1. Origine et
objectif du rapport
1. Le 5 octobre 2012, l’Assemblée parlementaire a saisi
notre commission, pour rapport, de la proposition de résolution
(
Doc. 13016) que j’ai présentée avec 19 autres membres de l’Assemblée
le 13 septembre 2012. La commission m’a nommé rapporteur le 18 décembre
2012.
2. Le 12 mars 2013, à Paris, la commission a tenu un échange
de vues avec M. Chris Torch, associé principal d’Intercult, Stockholm,
Mme Anne-Marie Autissier, Institut d’Etudes européennes de l’Université
de Paris VIII, et M. Philippe Cantraine, conseiller chargé de l’éducation,
de la jeunesse et du sport pour l’Organisation internationale de
la Francophonie (OIF), Paris. Le 26 juin 2013, à Strasbourg, la
commission a procédé à un échange de vues avec Mme Snežana Samardžić-Marković,
Directrice générale, Direction générale de la Démocratie (DGII)
du Conseil de l’Europe, et Mme Maria Paschou, Présidente du Conseil consultatif
sur la jeunesse. De concert avec le Parlement portugais et le Centre
européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre
Nord-Sud) du Conseil de l’Europe, la commission a organisé le 25
octobre 2013 à Lisbonne une audition, à laquelle ont participé M.
Jorge Sampaio, ancien Président de la République portugaise et ancien
haut représentant des Nations Unies pour l’Alliance des civilisations,
M. Jorge Barreto Xavier, Secrétaire d’Etat à la Culture, Portugal,
Mme Rosário Farmhouse, Haut-commissaire à l’immigration et au dialogue
interculturel (ACIDI), et plusieurs autres experts
.
3. Par ailleurs, je tiens à remercier tout particulièrement le
professeur Andreas Wiesand, Directeur exécutif de l’Institut européen
de recherche comparative sur la culture (ERICarts), Allemagne, ainsi
que M. Torch, de leur aide et de leurs compétences précieuses dans
l’élaboration de ce rapport. Je souhaite également remercier Mme
Samardžić-Marković et ses collaborateurs pour m’avoir aidé à recueillir
des informations sur les initiatives intergouvernementales pertinentes
du Conseil de l’Europe (voir document d’information AS/Cult/Inf
(2013) 08), dont j’encourage la promotion dans le projet de recommandation.
4. Conformément à la proposition, le présent rapport s’appuie
sur les observations suivantes: la volonté de préserver les identités
culturelles semble prendre de l’ampleur, ce qui a des conséquences
tant dans les discours politiques que dans les politiques nationales.
Reste que cette tendance peut renforcer les stéréotypes et, ce faisant,
conduire à l’isolement ou au rejet des communautés. Nos sociétés
constatent aussi l’apparition d’identités plurielles ou «composites»,
notamment parmi les jeunes générations. La jeunesse est plus facilement
exposée à l’influence de diverses matrices culturelles, souvent
du fait de références culturelles et sociales plus complexes au
sein de familles mixtes et à l’école.
5. Mon rapport vise à analyser cette évolution sociétale et les
ajustements qui pourraient être nécessaires dans la conception des
politiques culturelles et éducatives, de jeunesse et de cohésion
sociale, en contribuant ainsi à l’action menée par le Conseil de
l’Europe dans le domaine du «vivre ensemble». Je souhaite souligner que
mon rapport n’est pas axé sur l’intégration des migrants ou le droit
des minorités, mais sur chacun d’entre nous en tant que «personnes
interculturelles» vivant dans un monde globalisé, cernées par des
références culturelles multiples.
2. Diversité,
interactions et identités culturelles en Europe
6. Cultiver la diversité et des identités avec de multiples
appartenances culturelles est une tâche passionnante mais difficile
et complexe: elle implique de prendre en considération des «perceptions
du monde» individuelles et sociétales dictées par des concepts,
idées, valeurs, convictions et émotions qui déterminent ensemble
la manière dont nous allons à la rencontre de l’autre. C’est pourquoi
ce processus touche à de nombreux points sensibles dans nos sociétés
contemporaines et rompt résolument avec l’idée globale d’Etat-nation
doté d’une «identité collective» commune fondée sur une seule langue,
une seule culture et une seule histoire.
7. Par le passé en Europe, les gouvernements et les sociétés
ont eu à traiter un vaste éventail de questions généralement regroupées
sous le terme «questions relatives aux minorités». De différentes
manières et à plus ou moins long terme, ils ont dû répondre aux
besoins et aux demandes de leurs minorités (locales ou immigrées,
selon le cas), ainsi qu’à négocier la relation entre populations
majoritaires et populations minoritaires.
8. Aujourd’hui, le concept de diversité culturelle gagne du terrain
et il est fortement associé à la protection des droits de l’homme
et des droits culturels des minorités ethniques, des communautés
immigrées possédant une culture distincte ou des groupes spécifiques
ayant besoin de protection (groupes religieux, etc.). Dans bon nombre
de pays, outre qu’il s’agisse d’un changement d’attitude positif
vis-à-vis de la présence et de l’importance des cultures minoritaires
et immigrées en Europe, cela représente un changement radical par rapport
aux politiques d’assimilation revendiquant une culture «homogène»
de la majorité.
9. A l’heure actuelle, la plupart des initiatives locales, nationales
et transnationales s’inscrivent dans l’esprit de «multiculturalisme»:
elles célèbrent une diversité ethnique, culturelle et religieuse
parmi les communautés minoritaires à qui elles apportent reconnaissance,
visibilité et ressources. Reste que la division entre «nous» et
«eux» persiste. Nonobstant sa valeur pour la reconnaissance des
droits des minorités et des cultures, le multiculturalisme n’a pu
devenir un objectif social ou culturel commun pour la majorité des
citoyens. Au contraire, en raison du manque d’interactions et de
l’absence d’une compréhension et d’une acceptation mutuelles approfondies
entre individus et/ou communautés, il a conduit à un plus grand
isolement culturel des communautés minoritaires et provoqué de nouveaux
conflits.
10. Le tableau 2 en annexe résume quatre différents «modèles»
de gestion de la diversité culturelle qui ont été utilisés dans
le passé et/ou sont encore appliqués en Europe. Les résultats de
ces politiques peuvent aller de l’exclusion à l’assimilation et
de la ségrégation à l’intégration d’une population minoritaire et
sont déterminés par deux facteurs: la capacité de cette minorité
à conserver sa culture d’origine et sa capacité à absorber la culture
de la majorité. Je souhaite souligner ici que, bien que ces modèles
décrivent différentes réalités politiques en Europe, ils ne semblent
plus offrir de réponse adéquate aux défis contemporains posés par
les identités «composites» de la deuxième ou de la troisième génération
de jeunes gens qui n’entrent ni dans la catégorie prédéterminée
d’une «minorité» ni dans celle d’une «majorité».
11. De fait, ce qui pouvait passer auparavant pour des réalités
simples – l’idée d’un Etat-nation avec une seule langue, une seule
culture et une seule histoire partagée par tous les citoyens – ne
peut plus être vrai aujourd’hui. La diversité culturelle devient
un état de fait inhérent à la société humaine en raison non seulement de
la migration transfrontalière et de la revendication par des minorités
nationales ou autres d’une identité culturelle propre, mais aussi
et, d’une manière plus significative, en raison de la dimension
culturelle de la mondialisation et de l’interdépendance croissante
de toutes les régions du monde, ainsi que de l’utilisation répandue
des nouvelles technologies et des nouveaux médias qui nous facilitent
l’accès à l’information et aux plates-formes de communication. Par
exemple, la musique, les arts et les événements culturels, ainsi
que diverses expériences culinaires, représentent clairement des
expériences interculturelles et sont de plus en plus accessibles
à tous. Grâce à ce processus créatif – l’apprentissage mutuel –
nous changeons et nous ouvrons pour devenir progressivement des
«personnes interculturelles».
12. De surcroît, les relations avec des personnes d’origines culturelles
différentes sont devenues pour une majorité de gens une expérience
courante, notamment en milieu urbain (à l’école, sur le lieu de
travail, dans les espaces publics, les clubs de sport, les associations,
les galeries commerciales, les cafés et les discothèques, les musées
ou les bibliothèques). De plus en plus de personnes, en particulier
parmi les jeunes générations, vivent dans une normalité «multiculturelle»
et ont plusieurs appartenances culturelles à exploiter, mais aussi
à gérer, au quotidien. Certains vivent dans des familles mixtes
et d’autres explorent le monde à la recherche d’un emploi ou d’autres
possibilités d’études.
13. La notion d’identité ne peut donc être «fixe» et réduite à
une «identité collective», à l’appartenance à un groupe ethnique
ou religieux distinct. Chacun de nous possède une citoyenneté nationale
et une origine ethnique et culturelle – certains en ayant d’ailleurs
plusieurs dans les cas de familles mixtes ou de parcours de vie
complexes. De plus, notre identité personnelle reflète ce que nous
sommes en termes de genre, de position au sein d’une famille, de
liens professionnels et sociaux et d’appartenances politiques. Ces
différents aspects de nos identités et de nos rôles sociaux sont
en situation permanente et dynamique de négociation et aucun ne
suffit à définir une personne. Cette matrice de références complexe
peut en effet nous permettre de nous rapprocher positivement les
uns des autres, de surmonter nos préjugés et de créer des liens
et ainsi, de devenir plus «ouverts» à la différence, de mieux la
comprendre et l’apprécier, et de «grandir» et faire évoluer notre
«identité» en permanence.
14. Le glissement général entre homogénéité et diversité qui s’est
produit au cours des dernières décennies est progressivement devenu
une norme sociale dans la plupart des pays d’Europe – en particulier
dans les centres urbains et parmi les jeunes. D’un point de vue
politique, ce processus de transformation individuelle exige au
plus vite une reconnaissance positive d’une nouvelle ère interculturelle
et la conception d’outils et de mécanismes adéquats pour nous aider
à nous adapter à un environnement culturel en constante évolution.
Il requiert une «action positive» de l’Etat, une participation active
de nombreux acteurs et une profonde remise en cause des processus,
mécanismes et relations nécessaires pour assurer un développement
pacifique et démocratique dans nos sociétés de plus en plus diverses
et dynamiques, et en rapide évolution.
3. Faire face aux
obstacles et développer des processus et compétences interculturels
3.1. La peur
15. La peur est l’obstacle majeur aux échanges interculturels.
Elle naît de campagnes populistes et est encore exacerbée par la
profonde crise économique que traverse l’Europe. Ceux qui restent
exclusivement attachés à leur espace culturel de naissance sont
en proie à la peur de l’«autre» qui pénètre dans leur espace. Ils
craignent de perdre leur identité, ils ont peur pour leurs emplois
et leur bien-être, craignent de ne pas pouvoir communiquer. Ils
ont peur que leur espace soit envahi. A cette peur, ils répondent
en fermant leurs portes, en rejetant les nouvelles influences et
en diabolisant les migrants.
16. D’autre part, ceux qui émigrent vers de nouveaux espaces culturels
ont peur de ne pas parvenir à s’y intégrer. Ils craignent de ne
pas être compris, d’être isolés ou marginalisés, voire menacés.
Ils ont peur de perdre leur identité d’origine, leur histoire et
leurs droits. A cette peur, ils répondent en se repliant sur leur groupe
ethnique/multiculturel et en restant confinés dans leurs quartiers.
Ils évitent tout contact avec leurs nouveaux voisins. La réponse
à la peur est la même pour tous ceux qui sont confrontés à un nouvel
espace «partagé». Sans politiques interculturelles efficaces, cette
société émergente, plus diversifiée, continuera d’être perçue davantage
comme une menace que comme une chance à saisir. Nous résistons au
dialogue, nous évitons la communication, nous nous enfermons dans
le passé et nous détournons d’un avenir commun.
17. Selon une enquête Eurobaromètre sur la discrimination au sein
de l’Union européenne réalisée en 2012
, la discrimination basée sur l’appartenance
ethnique est considérée comme la forme de discrimination la plus
répandue, pour un pourcentage moyen de 56 % personnes interrogées.
L’analyse des résultats nationaux révèle cependant de grandes disparités
entre pays: sept personnes interrogées sur dix disent constater
une très large discrimination en France (76 %), à Chypre et en Suède
(75 %), et en Grèce, aux Pays-Bas, au Danemark et en Hongrie (70 %).
A l’autre extrémité de l’échelle, moins d’un tiers des citoyens
vivant en Lituanie (17 %), en Pologne et en Lettonie (dans les deux
cas, 26 %) partagent cet avis. Les résultats de l’enquête peuvent
en partie s’expliquer par de profondes différences historiques et
démographiques entre pays d’Europe, et par des attitudes culturelles
très diverses qui se sont développées en raison de ces différences.
18. Les résultats du référendum récemment organisé en Suisse pour
fixer des limites à l’immigration en provenance de l’Union européenne
sont
un exemple parlant. Ils reflètent au sein de la population suisse
la préoccupation croissante de voir les migrants mettre en péril
la culture alpine distinctive de la nation et contribuer à la hausse
des loyers, à la surpopulation dans les transports et à une augmentation
de la criminalité. Ces résultats obligent le gouvernement à transformer
en loi l’initiative «Stop à l’immigration de masse», conduite par
le parti de droite UDC (Union démocratique du centre), dans les
trois ans à venir.
19. Cet exemple montre que ce sont bien les politiques d’isolationnisme,
tournées vers l’intérieur et conçues pour protéger les régions,
les cultures et les nations, qui constituent la menace la plus sérieuse
pour l’interaction culturelle. De telles idées sont véhiculées par
les populistes qui se servent de la peur pour renforcer leur position.
Il nous faut donc renverser la tendance et créer un climat exempt
de peur, afin de pouvoir cultiver des relations saines entre les
diverses parties qui forment notre communauté. C’est à ce seul prix
que nous pourrons maintenir la stabilité sociale et politique en
Europe.
3.2. Identités
20. Chacun de nous naît avec un lot de conditions et
de capacités qui lui est propre. Nos antécédents ethniques sont
souvent pluriels, nous avons des spécificités physiques mais aussi
des limites. Ce sont là les caractéristiques de base de notre identité
naturelle. Nous pouvons les «valoriser et leur conférer davantage
de visibilité» ou encore les «dissimuler et les homogénéiser».
21. Chacun de nous naît dans un environnement particulier: une
classe sociale ou un clan, et des conditions spécifiques. Ces caractéristiques,
véritables constructions sociales, sont souvent difficiles à dépasser
dès lors que la pauvreté et la marginalisation font partie de cet
environnement. Ces identités imposées tendent à restreindre notre
capacité de déplacement et de réalisation personnelle. Elles enferment
l’individu dans une catégorie prédéfinie, avec un niveau d’accès
prédéfini à l’information et à l’éducation qui peut le contraindre au
chômage et à certains comportements sociaux. Les résultats de la
Campagne européenne de Testing 2013 contre les discriminations raciales,
menée dans cinq pays
, indiquent que
dans 34 % des cas, les Roms, les populations arabes ou noires africaines
vivant en Europe ont été victimes de discrimination et, tout en
ayant des qualifications égales, n’ont pas la même possibilité d'accès
au logement que les membres de la majorité ethnique.
22. Les minorités ethniques, y inclus les populations immigrées,
sont souvent victimes de l’identité qui leur est imposée. La culture
dominante a tendance à vouloir assimiler les minorités pour en faire
des sous-groupes plutôt que d’accepter leur droit à l’autodétermination
et à d’autres formes de droits culturels.
23. Des identités sont également imposées au moyen de récits inventés
ou imaginés. Nous attribuons aux personnes des caractéristiques
qui se fondent sur des images historiques déformées, des mythes
et des fantasmes, en associant par exemple les Roms à la délinquance
et la population musulmane au terrorisme. Ces identités imaginées
enferment souvent les minorités et les nouveaux citoyens dans des
profils qui n’ont rien de naturel ou social, mais qui sont tout
simplement une construction d’image.
24. En la matière, la démagogie est le plus grand danger. Les
dirigeants populistes, aidés des médias, utilisent l’«autre» pour
donner d’eux une image favorable. L’invention d’un ennemi, de quelqu’un
à craindre et contre qui diriger sa colère est un outil politique
souvent usité à l’encontre des minorités ethniques et culturelles et
de tous les groupes dont les modes de vie où les intérêts ne sont
pas conventionnels (homosexuels, membres de sous-cultures de jeunes,
etc.).
25. C’est pourquoi le principe de base à appliquer est de garantir
le droit à l’autodétermination, qui permet d’affirmer: «Je suis
celui que je dis être.» Ce principe permet une plus grande souplesse
dans la définition identitaire, une mobilité entre différentes identités,
l’évolution permanente de l’identité et sa réinvention. Un «migrant»
qui décide de devenir un «citoyen» de son nouveau pays doit s’adapter,
du moins dans une certaine mesure, à sa nouvelle situation; il doit
toutefois avoir la possibilité de choisir librement les meilleures opportunités
en matière de culture, tant en fonction de son bagage que de la
richesse des occasions nouvelles qui se présentent.
26. La montée alarmante de partis politiques xénophobes et antidémocratiques
dans des pays européens pourtant inscrits dans une longue tradition
de tolérance souligne la nécessité de mesures politiques immédiates.
Au Danemark, en Norvège, en Autriche, en Hongrie, en Finlande, en
Belgique, en France, en Grèce et dans d’autres Etats, certains citoyens
sont aveuglés par la haine et séduits par le vote pour des mouvements
extrémistes. Parallèlement, des réactions de colère de personnes
ou de communautés marginalisées, comme les émeutes dont nous avons
été témoins ces dernières années dans les banlieues de Stockholm,
Paris, Marseille, Bradford et Londres, ouvrent la voie à l’expression
de conflits, de frustrations et de troubles sociaux.
3.3. Mesures proposées
27. Des analyses approfondies, ainsi que des évolutions
et innovations en matière de politique sont indispensables pour
garantir l’égalité des droits et créer un climat exempt de toute
peur, afin de pouvoir cultiver des relations saines entre les diverses
composantes de notre société.
28. La première étape doit consister à respecter l’égalité des
droits et, notamment, à harmoniser la législation relative aux droits
civils pour l’ensemble des citoyens, quelles que soient leurs origines
ethniques ou culturelles. Nous devons également garantir l’égalité
d’accès à l’éducation, à la culture et aux expressions culturelles.
Dans ce cadre, la création de conditions propices à une interaction
positive et créative qui évite la ségrégation serait une mesure
à la fois essentielle et conforme à la Convention de l’UNESCO sur
la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles,
qui garantit le droit de tout un chacun à «l’autodétermination»
quant à son appartenance «culturelle».
29. L’interculture est une transformation mutuelle. Elle permet
et encourage le changement constant et la souplesse. Nous pouvons
devenir qui nous souhaitons, renoncer à certaines caractéristiques
pour en adopter de nouvelles. Nous sommes dans un état de transformation
permanente où rien n’est définitif. Il nous faut donc imaginer des
politiques qui laissent aux individus et aux groupes une grande
liberté de se réinventer, de relever des défis et d’éliminer les
habitudes culturelles qui n’ont plus leur utilité dans le nouveau
contexte qu’ils intègrent et envisager de nouvelles notions de la
«citoyenneté» basées sur le lieu de résidence, la participation et
les valeurs communes, et non plus sur l’origine ethnique ou les
exigences linguistiques. Il faudra en outre créer un climat favorisant
durablement le dialogue et la compréhension grâce à l’instauration
de rapports de forces plus égalitaires, de processus de communication
interactive et de conditions propices à l’émancipation par le développement
de la confiance en soi, accompagnés d’un sens de la responsabilité
collective.
30. Les jeunes enfants étant extrêmement curieux et ouverts, et
dépourvus de tout préjugé ou stéréotype, les lieux les plus adaptés
au lancement de ce processus pourraient bien être les jardins d’enfants
et les écoles primaires. En mettant à profit cette «ouverture»,
cultivée dès le plus jeune âge, il conviendrait d’adapter les programmes,
l’enseignement et les matériels scolaires pour permettre le développement
de compétences interculturelles tout au long de l’enseignement primaire,
secondaire et même supérieur. La Charte du Conseil de l’Europe sur
l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits
de l’homme
, ainsi que les résultats d’un projet
spécifique sur «l’éducation interculturelle», offriraient un excellent
support (manuels et outils) aux Etats membres.
31. La promotion du plurilinguisme dans l’éducation formelle et
non formelle et l’élaboration de politiques et programmes visant
à encourager les activités interculturelles à destination des jeunes,
ainsi que la mobilité et les expériences internationales en la matière,
constitueraient un autre élément clé pour renforcer les compétences
interculturelles.
32. Il nous faut par ailleurs faire preuve de plus de créativité
dans l’utilisation des espaces publics (musées, bibliothèques, centres
culturels et d’art, festivals de musique et de cinéma, manifestations
sportives, etc.), y compris par des plates-formes virtuelles, pour
cultiver l’interculturalité et partager une même vision d’une société
cohésive et plurielle. Cela supposerait également d’abattre les
barrières entre les centres-villes et les ghettos de migrants, d’aider
les gens à se sentir assez en confiance pour franchir les limites
du «havre de sécurité» de leur communauté, de décentraliser les
carrefours culturels dans les quartiers périphériques, où la diversité
culturelle est la plus prononcée, et d’exiger des institutions financées
par les pouvoirs publics qu’elles reflètent plus concrètement la
diversité de leurs citoyens – que ce soit parmi les dirigeants,
au sein des conseils d’administration, chez les usagers ou dans
la programmation (artistes et public). Ces institutions devraient
de plus concevoir des «règles interculturelles» en tant que principe
de bonne gouvernance et critère d’attribution de subventions.
33. Afin de réaliser cette transformation des espaces et institutions
publics, il nous faut promouvoir le rôle des médiateurs interculturels,
et sensibiliser de manière ciblée les responsables politiques, les
fonctionnaires et les éducateurs, dans le but de renforcer leurs
compétences interculturelles, ainsi que leur diplomatie et leur sensibilité
culturelles.
34. Etant donné le rôle de plus en plus important des pouvoirs
locaux dans la promotion et la mise en œuvre de la politique interculturelle
et des actions pilotes, en particulier dans les zones urbaines,
il conviendrait de faire le point sur les mécanismes actuels (délégation
de compétences, structure juridique, cofinancement, etc.) entre
les niveaux local, régional et national, afin de créer une synergie
et de faciliter ce processus. Le Conseil de l’Europe, en coopération
avec la Commission européenne, soutient activement le réseau «Cités interculturelles»
par un cadre conceptuel innovant
destiné à aider les maires à élaborer des stratégies interculturelles
globales. Ce processus doit être promu et davantage encouragé au
niveau national pour élargir la portée de cette initiative.
35. Plus concrètement, ce processus suppose le développement de
codes de construction et de règles d’urbanisme intégrant la nécessité
d’un accès pour les personnes présentant des besoins spéciaux, des espaces
publics et des lieux de rencontres interculturelles attractifs;
des festivals, célébrations et campagnes qui rendent visibles les
minorités ethniques et culturelles, que ce soit dans le cadre des
principales institutions ou des centres de proximité; l’élaboration
de politiques locales visant à renforcer le dialogue entre les groupes communautaires,
les forces de police, les services sociaux et les établissements
scolaires (actions préventives); l’offre de systèmes de transports
locaux suffisants pour accroître la mobilité entre divers quartiers de
la ville, la fin de la dévalorisation des communautés périphériques;
la lutte contre la ségrégation dans les quartiers et l’adoption
de mesures incitatives en faveur d’une plus grande mixité sociale
et ethnique dans la politique du logement, etc.
36. Pour mener à bien une «action positive», il nous faut également
mettre en place une surveillance et une prévention pour s’assurer
du respect des droits des citoyens à l’égalité de traitement, quels
que soient leur langue, leur origine ou leur niveau d’instruction,
sous la forme de structures de suivi renforçant la capacité juridique
à l’autodétermination. J’insisterai également sur la nécessité de
dénoncer avec fermeté les programmes de partis politiques qui menacent
les principes démocratiques fondamentaux et de garantir l’égalité
d’accès aux médias grand public pour pouvoir réagir rapidement aux
fausses déclarations des politiciens populistes, d’instaurer des
réglementations prévoyant des conséquences graves en cas de «discours
de haine», ainsi qu’une surveillance des médias sociaux visant à
réagir promptement aux attaques virales fondées sur des informations
erronées. Enfin, au niveau européen, il nous faut inciter les gouvernements
qui n’assurent pas une protection suffisante aux droits culturels
de leurs citoyens à adopter des mesures adéquates pour remédier
à cette situation et, le cas échéant, nous montrer fermes en condamnant
leur manque d’engagement.
4. Vue d’ensemble
des actions pilotes et politiques «interculturelles» dans les Etat
membres
37. J’estime qu’afin de développer la «dimension interculturelle»
dans l’élaboration des politiques, il est indispensable que nous
apprenions les uns des autres. Ce chapitre
a
pour objectif principal d’illustrer les politiques nationales et
actions pilotes qui favorisent des attitudes positives vis-à-vis
de la «diversité» et de «l’interaction interculturelle», notamment
dans les domaines de l’éducation, des arts et du patrimoine, de l’emploi,
de la jeunesse, de la cohésion sociale et des médias/d’Internet.
L’Institut européen de recherche comparative sur la culture (ERICarts)
, qui s’est livré à une recherche
de fond, a pu s’inspirer de l’expérience d’une vaste communauté
d’experts, de correspondants permanents et d’institutions partenaires
de plus de 50 pays, ainsi que d’études et d’exercices de suivi,
dont notamment le «Compendium des politiques et tendances culturelles
en Europe», réalisé par le Conseil de l’Europe/ERICarts
(portant particulièrement sur des questions
de diversité culturelle et de dialogue), et «Partager la diversité»
, une comparaison des approches nationales
du dialogue interculturel en Europe, effectuée pour la Commission
européenne comme contribution à «l’Année européenne du dialogue
interculturel» 2008 (AEDI).
4.1. Résultats de l’enquête
38. L’enquête recense un certain nombre d’Etat membres
pratiquant des politiques innovantes et/ou des actions pilotes,
dont la liste figure dans le tableau 1 en annexe. De plus, des informations
plus détaillées sur les différentes politiques et activités figurent
dans un tableau comparatif du système de Compendium
. Certains exemples nationaux, régionaux
et locaux plus concrets sont exposés dans le tableau 3 en annexe;
ils sont agencés en fonction des principaux domaines d’action et
des différents types d’activité.
39. Les résultats de l’enquête montrent que de nombreux pays se
concentrent encore sur le multiculturalisme ethnique, en se félicitant
des différences ethniques, un phénomène qui concerne essentiellement
les pays d’Europe centrale et orientale, mais aussi certains pays
d’Europe occidentale et septentrionale. En Norvège, par exemple,
la culture et les traditions de la communauté same sont considérées comme
inscrites dans la culture commune norvégienne et nordique et figurent
à la fois dans le programme national d’enseignement et dans un programme
spécifique aux Sames principalement enseigné dans des zones définies
comme des districts sames. En République de Moldova, outre de nombreux
établissements enseignant le russe, 71 écoles enseignent l’ukrainien,
49 le gagaouze et 27 le bulgare. Pourtant, le profil national de
la Russie – où «l’autonomie culturelle» est accordée à 827 communautés
(2010) – donne l’impression que, avec un enseignement basé sur l’appartenance
ethnique conduisant de fait à un isolement des enfants et à une
érosion de la qualité de la formation, ce type de «séparatisme»
pourrait ne pas être nécessairement profitable aux élèves.
40. Certains pays se sont lancés dans la promotion active de relations
majorité–minorité et d’une compréhension mutuelle meilleures. Par
exemple, la Bulgarie a prévu un plan d’action destiné à remédier
aux lacunes en matière d’interculturalisme rapportées dans un document
de stratégie nationale, en mettant notamment en lumière une présentation
insuffisante de l’histoire et de la culture des minorités dans les programmes
scolaires. De la même façon, le programme «Parallèles culturels»
fait la promotion des livres bilingues pour enfants en bulgare et
dans les langues minoritaires. En Hongrie, les représentants des
minorités élus dans les conseils municipaux et au plan national
jouissent de droits importants et de moyens croissants – souvent
consacrés à la culture. Lors des élections locales de l’automne
2010, des instances autonomes des minorités ont été élues dans près
de la moitié des entités locales. En Roumanie, un projet de loi
proposé par le parti de la minorité hongroise réclame une autonomie
culturelle définie comme le droit d’une communauté nationale à régler
les questions relatives à l’identité culturelle, linguistique et
religieuse. En Serbie, une maîtrise en «médiation interculturelle»
a été lancée en 2002 par l’université des Arts de Belgrade. En Grèce,
les universités d’Athènes, de Thessalonique et du Péloponnèse ont
pris part à des projets de coopération régionale visant à concevoir
des manuels et matériels pédagogiques interculturels offrant un
récit plus pluraliste de l’histoire et de la littérature de l’Europe
du Sud-Est. En Espagne, le «Programme d’enseignement pour la communauté
gitane» inclut des matériels pédagogiques relatifs à la culture
gitane, une formation en médiation interculturelle avec la communauté
gitane, ainsi qu’une formation initiale ou continue des enseignants.
41. De plus en plus de pays voient dans le multilinguisme une
étape importante dans la création de compétences interculturelles,
la suppression des barrières linguistiques et une culture de l’ouverture,
de la curiosité et de l’interaction culturelle. En Autriche, par
exemple, le Plan d’action pour les écoles intitulé «Interculturalisme
et multilinguisme – une chance!» a été mis en œuvre depuis 2005.
Au Luxembourg, des études empiriques menées sur la compréhension
de l’écrit démontrent que le multilinguisme constitue un «capital
culturel». En France, les collèges et lycées comptent 5 800 «sections
langues européennes et orientales» qui proposent un programme d’apprentissage
renforcé d’une langue et d’une culture étrangères. En Suisse, la
loi fédérale sur l’encouragement de la culture (2012) insiste sur
la nécessité de favoriser la diversité et les échanges culturels
entre les communautés culturelles/linguistiques implantées en Suisse
et à l’étranger. Les projets facilitant l’accès à la culture ou
contribuant à la diversité culturelle/linguistique sont prioritaires.
42. Diverses initiatives d’organisations non gouvernementales
(ONG) et de la société civile préconisant et mettant en œuvre des
programmes et échanges interculturels sont depuis ces dernières
années en augmentation et influent également sur les politiques
des pouvoirs publics. Les activités de jeunesse sont particulièrement
intéressantes. Par exemple, en Suède, le Conseil national de la
jeunesse soutient les échanges interculturels, publie des lignes
directrices et procède à des évaluations des résultats de son travail. En
Ukraine, l’agence «Romani Cherkhen» organise des activités culturelles
et sportives pour les jeunes Roms à Uzhhorod et dans la région environnante,
en partenariat avec des organisations roms plus importantes en ville.
Le Conseil national de la jeunesse d’Irlande élabore des directives
pratiques pour le travail interculturel de jeunesse, dans le but
d’influer sur les politiques nationales.
43. La lutte contre le racisme dans le travail de jeunesse, à
l’école et dans le sport, est l’une des priorités de nombreuses
ONG et initiatives (voir par exemple le «Manifeste» des enfants
et des organisations de jeunesse autrichiens (Conseil national de
la Jeunesse, 2007)) ou de campagnes comme celle intitulée «Respect,
s’il vous plaît!» menée au Liechtenstein en coopération avec des
animateurs de jeunesses dans les communautés locales. Cette question
figure également parmi les priorités de l’ordre du jour de l’Association
internationale du sport et de la culture (ISCA), basée à Copenhague,
au Danemark. L’institut pédagogique de Chypre offre une série d’activités
de formation des enseignants qui visent à mieux équiper les enseignants
pour lutter contre la discrimination; de même, des conférences d’étudiants
sont organisées dans ce contexte portant sur des thèmes tels que
le racisme et la xénophobie.
44. Afin de lutter contre les préjugés et le racisme, de nombreux
pays ont investi dans des institutions et des espaces publics culturels
(musées, bibliothèques, conseils des arts, etc.) avec pour mission
de mettre en place des activités aidant les personnes à s’adapter
à la diversité en développant une sensibilité culturelle fondée sur
une interaction créative et positive avec diverses autres cultures.
Certains exemples montrent que les activités culturelles en ce domaine
restent néanmoins concentrées sur l’image des migrants et leur intégration, alors
que d’autres ont recours à l’interaction culturelle comme un moyen
de transformation réciproque, en abattant les barrières qui séparent
les cultures majoritaires et minoritaires.
45. En Suède, l’agence du «Musée national des cultures du monde»
gère quatre musées à Stockholm et Göteborg dans le but d’adapter
les collections et expositions aux phénomènes de la mondialisation
et de la migration. En Italie, le «théâtre social» est considéré
comme la forme la plus intéressante et expérimentale de la scène
culturelle, avec des compagnies bien établies telles que le Teatro
dell’Angolo à Turin, le Teatro delle Albe à Ravenne et le Teatro
di Nascosto à Volterra. En Allemagne, le «Arbeitskreis Migration»
(atelier sur la migration) de l’Association des musées allemands
publie des lignes directrices consacrées aux collections et expositions,
ainsi qu’à la communication avec les usagers.
46. Plusieurs pays encouragent l’application de règles en matière
de diversité dans les institutions publiques et, en particulier,
dans les organisations culturelles, en tant que principe de bonne
gouvernance et critère d’attribution de subventions. Le gouvernement
norvégien, par exemple, voit les musées comme un espace permettant
de développer des attitudes positives envers ses propres racines
et celles d’autrui. Le ministère de la Culture évalue par conséquent
la capacité des institutions publiques à prendre et à appliquer
des mesures visant la diversité culturelle. En Belgique (Flandres),
le dialogue interculturel a gagné en importance dans les programmes
politiques depuis l’adoption en 2008 des décrets relatifs à la participation
aux arts, au patrimoine et à la culture. Le dialogue interculturel
est inclus en tant que l’un des critères employés dans les procédures d’évaluation
des projets et structures
. Le ministère de la Culture des
Pays-Bas a récemment accepté les règles relatives à la diversité
(Code culturele diversiteit) des principales organisations comme
principe de bonne gouvernance et critère permettant d’obtenir des
subventions.
47. Au Royaume-Uni, le «Réseau national de la diversité culturelle»
du Conseil des musées, des bibliothèques et des archives (MLA) a
pour mission d’aider, de conseiller et de former par l’intermédiaire
de coordinateurs régionaux de la diversité culturelle et d’autres
initiatives, telle la «Checklist de la diversité culturelle», une
boîte à outils permettant d’effectuer un audit de base, ainsi qu’une
analyse documentaire des éléments établissant l’existence d’activités
de diversité culturelle en ce domaine. De même, le «Programme muséal
interculturel» de l’Association des musées néerlandais a pour but
d’insuffler une plus grande diversité dans les présentations et
l’organisation.
48. On attache également plus d’importance à la cohésion sociale
et à l’équité en matière d’emploi, en encourageant la diversité
culturelle en tant qu’atout pour une société cohésive, plurielle
et dynamique. Au Portugal, un «Plan d’action national en faveur
de l’inclusion» et le 2e «Plan pour l’intégration
des migrants» (géré par le Haut-Commissariat à l’immigration et
au dialogue interculturel (ACIDI)) portent sur les questions liées
à l’inclusion et à l’intégration des migrants, comme l’éducation,
l’emploi, l’«hospitalité», la recherche et l’action interministérielle.
Un «Pacte pour la culture», conçu par l’ONG «Citoyens de la culture»
et signé en 2011 par le Premier ministre polonais, contraint l’Etat
à garantir l’égalité d’accès à la culture, en particulier dans les
villes et villages, afin d’éviter l’exclusion culturelle. Au Danemark,
la Stratégie «Culture pour tous» (2010) vise à renforcer la culture
en dehors de la capitale danoise, en ciblant les non-utilisateurs
(«ikke-brugere») et en incluant les migrants («les nouveaux Danois»).
La ville de Copenhague a pris un certain nombre de mesures visant
à améliorer la représentation des migrants au sein de l’administration
municipale, y compris par des stages rémunérés destinés aux personnes
issues de minorités (par exemple en exigeant des compétences dans
une langue donnée).
49. Les personnes plurilingues dotées de sensibilités culturelles
et issues de milieux culturels différents peuvent en effet faire
preuve de plus de résilience, de dynamisme et d’esprit d’innovation
et d’entreprise, et sont de plus en plus considérées comme un atout
pour l’économie nationale. Inspirée d’un projet de loi gouvernemental
de 2007 et soutenue par les ministères chargés de l’emploi et du
commerce, ainsi que par les villes et régions danoises, l’initiative
«La culture d’entreprise au Danemark» a pour objectif d’améliorer
la formation, la pérennité et la croissance d’entreprises détenues
par des personnes de diverses origines ethniques. En France, en
Allemagne et dans d’autres pays, un certain nombre de grandes entreprises,
pour la plupart actives à l’international, appliquent des codes
de conduite spécifiques (voir par exemple les directives de Siemens
ou de Sodexo). Aux Pays-Bas, ATANA préconise et facilite la diversité
ethnique au sein des conseils d’administration des institutions
culturelles. Au Royaume-Uni, le Réseau national de la diversité culturelle
s’efforce d’échanger des bonnes pratiques dans le cadre du programme
d’action en faveur de la diversité; ses activités incluent une «charte
de la diversité» signée par plus de 300 entreprises. En Suède, une «Association
suédoise des entrepreneurs issus de minorités ethniques» a été constituée
sous la forme d’une organisation indépendante.
50. Les activités de recherche et de suivi empirique sont très
souvent le principal moteur de l’élaboration de politiques et de
plans d’action nouveaux visant à l’inclusion sociale, la diversité
culturelle et l’égalité entre les sexes. C’est ce qui s’est produit
par exemple en Irlande, où le Forum économique et social national,
un groupe consultatif de la société civile auprès du Premier ministre,
a établi un rapport sur l’inclusion sociale en tant que partie intégrante
de la cohésion sociale. Ce texte contenait six recommandations essentielles
portant notamment sur l’évaluation et les mécanismes de mise en
œuvre, en Allemagne (après la parution de trois rapports sur le
thème «Les femmes dans les professions des arts et des médias»)
ou en Estonie, où des recherches indépendantes menées pour le compte
du ministère de la Culture proposaient des actions en vue d’établir
des pratiques culturelles plus inclusives (2012).
51. Il est en outre important de s’intéresser à l’égalité entre
les sexes et aux valeurs attachées à la place des femmes dans différentes
cultures en tant que dimension spécifique de l’interculturalité.
Les politiques finlandaises en matière d’égalité entre les sexes
ont convergé pour former une version nordique du «féminisme d’Etat»
(mesures juridiques, suivi officiel et action positive incluant
des clauses et quotas de parité dans la représentation et l’emploi
des femmes). Outre un Plan d’action national (PAN) pour l’égalité
entre les femmes et les hommes sur le marché du travail (2010),
l’Autriche a adopté une «budgétisation sexospécifique» inscrite dans
la Constitution autrichienne; celle-ci devait être mise en œuvre
dans l’ensemble des ministères avant 2013 (dans les rapports gouvernementaux
relatifs à la promotion de la culture et des arts mis en place dès 2007).
En Islande, W.O.M.E.N., un «Réseau de femmes d’origines ethniques
multiculturelles» a pour but d’unifier, d’exprimer et de prendre
en compte les intérêts et problèmes des femmes d’origine étrangère
vivant en Islande et gère également un «café des cuisines du monde».
52. Les médias et l’internet sont considérés comme des éléments
clés pour orienter l’opinion publique et favoriser la tolérance,
une meilleure compréhension mutuelle et une interaction culturelle
positive. Par exemple, en Russie, le parlement a proposé un système
de subventions de l’Etat, ainsi que des concours professionnels
pour les productions audiovisuelles aux contenus culturels ethniques
et diffusées dans les diverses langues des peuples de Russie. En
Croatie, un «Fonds pour la promotion du pluralisme et de la diversité
des médias électroniques» a été constitué en vertu de la loi sur
les médias électroniques. En Roumanie, l’«Institut des médias pour
la diversité» combat la discrimination et encourage la médiation culturelle
(âge, genre, critères d’orientation sexuelle), interculturelle (minorités
ethniques et religieuses) et transnationale (demandeurs d’asile,
réfugiés, touristes). En Slovénie, l’«Institut pour la paix» organise
des séries de séminaires sur des thèmes médiatiques (les sociétés
multiculturelles, les Roms dans les médias ou les médias et les
minorités sociales).
53. Aux Pays-Bas, «Kosmopolis» – bâtiments interculturels et plateformes
virtuelles – est financé par les villes de Rotterdam, de La Haye
et d’Utrecht, de concert avec le ministère de la Culture et le ministère
des Affaires étrangères. De même, «FunX», la chaîne publique municipale
à destination des jeunes urbains à la double appartenance culturelle,
diffuse dans quatre grandes villes qui contribuent à hauteur de
50 % des coûts. De nouveaux sites interculturels ont vu le jour
sur internet, comme en Italie («Patrimonio e Intercultura», créé par
la Fondation ISMU) et en Lettonie («Arterritory.com», traitant de
l’art et de la culture baltes, scandinaves et russes en letton,
russe et anglais). En France, dirigé par deux organismes nationaux,
le Fonds «Images de la diversité» octroie une aide supplémentaire
aux films, diffusions et travaux multimédias qui contribuent à la diversité
culturelle et à l’égalité des chances, en se faisant l’écho de croyances
largement répandues voulant que la relation culturelle transatlantique
soit déséquilibrée et que l’uniformisation de la production de masse
ait des effets négatifs sur la création artistique et la diversité.
54. Enfin, quelques pays envisagent d’adopter des stratégies et
des plans de développement nationaux, régionaux et/ou locaux visant
à édifier une société cohésive et culturellement diverse, fondée
sur un engagement individuel constructif, une citoyenneté partagée
et un sentiment d’appartenance. En Géorgie, par exemple, un document
intitulé «Vision et plan d’action nationaux pour l’intégration civile
et la tolérance» (2008) définit des objectifs en matière de culture
et d’éducation, dont la contribution à la préservation de l’identité culturelle
des minorités. En Espagne, le «Plan stratégique pour la citoyenneté
et l’intégration» (2011-2014) concerne l’ensemble de la population,
en reconnaissant à tout un chacun les mêmes droits et devoirs, ainsi que
le respect de la diversité. En 2006, dans la municipalité suisse
de Neuchâtel, la «Communauté de travail pour l’intégration des étrangers»
(CTIE) a lancé un programme appelé «Neuchâtel à toi» dans le but
de promouvoir une meilleure compréhension mutuelle entre citoyens
suisses et étrangers. Celui-ci comprenait une série de débats à
l’échelle du canton sur l’identité de Neuchâtel, des représentations
théâtrales, des projections de films, des manifestations autour
de la gastronomie, des émissions de radio et de télévision, etc. (et
a servi de modèle dans le cadre du programme Cités interculturelles).
La «Stratégie interculturelle: une ville des égaux» de Galway, en
Irlande (2009) se concentre notamment sur la promotion (campagnes, ambassadeurs
du dialogue interculturel, etc.), la cohésion (événements communautaires,
leadership bénévole, etc.), la planification de la diversité
, le rejet du racisme (surveillance
et prévention) et l’instauration d’une économie interculturelle
(y compris par la lutte contre le racisme en tant qu’obstacle à
l’emploi).
55. Certains pays ont créé des agences nationales pour faciliter
ce processus. En Autriche, le «Point de contact national pour la
diversité culturelle» sert de base aux activités d’information et
de développement (comme le suivi de la mise en œuvre de la Convention
2005 de l’UNESCO sur la diversité). Le «Conseil national bulgare
pour l’interaction ethnique» a pour mission d’élaborer des politiques
nationales en concertation avec des organismes publics et non gouvernementaux.
«CREATE», une agence irlandaise de développement national pour les
arts collaboratifs dans des contextes sociaux et communautaires,
établit des partenariats pour élargir son programme d’action (arts
et santé; diversité culturelle; arts et personnes âgées).
4.2. Nouvelles tendances
56. Certains Etats – parmi lesquels les pays nordiques
et le Portugal – proposent des modèles intéressants. Cependant,
la plupart des «politiques» pertinentes et des stratégies valables
en la matière sont appliquées ou développées au niveau local par
les pouvoirs locaux, les acteurs de la société civile, les ONG,
etc. Les coentreprises ou les partenariats public–privé au sein
desquels coopèrent divers acteurs constituent des exemples supplémentaires
d’actions pilotes réussies.
57. De toute évidence, les politiques de diversité et les stratégies
«d’interaction interculturelle» s’appliquent dans un environnement
complexe façonné par des préoccupations sociales, très personnelles
ou liées aux groupes. Cependant, les principaux éléments permettant
d’instaurer un climat de dialogue et de compréhension durable incluent
généralement: la reconnaissance de rapports de forces inégaux, des processus
de communication interactive et des conditions favorisant l’émancipation
ou le développement de la confiance en soi, accompagnés d’un sens
de la responsabilité collective. Ensemble, ils constituent la base sur
laquelle développer une «diversité cohésive».
58. Selon l’étude ERICarts intitulée «Partager la diversité»,
le concept de diversité «cohésive»
pourrait se définir comme une interaction
respectueuse et franche entre individus, groupes et organisations
issus de différents contextes culturels et professant diverses visions
du monde qui permette «une compréhension approfondie des divers
points de vue et pratiques; une participation accrue et la liberté
ou la capacité d’effectuer des choix; et le renforcement des processus
créatifs … En ce sens, les processus ou rencontres en faveur du
dialogue interculturel doivent aller au-delà d’une simple ‘tolérance
de l’autre’ et peuvent faire appel à des capacités créatives qui
tirent parti des difficultés et réflexions pour concevoir des processus d’innovation
et de nouvelles formes d’expression. ‘L’espace partagé’ dans lequel
de tels processus se déroulent pourra se situer en dehors des espaces
physiques, dans les médias ou un environnement virtuel».
59. Ce ne sont toutefois là que quelques exemples de politiques
nationales officielles tentant véritablement de régler ces problèmes;
parmi eux, la Stratégie nationale pour «l’Année européenne du dialogue
interculturel» du Gouvernement portugais (2008): «Inscrite dans
la conception de l’égalité de la valeur de toutes les cultures et
du métissage culturel, et allant ainsi largement au-delà des déclarations
sur la coexistence multiculturelle, cette approche interculturelle
suppose de dépasser la simple acceptation de ‘l’autre’; elle implique
‘d’accueillir’ ‘l’autre’ en nous et d’accepter d’être transformés
par cette rencontre».
60. Comme le soulignent les tableaux 2 et 3 figurant en annexe
, la réalité politique est plutôt
éloignée de telles réflexions. Au contraire, les politiques peuvent
être «inexistantes», viser à «l’assimilation» ou à la «ségrégation»,
mais ne sont que rarement véritablement «interculturelles» en ne
s’appliquant pas à l’ensemble de la population. Des modèles de gestion
de la diversité culturelle, tels que ceux exposés dans le tableau
2, reflètent les réalités politiques actuelles des Etats membres
qui découlent de relations majorité–minorité préétablies et ne tiennent
pas compte des complexités nouvelles qui se dessinent au sein de
la deuxième et troisième génération et parmi les jeunes en général,
lesquels cultivent des identités de plus en plus «composites» (résultant
de mariages mixtes, de voyages, d’études ou d’emplois à l’étranger,
ou de connexions en ligne à une «normalité interculturelle» planétaire)
et ne cadrent donc plus avec la définition d’une «minorité» ou d’une
«majorité».
61. Bien que le tableau 3 aborde les questions principales d’un
point de vue local, un certain nombre d’indicateurs montrent que
les choses ne se présentent guère différemment sous l’angle national:
- près de 75 % des Etats d’Europe
se contentent d’une seule langue officielle;
- près de 40 % des Etats d’Europe ne reconnaissent aucune
langue minoritaire;
- hormis quelques exceptions en Scandinavie ou dans leurs
principales zones d’implantation en Europe du Sud-Est, les langues
des migrants ou des Roms ne sont pas officiellement reconnues en
tant que langues minoritaires;
- en règle générale, les ministères de la Culture ne sont
pas la principale autorité nationale chargée du «dialogue interculturel»
qui paraît être davantage du ressort des ministères de l’Intérieur
et de la Sécurité;
- dans la plupart des pays, les politiques culturelles ne
font que commencer à prendre en compte les diverses origines culturelles
des grandes communautés de migrants. Certaines ont même rétabli
des «normes nationales»;
- une enquête menée en 2011 par le groupe d’experts du Conseil
de l’Union européenne sur une culture accessible et un dialogue
interculturel portant sur des politiques en faveur de l’égalité
d’accès et de la participation, ainsi que sur les initiatives ou
le suivi s’y rapportant, a révélé que sur 12 pays interrogés, seules
la Suède et l’Irlande étaient capables de nommer des institutions
culturelles nationales appliquant des politiques globales de la
diversité;
- à la suite d’une décision du Comité du système statistique
européen (CSSE) rendue en 2012, des efforts ont été déployés pour
définir une série d’indicateurs de la qualité de vie (QDV) pour
l’Union européenne. Cependant, les questions relatives à la diversité
culturelle ne sont jusqu’à présent pas intégrées dans ces systèmes
d’indices – ou d’autres de même nature;
- le concept de «patrimoine inclusif» (patrimoine culturel
valorisé comme un facteur d’inclusion) exposé dans la «Convention
de Faro» du Conseil de l’Europe demeure
difficile à appliquer et des critères communs permettant de valider
les valeurs et prestations sociales associées, ainsi que la participation démocratique
à l’élaboration des politiques du patrimoine, restent à développer;
- parmi tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, seuls
huit (Albanie, Danemark, Finlande, Islande, Italie, Norvège, Pays-Bas
et Suède) ont ratifié la Convention sur la participation des étrangers
à la vie publique au niveau local (STE n° 144) de 1992 (autre instrument
juridique abordant sous un angle «contemporain» les politiques de
diversité).
62. Il existe des différences importantes entre les divers débats
et politiques en matière de diversité et d’interculturalisme entre
pays d’Europe «occidentale» et «orientale»: comme en témoigne le
«Compendium» Conseil de l’Europe/ERICarts, les pays d’Europe de
l’Ouest s’intéressent au premier chef aux questions relatives aux
migrants (du moins depuis ces dix dernières années), alors que les
politiques appliquées par les pays d’Europe de l’Est portent essentiellement
sur les cultures ou les langues des minorités «traditionnelles» (dont
la proportion au sein de la population est, naturellement, beaucoup
plus importante pour des raisons historiques et des modifications
de frontières). Il s’agit de déterminer si ce clivage apparent entre
Est et Ouest est également dû à des instruments normatifs internationaux
en vigueur, y compris ceux du Conseil de l’Europe, dont les principes
remontent encore à une époque où la protection «distincte» des minorités
était la question essentielle, ce qui conduisait au mieux à la reconnaissance
(ou promotion) officielle de la différence et à la tolérance, au
sens du multiculturalisme.
63. Alors que, d’un point de vue politique, le concept du multiculturalisme
est désormais remis en cause à l’Ouest, où seules demeurent d’infimes
parties de ces minorités traditionnelles et où l’afflux de migrants
est le phénomène prépondérant, nous devons continuer à nous demander
si les nouveaux concepts d’inter- ou de transculturalisme, de cosmopolitisme
ou de développement d’identités «composites» peuvent en tant que
tels être facilement appliqués dans l’Est, où les conditions sont
autres.
64. Il est évident que la préférence va aujourd’hui à l’autodétermination
individuelle pour ce qui concerne l’appartenance à la «culture»
au sens large. Quoiqu’il en soit, le droit d’appartenir par exemple
à un groupe linguistique ou religieux donné (et, si on le souhaite,
le droit de changer d’appartenance) conduit en quelque sorte à la
fusion des aspects individuels et collectifs des droits de l’homme
liés à la culture
. En dépit d’apparentes tendances
à des identités «individuelles» puisant dans des appartenances culturelles
multiples, les appartenances «communautaires» – qu’il s’agisse de
groupes linguistiques ou de communautés virtuelles contemporaines
dans les médias – sont toujours d’actualité. Il convient d’analyser
avec le plus grand sérieux la façon dont elles entrent ou non en
corrélation avec les droits individuels, y compris quant à leur
rôle dans les conventions en vigueur du Conseil de l’Europe, et
si leurs possibles ambiguïtés ou déficiences pourraient conduire
à des réformes du système des instruments normatifs
.
5. Conclusion:
négocier la diversité et cultiver un avenir commun
65. Notre monde évolue en permanence et nous devons donc
entraîner notre capacité au changement, aussi en rencontrant des
personnes différentes et en s’initiant à leur culture. Des études
empiriques suggèrent que de nombreux citoyens européens s’adaptent
à la diversité croissante. Les préférences et pratiques culturelles
se sont élargies au cours des 40 dernières années, et les forces
régionales sont aujourd’hui aussi appréciées que les couleurs transnationales.
Les «identités composites» sont désormais plus répandues qu’autrefois,
notamment parmi les plus jeunes générations. L’action et l’éducation
interculturelles peuvent tirer parti de cette ouverture nouvelle,
mais doivent être «intégrées». L’enquête mentionnée dans le chapitre précédent
a révélé que des progrès peuvent être accomplis, notamment si tous
les acteurs de la société civile concernés œuvrent de concert dans
le cadre d’un système ouvert et démocratique de gouvernance participative.
Il nous faut imaginer des politiques qui laissent aux individus
et aux groupes une grande liberté pour se réinventer et relever
les défis de la diversité et de l’interculturalité. Mais avant tout,
en plus d’introduire des modifications dans la législation ou les
mesures publiques, il nous faut nous-mêmes changer radicalement.
66. Dans le contexte européen, il nous faudra prendre acte des
circonstances très différentes qui ont présidé à l’émergence et
au développement de sociétés nationales dans l’Europe septentrionale,
occidentale, orientale et méridionale. Ainsi, par opposition aux
parties septentrionale et occidentale de l’Europe, longtemps dotées de
cultures nationales dominantes relativement homogènes puis associées
aux migrations postcoloniales, les sociétés d’Europe orientale sont
nées de l’héritage impérial austro-hongrois, ottoman et russe et
dans des territoires aux frontières fluctuantes, caractérisées par
une riche diversité culturelle avec un grand nombre de minorités
ethniques et religieuses. Les parties méridionale et méditerranéenne
de l’Europe ont un long passé d’interaction culturelle et, aujourd’hui,
se trouvent confrontées à des changements politiques, sociétaux
et culturels importants venus des côtes sud de la Méditerranée.
67. C’est pourquoi je propose de nuancer notre débat et de tenir
compte de ces différences historiques lorsque nous examinerons ce
que signifie la diversité culturelle dans différentes parties de
l’Europe et ce qu’elle implique pour la société. Il faut chercher
à instaurer un dialogue culturel capable de prendre en considération
les «différentes diversités» et les expériences de diversité à travers
tout le continent européen, et s’abstenir de simplement transposer
des modèles de diversité.
68. Je pense pour ma part que nous devons continuer d’explorer
la notion d’identités composites, ainsi que d’engager un dialogue
avec les jeunes et avec le secteur jeunesse du Conseil de l’Europe,
ainsi qu’avec d’autres parties intéressées. Cette interaction nous
aiderait à écouter leurs expériences et leurs idées pour pouvoir,
ensemble, mieux identifier les besoins émergents d’ajustements politiques.
Je suis sûr que cette démarche nous aidera à innover et à suggérer
des connexions plus étroites entre différents domaines politiques
tels que culture, éducation, jeunesse, information et médias, emploi
et cohésion sociale, secteur associatif et coopération transfrontalière
et internationale. J’ai proposé à cet égard dans le projet de recommandation
au Comité des Ministres d’organiser une plate-forme biennale associant
divers secteurs du Conseil de l’Europe et parties prenantes des
Etats membres afin qu’ils se réunissent à intervalles réguliers pour
examiner des orientations politiques innovantes, y compris les outils
et recommandations d’action du Conseil de l’Europe, les promouvoir
et échanger de bonnes pratiques entre Etats membres.
69. Je suggère également d’exploiter les expériences de coopération
internationale au niveau local, ainsi que de consulter les autorités
locales qui participent au projet des Cités interculturelles du
Conseil de l’Europe et du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux.
La coopération transfrontalière est un autre moyen intéressant de
développer la diversité culturelle en favorisant les échanges culturels
et en façonnant des identités plus composites et nuancées, notamment
dans les zones géographiques d’Europe centrale, orientale et du
Sud-Est qui comptent de nombreuses minorités qui entretiennent des
liens culturels et historiques par-delà les frontières.
70. Pour finir, je suis fermement convaincu du rôle particulier
que jouent les politiques et institutions éducatives dans le développement
de capacités interculturelles et ce, dès le plus jeune âge. Les
jardins d’enfants, les écoles et universités sont autant d’espaces
interculturels – par essence, dirais-je. Il faut étudier plus avant
comment les programmes et outils pédagogiques, ainsi que les méthodes
d’enseignement, peuvent aider à renforcer la dimension interculturelle
de la «citoyenneté démocratique», et comment des institutions éducatives
peuvent encourager la vie dans la diversité comme un atout et aider
les étudiants à grandir en toute liberté, avec leur identité propre,
fiers de ce qu’ils sont et ouverts aux autres.
71. Dans cette nouvelle ère culturelle, il nous faudra innover
et multiplier les «laboratoires d’échanges culturels» par-delà les
frontières nationales, cultiver la diversité culturelle et, peu
à peu, développer un espace culturel européen propre à encourager
l’expression créative de multiples appartenances et identités culturelles.
Je prendrai, dans ce contexte, l’exemple du rapport de notre commission
sur la contribution de la civilisation islamique à la culture européenne
, qui constate que: «Dans des domaines
très divers – la philosophie, les sciences, l'art, l'architecture,
l'urbanisme, la médecine, la langue, la vie quotidienne et, enfin, la
culture – nous ne pouvons expliquer l'histoire de l'Europe sans
tenir compte de tout ce qui est d'origine islamique.» Et, de façon
similaire, dans le rapport sur la contribution juive à la culture
européenne
: «L'Histoire a fait des juifs un
peuple européen, tandis que le christianisme, en tant que phénomène
religieux et culturel, a rapproché l'Europe de la civilisation juive.
Il convient pourtant d'insister sur ce point, car, tout en n'étant
qu'une scission du judaïsme, le christianisme, qui a imprégné pendant
des siècles la vie européenne, fut, par ses origines et son contenu,
un phénomène culturel. Par conséquent, l'on peut affirmer que l'élément
juif du christianisme fait partie de l'identité culturelle de l'Europe.»
72. En conclusion, je souhaiterais souligner que ce rapport propose
une vision à nos sociétés contemporaines et pourrait ainsi être
perçu par certains comme très éloigné de nos réalités politiques. Cependant,
j’insiste sur le fait que, sans cette vision et en l’absence d’un
consensus politique autour de cette vision, au plan national et
transnational, nous ne serons pas en mesure de gérer démocratiquement
l’évolution démocratique qui s’accélère en Europe. Nous sommes témoins
de la montée alarmante de partis politiques antidémocratiques et
xénophobes en Europe, phénomène qui requiert un changement radical
de notre discours politique. Si nous voulons cultiver des sociétés
cohésives, culturellement diverses, vivantes, ouvertes, exemptes
de violence et propices à un développement économique innovant et
plus dynamique, il nous faut reconnaître le rôle positif que peuvent
jouer différentes cultures en façonnant notre identité individuelle,
ainsi que notre identité européenne commune.