1. Introduction
1. Le 30 septembre 2013, l’Assemblée parlementaire a
approuvé la proposition soumise par le Groupe démocrate européen
visant à tenir un débat selon la procédure d’urgence sur le thème
«Agendas de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe en matière
de droits de l’homme: des synergies, pas des doubles emplois!».
Le même jour, j’ai été désigné comme rapporteur par la commission
des questions juridiques et des droits de l’homme.
2. Une nouvelle
initiative au sein de l’Union européenne: la proposition d’établir
un mécanisme de suivi du respect de l’Etat de droit, de la démocratie
et des droits fondamentaux
2. A la suite de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne,
le 1er décembre 2009, l’Union européenne
a inscrit les valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe telles
que le respect des droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de
droit parmi ses premières priorités (voir l’article 2 du Traité
sur l’Union européenne, ci-après: «le TUE»). Le Traité de Lisbonne
reconnaît à la Charte des droits fondamentaux la même valeur juridique
qu’aux traités de l’Union européenne et prévoit l’adhésion de l’Union
européenne à la Convention européenne des droits de l’homme (STE
n° 5, «la Convention») (article 6, paragraphe 2, du TUE). Les compétences
de l’Union européenne dans le domaine des droits de l’homme ont
été étendues à des domaines d’action traditionnels du Conseil de
l’Europe tels que la justice, la liberté et la sécurité; comme l’illustre
«Le Programme de Stockholm – une Europe ouverte et sûre qui sert
et protège les citoyens», adopté par le Conseil européen. En juillet
2012, ce dernier a nommé le Représentant spécial de l’Union européenne
pour les droits de l’homme et lui a donné mandat, entre autres,
de contribuer à la mise en œuvre de la politique de l’Union dans
le domaine des droits de l’homme, en particulier le cadre stratégique
de l’Union européenne en matière de droits de l’homme et de démocratie
et le plan d’action de l’Union européenne en faveur des droits de l’homme
et de la démocratie.
3. Malgré ces avancées, les mesures prises par l’Union européenne
pour «discipliner» ses propres Etats membres en vue de respecter
les règles en vigueur dans le domaine de l’Etat de droit, de la
démocratie et des droits fondamentaux, se sont révélées plutôt insuffisantes.
Ainsi, lors de la «crise autrichienne» de 2000, l’Union européenne
n’a pas été en mesure d’utiliser le mécanisme de l’article 7 du
TUE qui prévoit la possibilité, dans des circonstances exceptionnelles,
de suspendre certains droits, y compris le droit de vote. La «crise
des Roms» de l’été 2010 en France, la «crise hongroise» déclenchée
à la fin de 2011 par la révision de la Constitution, et la crise
constitutionnelle de l’été 2012 en Roumanie ont fait apparaître
un certain nombre d’insuffisances liées à la portée limitée des
instruments applicables en cas de crise concernant l’Etat de droit, même
si la Commission européenne a pu engager des procédures d’infraction
ciblées conformément à l’article 258 du Traité sur le fonctionnement
de l’Union européenne (TFUE). Il semble que l’Union européenne, et
en particulier la Commission européenne en tant que «gardienne des
traités», se heurtent au «dilemme de Copenhague», qui consiste à
se concentrer sur le respect des droits fondamentaux dans les pays
en voie d’adhérer à l’Union européenne tout en négligeant la situation
dans les Etats membres.
4. Les récents développements relatifs à la situation politique
en Hongrie ont suscité un débat, au sein de l’Union européenne,
sur la question de savoir si celle-ci dispose des outils nécessaires
pour réagir à des atteintes persistantes à ses propres normes en
matière de droits de l’homme, et sur les moyens de trouver une voie
médiane entre, d’une part, la persuasion politique et les procédures
d’infraction ciblées, et d’autre part, l’option «nucléaire» prévue
à l’article 7 du TUE, c’est-à-dire la suspension des droits d’un
Etat membre.
5. Dans une lettre adressée en mars 2013 au président de la Commission
européenne, les ministres des Affaires étrangères de l’Allemagne,
des Pays-Bas, du Danemark et de la Finlande ont souligné que les
valeurs fondamentales de l’Union européenne doivent être «vigoureusement
protégées» et que l’Union européenne «doit être en mesure de réagir
rapidement et efficacement pour faire respecter ses principes les
plus fondamentaux». Dans ses conclusions publiées en juin 2013,
le Conseil de l’Union européenne a constaté, pour la première fois,
que des efforts supplémentaires étaient nécessaires pour apporter
des réponses efficaces aux violations des droits de l’homme dans
les Etats membres de l’Union européenne, et a invité la Commission
européenne «à faire avancer le débat (...) sur la nécessité éventuelle
d’une méthode systématique, fondée sur la collaboration, pour traiter
ces questions, et sur la forme qu’elle pourrait prendre».
6. A la suite de la décision du 25 juin 2013 de l’Assemblée de
ne pas ouvrir de procédure formelle de suivi concernant la Hongrie,
le Parlement européen, dans sa résolution du 3 juillet 2013 «sur
la situation en matière de droits fondamentaux: normes et pratiques
en Hongrie», a demandé instamment aux autorités hongroises de respecter
pleinement le droit de l’Union européenne et de mettre en œuvre
les recommandations émises par les organes internationaux, et a
proposé que les institutions de l’Union européenne établissent un
nouveau mécanisme pour garantir le respect des valeurs consacrées
à l’article 2 du TUE et assurer la continuité des critères «de Copenhague».
Il a en outre demandé que «les Etats membres soient régulièrement
évalués quant à la manière dont ils assurent le respect permanent
des valeurs fondamentales de l’Union et des critères de la démocratie
et de l’état de droit» (paragraphe 74), et réclamé «une coopération
plus étroite entre les institutions européennes et les autres organes
internationaux, y compris le Conseil de l’Europe et la Commission
de Venise». La résolution ne préjuge pas de la forme que pourrait
prendre un tel mécanisme (une «commission de Copenhague» ou un groupe
de haut niveau par exemple), qui devrait se fonder sur le mandat
de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, lequel
devrait être renforcé dans cette optique. Le nouveau mécanisme devrait
être indépendant de toute influence politique, agir en pleine coopération
avec d’autres organes internationaux, procéder régulièrement à des
contrôles de manière uniforme au sein de tous les Etats membres,
avertir très tôt l’Union européenne de tout risque de dégradation,
et émettre des recommandations à l’intention des institutions de
l’Union européenne et des Etats membres sur la façon de réagir et
de remédier à d’éventuels dysfonctionnements. Les institutions de
l’Union européenne sont invitées à lancer un débat commun sur la
manière de remplir les obligations découlant des traités, et le
Parlement européen entend convoquer, avant la fin 2013, une conférence
qui réunira des représentants des Etats membres, des institutions
européennes, du Conseil de l’Europe, de la Cour de justice de l’Union
européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme.
7. Dans son discours sur l’état de l’Union 2013, prononcé le
11 septembre 2013 au Parlement européen, le président de la Commission
européenne, M. José Manuel Barroso, a lui aussi souligné l’importance
de mettre en place un mécanisme général (au sein duquel la Commission
jouerait un rôle dominant) fondé sur le principe d’égalité entre
Etats membres, et qui ne serait activé, en fonction de critères
prédéfinis, que dans les situations où une menace grave planerait
sur l’Etat de droit. M. Barroso a annoncé l’intention de la Commission de
présenter une communication à ce sujet. De même, dans un discours
intitulé «L’UE et l’Etat de droit – et ensuite?», prononcé le 4
septembre 2013 au Centre d’études politiques européennes (Bruxelles),
Mme Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne
et commissaire à la Justice de l’Union européenne, a présenté les
grandes lignes d’un futur mécanisme d’Etat de droit ainsi que les
options des politiques qui s’offrent à la Commission. Le mécanisme
proposé devrait se fonder sur quatre principes majeurs:
- légitimité: il serait nécessaire
de renforcer la légitimité de la Commission européenne pour que
celle-ci puisse étendre ou redéfinir son rôle de suivi, de supervision
et d’exécution; le nouveau mécanisme d’Etat de droit devrait, au
minimum, être soutenu par des conclusions du Conseil européen et
des résolutions du Parlement européen;
- expertise: notamment, la connaissance des spécificités
des systèmes juridiques des Etats membres (y compris de la part
de la DG Justice, qui a préparé le Tableau de bord de la justice
dans l’Union européenne en coopération avec le Conseil de l’Europe);
- égalité de tous les Etats membres: le nouvel instrument
devrait s’appliquer de la même façon à tous les Etats membres, sans
qu’il y ait deux poids, deux mesures, et en évitant tout parti pris
à l’encontre des pays de l’Est;
- un rôle spécial et des travaux complémentaires du Conseil
de l’Europe: il conviendrait de poursuivre la coopération avec le
Conseil de l’Europe et en particulier la Commission de Venise.
8. Mme Reding a proposé que la Commission procède en deux étapes.
Dans un premier temps, il s’agirait d’utiliser les possibilités
offertes par les traités existants en appliquant les procédures
prévues à l’article 7 du TUE; la Commission pourrait ainsi émettre
une «proposition motivée» en adressant une «mise en demeure» lorsqu’une
crise de l’Etat de droit est en train de se développer. Dans un
second temps, le traité pourrait être modifié dans le sens d’un
renforcement des compétences de la Commission en matière de suivi
et de sanctions.
9. Parallèlement, M. Louis Michel, député européen, a préparé
une proposition de résolution dans le cadre du rapport annuel du
Parlement européen sur la situation des droits fondamentaux dans
l’Union européenne (2012), qui doit être examiné par la commission
des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE)
du Parlement européen le 3 octobre. Dans ce document, le rapporteur
souligne que l’Union européenne n’a pas été en mesure d’appliquer
les mécanismes prévus par l’article 7 du TUE pour garantir le respect
de l’article 2 du même traité. La politique de l’Union européenne
en matière de droits fondamentaux dans l’Union devrait reposer sur
«des règles et des mécanismes clairs» et «des indicateurs, des données
et des preuves objectifs», être «transparente, équitable et prévisible»
et «protéger les droits individuels, la démocratie et l’Etat de
droit de manière solide». Le nouveau mécanisme destiné à faire respecter
les droits fondamentaux ainsi que les valeurs et les droits consacrés
par l’article 2 du TUE et la Charte des droits fondamentaux devrait
être créé sur la base d’une décision de la Commission européenne
et devrait fixer des indicateurs, assurer un suivi de la situation
dans les Etats membres, procéder à des évaluations thématiques fondées
sur les instruments relatifs aux droits de l’homme (en particulier,
mais pas exclusivement, la Convention européenne des droits de l’homme
et d’autres conventions du Conseil de l’Europe), établir un cycle
politique et un forum annuel interinstitutionnel, développer un
ensemble de recommandations et de sanctions pour traiter les violations
de l’article 2 du TUE, et intégrer un système d’alerte précoce suivi
d’un dialogue politique et d’éventuelles sanctions. L’instrument
devrait également s’appuyer sur l’expérience de l’Agence des droits
fondamentaux de l’Union européenne. Le rapporteur souligne l’urgence
de la situation et, en conséquence, la nécessité d’agir dans le
cadre des traités actuels, lesquels devraient néanmoins être révisés
à l’avenir par une modification de l’article 7 du TUE visant à étendre
les pouvoirs de la Commission européenne et de la Cour de justice
de l’Union européenne, à supprimer l’article 51 de la Charte des
droits fondamentaux (ce qui aurait pour effet de rendre les dispositions
de la Charte juridiquement contraignantes pour les Etats membres
et non pas seulement pour les institutions de l’Union européenne
comme c’est le cas actuellement) et à étendre les compétences de
l’Agence des droits fondamentaux, qui serait appelée à jouer un
rôle majeur au sein du mécanisme proposé. Lors de la session de
septembre 2013 du Parlement européen, le Secrétaire Général du Conseil
de l’Europe, M. Thorbjørn Jagland, a reçu M. Michel à Strasbourg
pour discuter de la valeur ajoutée et des inconvénients potentiels
du mécanisme proposé.
10. Il convient de souligner que la réaction mitigée de l’Union
européenne aux violations des droits de l’homme a été critiquée,
notamment par des représentants de la société civile qui ont souligné
l’importance des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe. Ainsi
que l’a indiqué le réseau Human Rights
and Democracy Network dans un communiqué en août 2013,
la Commission européenne a ouvert des procédures d’infraction dans
un certain nombre de cas, mais s’est montrée peu disposée à s’appuyer
sur les droits de l’homme pour justifier une telle procédure, ou
à «montrer du doigt» les Etats membres concernés dans son rapport
annuel sur l’application de la Charte des droits fondamentaux. L’Agence
des droits fondamentaux de l’Union européenne a certes recensé des
problèmes spécifiques dans des Etats membres de l’Union européenne, mais
il existe un vide politique entre ces phénomènes et les mesures
prises par l’Union européenne pour y remédier. En ce qui concerne
le Parlement européen, il a joué un rôle important en stimulant
la politique de l’Union européenne dans le domaine des droits de
l’homme (par exemple, en adoptant récemment des positions fermes
dans des résolutions sur la Hongrie et sur l’implication de pays
européens dans le programme de restitution et de détention menées
par la CIA), mais ce n’est pas une attitude constante; ainsi, son
rapport annuel sur les droits fondamentaux ne mentionne pas un seul
pays dans lequel les droits de l’homme seraient un sujet de préoccupation.
Le Conseil de l’Union européenne est critiqué au sujet de son manque
de volonté politique pour agir lorsque les valeurs de l’Union européenne
sont menacées et au sujet des limites effectives du mandat confié
à son Groupe «Droits fondamentaux, droits des citoyens et libre
circulation des personnes» (FREMP), ainsi que de son rapprochement
insuffisant avec la société civile.
3. La position de
l’Assemblée
11. La coopération entre le Conseil de l’Europe et l’Union
européenne est régie actuellement par un mémorandum d’accord entre
les deux organisations, conclu le 23 mai 2007, qui contient un cadre
général de coopération dans le domaine des droits de l’homme et
des libertés fondamentales et souligne le rôle du Conseil de l’Europe
en tant que «référence en matière de droits de l’homme, de primauté
du droit et de démocratie en Europe».
12. Depuis la création de l’Agence des droits fondamentaux de
l’Union européenne en 2007, la question du chevauchement inutile
des activités du Conseil de l’Europe par l’agence est un sujet de
préoccupation au sein du Conseil de l’Europe (voir, en particulier,
la
Résolution 1427 (2005) et la
Recommandation
1744 (2006) de l’Assemblée). En 2008, un accord a été conclu entre
la Communauté européenne et le Conseil de l’Europe sur la coopération
entre l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et
le Conseil de l’Europe.
13. En 2010, l’Assemblée a adopté la
Résolution 1756 (2010) et la
Recommandation
1935 (2010) sur la nécessité d’éviter la duplication des travaux
du Conseil de l’Europe par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union
européenne, sur la base du rapport de mon collègue au sein de la
commission, M. Boriss Cilevičs (Lettonie, Groupe socialiste). L’Assemblée
y observe que les choses ont changé depuis 2007 et que l’Agence des
droits fondamentaux de l’Union européenne et le Conseil de l’Europe
ont mis en place des formes appropriées de coopération et se consultent
pour leurs activités courantes. Bien que les deux institutions travaillent
parfois sur des questions identiques ou similaires, elles utilisent
des outils différents dans la conduite de leurs activités respectives.
La collecte de données de l’agence et son analyse factuelle pourraient
compléter les travaux entrepris par les organes de suivi du Conseil
de l’Europe.
14. Malgré ces avancées, l’Assemblée souligne qu’il est important
que l’acquis du Conseil de l’Europe en matière de protection des
droits de l’homme demeure la référence principale dans les travaux
de l’agence. Elle appelle les Etats membres et les institutions
de l’Union européenne à «examiner une nouvelle fois l’allocation de
ressources financières et autres aux divers mécanismes européens
de protection des droits de l’homme, afin de répartir celles-ci
le plus efficacement possible» et regrette que le niveau du financement
des activités principales du Conseil de l’Europe portant sur les
droits de l’homme soit extrêmement bas, comparé à celui de l’Agence.
15. En octobre 2011, l’Assemblée a adopté la
Résolution 1836 (2011) et la
Recommandation
1982 (2011) sur l’impact du Traité de Lisbonne sur le Conseil de
l’Europe, sur la base d’un rapport de Mme Kerstin Lundgren (Suède,
ADLE), membre de la commission des questions politiques, qui recensait
les changements apportés au cadre juridique de l’Union européenne
du fait de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne et l’impact
de ce dernier sur les travaux du Conseil de l’Europe, y compris
dans les domaines couverts par le Programme de Stockholm. Dans sa
résolution, l’Assemblée notait que le partenariat post-Lisbonne
entre les deux organisations «devrait aboutir à terme à la création
d’un espace commun de protection des droits de l’homme sur l’ensemble
du continent», grâce en particulier à l’adhésion de l’Union européenne
à la Convention européenne des droits de l’homme et à d’autres conventions
et mécanismes de suivi essentiels du Conseil de l’Europe. Cela permettrait
ainsi d’éviter les doubles emplois et la lassitude liée au suivi,
notamment en période de crise économique, et le rôle du Conseil
de l’Europe en tant que «référence en matière de droits de l’homme, de
primauté du droit et de démocratie en Europe» s’en trouverait renforcé.
16. Par ailleurs, dans sa
Résolution
1901 (2012) sur les droits de l’homme et la politique étrangère,
sur la base d’un rapport de M. Pietro Marcenaro (Italie, Groupe
socialiste), président de la commission des questions politiques,
l’Assemblée saluait l’adoption du Cadre stratégique et du Plan d’action
de l’Union européenne sur les droits de l’homme et la démocratie,
et y voyait une occasion d’améliorer les synergies entre le Conseil
de l’Europe et l’Union européenne ainsi que d’accroître notablement
l’efficacité des actions internationales visant à promouvoir et
à protéger les droits de l’homme dans le monde entier.
17. Malgré ces résultats positifs, les doublons d’activités et
de ressources restent un sujet de préoccupation. Après la décision
de l’Union européenne de nommer un Représentant spécial pour les
droits de l’homme, craignant un chevauchement – ou le double emploi
– avec les activités du Conseil de l’Europe, l’Assemblée a tenu
lors de sa troisième partie de session de 2012 (juin 2012) un débat
d’actualité sur «Les institutions européennes et les droits de l’homme
en Europe». Le thème de ce débat a par la suite été renvoyé pour examen
au fond à la commission des questions juridiques et des droits de
l’homme. Celle-ci m’a chargé de rédiger un rapport sur cette question,
auquel je travaille actuellement.
18. D’autres travaux sont également menés par certains de mes
collègues de l’Assemblée. Mme Kerstin Lundgren (Suède, ADLE), membre
de la commission des questions politiques et de la démocratie, est
chargée de préparer un rapport sur «Le mémorandum d’accord entre
le Conseil de l’Europe et l’Union européenne – évaluation 5 ans
après». Mon collègue au sein de la commission M. Jordi Xuclà (Espagne,
ADLE) prépare quant à lui un rapport sur l’adhésion de l’Union européenne
à la Convention européenne des droits de l’homme: élection des juges.
4. L’importance de
la complémentarité et la nécessité d’éviter les doubles emplois
19. Depuis l’adoption du mémorandum d’accord entre le
Conseil de l’Europe et l’Union européenne en 2007, la coopération
s’est améliorée entre les deux organisations. L’Union européenne
a montré un intérêt croissant pour la ratification de conventions
importantes du Conseil de l’Europe (telles que la Convention sur la
cybercriminalité (STCE n° 195), la Convention sur la prévention
et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique (STCE n° 210), la Convention sur la protection des enfants
contre l’exploitation et les abus sexuels (STCE n° 201) et la Convention
sur la lutte contre la traite des êtres humains (STCE n° 197)).
Elle a en outre renforcé sa coopération avec la Commission de Venise,
la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ)
et le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO), auxquels il est
prévu qu’elle adhère. Elle prend également part aux négociations
relatives à la modernisation de la Convention pour la protection
des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel
(STE n° 108).
20. Malgré ces avancées, certaines évolutions négatives ont aussi
été observées, par exemple en lien avec la révision de la Convention
européenne sur la télévision transfrontière du Conseil de l’Europe
de 1998, qui a été bloquée par l’Union européenne après l’entrée
en vigueur du Traité de Lisbonne. En effet, les Etats membres n’ont
plus compétence pour négocier les traités internationaux relatifs
aux services audiovisuels, cette compétence appartenant désormais,
semble-t-il, à l’Union européenne. Cette question, qui est suivie
par mon collègue au sein de la commission, M. James Clappison (Royaume-Uni,
GDE), montre que l’approche de l’Union européenne centrée sur le
«marché intérieur» pourrait diverger considérablement de celle des
droits de l’homme privilégiée par le Conseil de l’Europe.
21. En préambule à tout nouveau débat sur l’éventuelle duplication
d’activités du Conseil de l’Europe de la part de l’Union européenne,
il convient de rappeler une nouvelle fois que le Conseil de l’Europe
est la référence dans les domaines des droits de l’homme, de la
démocratie et de l’Etat de droit en Europe, comme l’ont réaffirmé
récemment le Comité des Ministres, dans sa décision du 16 mai 2013
adoptée lors de sa 123e session, et le
Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, dans son rapport du 7 mai
2013 «Démocratie, droits de l’homme et Etat de droit en Europe:
renforcer l’impact des activités du Conseil de l’Europe». Ce dernier souligne
l’importance du Conseil de l’Europe en tant que mécanisme de protection,
de promotion et de mise en œuvre des droits de l’homme en Europe.
Il rappelle que le cœur du système est la Cour européenne des droits
de l’homme, seule juridiction internationale qui puisse être saisie
de requêtes individuelles dirigées contre des Etats et qui rende
des décisions juridiquement contraignantes. Toutefois, l’espace
juridique global du Conseil de l’Europe est un système synergique,
formé par l’ensemble des conventions, organes et programmes du Conseil
de l’Europe, y compris les mécanismes de suivi. Comme le Secrétaire
Général le souligne, avant que l’Union européenne n’adhère à la
Convention européenne des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe
doit servir de gardien pour l’ensemble de l’Europe. Ce partenariat
fructueux avec l’Union européenne pourra encore être élargi, en
respectant «l’intégrité des deux organisations et sans introduire
de nouveaux mécanismes parallèles».
5. Conclusion
22. L’initiative de l’Union européenne de créer un mécanisme
de suivi sur le respect de l’Etat de droit découle de son incapacité,
à ce jour, à apporter une réponse appropriée aux problèmes urgents
de droits de l’homme qui se posent dans l’Union elle-même, et cela
bien que le Traité de Lisbonne ait renforcé le cadre juridique des
droits de l’homme. La situation en Hongrie ne doit pas devenir un
précédent justifiant la duplication des travaux du Conseil de l’Europe.
Le seul fait que l’Assemblée n’ait pas décidé, lors de sa précédente
partie de session, d’engager une procédure de suivi officielle concernant
la Hongrie n’est pas le signe d’un manque de volonté politique,
de la part du Conseil de l’Europe, d’examiner la question de la conformité
des changements apportés à la Constitution avec l’Etat de droit,
que ce soit dans ce pays ou dans tout autre Etat membre de l’Union
européenne. Le Conseil de l’Europe, et son Assemblée, continueront
de suivre la situation en Hongrie, et les avis d’experts de la Commission
de Venise confirment le rôle primordial de l’Organisation dans ce
domaine.
23. Rien ne s’oppose en soi à l’idée d’un renforcement de la capacité
de l’Union européenne à contribuer à la protection des droits de
l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit auprès de ses membres
ni à la promotion de normes régionales plus ambitieuses dans ce
domaine. Pour autant, il est important d’éviter tout risque de doublon
d’activités et de ne pas mettre en place en parallèle des mécanismes
de protection généraux, aux frais des contribuables européens. Réinventer
des normes qui existent déjà et mettre en place des structures parallèles
revient à créer un double système de normes et à permettre un «choix
de la juridiction la plus favorable», avec pour conséquences de
faire apparaître de nouveaux clivages en Europe. Les doublons d’activités
constituent par ailleurs un gaspillage des ressources budgétaires
limitées nécessaires pour améliorer la protection des droits de
l’homme et la promotion de l’Etat de droit. L’Assemblée a déjà exprimé son
inquiétude à ce sujet dans ses textes antérieurs sur le rôle de
l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et, au vu
des diverses propositions visant à renforcer le mandat de l’Agence,
ses conclusions à cet égard n’ont rien perdu de leur pertinence.
Le système permettant de développer des indicateurs, d’assurer un
suivi et de formuler des recommandations existe déjà au sein du
Conseil de l’Europe. Ses organes de suivi s’appuient principalement,
pour leurs activités, sur des instruments internationaux qui ont
le même caractère contraignant pour tous ses Etats membres, y compris
ceux qui ne sont pas membres de l’Union européenne. Ces activités
– apolitiques – servent de base à un suivi, à des évaluations, à
des conseils et, le cas échéant, à une coopération pratique pour
la résolution des problèmes. De plus, un mécanisme approfondi de
suivi pays-par-pays concernant la démocratie, l’Etat de droit et
les droits de l’homme dans tous les Etats membres du Conseil de
l’Europe existe déjà au sein de l’Assemblée: sa commission pour
le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil
de l’Europe (commission de suivi) suit de près l’évolution de la situation
en ce qui concerne les trois domaines fondamentaux pour ce qui est
de 14 Etats membres et fournit des évaluations annuelles concernant
les 33 restants.
24. Par conséquent, pour tout nouveau mécanisme de l’Union européenne,
il devrait être tenu compte des organes de suivi actuels du Conseil
de l’Europe, lequel réunit tous les Etats membres de l’Union européenne. Les
synergies entre ces organes et l’Union européenne devraient être
mieux exploitées et renforcées, avant de mettre en place un nouveau
mécanisme de suivi pour les Etats membres de l’Union. En outre,
aucun nouveau mécanisme de suivi de l’Etat de droit, au sein de
l’Union européenne, ne devra se voir accorder un degré de priorité
politique supérieur à celui de l’accession, prévue prochainement,
de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme,
laquelle est nécessaire pour garantir la cohérence des normes de
protection des droits de l’homme en Europe. Puisque la CJUE doit
maintenant rendre son avis au sujet du projet d’accord sur l’adhésion
de l’Union européenne à la Convention, je ne peux qu’appeler toutes
les parties concernées à faire en sorte que le processus d’adhésion
aboutisse le plus tôt possible, dans l’intérêt de tous les citoyens
européens.