1. Introduction
1.1. Procédure
1. La proposition de résolution «La protection des témoins:
outil indispensable pour la lutte contre le crime organisé et le
terrorisme en Europe» (
Doc.
12841) a été transmise à la commission des questions juridiques et
des droits de l’homme le 23 avril 2012
.
Lors de sa réunion à Paris le 19 mars 2013, la commission m’a nommé
rapporteur, à la suite du départ de l’Assemblée parlementaire du
rapporteur précédent, M. Jean-Charles Gardetto (Monaco, PPE/DC).
En mars 2014, afin de faire le point sur le statut juridique et
la pratique de la protection des témoins à l’heure actuelle au sein
des Etats membres du Conseil de l’Europe, j’ai envoyé un questionnaire
par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation
parlementaires (CERDP). Le 27 mai 2014, au cours de sa réunion à
Helsinki, la commission a procédé à l’audition de trois experts:
- M. Christian Bauer, coordinateur
de projet pour la protection des témoins, Europol, La Haye;
- M. Gábor Ihász, chef de département, Police anti-émeute,
Unité de protection des témoins, Budapest;
- M. Frank Debije, inspecteur principal, Police nationale
des Pays-Bas.
1.2. Le rôle croissant
des mesures de protection des témoins dans la lutte contre la criminalité organisée
et le terrorisme
2. La proposition de résolution souligne à juste titre
la nécessité «d’examiner attentivement la question de la protection
des témoins en tant qu’outil indispensable pour la lutte contre
le crime organisé et le terrorisme en Europe». Dans certains types
d’infractions (par exemple en cas de viol), le seul témoin est bien
souvent la victime elle-même. L’infraction peut avoir des effets
profonds et dévastateurs sur la victime et laisser d’importantes
séquelles physiques et psychologiques
. Elle rend parfois les victimes
très vulnérables aux menaces et à l’intimidation, réelles ou supposées,
dont leurs proches ou eux-mêmes font l’objet et, par voie de conséquence,
les amène à se montrer réticents à témoigner
.
Elle peut également entraîner une «victimisation secondaire»: le
fait que les souffrances des victimes ne soient pas comprises génère
chez ces dernières un sentiment d’isolement et d’insécurité
.
3. Il est en effet de plus en plus clair que les dépositions
des témoins sont primordiales pour obtenir la condamnation au pénal
d’un auteur d’infraction
. Le recours
aux dépositions des témoins est essentiel au bon fonctionnement
de la justice répressive dans tout Etat de droit. En dehors du souci
évident de protéger, pour des considérations de droits de l’homme,
les victimes et les témoins de graves infractions, cette protection
est indispensable pour vaincre la criminalité organisée et le terrorisme
grâce à l’appareil judiciaire répressif
. Cela s’explique par le rôle crucial
joué par les témoins dans l’ouverture d’enquêtes en bonne et due
forme dans ces affaires et dans l’engagement de poursuites à l’encontre
des auteurs d’infractions, en vue de démanteler les puissantes structures
criminelles qui menacent dangereusement l’Etat de droit dans de
nombreux pays. A cet égard, il n’y a aucune différence entre la
criminalité organisée et les organisations terroristes, car toutes
deux peuvent fortement entraver la bonne marche de la justice, en
intimidant les témoins, en portant atteinte à leur intégrité physique
ou en les corrompant
.
4. La mondialisation a ouvert la porte à de nouveaux défis, comme
le phénomène croissant de la criminalité à solide implantation transnationale,
notamment la criminalité organisée et le terrorisme. De fait, la généralisation
dans le monde de la criminalité organisée, qui a fortement augmenté
ces dernières années, est devenue une grande source de préoccupation
internationale. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a par exemple
récemment fait remarquer que, «dans une société mondialisée, les
groupes et réseaux criminels organisés, mieux outillés grâce aux
nouvelles technologies de l’information et des communications, sont
de plus en plus diversifiés et reliés les uns aux autres dans leurs
opérations illicites, ce qui, dans certains cas, peut aggraver les
menaces qui pèsent sur la sécurité internationale»
. Dans ces circonstances,
les témoins qui demandent à bénéficier d’une protection sont de
plus en plus non pas uniquement les victimes, mais les criminels
eux-mêmes (ceux que l’on appelle les «collaborateurs de justice»
ou les repentis).
5. L’Assemblée a récemment examiné la question de la protection
des témoins dans les Balkans. La
Résolution 1784 (2011) sur la protection des témoins: pierre angulaire de la
justice et de la réconciliation dans les Balkans, souligne qu’une
protection fiable et durable doit être accordée aux témoins qui
défendent la vérité et la justice. Sans elle, il ne peut y avoir
ni justice ni réconciliation dans les Balkans. Cette question prend
de plus en plus d’importance au vu des faits nouveaux survenus au
Kosovo*
, où l’Assemblée
du Kosovo a décidé fin avril 2014 de créer une juridiction spéciale
chargée d’enquêter sur les crimes de guerre et les plaintes relatives
au trafic d’organes prélevés sur des Serbes pendant la guerre qui
a secoué la région en 1998-1999
.
6. Comme le souligne l’Assemblée dans sa
Résolution 1784 (2011), la protection
et le soutien des témoins doivent aller de pair. L’aide aux témoins
peut aller de l’assistance logistique à l’assistance psychologique pendant
toute la durée de la participation du témoin au procès. La protection
contre les représailles, en revanche, peut s’avérer nécessaire bien
au-delà du procès, parfois pendant la vie entière des témoins et
de leur famille.
7. Les défaillances des mesures de protection concrète, solide
et durable des témoins ne se limitent pas à une catégorie particulière
de crimes (les crimes de guerre, pourtant graves) ni à une région
précise (Balkans). Malheureusement, dans plusieurs pays, dont un
certain nombre d’Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe,
les mesures de protection et d’aide demeurent insuffisantes pour
les témoins. Bien que plusieurs Etats disposent d’une forme de mesures
de protection des témoins, bon nombre d’entre elles ne sont pas convenablement
mises en œuvre dans la pratique
. Le niveau de protection varie
considérablement d’un pays à l’autre, mais ces différences concernent
également les infractions pour lesquelles les mesures de protection
sont prévues et le type de service administratif chargé de la gestion
des programmes de protection des témoins (les services de police,
d’autres services administratifs ou le pouvoir judiciaire)
.
Le présent rapport vise à examiner la question de la protection
des témoins sous l’angle particulier et complexe de la criminalité
organisée et du terrorisme et, en s’appuyant sur les instruments
internationaux en vigueur, à soumettre quelques propositions pour
remédier à ces défaillances.
2. Définition
des paramètres
2.1. Les témoins
8. Le Comité des Ministres définit le témoin comme «toute
personne détenant des informations pertinentes pour une procédure
pénale et/ou en mesure de les communiquer dans le cadre de celle-ci
(quel que soit son statut et quelle que soit la forme du témoignage
– directe ou indirecte, orale ou écrite – selon le droit national)»
. Comme le précisent
les
Bonnes pratiques de protection des
témoins dans les procédures pénales afférentes à la criminalité
organisée de l’Office des Nations Unies contre la drogue
et le crime
, l’auteur d’un témoignage peut être
un informateur, un témoin, un fonctionnaire de la justice, un agent
infiltré ou autre.
9. Les suspects et les prévenus qui ont la qualité de «collaborateurs
de justice» jouent également un rôle important, grâce à leur témoignage,
qui permet de mener des enquêtes sur des crimes commis et d’engager des
poursuites à l’encontre de leurs auteurs. La Recommandation Rec(2005)9
du Comité des Ministres relative à la protection des témoins et
des collaborateurs de justice définit le «collaborateur de justice»
comme «toute personne qui est poursuivie ou a été condamnée pour
avoir participé à une association de malfaiteurs ou à toute autre
organisation criminelle ou à des infractions relevant de la criminalité
organisée, mais qui accepte de coopérer avec la justice pénale,
en particulier en témoignant contre une association ou une organisation criminelle
ou toute infraction en relation avec la criminalité organisée ou
avec d'autres infractions graves». La coopération avec ces personnes
est encouragée; elles obtiennent en contrepartie une réduction de
peine d’emprisonnement importante, voire parfois une immunité de
poursuites.
2.2. La criminalité
organisée
10. Malgré la généralisation de plus en plus rapide de
la criminalité transnationale organisée et la grave menace qu’elle
fait peser sur la sécurité internationale, ce domaine de l’activité
criminelle reste un phénomène encore méconnu à ce jour
.
11. Si de nombreux instruments internationaux évoquent sous une
forme ou une autre la menace croissante de la criminalité organisée,
la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale
organisée (UNTOC)
et les protocoles s’y
rapportant forment la seule convention internationale qui vise de
manière directe et globale ces activités criminelles. Elle établit,
pour la première fois, un cadre de prévention et de répression de
la criminalité organisée, en présentant un modèle détaillé de coopération
internationale
. Bien que cette convention ne donne
aucune définition précise de la «criminalité transnationale organisée»,
elle expose de façon minutieuse les types d’activités criminelles
qui relèvent de son champ d’application. La convention et ses trois
protocoles incriminent les activités qui vont de la simple participation
à un groupe criminel organisé (article 5) aux infractions commises
par ces groupes, comme le blanchiment de capitaux (article 6), la
corruption (article 8), l’entrave au bon fonctionnement de la justice
(article 23), la traite des personnes, en particulier les femmes
et les enfants (Protocole additionnel), le trafic illicite de migrants (Protocole
additionnel) et la fabrication et le trafic illicites d’armes à
feu, de leurs pièces, éléments et munitions (Protocole additionnel).
Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC),
«gardien de la convention», cette absence de définition précise
est voulue; elle permet «une plus grande applicabilité de la Convention
contre la criminalité transnationale organisée aux nouvelles formes
de criminalité qui apparaissent constamment, au fur et à mesure
de l’évolution des conditions mondiales, régionales et locales»
. L’Evaluation
de la criminalité transnationale organisée (
Transnational
Organized Crime Assessment) de l’ONUDC démontre fort
à propos la nature toujours changeante de la criminalité transnationale
organisée et évalue les nouvelles formes qu’elle prend, comme la
cybercriminalité, la piraterie maritime, le trafic des ressources
environnementales, la contrefaçon des marchandises, etc.
12. Malgré l’absence de définition précise des formes prises par
cette criminalité, «la criminalité transnationale organisée» peut
s’entendre comme une activité illicite guidée par de puissantes
motivations financières et exercée de manière extrêmement systématique
par des réseaux de personnes à travers les frontières étatiques.
On s’interroge à l’heure actuelle sur le contenu des solutions à
apporter: faut-il se soucier avant tout des groupes de personnes
qui exercent des activités illicites ou de ces activités illicites
elles-mêmes – et de la dynamique de marché – auxquelles participent
les groupes en question
.
Bien que l’analyse approfondie de cette question sorte du cadre
de mon mandat, il suffit de préciser que les enquêtes menées sur
la criminalité organisée et l’engagement de poursuites à l’encontre
de ses membres sont extrêmement difficiles en raison de la nature
de la criminalité organisée, qui est un phénomène mondial d’une
grande complexité, en constante évolution et progression.
2.3. Le terrorisme
13. Le terrorisme et la criminalité organisée partagent
plusieurs composantes communes et les activités des groupes qui
agissent sur ces deux tableaux finissent inévitablement par se chevaucher.
Les groupes terroristes financent très souvent leurs activités par
le vol, le trafic de drogue ou la traite d’êtres humains. Ces activités
criminelles classiques prennent parfois le pas sur les objectifs
idéologiques poursuivis au départ
. Cette transformation
au fil du temps des organisations criminelles, qui abandonnent leurs
motivations idéologiques au profit de considérations plus cupides,
permet aussi aux enquêteurs de recruter en leur sein même des informateurs,
voire des témoins désabusés par cette évolution.
14. Tout comme la criminalité organisée, certains acteurs du terrorisme
moderne disposent de multiples réseaux extrêmement organisés, à
forte implantation transnationale. Il est donc très difficile d’enquêter
sur leurs activités terroristes ou sur les autres infractions qu’ils
commettent et d’en poursuivre les auteurs.
15. Contrairement aux infractions de la criminalité organisée,
les infractions terroristes sont prises en compte par un grand nombre
d’instruments juridiques internationaux et régionaux
. Le plus pertinent
dans ce domaine est la Convention du Conseil de l'Europe pour la
prévention du terrorisme (STCE n° 196), qui rappelle «l’obligation
des Parties de prévenir de tels actes et, s’ils ne le sont pas,
de les poursuivre et de s’assurer qu’ils sont punis par des peines
qui tiennent compte de leur gravité»
. Il est significatif que cette Convention
prévoie un cadre global pour que les Etats membres prennent des
«mesures efficaces (…) pour prévenir le terrorisme» à l’échelon
national (article 3) et mettent en place une coopération internationale
(article 4).
16. La convention ne définit pas expressément ce qu’est une «infraction
terroriste». Elle renvoie aux définitions données par 11 grands
instruments internationaux, qui énumèrent toute une série d’infractions terroristes
(capture illicite d’aéronefs, actes illicites dirigés contre la
sécurité de l’aviation civile, infractions contre les personnes
jouissant d’une protection internationale, prise d’otages, utilisation
de matières nucléaires, attentats terroristes à l’explosif, etc.)
et le financement du terrorisme.
17. Le fait de comprendre que le terrorisme est, par essence,
une grave infraction commise à grande échelle (qui fait souvent
de nombreuses victimes), de manière systématique et par des réseaux
extrêmement organisés et complexes de personnes, par-delà les frontières
nationales, est cependant bien plus pertinent que la sémantique
de sa définition précise. Les infractions terroristes figurent parmi
les infractions pour lesquelles la prévention, les enquêtes et les
poursuites s’avèrent les plus difficiles à réaliser, car elles sont
insaisissables, imprévisibles et le plus souvent commises par des
réseaux terroristes clandestins très structurés.
2.4. La complexité particulière
de la protection des témoins dans les affaires de criminalité organisée
et de terrorisme
2.4.1. La nature opaque
des réseaux de la criminalité organisée et des réseaux terroristes
18. L’importance de la déposition des témoins dans les
affaires de criminalité organisée et de terrorisme repose pour une
bonne part sur le caractère opaque des réseaux criminels et terroristes
et sur le fait que la méthodologie classique des enquêtes n’est
pas adaptée à ce type d’activités criminelles. Cette question est tout
particulièrement traitée par la Recommandation Rec(2005)10 du Comité
des Ministres relative aux «techniques spéciales d'enquête» en relation
avec des infractions graves y compris des actes de terrorisme
. En d’autres termes,
le démantèlement de ces groupes impose de connaître les acteurs
et leurs activités (y compris financières), ce qui s’avère difficile,
puisque la plupart de ces réseaux opèrent en secret et dans l’ombre
. Comme l’a souligné le Comité
des Ministres dans sa Recommandation Rec(2005)9, le risque de représailles
et d’intimidation est beaucoup plus élevé pour les témoins dans
les affaires de criminalité organisée et de terrorisme; ils sont
donc particulièrement vulnérables et l’obtention d’informations
et de témoignages fiables peut s’avérer extrêmement difficile. Les
«collaborateurs de justice» ou les «témoins internes» (qui connaissent
intimement les activités internes des groupes) sont bien souvent
les mieux placés pour fournir des informations utiles, quand ils
ne sont pas les seuls à pouvoir le faire. Mais dans le même temps,
le nombre limité de personnes ayant accès aux informations pertinentes
risque de permettre d’identifier facilement ces «traîtres».
2.4.2. L’aspect transnational
19. L’une des difficultés présentées par les enquêtes
et les poursuites relatives aux infractions de la criminalité organisée
et aux infractions terroristes réside dans leur dimension transnationale
et/ou transfrontalière. Ces infractions ont souvent de vastes répercussions
et leurs effets se font sentir partout dans le monde entier. Dans
le cas de la criminalité organisée, par exemple, les produits illicites
en provenance d’un continent peuvent faire l’objet d’un trafic sur
un autre continent, pour être finalement commercialisés sur un troisième
. La criminalité transnationale organisée
s’insinue dans la quasi-totalité des aspects de l’existence, se
répand dans les institutions étatiques, dans l’économie et dans
le monde politique, entraîne des actes de corruption et entrave
le développement économique et social
.
Bien qu’elles ne soient peut-être pas aussi omniprésentes que les
infractions de la criminalité organisée, les infractions terroristes
dépassent également les frontières nationales et sont commises,
comme n’importe quelle infraction «classique» de la criminalité organisée,
par des réseaux interconnectés et extrêmement structurés à l’échelon
local, régional et international.
20. Il est très probable que la dimension mondiale de la criminalité
organisée et du terrorisme, les liens puissants qui unissent les
réseaux criminels et terroristes par-delà les frontières nationales
et
l’insuffisance de la coopération internationale sur les questions
capitales de la protection des témoins puissent dissuader les témoins
de faire une déposition. Il suffit de songer à des organisations
criminelles aussi puissantes que certains groupes de la mafia italienne
ou kosovare ou à certains mouvements terroristes liés à Al Qaïda,
dont les structures multiples, diversifiées et extrêmement complexes
se doublent d’une implantation transnationale, pour comprendre les
réticences d’un éventuel témoin ou collaborateur de justice. Les
Bonnes pratiques de l’ONUDC soulignent
que si les mesures de protection des témoins existent en théorie,
leur mise en œuvre est souvent insuffisante, notamment sur le plan
de la coopération transfrontalière, et sur des points aussi importants
que le changement d’identité et de domicile des témoins.
3. La protection des
témoins et l’aide aux témoins
3.1. Champ d’application
21. Les dispositions relatives à la protection des témoins
et des parties à la procédure pénale ont été établies récemment.
Il est intéressant de constater que les pays qui font figure de
pionnier dans l’adoption d’une législation en la matière avaient
déjà élaboré des mesures de protection longtemps avant; la Belgique
a par exemple procédé de la sorte en 1921 pour les infractions relatives
aux stupéfiants, et l’Italie a fait ce choix dans les années 1970
.
22. La protection des témoins peut englober un grand nombre de
mesures à n’importe quel stade de la procédure judiciaire (c’est-à-dire
avant, pendant et après le procès). Parmi les mesures prises au
moment de l’instruction figure le placement provisoire des témoins
dans des logements sécurisés ou l’injonction adressée au prévenu
pour l’empêcher d’intimider les témoins; les mesures prises pendant
le procès consistent à faire sortir les prévenus de la salle d’audience
ou, dans des cas extrêmes, à tenir la séance à huis clos et à mettre en
place des visioconférences en utilisant la technique du brouillage
de la voix et/ou du visage; il arrive même que les témoins déposent
de manière anonyme, sous un pseudonyme
.
A l’issue du procès, les mesures de protection des témoins peuvent
prendre la forme d’un changement d’identité ou d’une installation
à une nouvelle adresse secrète, soit dans le même pays, soit à l’étranger.
Compte tenu du coût financier considérable qu’elles occasionnent
pour l’Etat et des bouleversements qu’elles entraînent pour le témoin
et sa famille, le recours à ces mesures de protection (prises dans
le cadre d’un programme secret de protection des témoins, officiellement
mis en place) est cependant réservé à des situations exceptionnelles
. Ces circonstances
exceptionnelles sont le plus souvent réunies dans le cadre de la
lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, car il arrive
fréquemment que la protection solide et durable des témoins soit
le seul moyen de démanteler les puissants réseaux criminels transnationaux
en engageant des poursuites contre les membres de son «commandement».
23. On distingue les mesures de protection procédurales et non
procédurales. Les mesures de protection procédurales s’appliquent
dans le cadre de la procédure pénale et ont une incidence sur ses
règles (par exemple l’assistance juridique à un témoin menacé, l’admission
complète ou partielle de témoins anonymes, la déformation de la
voix ou des traits du visage, la conférence téléphonique ou la visioconférence,
etc.)
. Elles sont habituellement décidées
par le juge, appliquées d’office ou prises à la demande du procureur
et/ou des fonctionnaires de police chargés de l’enquête. Les mesures
de protection non procédurales peuvent se définir comme des mesures
«qui n’ont aucune incidence sur les règles de la procédure pénale
ni aucune influence sur les droits de la défense (gardes du corps,
changement d’identité destiné à être appliqué en dehors du procès,
changement ultérieur d’adresse et de profession, assistance économique
et psychologique, etc.)»
.
Selon le rapport du Conseil de l’Europe sur le terrorisme («
Terrorism: Protection of Witnesses and Collaborators
of Justice»), les «programmes de protection des témoins»
conçus pour les témoins ou les collaborateurs de justice et leurs
familles relèvent de cette catégorie. Nous examinerons plus loin
ces mesures particulières.
3.2. Instruments juridiques
internationaux
24. L’UNTOC comporte des dispositions relatives à la
protection des témoins et des victimes (articles 24-25), ainsi que
des mesures propres à renforcer la coopération des suspects et des
coprévenus avec les services répressifs (article 26). L’article
24, alinéa 1, notamment, dispose que «[c]haque Etat Partie prend, dans
la limite de ses moyens, des mesures appropriées pour assurer une
protection efficace contre des actes éventuels de représailles ou
d’intimidation aux témoins qui, dans le cadre de procédures pénales,
font un témoignage concernant les infractions visées par la présente
Convention et, le cas échéant, à leurs parents et à d’autres personnes
qui leur sont proches». Parmi ces mesures figurent, entre autres,
celles qui visent à garantir la protection physique des témoins,
ainsi que les dispositions applicables aux éléments de preuve qui permettent
aux témoins de déposer en toute sécurité (article 24, alinéa 2).
La Convention des Nations Unies contre la corruption comporte des
dispositions identiques en matière de protection des témoins (voir notamment
son article 32).
25. Le Conseil de l’Europe s’est employé à promouvoir la protection
des témoins au sein de ses Etats membres. Des dispositions spécifiques
en matière de protection des témoins ont été insérées dans la Convention
pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption (STE n° 173) (article
22) et la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre
la traite des êtres humains (STCE n° 197) (article 28). En outre,
le Deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide
judiciaire en matière pénale (STE n° 182)
règle
la coopération internationale en matière d'audition par vidéoconférence
(article 9) et par conférence téléphonique (article 10). Pour ce
qui est des mesures de protection non procédurales, son article 23
dispose que «lorsqu'une Partie fait une demande d'entraide en vertu
de la Convention ou de l'un de ses Protocoles concernant un témoin
qui risque d'être exposé à une intimidation ou qui a besoin de protection,
les autorités compétentes de la Partie requérante et celles de la
Partie requise font de leur mieux pour convenir des mesures visant
la protection de la personne concernée, en conformité avec leur
droit national». L’effet concret recherché de l’obligation qui découle
de cet article («font de leur mieux pour convenir») reste vague
.
26. Par ailleurs, le Comité des Ministres a adopté un certain
nombre de recommandations: la Recommandation n° R (97)13 sur l’intimidation
des témoins et les droits de la défense, la Recommandation Rec(2001)11
concernant des principes directeurs pour la lutte contre le crime
organisé
,
qui préconise la protection des témoins à tous les niveaux de la
procédure judiciaire pénale, et la Recommandation Rec(2005)9 relative
à la protection des témoins et des collaborateurs de justice, qui
appelle les Etats membres à renforcer les mesures de protection
des témoins, en les invitant instamment à accroître la coopération
internationale dans ce domaine. Cette dernière souligne un certain
nombre de mesures législatives et concrètes qu’il convient de mettre
en œuvre «pour faire en sorte que les témoins et les collaborateurs
de justice puissent témoigner librement et sans être soumis à aucun
acte d'intimidation», comme la prise de mesures appropriées de protection
des témoins, des collaborateurs de justice et de leurs proches et
la sanction des actes d’intimidation, si nécessaire
.
27. L’Union européenne a donné à ses Etats membres un certain
nombre d’éléments d’orientation pour la protection des témoins dans
les affaires de criminalité organisée
. Elle a envisagé d’harmoniser le
droit interne dans ce domaine, mais la Commission européenne n’a
pas appuyé cette idée dans son étude d’évaluation de 2007
. Entre-temps, la coopération concrète
entre les Etats membres a été développée grâce à l’agence européenne
des services répressifs, Europol (Office européen de police), qui
coordonne depuis 2000 le Réseau européen de liaison, composé des
responsables des unités nationales de protection des témoins
. En 2013, Europol a également publié
son
Manuel européen de la protection
des témoins. Critères et principes communs , qui donne
aux Etats des éléments d’orientation sur la manière de créer ou
d’adapter leurs programmes nationaux de protection des témoins.
Certaines de ces dispositions portent sur les éléments transnationaux
de ces programmes.
3.3. La question envisagée
sous l’angle des droits de l’homme
28. La Convention européenne des droits de l'homme (STE
n° 5, «la Convention») s’attache à trouver un juste équilibre entre
les droits des témoins dans la procédure pénale et les droits des
accusés, garantis par l’article 6 de la Convention
; c’est notamment le
cas de son article 6.3.
d,
qui prévoit que tout accusé a le droit «[d’]interroger ou faire
interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation
des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins
à charge». Le terme «témoin» a un sens autonome dans le système
de la Convention, qui ne tient pas compte des catégories prévues
par le droit interne
et englobe, entre autres, les co-accusés
,
les victimes
et les experts appelés à témoigner
. L’article
6.3.
d de la Convention exige
que l’accusé ait suffisamment et réellement la possibilité de contester
un témoignage et d’interroger un témoin à charge, soit au moment
de la déposition de ce témoin, soit à un stade ultérieur de la procédure.
Toute mesure qui restreint les droits de la défense doit être absolument
nécessaire; si une mesure moins restrictive suffit, il convient
de l’appliquer
. Selon la Cour européenne des
droits de l’homme («la Cour»), «la recevabilité des preuves relève
au premier chef des règles du droit interne, et (…) il revient aux juridictions
nationales d’apprécier les éléments recueillis par elles»
. Le rôle
de la Cour ne consiste pas à apprécier si les dépositions des témoins
ont été jugées à bon droit comme des preuves recevables, «mais à rechercher
si la procédure considérée dans son ensemble, y compris le mode
de présentation des moyens de preuve, a revêtu un caractère équitable»
.
Il importe que la situation défavorable dans laquelle se trouve l’accusé
soit suffisamment contrebalancée par la procédure suivie par les
autorités judiciaires
.
29. La Cour a examiné de nombreuses affaires portant sur les dépositions
de témoins anonymes et elle n’écarte pas le fait qu’on puisse les
juger fiables
. Toutefois, il convient de ne
pas empêcher le requérant (l’accusé) de vérifier la fiabilité de
ces témoins. Comme l’a souligné la Cour dans l’arrêt
Birutis et autres c. Lituanie ,
où elle a conclu à la violation de l’article 6, paragraphes 1 et
3.
d,
aucune
condamnation ne saurait reposer exclusivement ou de manière décisive
sur des dépositions anonymes.
30. Bien que la Cour n’exige pas expressément qu’il soit tenu
compte des intérêts des témoins, victimes comprises, leur vie, leur
liberté, leur sécurité ou d’autres intérêts relevant du champ d’application
de l’article 8 (protection de la vie privée et familiale) peuvent
entrer en jeu. Comme ces droits ou intérêts sont protégés par d’autres
dispositions matérielles de la Convention que l’article 6, il importe
que les Etats «organisent leur procédure pénale de manière à ce
que ces intérêts ne soient pas mis en péril de façon injustifiée»
. C’est la raison pour laquelle,
par exemple dans l’affaire
R.R. et autres
c. Hongrie, qui concernait la radiation du régime de
protection des témoins de cinq requérants (un homme accusé d’être
membre de la mafia serbe du trafic de drogue, sa femme et leurs
trois enfants), en raison du non-respect de ses conditions par le
«collaborateur de justice», la Cour a conclu à la violation de l’article
2 de la Convention (droit à la vie). Elle a estimé que les quatre requérants
– la femme du requérant et leurs trois enfants mineurs – couraient
le risque prévisible de perdre la vie dans le cadre de représailles
perpétrées par les milieux criminels et que les autorités n’avaient
rien fait pour lutter contre ce risque et l’écarter; la mise en
place d’un numéro téléphonique d’urgence et la visite occasionnelle
de fonctionnaires de police ne constituaient pas des mesures satisfaisantes
à cet égard. Il est intéressant de constater que la Cour a également
considéré que, pour satisfaire à ses obligations nées de l’article
46 de la Convention en matière d’exécution des arrêts de la Cour
(les «mesures individuelles»), l’Etat devait garantir aux quatre
requérants une protection suffisante, y compris par l’octroi d’une
identité de couverture satisfaisante, le cas échéant. L’arrêt est
à présent en attente d’exécution devant le Comité des Ministres:
lors de sa 1 179e réunion DH en septembre
2013 et de sa 1 208e réunion DH en septembre
2014, le Comité des Ministres a estimé que les informations communiquées
jusqu’ici par les autorités hongroises étaient insuffisantes pour
lui permettre de conclure qu’une protection satisfaisante avait
été accordée aux requérants
.
4. Les programmes
de protection des témoins
31. Les premiers programmes de protection des témoins
(PPT) ont été mis en place aux Etats-Unis dans les années 70, dans
le cadre de la lutte contre les groupes de la mafia italo-américaine;
ils ont ensuite servi de modèle à d’autres pays. L’exfiltration
secrète et permanente des témoins et de leurs familles, qui est
souvent associée à un changement d’identité, en est le principal
élément
. L’Office des Nations Unies
contre la drogue et le crime définit le programme de protection
des témoins comme un «programme secret officiel qui prévoit, dans
le cadre de critères rigoureux, la réinstallation et le changement
d’identité de témoins menacés par un groupe criminel du fait de
leur coopération avec les autorités»
.
32. La Recommandation Rec(2005)9 du Comité des Ministres définit
quant à elle le «programme de protection» comme un «ensemble, standard
ou individualisé, de mesures de protection individuelles, définies par
exemple dans un accord signé par les autorités responsables et le
témoin ou collaborateur de justice protégé». Le rapport «Terrorisme:
protection des témoins et des collaborateurs de justice» précise
que la mise en œuvre d’un programme de protection peut être régie,
soit par un contrat (cette solution est moins fréquente; la personne
protégée peut, sur la base de ce contrat, faire des observations
et déposer un recours auprès d’un juge ou d’une autre autorité si
elle estime que ses droits n’ont pas été respectés), soit un mémorandum d’accord
(un code de conduite qui ne confère aucun droit directement opposable).
33. La Recommandation Rec(2005)9 donne un certain nombre d’indications
sur l’adoption et la mise en œuvre des mesures et des programmes
de protection (voir ses paragraphes 10 à 28). Son paragraphe 11 indique
expressément que «les infractions liées au terrorisme ne devraient
jamais être exclues des infractions pour lesquelles des mesures/programmes
spécifiques de protection des témoins sont prévus». Les paragraphes
12 et 13 précisent les principaux critères qu’il convient de prendre
en compte pour décider de prendre de telles mesures: l’implication
de la personne à protéger dans l'enquête et/ou dans l'affaire; l’importance
de la contribution; l’existence d'une intimidation sérieuse; l’accord
de la personne concernée et son aptitude à faire l'objet de mesures
ou de programmes de protection; ainsi que l’existence d’autres éléments de
preuve. La proportionnalité entre la nature des mesures de protection
à adopter et la gravité des manœuvres d'intimidation auxquelles
est exposé le témoin ou collaborateur de justice devrait être assurée (paragraphe
14). Bien qu’il soit souhaitable que les témoins innocents ou les
collaborateurs de justice exposés au même genre d'intimidation puissent
bénéficier d'une protection similaire, toute mesure de protection
qui les concerne devrait tenir compte des caractéristiques spécifiques
de l'affaire et des besoins individuels de la (des) personne(s)
à protéger (paragraphe 15).
34. Le paragraphe 22 de la recommandation précise que «le cas
échéant, des programmes de protection des témoins devraient être
mis en place et à la disposition des témoins et des collaborateurs
de justice qui ont besoin de protection. Le but principal de ces
programmes devrait être de sauvegarder la vie et d'assurer la sécurité
personnelle des témoins ou collaborateurs de justice et de leurs
proches, de façon notamment à leur fournir une protection physique
et un soutien psychologique, social et financier appropriés».
35. S’agissant des programmes de protection qui bouleversent la
vie privée des personnes protégées (par exemple par une réinstallation
et un changement d’identité), le paragraphe 23 de la recommandation
indique qu’ils devraient être appliqués aux témoins et aux collaborateurs
de justice qui ont besoin d'une protection s'étendant au-delà de
la durée des procès au cours desquels ils doivent témoigner. Ces
programmes, qui peuvent être limités dans le temps ou s'appliquer
à vie, ne devraient être adoptés que si aucune autre mesure ne peut
être considérée comme suffisante pour protéger le témoin ou le collaborateur
de justice ainsi que ses proches. La mise en place de ces programmes
exige le consentement éclairé de la personne protégée et un cadre
juridique adéquat (paragraphe 24).
36. La recommandation traite également de quelques critères applicables
aux agents chargés de la mise en œuvre des mesures de protection
(paragraphe 28): il importe qu’ils bénéficient d'une autonomie opérationnelle
et ne prennent part ni à l'enquête ni à l'instruction de l'affaire
dans laquelle le témoin ou le collaborateur de justice doit déposer.
D’une part, il est vivement recommandé de prévoir, dans l’organisation des
services, une séparation entre ces fonctions; d’autre part, un niveau
adéquat de coopération et de contact avec et entre les services
répressifs devrait être assuré en vue d'adopter et de mettre en
œuvre efficacement les mesures de protection.
37. Le
«Livre
blanc sur le crime organisé transnational», publié récemment par le Comité européen pour les problèmes
criminels (CDPC)
(ci-après «le Livre blanc»), traite
en détail de la mise en œuvre des programmes de protection des témoins,
de la collaboration des co-accusés et des mesures d’incitation à
la coopération. De manière générale, ce document conclut que les
structures judiciaires en place sont suffisantes, mais que leur
mise en œuvre pose problème. Il déplore toutefois l’absence d’études
et de statistiques actualisées sur les chiffres exacts du nombre
de condamnations prononcées sur la base de dépositions de témoins
protégés.
38. Le Livre blanc souligne la nécessité de séparer les services
de protection des témoins des unités chargées de l’enquête et des
poursuites; il met en avant les trois caractéristiques que devrait
présenter un service de protection des témoins: coopérer avec les
services répressifs; opérer indépendamment des autres composantes
de la structure de manière à assurer la confidentialité du témoin;
et être indépendant des services chargés de l’enquête et des poursuites.
Il souligne également que la personne protégée doit consentir de
son plein gré à ces mesures et observe que les contrats de protection
n’ouvrent aucun droit reconnu par la loi et que parfois, pour des
raisons de sécurité, les bénéficiaires ne reçoivent pas même un
exemplaire du contrat. La durée minimale de la participation d’un
témoin à un programme de protection est de deux ans et sa durée
moyenne de trois à cinq ans. Le Livre blanc juge également indispensable
de reconnaître, dans certaines situations, la qualité de preuve
aux dépositions faites avant le procès, afin de protéger le témoin
sans entraver le fonctionnement de la justice
.
39. Le Livre blanc se penche également sur les mesures visant
à inciter les co-accusés à coopérer dans les procédures pénales.
Pour cette catégorie de personnes, l’offre de protection contre
les actes de représailles et d’intimidation ne présente, bien souvent,
pas un caractère suffisamment incitatif. D’autres «avantages» pourraient
s’avérer plus convaincants, comme l’allégement de la peine, la signature
d’un accord ou l’octroi d’une immunité de poursuites. L’UNTOC encourage
ses Etats parties à envisager de prévoir la possibilité d’alléger
la peine dont est passible un co-accusé qui coopère à l’enquête
ou aux poursuites («dans les cas appropriés») ou d’accorder une
immunité de poursuites («conformément aux principes fondamentaux
de son droit interne») à «une personne qui coopère de manière substantielle
à l’enquête ou aux poursuites» (voir l’article 26, alinéas 2 et
3).
40. Les auteurs du Livre blanc soulignent à juste titre que le
code pénal de la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe
prévoit des dispositions générales en matière d’allégement de peine.
En général, l’allégement d’une peine est laissé à l’appréciation
du juge et dépend non seulement du niveau de coopération du co-accusé,
mais également de la gravité de l’infraction et de la culpabilité
de l’accusé. Toutefois, ces dispositions générales ne sont pas toujours
adaptées aux affaires de criminalité organisée transnationale et seuls
quelques Etats membres possèdent des dispositions particulières
relatives aux transactions pénales ou aux accords de coopération
préjudiciaire (par exemple l’Azerbaïdjan, l’Estonie, la Suisse et
le Royaume-Uni). S’agissant de l’immunité de poursuites, le Livre
blanc fait remarquer que plusieurs Etats membres ne prévoient pas
cette possibilité en cas d’infraction de la criminalité organisée
(par exemple la Bulgarie, la Finlande ou la Suisse), bien que les
instruments internationaux pertinents préconisent cette solution.
41. Comme cela a été souligné par l’un de nos experts, M. Bauer,
au cours de l’audition organisée en mai 2014 à Helsinki, les programmes
de protection des témoins sont devenus un outil important de la
lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme en Europe
depuis les années 1990, lorsque l’Allemagne a mis en place un tel
programme. Depuis cette date, ils sont devenus un outil communément
admis dans les 28 Etats membres de l’Union européenne, même s’il
est encore possible de les améliorer dans certains pays. Comme l’a
fait remarquer M. Debije, la première unité de protection des témoins
aux Pays-Bas a été créée en 1995 et traite aujourd’hui plus de 400
programmes de protection. Au fil du temps, lorsque la lutte contre
la criminalité organisée et le terrorisme s’est intensifiée, la
nature des témoins protégés a évolué et le nombre des auteurs d’infractions
protégés dans le cadre de ces programmes a augmenté. Tout en coopérant
avec la police, les collaborateurs de justice ont souvent tendance
à manipuler les agents, ce qui a entraîné ces dernières années une
refonte des programmes de protection, qui comportent désormais une
dimension psychosociale. Aussi l’unité néerlandaise de protection
des témoins privilégie-t-elle la formation de ses agents aux aspects psychologiques
de la protection des témoins et soutient-elle la recherche dans
ce domaine. Une étude réalisée aux Pays-Bas a notamment révélé que
près de 80 % des témoins (au sens large) avaient été condamnés pour avoir
commis au moins une infraction; des troubles de la personnalité
à caractère antisocial ont été diagnostiqués chez environ 30 % des
témoins et près de 60 % de l’ensemble de la population concernée
par les programmes (c’est-à-dire les témoins et leurs familles)
présentent des signes de problèmes psychologiques et de troubles
de la personnalité. Cette étude a également proposé un nouveau modèle psychosocial
de protection des témoins, qui montre les liens qui existent entre
les caractéristiques individuelles des témoins, les causes de leur
stress, les stratégies qu’ils développent pour faire face à la situation
et leur comportement ultérieur. Ce modèle établit une distinction
entre les témoins qui sont «poussés» à agir et ceux qui sont «attirés»
par les avantages que présentent les programmes de protection. Les
premiers sont poussés à accepter un programme de protection car
il leur faut choisir entre coopérer avec les autorités ou être assassinés
ou gravement blessés; les seconds ont un choix plus large et considèrent
le programme de protection des témoins comme une simple transaction
avec les autorités. Ils s’adaptent rapidement à cette nouvelle situation
et ont plus de difficultés à se conformer à des règles et des procédures
strictes. Les programmes de protection des témoins auxquels participent
des témoins «attirés» par une coopération devraient être les plus
brefs possible, car ces témoins sont sources de conflits. M. Debije
souligne également qu’il appartient aussi bien à l’unité de protection
des témoins qu’aux autres parties prenantes de gérer les témoins
«attirés» par ces programmes, car ceux-ci sont capables de manipuler
leur entourage.
42. M. Ihasz met en avant le fait que la plupart des témoins concernés
par les PPT «ont déjà trahi», qu’ils sont souvent au chômage, n’ont
aucun revenu légal, ont des rapports imprécis avec la justice et
manifestent parfois un comportement antisocial. Il arrive qu’ils
aient des exigences excessives vis-à-vis des autorités, qui pourtant
font d’énormes efforts pour les réinsérer dans la société. Lorsqu’un
témoin ne coopère pas, les autorités sont autorisées à mettre fin
au programme. Toutefois, ceci soulève une nouvelle question, comme
l’a montré l’arrêt R.R. et autres c.
Hongrie rendu par la Cour européenne des droits de l’homme:
dans quelle mesure le fait d’exclure un témoin d’un PPT parce qu’il
ne coopère pas est-il conforme au droit à la vie garanti par l’article
2 de la Convention européenne des droits de l’homme? Vu l’augmentation
du nombre de PPT et des cas d’exclusion de ces programmes, les instances
compétentes devront bientôt répondre à cette nouvelle question.
5. La pratique actuelle
dans les Etats membres du Conseil de l’Europe
5.1. Le questionnaire
43. Afin d’obtenir des informations supplémentaires sur
les cadres de protection des témoins adoptés par les Etats membres,
tout particulièrement dans les domaines de la criminalité organisée
et du terrorisme, et sur les défis que représente la mise en œuvre
de ces cadres, un questionnaire a été adressé en mars 2014 aux délégations
parlementaires des Etats membres, par l’intermédiaire du Centre
européen de recherche et de documentation parlementaires (ECPRD).
Trente-trois Etats membres ont répondu à ce questionnaire: Albanie, Allemagne,
Andorre, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Croatie, Espagne,
Estonie, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Islande, Irlande,
Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Monténégro, Pays-Bas, Norvège,
Pologne, Portugal, République de Moldova, Roumanie, Fédération de
Russie, Serbie, République Slovaque, Slovénie, Suède et République
tchèque. Le Danemark a informé le Secrétariat que, pour des raisons
diverses, il ne répondrait pas. En outre, deux Etats observateurs,
le Canada et Israël, ont fourni des informations sur leurs mécanismes
de protection des témoins. Les réponses reçues sont résumées ci-dessous.
5.2. Réponses des Etats
membres
5.2.1. Le cadre juridique
de votre pays prévoit-il spécifiquement la protection des témoins
dans le domaine de la criminalité organisée et du terrorisme? Si
tel est le cas, en quoi cette protection diffère-t-elle, le cas
échéant, de celle qui est prévue pour les autres affaires pénales?
44. La majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe
n’ont pas de dispositions particulières pour la protection des témoins
en matière de terrorisme ou de criminalité organisée (Albanie, Allemagne,
Andorre, Autriche, Belgique, Bosnie-Herzégovine, Espagne, Estonie,
Finlande, France, Géorgie, Hongrie, Irlande, Lituanie, Luxembourg,
Monténégro, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Fédération de
Russie, Serbie, Slovénie, Suède et République tchèque). Dans la
plupart de ces pays, les mesures de protection des témoins sont
régies par le Code de procédure pénale et par une législation particulière
sur la protection des témoins (un projet de loi en la matière est
en préparation en Finlande). Plusieurs pays affirment avoir établi
ou être en mesure d’établir des programmes de protection des témoins
sur le fondement d’une législation spécifique à la protection des
témoins (Allemagne, Belgique, Croatie, France, Géorgie, Hongrie,
République de Moldova, Monténégro, Pologne, Portugal, Roumanie,
Slovénie, Suède et République tchèque) ou de la pratique des services
de police (Autriche, Irlande, Lituanie et Norvège). En Islande,
aucune disposition légale ne règle la protection des témoins.
45. Bien que de nombreux Etats membres ne prévoient pas expressément
une protection distincte des témoins dans les affaires de criminalité
organisée ou de terrorisme, le fonctionnement du cadre national
peut aboutir à l’octroi de cette protection. Dans certains Etats
membres, des cadres spécifiques sont prévus pour les victimes et
les témoins de la traite des êtres humains, qui peuvent être pertinents
pour le domaine de la criminalité organisée. Mais il arrive que
ces dispositions ne soient pas différentes de celles qui sont applicables aux
autres témoins (Géorgie). Toutefois, en France, un titre de séjour
de 30 jours, qui peut être renouvelé ou annulé, est automatiquement
octroyé aux victimes de la traite des êtres humains. De plus, la
protection accordée aux victimes du terrorisme, comme en République
de Moldova, ou aux «témoins protégés», comme aux Pays-Bas, présente
une pertinence concrète pour les témoins des activités terroristes.
46. En Italie, la Loi 82 de 1981 comporte une législation-cadre
sur la protection des témoins et des collaborateurs de justice dans
les affaires de criminalité organisée et de terrorisme; elle prévoit
tout un éventail de mesures de protection des témoins. En Croatie,
la Loi relative à la protection des témoins désigne la «criminalité
organisée» comme l’une des quatre catégories d’infractions auxquelles
la protection des témoins est applicable; les autres catégories
sont les infractions «qui portent atteinte à la République de Croatie», celles
qui «portent atteinte aux valeurs protégées par le droit international»
et celles qui sont passibles d’une peine d’emprisonnement de cinq
ans ou plus; mais la loi ne fait aucune distinction entre ces quatre
catégories d’infractions pour l’application des mesures de protection.
En Grèce et en République Slovaque, une protection spéciale est
accordée aux personnes liées au terrorisme et à la criminalité organisée.
En Grèce, le système accorde aux intéressés à la fois une protection
procédurale durant la procédure pénale et une protection policière
particulière en dehors de la procédure. Les mesures adoptées sont
proportionnelles à la menace qui pèse sur chaque témoin. Les autres
témoins ne peuvent pas, en principe, bénéficier d’une protection
en dehors de la procédure, mais la protection au cours de la procédure
est accordée à tous les témoins, quelle que soit l’infraction commise.
En République slovaque, la loi relative à la protection des témoins
est applicable aux personnes en danger qui ont été témoins, soit
de crimes passibles d’une peine d’emprisonnement à perpétuité, soit
de crimes liés à la criminalité organisée ou au terrorisme. La protection,
y compris la protection physique par les forces de police et l’éventuel
changement d’identité, est identique quelle que soit la catégorie
dont relève le témoin. Tout témoin en danger peut bénéficier des
mesures de protections supplémentaires prévues par le Code de procédure
pénale, notamment la non-divulgation de son identité et la notification
des faits et gestes du prévenu, quelle que soit l’infraction commise.
5.2.2. Quels sont les
principaux défis – juridiques et/ou logistiques – de la mise en
œuvre des mesures de protection des témoins?
47. La question du juste équilibre entre les droits de
la défense et les droits du témoin lorsque l’anonymat a été accordé
à ce dernier a été soulevée par un certain nombre d’Etats (la France
et la République tchèque); en Allemagne, elle se pose en particulier
au regard de l’article 6.3.d de
la Convention européenne des droits de l’homme et du droit de l’accusé
à être confronté à un témoin. Dans la majorité des Etats membres,
des garanties sont prévues pour parvenir à ce juste équilibre. Parmi
ces mesures figurent les dispositions qui imposent de corroborer
les témoignages anonymes (France, Hongrie et Portugal), la faculté
de contester l’octroi de l’anonymat (France et République tchèque)
et les dispositions qui garantissent à la défense la possibilité
d’interroger le témoin (France, Pologne et République tchèque).
48. L’Autriche considère la nécessité de ne pas victimiser à nouveau
certains témoins comme un problème logistique. Par ailleurs, la
Slovénie a mis en avant la nécessité de disposer de systèmes adéquats
distincts pour les témoins et collaborateurs de justice innocents.
Le Monténégro a évoqué la difficulté à définir la notion de «proches».
Les Pays-Bas ont souligné que la législation devait préciser davantage
la teneur des accords conclus avec les témoins et la durée de la
protection.
49. De nombreux pays ont évoqué les difficultés psychologiques
et socio-économiques rencontrées par les témoins, comme le fait
d’être séparés de leurs familles et au chômage (Croatie, Italie,
Norvège, Pays-Bas et Slovénie) ou l’absence de motivation, à laquelle
s’ajoute le manque de confiance dans les autorités et leurs mesures
de confidentialité (Serbie et République Slovaque). Les médias irlandais
ont fait état de certains témoins qui préfèrent purger une peine
d’emprisonnement au fait d’être exfiltrés vers un autre pays.
50. Parmi les problèmes logistiques soulevés figurent la mise
en place d’institutions (Monténégro et Slovénie) et un manque de
financement et/ou de ressources humaines (Croatie, Pologne et Serbie).
Les autres problèmes logistiques sont liés à la dimension réduite
du territoire des Etats membres. La Croatie, l’Estonie et la Slovénie
jugent indispensable de renforcer la coopération internationale
pour que le système de protection et d’exfiltration des témoins
fonctionne efficacement. La réinstallation efficace des témoins
est en effet difficile dans la pratique sur un territoire aussi
petit.
51. Enfin, pour les Pays-Bas et la Slovénie, la place importante
des médias sociaux rend plus difficile la mise en œuvre des programmes
de protection des témoins lorsqu’il s’agit de donner aux intéressés
une nouvelle identité.
5.2.3. Votre pays a-t-il
abordé par le passé ou aborde-t-il actuellement les questions relatives
à la protection des témoins à l’échelon transnational? Si tel est
le cas, quels sont/ont été les principaux enjeux de la mise en œuvre
des mesures de protection des témoins?
52. Il existe un certain nombre d’instruments pertinents
pour la protection transnationale des témoins, qui sont applicables
à diverses régions géographiques. La Convention de coopération policière
pour l’Europe du sud-est (Police Cooperation Convention for South-East
Europe) vise à renforcer la coopération dans le domaine de l’échange
des personnes qui font l’objet de programmes de protection des témoins.
Les pays concernés (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Hongrie, République
de Moldova, Roumanie, Serbie et «l’ex-République yougoslave de Macédoine»)
échangent également des informations pertinentes pour la poursuite des
programmes de protection des témoins au sein des Etats contractants.
Par ailleurs, les Etats contractants s’engagent à créer des unités
centrales nationales qui se concentrent sur les éléments internationaux
des programmes nationaux de protection des témoins. Aucune observation
n’a été faite sur l’efficacité de cet instrument ni sur les éventuelles
difficultés rencontrées à l’occasion de sa mise en œuvre.
53. L’accord de coopération dans le domaine de la protection des
témoins de 2012 (The Agreement on the cooperation
in the area of witness protection (2012)) produit des
effets similaires à ceux de l’instrument susmentionné. L’Autriche,
la Croatie, l’Estonie (qui y a adhéré en 2013), la Hongrie, la Pologne,
la Roumanie, la Slovénie et la République tchèque ont convenu de
renforcer leur coopération en la matière et de fournir des informations
en complément de ces programmes, tout en améliorant la formation
du personnel compétent. Les Etats contractants ont décidé de mettre
en place des points de contacts nationaux destinés à gérer le programme
national de protection des témoins. La Pologne a souligné que tout
cadre international devrait comporter des organes de ce type, qui
visent à coopérer en mettant des informations en commun, une formation
et les moyens de faciliter les demandes directes de protection adressées
par les autres parties contractantes.
54. Le système national norvégien adhère aux orientations données
par Europol sur l’établissement ou l’adaptation des programmes nationaux
de protection des témoins. Par ailleurs, la Croatie fait partie
du réseau de protection des témoins d’Europol, qui organise régulièrement
des conférences et partage des informations, en vue d’harmoniser
encore les processus et les procédures associés aux programmes transnationaux
de protection des témoins. Aucune difficulté particulière n’a été
signalée à propos des orientations ou du réseau d’Europol.
55. La forme de coopération transnationale la plus répandue concerne
les mémorandums d’accord convenus entre les Etats pour les cas et
les demandes spécifiques d’assistance en matière de protection des témoins.
L’Irlande a souligné à ce propos le problème que pose l’exfiltration
d’un témoin vers un Etat dont la langue est différente.
56. Dans l’ensemble, la principale difficulté liée à la protection
des témoins à l’échelon transnational est celle des différences
de systèmes et de normes utilisés par les Etats membres. La Croatie,
le Monténégro et la Pologne ont indiqué que ces éléments devaient
être davantage harmonisés et que la coopération institutionnelle
et judiciaire devait être renforcée.
6. Le renforcement
des mesures de protection des témoins en Europe
6.1. Renforcement de
la coopération internationale concernant les mesures de protection
des témoins comme élément clé dans la lutte contre le crime organisé
et le terrorisme
57. Malgré une amélioration dans ce domaine au cours
de ces dernières années, il est primordial, pour pouvoir améliorer
la coopération internationale entre les Etats, de prendre conscience
du fait que la criminalité organisée et le terrorisme ne peuvent
faire l’objet d’enquêtes et de poursuites exclusivement nationales
. Sans cette coopération, l’exfiltration efficace
des témoins, surtout lorsqu’ils proviennent de petits Etats, sera difficile
à réaliser.
58. L’UNTOC et ses protocoles invitent les Etats à mettre en œuvre
des mesures efficaces de protection des témoins et à renforcer la
coopération internationale dans ce domaine. L’article 24, alinéa
1, de la convention prévoit que les Etats Parties envisagent de
conclure des accords ou des arrangements avec d’autres Etats pour
l’exfiltration des témoins. S’agissant des collaborateurs de justice,
les Etats Parties «peuvent envisager de conclure des accords ou
arrangements, conformément à leur droit interne,» sur l’allégement
des peines et/ou l’octroi d’une immunité de poursuites (article
26, alinéa 5). La Convention des Nations Unies contre la corruption
comporte une disposition similaire à celle de l’article 24, alinéa
1, de l’UNTOC (article 32, alinéa 3).
59. Cet élément essentiel a été souligné par la Recommandation
Rec(2005)9 du Comité des Ministres, qui réaffirme la nécessité d’adopter
«une approche commune des questions internationales relatives à
la protection des témoins et des collaborateurs de justice», notamment
pour garantir un échange d’informations suffisant entre les autorités
compétentes. Le Comité des Ministres fixe à cette fin un certain
nombre d’objectifs concrets, comme: la fourniture d’une assistance
pour l’exfiltration à l’étranger et la protection des témoins en situation
de risque, des collaborateurs de justice et de leurs proches; le
fait de faciliter et d’améliorer l'utilisation de moyens modernes
de télécommunication, comme la vidéoconférence; la coopération et
la mise en commun des meilleures pratiques entre les réseaux existants
d’experts nationaux; et la coopération avec les juridictions pénales
internationales. Cette recommandation souligne également que des
mesures de promotion de la coopération internationale devraient
être adoptées et mises en œuvre «afin de faciliter l'audition des
témoins et des collaborateurs de justice protégés, et d'assurer
la mise en œuvre de programmes de protection de part et d'autre
des frontières», par exemple des mesures d’assistance visant à transférer
à l'étranger les témoins, les collaborateurs de justice et leurs
proches, et à assurer leur protection.
60. Le Livre blanc et le rapport du Parlement européen sur la
criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux
ont
récemment réaffirmé la nécessité d’une approche paneuropéenne des
mesures de protection des témoins, en dépit des différences que
présentent les structures organisationnelles actuelles. Les experts
du Conseil de l’Europe ont fait de même, en rappelant qu’Europol
travaille en ce moment à l’harmonisation des procédures et des programmes
dans ce domaine et coopère avec certains Etats non membres de l’Union
européenne, notamment la Fédération de Russie et la Turquie.
6.2. Vers un nouvel
instrument juridique?
61. D’après le rapport «Terrorisme: la protection des
témoins et des collaborateurs de justice», le cadre juridique international
de la protection des témoins présente plusieurs lacunes. Ni le Deuxième
Protocole additionnel à la Convention européenne d'entraide judiciaire
en matière pénale, ni l’UNTOC ne règle la coopération internationale
en matière de protection des collaborateurs de justice et des proches
des témoins et collaborateurs de justice qui se trouvent dans une
situation à risque. Aucun instrument contraignant ne prévoit expressément
de coopération concernant les questions suivantes:
- l’adoption et la mise en œuvre
de mesures de protection procédurales autres que les auditions par visioconférence
ou conférence téléphonique dans un autre pays;
- l’adoption et la mise en œuvre de mesures de protection
non procédurales autres que l’exfiltration dans un autre pays;
- les frais occasionnés par la mise en œuvre des mesures
de protection procédurales et non procédurales (autres que les auditions
par visioconférence ou conférence téléphonique et l’exfiltration
vers un autre pays) adoptées et/ou mises en œuvre dans un autre
pays .
62. Comme le rappelle le rapport susmentionné, le rapport final
du Comité d'experts sur la protection des témoins et des repentis
en relation avec les actes de terrorisme (PC-PW) de 2003
proposait la création d’un fonds
destiné à couvrir l’ensemble des dépenses occasionnées par l’exfiltration
et les autres mesures de protection, ainsi qu’à la formation du
personnel. Ce fonds pouvait être financé en partie par les produits
du crime et les actifs saisis chez les auteurs d’infractions; il
aiderait les pays les moins riches à faire face aux dépenses occasionnées
par l’exfiltration et la protection des témoins ou des collaborateurs
de justice et de leurs proches.
63. Dans sa
Recommandation
1952 (2011) sur la protection des témoins: pierre angulaire de la
justice et de la réconciliation dans les Balkans, l’Assemblée appelait
le Comité des Ministres à «charger le Comité européen pour les problèmes
criminels (CDPC) d’entreprendre une étude de faisabilité pour déterminer
si la protection et l’assistance aux témoins pourraient faire l’objet
d’une future convention du Conseil de l’Europe». Le Comité des Ministres
n’a cependant pas vu d’intérêt à réaliser une telle étude de faisabilité
et a estimé que «les améliorations nécessaires concern[ai]ent l’étape
de la mise en œuvre»
.
64. Le Livre blanc propose plusieurs mesures à prendre pour renforcer
la protection des témoins dans les affaires de criminalité transnationale
organisée. Il indique que le Conseil de l’Europe devrait analyser
les approches différentes de la protection des témoins dans les
Etats membres du Conseil de l’Europe et tenter de «comprendre pourquoi
les programmes de protection des témoins ne s’avèrent pas aussi
efficaces qu’ils le devraient dans le domaine du crime organisé
transnational». L’étude réalisée cet effet devrait comporter un certain
nombre de points, comme l’évaluation de la mise en œuvre de la Recommandation
Rec(2005)9, la nécessité de créer un régime juridique distinct pour
la protection des témoins et la protection des collaborateurs de
justice, les droits des témoins dans les programmes de protection
des témoins, les questions institutionnelles, etc. Quant aux mesures
d’incitation à la coopération des co-accusés avec les autorités répressives,
le Livre blanc invite le Conseil de l’Europe à mener une étude plus
approfondie sur la question, en se penchant sur les diverses formes
de transaction pénale et sur les accords internationaux qui prévoient l’application
de ces mesures, ainsi qu’à adopter une recommandation ou un instrument
juridique contraignant pour promouvoir l’harmonisation des mesures
dans ce domaine.
7. Conclusions
65. Compte tenu de la gravité des crimes du terrorisme
et de la criminalité organisée, qui ont des conséquences profondes
sur les témoins, et de la complexité des enquêtes ouvertes à leur
sujet et des poursuites engagées à l’encontre de leurs auteurs,
qui est due à leur opacité et à leur portée transnationale, il est
indispensable de disposer de mesures de protection des témoins solides,
fiables et durables. De fait, ces mesures sont un outil incontournable
de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme en
Europe. La nature de ces infractions transnationales impose l’existence
de mesures coordonnées et cohérentes entre les Etats membres du
Conseil de l’Europe, seul moyen d’assurer leur efficacité. Même
si «[l]’expérience a montré qu’en matière de protection des témoins
il n’existe pas de solution facile»
,
le fait de comprendre la dynamique de la criminalité organisée et
du terrorisme, ainsi que le rôle crucial joué dans ce domaine par
les dépositions des témoins, représente une première avancée solide
vers la formulation d’une solution adéquate, tant à l’échelon national
que dans le cadre d’une action multilatérale coordonnée des Etats
membres du Conseil de l’Europe.
66. La législation nationale doit être constamment améliorée pour
assurer la protection et l’aide nécessaire au sein des Etats membres
du Conseil de l’Europe, comme le souligne la
Résolution 1784 (2011) de l’Assemblée. Si la plupart des Etats membres du Conseil
de l’Europe disposent de mesures élémentaires de protection des
témoins
, celles-ci varient considérablement d’un
pays à l’autre
et
certaines d’entre elles demeurent insuffisantes, en raison de la
défiance de la population (l’infiltration des organes de l’Etat
par la criminalité organisée étant notoire dans certains pays) ou
du caractère inadapté du cadre juridique, du financement, des capacités
logistiques ou de la coordination et de la coopération entre les
acteurs concernés
.
67. Les mesures de lutte contre la criminalité organisée internationale
utilisées aujourd’hui diffèrent de celles qui étaient employées
dans les années 1980, du fait des processus de mondialisation et d’informatisation.
Pour parvenir à démanteler les organisations criminelles, y compris
les organisations transnationales, l’emploi des mesures procédurales
et non procédurales classiques ne suffit plus. Il est indispensable
de recourir à de nouvelles méthodes pour garantir la protection
des témoins et leur assurer une aide, comme les régimes de protection
des témoins fondés sur les conclusions des recherches les plus récentes
réalisées dans le domaine de la psychologie et de la criminologie.
Ces régimes prévoiront plus souvent la participation des suspects
ou des coprévenus, car sans leur connaissance «de l’intérieur» des groupes
terroristes ou des autres groupes de la criminalité organisée, l’infiltration
de ces derniers serait le plus souvent impossible. Afin de les encourager
à se présenter et à coopérer avec les services répressifs et la justice,
des mesures adéquates de protection des témoins s’avèrent indispensables
à toutes les étapes de la procédure judiciaire (procédurales et
non procédurales) et au-delà. Il convient néanmoins de prendre des mesures
incitatives conformes au droit interne, comme l’allégement des peines
ou l’octroi d’une immunité de poursuites.
68. Compte tenu du caractère transnational de nombreuses organisations
criminelles, l’exfiltration des témoins/collaborateurs de justice
revêt une importance capitale et devrait pouvoir intervenir à bref
délai. Malgré l’existence d’un cadre juridique international général
en la matière, certaines normes doivent encore être établies, surtout
si l’on considère les difficultés rencontrées par les petits Etats
membres.
69. Tout programme de protection des témoins devrait reposer sur
une coopération entre l’unité de protection des témoins et la personne
en danger/protégée, qui devrait toujours adhérer au programme volontairement.
Comme ce genre de programmes a une incidence considérable sur la
vie privée de la personne protégée et de ses proches, cette mesure
devrait être prise en dernier ressort. Il importe cependant que
les régimes de protection des témoins s’appliquent systématiquement
à respecter le droit à un procès équitable et les droits de la défense,
garantis par l’article 6 de la Convention européenne des droits
de l’homme. Il convient également que l’unité/le service de protection
des témoins coopère avec les services répressifs et soit indépendant
des services chargés des enquêtes et des poursuites.
70. L’efficacité des programmes de protection des témoins dans
la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme exige
indéniablement davantage de ressources, qui peuvent être difficiles
à obtenir en temps de crise financière et économique. Elle requiert
également une plus grande collaboration internationale dans la gestion
de ces régimes, y compris dans le cadre des accords multilatéraux
en vigueur. Europol, qui a acquis une expérience approfondie dans
ce domaine, pourrait être d’une grande utilité en dispensant ses
conseils et en facilitant la coopération internationale à la fois
à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace de l’Union européenne.
71. Comme le précise le Livre blanc, il semble que les instruments
juridiques internationaux dans le domaine de la protection des témoins
soient suffisants à l’heure actuelle et que le principal problème
soit celui de leur mise en œuvre. Mais, si l’on considère que les
régimes de protection des témoins représentent une mesure relativement
récente, il serait peut-être utile de réaliser davantage d’études
(sur la base des statistiques des condamnations) sur leur mise en
œuvre à l’échelon européen et de réfléchir à la possibilité d’élaborer
un cadre juridique international plus complet, qui traiterait tout
spécialement de ces mesures. Le Conseil de l’Europe, qui a fait
une promotion active de la protection des témoins et des collaborateurs
de justice et de l’aide qu’il convient de leur accorder, pourrait
jouer un rôle majeur en réalisant cette étude d’expertise et proposer,
si besoin était, de nouveaux instruments juridiques.