentants de la société civile,
qui reçoivent et diffusent des informations classifiées parce qu’ils
estiment que l’intérêt général le justifie, ne doit pas être engagée
sauf s’ils se sont rendus coupables de fraude ou toute autre infraction
pour obtenir l’information .» (traduction non officielle)
73. Dans la même veine, il est tout à fait logique que des personnes
n’ayant pas accès aux informations classifiées ne puissent être
contraintes à révéler les sources de ces informations
.
3.6. Les obligations
logistiques des autorités publiques en matière d’accès à l’information
74. Si l’exemption illégitime de la sécurité nationale
est l’une des plus sérieuses menaces pesant sur le droit d’accès
à l’information publique, il n’en demeure pas moins que les autorités
publiques ont également d’importantes tâches subsidiaires, qui doivent
être remplies afin de garantir la réalisation effective du droit
à l’information dans la pratique.
75. Lorsque des demandes d’accès à des informations sont formulées,
les autorités publiques doivent consacrer suffisamment de moyens
et de temps pour trouver les informations manquantes, quelle que
soit la raison de leur disparition
. En outre, les procédures menées
pour trouver l’information devraient faire l’objet d’un contrôle
juridictionnel, de même que les raisons de la disparition. Si l’information
ne peut être trouvée, les autorités policières ou administratives
doivent enquêter sur la disparition et publier les résultats de
l’enquête.
76. Il est recommandé que les délais de réponse aux demandes d’information
soient fixés par la loi et n’excèdent pas 20, voire tout au plus
30 jours ouvrables
.
La loi peut prévoir différents délais en fonction de la complexité
et des volumes de l’information. Lorsqu’il est urgent d’obtenir
l’information afin de «protéger la vie et la liberté d’une personne»,
il convient d’appliquer des délais expéditifs.
77. Le fait qu’une partie d’un document demandé est légitimement
retenue ou classifiée ne constitue pas un obstacle à l’accès à l’information
si certaines parties peuvent en être divulguées. En pareil cas,
«les autorités publiques sont tenues de prélever et diffuser l’information
non exempte
».
(traduction non officielle) De plus, une information retenue même
légitimement doit être identifiée avec autant de spécificité que
possible
. L’information
divulguée doit être, si possible, mise à disposition dans le format
demandé
.
78. Toutes ces obligations s’appliquent aux informations fournies
à des instances de surveillance, ainsi qu’à des membres du public.
Si elles ne sont pas remplies, l’effet pratique est le même que
si une exemption illégitime de sécurité nationale s’applique. Les
excuses logistiques déraisonnables sont par conséquent inacceptables
tout comme les refus non fondés de communiquer l’information pour
des motifs de sécurité nationale.
3.7. Accès à l’information
et respect de la vie privée
79. Le libre accès aux informations détenues par les
organismes publics ainsi que préconisé dans ce rapport peut entrer
en conflit avec le droit au respect de la vie privée des personnes
directement concernées par ces informations. Le droit au respect
de la vie privée est également garanti par la Convention européenne
des droits de l’homme (article 8). Parallèlement, le droit à l’accès
à l’information vient souvent renforcer le droit au respect de la
vie privée pour accentuer l’obligation de rendre des comptes faite
à l’administration, notamment les violations de ce droit
. Le droit d’accès
d’une personne aux informations qui la concernent détenues par les
autorités publiques sert en pratique à protéger le respect de sa
vie privée: cela lui permet de contrôler l’utilisation de ses données
à caractère personnel et de rectifier toute information inexacte.
Les litiges proviennent généralement d’une mauvaise compréhension
des informations accessibles ou protégées, voire du fait que les
agents publics invoquent le respect de la vie privée pour dissimuler
les malversations ou autres abus des pouvoirs publics
. Bien que cette question revête indéniablement
une importance capitale pour la définition de la portée du droit
à l’information, je compte la traiter uniquement dans la mesure
où elle concerne les rapports entre accès à l’information et sécurité
nationale. Les divers aspects de l’accès à l’information et du droit
au respect de la vie privée ont en effet déjà fait l’objet d’autres
travaux de l’Assemblée parlementaire
.
80. Le droit international des droits de l’homme ne confère aucune
primauté à l’un des deux droits – droit d’accès à l’information
et droit au respect de la vie privée – sur l’autre. Le juste équilibre
doit être trouvé au cas par cas
.
Il convient tout d’abord qu’une définition claire et compatible
des informations à caractère personnel protégées soit donnée par
la législation et appliquée par les mécanismes de surveillance pertinents.
Des critères d’appréciation objectifs des intérêts contraires doivent
ensuite prendre en compte les intérêts privés et publics. Enfin,
n’oublions pas qu’un organisme gouvernemental ne peut, de par sa
nature collégiale, invoquer son droit au respect de la vie privée.
Seul l’agent public concerné par des informations
à caractère personnel qui portent
sur sa vie privée peut invoquer ce droit, qui sera alors mis en
balance avec les intérêts des personnes qui consultent et utilisent
ces informations. Lorsque les données à caractère personnel concernent des
malversations pénalement répréhensibles et d’autres atteintes aux
droits de l’homme, l’intérêt général que présentent la transparence
et l’obligation de rendre des comptes des organismes publics peut
fort bien primer sur le droit d’un agent public au respect de sa
vie privée. Cela dit, le respect de la présomption d’innocence (article 6.2
de la Convention européenne des droits de l’homme) impose de traiter
avec le plus grand soin les informations qui allèguent de la commission
d’actes pénalement répréhensibles, afin que la publication des informations
qui ont donné lieu à une mise en accusation et leur examen en dehors
du tribunal ne portent pas atteinte au droit du prévenu à un procès
équitable.
81. De surcroît, les victimes de violations des droits de l’homme
peuvent parfaitement avoir un intérêt privé légitime à éviter la
divulgation publique de leurs noms, afin d’éviter tout préjudice
supplémentaire. Ce point est expliqué de manière très pertinente
dans une note au Principe 10.A.6.
b:
«Les noms et d’autres données personnelles
des victimes, de leurs proches et des témoins peuvent ne pas être
divulguées au public dans la mesure nécessaire pour éviter de leur
porter un préjudice supplémentaire, si la personne concernée le
demande librement et de manière explicite, ou lorsque cela est manifestement
compatible avec ce que la personne souhaite ou les besoins particuliers
de groupes vulnérables. S’agissant des victimes de violence sexuelle,
il convient d’exiger leur consentement explicite. L’identité des
victimes mineures (âgées de moins de 18 ans) ne peut être divulguée
au public. Ce principe doit toutefois être interprété compte tenu
du fait que différents gouvernements ont, à divers moments, dissimulé
des violations des droits de l’homme à l’opinion publique en invoquant
le droit à la vie privée, notamment ceux des individus mêmes dont
les droits sont ou ont été gravement violés, sans égard pour ce
que souhaitent véritablement les individus concernés.» (traduction
non officielle)
4. Mécanismes de surveillance,
de contrôle et de recours
82. La procédure de contrôle du bien-fondé du rejet d’une
demande d’information et les mécanismes de recours doivent garantir
l’accessibilité des informations non confidentielles et la protection
des informations légitimement confidentielles.
83. Les instances de surveillance, qu’elles soient judiciaires
ou parlementaires, et les organes indépendants de contrôle et de
recours sont essentiels au maintien d’un système de poids et contrepoids
dans le domaine de la sécurité. Ces instances doivent être prévues
par la loi et prendre en compte tous les aspects du secteur de la
sécurité, dont le respect de la législation, y compris des dispositions
relatives aux droits de l’homme, le caractère effectif et l’efficacité
des opérations de renseignement, ainsi que les pratiques en vigueur
dans les domaines administratif et financier
.
En outre, lorsque des éléments de preuve suffisants laissent penser qu’une
infraction a été commise, il convient de mener une enquête en bonne
et due forme et, le cas échéant, d’engager des poursuites pénales.
Les considérations de sécurité nationale ne doivent en effet pas
conduire à l’impunité de fait des agents publics qui prennent part
aux opérations visant au maintien de la sécurité.
84. La difficulté en la matière tient, à l’heure actuelle, au
manque d’informations fournies à ces instances
ainsi qu’au manque d'expertise
et de compréhension de la situation qui leur est imputé
. Il est donc essentiel que les institutions
de surveillance aient un accès illimité à toutes les informations
indispensables à l'exercice de leur mandat
.
Elles doivent bénéficier de la coopération pleine et entière des
services de sécurité concernés, avoir la capacité de mener des enquêtes
et de procéder à des contrôles de leur propre initiative, ainsi
qu’être investies des pouvoirs nécessaires et des ressources humaines
et financières indispensables à l'accomplissement effectif de leur
mission
.
85. Une autre difficulté tient au fait que les institutions de
surveillance sont des organismes nationaux dont la compétence est
limitée aux actions du secteur des renseignements de leur propre
pays. En même temps, la coopération internationale entre services
de renseignement va s’intensifiant, les menaces à la sécurité dépassant
aussi les frontières nationales. Les renseignements sont le plus
souvent échangés sous réserve qu’ils ne soient pas communiqués par
le service récepteur et à la condition que celui-ci ne dévoile pas
sa source. Le fruit d’une telle coopération ne fait donc l’objet
d’aucun contrôle. Une solution consisterait à renforcer la coopération
internationale entre organes nationaux de contrôle pour harmoniser
le développement de la coopération au plan opérationnel
. Cela ne devrait normalement pas poser
de problème pour les institutions de pays soumis aux même normes
en matière de transparence et de protection des droits de l’homme.
Dans la pratique, cela suppose encore beaucoup de progrès dans les
cultures organisationnelles des secteurs du renseignement de la
plupart, sinon de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe.
86. Il convient de noter que ces instances accomplissent par nature
une mission de service public et qu'elles relèvent par conséquent,
en principe, du champ d'application du droit d'accès à l'information
.
87. Pour parvenir au meilleur équilibre possible entre transparence
et intérêts de la sécurité nationale, un rapport antérieur de l’Assemblée
proposait de créer une instance composée de juges, assistés d'experts
en fonctionnement des services secrets. Cette structure devra bénéficier
d'un accès illimité à tout type d'informations détenues par le pouvoir
exécutif, afin d'être en mesure de définir les informations qui
doivent rester confidentielles et celles qu’il convient de rendre
publiques. Il importe que la procédure en vigueur devant cette instance
soit confidentielle, mais contradictoire, afin qu'elle puisse rendre
des décisions objectives en toute connaissance de cause
.
5. Protection des
donneurs d’alerte
88. Pour que le grand public bénéficie des signalements
par les donneurs d’alerte, “comme outils permettant d’augmenter
la responsabilisation et de renforcer la lutte contre la corruption
et la mauvais gestion”, ainsi qu’énoncé par l’Assemblée dans sa
Recommandation 1916 (2010) sur la protection des «donneurs d’alerte», les agents
de l’Etat devraient être protégés contre les représailles lorsqu’ils
divulguent des informations faisant état d’actes répréhensibles,
quelle que soit la gravité de ces actes et leurs conséquences éventuelles
pour la sécurité nationale
. Plus précisément, ils devraient
être exonérés de responsabilité civile ou pénale et protégés contre
la perte de leur emploi et/ou contre les dommages physiques ou psychologiques
. De plus, ils ne devraient pas être
tenus de fournir des éléments de preuve écrits pour que leur demandes
donnent lieu à une enquête ou pour éviter les représailles et ils
ne devraient pas non plus assumer la charge de la preuve pour ce
qui est de la véracité de l’information divulguée, sous réserve
qu’ils agissent de bonne foi
.
89. Les Principes globaux comportent une liste détaillée de catégories
d’informations que les donneurs d’alerte devraient être à même de
divulguer sans être en butte à des représailles, notamment des informations:
- sur
des infractions pénales;
- sur des violations des droits de l’homme;
- sur des violations du droit humanitaire international;
- sur la corruption;
- sur les menaces pour la santé et la sécurité publiques;
- sur les menaces pour l’environnement;
- sur les abus d’autorité;
- sur les erreurs judiciaires;
- sur la mauvaise gestion ou le gaspillage des ressources;
- sur les représailles pour signalement d’un des actes répréhensibles
énumérés ci-dessus;
- sur la dissimulation intentionnelle de toute situation
relevant de l’une des catégories ci-dessus.
91. La sévérité des poursuites pénales engagées contre la source
de “Wikileaks”, M. Bradley Manning, apparaît comme une violation
claire des principes susmentionnés. La diffusion de l’enregistrement
vidéo de l’homme tué à Bagdad par l’équipage d’un hélicoptère américain
qui prenait pour cible des civils, notamment des journalistes, en
commentant ces scènes avec cynisme, a trait à n’en pas douter à
des infractions pénales, des violations des droits de l’homme et
des violations du droit humanitaire international. Le fait de contribuer à
rendre public ces faits pour déclencher le débat et favoriser la
responsabilité découlant des actes concernés devrait être salué,
pas réprimé. Toute sanction pénale pour ces fuites alléguées devrait
être proportionnée au véritable préjudice causé et tenir compte
des idéaux de M. Manning, qui avait vingt ans à peine au moment des
faits supposés.
92. Pour optimiser les services rendus au grand public par les
donneurs d’alerte, les lois relatives à la protection des intéressés
devraient prévoir des procédures internes et désigner, au sein des
autorités publiques, des agents chargés de recevoir des divulgations
protégées
.
De plus, en l’absence de mécanismes internes, ou lorsque ceux-ci
sont défaillants, les donneurs d’alerte devraient être à même de
faire des signalements protégés à des organes de contrôle indépendants
protégeant l’identité des donneurs d’alerte, de façon à les préserver
contre les formes les plus subtiles de représailles
. Les divulgations publiques, avec
tous les risques qu’elles emportent, ne devraient intervenir qu’en
dernier recours.
93. Pour assurer la protection universelle des agents publics,
ceux-ci ne devraient pas pouvoir lever eux-mêmes ou renoncer à une
protection en tant que donneurs d’alerte. Tout accord ou contrat
en ce sens doit être considéré comme étant nul dès le départ
.
Les
donneurs d’alerte devraient être en mesure de faire état de représailles
ou de menaces à des organes de contrôle indépendants, habilités
à prendre des mesures correctives ou réparatrices
.
94. Ces conditions garantissent la protection des donneurs d’alerte
et répondent aux objectifs plus généraux de prévention des abus
de pouvoir et de responsabilisation des gouvernements, notamment
du secteur du renseignement. Ces conditions devraient être fixées
dans des lignes directrices applicables à toutes les autorités publiques
afin de promouvoir la sécurité juridique et de rassurer d’éventuels
donneurs d’alerte
.
6. Conclusions
95. L’étendue croissante des opérations spéciales menées
au nom de la sécurité nationale et des dispositions pertinentes
adoptées pour les mêmes raisons, surtout depuis le 11 septembre,
a été préjudiciable à la législation relative à la liberté de l'information,
qui vise à renforcer la transparence de l'administration et son
obligation de rendre des comptes. Le manque d'informations qui en
découle a, à son tour, empêché les parlements, les juridictions
et les simples citoyens de prendre part concrètement à la prise
des décisions pertinentes et d'obliger le pouvoir exécutif à rendre
compte de ses actes.
96. Le Préambule des Principes globaux souligne à juste titre
que:
«En permettant au public
de contrôler l’action des pouvoirs publics, l’accès à l’information
est non seulement une garantie contre les abus de la part d’agents
de l’Etat, mais elle permet également au public de jouer un rôle
dans la définition des politiques de l’Etat et constitue, par conséquent,
une composante essentielle d’une véritable sécurité nationale, de
la participation démocratique et de l’élaboration de politiques
rationnelles. Pour protéger le plein exercice des droits de l’homme,
il peut être nécessaire, dans des circonstances particulières, de
garder l’information confidentielle pour protéger les intérêts légitimes
en matière de sécurité nationale.»
97. Il est indispensable de mettre en place des garanties adéquates
aux différents niveaux de procédure, afin de prévenir tout abus.
Des lignes directrices claires doivent être définies pour garantir
que les motifs de sécurité nationale soient uniquement invoqués
dans des situations appropriées et fassent l'objet d'un contrôle adéquat.
Les Principes globaux offrent à cet égard un ensemble de lignes
directrices bien conçues. Ils mettent en relief les questions qui
présentent un intérêt public légitime particulier et qui ne devraient
pas être classifiées secrètes. Ainsi, les informations relatives
à de graves violations des droits de l’homme commises par des agents
publics ne devraient jamais être classifiées secrètes. Le fait qu’un
gouvernement en place risque d’être embarrassé ne constitue pas
une menace pour la sécurité nationale. Les organismes qui s’occupent
de questions de sécurité nationale devraient être régulièrement
contrôlés, y compris par des organes de contrôle parlementaires
ou judiciaires dévoués, s’appuyant sur un mandat solide et dotés
des moyens nécessaires. Dernier point mais non le moindre, les donneurs
d’alerte devraient bénéficier d’une protection adéquate.
98. Le rôle joué par l'Assemblée parlementaire dans la promotion
effective des droits de l'homme dans les Etats membres du Conseil
de l'Europe suppose qu'elle prenne une part active à l'élaboration
et à la promotion de normes communes en matière de droit d'accès
à l'information tout en respectant les préoccupations nationales
légitimes en matière de sécurité nationale, comme j’ai essayé de
le faire dans ce rapport, établi en coopération avec le projet de
Principes globaux mis en œuvre avec l’aide de l’Open Society Justice
Initiative. Nous devons à présent inviter instamment les parlements
nationaux à mettre en place des instances de surveillance effectives,
afin de garantir le respect de ces normes. Il importe que les institutions
européennes (notamment le Conseil de l'Europe et l'Union européenne)
offrent un exemple constructif en la matière et accordent l'accès
le plus large possible aux informations qu'elles détiennent.
99. Dans le projet de résolution, j’ai résumé les principaux points
sur lesquels nous devrions tous pouvoir tomber d’accord. Je propose
aussi un projet de recommandation au Comité des Ministres, afin
d’associer les gouvernements des Etats membres à nos efforts tendant
à donner vie à la Convention du Conseil de l’Europe sur l’accès
aux documents publics.