1. Cadre
et objectifs du rapport
1. Le présent rapport s'inspire d'une proposition de
résolution déposée en juin 2011 par M. Kosachev et plusieurs de
ses collègues, intitulée «Faire barrage aux manifestations de néonazisme
et de xénophobie»
(Doc.
12661). Suite à ma nomination en tant que rapporteure en novembre
2011, deux autres propositions de résolution ont été formellement
incluses dans mon mandat, en l'occurrence «Mesures pour lutter contre
la popularité croissante de l'extrémisme de droite, de la xénophobie
et de l'antisémitisme dans les Etats membres du Conseil de l'Europe»
(
Doc. 13103, déposée par M. Montag et d'autres membres de l'Assemblée
en janvier 2013) et «La montée des partis néonazis en Europe: nécessité
de mettre en place des principes juridiques pour défendre la démocratie
pluraliste et les droits de l'homme» (
Doc. 13332, déposée par M. Triantafyllos et d'autres membres de
l'Assemblée en octobre 2013).
2. Au cours de la première discussion de la commission des questions
politiques et de la démocratie consacrée à l'objet de mon rapport,
en septembre 2013, la commission a approuvé ma proposition de me limiter
aux mesures destinées à faire barrage aux manifestations de néonazisme
et d'éviter toute référence au problème plus général de la xénophobie,
afin de ne pas faire double emploi avec les travaux entrepris par d'autres
instances du Conseil de l'Europe. En particulier, la Commission
européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI), un organe
composé d'experts indépendants, a pour mandat spécial de suivre
entre autres les problèmes de xénophobie et d'antisémitisme dans
tous les Etats membres du Conseil de l'Europe
.
Par ailleurs, l'Assemblée a récemment discuté du rapport de M. Jonas
Gunnarsson «Une stratégie pour la prévention du racisme et de l'intolérance
en Europe» et a adopté la
Résolution
1967 (2014) et la
Recommandation
2032 (2014). C'est pourquoi j’ai suggéré d'adapter et limiter le
titre du rapport comme suit: «Faire barrage aux manifestations de
néonazisme».
3. Comme je l'avais déjà déclaré à la commission en septembre
2013, afin d'éviter toute longueur et imprécision, j'ai choisi de
me limiter à une présentation d'exemples de bonnes pratiques concernant
les mesures destinées à empêcher les individus – et notamment les
jeunes – de rejoindre les organisations néonazies (qu'il s'agisse
de partis politiques, de mouvements sociaux ou de groupes issus
de sous-culture) et/ou les mesures visant à aider les personnes
à quitter ces organisations.
4. En vue de recueillir ces bonnes pratiques, j'ai effectué des
visites d'information en Grèce les 25 et 26 novembre 2013 et en
Allemagne du 13 au 15 mai 2014. J'avais également prévu de me rendre
en Fédération de Russie, mais cette visite a dû être reportée. J'ai
par ailleurs organisé deux échanges de vues, à Paris en septembre
2013 et à Stockholm en mars 2014, au cours desquels les participants
ont présenté les mesures et bonnes pratiques mises en œuvre en Suède
et en Norvège
. Un questionnaire avait été envoyé
auparavant (en avril 2012) à tous les chefs des délégations parlementaires.
5. Lors de ma visite en Allemagne, j'ai ajouté à mon rapport
une nouvelle ligne d'action, à savoir les mesures d'aide aux victimes.
En effet, de nombreux interlocuteurs, issus notamment de groupes
de la société civile spécialisés dans ce domaine, ont fait valoir
de manière convaincante l'importance des mesures de soutien aux
victimes appliquées parallèlement aux politiques visant à faire
sortir les militants de ces mouvements. S'il est assurément déterminant
d'offrir le choix et un soutien aux personnes qui quittent les organisations
néonazies, il est encore plus essentiel d'aider celles qui en ont
été victimes, ces dernières étant en outre apparemment plus nombreuses.
Le fait d'axer les politiques sur les victimes plutôt que sur les
auteurs présente également un caractère hautement symbolique.
6. Un dernier échange de vues sur l'antisémitisme a été organisé
à Strasbourg en juin 2014, dans le cadre de l'élaboration du présent
rapport, même si, comme déjà évoqué, cette question n'en constitue
pas le principal sujet. Etant donné que l'antisémitisme est une
plaie plus vaste que le néonazisme, soulevant des problématiques
particulières, je crois qu'un rapport séparé de l'Assemblée devrait
traiter spécifiquement de l'antisémitisme.
7. Je tiens à établir clairement que mon rapport n'entend pas
décrire ou analyser la situation s'agissant de la présence de partis
ou d'organisations néonazis dans l'ensemble ou dans certains Etats
membres du Conseil de l'Europe ou faire expressément référence à
tel ou tel parti néonazi européen. Il est consacré aux moyens de
«faire barrage», c'est-à-dire aux mesures de lutte contre le néonazisme,
et, comme expliqué précédemment, je m'attache plus particulièrement
aux mesures de prévention, à celles visant à faire sortir les militants
de ces mouvements et aux mesures d'assistance aux victimes. En présentant
des exemples de bonnes pratiques susceptibles d'inspirer les gouvernements,
les parlements mais aussi la société civile dans tous les Etats
membres, je souhaite contribuer de manière constructive et pratique
à la lutte contre le néonazisme en Europe, plutôt que d'entreprendre
une quelconque analyse de pays spécifique
.
8. S'agissant de mes visites en Grèce et en Allemagne visant
précisément à recueillir des bonnes pratiques et non pas à discuter
de la situation individuelle dans ces deux pays, elles ont été remarquablement
et efficacement organisées respectivement par les présidents des
délégations parlementaires grecque et allemande auprès de l'Assemblée
parlementaire, Mme Dora Bakoyannis et M. Axel Fischer. Je tiens
à remercier particulièrement les secrétaires des deux délégations,
Mme Voula Syrigos et M. Michael Hilger. Les deux visites incluaient
toutes les réunions que j'avais proposées avec les représentants
des autorités et de la société civile.
9. Concernant ma visite en Grèce, je voudrais particulièrement
évoquer ma réunion avec le Ministre de l'Ordre public et de la Protection
des citoyens, M. Nikolaos Dendias, ancien collègue à l'Assemblée
et ex-président de la Commission des migrations. Compte tenu de
son rôle déterminant dans les récentes poursuites judiciaires engagées
contre les dirigeants et membres de «l'Aube dorée», le parti politique
néonazi grec, il était essentiel de le rencontrer. Je remercie également
le président du Parlement grec, notre ancien collègue M. Vangelis
Meimarakis qui, en dépit d'un calendrier particulièrement chargé,
m'a reçue au parlement. La réunion avec le maire d'Athènes, M. Yiorgos
Kaminis, ancien médiateur de la Grèce, ainsi qu'avec deux médiateurs adjoints
du pays, M. Vassilis Karidis et M. George Moschos, s'est également
avérée très instructive.
10. Concernant ma visite en Allemagne, j'ai particulièrement apprécié
les échanges de vues tenus avec divers représentants des pouvoirs
publics, notamment notre collègue du Bundestag, Mme Ute Finckh-Krämer, ainsi
qu'avec des représentants de la société civile à Berlin, à la fois
au niveau fédéral et au niveau de l'Etat, mais aussi à Potsdam,
capitale du Brandebourg, et à Schwerin, capitale du Mecklembourg-Poméranie-Occidentale,
un des deux Länder dont les parlements comptent des membres appartenant
au Parti national-démocrate, le NPD (l'autre étant la Saxe). Je
remercie le Dr Hans-Georg Maaßen, Directeur de l'Office fédéral de
protection de la Constitution, pour la discussion hautement intéressante
consacrée notamment à des questions de terminologie et de définition.
2. Définir le néonazisme
11. Comment définir le néonazisme? Aux fins de ce rapport,
je voudrais partager la définition proposée par le Dr Hans-Georg
Maaßen, faisant principalement référence à une idéologie ou à un
ensemble de croyances.
12. Le point de repère fondamental et constant de la sphère néonazie
est le national-socialisme historique, avec ses aspects idéologiques
caractéristiques que sont le racisme, l'antisémitisme, le darwinisme
social, le chauvinisme, et l'anti-pluralisme. L'objectif des néonazis
est l'instauration d'un Etat dictatorial homogène sur le plan ethnique.
Les droits individuels, la diversité d'opinions et le pluralisme
n'ont pas leur place au sein de la «communauté nationale» qu'ils
cherchent à créer et qui exclut les personnes provenant d'autres
cultures et celles décrites comme «des vies sans valeur» en raison
de leur handicap, de leur orientation sexuelle ou de leur marginalisation
sociale. L'individu est censé se soumettre à la volonté générale
préétablie. Les faits historiques sont réinterprétés sous un éclairage
révisionniste pouvant aller jusqu'à la négation de l'Holocauste. Selon
le point de vue des néonazis, la diversité ethnique et la pluralité
de la société représentent une menace pour l'existence de leur propre
peuple. La démocratie constitutionnelle est rejetée dans son ensemble
et dénoncée comme un «régime d'occupation».
13. Il convient de ce fait d'établir une distinction entre le
néonazisme, évoqué en tant «qu'extrémisme de droite», et d'autres
formes de la droite radicale, notamment des partis ou mouvements
racistes, nationalistes, xénophobes ou populistes, qui ne partagent
pas l'idéologie du national-socialisme (fascisme). La montée de ces
partis dans plusieurs Etats membres et leur présence au sein de
parlements aux plans national ou européen, voire même de coalitions
gouvernementales, constitue un phénomène extrêmement préoccupant évoqué
dans le Rapport annuel 2013 de l'ECRI comme l'une des grandes tendances
de l'année
.
Cependant, dans la mesure où ces partis ne peuvent être définis
comme néonazis, ils n'entrent pas dans le champ du présent rapport.
14. Malgré une idéologie fondamentale commune, la sphère néonazie
n'est pas homogène, certains aspects idéologiques variant au sein
des divers groupes. La vision du monde des néonazis, en particulier
chez les jeunes, est dominée par des opinions antiaméricaines, anticapitalistes
et anti-impérialistes – et donc, dans une certaine mesure, antimondialistes.
Ce milieu s'étend de groupes issus d'une forme de sous-culture à
des activistes et groupes qui continuent de prôner la restauration
du national-socialisme historique, en passant par un nombre croissant
de groupes ouverts à des variantes idéologiques de la doctrine nationale-socialiste
et par l'adoption de nouveaux comportements. Il est à noter également
que le néonazisme est souvent en sommeil dans la société en attendant
que les conditions propices à son émergence soient réunies, telles
que des conditions de crise économique ou sociale.
15. Du point de vue de l'organisation, on peut d'une manière générale
distinguer trois grandes catégories: a) les groupes qui tentent
d'obtenir une charge publique, en s'organisant via des partis politiques
et en menant des campagnes électorales; b) les groupes qui ne désignent
pas de candidats à des fonctions publiques mais tentent de mobiliser
un soutien par l'intermédiaire de mouvements sociaux plus larges
auxquels ils s'identifient; c) des groupes ou sous-cultures de moindre
importance qui opèrent de manière relativement indépendante des
partis et des mouvements sociaux plus grands, ne sont pas organisés
de façon formelle et sont généralement plus enclins à recourir à
la violence
.
16. Les cibles des néonazis sont généralement les étrangers, notamment
les migrants et les demandeurs d'asile, les juifs, les Roms, les
homosexuels, les représentants de l'Etat (policiers, juges, procureurs)
et souvent les journalistes.
17. Au cours des dernières années, le néonazisme est apparu sous
de multiples formes. L'époque du «nazi skinhead typique», facilement
identifiable, est bien révolue. Les stratégies mises en œuvre par
les militants néonazis dans la sphère publique sont de plus en plus
sophistiquées.
18. D'autres paramètres ont également changé. Ainsi, l'augmentation
importante et récente des effectifs féminins de ces groupes constitue
un phénomène inquiétant, au même titre que celle de familles entières embrassant
cette idéologie.
19. Les néonazis tentent également de propager leur idéologie
dans des contextes apparemment inoffensifs, travaillant ainsi sur
des questions socialement ou politiquement pertinentes sans pour
autant dévoiler leurs affiliations politiques. Citons comme exemples
les campagnes contre la maltraitance des enfants, les actions concrètes
de solidarité à l'égard des personnes âgées ou des victimes des
inondations, les questions environnementales, etc.
20. Les extrémistes de droite s'efforcent de diffuser leur idéologie
lors de manifestations ou de concerts. La musique, aux paroles teintées
d'extrémisme de droite, continue de jouer un rôle majeur, servant
en particulier à recruter de nouveaux adeptes, à renforcer le sentiment
d'appartenance au milieu et à mobiliser les partisans dans le cadre
de manifestations publiques.
21. Les néonazis ont de plus en plus recours à internet en tant
que principale plateforme de diffusion, de communication et de coordination
à l'échelle mondiale.
22. Enfin, je tiens à souligner qu'une évaluation de l'attrait
du néonazisme fondée sur les seuls résultats électoraux peut s'avérer
trompeuse. Dans certains Etats membres, les partis néonazis peuvent
enregistrer des scores électoraux faibles malgré des attitudes néonazies
assez répandues au sein de la population générale. Les manifestations
non partisanes de néonazisme peuvent être autant si ce n'est plus
dangereuses que la montée des partis de cette mouvance, dans la
mesure où elles sont susceptibles d'échapper plus facilement à l'attention
publique et au contrôle étatique.
23. La tuerie à motivation politique perpétrée le 22 juillet 2011
à Oslo et sur l'île d'Utoya en Norvège par un individu qui n'était
pas un membre actif d'un groupe extrémiste, et la série de meurtres
d'immigrés commis au début des années 2000 par le groupe terroriste
allemand «Nationalsozialistischer Untergrund» (NSU) et élucidée
en novembre 2011 seulement, en sont des illustrations dramatiques.
En Allemagne, les résultats électoraux du néonazi NPD restent faibles
et en Norvège, le nombre d'extrémistes de droite est relativement bas
comparativement à la plupart des autres pays européens. Par ailleurs,
dans les pays où les partis néonazis ont récemment bénéficié d'un
important soutien électoral comme l'Aube dorée en Grèce, le score
obtenu ne traduit pas nécessairement des motivations idéologiques;
pour un pourcentage important des électeurs, il est plutôt à interpréter
comme l'expression de la déception de la société et une manifestation
de protestation contre les mesures d'austérité sévères, bien que
probablement inévitables, et la hausse du chômage (qui s'élève à
60 % chez les jeunes), après plusieurs années consécutives de récession
économique, ainsi que le fruit d'une certaine frustration après
les échecs répétés des gouvernements à mettre en œuvre des politiques migratoires
efficaces. De toute évidence, la discussion relative aux moyens
de faire barrage au néonazisme ne peut se limiter aux partis politiques
et doit inclure l'ensemble de la société.
3. Mettre l'accent
sur la prévention
24. Je suis fermement convaincue qu'en matière de lutte
contre le néonazisme, il convient de privilégier la prévention plutôt
que la répression. L'identification des signes avant-coureurs devrait
permettre de mener des actions opportunes pour éviter la radicalisation.
25. Mes interlocuteurs allemands ainsi que les représentants des
gouvernements norvégien et suédois qui ont participé à l'audition
organisée à Stockholm par la commission ont fait part de l'expérience
de leur pays en termes de mesures préventives. Parmi les stratégies
pertinentes mises en œuvre, citons notamment des plans d'action
et programmes nationaux, des initiatives locales, des actions policières
préventives, des projets éducatifs et des initiatives de la société
civile. Certains exemples sont énumérés ci-après.
3.1. Plans d'action
et programmes nationaux
26. Nos interlocuteurs à Berlin nous ont informés de
l'existence de plusieurs plans, programmes et stratégies mis en
œuvre aux niveaux fédéral et du Land pour prévenir et combattre
les idéologies d'extrême droite, xénophobes et néonazies et nous
ont aussi fourni des informations sur les institutions qui en ont
la charge. L'accent est mis sur la prévention plutôt que sur la
condamnation car les mesures de répression et les sanctions à elles
seules ne sont pas considérées comme les moyens les plus efficaces
pour lutter contre l'extrémisme de droite. A cet égard, les autorités
fédérales et du Land s'appuient grandement sur la société civile.
Des programmes fédéraux comme Civitas, Xenos et Entimon ont été
conçus afin de subventionner, à l'aide de fonds publics, la conduite
d'activités auprès de la société civile visant à prévenir l'extrémisme
de droite et à développer une culture démocratique de la tolérance.
27. Dans le Land de Berlin, un plan transsectoriel intégré de
renforcement d'une culture urbaine démocratique est mis en œuvre
depuis 2008. Intitulé «Démocratie – Diversité – Respect: concept
du Land de Berlin pour lutter contre l'extrémisme de droite, le
racisme et l'antisémitisme», il fournit un cadre pour les initiatives
de la société civile et les institutions du Land. L'objectif d'ensemble
est de concrétiser la vision d'une ville cosmopolite caractérisée
par la diversité, le respect et la dignité humaine, une culture
de la reconnaissance mutuelle et la non-discrimination.
28. En Grèce, les représentants du Secrétariat général de la jeunesse
m'ont présenté les politiques et programmes visant à lutter contre
la discrimination, la violence et le fascisme. Ainsi le projet IRIS
«Combattre les stéréotypes et la discrimination: actions de promotion
de la participation, de l'inclusion et de la diversité» constitue
un partenariat entre les instances publiques et la société civile,
conçu dans le but de travailler en synergie pour garantir un impact
optimal et tirer parti de l'expérience déjà acquise en matière de
lutte contre les discriminations.
29. En Norvège, un nouveau plan d'action de lutte contre l'extrémisme
violent a été présentée en mai de cette année. Elle consiste à communiquer
massivement sur le phénomène et à informer les municipalités des pratiques
optimales à mettre en œuvre afin de relever les défis posés. Inspirée
par une initiative finlandaise antérieure, elle a également pour
objectif de lutter contre les menaces en ligne et l'utilisation
d'internet comme espace de radicalisation
.
30. En Suède, à l'issue de plusieurs années de recherche sur l'extrémisme
violent, le premier plan d'action national visant à protéger la
démocratie contre l’extrémisme faisant l’apologie de la violence
a été lancé en 2011. Ayant mobilisé 65 millions de couronnes suédoises
(quelques 8 millions d'euros) pour une période de deux ans (2012-2014),
le plan d'action met l'accent sur la prévention, l'identification
des signes avant-coureurs de la radicalisation et le renforcement
de la coopération ainsi que sur le soutien à apporter aux personnes désireuses
de quitter les groupes extrémistes. Il s'efforce d'associer la société
civile, les communautés confessionnelles, les écoles, les services
sociaux et les forces de l'ordre et vise à promouvoir la recherche
et une meilleure coopération internationale. La Ministre Ohlsson,
à l'origine du lancement de ce plan d'action, nous a indiqué avoir
comme autre objectif d'améliorer la coordination aussi bien nationale
que locale du travail préventif et de mettre en place à cet effet
un coordinateur national chargé de la prévention soutenue de toutes les
formes d'extrémisme faisant l'apologie de la violence
.
3.2. Stratégies communautaires
et actions policières préventives
31. Tous nos interlocuteurs rencontrés en Allemagne ainsi
que les représentants norvégiens et suédois qui ont participé à
l'échange de vues avec la commission ont insisté sur l'importance,
pour la communauté dans son ensemble, de réagir de manière opportune
pour lutter contre et mieux prévenir la violence des extrémistes de
droite et/ou l'émergence dans une commune ou région d'un nouveau
groupe néonazi. Parallèlement à la police, les écoles, les services
de garde d'enfants, les maires et les services municipaux pertinents,
les organisations bénévoles, les églises, les groupes d'assistance
aux victimes et les représentants de la jeunesse (les clubs de jeunes
et les clubs sportifs) peuvent également contribuer à ce processus.
L'expérience a montré qu'en l'absence de réaction opportune conjointe
de la police et des divers acteurs de la société, le problème peut
rapidement devenir incontrôlable. Quelques-uns des exemples fructueux
sont indiqués ci-après.
32. En Allemagne, dans le Land de Mecklembourg-Poméranie Occidentale
(un des deux Länder où le parti néonazi NPD est représenté au parlement),
une double stratégie de prévention et de répression est mise en œuvre
par l'intermédiaire du programme «Promouvoir ensemble la démocratie
et la tolérance». Nous avons été informés d'une évolution positive:
les maires jouent de plus en plus un rôle central dans la promotion
des valeurs démocratiques et la lutte contre les tendances extrémistes,
ils sont souvent des membres éminents des comités d'action locaux
et participent activement aux réseaux. Les actions contre l'extrémisme
de droite sont conjointement encouragées par divers acteurs de la
société, par exemple les églises, les syndicats, la fédération des
associations professionnelles ou le conseil du tourisme. Tous ces
organes coopèrent par ailleurs avec la police, les procureurs et
les centres régionaux au sein des réseaux de conseils régionaux.
Le gouvernement du Land préconise un renforcement des actions dans
les domaines suivants: le développement de structures durables de
la société civile dans les régions économiquement défavorisées du
Land, notamment les zones rurales; l'éducation politique et civique
à l'école et en dehors; le renforcement des offres démocratiques
au niveau municipal (comités municipaux de prévention, etc.) et
la formation continue des responsables à l'échelon municipal pour
leur permettre de faire face aux défis posés par l'extrême droite.
33. A Potsdam, capitale du Land de Brandebourg, nos interlocuteurs
nous ont informés du succès du modèle dit «de Brandebourg» pour
combattre la violence et les crimes de haine perpétrés par l'extrême droite
. Des agents de police spécialement
formés, proactifs et sensibilisés, employant des stratégies sociales
innovantes, associés à des ministères publics engagés et à des politiques
publiques préventives, ont permis de réduire le nombre de crimes
violents dans le Land, caractérisé dans le passé par les taux les
plus élevés d'agressions racistes et d'homicides liés à l'extrême
droite. Des unités mobiles spéciales de lutte contre la violence
et la violence anti-étrangers (MEGA) remplissent une fonction essentiellement
préventive, assurant un service de renseignement effectif et indépendant
et collectant et échangeant systématiquement toutes sortes d'informations
sur les membres des milieux d'extrême droite, leurs points de rencontre,
leurs modalités d'organisation et leurs structures.
34. L'expérience du Brandebourg a montré l'importance d'agir rapidement
face aux violences perpétrées par l'extrême droite, en particulier
par des adolescents. Des procédures accélérées menées par des services
de poursuite spéciaux et une étroite coopération entre les procureurs,
les juges, la police et les enquêteurs facilitent des mises en accusation
rapides, qui ont par ailleurs un effet dissuasif. La coopération
de la police avec les familles des délinquants et les réseaux de
la société civile a également été développée. Les forces de police
soutiennent et coordonnent des actions de prévention de la criminalité
et des mesures de lutte contre la violence dans les forums locaux
de promotion de la tolérance et dans le cadre d'autres initiatives
de la société civile. Les représentants de l'Alliance pour l'action
contre la violence, l'extrémisme de droite et la xénophobie à Brandebourg
nous ont appris que le réseau réunissait des représentants de clubs
sportifs et de jeunesse, des directeurs d'établissements scolaires,
des juges, des syndicats, des églises, des organisations non gouvernementales
(ONG), des conseils de réfugiés et des groupes de soutien aux victimes.
A son démarrage en 1997, l'administration du Land était également
partie prenante, mais compte tenu des difficultés à parvenir à un
consensus dans tous les domaines, elle s'est retirée par la suite
tout en continuant de financer le réseau. Plus important encore,
les autorités du Land accordent la plus haute priorité à la poursuite
des crimes liés à l'extrême droite et ne tentent pas de minimiser
le problème, confiant ainsi un mandat politique clair à la police
et aux initiatives pertinentes de la société civile.
35. L'expérience norvégienne nous propose des exemples similaires
de mesures policières préventives ayant notamment joué un rôle déterminant
face aux groupes extrémistes et violents. Il convient en particulier de
mentionner l'outil «entretien de responsabilisation» mis en œuvre
en Norvège depuis 1998 par des policiers chargés de mener des actions
préventives au plan local: tant les jeunes (de moins de 18 ans),
que leurs parents sont tenus de par la loi de se présenter ensemble
au commissariat de police dès lors que la police a été informée
de la participation de l'intéressé à des activités illicites. Au
cours de ce type «d'entretiens», le jeune et ses parents sont avertis
de ce à quoi il s'expose et des conséquences potentiellement destructrices pour
son avenir. Les policiers locaux cherchent à nouer le dialogue avec
les mineurs avant qu'ils ne se soient rendus coupables d'une infraction
pénale et proposent aux jeunes motivés de l'aide pour sortir de
cet environnement extrémiste et/ou criminel. Dans ce dernier cas,
la police peut également demander l'assistance des services municipaux.
L'avertissement dispensé et l'aide offerte suffisent souvent à dissuader
certains jeunes de rallier des milieux violents ou extrémistes ou
d'y rester
.
36. L'expérience en Norvège a également montré combien la constitution
de groupes de parents peut s'avérer utile. D'un côté, bon nombre
des nouvelles recrues des mouvements extrémistes sont encore suffisamment
jeunes pour écouter leurs parents, notamment lorsque ces groupes
établissent des règles communes raisonnables pour encadrer les tenues
vestimentaires, les musiques et activités extérieures de leurs enfants.
D'un autre côté, grâce à ces groupes, les parents peuvent s'entraider
et se convaincre mutuellement de ne pas tourner le dos à leurs enfants
même lorsque ces derniers adoptent des comportements offensants
voire commettent des actes violents. En cas de rejet par leurs parents,
les jeunes n'auront pas d'autre alternative que de chercher soin
et attention auprès des membres de groupes extrémistes. Un intervenant
extérieur doté des connaissances et de l'expérience requises assistera
habituellement les groupes de parents et jouera le rôle de facilitateur.
Par ailleurs, l'expérience a prouvé en Norvège que la mobilisation
des parents afin d'organiser des «rondes de nuit» est susceptible
de prévenir la violence
.
3.3. Education à la
citoyenneté démocratique et mesures de sensibilisation dans les
écoles
37. L'éducation scolaire est considérée comme l'un des
outils les plus efficaces pour prévenir et combattre l'extrémisme
de droite en favorisant la démocratie et la tolérance. C'est d'autant
plus vrai que selon les statistiques, la plupart des jeunes qui
adhèrent à des groupes extrémistes le font au début de l'adolescence
ou même avant. Il convient également de noter que les partis néonazis
ont tendance à développer des programmes et des structures visant
spécifiquement les enfants, n'ayant pas encore l'âge de voter, dans
les écoles ou les camps de vacances. Les écoles ont par conséquent
un rôle extrêmement important à jouer, pour mettre en lumière le
caractère inadmissible des idéologies qui déshumanisent les immigrants,
les réfugiés, les personnes juives, les Roms ou les homosexuels
et délégitimer ainsi la violence à leur égard.
38. Les études ont mis en avant la forte corrélation entre le
comportement des étudiants et le nombre de cours dédiés à la démocratie
et aux droits de l'homme. En d'autres termes, la mesure dans laquelle
un élève a été amené à réfléchir à des questions telles que les
droits de l'homme dans un contexte historique détermine grandement
ses attitudes.
39. Ainsi par exemple, nous avons été informés au cours de notre
visite en Allemagne que dans tous les types d'établissements scolaires
de Berlin, des mesures de sensibilisation familiarisent les enfants
dès le plus jeune âge avec les valeurs et attitudes démocratiques
et leur permettent d'en prendre la défense. Ces mesures sont mises
en œuvre dans les salles de classe et dans le cadre de projets spécifiques
s'adressant à divers groupes d'âge. D'autres actions visent également
à aider les parents à soutenir activement leurs enfants au cours
de leur scolarité. Elles guident par ailleurs ces derniers et les
aident à prendre le contrôle de leurs propres processus d'apprentissage.
40. L'éducation à la citoyenneté démocratique commence dès l'école
primaire pour les enfants de 5 ans et couvre
un vaste éventail de domaines, dont les droits de l'homme et l'éducation
à la paix, la prévention de la violence, l'éducation à l'égalité
des hommes et des femmes, l'éducation interculturelle et l'apprentissage
de la vie en société, dans le but de s'attaquer aux idéologies antidémocratiques
telles que l'extrémisme de droite et l'antisémitisme. Les élèves
développent leur aptitude à vivre ensemble dans la tolérance et
une culture de communication démocratique, par exemple grâce à la
mise en place de conseils de classe, de parlements d'école et à
diverses formes d'apprentissage coopératif et de médiation. Les
principaux projets sont intitulés «Hands for Kids» dans les écoles
primaires et «Hands across the Campus» dans les écoles secondaires.
41. Les rapports techniques du ministère de l'Education, de la
Jeunesse et de la Science du Land de Berlin, en coopération avec
l'Institut du Land de Berlin-Brandebourg pour l'éducation et les
médias, informent régulièrement les enseignants des sujets pertinents,
par exemple: «Renforcer la démocratie – Combattre l'extrémisme de
droite», «Action! Lutter contre les nazis» et «Respect: les classes
des écoles signent l'engagement de Berlin».
42. De même en Norvège, l'éducation à la citoyenneté dispensée
dans les écoles est censée prévenir la radicalisation. Les établissements
scolaires inculquent aux élèves les valeurs de la démocratie, leur apprennent
à interagir les uns avec les autres de manière respectueuse et leur
permettent de développer une compréhension multiculturelle, de les
sensibiliser aux différences ethniques et d'acquérir des compétences sociales.
Par ailleurs, le Prix Benjamin (du nom du jeune Benjamin Hermasen,
victime d'un meurtre raciste en 2001) est décerné chaque année à
une école pour son travail de lutte contre le racisme et la discrimination.
43. En Suède, dans le cadre du plan national d'action 2011, 22
ateliers consacrés à la démocratie, la tolérance et les droits de
l'homme ont notamment été élaborés pour être mis en œuvre dans les
salles de classe. Les discussions sont axées sur les valeurs, les
normes et les groupes de pression.
44. Le «projet Tolérance», mené dans la municipalité de Kungälv
en Suède, a été présenté à la commission lors de la réunion à Stockholm
par M. Christer Mattsson, chef de service de la municipalité et
enseignant. Communément appelé le «modèle Kungälv», il s'agit d'une
méthode pédagogique susceptible d'être mise en œuvre en milieu scolaire
et qui s'adresse aux jeunes ayant une vision intolérante du monde.
Ce projet à long terme a été lancé en 1995 après le meurtre brutal
d'un jeune garçon de 14 ans à Kungälv par quatre néonazis. Le projet
Tolérance met spécifiquement l'accent sur l'avenir. Il est mis en
œuvre parallèlement à l'enseignement ordinaire et s'attache à la
réussite scolaire, car l'achèvement des neuf années de scolarité obligatoire
et le passage dans le deuxième cycle du secondaire sont susceptibles
d'inciter les jeunes à quitter des environnements destructeurs.
Des étudiants d'horizons très divers, s'assoient côte à côte, et
découvrent la cohabitation et prennent connaissance de l'utilité
de participer au collectif démocratique aux moyens de l'enseignement
et de la réflexion. Le modèle Kungälv permet ainsi de renforcer
la tolérance et de réduire les attitudes racistes et l'intolérance
chez les jeunes de la municipalité.
45. M. Mattsson a par ailleurs expliqué l'influence des visites
des camps de concentration d'Auschwitz effectuées par les élèves
dans le cadre du projet. Elles ont généralement pour effet de modifier
leur vision du monde. Je tiens en particulier à citer les termes
de M. Mattsson soulignant que nous n'avons pas forcément besoin
de les convaincre des valeurs démocratiques. Il suffit de «semer
le doute dans leur esprit». Le simple fait qu'en dépit de l'existence
de mouvements néonazis à Kungälv depuis avant la seconde guerre
mondiale, le recrutement de jeunes dans la commune a aujourd'hui
totalement disparu dans la municipalité, contrairement aux communes
voisines, reflète à lui seul la réussite du projet
.
46. En Grèce, les deux médiateurs adjoints que j'ai rencontrés
ont mis en avant l'importance de l'éducation à la citoyenneté démocratique
et de la sensibilisation aux droits de l'homme tant pour les élèves
que leurs parents, ainsi que la nécessité de former les enseignants
à la lutte contre le néonazisme, compte tenu de l'activité déployée
par les membres de l'Aube dorée au sein des écoles.
4. Exemples d'initiatives
citoyennes pour prévenir ou combattre le néonazisme
4.1. Consultations itinérantes
contre l'extrémisme de droite à Berlin (MBR)
47. Depuis 2001, l'équipe mobile de conseil contre l'extrémisme
de droite (MBR – Mobile Beratung gegen Rechtsextremismus
in Berlin) offre ses conseils et son soutien aux habitants
de Berlin ayant l'envie ou le besoin de s'engager dans la lutte
contre l'extrémisme de droite, le racisme et l'antisémitisme. L'équipe
se dit itinérante du fait qu'elle va à la rencontre des personnes
qui demandent de l'aide sur leur lieu de travail ou à leur domicile.
Sa valeur ajoutée est donc de mettre ses membres, ses conseils et
ses consultations au cœur de la réalité quotidienne des personnes
déjà engagées ou désireuses de se mobiliser. Les groupes clients
les plus fréquents de la MBR sont des groupes de jeunes (en particulier
ceux qui sont visés par la violence et la domination des extrémistes
de droite), des groupes d'action civique, des ONG, des enseignants,
des travailleurs sociaux ainsi que des autorités civiles et des
responsables politiques aux niveaux municipal et fédéral. La MBR
travaille également avec les propriétaires fonciers et a élaboré
un modèle type de bail afin d'éviter la location de locaux à des
organisations néonazies.
48. La motivation poussant à agir contre les tendances discriminatoires
et antidémocratiques dépend du degré de sensibilisation à ces problèmes,
que ce soit dans son environnement proche ou dans la société en général.
L'objet et le but à long terme de ces travaux est de repousser l'extrémisme
de droite en défendant les idéaux démocratiques et en veillant au
développement d'une culture démocratique au niveau local et dans
la vie de tous les jours. La MBR encourage donc la culture démocratique
chez les jeunes dans la région de Berlin et travaille avec plusieurs
groupes autonomes de jeunes. Les quartiers ayant reçu le soutien
de la MBR ont mis en place des réseaux d'action d'initiative locale
pérennes. Ces personnes ont appris à surveiller l'évolution de la
situation locale et sont capables d'agir rapidement pour bloquer
immédiatement les activités néonazies.
4.2. Initiative ENDSTATION
RECHTS et projet Storch Heinar en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale
49. Lorsque le NPD est entré pour la première fois au
parlement d'un Land après les élections de 2004 en Saxe, la société
allemande est tombée de haut. Le deuxième succès du NPD lors des
élections régionales de 2006 en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale
était quant à lui attendu. En réponse à la propagande agressive
du NPD s'appuyant principalement sur la xénophobie, les jeunes sociaux-démocrates
ont lancé l'initiative «ENDSTATION RECHTS» («Terminus à droite»)
visant à mener une campagne contre le NPD en s'attaquant aux slogans
et à l'idéologie du parti néonazi et en révélant des informations
sur les candidats. A la suite du succès électoral du NPD (qui a
obtenu 7,3 % des suffrages et est entré au parlement du Land), ENDSTATION
RECHTS s'est mué en un portail d'informations en ligne qui fournit
des renseignements actualisés sur les stratégies et les activités
modernes des extrémistes ainsi que sur les mesures actuellement élaborées
pour les contrer.
50. «Storch Heinar» (Heinar la cigogne) est un projet particulier
géré par des bénévoles et financé par des donateurs privés. Il a
été élaboré en 2008 en réaction au succès de la marque de vêtements
«Thor Steinar» qui était (et est toujours) très prisée dans les
milieux d'extrême droite et qui joue sur des références à la mythologie
nordique ainsi que sur le nom du général SS Felix Steiner («Division
Thor Steinar»). L'objectif du projet était de créer une marque humoristique
et démocratique qui prenne le contrepied de l'original, tourne en dérision
les slogans néonazis et sensibilise aux tendances culturelles marginales
racistes, xénophobes, homophobes ou révisionnistes qui sont exprimées
en portant certains vêtements et en écoutant une certaine musique.
Ces marques distinctives sont souvent exploitées par les idéologues
d'extrême droite pour recruter de nouveaux sympathisants et les
faire adhérer à leur vision du monde antiparticipative. Storch Heinar
a donc commencé comme une parodie de l'idéologie nazie. A grand
renfort d'ironie, la cigogne s'est imposée comme une image représentative
de la lutte contre les néonazis.
51. La page Facebook «Storch Heinar» est suivie par plus de 85
000 personnes. En parallèle, une personne en costume de cigogne
accompagnée par une fanfare dont les membres portent des déguisements
pseudo-militaires organisent des actions contre les néonazis dans
la rue en jouant des marches militaires aux textes humoristiques.
Dans la lutte actuelle contre le néonazisme et le racisme, l'ironie
semble être l'une des armes les plus affûtées pour affronter l'ennemi.
Les extrémistes de droite semblent incapables de trouver une parade.
52. Le principal objectif de Storch Heinar est d'attirer, de susciter
et de développer la participation démocratique, en particulier chez
les jeunes, en leur donnant des informations fiables au sujet des
stratégies actuelles des néonazis et en leur fournissant au quotidien
des solutions pour adopter une attitude démocratique et rejeter
la propagande néonazie, en portant simplement, par exemple, une
chemise Storch Heinar ou en «décorant» les affiches de propagande
avec des autocollants Heinar. Cette initiative permet ainsi d'attirer
dans la lutte pour la démocratie des jeunes qui auraient été autrement
indifférents à ces questions ou qui n'auraient pas souhaité rejoindre
un parti ou un mouvement à long terme. Son expérience avec les écoles révèle
aussi que les jeunes sont plus attirés par les idéaux démocratiques
si ces derniers leur sont présentés grâce à une approche pédagogique
différente, fondée sur la parodie, la satire, l'humour et la créativité.
53. Au cours de ma visite à Schwerin, j'ai pu constater à quel
point les affiches de Storch Heinar collées juste à côté de celles
du NPD pouvaient affaiblir le message néonazi et démontrer son absurdité.
C'est avec plaisir que j'ai appris que le NPD avait perdu 35 % de
ses sièges aux conseils municipaux après les élections locales de
mai 2014 en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale.
5. Application de
la loi et mise en œuvre efficace de la législation sur le crime
de haine et le discours de haine
54. Dans la lutte contre le néonazisme, une coopération
et une coordination efficaces entre les divers organes en charge
de l'application de la loi sont essentielles.
55. A titre d'exemple, nos interlocuteurs à Berlin nous ont déclaré
que la coopération étroite entre les Offices de protection de la
Constitution (services de renseignement) et la police a joué un
rôle déterminant dans la décision du ministère public fédéral d'ouvrir
plusieurs enquêtes pour suspicion de formation d'une organisation terroriste.
56. Selon le rapport de 2013 sur la protection de la Constitution,
la difficulté pour les services de renseignement consiste à identifier
ceux qui sont susceptibles de prendre à cœur la devise du NSU «des
actes, pas des mots» et ce dans les rangs d'un groupe de personnes
faisant leur des arguments irrationnels, poursuivant des fantasmes
violents et véhiculant des images apocalyptiques. De même, dans
son évaluation annuelle de la menace menée en 2013, l'Agence norvégienne
de sécurité de la police, notant que les groupes d'extrême droite
restent petits en taille et consistent en des réseaux sans grande
cohésion, souligne comme principal défi l'identification des extrémistes
potentiels qui ne font pas partie de l'extrême droite organisée
(à l'instar de Breivik), car ces individus sont difficiles à détecter.
57. Faisant référence au dossier NSU, nos interlocuteurs à Berlin
ont évoqué à cet égard le rapport de 1 000 pages publié en décembre
2013 par la commission parlementaire d'enquête spéciale et ont insisté notamment
sur la nécessité d'une coopération et coordination plus efficaces
entre les diverses instances chargées de l'application de la loi.
Le chef de la police de Berlin, M. Klaus Kandt, et le directeur
de l'Office de protection de la Constitution, M. Bernd Palenda,
nous ont indiqué qu'un grand nombre d'enseignements avait été tirés
de l'affaire NSU.
58. Dans le même temps, le représentant du Land de Berlin a attiré
notre attention sur la difficulté à trouver un juste équilibre entre
la nécessité de protéger la liberté d'expression et le droit à la
vie privée (protection des données) des extrémistes et les droits
fondamentaux des groupes démocratiques qui souhaitent réagir et
par exemple empêcher ou bloquer des manifestations organisées par
des extrémistes.
59. Une mise en œuvre efficace et stricte de la législation sur
le crime de haine et le discours de haine s'avère elle aussi indispensable
pour combattre le néonazisme. Cependant, en dépit de leur existence
dans la plupart des Etats membres du Conseil de l'Europe, les lois
pertinentes n'y sont pas toujours appliquées efficacement. Le défaut
de mise en œuvre de ces lois peut résulter d'un manque de volonté
politique, mais il peut aussi être simplement le fruit d'un manque
de connaissance et d'expérience dans l'identification des infractions
à connotation raciste, aussi est-il nécessaire de mettre en place
des formations spéciales sur les crimes et discours de haine destinées
aux juges, procureurs et membres de la police.
60. Le rapport de M. Gunnarsson «Une stratégie pour la prévention
du racisme et de l'intolérance en Europe» (
Doc. 13385) contient une analyse approfondie des concepts de crime
et de discours de haine ainsi qu'un aperçu de la jurisprudence pertinente
de la Cour européenne des droits de l’homme, des travaux entrepris
par d'autres instances du Conseil de l'Europe notamment l'ECRI,
ainsi que des informations du terrain. Je renvoie à la
Résolution 1967 (2014) pour des recommandations spécifiques adressées aux Etats membres
dans la lutte contre le crime et le discours de haine.
61. Je tiens pour ma part à souligner que, pour renforcer l'effet
dissuasif de l'action des organes en charge de l'application de
la loi, les sanctions individuelles devraient être accompagnées
d'un message clair délivré par les responsables politiques et des
institutions indépendantes, par exemple les médiateurs des droits
de l'homme, mais aussi par les organisations de la société civile
et les médias (y compris les médias sociaux), indiquant que les
crimes et les discours de haine ne sauraient être tolérés dans une
société démocratique fondée sur l'Etat de droit. L'ensemble de la
société doit réagir à un stade précoce, avant que ce phénomène ne
prenne des proportions démesurées et devienne incontrôlable. Bon
nombre de mes interlocuteurs en Grèce ont par exemple déclaré que
les crimes de haine et les nombreuses manifestations de discours
de haine par des parlementaires et des partisans de l'Aube dorée
n'auraient pas eu lieu si l'Etat et la société dans son ensemble
avaient réagi suffisamment tôt.
62. A l'initiative de jeunes militants dans le cadre du Mouvement
contre le discours de haine du Conseil de l'Europe (voir ci-dessous),
une pétition a été lancée pour faire du 22 juillet la Journée européenne
pour les victimes des crimes de haine
. La pétition s'adresse aux parlementaires
nationaux, notamment aux membres de l'Assemblée parlementaire, et
aux parlementaires européens. L'initiative a récemment reçu l'appui
du Groupe national de soutien aux victimes des attentats du 22 juillet
en Norvège ainsi que de plusieurs ministères et autres organes.
Comme énoncé dans la pétition, qui a recueilli pour l'heure plus
de 3 500 signatures, l'initiative vise à perpétuer la mémoire des
victimes de crimes de haine et de celles qui ont perdu la vie dans des
agressions de cette nature, à faire preuve de solidarité, à sensibiliser
et à éduquer le grand public aux crimes de haine et à leurs répercussions
pour la société. A titre personnel, je considère cette initiative excellente
et estime qu'elle devrait bénéficier du soutien plein et entier
de notre Assemblée.
6. Combattre les discours
de haine néonazis en ligne
63. Internet est de plus en plus utilisé par les extrémistes
de droite comme plateforme de communication et organe de propagande
extrémiste, mais aussi pour coordonner leurs activités. Internet
garantit une diffusion rapide et une portée énorme associées à une
vaste liberté de création. Le matériel pouvant être publié de manière
anonyme, les opinions extrémistes y sont exprimées ouvertement et
de manière éhontée.
64. Les manifestations en ligne de discours de haine sont plus
difficiles à contrôler, mesurer et combattre. Il est délicat aussi
d'estimer et d'évaluer leur impact car ces discours sont souvent
tenus à titre individuel et parfois de manière anonyme. L'impact
est généralement perceptible quand le mal est déjà fait, s'agissant notamment
des enfants et des jeunes ciblés par des discours de haine combinés
à la cyberintimidation.
65. Le discours de haine en ligne pose des problèmes particuliers
à la police et aux services de renseignement qui doivent nouer le
dialogue sur internet pour tenter d'identifier les personnes radicalisées
ou en voie de radicalisation. N'oublions pas, par exemple, qu'internet
a joué un rôle central dans le processus de radicalisation d'Anders
Breivik et la planification de ses crimes.
66. Mais au-delà des actions policières en ligne, il convient
de prendre des mesures pour sensibiliser et éduquer le public à
la lutte contre le discours de haine et à la prévention de ses conséquences.
Il convient d'enseigner aux enfants et aux jeunes leurs responsabilités
civiques en ligne ou hors ligne. Il est important par ailleurs que
les programmes d'éducation à la citoyenneté et aux droits de l'homme
prennent également en compte les dimensions en ligne du discours
de haine.
67. Le Conseil de l'Europe contribue concrètement à la lutte contre
le discours de haine en ligne par l'intermédiaire de sa campagne
contre le discours de haine. Je vais évoquer brièvement cette campagne
car je pense qu'elle est cruciale pour combattre le néonazisme et
mérite le soutien plein et entier de l'Assemblée parlementaire et
de tous les Etats membres.
6.1. La campagne contre
le discours de haine du Conseil de l'Europe
68. Le Mouvement contre le discours de haine est une
campagne paneuropéenne conçue par les jeunes au sein du Conseil
de l'Europe. Il a pour objectif de faire prendre conscience du discours
de haine en ligne, et de le combattre. Le Mouvement comprend des
campagnes nationales qui se mettent en place en Europe et qui impliquent
des jeunes aussi bien en ligne qu'hors ligne. Il se focalise sur
l'éducation aux droits de l'homme, en y incluant les écoles. Son
objectif est de faire d'internet un espace sûr pour les droits de
l'homme, à la disposition de tous, partout.
69. La campagne vise à réduire l'acceptation du discours de haine
en ligne comme phénomène «normal» et inévitable. La toute première
étape, consacrée à la sensibilisation, doit être suivie par une
mobilisation des autorités publiques et de la société civile afin
qu'elles agissent et invitent à l'action. La campagne cible tout particulièrement
les communautés scolaires et a donné lieu à l'élaboration d'un manuel
éducatif – «Bookmarks». Elle offre également aux jeunes la possibilité
de développer leur propre projet, d'agir en tant qu'éducateurs de
leurs pairs et de renforcer leur appropriation de l'espace internet.
Parallèlement à cet aspect éducatif, elle appelle également à mettre
au point des moyens de contrôler et réagir aux discours de haine
en ligne au plan national (car une contextualisation des réponses
s'impose).
70. Démarrée le 22 mars 2013, la campagne se poursuivra jusqu'à
la fin du mois de mars 2015. Elle est désormais mise en œuvre dans
39 Etats membres
. La campagne a démontré qu'il y
a un réel besoin de lignes directrices normatives claires pour lutter
contre le discours de haine aux niveaux national et européen.
71. Il convient selon moi de soutenir sa mise en œuvre dans tous
les Etats membres et d'appeler des contributions volontaires pour
pallier le manque de financements. L'implication des parlementaires
à l'échelon national dans les comités nationaux de campagne serait
une valeur ajoutée hautement appréciable.
72. A cet égard, il est à noter que notre commission sur l'égalité
et la non-discrimination a proposé, au titre du suivi de la
Résolution 1967 (2014) de l'Assemblée sur une stratégie pour la prévention du
racisme et de l'intolérance en Europe, la création d'une Alliance
parlementaire contre la haine. Cette alliance se composera d'un
réseau de parlementaires engagés à prendre position ouvertement,
fermement et de manière proactive contre le racisme, la haine et
l'intolérance et à participer à un certain nombre d'activités dans
leurs pays respectifs. Une Charte des engagements des membres de
l'Alliance a été établie, que chaque membre devra approuver et signer
au moment de son adhésion. La Charte comporte l'engagement de soutenir
et participer au travail des comités nationaux du «Mouvement contre
le discours de haine» du Conseil de l'Europe
. Pour ma part,
je souhaite lancer un appel en faveur de cette Alliance et j'encourage
tous mes collègues à la rejoindre et à soutenir ses activités.
6.2. La fondation Amadeu
Antonio et le projet «No-nazi.net»
73. «No-nazi.net» est un projet-pilote mis en œuvre depuis
2011 principalement au niveau national, sous l'égide de la fondation
Amadeu Antonio
à
Berlin. Il repose sur le constat simple de l'importance d'internet
pour les jeunes, et sur le fait que le web est la principale plate-forme
de la propagande d'extrême droite. Une équipe de cinq personnes
suit régulièrement tout ce qui se passe dans les milieux d'extrême-droite
en Allemagne et au niveau international et assiste un réseau de
bénévoles qui surveillent et combattent les discours de haine en
ligne. En outre, ces personnes conçoivent et testent des outils
et des modules éducatifs en ligne sur les droits de l'homme et les
valeurs démocratiques, en vue de recruter, de former et d'aider
de jeunes militants en ligne. Ces outils sont notamment des blogs,
des vidéos, des graphiques, des quiz, des textes, des liens internet,
etc. La plupart sont conçus comme des outils à court terme mais
visent un engagement à long terme des jeunes militants, en leur
apportant une aide durable.
74. L'équipe cherche à nouer des contacts avec les jeunes sur
internet dont l'expression témoigne d'un processus de radicalisation.
A la différence des travaux pédagogiques traditionnels, le projet
No-nazi.net prend le pari d'établir un lien avec son public cible,
en l'absence de communication directe. Outre les travaux avec les
jeunes, l'équipe a établi de solides partenariats avec des sociétés
et des organisations comme Facebook, Google et de plus petits fournisseurs
nationaux en Allemagne. De nombreux enseignants, et travailleurs
de jeunesse utilisent ses supports pour en apprendre davantage et
se former mutuellement au sujet de l'extrême droite et des autres
formes d'hostilité à l'encontre de certains groupes en ligne.
75. La fondation Amadeu Antonio est en contact avec le Service
Jeunesse du Conseil de l'Europe (responsable de la campagne européenne
du «Mouvement contre le discours de haine»).
7. Combattre l'anti
sémitisme
76. Au cours de l'audition sur l'antisémitisme tenue
à Strasbourg en juin 2014, un mois après le tragique assassinat
de quatre ressortissants juifs au Musée juif de Bruxelles, le Dr
Gideon Botsch du Centre d'études juives européennes Moses Mendelssohn
de l'Université de Postdam en Allemagne, a évoqué, entre autres, les
défis spécifiques posés par l'antisémitisme dans le contexte du
nationalisme radical et de l'extrémisme de droite xénophobe
. Les organisations néonazies en
particulier, mais aussi différents groupes d'extrême droite, distillent
régulièrement un antisémitisme militant qui se traduit aussi par
des slogans contre les juifs, les dégradations de biens appartenant
à des juifs et les agressions violentes. Désormais, de tels groupes nationalistes
et antisémites sont même représentés au Parlement européen. Il existe
en outre des sous-cultures de jeunesse, par exemple dans le domaine
des supporters de football ou de la musique, où les slogans, les
chansons ou les symboles antisémites sont très courants. Cet antisémitisme
radical et nationaliste sert de fondement à la négation ou à la
relativisation des campagnes de meurtres organisés à l'encontre
des juifs durant la seconde guerre mondiale
.
77. Le Dr Botsch a également souligné que les actes antisémites
sont plus fréquents en période de regain de tension entre Arabes
et Israéliens au Proche-Orient – avec une tragique intensité maximale
lors de la deuxième Intifada au début des années 2000, mais aussi
dans le contexte du conflit militaire au Liban, dans la bande de
Gaza, etc. Cette tendance semble avoir été confirmée suite à l'escalade
récente du conflit entre Israël et les Palestiniens à Gaza dans
la mesure où des rapports en provenance de pays européens indiquent un
accroissement des attaques contre les personnes juives ces derniers
mois. En règle général, ces attaques et cette hostilité ne sont
pas des réponses à des provocations et elles sont plus souvent dirigées
contre la communauté juive ou des Juifs à titre individuel plutôt
que contre les institutions de l'Etat d'Israël.
78. Dans le contexte des expériences tant positives que négatives
en matière de lutte contre l'extrémisme de droite, que le Centre
Moses Mendelssohn a étudié, et en prenant notamment l'exemple du
Land allemand de Brandebourg (voir également plus haut), le Dr Botsch
a suggéré les actions suivantes dans le cadre de la lutte contre
l'antisémitisme.
79. Premièrement, pour obtenir un rejet sans équivoque de l'antisémitisme
dans la politique et dans la société, il faut un consensus contre
cet antisémitisme. Deuxièmement, il faut une solidarité sans équivoque avec
les victimes de l'antisémitisme, qui ne doit pas s'accompagner d'une
quelconque marque de compréhension à l'égard des auteurs de tels
faits. Et j'ajouterais que ceci est d’autant plus pertinent en période d'escalade
de tension au Moyen-Orient, comme c'est le cas présent. Troisièmement,
il faut œuvrer à la prise de conscience et à la reconnaissance de
l'antisémitisme, à tous les niveaux et sous toutes ses formes, en
tant que problème social et politique en Europe. Quatrièmement,
le problème doit aussi être documenté de manière régulière et complète
et faire l'objet de recherches empiriques, et les conclusions devraient
être publiées dans des rapports périodiques. Cinquièmement, des
mesures coordonnées et énergiques doivent être prises pour combattre
l'antisémitisme: à la fois par la prévention des infractions et
violences à caractère antisémite et par des sanctions légales, administratives
et matérielles; par la promotion des initiatives de la société civile
contre l'antisémitisme visant à faire de celui une question transversale,
comme pour l'extrémisme de droite, la xénophobie et d'autres formes
de discrimination; et enfin, par des mesures éducatives appropriées
dans le cadre des programmes d'enseignement, en dehors de ceux-ci
et dans l'éducation pour adultes.
8. Mesures de protection
des victimes et des témoins du néonazisme
80. Comme je l'ai déjà évoqué, plusieurs de mes interlocuteurs
en Allemagne ont insisté sur le fait que je devais accorder une
attention particulière à la nécessité de renforcer les mesures d'aide
aux victimes. Autonomiser les victimes a également un fort effet
dissuasif.
81. Six groupes d'aide aux victimes dans l'ancienne Allemagne
de l'Est (le premier a été créé dans le Brandebourg) et à Berlin
ainsi que des groupes moins importants dans l'ancienne Allemagne
de l'Ouest ont apporté leur soutien à plusieurs milliers de victimes
de l'extrémisme de droite, ainsi qu'à des témoins dans des affaires
qui ont finalement été portées devant la justice. Il est important
de comprendre que les néonazis font partie de la société au niveau
local dans les régions où ils ont une assise solide. Ils sont par
exemple bien intégrés dans les clubs de sport. C'est pourquoi les
groupes de la société civile ont souvent plus de facilité à les
identifier que la police. Les mesures d'aide et de soutien aux victimes
encouragent la population à sortir du silence et luttent contre
le sentiment d'impunité.
82. Ces initiatives citoyennes sont toutefois perçues comme des
«projets pilotes» et leur financement n'est pas garanti. Il conviendrait
d'agir sur ce point pour faire en sorte qu'ils disposent d'un financement
régulier. Il est particulièrement important de mettre l'accent sur
les victimes plutôt que sur les auteurs des faits.
83. Parmi les nombreux exemples de structures d'aide aux victimes
à Berlin, on peut citer:
- le
Commissaire berlinois aux victimes, désigné pour la première fois
en octobre 2012, notamment en vue de coordonner et de renforcer
la coopération entre les diverses organisations de soutien ainsi
que de donner davantage de poids politique aux préoccupations des
victimes ;
- le centre de conseil ReachOut, destiné aux victimes de
violences extrémistes de droite, racistes et antisémites à Berlin.
Depuis 2002, il photographie des scènes de crime, publie des informations concernant
des agressions et réalise des expositions de ces clichés. Les clients
bénéficient d'une expertise juridique et d'un soutien psychologique
ainsi que d'une escorte pour se rendre au commissariat ou au tribunal.
Dans une interview, des membres de l'équipe ont évoqué ce genre inhabituel
de travail de publicité, les agressions dans les parties ouest et
est de la ville et la raison pour laquelle la parole est la première
étape de la guérison ;
- l'association WEISSER RING e.V.,
créé en 1976, est le seul réseau d'aide aux victimes actif dans
tout le pays .
9. Mesures pour aider
les personnes à quitter les mouvements néonazis: les projets «exit»
84. L'idée d'utiliser des individus issus de la sphère
néonazie (mais qui ont décroché) qui possèdent les qualités personnelles
et la motivation nécessaire pour amener d'autres membres à quitter
ces mouvements a été lancée en Norvège en 1997 et adoptée l'année
suivante en Suède, avec la création d'EXIT Suède, composé d'anciens
militants d'extrême droite. Ces derniers ont aidé des jeunes en
nouant avec eux des relations personnelles qui leur ont permis de
créer un réseau de «décrocheurs au service des décrocheurs» (Conseil
suédois de prévention de la criminalité, 2011). Le projet suédois
a également porté assistance à des extrémistes norvégiens de droite
qui souhaitaient quitter ce milieu et a inspiré des actions similaires
en Allemagne.
85. Au cours de la réunion de la commission à Paris en septembre
2013, nous nous sommes entretenus avec le directeur du projet suédois
EXIT (EXIT Frysguset). Durant son adolescence, M. Örell a été impliqué dans
un mouvement «pouvoir blanc». Selon lui, les nombreux jeunes qui
adhèrent à des groupes de pouvoir blanc dans le monde entier sont
davantage attirés par l'appartenance à un groupe, la protection
et la volonté de donner un sens à leur vie plutôt que par l'idéologie.
Beaucoup de personnes quittent ces mouvements néonazis ou de pouvoir
blanc avant l'âge adulte. Le problème essentiel est posé par les
plus de vingt ans qui continuent d'y adhérer. L'organisation qu'il
dirige dispose d'un vaste réseau composé notamment d'anciens membres
de groupes néonazis et de travailleurs sociaux professionnels. L'ONG
mène des activités de prévention et de conseil auprès des parents
et aide les jeunes à quitter des groupes criminels.
86. M. Örell a insisté sur deux messages. L'un s'adresse à la
société: «Il est possible de comprendre et de réagir aux milieux
prônant la suprématie de la race blanche à condition d'avoir une
bonne connaissance de la radicalisation et des réseaux relationnels».
Le deuxième s'adresse aux membres de ces mouvements: «Il est possible
d'en sortir et de réintégrer la société. Ce changement est à votre
portée.»
87. Au cours de notre visite à Berlin, nous avons eu un échange
de vues fort intéressant avec M. Bernd Wagner, criminologue et ancien
inspecteur de police, cofondateur (avec l'ancien leader néonazi
Ingo Hasselbach) de l'initiative fédérale «Exit-Allemagne: des solutions
pour sortir de l'extrémisme»
, et ses collaborateurs, parmi lesquels
M. Christian Ernst Weißgerber, ancien leader néonazi qui nous a
expliqué comment il était entré dans le néonazisme et comment il
en était sorti.
88. Fondée en 2000, Exit-Allemagne a été la première initiative
de ce type en Allemagne, bénéficiant des travaux antérieurs sur
l'extrême droite menés dès les années 1990. Exit-Allemagne aide
les personnes qui veulent quitter les mouvements d'extrême droite
et commencer une nouvelle vie. S'appuyant sur les valeurs de la
liberté individuelle et de la dignité, Exit-Allemagne a aidé quelque
500 personnes à rompre avec le néonazisme («décrochage»). Dans 12
cas seulement, les personnes concernées sont retournées vers des structures
extrémistes similaires. Pour Exit-Allemagne, «le parcours Exit n'est
achevé qu'au terme d'une réflexion critique, d'une réévaluation
et d'une remise en cause de l'ancienne idéologie. Il signifie davantage
(...) que le simple fait de quitter un parti ou un groupe. Il ne
s'agit pas simplement de changer de mode d'expression ou de renoncer
à la violence. Pour que le parcours Exit soit un succès, il faut
avoir abandonné les idéologies et les finalités qui inspiraient
les actions passées».
89. Pour aider les personnes à tourner le dos à l'extrême droite,
Exit-Allemagne établit un dialogue individuel et travaille sur la
biographie des personnes souhaitant décrocher et sur les raisons
pour lesquelles elles sont devenues des néonazis. L'initiative apporte
une aide en cas de danger ou de menace d'agression physique ou de
persécution. Si nécessaire, elle rend visite en prison aux personnes
qui «ont décroché» et travaille avec elles à ce qu'elles abandonnent
leur ancienne vision du monde et posent un regard différent sur
leur passé, y compris leurs délits éventuels. L'organisation les
aide aussi à développer de nouvelles compétences et idées en renforçant
tous les outils de promotion personnelle. Elle travaille avec ces
personnes à ce qu'elles recréent des liens personnels et à les réorienter
dans leur vie quotidienne, comme à l'école ou au travail, et leur
propose de nouveaux modes de pensée tout en précisant que le fait
de quitter l'extrême droite ne les empêchera pas de continuer de
critiquer la société actuelle. L'organisation noue des contacts
avec d'anciens militants d'extrême droite et contribue à la tenue
de débats avec des personnes ayant connu la dictature. Le parcours Exit
peut durer en moyenne entre un et trois ans, mais aussi parfois
jusqu'à sept ou huit ans. Quelque 30 à 40 personnes bénéficient
de cet accompagnement chaque année.
90. La structure offre une assistance aux enseignants, aux policiers,
aux institutions et à toute personne ayant besoin d'aide et de conseils.
Elle soutient aussi les familles touchées par l'extrémisme de droite.
En offrant de nouveaux parcours, elle ouvre des possibilités et
combat le sentiment d'impuissance et la peur. Par ailleurs, une
caractéristique unique de l'initiative Exit-Allemagne est l'«atelier
des anciens militants d'extrême droite», qui mettent leur vision
et leurs connaissances irremplaçables au service d'études et de
la recherche de solutions concrètes. Il est de la plus haute importance
que les personnes qui ont quitté l'extrême droite s'expriment publiquement
et en encouragent d'autres à suivre leur exemple.
91. Lorsque nous l'avons rencontré, M. Weißgerber a cité les raisons
purement idéologiques pour lesquelles il était tout d'abord devenu
néonazi, jusqu'à en devenir un membre influent, étant l'un des instigateurs,
à la fois, des changements dans la manière de faire de la politique
et de s'habiller. Cependant, il a progressivement commencé à se
méfier de termes comme «Folke» ou «Nation» et à s'en dissocier.
Un an plus tard, il a pris contact avec Exit-Allemagne et a rejoint
le projet, avec un ami. Les membres de l'équipe qu'il a rencontrés
ont su déconstruire son cadre idéologique et l'aider à se déradicaliser.
Cependant, dès qu'il a commencé à s'éloigner ouvertement du milieu
néonazi, il a été stigmatisé, a perdu des amis et a même été menacé.
Exit-Allemagne l'a aussi aidé de ce point de vue. Il a concédé qu'il
aurait peut-être été plus difficile de quitter le néonazisme s'il
n'avait pas effectué tout ce parcours avec un ami.
92. D'après M. Wagner, la lutte contre le néonazisme doit être
intersectorielle et s'attaquer d'une part à l'idéologie et d'autre
part à la structure des mouvements néonazis. L'éducation dispensée
dans les écoles est également selon lui l'un des outils les plus
efficaces.
93. Toujours en Allemagne, le programme «Exit to Enter» est spécifiquement
axé sur l'assistance aux personnes souhaitant décrocher dans le
contexte du marché du travail. Créé sous l'égide du programme XENOS
– Intégration et diversité du gouvernement fédéral et représentant
un volet de son plan d'action national en faveur de l'intégration,
le programme «Exit to Enter» combine des systèmes et des idées conçus pour
aider les personnes à quitter les mouvements d'extrême droite et
à intégrer le marché du travail ou à suivre une formation professionnelle
leur permettant de retrouver un emploi
.
10. Bref aperçu des
mesures prises face aux partis néonazis
94. Je rappelle que dans une proposition distincte incluse
dans mon mandat, M. Montag et d'autres membres de l'Assemblée ont
spécifiquement évoqué la récente hausse de popularité «des partis
dont les programmes contiennent des éléments xénophobes, racistes
et antisémites, notamment le parti grec Chrysi Avgi [Aube dorée]
et le parti hongrois Jobbik, et des responsables politiques qui
affichent des points de vues fascistes et néonazis et usent d'un
langage raciste» (voir
Doc.
13103 et ci-dessus, chapitre 1).
95. M. Montag note que, dans ce contexte, les symboles et structures
des partis nazis et fascistes du passé, tels que des logos de parti
rappelant les croix gammées, sont à nouveau utilisés et des groupes
de voyous qui attaquent les immigrés se constituent. Les principales
préoccupations suscitées par la montée des partis néonazis en Europe
ont aussi été soulevées dans une troisième proposition présentée
par M. Triantafyllos (voir
Doc.
13332 et ci-dessus, chapitre 1).
96. Comme le souligne à juste titre M. Montag, les partis promouvant
l'idéologie néonazie n'arrivaient auparavant qu'à remporter une
petite proportion des votes. Or, ils ont aujourd'hui réussi à entrer
dans les parlements ou au Parlement européen.
97. Le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe
a également à plusieurs reprises attiré l'attention sur ce phénomène
inquiétant, appelant les responsables politiques nationaux et la
Communauté européenne à agir face au risque supplémentaire de renforcement
de ces partis à l'échelon européen par le biais d'alliances. A titre
d'exemple et comme cité dans le rapport annuel 2013 sur la protection
de la Constitution, le fait que les néonazis allemands considèrent
le succès du parti grec l'Aube dorée comme un signal encourageant
pour tous les groupes nationalistes montre bien que «les foules
endormies peuvent être réveillées si les conditions s'y prêtent».
Alors que le parti allemand NPD a enregistré un net recul au cours
des dernières élections régionales, son entrée pour la première
fois au Parlement européen en a choqué beaucoup.
98. Fait encourageant, des mesures gouvernementales et judiciaires
ont été prises au quatrième trimestre 2013 pour démanteler l'un
des partis néonazis les plus notoires en Europe, Aube dorée.
99. Bien que ce sujet ne figure pas parmi mes principaux objectifs,
comme je l'ai expliqué au début du présent rapport, je souhaite
néanmoins évoquer brièvement les discussions que j'ai eues en Grèce
et en Allemagne concernant les mesures juridiques prises à l'encontre
de partis néonazis ainsi que certaines réflexions et un exemple
de pratique parlementaire tiré du Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, l'un
des deux Länder allemands (avec la Saxe) où le NPD est représenté
au parlement.
10.1. Mesures juridiques
100. En Grèce comme en Allemagne, mes discussions ont
inévitablement tourné autour de la question de savoir si l'interdiction
des partis néonazis présents dans ces deux pays était la voie à
suivre. Dans les deux pays, cette question était au cœur de l'actualité.
101. En fait, je me suis rendue en Grèce deux mois seulement après
la mise en œuvre des mesures de répression prises par le gouvernement
contre Aube dorée (le 28 septembre 2013), après le meurtre, dix
jours plus tôt (le 18 septembre 2013), d'un rappeur populaire, Pavlos
Fyssas, par un militant de ce parti. Ce meurtre tragique est venu
s'ajouter aux nombreux incidents dans lesquels des membres de l'Aube
dorée, dont des parlementaires, ont été impliqués dans certaines
des affaires de discours de haine et de brutalités physiques les
plus abominables, des deux dernières années. Comme me l'a expliqué
le Ministre de l'Ordre public et de la Protection des citoyens,
notre ancien collègue M. Dendias, l'établissement d'un lien direct
entre le crime et un parlementaire d'Aube dorée, et donc le parti
lui-même et ses dirigeants, a permis contrairement aux affaires précédentes
de réagir à l'assassinat du rappeur. Les responsables du parti et
certains de ses membres ont fait l'objet de poursuites pénales pour
une série d'actes criminels, allant du meurtre et de blessures corporelles
au blanchiment de capitaux, à la corruption et à la participation
à une organisation criminelle. Les poursuites étaient également
dirigées contre Mme Eleni Zaroulia, ex-membre de la délégation grecque
auprès de notre Assemblée.
102. Dans un développement distinct bienvenu, le Parlement grec
a voté une loi suspendant le financement public de l'Aube dorée
(dont le montant se serait élevé à 1,2 million d'euros par an).
103. Le Secrétaire Général et le Commissaire aux droits de l'homme
du Conseil de l'Europe ont salué les mesures prises par le gouvernement
à l'encontre de l'Aube dorée et la suspension de son financement
public. Dans son précédent rapport sur la Grèce, le Commissaire
aux droits de l'homme avait préconisé un réexamen de la législation
grecque afin de permettre l'interdiction de l'Aube dorée. Pour diverses
raisons historiques, juridiques et principalement politiques, les
autorités ont préféré agir sur la base du droit pénal contre les dirigeants
et les membres du parti, plutôt que contre le parti lui-même. Il
m'a été rapporté que d'éminents constitutionnalistes et la plupart
des partis politiques étaient également opposés à l'interdiction
en tant que telle.
104. Je tiens à résumer leurs principaux arguments politiques,
car ils sont également applicables à d'autres pays: a) la crainte
de voir l'Aube dorée, en cas d'interdiction, continuer d'opérer
hors du parlement. Le parti pourrait tout simplement entrer dans
la clandestinité et devenir ainsi encore plus dangereux; b) l'interdiction n'empêchera
pas le parti d'être présent sur la scène politique. Comme l'ont
montré les expériences antérieures dans d'autres pays, l'Aube dorée
sera remplacée par un parti moins ouvertement extrémiste, portant
une autre dénomination, qui risque de recueillir le soutien d'électeurs
moins extrémistes tout en continuant de promouvoir des positions
extrémistes; c) dernier point et non des moindres: l'interdiction
risque de diviser les partis et responsables politiques démocratiques
et d'affaiblir ainsi le front contre l'Aube dorée.
105. J'ai été personnellement convaincue par les arguments de mes
interlocuteurs grecs et je pense que, à ce stade, le système politique
ne devrait pas s'immiscer dans les poursuites pénales en cours et
le traitement judiciaire de ces affaires. Les juges et les procureurs
devraient pouvoir continuer leur travail sans qu'il soit entravé
par des considérations politiques. Le Secrétaire Général du Conseil
de l'Europe a également soutenu cette approche lors de sa visite
en Grèce en octobre 2013.
106. En Allemagne, une proposition d'interdiction du NPD a été
déposée en décembre 2013 par le Conseil fédéral (le Bundesrat) devant
la Cour constitutionnelle, un des trois organes du pays habilités
à interdire un parti. Une proposition similaire déposée quelques
années auparavant avait échoué parce que la minorité qualifiée de
la Cour avait estimé que la présence d'agents des services de renseignement
intérieur au sein du NPD brouillait sa capacité à statuer.
107. Nous avons appris que les citoyens trouvaient scandaleux qu'en
raison du système de financement des partis en Allemagne, un parti
tel que le NPD bénéficie de fonds du budget de l'Etat au titre de
sa représentation dans des institutions démocratiques qu'il vise
à abolir. Le parti reçoit annuellement près de 1,7 million d'euros, qu'il
emploie entre autres pour mener des activités contre l'ordre constitutionnel.
J'ai cru comprendre que la législation allemande actuelle ne permet
pas la suspension du financement public tant que le parti concerné n'est
pas interdit. De même, après le scandale de la NSU, l'idée d'interdire
le NPD a refait surface.
108. Le Dr Hans-Georg Maaßen, directeur de l'Office fédéral de
protection de la Constitution, m'a indiqué que l'interdiction du
parti engendrerait sa stigmatisation et découragerait les éventuels
futurs adhérents. L'absence de financement public compliquerait
la tâche du parti pour recruter de nouveaux membres et limiterait
sa capacité à atteindre ses buts.
109. Cependant, les partis politiques allemands semblent divisés
sur la question de l'interdiction du NPD. Seul le parti de la gauche
(Die Linke) est unanimement en faveur de son interdiction, les autres
partis étant divisés ou y étant opposés. En tout état de cause,
interdire un parti risque de renforcer les actions clandestines et
ne résoudra pas le problème des associations locales, les «Kameradschaften»,
qui sont les plus dangereuses. Certains prétendent qu'il vaudrait
mieux poursuivre la lutte contre les extrémistes plutôt que de les
interdire. Des arguments similaires à ceux entendus en Grèce contre
l'interdiction ont également été avancés par plusieurs de mes interlocuteurs
allemands.
110. Du point de vue juridique, selon la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme et les lignes directrices de la
Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission
de Venise) sur l'interdiction et la dissolution de partis politiques
et les mesures analogues, adoptées par la Commission de Venise en
1999
, l'interdiction d'un parti politique
ne peut se justifier que dans des circonstances exceptionnelles.
Ceci ne remet pas en cause la responsabilité pénale des dirigeants
et membres de partis, y compris des parlementaires, qui prononcent
des discours de haine ou se rendent coupables de crimes de haine
ou autres infractions pénales.
111. A mon sens, en tant que responsable politique et non juriste,
même si l'interdiction d'un parti politique est compatible avec
la Convention européenne des droits de l'homme (STE n° 5) (et les
lignes directrices de la Commission de Venise), elle ne doit intervenir
en tant que telle qu'en tout dernier ressort, lorsqu'aucune autre
action ne suffit pour lutter contre les effets négatifs de ses actes.
En tout état de cause, il ne suffit pas d'une interdiction pour
faire barrage aux manifestations de néonazisme par des partis politiques
pour toutes les raisons évoquées précédemment, notamment le fait
que les partis concernés peuvent réapparaître sous une autre dénomination
ou poursuivre leurs activités dans la clandestinité. Comme le note
également M. Gunnarsson dans son rapport, «il convient de garder
à l'esprit une question simple: pourquoi les électeurs ont-ils voté
pour l'Aube dorée? Ce qui importe réellement est de s'attaquer aux
causes profondes»
. Le succès électoral
de l'Aube dorée aux élections locales et européenne de mai 2014
renforce également la valeur de cet argument. Et ceci me confirme
dans l'idée qu'il faut se concentrer sur la prévention et que les
actions opportunes doivent viser principalement les individus, dirigeants
ou membres de ces partis, et engager notamment la responsabilité
pénale des auteurs de crime et discours de haine ou de toute autre
infraction pénale.
112. Dans ce contexte, j'aimerais conclure en rappelant la position
exprimée par l'ancien Commissaire aux droits de l'homme, M. Thomas
Hammarberg, lors de notre audition à Stockholm, largement partagée
par les membres de notre commission. Selon lui, il est essentiel
de débattre avec les mouvements néonazis, qu'ils soient représentés
ou non au parlement, et de les démasquer publiquement. «Il ne faut
pas les ignorer ni en faire des martyrs», a-t-il affirmé et je partage
totalement son point de vue.
10.2. Un exemple de pratique
parlementaire: «l'accord de Schwerin»
113. A Schwerin, capitale du Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale,
nous avons eu une discussion très intéressante avec M. Julian Barlen,
membre du parlement du Land et porte-parole du groupe parlementaire
SPD sur les questions liées à l'extrémisme de droite. En plus des
informations communiquées par M. Barlen et ses collaborateurs concernant
diverses initiatives visant à lutter contre l'extrémisme de droite en
Allemagne en général et dans leur Land en particulier, M. Barlen
nous a également informés des mesures convenues par les groupes
parlementaires démocratiques après l'entrée au parlement du Land
pour la première fois en 2006, de cinq membres du NPD.
114. En nous présentant «l'accord de Schwerin», M. Barlen a insisté
sur le fait que ces mesures ont été prises pour démontrer l'unité
de toutes les forces démocratiques contre un parti opposé au système
de démocratie libérale de la République fédérale d'Allemagne (comme
cité dans le rapport annuel 2013 susmentionné sur la protection
de la Constitution) et qui a ouvertement pour objectif d'abolir
la démocratie parlementaire. Il a rappelé que la chute de la République
de Weimar a montré que l'absence d'unité des démocrates à cette époque
était en partie responsable de la prise du pouvoir par Hitler. Ainsi,
les 65 parlementaires des quatre groupes démocratiques représentés
au parlement du Land ont décidé les mesures tactiques suivantes:
- un seul député des groupes parlementaires
démocratiques s'oppose systématiquement à chaque proposition déposée
par le NPD. Cela signifie que les propositions du NPD sont non seulement
rejetées mais également contrées par une analyse de fond de l'idéologie
inhumaine des extrémistes de droite;
- chaque proposition soumise par le NPD est rejetée à l'unanimité
par les groupes parlementaires démocratiques: le NPD n'étant pas
considéré comme un parti politique «normal», les interactions habituelles
lui sont refusées;
- les parlementaires démocratiques participent à des débats
et à des événements d'information à la condition expresse qu'aucun
représentant du NPD ne soit invité: les forces démocratiques se
défendent de placer le NPD sur un pied d'égalité et de le légitimer
progressivement.
115. Il convient de noter qu'une telle approche, fondée sur un
«consensus démocratique» et sur le fait de ne pas traiter le NDP
comme un parti «normal», est également partagée par les organisations
de la société civile dans les régions où le NDP n'est pas représenté
au parlement.
116. A l'issue des élections de districts tenues en mai 2014 dans
le Land, le NPD a enregistré une lourde perte (35 % de ses sièges);
il n'est plus représenté au conseil du district de Schwerin et ne
peut plus constituer son propre groupe dans aucun des conseils de
district. Ceci a été considéré comme une importante victoire des
forces démocratiques dans le Land.
11. Remarques conclusives
117. L'extrémisme de droite est un problème aux dimensions
paneuropéennes, contre lequel il convient d'intensifier la lutte
dans l'Europe entière.
118. Si le fascisme et le nazisme comptent parmi les heures les
plus sombres de l'histoire européenne, ils ne doivent en aucun cas
faire partie du futur de l'Europe.
119. Nous devons concentrer nos efforts sur la prévention, plutôt
que sur le renforcement de la coordination une fois que le mal est
fait.
120. A cet effet, après avoir présenté quelques exemples de bonnes
pratiques, un projet de résolution adresse aux Etats membres du
Conseil de l'Europe, aux parlements nationaux, aux partis politiques,
et aux hommes politiques sur un plan général une série de recommandations
axées sur la prévention grâce à l'éducation et la sensibilisation,
et à une réaction conjointe et opportune de la société aux signes
de radicalisation. Des mesures d'aide aux victimes, de protection
des témoins, et d'assistance aux personnes désireuses de quitter
les mouvements extrémistes sont également proposées.
121. Il est proposé par ailleurs que l'Assemblée condamne sans
équivoque la montée des manifestations et des partis néonazis. Je
tiens à souligner la responsabilité première qui incombe aux représentants gouvernementaux
mais également à nous tous, en tant que responsables politiques
démocratiques, de faire face et de nous unir pour défendre les valeurs
démocratiques. Nous pourrions ainsi nous opposer de concert à l'idéologie
néonazie et aux partis politiques qui plaident en sa faveur, dans
et en dehors des parlements.
122. Dernier point, mais pas le moindre, dans le projet de recommandation,
il est proposé que le Conseil de l'Europe joue un rôle de coordination
pour assurer le partage d'expériences et de bonnes pratiques entre
les pays membres dans leurs efforts pour combattre l'extrémisme
d'extrême droite, par exemple comme partie de la stratégie contre
le racisme, la haine et l'intolérance en Europe proposé par la
Recommandation 2032 (2014) de l’Assemblée «Une stratégie pour la prévention du racisme
et de l'intolérance en Europe». Ceci pourrait être fait par la désignation
d'un coordinateur spécial ou autre, selon les contraintes budgétaires.