1. Introduction
1. L’alimentation

est un besoin fondamental de l’homme.
La nourriture est essentielle à la vie et au développement, et la
sécurité alimentaire est donc à la base de tous nos droits. Comme
l’ont déclaré les participants au Sommet mondial de l’alimentation
de 1996, la sécurité alimentaire existe seulement «lorsque tous
les êtres humains ont, à tout moment, un accès à une nourriture
suffisante, saine et nutritive leur permettant de mener une vie
saine et active». Le besoin de se nourrir étant commun à tous, l’assurance
de la sécurité alimentaire et d’une production durable de nourriture
devrait figurer parmi les premières priorités politiques de tous
les pouvoirs publics.
2. Notre planète pourrait fournir assez de nourriture pour tout
le monde. Pourtant, près d’un milliard de personnes souffrent de
faim ou de malnutrition, principalement dans le monde en développement,
où 100 millions d’enfants présentent une insuffisance pondérale

tandis
que, dans le même temps, environ deux milliards d’hommes et de femmes
sont en surpoids ou souffrent d’obésité

. Plus de six
millions d’enfants meurent chaque année des conséquences de la malnutrition
– un enfant toutes les cinq secondes – et la famine fait une victime
par seconde dans le monde. Avec la crise économique, l’insécurité
alimentaire touche de plus en plus de personnes dans le besoin,
même en Europe. Alors que la population mondiale a passé la barre
des 7 milliards d’habitants en 2011 et devrait passer celle des
9 milliards en 2050, les décennies à venir seront cruciales afin
de fournir à tous les êtres humains une nourriture adaptée à leurs
besoins et des conditions de vie décentes.
3. Le monde a un besoin urgent de changement, et pourtant, la
sécurité alimentaire ne progresse que trop lentement. Alors qu’approche
l’échéance de 2015 pour la réalisation des objectifs du Millénaire
pour le développement (OMD), il est quasi certain que, dans beaucoup
de régions défavorisées, l’objectif de réduire de moitié le nombre
de personnes souffrant de la faim ne sera pas atteint. L’absence
d’améliorations notables en matière de sécurité alimentaire est
un frein au développement humain et à la réalisation des autres
OMD. Il faut concevoir de nouvelles approches pour intégrer les
questions de sécurité alimentaire dans les politiques, par la voie
de consultations sur la gouvernance dans l’après-2015

.
Pour mieux comprendre les enjeux globaux de cette situation, nous
devons examiner tant la problématique de la quantité que celle de
la qualité des aliments et étudier le contexte social, économique
et environnemental de la sécurité alimentaire.
4. Comme nous le verrons dans ce rapport

,
le monde ne connaît pas de pénurie alimentaire. C’est l’homme qui
est en grande partie responsable des crises alimentaires, qui sont
généralement la manifestation de problèmes de gouvernance. La question
est de savoir si la nourriture que l’on produit est sûre et nutritive, si
elle est disponible et économiquement accessible et de quelle façon
on la consomme. Ces dernières années, une avalanche de scandales
alimentaires a ébranlé notre confiance dans les systèmes qui nous approvisionnent
en nourriture. Ces problèmes ne pourront être résolus que si la
volonté politique et l’engagement des citoyens sont suffisants.
Le présent rapport se fonde sur des auditions de commissions de l’Assemblée
parlementaire relatives à la sécurité alimentaire

et
sur les contributions de nombreux experts. Je suis particulièrement
reconnaissant à M. Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations
Unies sur le droit à l’alimentation, pour ses commentaires écrits.
2. L’alimentation,
un droit de l’homme fondamental
5. Le droit à l’alimentation est réalisé, d’après le
rapporteur spécial des Nations Unies sur le sujet, lorsque tous
les êtres humains disposent d’un accès physique et économique à
une nourriture adaptée à leurs besoins. L’accès à une alimentation
en quantité suffisante, mais aussi de qualité appropriée, doit être
régulier, permanent et libre, soit directement, soit au moyen d’achats
monétaires, et assurer une existence digne et épanouissante.
6. Le droit à l’alimentation est aujourd’hui bien ancré dans
le droit international des droits de l’homme. Il est consacré dans
de grands instruments juridiques internationaux contemporains, notamment:
- la Déclaration universelle des
droits de l’homme de 1948 (article 25);
- la Constitution de l’Organisation des Nations Unies pour
l’alimentation et l’agriculture (FAO) de 1965 (préambule);
- le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels de 1966 (article 11);
- la Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes de 1981 (articles 12 et 14);
- la Convention des Nations Unies relative aux droits de
l’enfant de 1989 (articles 24 et 27)
.
7. Par ailleurs, le droit à l’alimentation est en train de devenir
un élément commun des Constitutions nationales. Parmi les 24 Etats
qui ont déjà incorporé ce principe dans leur Constitution, citons
l’Afrique du Sud, le Bangladesh, le Brésil, l’Inde et l’Ukraine.
Les pouvoirs publics et les gouvernements jouent un rôle essentiel dans
la mise en œuvre du droit à l’alimentation et dans l’assurance de
la sécurité alimentaire. C’est à eux qu’il incombe de faciliter
l’accès illimité de leur population à l’alimentation et de la protéger
contre les violations de ce droit. Qui plus est, ils ont pour obligation
d’aider les personnes dans le besoin qui ne peuvent se procurer de
la nourriture par elles-mêmes.
8. D’après les «systèmes de cartographie et d’information sur
l’insécurité et la vulnérabilité alimentaire», en place depuis 1996,
rien qu’en Asie, dans le Pacifique et en Afrique subsaharienne,
quelque 817 millions de personnes continuent de souffrir de faim
ou de malnutrition. Leur droit à l’alimentation est bafoué ou insuffisamment
protégé. Dans l’intervalle, la FAO a émis 19 recommandations adressées
aux Etats, portant sur l’agriculture, les politiques alimentaires
et la sécurité alimentaire, la protection du consommateur par des voies
légales et au niveau institutionnel, les situations d’urgence et
la coopération internationale.
9. Comme l’a clairement établi le Comité des droits économiques,
sociaux et culturels des Nations Unies, les personnes dont le droit
à une alimentation adaptée a été violé

peuvent
déposer une plainte au titre du Protocole facultatif au Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui donne force obligatoire
à ce droit et peut offrir une protection en conséquence. C’est précisément
ce qui s’est passé en 2001 dans l’affaire Ogoni, dans laquelle la
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a conclu
que le Nigéria avait porté atteinte au droit à l’alimentation des
communautés ogoni.
10. Bien que le droit à l’alimentation soit reconnu à l’échelle
internationale, régionale et nationale, les Etats sont encore trop
nombreux à refuser de reconnaître son caractère exécutoire. Cela
signifie que le droit à l’alimentation est protégé de façon inégale
par les pouvoirs publics selon les pays. J’estime que tous les Etats membres
du Conseil de l’Europe devraient reconnaître le caractère exécutoire
de ce droit de l’homme fondamental dans leur législation et respecter
pleinement les obligations internationales qui leur incombent de le
protéger comme il se doit. Or, on signale aujourd’hui en Europe
de plus en plus de cas d’enfants tombant d’inanition à l’école et
un nombre toujours plus important de sans-emploi venant grossir
les files d’attente de l’aide alimentaire, notamment dans des pays
qui ont été touchés de plein fouet par la crise économique

.
3. Menaces pour la
sécurité alimentaire
11. Par le passé, les plus grands dangers pour la sécurité
alimentaire étaient les guerres, les catastrophes naturelles et
les intempéries. C’est encore le cas aujourd’hui, mais les dégâts
causés sont d’une ampleur, d’une portée et d’une dimension jamais
vues auparavant. Il y a lieu d’affirmer que l’homme est devenu la
plus grande menace pour sa propre sécurité alimentaire. Même si
le monde produit suffisamment de nourriture de bonne qualité, la
disponibilité et l’accessibilité économique des aliments pour les
populations pauvres sont loin d’être garanties. La suite du rapport
met en lumière les trois principales sources d’insécurité alimentaire
que sont les pressions démographiques, l’environnement et les marchés,
dont les causes sont locales, mais les conséquences, mondiales.
3.1. Population: combien
de personnes à nourrir et comment les nourrir?
12. L’explosion démographique que l’on connaît aujourd’hui
et qui persistera dans les décennies à venir, associée à l’amélioration
des conditions de vie, érode la sécurité alimentaire. Une partie
plus importante de la population mondiale est aujourd’hui en demande
d’une alimentation plus diversifiée, en quantité et de qualité suffisantes.
La croissance démographique et l’urbanisation ont modifié notre
façon de manger tout comme notre façon de gaspiller.
3.1.1. Des modes de consommation
en pleine évolution
13. A l’heure où la planète est peuplée de plus en plus,
on observe d’importants changements dans les modes de consommation
d’une population urbaine plus nombreuse, ainsi que dans les régimes
alimentaires. Cela est particulièrement évident pour la consommation
de viande, qui a affiché une croissance rapide ces dix dernières
années, passant d’environ 37 kg à 42 kg par personne et par an.
A ce rythme, plus de 52 kg de viande seront consommés par personne
et par an d’ici à 2050. Selon la FAO, près de la moitié de la production céréalière
mondiale sert actuellement à l’alimentation animale. Sachant qu’il
faut en gros 7 kg de céréales et 5 000 à 15 000 litres d’eau pour
produire un kilo de bœuf et à peine moins pour d’autres types de
viande, on voit que les répercussions pour l’avenir sont considérables.
14. En dépit de la valeur énergétique de la viande, le Programme
des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) estime que la perte
de calories découlant de l’utilisation de céréales pour nourrir
les animaux au lieu de nourrir directement les hommes équivaut aux
besoins caloriques annuels de 3,5 milliards de personnes. La réaffectation
d’une partie de ces céréales à la consommation humaine pourrait
aider à faire reculer la famine et la malnutrition. Cela étant,
alors que l’on consomme trop de viande dans les pays développés,
une augmentation raisonnable de la consommation de viande pourrait
être très bénéfique dans la plupart des pays en développement, en
particulier pour la croissance des enfants.
15. Paradoxalement, la suralimentation cause de graves problèmes
de santé et entraîne une hausse des taux de mortalité

.
Des études de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) font état
d’une augmentation alarmante de la prévalence de l’obésité et du
surpoids. Le nombre de personnes obèses a plus que doublé entre
1980 et 2008 dans le monde, et environ un adulte de plus de 20 ans
sur trois est en surpoids. Les enfants et les jeunes sont également
de plus en plus nombreux à être touchés par ce problème

.
En Europe, plus de la moitié de la population adulte est concernée
par les problèmes dus à une surcharge pondérale. L’OMS met en garde
contre les risques sanitaires du surpoids, qui accroît l’incidence
des troubles métaboliques, des maladies cardiaques, de l’hypertension
et de l’hypercholestérolémie, ainsi que de la résistance à l’insuline
et des cancers.
3.1.2. Gaspillage alimentaire
16. Nous sommes par ailleurs face à un autre paradoxe:
alors que l’on produit davantage de nourriture pour lutter contre
la faim, on en gaspille aussi de plus en plus. Entre 30 % et 50
% de la nourriture produite dans le monde est perdue. Selon la FAO,
chaque personne en Europe, en Amérique du Nord et en Océanie gaspille 95
à 115 kg de nourriture par an, contre 6 à 11 kg en Afrique subsaharienne
et en Asie du Sud et du Sud-Est. Ce gaspillage se produit à tous
les niveaux de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, depuis
la collecte et la transformation du produit jusqu’à son transport,
sa distribution et, au final, sa consommation.
17. Les pays riches ont une responsabilité particulière à cet
égard du fait qu’ils jettent de trop grandes quantités d’aliments
encore propres à la consommation humaine. Dans les régions développées,
près de la moitié de la nourriture finit au rebut, ce qui représente
quelque 300 millions de tonnes par an, soit plus que la production
alimentaire nette de l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. Si cette
nourriture pouvait être récupérée, elle suffirait à garantir une
meilleure alimentation à près de 870 millions de personnes pauvres
et affamées dans le monde.
18. Le gaspillage coûte en outre des millions aux consommateurs
et nuit à notre environnement. Les pertes réelles et estimées des
produits étant répercutées sur le prix des aliments, les consommateurs
sont automatiquement pénalisés par des prix plus élevés, en particulier
pour les produits frais (légumes, fruits, lait, viande et poisson).
Qui plus est, l’élimination des déchets alimentaires coûte à elle
seule entre 55 et 90 euros par tonne en Europe et génère environ
170 millions de tonnes d’émissions de CO2. La réduction des déchets alimentaires
permettrait d’accroître la quantité et d’améliorer l’accessibilité
économique des aliments disponibles, mais aussi d’optimiser l’utilisation
des ressources. Dans un contexte mondial de menaces grandissantes
pour la sécurité alimentaire, il est d’autant plus urgent de s’attaquer
au problème. Les répercussions du gaspillage de nourriture sur l’environnement
sont l’un des tributs que devront payer les générations futures.
3.2. Des limites environnementales
à la croissance?
19. La croissance démographique a eu une incidence majeure
sur l’environnement, dont la dégradation menace inévitablement la
sécurité alimentaire. Ce sont souvent les ressources naturelles
et la biodiversité que l’on sacrifie pour répondre à des besoins
toujours plus importants et en constante évolution. Les conséquences sont
nombreuses: changement climatique, exploitation abusive des terres
due à certaines méthodes agricoles et dégradation de la qualité
des eaux, de l’air et des sols causée par l’utilisation de produits
agrochimiques. Certains dommages pour l’environnement sont irréversibles.
3.2.1. Changement climatique
20. Si les aléas climatiques ont toujours menacé les
récoltes, le changement climatique donne une nouvelle dimension
à cette menace. Les épisodes extrêmes sont de plus en plus fréquents,
qu’il s’agisse de sécheresses, d’inondations, de tornades ou de
températures exceptionnellement élevées ou basses qui nuisent aux
récoltes et aux rendements agricoles. Depuis quelques décennies,
on ne compte plus les exemples de phénomènes naturels dévastateurs
pour de grands pays producteurs de denrées alimentaires, notamment
les Etats-Unis, la Russie, l’Inde, la Chine et bon nombre de pays
africains. Le changement climatique a aussi des répercussions sur
la santé animale et végétale, en raison d’une dispersion accrue
des maladies, des ravageurs des cultures et des espèces invasives.
21. On sait maintenant que l’agriculture produit à elle seule
au moins 13 à 15 % des émissions de gaz à effet de serre responsables
du changement climatique à l’échelle planétaire. Ces émissions provoquées
par l’homme vont en s’intensifiant tout au long de la chaîne d’approvisionnement
alimentaire (transformation, conditionnement, transport et réfrigération),
mais aussi en conséquence de la déforestation (responsable à elle seule
de 19 % d’émissions supplémentaires) du fait de l’expansion des
zones de culture et de pâturage. Les risques climatiques qui en
découlent pour la sécurité alimentaire ne cessent de s’amplifier.
22. Le changement climatique menace tout particulièrement les
disponibilités alimentaires en Asie et en Afrique, où la sous-nutrition
est déjà très répandue. Une hausse des températures moyennes associée
à une baisse des précipitations saisonnières commence à avoir des
effets dramatiques sur l’agriculture de subsistance dont dépendent
tant de personnes dans ces pays. En Europe également, des laboratoires
de recherche basés dans la région méditerranéenne ont déjà signalé
une baisse des rendements agricoles en raison de légères hausses
des températures moyennes. En d’autres termes, nous produisons moins
alors même que nous devrions produire plus.
3.2.2. Techniques agricoles
et exploitation abusive des terres
23. D’après certaines estimations, la production agricole
globale devrait augmenter de 70 % d’ici à 2050 pour assurer la sécurité
alimentaire d’une population toujours plus importante. Or, certaines
méthodes de culture très intensives épuisent les terres. Paradoxalement,
ces techniques agricoles visant l’augmentation du rendement des
cultures appauvrissent les sols et accentuent l’érosion, en plus
d’exacerber la perte de biodiversité et de diminuer la fertilité –
et nuisent, de fait, à la production alimentaire.
24. Les polluants d’origine agricole, par exemple, affectent la
production d’aliments de qualité. En dehors de leur impact négatif
direct sur la santé humaine et animale, les produits chimiques utilisés
par l’agriculture

, l’agro-industrie

et les activités
industrielles polluantes ont un effet cumulatif sur l’environnement
et sur la biodiversité dont l’impact sur la sécurité alimentaire
ne saurait être sous-estimé. Les récoltes diminuent aussi à cause
de la disparition progressive des abeilles et d’autres insectes
pollinisateurs qui ont été fortement touchés par l’utilisation de
certains produits chimiques phytosanitaires.
25. La mauvaise utilisation des produits chimiques, mais aussi
la désertification, l’appauvrissement des sols et l’érosion causés
par une agriculture agressive et par l’urbanisation, ont entraîné
une perte radicale de terres arables. De surcroît, les terres agricoles
font l’objet d’une concurrence accrue d’autres secteurs économiques, due
à l’expansion des infrastructures, notamment routières et ferroviaires,
et des installations industrielles. Certains pays, principalement
d’Afrique subsaharienne, sont confrontés à un phénomène de plus
en plus répandu de location de longue durée ou d’acquisition de
terres à grande échelle par des multinationales et des Etats étrangers.
Pour les experts, cette pratique d’accaparement des terres est néfaste
pour la sécurité alimentaire des populations concernées, la présence
d’entités étrangères profitant généralement aux marchés mondiaux
et non aux populations locales.
3.2.3. Agrocarburants
26. Notre enthousiasme pour les biocarburants, que l’on
a vantés comme une énergie respectueuse de l’environnement à promouvoir
dans le cadre des stratégies de développement durable, n’a fait
que nuire davantage à la sécurité alimentaire. L’expansion rapide
des agrocarburants ces dernières années a fait naître des doutes
quant à leur efficacité. Dès 2009, l’Assemblée mettait en garde
contre l’utilisation de cultures vivrières pour produire des biocarburants,
qu’elle jugeait dommageable pour la production alimentaire comme pour
l’environnement

.
De son côté, l’Union européenne a dû récemment admettre que l’objectif
de porter à 10 % la part des biocarburants dans le bouquet énergétique
à l’horizon 2020 avait des répercussions négatives sur la réduction
des émissions de gaz à effet de serre et indirectement sur des changements
dans l’affectation des sols

.
27. D’une part, l’utilisation croissante des cultures vivrières
pour la production de biocarburants a entraîné une baisse de la
disponibilité des aliments destinés à la consommation humaine; d’autre
part, elle a contribué à une hausse des prix des denrées alimentaires
dans le monde entier. D’après un rapport de la Banque mondiale datant
de juillet 2008, 75 % de l’augmentation des prix des denrées alimentaires
était due aux agrocarburants. Le rapporteur spécial des Nations
Unies sur le droit à l’alimentation met en garde contre le mode
actuel de production des biocarburants pour les transports; dans
l’ensemble, cette filière n’est pas viable et risque d’entraîner
des violations du droit à l’alimentation. Il est par conséquent
vital d’assurer une transition plus rapide vers la deuxième génération
de biocarburants, produits à partir de déchets agricoles et de cultures non
vivrières.
3.3. Marchés mondiaux:
au service de qui?
28. A l’heure actuelle, la production alimentaire est
indissociable de la distribution et des marchés. Même si nous produisons
assez de nourriture d’une qualité suffisante pour nourrir tous les
êtres humains, trop de personnes n’ont pas accès à la nourriture
ou n’ont pas les moyens de s’en procurer en quantité suffisante.
Les asymétries dans le système du commerce mondial aggravent la
pauvreté et favorisent diverses pratiques abusives, telles que la
fraude et la spéculation sur les denrées alimentaires, qui érodent
la sécurité alimentaire.
3.3.1. Commerce des denrées
alimentaires et spéculation
29. La production agricole et alimentaire étant une source
importante de revenu, les conditions des accords commerciaux internationaux
sont essentielles pour la sécurité alimentaire nationale. A certains
égards, la libéralisation actuelle des échanges commerciaux ouvre
de nouvelles perspectives pour les agriculteurs et les producteurs
de denrées alimentaires; en revanche, elle les expose à la concurrence
mondiale. Beaucoup de pays en développement membres de l’OMC cherchent
par conséquent à ajuster les tarifs de produits essentiels afin
de protéger l’agriculture de subsistance et de favoriser le développement
durable des populations locales. Sans clauses de sauvegarde, les
exportations agricoles subventionnées des pays occidentaux risquent
de saper la capacité des agriculteurs des pays en développement
à faire face à la concurrence internationale et à s’assurer un revenu
décent.
30. Le commerce des semences illustre bien cette situation. Les
règles commerciales en vigueur et la protection des droits de propriété
intellectuelle tendent à servir davantage les intérêts des grandes
sociétés des secteurs de l’agrochimie et de la biotechnologie que
ceux des nombreux petits exploitants agricoles et des consommateurs.
Les agriculteurs locaux doivent lutter pour obtenir une diversité
suffisante de semences disponibles sur le marché et une meilleure
protection des variétés traditionnelles de semences commercialisées
et pour faire valoir leur droit d’accès à des semences non brevetées.
Sans cette résistance, la biodiversité est menacée et les multinationales
accaparent notre chaîne d’approvisionnement alimentaire

.
31. La conjoncture économique revêt une grande importance pour
l’approvisionnement alimentaire. Le déclenchement de la crise économique
et financière mondiale en 2007-2008 a affecté les échanges mondiaux de
produits alimentaires, provoquant de fortes hausses des prix et
même des crises alimentaires. Selon la FAO, les prix des aliments
ont augmenté de 22 % entre janvier et février 2011. De même, la
Banque mondiale a conclu dans son rapport de l’été 2011 que le prix
des denrées de base, tels que le blé, l’huile de soja et le sucre,
avait augmenté, respectivement, de 55 %, 47 % et 62 % par rapport
à l’année précédente. Les prix du maïs ont également affiché une
hausse de 84 %, due en partie à la demande de biocarburants des
Etats-Unis. Il va de soi que les groupes les plus vulnérables et
les plus touchés par la spéculation sur les denrées alimentaires
sont les pauvres et les chômeurs.
32. Comme il ressort de l’étude des Nations Unies, ces hausses
spectaculaires du prix des denrées de base ne peuvent s’expliquer
que «par l’apparition d’une bulle spéculative»

.
L’étude souligne l’impact de la libéralisation du marché des contrats
de dérivés pour les principales denrées agricoles (riz, blé, maïs,
soja) et préconise de prendre des mesures fermes pour améliorer
le commerce des denrées alimentaires afin de réduire la volatilité
des prix. De plus, il semble urgent de rectifier les mécanismes
commerciaux d’intermédiation entre des agriculteurs asphyxiés par
des prix d’achat toujours plus faibles et des marchands qui augmentent
démesurément leurs marges de profit et des prix de vente aux consommateurs.
3.3.2. Fraude alimentaire
33. Vu les enjeux sur les marchés des denrées alimentaires,
il n’est pas étonnant que des produits alimentaires non conformes
ou frauduleux fassent leur apparition dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire,
comme le montrent les données de plus en plus nombreuses dont on
dispose à ce sujet. Ces produits représentent une grave menace pour
la santé publique dans tous les pays. Les informations publiées par
les médias au sujet d’huile d’olive frelatée

,
de poulet contaminé à la dioxine, de vins contrefaits et de faux produits
bios ont mis en évidence de nombreuses défaillances en matière de
sécurité sanitaire des aliments. Le scandale de la viande chevaline
maquillée en viande de bœuf (affaire du «
horsegate»),
qui a éclaté en Europe début 2013, l’importation de denrées contaminées
en provenance d’Asie du sud-est, en particulier de la Chine, ou
encore l’étiquetage mensonger d’espèces de poisson à l’échelle mondiale,
ont révélé les graves problèmes de traçabilité, d’étiquetage et
de contrôle qualité qui se posent tout au long de la chaîne d’approvisionnement
alimentaire.
34. Par ailleurs, le phénomène de bas coût nuit à la qualité de
la nourriture tout comme aux contrôles alimentaires et à notre capacité
à détecter la fraude. La crise économique a encore réduit la capacité
des services nationaux d’inspection des produits alimentaires, alors
que les risques augmentent de façon exponentielle avec la mondialisation
des échanges. Lorsque les consommateurs sont trompés au sujet de l’origine
exacte ou de la composition des aliments, leur confiance dans les
systèmes agroalimentaires vacille; mais lorsque des fraudeurs approvisionnent
les marchés avec des aliments dangereux, les conséquences peuvent
être dramatiques. En règle générale, quelque 4,5 % des inspections
de produits alimentaires effectuées dans l’Union européenne détectent
des problèmes de fraude. Certains experts considèrent la fraude
alimentaire comme une menace particulière pour la santé publique,
dans la mesure où les contaminants sont atypiques et nos systèmes
de contrôle ne sont pas adaptés à la recherche d’une multitude de
poisons potentiels.
4. L’enjeu de la sécurité
sanitaire des aliments: assurer la qualité
35. La sécurité sanitaire des aliments est une composante
essentielle de la sécurité alimentaire. On ne soulignera jamais
assez son importance. Si la qualité de ce que nous mangeons est
compromise, notre santé peut gravement en pâtir, aujourd’hui comme
demain. Les aliments altérés, contaminés ou non conformes aux normes
peuvent provoquer des maladies et des troubles dégénératifs à l’origine
de nouvelles pathologies et d’une résistance accrue aux antibiotiques,
et peuvent même causer la mort. Pire encore, ils peuvent perturber le
système reproducteur, entraînant des conséquences à long terme sur
l’espèce humaine.
36. Au nombre des substances présentant un risque pour la sécurité
sanitaire des aliments figurent les produits chimiques contenus
dans les pesticides, les herbicides et les fongicides utilisés en
agriculture.

Les résidus
de métaux lourds, les dioxines et la pollution radioactive empoisonnent
également ce que nous mangeons. La contamination microbiologique
par des bactéries, des virus et des parasites continue de présenter
un risque grave pour nous tous. Aujourd’hui, même les médicaments
utilisés dans l’élevage, tels que les antibiotiques et les vaccins,
les neuroleptiques et les hormones, peuvent s’avérer néfastes lorsqu’ils
sont employés à l’échelle industrielle. Certains experts ajoutent
à cette liste les organismes génétiquement modifiés (OGM) et la
nanotechnologie

, au vu des conclusions de certaines
études selon lesquelles ils pourraient être cancérigènes ou présenter
d’autres dangers pour la santé sur le long terme.
37. Les effets de ces substances sur la santé humaine – même en
petites quantités – et des mélanges de ces substances (effets «cocktail»)
n’ont pas encore été suffisamment étudiés. Les protocoles de recherche standards
sur lesquels s’appuient actuellement les scientifiques qui conseillent
les autorités européennes de sécurité des aliments limitent les
études de toxicité à trois mois et visent à définir les concentrations
maximales tolérables de contaminants isolés pour des animaux de
laboratoire. Les besoins des personnes plus vulnérables que sont
les enfants, les femmes enceintes et les personnes malades ou allergiques,
beaucoup plus sensibles aux risques alimentaires que le reste de
la population, ne sont pas convenablement pris en compte

.
Cela remet en question une grande partie des normes de référence
en vigueur au niveau européen.
38. A cet égard, citons l’affaire retentissante de contamination
alimentaire à la mélamine survenue en Chine en 2008. Une fois ingérée,
cette substance toxique ajoutée illégalement à du lait en poudre
infantile a provoqué de graves insuffisances rénales, entraînant
la mort de plusieurs nourrissons. Des contaminants toxiques, notamment
de l’encre, contenus dans des aliments pour bébés ont aussi été
détectés à plusieurs reprises dans des pays européens.
39. Par ailleurs, des recherches récentes ont établi la toxicité
de certaines substances telles que le bisphénol A

, perturbateur endocrinien largement
présent dans les emballages alimentaires en plastique. Cette substance
est particulièrement dangereuse pour les bébés nourris au moyen
de biberons contenant du bisphénol A. Le reste de la population
n’échappe pas à cette substance que l’on retrouve à l’intérieur
d’un grand nombre de boîtes de conserve et de canettes. L’Union
européenne, le Canada et les Etats-Unis ont déjà interdit l’utilisation
du bisphénol A dans la fabrication des biberons, mais il faut maintenant
prendre des mesures concernant ses différentes utilisations dans
le secteur alimentaire. Dans l’Union européenne, à compter de 2014,
toute présence de substances chimiques pouvant avoir des effets
potentiels sur les systèmes endocriniens devra être signalée par
l’étiquetage des produits alimentaires et toute nouvelle substance
présentant des risques similaires se verra refuser la certification.
40. Les incertitudes qui pèsent sur les OGM sont un autre point
inquiétant pour les consommateurs européens. Alors que les dispositions
réglementaires européennes exigent le signalement des concentrations d’OGM
supérieures à 0,9 % par l’étiquetage des produits alimentaires,
les OGM sont présents en quantité massive dans la nourriture des
animaux destinés à la consommation humaine – et cela malgré l’absence
de preuves scientifiques que la nourriture ainsi produite est suffisamment
sûre en cas d’exposition fréquente et prolongée. Ce dernier point
a été mis en lumière dans une étude récente qui a établi un lien
entre l’alimentation d’animaux de laboratoire à base de maïs OGM
sur une longue durée et l’apparition de cancers

. La polémique qui a suivi et la
vive inquiétude soulevée dans la communauté scientifique et le grand
public ont cependant été de courte durée et la position de l’EFSA
sur le sujet se veut plutôt rassurante.
41. A ce jour, la crise alimentaire qui a le plus ému la communauté
internationale est celle de l’encéphalopathie spongiforme bovine
(ESB), plus connue sous le nom de «maladie de la vache folle». Cette maladie
cérébrale mortelle des bovins a été diagnostiquée pour la première
fois au Royaume-Uni en 1986. Dix ans plus tard, des cas de survenue
précoce de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ont été identifiés pour
la première fois; le lien entre les deux maladies a été rapidement
établi, confirmant qu’il s’agissait de la variante humaine de l’ESB.
L’onde de choc provoquée dans la communauté internationale a conduit
à prendre conscience que la qualité des aliments importait tout
autant, si ce n’est davantage, que leur quantité.
42. Cet épisode marquant est à l’origine de la réforme et du durcissement
des réglementations sanitaires. Les conséquences ont été immédiates
sur la fréquence des contrôles de la qualité des produits alimentaires. Cela
a permis en outre de clarifier les responsabilités de tous les maillons
de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, de l’agriculteur au
consommateur. En revanche, l’épidémie due à la bactérie
Escherichia coli, qui a touché l’Europe
en 2011 et provoqué de nombreux cas de défaillances rénales graves
et même de décès,

a montré que les vérifications et les
contrôles effectués le long de la chaîne d’approvisionnement alimentaire demeuraient
insuffisants, notamment pour ce qui concerne les contaminations
microbiologiques. Le problème de la sécurité sanitaire des aliments
«du champ à l’assiette» reste d’actualité et appelle l’adoption
de stratégies transversales pour mieux protéger la qualité de ce
que l’on mange.
43. Enfin, nous devons être plus attentifs aux effets de la nourriture
sur notre santé. Pour ce faire, nous avons besoin d’informations
scientifiques indépendantes sur les risques liés à l’alimentation

et nous
devons encourager la population à adopter de saines habitudes alimentaires.
Pour permettre aux consommateurs de faire les meilleurs choix alimentaires
en fonction de leurs besoins et de leurs préférences, l’étiquetage
des aliments doit être lisible, facile à comprendre et précis. Plusieurs
membres de l’Assemblée ont signalé des problèmes réglementaires
en lien avec la vente de boissons énergétiques aux enfants en raison
des effets nocifs que peuvent avoir ces boissons sur la santé et
le comportement

.
5. Stratégies de renforcement
de la sécurité alimentaire
44. Comme nous venons de le voir, la sécurité alimentaire
est une question transversale qui touche de nombreux domaines, allant
de la démographie à l’environnement et aux marchés, en passant par
la santé publique. Alors que les pays sont toujours plus interdépendants,
les relations internationales jouent un rôle clé pour atténuer les
tendances négatives et mieux exploiter de nouvelles possibilités
d’amélioration de la sécurité alimentaire.
45. Pour faire face à ces défis multiples, les politiques européennes
en matière de sécurité alimentaire mettent l’accent sur les solutions
à apporter aux pénuries alimentaires et aux problèmes de qualité
des denrées, en les plaçant au cœur des stratégies de réduction
de la pauvreté et des risques. Elles tiennent compte par ailleurs
des causes profondes de l’insécurité alimentaire, notamment de la
dégradation de l’environnement, des défaillances des systèmes de
production et du dysfonctionnement des marchés, ainsi que des inégalités
sociales. Les risques pour la sécurité alimentaire doivent être
évités mais aussi anticipés.
5.1. Mesures visant
à améliorer la sécurité sanitaire des aliments
46. En conséquence, c’est le principe général de précaution
qui, depuis quelques décennies, régit les stratégies et initiatives
européennes visant à protéger la sécurité alimentaire, et en particulier
la sécurité sanitaire des aliments. Dans tous les cas où les informations
scientifiques concernant la sécurité sanitaire des aliments sont
«incomplètes, peu concluantes ou incertaines» et où une évaluation
préliminaire indique «qu’il est raisonnable de craindre» des effets
potentiellement dangereux pour la santé humaine, animale ou végétale,
c’est le principe de précaution qui prévaut

, afin d’assurer le niveau élevé
de protection recherché par l’Union européenne

. Si une
menace potentielle est avérée, elle est susceptible d’entraîner
des restrictions dans les échanges commerciaux des produits alimentaires.
47. Cela étant, si l’Europe évoque fréquemment le principe de
précaution, les Etats-Unis privilégient pour leur part une simple
analyse des risques. Selon les réglementations européennes

, toute mesure
d’urgence prise par les autorités doit être suivie d’un examen scientifique
dans un délai raisonnable. Les Etats-Unis contestent cette méthode,
puisque, de leur point de vue, le commerce mondial ne devrait pas
être restreint tant qu’il n’y a pas de preuve scientifique de la
nocivité d’un produit, comme dans le cas des hormones de croissance
données au bétail. Les Etats-Unis considèrent par conséquent l’interdiction
de l’Union européenne sur l’importation de viande traitée aux hormones
comme un protectionnisme déguisé. De toute évidence, le principe
de précaution doit être invoqué avec circonspection.
48. Au niveau de l’Union européenne, les préoccupations liées
à la sécurité sanitaire des aliments ont abouti à la création, en
2002, de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et
à l’entrée en vigueur, en 2006, du paquet «Hygiène»

. L’EFSA
a pour mission d’évaluer les risques dans le secteur alimentaire
et de prodiguer des conseils scientifiques sur le sujet, tandis
que le paquet Hygiène a pour objet le maintien de normes sanitaires
élevées dans la production alimentaire et l’application de règles
spécifiques pour les aliments d’origine animale. Dans l’Union européenne,
les agriculteurs et les producteurs agroalimentaires sont tenus
d’utiliser des systèmes de contrôle de la qualité

. Le cas échéant, le système d’alerte
rapide de l’Union européenne peut être déclenché – rien qu’en 2012,
547 alertes ont été lancées et 1 743 cargaisons dangereuses ont
été interceptées à la frontière, les pays non membres de l’Union
européenne étant eux aussi informés des problèmes qui se posent.
49. Au niveau mondial, le Codex Alimentarius ou «Code alimentaire»,
créé conjointement par la FAO et l’OMS en 1961, est un recueil de
codes d’usages contrôlés ayant pour objet la sécurité alimentaire,
la protection des consommateurs et la préservation de l’environnement.
Le Codex met en œuvre les dispositions réglementaires liées à la
santé des êtres vivants et à la préservation des végétaux au titre
de l’Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires
(Accord SPS)

.
L’objectif est d’assurer la sécurité alimentaire tout en empêchant
que des réglementations trop strictes ne favorisent les producteurs
nationaux. La Commission du Codex Alimentarius, organe exécutif
de cet instrument, travaille de concert avec les gouvernements,
qui peuvent s’inspirer de ses recommandations pour établir leurs
propres normes et règles de sécurité, d’étiquetage et d’importation
ou d’exportation des aliments. La FAO et l’OMS proposent une assistance
spéciale aux pays en développement pour les aider à respecter les
règles du Codex et les intégrer pleinement dans le marché mondial
des denrées alimentaires.
5.2. Politiques environnementales
et agricoles
50. L’économie verte et l’une de ses composantes – l’agriculture
et la pêche – sont essentielles au développement durable et à l’éradication
de la pauvreté et de la faim, comme l’ont reconnu les participants
à la conférence Rio+20, qui s’est tenue en 2012. De même, le rapporteur
spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation plaide en
faveur d’une agriculture, ainsi que d’une pêche, plus durables sur
le plan environnemental et plus justes sur le plan social. Le système
d’approvisionnement alimentaire devrait garantir une nourriture
disponible pour tous, accroître les revenus des petits exploitants
agricoles et assurer notre capacité à satisfaire les besoins futurs

. La conduite d’une lutte
efficace contre le changement climatique, notamment par la conclusion
d’un accord international contraignant sur un protocole Kyoto-2,
est un objectif que tous les Etats membres du Conseil de l’Europe
devraient soutenir résolument

.
51. Pour faire face au changement climatique de façon plus globale,
les solutions à mettre en œuvre au niveau local passent notamment
par l’amélioration des pratiques agricoles. Les cultures vivrières,
l’utilisation des terres et les techniques d’irrigation devront
être adaptées au réchauffement climatique. A cet égard, l’agriculture
écologiquement intensive et l’agriculture durable ont un fort potentiel.
Le maître-mot est l’optimisation des fonctions naturelles des écosystèmes
afin d’obtenir des rendements comparables à ceux de l’agriculture
conventionnelle, tout en limitant l’utilisation des produits chimiques
et la dégradation environnementale et en améliorant la distribution
des produits alimentaires. L’Union européenne s’oriente actuellement
vers une agriculture et une pêche durables en vue de mieux intégrer
les limites écologiques, économiques et sociales dans son système
de production.
52. Au nombre des méthodes alternatives propices à la sécurité
alimentaire, citons également l’agriculture biologique. Pour la
FAO

, ce type d’agriculture
peut non seulement contribuer à la sécurité alimentaire, mais aussi
réduire la pollution. En effet, la rotation des cultures rend les
sols plus fertiles et accroît les rendements, tandis que les produits
chimiques sont remplacés par des procédés biologiques. La stabilité
accrue des écosystèmes contribue à garantir notre droit à un environnement
sain et à une alimentation de meilleure qualité nutritionnelle.
En privilégiant des canaux de distribution courts, l’agriculture
biologique permet également de réduire les émissions polluantes.
Enfin, elle fait appel à plus de main d’œuvre, ce qui permet de
créer des emplois et favorise le développement rural. Toutefois,
aussi louable soit-elle sur le plan écologique et social, elle ne
pourra être une solution universelle tant que les prix de ses produits
seront beaucoup plus élevés et les rendements inférieurs à ceux
de l’agriculture intensive.
53. Les politiques agricoles sont étroitement liées au commerce
et à l’environnement. Les pays membres de l’Union européenne cherchent
à réformer leur politique agricole commune pour mieux équilibrer
le soutien à l’agriculture et les besoins des consommateurs, les
normes de qualité alimentaire et les exigences en matière de protection
de l’environnement. Dans l’attente d’un accord mondial à l’OMC sur
l’élimination progressive des subventions à l’exportation qui faussent
le marché, l’Union européenne a déjà réduit considérablement ses restitutions
à l’exportation. La clôture de chapitres clés, tels que l’agriculture,
dans le cycle de négociations commerciales de Doha et le renforcement
des clauses de sauvegarde pour les pays en développement pourraient
donner un nouvel élan à la lutte contre l’insécurité alimentaire

.
54. Dans le même ordre d’idées, nous devons redoubler d’efforts
pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement,
notamment le premier de ces objectifs, à savoir une réduction significative
de la pauvreté extrême et de la faim à l’horizon 2015 – et au-delà.
En effet, environ 75 % des populations pauvres et touchées par l’insécurité
alimentaire vivent en milieu rural et tirent leur subsistance d’une
agriculture à petite échelle. Une meilleure organisation des petits
exploitants, par exemple dans le cadre de coopératives, permettrait
à ces derniers de transformer les denrées qu’ils produisent et d’avoir
une meilleure position de négociation sur les marchés alimentaires

.
Enfin, nous devons accroître l’aide au développement, surtout pour
l’agriculture (qui ne représente actuellement que 4 % de l’aide),
et honorer nos engagements en la matière.
55. L’action mondiale pour la sécurité alimentaire vise en outre
une meilleure coordination entre les Etats et diverses autorités
nationales. C’était précisément le but des ministres de l’agriculture
du G20 lorsqu’ils ont lancé, en 2011, le Plan d’action sur la volatilité
des prix alimentaires et sur l’agriculture, qui réaffirme le droit
de chacun à une alimentation adéquate et l’importance de la sécurité
alimentaire nationale. Pour contrer la volatilité des prix des denrées,
le plan propose d’accroître la productivité agricole, la transparence
des marchés

et
la coordination des politiques et d’améliorer la gestion des risques
par les gouvernements, les entreprises et les agriculteurs ainsi
que la réglementation des marchés agricoles. Enfin, le rapporteur
spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation a identifié
des «principes minimaux», au regard des droits de l’homme, «applicables
aux acquisitions et locations de terres à grande échelle» dont la
mise en œuvre pourrait être encouragée plus vigoureusement par les
Etats européens

.
5.3. Parer aux crises
alimentaires, aux urgences et au gaspillage
56. Dans le secteur alimentaire, il est essentiel d’avoir
une attitude proactive et de réagir rapidement en cas de crise.
Les règlements de l’Union européenne

permettent l’adoption
de mesures d’urgence concernant les importations de produits alimentaires
en provenance de pays tiers pour protéger la santé humaine ou l’environnement
si le risque ne peut être maîtrisé par les Etats membres eux-mêmes.
Toutefois, les Etats ont ensuite la possibilité d’ajuster leur contrôle
au niveau qu’ils souhaitent. Cette législation permet en outre d’empêcher
l’importation de denrées fortement radioactives. Par exemple, après
la catastrophe nucléaire de Fukushima, la Commission européenne

a imposé des conditions spéciales
à l’importation d’aliments et de nourriture animale en provenance
du Japon. Pourtant, même avec un tel dispositif, les inspections
des produits alimentaires importés ou produits localement doivent
être effectuées de façon systématique et rigoureuse.
57. Il faut faire de la lutte contre le gaspillage alimentaire
une priorité absolue de l’action pour le renforcement de la sécurité
alimentaire. Le lancement d’une campagne mondiale contre le gaspillage
de nourriture en janvier 2013 par des organismes spécialisés des
Nations Unies (PNUE et FAO) devrait encourager tous les Etats membres
du Conseil de l’Europe à mener des campagnes similaires à l’échelon national.
L’Union européenne s’est donné pour objectif de réduire de moitié
le gaspillage alimentaire à l’horizon 2020. D’autres propositions
seront avancées en 2014 sur la viabilité du système d’approvisionnement alimentaire,
mettant l’accent sur le problème du gaspillage de nourriture. L’EFSA
travaille aussi à une révision des dates limites de vente et des
dates limites d’utilisation optimale pour certains types de produits alimentaires.
58. L’une des solutions envisageables pour sortir de l’insécurité
alimentaire est de constituer des réserves alimentaires au niveau
national ou régional, comme l’a montré la crise alimentaire mondiale
de 2007-2008. Cette pratique peut être un moyen efficace de réduire
la volatilité des prix des récoltes, de limiter la spéculation et
de maintenir le niveau de revenu des agriculteurs, mais aussi d’atténuer
les risques naturels, de rendre les aliments plus abordables et
d’enrayer la famine. Il existe par ailleurs des programmes mondiaux
ciblés, destinés à combattre la famine, comme le Programme thématique
de sécurité alimentaire

en
faveur des pays les plus pauvres et le programme spécial de la FAO
pour la sécurité alimentaire

destiné
aux pays à faible revenu et à déficit vivrier. Pour faire face à
l’insécurité alimentaire dans les zones de conflit, le rôle de la communauté
internationale et, en particulier, le Programme alimentaire mondial
des Nations Unies (PAM) demeurent primordiaux.
6. La quête de
solutions: conclusions et recommandations
59. Comme nous l’avons vu, la sécurité alimentaire, sous
l’angle quantitatif comme sous l’angle qualitatif, ne saurait être
tenue pour acquise dans de nombreuses régions du monde, y compris
en Europe. Les Etats doivent constamment veiller à ce que les populations
aient accès à des approvisionnements adéquats en nourriture et en
eau sans compromettre les conditions de vie des générations futures.
Nous devons pour cela utiliser les ressources naturelles de façon
responsable, adapter nos orientations stratégiques et poursuivre
des politiques transversales cohérentes qui permettront de faire
reculer la pauvreté, de développer les zones rurales et de gérer
intelligemment les chaînes d’approvisionnement alimentaire. Il importe
également d’améliorer la mise en œuvre de nos stratégies et instruments.
60. Une série de mesures, précisées dans le projet de la résolution,
peuvent être recommandées aux Etats membres au sujet des questions
soulevées dans le présent rapport. Nos objectifs clés pour l’avenir
sont le développement d’une agriculture durable et la mise en œuvre
de mesures de lutte contre la faim et la pauvreté. Il nous faut
par conséquent faire face au changement climatique de façon plus
efficace, réduire sensiblement le gaspillage alimentaire et faire
preuve de plus de solidarité avec les pays les plus pauvres et les
groupes de population vulnérables. Il s’avère de plus en plus pertinent
d’investir dans la qualité et la sécurité sanitaire des aliments
pour préserver la santé publique et assurer la jouissance de l’ensemble
des droits fondamentaux de l’homme.