1. Introduction
«Un outil indispensable pour une
solution indispensable.» Antonio Guterres
1. Les populations se déplacent depuis la nuit des temps.
Malheureusement, les migrations ne sont pas toujours volontaires
et revêtent parfois la forme d’une fuite pour quitter des zones
de conflit ou échapper à des persécutions.
2. Il faut rappeler que l’Europe a toujours été une terre d’accueil
pour qui cherche refuge. Mais si cette tradition est bien ancrée,
tant dans la coutume que dans le droit international et les législations
nationales des Etats membres du Conseil de l’Europe, elle est pourtant
mise à rude épreuve.
3. En ces temps de crise, assumer leurs obligations internationales
en accordant asile et protection et en faisant preuve d’un esprit
de générosité – alors que la population locale souffre d’un fort
taux de chômage, de restrictions budgétaires, voire d’un accroissement
des conflits ethniques – peut constituer un véritable défi pour
les Etats.
4. On assiste dans toute l’Europe à une montée en puissance du
discours xénophobe et, malheureusement, certains dirigeants politiques
contribuent à cette évolution et refusent de reconnaître le besoin
de protection de bon nombre de personnes recherchant l’asile, ainsi
que d’adopter une approche pertinente en matière de politique nationale
d’immigration.
5. Mais ne nous y trompons pas, l’accueil des réfugiés ne relève
pas de la simple bonne volonté des Etats, ni de politiques migratoires
encadrées et quantifiables: il s’agit d’une obligation en vertu
du droit international. Les réfugiés ne viennent pas de leur plein
gré; des guerres, des troubles civils et autres évènements imprévisibles
les arrachent à leur pays d’origine. Ces personnes ont des droits
que nous ne saurions bafouer impunément.
6. Bien que des efforts louables en vue d’améliorer les systèmes
d’asile aient été déployés en Europe – notamment au sein de l’Union
européenne dans le cadre du Régime d’asile européen commun (RAEC) –, force
est de constater que le système européen est désormais confronté
à des défis de taille.
7. L’un des écueils du système européen d’asile tient au fardeau
disproportionné pesant sur certains Etats, notamment ceux dont les
frontières constituent les limites extérieures de l’Union européenne
et plus spécialement les pays riverains de la Méditerranée.
8. Malte, un petit pays, doit faire face de manière disproportionnée
à l’arrivée de migrants, réfugiés et demandeurs d’asile. D’autres
pays plus grands – comme la Grèce, l’Italie et l’Espagne – sont
également affectés en raison de leur situation géographique.
9. La question de la solidarité européenne à l’égard des réfugiés
et des demandeurs d’asile ne saurait par conséquent être traitée
à la légère et il s’agit d’un problème sur lequel l’Assemblée parlementaire
s’est déjà penchée dans le cadre de sa
Résolution (1820) 2011 «Demandeurs d’asile et réfugiés: pour un partage des responsabilités
en Europe». Dans ce texte, l’Assemblée a identifié la réinstallation
et la relocalisation comme des instruments pertinents pour renforcer
la solidarité en Europe.
10. Le présent rapport entend apporter un éclairage sur ces mécanismes,
évaluer en quoi ces outils peuvent s’avérer efficaces pour renforcer
la solidarité en Europe, et proposer des mesures visant à les promouvoir.
11. Dans le cadre de la préparation du présent rapport, une audition
a été organisée par la commission des migrations, des réfugiés et
des personnes déplacées et j’ai moi-même effectué une mission d’enquête
en novembre 2013 à Berne et à Genève pour rencontrer une partie
des principaux acteurs internationaux et nationaux compétents. J’aimerais
remercier la délégation parlementaire suisse pour son aide, ainsi
que divers partenaires, dont le
Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), l’Organisation internationale
pour les migrations (OIM), la Commission internationale catholique
pour les migrations (CICM) et d’autres organisations et institutions
nationales rencontrées pendant ma visite pour les précieuses informations
qu’ils m’ont communiquées.
2. Réinstallation
et relocalisation: deux outils pour un même but de solidarité
12. Je mentionne dans le présent rapport deux outils
dont les caractéristiques diffèrent, mais dont les finalités sont
les mêmes: renforcer la solidarité entre les Etats tout en offrant
une solution durable à des personnes qui ont besoin d’une protection
internationale.
2.1. Définitions et
distinction entre les deux outils
13. La réinstallation est un outil visant à réinstaller
de manière durable des réfugiés qui ne peuvent ni rentrer chez eux
ni rester dans le pays de premier asile. Le manuel de réinstallation
du HCR en donne la définition suivante:
«[L]a réinstallation implique la sélection et le transfert
de réfugiés d’un Etat dans lequel ils ont cherché une protection
vers un autre Etat qui accepte de les accueillir comme réfugiés
avec un statut de résident permanent. Ce statut garantit une protection
contre le refoulement et confère au réfugié réinstallé, à sa famille
et aux autres personnes à sa charge, les mêmes droits que ceux dont
bénéficient les ressortissants nationaux. La réinstallation offre
également l’opportunité d’accéder ultérieurement à la naturalisation
dans les pays de réinstallation.»
14. La réinstallation est un instrument historique de protection
internationale. Utilisé dès 1920 (concernant environ 45 000 «Russes
blancs» ayant fui en Chine), il a connu une grande vogue après la
seconde guerre mondiale. Parmi les réinstallations marquantes, on
note celle de Hongrois dans les années 1950 après l’invasion soviétique
de leur pays, celles de membres de la minorité asiatique expulsés
d’Ouganda en 1972 et celle de Chiliens ayant fui leur pays après
le coup d’Etat de 1973. La plus grande opération de réinstallation jamais
réalisée visait les «boat-people» ayant fui le Vietnam dans les
années 1980 et a concerné près de 700 000 personnes.
15. La relocalisation est une mesure récente, régionale et strictement
limitée à l’Union européenne qui permet de transférer une personne
bénéficiant de la protection internationale d’un Etat membre de
l’Union européenne à un autre. On en trouve la définition suivante
dans des documents émanant de l’Union européenne:
«Le transfert de personnes bénéficiant
du statut défini par la Convention de Genève ou bénéficiant d’une forme
de protection subsidiaire au sens de la directive 2004/83/CE [concernant
les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir
les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir
prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres
raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives
au contenu de ces statuts] de l’Etat membre leur ayant accordé la protection
internationale vers un autre Etat membre qui leur accordera une
protection similaire ou de personnes ayant demandé à bénéficier
de la protection internationale auprès de l’Etat membre responsable
d’examiner cette demande vers un autre Etat membre dans lequel la
demande de protection internationale sera examinée. » [Traduction non officielle: se
référer au texte anglais]
16. La relocalisation n’existe jusqu’à présent qu’au stade du
projet pilote appliqué dans le seul cas de Malte (c’est-à-dire que
les réfugiés sont transférés depuis Malte vers d’autres Etats membres
de l’Union européenne). En l’occurrence, les Etats ayant participé
à ce projet dit «EUREMA» ont indiqué que cette démarche est le résultat
d’une décision politique visant à attester de leur solidarité avec
Malte.
17. La réinstallation comme la relocalisation dépendent entièrement
de la bonne volonté et de la participation volontaire des Etats
d’accueil.
2.2. Objectifs
18. La réinstallation, comme la relocalisation, permet
de poursuivre trois objectifs: donner accès à une protection; assurer
une solution durable; et renforcer la solidarité et le partage des
responsabilités entre Etats.
19. Le caractère durable et le succès de tous les programmes de
réinstallation ou de relocalisation dépendent de la capacité du
pays d’accueil et leurs communautés locales à intégrer les personnes concernées.
2.3. Chiffres: un gouffre
entre les besoins et le nombre de places disponibles
20. Le HCR estime à environ 691 000 le nombre de personnes
ayant actuellement besoin d’être réinstallées, alors que le nombre
de places disponibles par année se situe autour de 80 000. Et encore,
ce chiffre ne tient pas compte des besoins supplémentaires créés
par l’arrivée massive de réfugiés en provenance de la Syrie dans
les pays voisins.
21. Le HCR a identifié les situations prioritaires suivantes pour
le recours stratégique à la réinstallation: celle des Afghans en
Iran; celle des Afghans au Pakistan; celle des Somaliens au Kenya
et en Ethiopie; celle des réfugiés en Turquie; celle des Irakiens
en Syrie, en Jordanie et au Liban; celle des réfugiés colombiens;
celle des réfugiés congolais (ayant fui la République démocratique
du Congo), et celle des réfugiés syriens dans la région Moyen-Orient/Afrique
du Nord (MOAN) et la Turquie. Il convient en outre de traiter
en priorité trois situations identifiées
comme visant des personnes réfugiées dont la situation s’éternise
: celle des
Erythréens au
Soudan; celle des Bhoutanais au Népal; et celle des réfugiés du
Myanmar en Thaïlande et en Malaisie
.
22. En 2012, le HCR a identifié plus de 74 800 candidats à la
réinstallation et il a aidé plus de 69 200 d’entre eux à partir
vers les pays d’accueil
.
23. Bien que le nombre de pays de réinstallation ait augmenté
depuis les années 1980, on compte seulement 27 Etats dans le monde
dotés d’un programme régulier de réinstallation
.
24. Compte tenu du fossé entre les besoins annuels en matière
de réinstallation au niveau mondial et du nombre de places actuellement
disponibles, on est en droit de se poser la question de savoir si
l’élan actuel de solidarité permet réellement de relever les défis
auxquels nous sommes confrontés afin de fournir une protection à
ceux qui en ont le plus besoin.
3. La réinstallation:
un outil à l’échelle mondiale
3.1. La réinstallation:
comment ça marche?
25. Le HCR joue un rôle majeur pour identifier les réfugiés
ayant besoin d’être réinstallés et
pour veiller à réunir les conditions préalables à toute réinstallation.
26. La première condition préalable est que les candidats soient
considérés comme des réfugiés par le HCR
,
même si des exceptions peuvent être tolérées au profit d’apatrides
n’étant pas des réfugiés, mais pour lesquels la réinstallation constitue
la solution durable la plus appropriée, ainsi qu’au profit de certaines personnes
à charge n’étant pas des réfugiés au nom du regroupement familial.
27. La deuxième condition préalable vise la nécessité que toutes
les autres solutions durables – qu’il s’agisse notamment d’un rapatriement
volontaire ou d’une intégration dans le premier pays d’asile – soient évaluées
avant que la réinstallation ne soit considérée comme la solution
la plus appropriée.
28. Les réfugiés sont ensuite considérés comme ayant besoin d’être
réinstallés s’ils courent des risques dans le pays où ils ont trouvé
asile ou bien présentent des besoins ou des vulnérabilités spécifiques,
qui répondent au moins à l’un des critères répertoriés ci-dessous
:
- besoin
d’une protection juridique et/ou physique;
- vulnérabilité caractéristique des personnes ayant subi
des violences et/ou des tortures;
- besoins médicaux;
- femmes ou jeunes filles en situation de risque;
- regroupement familial;
- enfants et adolescents en situation de risque;
- absence de toute autre solution durable envisageable.
29. Le HCR se concentre sur la réinstallation en tant que partie
importante d’une approche complète en matière d’élaboration de solutions
à la fois individuelles et collectives. Dans certains cas, la réinstallation
peut servir à résoudre la situation de personnes réfugiées résidant
depuis longtemps dans un pays de premier asile sans pouvoir bénéficier
d’une solution durable.
30. Le HCR classe les candidats à la réinstallation selon un critère
de priorité et distingue ainsi entre les situations normales, urgentes
ou extrêmement urgentes en fonction des besoins des intéressés.
Il est donc essentiel que les Etats usent des mécanismes – telles
que le recours à des centres de transit d’urgence et à des programmes
spécialisés comme la Soumission de Dossiers en Urgence – permettant
de réagir rapidement aux demandes urgentes ou extrêmement urgentes
de réinstallation. Actuellement, seuls 10 % environ des quelque
8 000 personnes identifiées comme ayant des situations où une réinstallation
s’impose d’urgence ou d’extrême urgence peuvent être traités dans
le cadre de programmes spécialisés conçus pour accélérer la procédure.
31. On constate que la réinstallation d’urgence n’est pas évidente,
et la capacité des Etats à réagir rapidement varie. La Suède et
la Norvège, par exemple, sont généralement en mesure de traiter
les affaires urgentes dans le délai idéal d’une semaine. Les autres
pays ont souvent besoin de plus de temps.
Le
cas particulier des femmes et des jeunes filles en situation de
risque
Beaucoup de femmes réfugiées, en
plus de connaître les difficultés communes à tous les réfugiés,
se retrouvent souvent dans une situation encore plus vulnérable.
Comme
les hommes, elles ont fui la persécution, mais leur exode les a
rendues encore plus vulnérables. Bien des familles sont séparées
pendant la fuite et beaucoup de femmes se retrouvent privées de
leurs soutiens traditionnels (familiaux). Elles sont alors confrontées
à de nouvelles responsabilités qu’elles n’ont jusqu’alors jamais
assumées. De nombreuses femmes ont fui seules avec les enfants et
les membres plus âgés de la famille, alors que les hommes sont restés
(pour continuer de s’occuper du bétail par exemple). Elles sont
également exposées à des problèmes de protection supplémentaires,
spécifiques à leur sexe (viols, abus sexuels, exploitation, voire
mariage forcé, entre autres). Ce type d’abus est largement rapporté,
notamment en ce qui concerne les réfugiées syriennes en Jordanie,
comme l’a confirmé M. Stefan Schennach (Autriche, SOC) qui a rendu
compte (le 20 novembre 2013, Paris) à la commission des migrations
de sa visite effectuée dans les camps situés en Jordanie en juillet 2013.
Dans lesdits camps, un véritable commerce de jeunes filles vendues
pour être mariées (dès l’âge de 10 ou 11 ans) aurait été mis en
place.
Certains pays, comme la Norvège (où 60 % de
son quota de réinstallation sont réservés aux femmes et aux jeunes filles
vulnérables), ont introduit des programmes conçus spécialement pour
les personnes de sexe féminin en situation de risque . Ces programmes permettent aux intéressées
d’être admises en priorité après avoir bénéficié d’un départ dans
les plus brefs délais.
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32. Les personnes identifiées par le HCR comme ayant
besoin d’être réinstallées sont signalées aux Etats d’accueil potentiels,
lesquels examinent chaque cas sur la base d’un dossier (constitué
autour du formulaire de l’organisation intitulé «Resettlement Registration
Form (RRF)» [formulaire d’enregistrement d’un candidat à la réinstallation]»
et de la documentation connexe) ou d’un entretien entre l’intéressé
et des missions de sélection dans
le pays de premier asile.
Même si le traitement des dossiers s’avère moins onéreux, permet d’accélérer
les décisions/départs et constitue une bonne solution pour les réfugiés
avec lesquels il est difficile d’entrer en contact en raison de
l’insécurité régnant dans l’Etat hôte, les Etats d’accueil préfèrent
généralement recourir à des missions de sélection.
33. Dans la plupart des cas, l’OIM organise la logistique du transfert
(autorisations de sortie, préparatifs avant le départ et modalités
de transport, assistance durant le transfert et à l’arrivée, escortes
opérationnelles et médicales, en cas de besoin) vers le pays de
réinstallation et prend les dispositions en vue du départ (y compris
évaluation de l’état de santé et sessions d’information/orientation
destinées à se familiariser avec la culture du pays en question,
en amont du départ), à la demande du pays de destination.
34. Il est indispensable d’instaurer une bonne coordination entre
toutes les parties prenantes pendant l’intégralité du processus.
Les consultations annuelles
tripartites sur la réinstallation (ATCR) et le groupe de travail
sur la réinstallation (WGR) du HCR sont les principaux forums permettant
de faire progresser la question de la réinstallation en présence
de représentants des Etats de réinstallation, du HCR, de l’OIM,
d’organisations internationales et d’ONG.
35. Depuis 2012, des Groupes de Contact/Restreint ont été établis
dans le cadre du processus ATCR/WGR, afin de se concentrer sur une
approche stratégique et collaborative en matière de réinstallation
de personnes dont la situation a été identifiée comme devant faire
l’objet d’un traitement urgent par le HCR (voir le paragraphe 21).
Les groupes de contact se composent généralement de représentants
du HCR, de l’OIM et de pays de réinstallation sélectionnés et sont
présidés par un pays membre. La Suède, par exemple, préside le groupe
de contact pour la réinstallation des Afghans d’Iran ainsi que le
groupe de contact pour les réfugiés syriens, récemment formé.
36. En effet, un groupe restreint sur la réinstallation des réfugiés
syriens – présidé par la Suède – a récemment été mis sur pied le
12 décembre 2013 à Genève. Le HCR coordonne également un groupe
de travail sur la réinstallation composé des pays hôtes limitrophes
de la Syrie ou situés dans la région afin d’échanger les informations
et d’identifier les domaines de coopération en matière de réinstallation
et d’admission de réfugiés syriens pour des raisons humanitaires.
37. Le projet intitulé «Linking-In EU Resettlement» financé par
la Commission européenne et coordonné conjointement par l’OIM, le
HCR et la CICM, favorise grandement la coopération entre tous les
décideurs et les praticiens impliqués dans la réinstallation et
l’intégration dans le cadre du «Réseau européen de réinstallation»
(le plus souvent désigné par son sigle anglais ERN [
European Resettlement Network]).
L’ERN est un réseau complet qui soutient l’expansion de la réinstallation
en Europe en liant les divers acteurs impliqués dans la réinstallation
des réfugiés. Les membres du réseau sont engagés ensemble pour la réinstallation
des réfugiés et la protection des réfugiés, pour permettre de trouver
des solutions durables pour les réfugiés, et pour apporter le soutien
nécessaire en matière d’intégration des réfugiés réinstallés en
Europe et de leur fournir les moyens de devenir des citoyens aptes
à participer à part entière. L’outil central de l’ERN est son site
internet
qui fonctionne telle une plateforme
d’échanges d’information et d’expertise sur les priorités, les processus
et les pratiques en matière de réinstallation. L'ERN gère également
la campagne «La réinstallation sauve des vies» mobilisant ainsi
du soutien pour la réinstallation en Europe et faisant la promotion d’une
Europe prête à réinstaller 20 000 réfugiés chaque année d'ici 2020.
38. Comme un expert l’a déclaré lors de l’audition organisée par
la commission des migrations, la coordination au niveau domestique
dans les pays de réinstallation est indispensable pour parvenir
à accueillir et intégrer les réfugiés
. Compte tenu de l’importance cruciale
de la collaboration au niveau local, le projet «SHARE» fut initié
en mars 2012. Ce projet tend à créer un réseau comprenant des autorités
régionales et locales (villes, municipalités, régions), ainsi que
des partenaires issus de la société civile, et ayant vocation à favoriser
la coopération en matière de réinstallation, de protection et d’intégration.
Coordonné par la CICM, en partenariat avec le HCR, la Ville de Sheffield
et d’autres acteurs, SHARE est cofinancé par la Commission européenne
dans le cadre du projet ERN plus large. Ce forum permet d’installer
un dialogue durable, de renforcer les moyens d’action et de partager
les meilleures pratiques en matière d’accueil et d’intégration
.
39. En 2013 et tout au long de l’année 2014 également, l’ERN est
entré dans une nouvelle phase de développement grâce à un projet
conjoint de l’OIM, du HCR et de la CICM intitulé «Strengthening
the response to emergency resettlement needs» (renforcement de la
réponse aux besoins de réinstallation d'urgence). Ce projet appuie
l’ERN et, permet ainsi de soutenir la coopération entre les divers
acteurs et de renforcer leurs capacités à accroître et améliorer
l’effort de réinstallation. Il met également l’accent sur la sensibilisation
à la réinstallation d’urgence.
3.2. La pratique dans
les Etats membres du Conseil de l'Europe: l’Europe mauvais élève
de la réinstallation
40. L’Europe a une vraie occasion de renforcer ses efforts
de solidarité et de prendre des mesures en vue d’accroître sa capacité
à accueillir dans la dignité un nombre plus important de réfugiés
réinstallés. En effet, les capacités de réception de l’Europe via
la réinstallation sont loin d’être saturées. Pour prendre l’exemple
de la Suisse, je suis convaincu – après en avoir discuté avec les
autorités, la société civile et les organisations internationales –
que ce pays pourrait accueillir davantage de candidats à la réinstallation.
41. Sur les 27 pays ayant participé à des programmes de réinstallation
de réfugiés en 2013,20 sont situés en Europe. Bien que les Etats
européens constituent près des deux tiers des pays disposés à accueillir
des réfugiés désireux de se réinstaller chaque année, les Etats
concernés ne fournissent que 5 500 places sur les quelque 80 000
disponibles dans le monde entier en 2013. A eux seuls, les Etats-Unis
fournissent les deux tiers des places de réinstallation dans le
monde chaque année.
42. Néanmoins, les choses évoluent dans le bon sens, puisque ces
quinze dernières années de nouveaux pays européens ont élaboré des
programmes de réinstallation alors que d’autres se sont montrés
disposés à accueillir des demandes de réinstallation du HCR. Certains
Etats ont mis au point des programmes de réinstallation, tandis
que d’autres proposent des places sur une base ad hoc ou dans le
cadre de programmes spécialisés
. Certains pays, comme
la Hongrie, la Roumanie et l’Espagne se sont dotés récemment d’un cadre
juridique permettant la réinstallation. Plusieurs autres pays ont
également répondu favorablement à des demandes de réinstallation
d’urgence et d’extrême urgence du HCR. Mais les chiffres restent
modestes et une marge de progression non négligeable existe.
43. Au titre des évolutions positives, on note la mise en place
en 2013 par l’Union européenne d’un Programme Commun de Réinstallation
qui encourage financièrement les Etats membres à accueillir des réfugiés.
Sous réserve d’adoption, le Fonds en matière d'asile, de migration
et d’intégration (AMIF) mettra en œuvre de nouvelles dispositions
pour un Programme de Réinstallation Européen qui continuera d’inciter financièrement
les Etats membres à réinstaller des réfugiés en 2014-2020
.
44. Plus récemment, le Conseil européen a pu souligner dans ses
Conclusions des 19/20 décembre 2013
«l'importance qu'il attache à la
réinstallation des personnes ayant besoin d'une protection et à
la contribution aux efforts déployés au niveau mondial dans ce domaine».
Cela faisait suite à la communication de la Commission au Parlement
européen et au Conseil sur les travaux de la «Task Force Méditerranée»
du 4 décembre 2013
qui ont identifié l’utilisation de
la réinstallation comme une action prioritaire afin de trouver des
solutions durables pour ceux qui tentent d’accéder à l’asile en
Europe en traversant la Méditerranée.
4. La relocalisation:
un outil au sein de l’Union européenne
45. Le Pacte européen sur l’immigration et l’asile de
2008 dispose que «[p]our les Etats membres dont le régime d’asile
national est soumis à des pressions spécifiques et disproportionnées,
dues en particulier à leur situation géographique ou démographique,
la solidarité doit également viser à favoriser, sur une base volontaire
et coordonnée, une meilleure répartition des bénéficiaires d’une
protection internationale de ces Etats membres vers d’autres, tout
en veillant à ce que les systèmes d’asile ne fassent pas l’objet
d’abus. Conformément à ces principes, la Commission, en consultation
avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés le
cas échéant, facilitera une telle répartition volontaire et coordonnée.
Des crédits spécifiques devraient être mis à disposition pour cette
répartition, au titre des instruments financiers communautaires
existants, conformément aux procédures budgétaires»
.
46. En 2009, un projet pilote (EUREMA) visant à aider Malte – confrontée
à une pression migratoire disproportionnée en raison de sa situation
géographique – a été lancé par l’Union européenne et mis en œuvre – en
étroite collaboration avec les autorités maltaises – par l’OIM.
De 2002 à 2011, 12 874 demandes d’asile ont été déposées à Malte.
Parmi celles-ci, 346 personnes ont obtenu le statut de réfugiés,
une protection subsidiaire a été accordée à 6 655 personnes et 5 290
ont été déboutées. Jusqu’en octobre 2013, 2 026 demandes d’asile
avaient été déposées à Malte
.
47. Des relocalisations ont été opérées dans le cadre des phases I
et II du projet EUREMA avec la participation de 12 Etats membres,
ainsi que dans le cadre d’accords bilatéraux passés entre Malte
et certains autres Etats membres (huit en tout)
. En 2011, 227 personnes ont été
relocalisées dans le cadre du projet EUREMA et, selon un rapport
publié par le Bureau européen d'appui en matière d’asile (EASO)
, 356 places ont
été promises en 2012 (y compris
dans
le cadre d’accords bilatéraux). Selon le HCR, 350 bénéficiaires d’une
protection internationale à Malte ont été réinstallés/relocalisés
dans un autre pays en 2013 (situation au 20 novembre 2013), alors
que le chiffre total de réfugiés ayant quitté ce pays dans le cadre
d’un arrangement de ce type depuis 2005 s’élève à 2 052
.
48. EUREMA est un exemple concret de solidarité pratique. Même
si les autorités maltaises nourrissaient des espoirs plus grands,
il faut tout de même saluer l’effort de partage des responsabilités
consenti par les Etats d’accueil. Il faut cependant reconnaître
aussi que les Etats-Unis ont réinstallé 1 118 bénéficiaires d’une protection
internationale depuis Malte entre 2007 et 2012
.
49. Bien qu’il ne puisse pas remplacer les programmes de réinstallation,
ce projet pilote de relocalisation constitue un exemple embryonnaire
de solidarité européenne. Il est le résultat d’une volonté politique
qui pourrait inspirer d’autres initiatives.
5. Quels sont les
obstacles à la réinstallation et à la relocalisation?
5.1. Réticence des Etats
50. Dans les années 1970 et 1980, un programme à grande
échelle avait été appliqué pour réinstaller des dizaines de milliers
de «boat people» fuyant le Vietnam, mais la désillusion fut grande
lorsque le nombre de personnes dans les camps de réfugiés grimpa
de 31 694 à 65 349 entre 1986 et 1989 (alors que la situation au
Vietnam ne s’était pas sensiblement détériorée au cours de la même
période). Il ne s’agissait alors plus uniquement de réfugiés, mais
aussi d’un nombre croissant de migrants économiques. Les Etats,
y voyant une forme cachée de programme de migration, se désengagèrent
du processus et la réinstallation fut marginalisée.
51. Il ne faut pas nier le risque de créer un facteur d’attraction
et, même si le HCR prend toutes les précautions nécessaires pour
l’éviter, cette hypothèse préoccupe légitimement les Etats.
52. Le facteur d’attraction a également pu être observé dans le
cas récent des réfugiés fuyant la Libye pour les camps de Choucha
(Tunisie) et Salloum (Egypte). Le nombre de réfugiés ayant gagné
ces deux pays – en pleine transition politique eux-mêmes à l’époque –
atteignit un tel niveau que, entre mars et décembre 2011, le HCR
déposa systématiquement des demandes de réinstallation éventuelle
en faveur des résidents de Choucha et Salloum. Un total de 3 500
réfugiés purent ainsi bénéficier d’une réinstallation en 2013 pour
la seule Tunisie. Le succès de ce programme finit cependant par
attirer davantage de réfugiés et de migrants, ce qui obligea le
HCR à imposer une date limite pour la soumission automatique des
dossiers de réinstallation, de manière à éviter tout effet d’incitation
supplémentaire.
53. En ce qui concerne le Vietnam, l’introduction d’un processus
de tri afin d’identifier et de réinstaller uniquement les personnes
ayant des besoins en matière de protection internationale finit
par dissuader les nouveaux candidats, de sorte que le nombre des
nouvelles arrivées se tarit ensuite rapidement.
54. Afin d’éviter de créer des facteurs d’incitation et d’influencer
indûment les flux migratoires, le HCR privilégie, autant que possible,
une approche régionale
en
matière de réinstallation, de manière à dissuader les mouvements
secondaires. Par exemple, la réinstallation d’Irakiens et de Syriens
à partir du MOAN dans son ensemble contribue à dissuader les réfugiés
de courir des risques en passant d’un pays de la région à l’autre
dans l’espoir d’une réinstallation.
5.2. Questions de sécurité
et risque de fraude
55. La réinstallation peut attiser les convoitises et
il est primordial de lutter contre la fraude et la corruption dans
le processus. Comme indiqué dans le Manuel de réinstallation du
HCR, la fraude peut avoir lieu pratiquement à tous les stades du
processus (notamment au moment de l’enregistrement, de la détermination du
statut de réfugié et pendant les évaluations en vue de solutions
durables).
56. La fraude peut consister en de fausses déclarations, une fraude
à l’identité, ou encore une fraude à la composition familiale (en
invoquant une situation familiale plus favorable à la réinstallation),
la falsification de documents, une exploitation, etc. Il est évident
que de telles pratiques, si elles ne sont pas détectées, si elles sont
tolérées (par exemple, encouragées par des agents corrompus) ou
non sanctionnées, nuisent à la réinstallation dans son ensemble
en jetant le discrédit sur son principe même. Pour garantir la crédibilité
du système, le HCR a élaboré en 2004 un plan d’action antifraude
à la réinstallation.
57. Des mesures antifraude sont désormais incluses dans les procédures
standards régissant l’ensemble des opérations de réinstallation.
Ces garanties réduisent le risque, défendent les réfugiés contre
la victimisation, protègent le personnel innocent contre les fausses
allégations et contribuent à la crédibilité et l’efficacité globales
des activités de réinstallation déployées par le HCR.
5.3. Capacités logistiques
limitées
58. Il est évident que la priorité est de disposer de
suffisamment de places disponibles pour les cas nécessitant une
réinstallation. Mais pour que la réinstallation soit un instrument
efficace, il faut aussi que la logistique suive. Les procédures
et les critères fixés par les Etats d’accueil devraient
par conséquent être suffisamment simples pour ne pas retarder le
processus de réinstallation concernant les personnes ayant un besoin
urgent de protection et de solutions.
59. La rapidité de la réaction peut revêtir une importance capitale
comme on peut le voir aujourd’hui avec les réfugiés syriens. A cet
égard, le groupe restreint pour la réinstallation des réfugiés syriens
– composé des Etats d’accueil et présidé par la Suède – a été constitué
afin d’examiner les stratégies visant à accroître le nombre d’engagements
et à accélérer le processus. Ce travail répond à un véritable besoin
de rationaliser et de simplifier les procédures, et vient en temps
utile dans la mesure où la réinstallation doit être intégrer à la l’intervention
d’urgence au sens large.
60. Comme indiqué précédemment, le projet «Strengthening the response
to emergency resettlement needs» (renforcement de la réponse aux
besoins de réinstallation d'urgence), qui continue de soutenir les travaux
du Réseau européen de réinstallation, contribue également au besoin
des Etats de mieux répondre aux situations d’urgence telles que
la crise des réfugiés syriens et vise à améliorer le temps de réaction.
5.4. Critères restrictifs
définis par les Etats
61. Certains Etats d’accueil ont adopté des critères
restrictifs applicables en cas d’examen d’une demande de réinstallation.
Par exemple, une partie d’entre eux sélectionne les réfugiés sur
la base du critère dit «du potentiel d’intégration». Dans ce cas,
les Etats ne sélectionne pas des personnes souffrant de troubles mentaux
ou ayant le Sida ou des antécédents de dépendance à la drogue, des
illettrés ou des personnes âgées, ou encore des réfugiés de certaines
nationalités. Cette attitude limite indéniablement l’accès à la réinstallation,
notamment pour les réfugiés les plus vulnérables.
62. Compte tenu du caractère souvent urgent des situations ainsi
que de la procédure compliquée de préparation et de traitement des
dossiers des candidats à la réinstallation, il est important pour
les Etats de faire preuve d’une approche inclusive et souple et
de se rappeler que le besoin de protection et une attention particulière
à la vulnérabilité sont les critères essentiels pour décider d’une
réinstallation ou d’une relocalisation.
63. Selon le HCR, la réinstallation se fonde sur une approche
humanitaire et les Etats devraient s’abstenir de limiter le taux
d’acceptation de réfugiés ayant des «besoins pressants» et de se
concentrer uniquement sur ceux possédant un «potentiel d’intégration»
avant toute considération des besoins de protection.
5.5. Capacité d’intégration
64. Les Etats d’accueil attachent une importance considérable
à la capacité d’intégration des personnes réinstallées. Pour reprendre
les propos récurrents du Directeur Général de l’OIM, la réinstallation
comporte la responsabilité d’assurer un meilleur avenir aux réfugiés
ainsi que l’espoir d’atteindre leurs pleins potentiels. Il va de
soi qu’une réinstallation ne peut être considérée comme entièrement
réussie si elle ne s’accompagne pas d’une intégration réussie dans
la nouvelle société d’accueil. Les premiers mois et les premiers
jours de la vie d’un réfugié réinstallé dans son nouveau pays peuvent
être déterminants pour le succès de leur intégration.
65. Toutefois, toute intégration réussie suppose un processus
bidirectionnel. Les réfugiés sont plus à même de s’intégrer dès
lors que les Etats d’accueil mettent en place des mesures garantissant
un soutien suffisant à leur effort d’intégration. Pour faciliter
cette intégration, le HCR a lancé des programmes de réinstallation durable
(dénommés «The Integration of Resettled Refugees: Essentials for
Establishing a Resettlement Programme and Fundamentals for Sustainable
Resettlement Programmes» [L’intégration des réfugiés réinstallés:
Principes essentiels pour l’élaboration d’un programme de réinstallation
et fondements pour la mise en œuvre de programmes de réinstallation
durables]
) à l’occasion des Consultations
annuelles tripartites 2013 sur la réinstallation.
66. En vue de faciliter leur intégration dans leur nouveau pays
d’accueil, les personnes réinstallées bénéficient d’une formation
préparatoire d’orientation culturelle au départ, dispensée par les
autorités nationales, souvent avec la coopération de l’OIM et de
la CICM. Les formateurs sont généralement biculturels et partagent
une connaissance linguistique et/ou culturelle des pays d’origine
des réfugiés et de la société d’accueil. Le contenu de l’orientation
varie, selon les réalités de la réinstallation dans le pays de destination, mais
comporte le plus souvent des informations générales sur le voyage,
sur le nouveau pays d’accueil (système juridique, participation
civique) et sur les principaux défis inhérents à l’intégration (attitudes
et valeurs), ainsi que des cours de conversation usuelle. En outre,
des efforts sont déployés afin de modérer les attentes des réfugiés
concernés. L’importance consacrée à cette tâche dépend du délai
séparant l’acceptation d’un dossier du départ du réfugié réinstallé
(lequel peut être de plusieurs mois)
.
67. L’on trouve également au sein des Etats membres des exemples
de bonnes pratiques en matière de programmes d’orientation culturelle.
La Norvège
, par exemple, a utilisé uniquement
depuis 2003 des formateurs biculturels ou multiculturels pour réaliser
ces programmes. D’autres pays comme les Pays-Bas ont élaboré un
matériel didactique et des programmes officiels d’orientation culturelle
.
5.6. Capacité à coordonner
et à informer
68. Une bonne coordination et une bonne information des
autorités nationales responsables permettent d’intégrer avec succès
les réfugiés réinstallés.
69. La décision d’accepter les demandes de réinstallation se prend
au niveau national en coordination avec les organisations internationales.
Pourtant, nombreux sont les autres acteurs qui peuvent contribuer
au succès des programmes de réinstallation, principalement sous
l’angle de la réception et de l’intégration des réfugiés. Il arrive
trop souvent que la société civile, les collectivités locales et
les médias soient tenus à l’écart ou non informés du processus et
de la prise de décision ou bien que la communication se limite au
minimum. Par contre, dès lors que l’on fait participer toutes les
parties prenantes, il est possible de faire naître un sentiment d’appropriation
du programme et de développer de nouveaux liens de nature à optimiser
le processus (par exemple entre les services médicaux, les établissements
scolaires et les collectivités locales).
70. La société civile et les collectivités locales ont la capacité
d’accueillir et d’accompagner les réfugiés réinstallés en leur proposant
des cours de langue, des services médicaux, une aide sociale, un
logement, des formations académique et professionnelle, etc. La
société civile dispose de l’expérience et du savoir requis pour
trouver des solutions innovantes afin de créer un environnement
positif et bienveillant pour le plus grand profit des collectivités
locales, cela en complémentarité avec leurs efforts. Encore faut-il
qu’un dialogue soit instauré.
71. Les budgets convenus doivent être versés aux collectivités
locales avec des consignes concernant leur utilisation adéquate.
La mise en place d’un système transparent et contrôlé encourage
les dirigeants politiques, l’administration et les habitants à considérer
la réinstallation comme un outil valable de solidarité, tout en incitant
le grand public à soutenir en toute connaissance de cause le respect
des engagements souscrits au niveau national. Elle contribue également
à éviter les sentiments d’animosité et de crainte infondée au sein
de la population locale.
72. Les organisations internationales comme l’OIM, le HCR et les
ONGs internationales comme la CICM continuent par le biais de la
création et la coordination de l’ERN et le Projet SHARE de soutenir
des programmes nationaux en favorisant la sensibilisation à la réinstallation
et le partage des meilleures pratiques.
73. L’indépendance et l’autonomisation des réfugiés réinstallés
ne peuvent être obtenues qu’au prix d’un dialogue de ce type et
du soutien apporté par l’ensemble des parties prenantes.
6. Situations de crise
et recours à des mesures renforcées et temporaires
74. Alors que le HCR met l’accent sur une planification
anticipée en vue d’évaluer les besoins en réinstallation de façon
exhaustive, les crises resteront toujours des inconnues dans l’équation.
Le HCR est fréquemment confronté à cette réalité et, par conséquent,
doit envisager l’éventualité d’une réinstallation améliorée ou urgente,
ainsi que d’autres mesures pouvant conférer une protection plus
immédiate aux personnes les plus vulnérables en cas de déplacement
forcé à grande échelle.
75. Face à ces défis, il est indispensable de déployer sans délai
davantage d’efforts pour trouver des méthodes innovantes permettant
de mieux répondre aux urgences – y compris une réinstallation améliorée
ou de groupe, l’admission pour des motifs humanitaires et le regroupement
familial ou l’admission de parents proches –, ainsi que de recourir
à des installations de transit d’urgence, à la vidéoconférence pour
interroger les candidats et des mécanismes de transfert (au sein
du pays de premier accueil ou d’un pays tiers), de manière à permettre
aux pays de réinstallation de pouvoir entrer en contact avec les
réfugiés situés dans des zones où règne l’insécurité.
76. Le HCR et l’OIM ont signé des accords tripartites avec les
Gouvernements de Roumanie (2008) et de Slovaquie (2009) afin d’établir
des centres de transit d’urgence (CTU). Ces installations permettent
d’évacuer les réfugiés vers des zones sûres le temps que leur cas
soit examiné en vue d’une réinstallation dans un autre pays, notamment
lorsque ce dernier a du mal à entrer en contact avec les intéressés
pour des raisons de sécurité ou autres.
77. Le CTU de Roumanie (Timisoara) peut accueillir 200 réfugiés
et celui de Slovaquie (Humenné) 150. La durée moyenne du séjour
dans ces centres est de six mois. En 2012, les deux CTU ont facilité
l’évacuation de 150 et 168 réfugiés, respectivement, vers un pays
tiers et ont été utilisés à cette fin par les Pays-Bas, la Suède, la
Finlande, l’Allemagne et le Royaume-Uni.
78. Ne serait-il pas possible d’envisager le recours à diverses
mesures afin de réinstaller les réfugiés syriens en situation de
risque dans des pays tiers sûrs ou bien de lancer une opération
de réinstallation à grande échelle sur la base d’une procédure simplifiée?
Il existe en effet un précédent: pendant la guerre dans l’ex-Yougoslavie,
des pays européens avaient accepté la réinstallation de réfugiés
(même si c’était sur la base d’une protection provisoire).
79. Dans la mesure où les pays voisins de la Syrie accueillent
déjà plus de 2 millions de réfugiés syriens, le HCR s’est déjà fixé
comme objectif d’obtenir pour 30 000 Syriens une réinstallation
ou bien une admission pour des raisons humanitaires ou d’autres
motifs (comme le regroupement familial) d’ici la fin 2014, en tant qu’expression
de solidarité avec ces pays d’accueil. Une telle initiative, dès
lors qu’elle viendrait s’ajouter aux quotas actuels de réinstallation
acceptés par les Etats, permettrait de conserver aux personnes vulnérables d’autres
régions du monde une chance de réinstallation.
80. Le HCR a également indiqué que, à ce jour, le total des engagements
officiels et officieux se situe autour de 18 879 places et concerne
20 pays pour 2013/2014. Parmi les Etats concernés, les pays européens constituent
une majorité sans précédent
. Le HCR a déclaré qu'il reste confiant
que l'objectif de 30 000 places sera atteint à la fin de l'année
grâce un nombre important de candidatures aux Etats-Unis.
81. Il convient de relever que l’Allemagne a proposé d’accueillir
10 000 réfugiés syriens dans le cadre d’un programme d’admission
humanitaire provisoire. Parmi les autres pays ayant souscrit des
engagements, on peut noter la Suède (1 200 réfugiés) et la Norvège
(1 000 réfugiés), ainsi que l’Autriche et la France (500 réfugiés
chacun). Il est capital que les Etats européens continuent à promouvoir
ces actions et envisagent même de souscrire des engagements supplémentaires
concernant l’acceptation de réfugiés syriens sur une base pluriannuelle,
dans le cadre des objectifs du HCR d’assurer des places de réinstallation
ou d’autres formes de programmes pour 100 000 réfugiés syriens supplémentaires
pour la période 2015-2016.
82. Parmi les autres solutions innovantes envisageables pour répondre
aux besoins humanitaires urgents créés par la crise syrienne, on
peut citer le regroupement familial et notamment l’accueil de parents
proches non-éligibles dans les programmes traditionnels de regroupement
familial. Quinze Etats fédéraux en Allemagne ont, par exemple, mis
en place leurs propres programmes d’accueil des nationaux syriens
ayant de la famille en Allemagne. La Suisse a également récemment
permis l’octroi de visas temporaires pour permettre aux Syriens
de retrouver leurs familles. Je regrette que ce programme ait été
malheureusement de court terme (septembre à novembre 2013)
.
83. En parallèle à son programme régulier de réinstallation qui
accepte d’accueillir près de 750 réfugiés par année, le Royaume-Uni
a créé, en étroite consultation avec le HCR, un programme de réinstallation
pour les personnes vulnérables consacré aux réfugiés syriens
.
7. Conclusions
et voie à suivre pour renforcer l’effort de solidarité
84. La réinstallation et la relocalisation ne devraient
jamais être perçues comme des outils de gestion des migrations.
Il s’agit de mesures humanitaires dont le but principal est d’améliorer
durablement la protection des réfugiés. Les candidats à la réinstallation
sont des personnes relevant du mandat du HCR et remplissant un ou
plusieurs des critères fixés par cette organisation.
85. Tant au niveau mondial qu’au sein de l’Union européenne, la
participation des Etats à des programmes de réinstallation ou de
relocalisation apporte un important soutien aux pays de premier
asile et transmet le message qu’ils ne sont pas abandonnés face
à la responsabilité de protéger les réfugiés. Ce message est également
de nature à inciter lesdits pays à maintenir une politique ouverte d’admissions
et d’éviter le risque de renvois arbitraires.
86. Si les Etats européens renforçaient leur engagement en matière
de réinstallation, ils pourraient contribuer sensiblement à améliorer
la protection internationale et la solidarité à l’égard des pays
abritant la grande majorité (80 %) des réfugiés dans le monde.
87. Comme je l’ai souligné, sur les quelque 80 000 places de réinstallation
proposées en moyenne chaque année, un peu plus de 5 500 seulement
correspondent à des engagements de pays
européens. Le reste, pour l’essentiel, est couvert par les Etats-Unis,
le Canada et l’Australie. Les capacités d’accueil européennes doivent
être renforcées afin de pouvoir absorber un nombre accru de réfugiés.
88. Des évolutions encourageantes peuvent être observées. De plus
en plus de pays européens ont pris l’engagement d’offrir quelques
places de réinstallation chaque année et le programme pilote de
relocalisation de l’Union européenne – tout comme son programme
commun de réinstallation – est un pas (certes un peu timide) dans
la bonne direction.
89. La crise syrienne constitue une occasion et impose le devoir
à l’Europe de dépasser les discours et de faire preuve de solidarité
en pratique. Les outils et les mécanismes existent, utilisons-les!
Je demande instamment à tous les Etats européens individuellement
d’accorder des places – dans le cadre d’un programme de réinstallation
ou d’admission pour des raisons humanitaires – aux réfugiés syriens
et d’envisager ensemble des mesures à effet immédiat qui permettraient
à un plus grand nombre de ces réfugiés d’obtenir une protection
en Europe.