1. Introduction
1. La bonne gouvernance démocratique représente un défi
à tous les échelons politiques et administratifs. Cependant, dans
la mesure où elles doivent relever les multiples défis posés par
la croissance et le développement urbains dans des proportions beaucoup
plus importantes que les municipalités plus petites, les grandes
métropoles sont confrontées à une situation particulièrement complexe
en matière de bonne gouvernance démocratique. Par conséquent, en
ce qui concerne les questions de développement et de gouvernance,
elles se révèlent très souvent des lieux d’innovation où de nouvelles
méthodes de travail sont conçues et expérimentées sur le terrain.
2. Pendant de nombreuses années, la participation citoyenne a
été considérée comme un élément important de la gouvernance et du
processus décisionnel démocratiques, en particulier dans un contexte
où les informations politiques et administratives sont devenues
plus facilement accessibles pour beaucoup de gens, essentiellement
grâce aux technologies de l’information et de la communication,
et où les jeunes générations sont de plus en plus conscientes de
leurs droits et responsabilités de citoyens.
3. Le Conseil de l’Europe et ses différents organes, y compris
l’Assemblée parlementaire, ont, pendant de nombreuses années, souligné
l’importance de la participation citoyenne et promu le concept au
moyen de différents instruments contraignants et non contraignants.
Conformément à ces normes européennes et grâce aux échanges multiples
de bonnes pratiques entre des collectivités locales européennes
de taille différente dans diverses instances, la participation citoyenne
est devenue, à des degrés divers, un élément incontournable des
politiques de développement urbain dans la plupart des Etats membres
du Conseil de l’Europe.
4. Dans mon rapport, j’examinerai les approches de plusieurs
métropoles de la Grande Europe en matière de gouvernance afin d’identifier
les «bonnes pratiques» en termes de participation citoyenne. L’objectif
n’est pas de présenter des modèles et méthodologies participatifs
dans le détail ni de promouvoir des mécanismes spécifiques, mais
de dégager l’expérience de grandes villes pouvant être utile à d’autres.
5. Classées parmi les plus importantes zones métropolitaines
de la Grande Europe, Istanbul et Londres (avec une population estimée
respectivement à environ 12,5 millions et 7,8 millions d’habitants
en 2010), ainsi que Berlin, de taille inférieure (4,4 millions d’habitants
en 2010), serviront d’exemples dans ce rapport.
2. Les grandes
métropoles et les principaux défis de bonne gouvernance et de participation
citoyenne
6. «Métropole», terme souvent utilisé comme synonyme
d’autres noms pour désigner les grandes villes (ville globale, mégapole,
etc.), vient du mot grec mitrópoli,
qui signifie «cité mère». Une zone métropolitaine est généralement
définie comme une région urbaine à forte densité de population s’étendant
sur un vaste territoire, dans laquelle une ville centrale est interconnectée
avec des unités urbaines environnantes, par exemple à travers des
relations de travail et de services. Sachant que pratiquement toutes
les métropoles sont entourées de zones urbanisées étendues, les
deux termes «métropole» et «zone métropolitaine» sont utilisés comme
des synonymes dans ce rapport.
7. En raison de leur haute densité de population spécifique et
de leurs diverses fonctions urbaines, par exemple en tant que siège
central d’entreprises, d’administrations, d’établissements d’enseignement
ou de services culturels, les autorités (et les habitants) des zones
métropolitaines sont confronté(e)s au quotidien à de multiples questions
politiques, techniques ou sociales, telles que la circulation routière,
les transports publics, l’assainissement, la qualité de l’environnement
ou les services sociaux. Ainsi, les zones métropolitaines sont souvent
perçues comme un moteur du développement social et économique de l’ensemble
du pays
.
8. Parallèlement au développement urbain physique, l’organisation
et le fonctionnement administratifs des grandes villes doivent évoluer
en permanence afin que puissent être mises en œuvre des solutions
efficaces et efficientes face à des tâches et défis complexes, et,
surtout, que soit assuré un appui continu de l’électorat local à
l’administration locale. Cependant, la crise économique actuelle
fait peser une pression extrêmement forte sur les budgets des collectivités
locales, les empêchant parfois même de remplir leurs obligations
légales ou de fournir des services de base à un niveau satisfaisant.
A ce propos, la question de la participation citoyenne devient un
défi particulier, en termes de responsabilité financière en rapport
avec le maintien d’institutions et procédures pertinentes (et parfois
coûteuses) et en termes politiques en rapport avec l’obtention du
soutien des citoyens pour les grands projets urbains parfois impliquant
des décisions impopulaires de l’administration locale.
9. Deux exemples concrets illustrent le fait que le soutien des
citoyens est aujourd’hui nécessaire pour une exécution sans heurt
des grands projets urbains. Alors que l’aménagement des docks de
Londres, piloté par la London Docklands Development Corporation
(LDDC) dans les années 1980, avait été exécuté avec une faible participation
citoyenne
, les habitants de Stuttgart en
Allemagne, face aux aménagements urbains et commerciaux autour de
la principale gare ferroviaire de la ville, ont récemment commencé
à revendiquer leur droit de participation, constituant un véritable
mouvement de contestation à un stade déjà bien avancé du processus
de planification et de construction
.
10. Plusieurs facteurs contribuent par ailleurs à la complexité
de la participation citoyenne dans les zones métropolitaines. En
effet, dans la plupart des cas, elles ne sont pas administrées par
une autorité locale unique mais par un double système d’administration
locale, et le nombre d’acteurs ayant tendance à influencer le développement
urbain est généralement plus élevé en raison d’une plus forte densité
d’entreprises privées (et de leur intérêt financier pour certains
développements) et d’organisations de la société civile, qui sont
souvent mieux organisées dans les grandes villes.
11. En outre, la question de la démocratie locale dans les zones
métropolitaines est étroitement liée aux intérêts et politiques
nationaux: compte tenu du nombre de personnes habitant ces zones,
les décisions prises au niveau local concernent très souvent une
partie importante de la population nationale; en France par exemple,
la métropole parisienne représente environ 18 % de la population
nationale
. Dans la plupart des cas, la zone
métropolitaine est également la capitale du pays, ce qui lui confère
un rôle et une influence particuliers dans le système politique
et administratif national.
12. Ces facteurs et d’autres génèrent un intérêt accru à étudier
et promouvoir l’expérience des zones métropolitaines ailleurs sur
le territoire national et au-delà, à travers différents moyens disponibles,
tels que l’action gouvernementale, les réseaux urbains internationaux
ou les activités d’associations de collectivités locales et régionales.
Cette dynamique pourrait en fin de compte contribuer à un «processus
d’apprentissage» ayant des effets positifs sur les normes générales
de démocratie dans un pays donné. Parmi les réseaux internationaux,
le réseau «Metrex» a pris de l’importance ces dernières années,
et les trois métropoles évoquées dans ce rapport y participent plus
ou moins activement
.
3. La bonne gouvernance
et la participation citoyenne: concepts généraux
3.1. Définitions et
défis généraux
13. Le Programme des Nations Unies pour le développement
(PNUD) définit la gouvernance en général comme «l’exercice de l’autorité
économique, politique et administrative en vue de gérer les affaires
d’un pays à tous les niveaux. [Elle] englobe les mécanismes, les
processus et les institutions par le biais desquels les citoyens
et les groupes expriment leurs intérêts, exercent leurs droits juridiques,
assument leurs obligations et auxquels ils s’adressent en vue de
régler leurs différends»
. D’après une autre définition des Nations
Unies, «la bonne gouvernance» favorise l’équité, la participation,
le pluralisme, la transparence, la responsabilisation et la primauté
du droit. Ainsi, on considère que la gouvernance est «bonne» et
«démocratique» dans la mesure où les institutions et procédés d’un
pays sont transparents, exempts de corruption et responsables devant
le peuple. La corruption, la violence et la pauvreté compromettent
la bonne gouvernance car elles nuisent à la transparence, à la sécurité,
à la participation et aux libertés fondamentales
.
14. La bonne gouvernance dans les zones métropolitaines recouvre
toutes les formes de coordination et de régulation qui contribuent
à une plus grande efficacité du système politique et administratif
et améliorent la qualité de la vie de la région. Les critères courants
d’évaluation des structures et processus de gouvernance locale sont
les principes de transparence, participation, responsabilisation,
efficacité et efficience, cohérence et durabilité
,
même si la liste de ces critères peut légèrement varier en fonction
du contexte socio-économique et professionnel
.
15. Pendant de nombreuses années, la participation citoyenne,
en particulier, a été considérée comme un élément important de la
gouvernance démocratique et du processus décisionnel. Ses effets
positifs sur la démocratie, notamment la citoyenneté démocratique
individuelle ont été reconnus, étant donné qu’elle accroît la connaissance
des questions, les compétences civiques et l’engagement public et
génère un appui aux décisions. Ces dernières décennies, de nombreux
pays ont acquis une expérience en rapport avec un des quatre principaux
types de mécanisme participatif: instances de délibération, enquêtes,
référendums et projets ayant trait à la formulation de politiques
participatives
. Les techniques et méthodes de travail relatives
à la participation citoyenne peuvent ensuite être différenciées
davantage en fonction du contexte institutionnel dans lequel elles
sont employées. Dans les dispositifs de participation citoyenne
au niveau local, on distingue souvent différentes étapes: d’abord
la communication d’informations simples aux citoyens, puis la consultation et
enfin la coopération en vue d’atteindre la codécision (voire l’autonomie
administrative)
.
16. Cependant, un des défis principaux concernant les processus
et procédures démocratiques dans nombre de pays sera de s’assurer
que les citoyens bénéficient d’un accès égal aux procédures participatives et
profitent de leurs retombées positives de manière équitable. Par
ces temps de crise économique et financière, il est de plus en plus
évident que la pauvreté et l’exclusion sociale (et les nombreuses
formes sous lesquelles elles se manifestent) conduisent également
à une exclusion – réelle ou perçue – des citoyens des processus
démocratiques. Cette question spécifique est actuellement examinée
par un autre rapport en cours de préparation par la commission des
questions sociales, de la santé et du développement durable
. Elle est également perçue comme un sujet
de préoccupation par la Commission européenne, ainsi que l’a montré
le discours prononcé par M. Lászlo Andor, Commissaire européen chargé
de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion, sur «La lutte
contre la pauvreté et la préservation de la démocratie à travers
l’investissement social», à l’occasion de la Conférence du Conseil
de l’Europe sur le thème «Pauvreté et inégalité dans les sociétés
de droits humains» (Strasbourg, 21 février 2013)
.
17. Il est connu depuis longtemps que «les gouvernements doivent
investir suffisamment de temps, de ressources et d’énergie pour
mettre en place des cadres juridiques, politiques et institutionnels
solides, en développant les outils appropriés et en évaluant leur
propre capacité à impliquer les citoyens dans la prise de décision
sur les politiques publiques [sachant que] des mesures mal conçues
ou inappropriées pour promouvoir l’information, la consultation
et la participation active du public dans le processus de décision peuvent
nuire aux relations entre les administrations et les citoyens» et
peuvent s’avérer contreproductives si les citoyens découvrent que
leurs efforts et avis n’ont aucun effet sur les décisions ou demeurent
sans suite
.
3.2. Normes de démocratie
locale et régionale au niveau du Conseil de l’Europe
18. La participation citoyenne et, plus récemment, la
bonne gouvernance ont fait l’objet d’instruments et textes contraignants
et non contraignants du Conseil de l’Europe ces dernières années.
Bien que des progrès importants aient été accomplis dans ce domaine
et qu’une assistance spécifique soit fournie à travers plusieurs mécanismes,
les Etats membres devraient continuer à les promouvoir et à en assurer
le suivi, vu que les structures de gouvernance à tous les niveaux,
y compris au niveau local et régional, continuent d’évoluer et sont
susceptibles d’inclure des méthodes de travail novatrices à tout
moment.
19. La démocratie locale et régionale a été une priorité pour
un certain nombre de présidences consécutives du Comité des Ministres
du Conseil de l’Europe. Les questions relatives à la participation
citoyenne, à l’association directe et indirecte des citoyens aux
processus décisionnels et aux nouvelles approches impliquant la
large utilisation des nouvelles technologies dans le contexte appelé
«démocratie électronique», ont notamment été examinées lors de la
conférence organisée par la présidence arménienne en coopération avec
le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux le 19 juin 2013 à Erevan.
20. Parmi les principaux textes adoptés par le Comité des Ministres
figurent la Recommandation Rec(2001)10 sur la participation des
citoyens à la vie publique au niveau local; la Recommandation CM/Rec(2009)2
sur l’évaluation, l’audit et le suivi de la participation et des
politiques de la participation aux niveaux local et régional, le
Protocole additionnel à la Charte européenne de l’autonomie locale
(STE n° 122) sur le droit de participer aux affaires des collectivités
locales (adopté en 2009 et entré en vigueur en juin 2012), invitant
les Etats membres à «[assurer] à toute personne relevant de leur
juridiction le droit de participer aux affaires des collectivités
locales», ainsi que la Convention sur la participation des étrangers
à la vie publique au niveau local (STE n° 144) en 1992.
21. Le protocole additionnel à la charte, en tant qu’instrument
contraignant, permet d’assurer la surveillance des institutions
et procédures dans le cadre du mécanisme de suivi mis en place par
le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux. Cependant, il est de
portée plutôt générale et n’indique pas de façon très précise des modalités
et méthodes pour mettre en œuvre la participation citoyenne, alors
que les textes non contraignants fournissent des axes d’intervention
et outils très concrets pour la mise en œuvre des mécanismes de participation
citoyenne. Par ailleurs, ces textes tiennent aussi compte d’aspects
spécifiques tels que l’égalité des sexes dans la vie politique locale
et les intérêts des citoyens éprouvant davantage de difficultés
à s’impliquer activement pour diverses raisons.
22. Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux a adopté plusieurs
textes de référence sur la participation citoyenne étroitement liés
à ces normes et instruments, notamment la Résolution 326 (2011)
et la Recommandation 307 (2011) sur la participation des citoyens
aux niveaux local et régional en Europe et la Résolution 332 (2011)
sur les outils des villes pour l’éducation à la citoyenneté démocratique;
ainsi que sur la bonne gouvernance, notamment la Recommandation 188
(2006) sur la bonne gouvernance dans les zones métropolitaines européennes
et la Recommandation 219 (2007) sur le statut des villes capitales,
qui ont été prises en compte aux fins du présent rapport. Depuis
2007, les activités du Congrès incluent également la «Semaine européenne
de la démocratie locale» (SEDL), manifestation européenne annuelle
dans le cadre de laquelle les collectivités locales des Etats membres
du Conseil de l’Europe sont invitées à organiser simultanément des
initiatives et des activités publiques dans le but de rencontrer
et impliquer les citoyens sur des thèmes d’actualité, l’objectif
étant de promouvoir et de renforcer la participation démocratique
au niveau local.
23. Pour sa part, l’Assemblée parlementaire n’a jamais adopté
de texte sur la participation citoyenne au niveau local en tant
que tel, mais a couvert différents aspects spécifiques dans des
résolutions ayant trait au droit des migrants, femmes, personnes
handicapées et enfants à participer à la vie publique ou aux décisions les
concernant; ces textes ne seront pas tous énumérés dans le présent
document. Il y a lieu de noter cependant que l’Assemblée a adopté
tout récemment la
Résolution
1947 (2013) «Manifestations et menaces pour la liberté de réunion,
la liberté des médias et la liberté d’expression», à la suite des
manifestations survenues au sujet d’un projet de réaménagement urbain
à Istanbul (Turquie), comme nous le verrons dans la suite du rapport
(voir chapitre 4.3).
24. Parmi les activités intergouvernementales du Conseil de l’Europe,
je souhaiterais également rappeler les différents programmes d’assistance
destinés à développer les normes de démocratie locale, qui sont proposés
par le secteur gouvernemental du Conseil de l’Europe, notamment
les programmes pour la «stabilité démocratique» et les «programmes
de renforcement des capacités», qui sont pilotés par le «Centre
d’expertise sur la réforme de l’administration locale». Dans ce
contexte, les «douze Principes de bonne gouvernance démocratique
au niveau local», élaborés en 2007 et adoptés par le Comité des
Ministres en mars 2008 dans le cadre de la «Stratégie pour l’innovation
et la bonne gouvernance au niveau local», accordent une grande importance
à la participation citoyenne. Enfin et surtout, il y a aussi lieu
de citer le «Code de bonne pratique pour la participation civile
au processus décisionnel», publié en octobre 2009 par la Conférence
des organisations internationales non gouvernementales (OING) du
Conseil de l’Europe, qui présente les principes, degrés et modes
de participation citoyenne de façon claire et accessible.
25. A propos des textes et activités existants du Conseil de l’Europe
dans le domaine de la participation citoyenne et de la bonne gouvernance,
j’aimerais conclure en soulignant qu’il existe des textes de référence principaux,
qui sont suffisants pour garantir de bonnes normes de participation
citoyenne dans les Etats membres du Conseil de l’Europe. La bonne
gouvernance au niveau local et régional a fait l’objet d’un vaste débat
et est suivie de façon concrète à travers la Stratégie pour l’innovation
et la bonne gouvernance au niveau local et d’autres activités. Les
efforts ultérieurs devraient continuer à se concentrer sur la mise
en œuvre des normes et aider les Etats membres à améliorer encore
la gouvernance démocratique et la participation citoyenne au niveau
local, notamment à travers l’échange de bonnes pratiques ayant trait
aux méthodes et outils de participation citoyenne.
4. La gouvernance
métropolitaine en Europe – les exemples de Berlin, Istanbul et Londres
26. Les zones métropolitaines de Berlin, Istanbul et
Londres ont fait l’objet d’études de cas pour le présent rapport.
Elles sont présentées ici par ordre alphabétique. Ces exemples ont
été choisis pour des raisons d’équilibre géographique (même s’il
n’est certes pas parfait) et d’accès aisé à l’information. L’examen
de la situation à Londres en particulier m’a permis d’évoquer l’expérience
de mon propre pays, le Royaume-Uni. Berlin semble être un exemple
utile compte tenu de l’importance de la participation citoyenne
à l’échelon local en Allemagne. L’exemple d’Istanbul avait été retenu
bien avant le début des manifestations survenues dans le quartier
du parc Gezi et de la place Taksim. Ces événements n’ont fait que
souligner davantage l’intérêt d’étudier cette métropole plus en
détail.
4.1. Berlin: le défi
des mécanismes participatifs inclusifs
La
métropole de Berlin – faits essentiels
La
métropole de Berlin est la capitale fédérale de l’Allemagne mais
aussi la plus grande ville du pays. Sa population était estimée
à 4,4 millions en 2010. Avec certaines parties de la région adjacente
du Brandebourg (qui, fonctionnellement, font partie de l’agglomération)
et selon le système national de classification urbaine, elle forme
la région métropolitaine de Berlin-Brandebourg, dont la population
était estimée à environ 6 millions d’habitants en 2012. Klaus Wowereit,
réélu en 2011, est maire de la ville depuis 2001.
Sous
l’angle institutionnel, Berlin est considérée à la fois comme une
collectivité locale et une collectivité régionale, étant donné qu’elle
constitue un Land à part entière doté de sa
propre Constitution régionale. La structure politique et administrative
de Berlin repose sur un système à deux niveaux, constitué du Sénat,
qui forme l’administration principale et se compose d’un nombre
donné de sénateurs chargés de domaines administratifs spécifiques (actuellement
huit administrations sénatoriales), et de 12 arrondissements (Bezirke)
dotés de leurs propres administrations et organes politiques (mais
sans pouvoirs législatifs).
|
27. En marge de la réunion de la commission des questions
sociales, de la santé et du développement durable, qui s’est tenue
les 14 et 15 mars 2013 à Berlin, j’ai eu l’occasion d’examiner le
cas de Berlin et de recueillir des données écrites auprès d’acteurs
locaux
.
Berlin a, depuis l’après-guerre, une tradition de participation
citoyenne sous des formes et dans des contextes divers. Des demandes
explicites dans le sens d’une participation accrue ont été formulées
dans le secteur ouest de la ville à la fin des années 1960, ce qui a
été suivi par des efforts visant à impliquer davantage les citoyens
dans les décisions relatives au développement de quartiers particuliers
tels que Kreuzberg. Ces efforts se sont prolongés dans le cadre
des programmes dits de «rénovation urbaine saine», mis en œuvre
d’abord à Berlin-Ouest dans les années 1980 et ensuite dans l’ensemble
de la ville de Berlin dans les années 1990.
28. A partir de la fin des années 1990, un programme dénommé «Ville
sociale», financé et exécuté conjointement par les gouvernements
fédéral et régionaux allemands, a été lancé afin d’appuyer le développement
de bureaux de gestion de district, conseils de district et fonds
de district. Depuis 2008, l’administration municipale met en œuvre
sa nouvelle stratégie-cadre sur le «développement social urbain». Par
ailleurs, Berlin implique les citoyens à travers sa démocratie représentative
fondée sur une organisation décentralisée de la ville, qui se compose
d’un sénat central (conseil et administration locaux) et de 12 conseils d’arrondissement
(Bezirksräte).
29. La panoplie des mécanismes participatifs de la ville (et de
la région fédérale) de Berlin inclut des éléments de grande portée
telles que les initiatives législatives, référendums et conseils
de citoyens. Les autorités recourent également à la participation
de citoyens informés aux conseils d’arrondissement et à l’audition
régulière de groupes de pression et d’intérêt (entre autres experts
externes). Les citoyens eux-mêmes peuvent recourir aux pétitions
et plaintes relatives à des infractions disciplinaires pour s’assurer
que leurs avis sont pris en compte
.
30. Enfin, parmi les institutions, le Berliner
Stadtforum (Forum de la ville de Berlin), forum de débat
ouvert qui réunit régulièrement des gestionnaires municipaux, experts
et citoyens, a parfois joué un rôle de premier plan au cours des
dernières décennies. Il existe toujours aujourd’hui, même s’il est
bien entendu perçu comme moins novateur, alors que les enceintes
de débat se sont multipliées dans des contextes institutionnels
divers.
31. Pour s’assurer que les agents de l’administration locale peuvent
accompagner les procédures de participation citoyenne en connaissance
de cause, le Sénat de Berlin a très récemment publié un «Manuel
sur la participation citoyenne» dans le but de motiver les agents
à appliquer les procédures participatives dans leur domaine de responsabilité,
de les informer des possibles obstacles à surmonter et de leur faire
des recommandations d’action concrètes. Le manuel a été distribué
au niveau national et constitue ainsi un élément d’échange de meilleures
pratiques à ce niveau. En outre, il contient des outils pour la
mise en œuvre de la participation citoyenne, tels que des listes
de vérification détaillées à l’intention des décideurs et agents municipaux
. Il sera bientôt édité en anglais
et constituera ainsi un outil pour l’échange international de bonnes
pratiques.
32. Dans le cas de Berlin, les méthodes de participation citoyenne
semblent être extrêmement différenciées. Elles incluent, par exemple,
le suivi continu des éléments nouveaux dans des districts urbains
spécifiques, en tenant compte des idées et souhaits des citoyens,
la participation des citoyens au processus de planification des
grands projets urbains et même leur consultation en rapport avec
les procédures et décisions budgétaires.
33. Des recommandations formulées à Berlin afin de développer
une participation citoyenne efficace incluent une analyse précoce
et complète des problèmes et l’exploration de solutions alternatives;
la communication de ces solutions et des conditions non flexibles
aux citoyens en des termes clairs; le recours à des compétences
professionnelles aux fins de la modération des processus de consultation;
l’identification des groupes sociaux qui ne peuvent pas facilement
faire valoir leurs intérêts et le soutien de ces groupes; et la prévention
d’attentes non réalistes en rapport avec des décisions qui doivent
être prises
. Parmi ces recommandations,
l’identification des groupes sociaux qui ne peuvent pas facilement
faire valoir leurs intérêts et le soutien de ces groupes constitue
de toute évidence une question particulièrement délicate. A ce sujet,
les perceptions peuvent grandement varier entre les acteurs ou participants
aux processus de développement dans les différents quartiers. Un
échange avec les représentants d’une association locale d’aide sociale
du district de Neukölln a révélé que de nombreux citoyens ne se
sentent pas concernés par le développement urbain dans leur quartier.
34. Dans la population du quartier de Rollberg,
qui est en grande partie d’origine immigrée (kurde, turque et palestinienne
du Liban), la subsistance du foyer et l’éducation des enfants accaparent
les ressources disponibles. Très souvent, les procédures de participation
publique n’atteignent pas les couches les moins instruites de la
population, et dans tous les cas ne les atteignent pas en temps
opportun, ce qui signifie que dans de nombreux cas, les individus
concernés réagissent trop tard et quand les travaux de construction
d’un nouveau projet d’aménagement ont déjà commencé dans leur quartier.
Les nouvelles technologies de communication telles que les médias
sociaux ne constituent pas le canal approprié pour atteindre ces populations,
vu que ces technologies sont plus facilement accessibles à la classe
moyenne urbaine bien instruite. Par conséquent, pour les agents
confrontés à ce contexte social au quotidien, un des plus grands défis
est de montrer aux habitants comment s’approprier l’espace public
dans lequel ils évoluent, au-delà de la sphère privée sur laquelle
se concentre leur attention. Après de nombreuses années d’expérience
relative aux mécanismes de participation officiels de la ville de
Berlin, les experts locaux ont donc estimé que ceux-ci ont complètement
échoué à atteindre leur population locale.
4.2. Istanbul: le défi
de préserver les institutions démocratiques locales face à des intérêts nationaux
plus vastes
Le
Grand Istanbul – faits essentiels
Située
au carrefour de l’Asie et de l’Europe, la métropole d’Istanbul connaît
une croissance rapide. En 2010, lorsque la ville était capitale
européenne de la culture, sa population était estimée à 12,6 millions
d’habitants; d’après les dernières estimations de 2012, ce nombre
serait passé à quelque 13,8 millions d’habitants. La ville est représentée par
la municipalité métropolitaine d’Istanbul, qui est aussi l’une des
81 provinces de la Turquie. Elle est dirigée par le maire métropolitain
et le conseil de la métropole (qui, depuis la dernière réforme administrative,
en 2008, se compose de 39 maires de district et d’un cinquième des
conseillers de district). L’administration urbaine d’Istanbul repose
donc également sur une structure à deux niveaux . A l’échelon inférieur au
district, elle compte un millier de quartiers, appelés Mahalle. En outre, il y existe 27 000 associations
qui forment une société civile vivante et dynamique.
La
municipalité métropolitaine et les municipalités de district ont
des pouvoirs décisionnels: l’administration métropolitaine est responsable
des décisions concernant l’ensemble de la ville, tandis que les
districts sont responsables des décisions concernant les services
municipaux traditionnels. Istanbul est l’une des trois autorités métropolitaines
mises en place après la fin du régime militaire en 1984, les deux
autres autorités étant Ankara et Izmir. Dans chaque cas, l’autorité
métropolitaine représente un niveau complémentaire d’administration
chargé de fonctions stratégiques dans l’ensemble de la métropole.
Le maire de la métropole d’Istanbul, Kadir Topbaş (AKP), a été élu
en 2004 puis réélu en 2009.
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35. Istanbul a une longue tradition de participation
citoyenne, dans ses 39 districts et plus d’un millier de quartiers
(
Mahalles), où sont élus des
maires de quartier depuis le XVIIIe siècle
(
Muhtars). Le cadre institutionnel
actuel est le fruit des efforts de décentralisation démocratiques
déployés depuis les années 80
. Les
mécanismes de participation modernes consistent notamment en la
consultation obligatoire pour les programmes stratégiques, la consultation
de diverses parties prenantes lors de réunions de comités locaux
et, plus récemment, les «assemblées citoyennes», organes semi-autonomes
qui revêtent une importance croissante, en particulier dans les
villes de taille petite à moyenne. Les municipalités ont aussi diverses possibilités
de mener des projets conjoints avec des entités du secteur associatif.
Par ailleurs, le rôle d’internet dans la communication avec les
citoyens ne cesse de prendre de l’ampleur en Turquie, et les principes
de l’Union européenne sont aujourd’hui appliqués régulièrement pour
ce qui concerne l’accès à l’information. Ajoutons que lorsqu’il
était maire d’Istanbul, et avant de devenir Premier ministre, M. Recep
Tayyip Erdoğan avait également organisé un dispositif de participation
citoyenne par le biais des 3 000 mosquées de la ville.
36. Dans la pratique
, une partie des mécanismes
existants se heurte à certains obstacles: à Istanbul, l’assemblée
citoyenne n’a pu être établie faute de majorité claire et il y a
des réclamations d’ingérence systématique du gouvernement national.
La fameuse Agence d’urbanisme d’Istanbul (qui employait 500 personnes)
a été dissoute il y a quelques années; certaines de ses compétences
ont été confiées aux ministères compétents au niveau national et
au Centre de planification et d’urbanisme métropolitains, nouvel organisme
qui exerce ses activités aux côtés des organes politiques et administratifs
d’Istanbul. La participation des parties prenantes locales au niveau
de la métropole semble souvent limitée à des questions de moindre
importance.
37. Cette érosion de la participation réelle au niveau de la métropole
semble avoir différentes causes, notamment certaines traditions
culturelles (par exemple une tradition de communication indirecte
via des intermédiaires pour faire part de situations déplaisantes),
la structure et le fonctionnement des partis politiques en Turquie
et la limitation des pouvoirs de l’administration locale (c’est-à-dire
des possibilités très restreintes d’imposer des taxes locales directes
excepté pour la collecte des ordures ménagères, ce qui laisse peu
de marge de manœuvre pour lever des fonds au profit des priorités
locales). La participation indirecte passe souvent par le biais
de réclamations orales ou écrites ou d’affaires portées devant les
tribunaux. Beaucoup de gens fondent actuellement leurs espoirs sur
l’évolution des cultures de communication (y compris les médias sociaux)
et sur la nouvelle Constitution en préparation, qui pourrait abaisser
le seuil électoral actuel de 10 % que doivent atteindre les partis
pour intégrer les instances délibérantes. Cette mesure permettrait
plus de diversité dans divers organes décisionnels.
38. Les mouvements de protestation qui ont eu lieu récemment dans
le quartier de la place Taksim, où un parc ancien, le parc Gezi,
devait être détruit en partie pour faire de la place en vue de la
construction de nouveaux logements et d’espaces commerciaux, ont
montré à quel point les décisions nationales peuvent influer sur
les développements urbains ainsi que l’importance d’un dialogue
substantiel entre le gouvernement et les communautés locales. Ce
projet basé sur une initiative citoyenne existante a provoqué un
déferlement de protestations populaires et de violentes confrontations
avec les forces de police. Bien que des groupes extrémistes se soient
joints à certaines des manifestations, la majorité des manifestants
(qui se comptaient par centaines de milliers au plus fort du mouvement)
étaient descendus dans la rue pour exprimer leur mécontentement
quant au mode de gouvernance du gouvernement, à l’absence de pouvoirs
décisionnels à l’échelon local et à l’utilisation de quartiers populaires
et parfois historiques pour les aménagements à caractère commercial
.
Le dernier élément en date dans cette affaire est le blocage de
l’aménagement envisagé par décision de justice; toutefois, les autorités
gouvernementales peuvent encore faire appel de cette décision
.
39. Cela étant, le parc Gezi n’est qu’un exemple parmi les nombreux
projets censés dynamiser le développement de la ville. Rien qu’à
Istanbul, une cinquantaine de quartiers sont concernés par des projets de
rénovation urbaine; en 2012, 7,5 milliards de livres turques (environ
2,9 milliards d’euros) étaient affectés à des projets d’aménagement
public d’Istanbul. Les politiques publiques sectorielles facilitent
ce type d’aménagements, par exemple par le biais de nouvelles dispositions
législatives qui confèrent au gouvernement d’importants pouvoirs
décisionnels sur les zones à aménager (parfois pour des raisons
de prévention des risques sismiques) ou qui ouvrent le marché immobilier
turc aux investisseurs étrangers
.
40. Face à de tels développements, plusieurs experts critiquent
le manque de cohérence dans les aménagements urbains (les différents
projets étant, semble-t-il, conçus sans vue d’ensemble) et l’absence
de débat public préalablement à l’annonce de grands projets de reconstruction
.
Ils mettent en garde également contre le fait que les populations
vulnérables, notamment les pauvres et les minorités ethniques, sont
sans cesse repoussés vers les abords de la ville, ce qui réduit
la diversité sociale en ville et contraint des populations de quitter
les lieux où elles étaient installées depuis longtemps
.
41. D’après certains universitaires turcs, la gouvernance locale
à Istanbul est l’expression du contexte politique global, qui se
caractérise par une dominance excessive de l’Etat sur la société
associée à une culture politique populiste
. En particulier dans les grandes
villes comme Istanbul, deux facteurs semblent contribuer à un tel
populisme: d’une part, une réponse efficiente à des demandes vitales
d’emplois et de logements générées par une immigration urbaine massive
depuis les années 1960; d’autre part, une conception de la démocratie
réduite à sa plus simple expression, à savoir le vote.
42. De plus, l’administration métropolitaine d’Istanbul correspond
au schéma «maire puissant, conseil faible» qui conduit, finalement,
à une situation où les décisions concernant l’ensemble de la ville
ne sont évoquées et critiquées dans les médias et par les associations
de professionnels que lorsqu’elles sont déjà prises. Bien que cette
façon de faire suscite régulièrement des plaintes au sujet du processus
décisionnel et de la forte influence exercée par le gouvernement
central, le public apprécie grandement le fait que les problèmes
fondamentaux et infrastructurels à caractère d’urgence sont effectivement
traités, y compris grâce à l’action de l’administration centrale
.
43. En dépit du contexte et de la culture politiques globales,
la participation citoyenne semble fonctionner relativement bien
dans l’Istanbul moderne à l’échelon du district et du quartier:
les assemblées locales de citoyens font participer régulièrement
différents groupes tels que les jeunes, les personnes âgées, les
femmes et les personnes handicapées. Deux siècles après la mise
en place de cette institution, les maires de quartier, une fonction
très populaire parmi les citoyens, demeurent des interlocuteurs
privilégiés pour la population locale. Cependant, malgré tous les
efforts déployés par les pouvoirs locaux pour mettre en place des
conseils municipaux et favoriser le resserrement des liens avec
les groupes civiques, la plus grande difficulté pour Istanbul semble
être que la majorité de ses citoyens soit n’est pas organisée ou
participe à des groupes «communautaires» hiérarchisés
.
4.3. Londres: le défi
de la participation citoyenne pour des collectivités locales durables
Le
Grand Londres – faits essentiels
Le Grand
Londres compte aujourd’hui près de 8 millions d’habitants (7,8 millions
selon les chiffres officiels de 2010) et devrait atteindre la barre
des 10 millions d’habitants à l’horizon 2020. Cette aire métropolitaine
a un maire élu au suffrage direct depuis 2000 (Boris Johnson depuis
2008, réélu en 2012). L’Autorité du Grand Londres («Greater London
Authority» (GLA)) est principalement responsable des transports,
de l’urbanisme, du développement économique, de l’environnement,
de la sécurité, du logement et des loisirs pour l’ensemble de la
ville. L’Assemblée du Grand Londres («Greater London Assembly)»
se compose de 25 membres, dont 14 élus dans des circonscriptions
(comptant chacune plusieurs arrondissements) et 11 membres «complémentaires» .
L’aire métropolitaine
est divisée en 33 arrondissements («boroughs») (32 arrondissements
et la Cité de Londres, qui représente essentiellement le centre
financier de la ville). Les arrondissements se chargent de la prestation
de divers services sociaux et d’autres services locaux tels que
les services d’éducation, de garde d’enfants, etc. Dans l’ensemble
des arrondissements, on compte un total de 1 800 conseillers locaux
élus tous les quatre ans dans leurs secteurs respectifs (les prochaines
élections auront lieu en 2014). Les «London Councils», qui forment
une structure administrative conjointe présente dans tous les arrondissements,
sont en charge de questions d’infrastructure spécifiques liées notamment
aux transports (parking, etc.) ou à la collecte des déchets. Il
leur incombe également de négocier avec l’Autorité du Grand Londres
en cas de conflits de compétences entre l’autorité centrale et les arrondissements.
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44. Pour ce qui concerne la capitale de mon propre pays,
le Royaume-Uni, j’ai eu l’occasion d’examiner la question de la
participation citoyenne lors d’une visite d’information, le 18 juillet
2013, lors de laquelle j’ai rencontré plusieurs experts
. J’ai pu avoir confirmation du
fait que la situation financière actuelle des collectivités locales
était perçue par la plupart des parties prenantes locales comme
un problème majeur, déterminant pour bon nombre de questions de
développement à l’échelon local, y compris la participation citoyenne.
45. D’après l’Association des collectivités locales (
Local Government Association), la
participation citoyenne n’est pas nécessairement une priorité pour
l’administration locale dans le contexte économique et financier actuel.
Au cours des dernières années, les transferts de l’administration
centrale vers les collectivités locales ont été réduits de 33 %
. Des réductions supplémentaires
allant jusqu’à 10 % sont prévues dans les plans de dépenses de la
coalition actuelle pour 2015-2016
. Au Royaume-Uni, les programmes
municipaux sont donc dominés par les questions financières et axés
sur la réorganisation de la prestation des services et le regroupement
des collectivités locales pour assurer les services dans les grandes
zones économiques et la prestation de services locaux par une plus
forte implication du secteur associatif ou des entreprises sociales.
46. Dans ce contexte, on s’attend à ce que les services participatifs,
qui ne sont pas imposés par la loi mais laissés à l’appréciation
des pouvoirs locaux, soient les premiers touchés dans beaucoup de
collectivités, à l’heure où celles-ci sont déjà moins nombreuses
à recourir aux instruments traditionnels tels que les «jurys de citoyens».
Dans le même temps, les responsables politiques locaux communiquent
de plus en plus avec leurs citoyens via les médias sociaux (Twitter,
blogs et Facebook), bien qu’il semble y avoir une sorte de «fracture numérique»
quant à l’utilisation de ces outils, déterminée entre autres par
les niveaux de revenu et d’éducation.
47. D’après les London Councils,
tous les arrondissements de la ville disposent encore d’un budget
plus ou moins important consacré à la participation citoyenne, et
les mécanismes concernés sont encore relativement bien développés
dans l’ensemble de la capitale. Cependant, le choix des modes de
participation est aujourd’hui plus restreint du fait que la gouvernance
locale revient surtout à administrer des ressources limitées dans
le but de remplir les nombreuses missions prévues par la loi. Avant
la crise financière, la participation citoyenne consistait parfois
à laisser les citoyens prendre part aux choix publics par le biais
de méthodes innovantes. De nos jours, elle consiste davantage à
clarifier les limites d’action pour les citoyens, et les pouvoirs
locaux sont de plus en plus confrontés à un dilemme, à savoir qu’il
peut y avoir moins de participation citoyenne en dépit d’un besoin
accru d’informer les citoyens dans un contexte d’austérité. Beaucoup
de citoyens semblent frustrés de ne voir aucun résultat après avoir
été consultés et du fait que, bien évidemment, leur participation
n’augmente pas les ressources disponibles.
48. De bonnes pratiques de participation citoyenne sont appliquées
dans l’aire du Grand Londres en particulier en ce qui concerne la
participation des jeunes aux processus politiques (tels que le parlement
des jeunes et le maire des jeunes de l’arrondissement de Lewisham)
et le maintien des services grâce au secteur associatif. Au Royaume-Uni,
la participation citoyenne englobe par conséquent différents principes: l’information
et la consultation des citoyens au sujet des développements futurs,
d’une part, et la participation active au développement de la communauté,
d’autre part.
49. A cet égard, les Jeux olympiques de 2012 ont eu un effet très
positif sur la coopération au sein des communautés «dans l’esprit
des Jeux» et, localement, des subventions ont été octroyées pour
des projets connexes. Cela étant, en dépit de quelques exemples
de bonnes pratiques, le concept de «
Big
Society»
du Premier ministre, qui inclut
des tentatives pour donner un caractère plus bénévole à certains
services locaux, n’a pas porté ses fruits partout et ce, pour différentes
raisons. Dans la situation actuelle des finances locales au Royaume-Uni,
il sera par conséquent de la plus haute importance de générer de
nouvelles recettes grâce à la croissance locale et d’organiser les
services de façon plus rationnelle – c’était d’ailleurs l’objectif
du gouvernement central lorsqu’il a procédé à des coupes budgétaires
drastiques.
50. S’agissant de la relation entre l’administration centrale
et les arrondissements locaux, le système londonien peut être décrit
comme un système à deux niveaux où la partie inférieure «pèse plus
lourd»; c’est-à-dire que les arrondissements ont leur mot à dire
et le maire de la ville a moins de pouvoirs que dans d’autres grandes
villes. Qui plus est, le maire actuel n’utilise pas ses pouvoirs
de façon excessive. Son administration, l’Autorité du Grand Londres,
semble avoir une vision et une stratégie assez claires pour la participation citoyenne
au niveau métropolitain, fondées sur la constatation que la relation
entre la ville et ses citoyens est marquée par des attentes mutuelles:
tandis que certaines préoccupations de la ville restent totalement abstraites
pour les habitants, l’autorité centrale doit comprendre les préoccupations
des citoyens et y répondre activement («gestion de la demande»).
51. Ce faisant, les méthodes de communication avec les citoyens
ont considérablement évolué ces dernières années. En effet, alors
qu’elles reposaient en grande partie sur les sondages d’opinion,
elles consistent aujourd’hui davantage en une «démarche participative»,
notamment en une «participation numérique» présentant un bon rapport
coût-efficacité, sachant que les méthodes traditionnelles telles
que les débats annuels ou les séances de questions-réponses pour
la population locale ont encore cours. On peut citer comme exemples
concrets de nouvelles méthodes la plateforme numérique «Talk London» et le «London City Dashboard», un site
internet présentant les politiques de la ville par secteur de façon
transparente (étayé par une banque de données ou «Datastore»). Parmi les premiers
groupes cibles des nouveaux mécanismes de participation figurent
les nombreux bénévoles qui ont pris part à l’organisation des Jeux
olympiques.
52. L’expérience du Grand Londres a montré que les médias sociaux
et les technologies de communication jouent un rôle important dans
l’obtention de résultats «concrets». Citons l’exemple de l’arrondissement
de Barnett, où les habitants peuvent accéder à un «site internet
de courtage» pour l’échange de services au sein de leur communauté.
Dans certains quartiers, des rassemblements lancés via les médias
sociaux ont débouché sur des projets concrets dans le secteur de
l’éducation. On a également observé que la population se mobilisait
de plus en plus autour des médias sociaux depuis les «émeutes de
Londres»
. Les chaînes de télévision et les
radios locales jouent un rôle important dans certaines communautés
ethniques (par exemple une station de radio grecque à Barnett) et
les responsables politiques locaux font des apparitions régulières dans
ces médias.
53. Une équipe du service des relations publiques de l’Autorité
du Grand Londres s’emploie à établir des liens en particulier avec
certaines zones défavorisées où la population a moins accès aux
médias sociaux. De son point de vue, que j’apprécie tout particulièrement
dans ce contexte, l’important est que la participation ne soit pas
une simple «case cochée» par les pouvoirs locaux mais représente
une approche véritablement axée sur les citoyens et assurant que
leur voix soit entendue. On accorde aujourd’hui beaucoup d’attention
aux politiques dans le domaine de la «gestion de la demande» (par
exemple en ce qui concerne les hôpitaux, les casernes de pompiers
et les postes de police). Il importe cependant de ne pas susciter
d’attentes qui ne seraient pas réalisables.
54. La représentante de l’arrondissement londonien de Haringey
a confirmé une partie des informations reçues précédemment sur l’aire
du Grand Londres: la participation citoyenne demeure plus simple
pour les tâches prévues par la loi, mais est de plus en plus difficile
lorsqu’il s’agit de procéder à des échanges approfondis avec la
population locale. Néanmoins, il est possible de faire encore beaucoup
grâce à des partenariats actifs entre les parties prenantes locales
et à l’utilisation ciblée des technologies de la communication.
Citons l’exemple du partenariat (formé par des élus, des commerçants
et des citoyens) pour le développement de rues commerçantes, qui
a consisté notamment en un dialogue mené en partie sur le site internet
«Haringey online» (utilisé régulièrement par plus de 2 500 citoyens)
et qui a permis l’exercice par la collectivité d’un contrôle sur
les activités de paris illégaux tout en limitant la gentrification
du secteur à un seuil acceptable.
55. Les personnes moins instruites, qui ont un accès limité aux
médias sociaux et moins de facilité pour s’exprimer, sont fréquemment
associées à des projets concrets qui les concernent, par exemple
des projets de jardinage dans des espaces publics de leur quartier.
Ces projets donnent alors une occasion de consulter la population
locale sur d’autres questions d’aménagement et de créer une certaine
continuité dans l’engagement collectif. Une fois mobilisés, les
citoyens sont souvent approchés par les responsables politiques locaux,
qui s’appuient sur ces projets communs pour les consulter sur d’autres
questions (comme le recyclage alimentaire dans les logements sociaux).
56. Autre exemple de mobilisation de la collectivité: la campagne
«
Save Lewisham Hospital» («Sauvons l’hôpital
de Lewisham»), qui est parvenue à mobiliser jusqu’à 10 000 et 20 000
personnes lors de diverses manifestations depuis la fin de 2012
(y compris une visite de Boris Johnson, maire de la GLA). La mobilisation s’est
fait moins par les médias sociaux que par des méthodes de campagne
traditionnelles (porte à porte, stands d’information lors d’événements
locaux, dépliants distribués dans les gares ou les écoles, etc.).
Pour l’heure, la campagne semble porter ses fruits: alors que la
fermeture définitive de l’hôpital avait été décidée par le
National Health Service (NHS) avant
l’été 2013, la justice a estimé récemment que la réduction de services
de santé importants serait contraire à la loi
. Toutefois, aux dernières nouvelles,
le gouvernement entend faire appel de cette décision.
57. Enfin, bon nombre de ces constatations des plus intéressantes
concernant Londres ont été confirmées par des universitaires britanniques,
qui ont identifié des tendances générales et des éléments s’appliquant
au-delà du Royaume-Uni, à savoir:
- le niveau global de confiance dans les décisions publiques
semble être en baisse;
- c’est lorsque les individus devraient être le plus impliqués
dans la vie publique que cela semble le plus difficile (par exemple,
en raison de la crise financière);
- le fait de ne pas faire participer la population peut
être source d’économies pour les pouvoirs locaux à court terme,
mais crée d’immenses problèmes plus coûteux à long terme;
- s’agissant des médias sociaux, les pouvoirs locaux sont
encore en apprentissage, pas tant en ce qui concerne leur utilisation
à des fins de participation que pour la collecte de données et la
transmission «unidirectionnelle» d’informations vers les citoyens;
- il convient de renforcer les capacités des pouvoirs locaux,
essentielles pour améliorer la participation citoyenne, et d’éviter
le recrutement d’experts extérieurs pour des événements ponctuels
si l’on veut obtenir des résultats durables;
- actuellement, les exemples de bonnes pratiques nous viennent
surtout de pays situés hors d’Europe (Etats-Unis ou pays d’Amérique
latine, par exemple, comme il ressort des réunions sur les «villes
du XXIe siècle»), les responsables politiques
européens étant avant tout soucieux de garder le contrôle en ces
temps de crise et d’austérité;
- les conditions essentielles pour développer dans la pratique
la participation citoyenne sont les compétences et la volonté politique,
en particulier dans les grandes métropoles où des ressources plus importantes
sont généralement disponibles; or, peu de dirigeants de métropoles
semblent saisir cette opportunité.
5. Conclusion:
créer des conditions cadres permettant de faciliter et encourager
la bonne gouvernance démocratique et la participation citoyenne
au niveau local
58. Les trois exemples de Berlin, Istanbul et Londres
ont mis en lumière certains défis, difficultés et obstacles récurrents,
mais ont aussi dégagé des bonnes pratiques de participation citoyenne
dans ces grandes villes, également capitales et/ou moteurs économiques
de leurs pays. Les parties prenantes rencontrées à Berlin semblaient
surtout préoccupées de faire participer les groupes les plus défavorisés
au développement local et de créer un sentiment de responsabilité
envers la collectivité; tandis qu’à Istanbul, on est confronté à
une évolution des cultures politiques, qui mène parfois à des situations
conflictuelles sous l’effet de fortes pressions pour la réalisation
d’aménagements urbains et commerciaux. A Londres, ma propre capitale,
où les finances locales ont subi des changements significatifs et
de fortes réductions au cours des dernières années, les partenaires
locaux sont en quête de nouveaux partenariats et d’outils de participation citoyenne.
59. Les défis identifiés dans ces trois métropoles sont donc très
différents, quoique cette perception puisse être partiellement liée
à l’approche sélective des interlocuteurs locaux. Dans tous les
cas et jusqu’à un certain point, tous les grands problèmes qui se
sont dégagés semblent symptomatiques des grandes métropoles en période
de crise économique et financière; ces trois exemples se prêtent
par conséquent à une certaine généralisation et nous aident à tirer
les premières conclusions.
60. La base même des organes et processus démocratiques à l’échelon
local est le cadre institutionnel, qui devrait, dans la mesure du
possible, attribuer des compétences d’urbanisme aux pouvoirs locaux
et doter ces derniers de ressources financières adaptées à leurs
responsabilités. Par ailleurs, les décisions prises par les gouvernements
nationaux mais ayant une incidence à l’échelon local devraient être
mises en œuvre de la façon la plus transparente et la plus responsable
possible.
61. Les citoyens devraient être associés aux décisions politiques
selon des approches descendantes (les pouvoirs publics consultent
les citoyens) et des approches ascendantes (y compris la gestion
de la demande, en tenant compte des préoccupations des citoyens
à l’échelon local). Les responsables politiques locaux devraient
éviter d’établir des mécanismes de participation «creux» et inefficaces
pour soigner leur réputation sans que les habitants aient véritablement
voix au chapitre. Parmi les facteurs déterminants d’approches engagées,
efficaces et innovantes de la participation citoyenne, citons la
volonté politique des décideurs locaux, le renforcement des capacités
au sein des collectivités locales, la disponibilité de ressources
pour des actions à la discrétion des pouvoirs locaux, telles que
des mécanismes participatifs, et la capacité de bâtir une relation
de confiance entre les habitants et les politiciens.
62. Le fait d’encourager le développement social et économique
à l’échelon local est une condition indispensable pour que les citoyens
et les démocraties locales dynamiques développent un intérêt pour
la participation active et pour l’engagement collectif. Seuls les
citoyens dont les conditions de vie sont satisfaisantes et qui ne
doivent pas lutter chaque jour pour subvenir aux besoins fondamentaux
de leur famille seront en mesure de nouer le dialogue avec leur
collectivité.
63. Pour faire participer la population locale, des moyens accessibles
et appropriés de communication doivent être employés, susceptibles
de varier selon les tranches d’âge et les catégories socio-économiques.
Il n’est pas utile de communiquer sur des développements importants
via internet ou les médias sociaux si la majeure partie de la population
locale ne consulte pas ces supports. Par ailleurs, l’utilisation
d’internet devrait être encouragée dans le domaine de la démocratie
locale lorsque cela s’avère approprié (e-démocratie, e-participation,
etc.) pour la jeune génération, qui est familière de ce type d’outils.
Le bon dosage d’outils de communication pour nouer le contact avec
les résidents devrait être choisi au cas par cas.
64. Il convient de renforcer, au niveau international, l’échange
de bonnes pratiques et les mesures de sensibilisation visant l’amélioration
des processus démocratiques locaux, notamment par des conditions nationales
appropriées. Notre objectif commun devrait être de promouvoir des
normes élevées de démocratie locale et de participation citoyenne
dans toute l’Europe, y compris dans les pays où celles-ci sont menacées par
la situation économique des collectivités locales et des citoyens
ou par des politiques nationales autoritaires.
65. La bonne gouvernance et la participation citoyenne au niveau
local – et dans les grandes métropoles, qui sont une catégorie particulière
de collectivités locales – sont des éléments centraux de la démocratie moderne,
étroitement liés à l’un des piliers des activités du Conseil de
l’Europe. La participation active des citoyens au développement
local, à savoir à la fois la consultation des citoyens dans le cadre
des processus décisionnels et l’engagement collectif, est essentielle
pour créer des collectivités locales durables et garantir le respect
de normes démocratiques optimales partout en Europe.