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Rapport | Doc. 13664 | 12 janvier 2015

La protection de la liberté des médias en Europe

Commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias

Rapporteur : M. Gvozden Srećko FLEGO, Croatie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13124, Renvoi 3943 du 22 avril 2013; Doc. 13274, Renvoi 3995 du 30 septembre 2013; Doc. 13570, Renvoi 4078 du 3 octobre 2014. 2015 - Première partie de session

Résumé

La liberté des médias constitue un indicateur essentiel de la démocratie, des libertés politiques et de l’Etat de droit d’un pays ou d’une région. Compte tenu de la détérioration de la sécurité des journalistes et de la liberté des médias en Europe, les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent intensifier leurs efforts sur le plan national et multilatéral pour assurer le respect des droits fondamentaux à la liberté d’expression et d’information ainsi qu’à la protection de la vie, de la liberté et de la sécurité de ceux qui travaillent pour et avec les médias.

Concernant les agressions présumées visant des journalistes dans le conflit armé dans l’est de l’Ukraine et les agressions physiques présumées commises par les forces de police ou de sécurité à l’encontre de journalistes couvrant des manifestations et d’autres mouvements de protestation populaire, les Etats membres doivent conduire des enquêtes judiciaires approfondies sur ces attaques, en raison de leurs obligations respectives en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme.

Les parlements nationaux sont invités à organiser des débats publics annuels sur l’état de la liberté des médias dans leurs pays respectifs, et une action du Conseil de l’Europe doit être prise conformément à la Résolution 68/163 de l’Assemblée générale des Nations Unies.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté par la commission le 5 décembre 2014.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire réitère l’importance que revêt la liberté des médias pour la démocratie. Les médias offrent un espace public de diffusion de l’information et d’expression des opinions. La liberté des médias constitue dès lors un indicateur essentiel de la démocratie, des libertés politiques et de l’Etat de droit d’un pays ou d’une région.
2. Vivement préoccupée par la dégradation des conditions de sécurité des journalistes et de la liberté des médias en Europe, l’Assemblée demande instamment aux Etats membres d’intensifier leurs efforts sur le plan national et multilatéral pour assurer le respect des droits fondamentaux à la liberté d’expression et d’information ainsi qu’à la protection de la vie, de la liberté et de la sécurité de ceux qui travaillent pour et avec les médias. De la liberté des médias dépendent la démocratie et la protection des droits de l’homme.
3. Rappelant la Recommandation 1702 (2005) sur la liberté de la presse et les conditions de travail des journalistes dans les zones de conflits, l’Assemblée condamne les agressions présumées visant des journalistes dans le conflit armé dans l’est de l’Ukraine et appelle les autorités en Ukraine et en Fédération de Russie à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour enquêter sur ces agressions et traduire les coupables devant les tribunaux nationaux. L’Assemblée appelle également à la libération immédiate des journalistes ukrainiens Serhiy Sakadynskiy et Roman Chermesky par les forces pro-russes qui les détiennent, et invite instamment les autorités russes à aider à la libération de ces journalistes.
4. Rappelant notamment les événements qui se sont produits sur la Place de l’Indépendance à Kiev en février 2014, l’Assemblée condamne les agressions physiques présumées commises par les forces de police ou de sécurité à l’encontre de journalistes couvrant des manifestations et d’autres mouvements de protestation populaire. L’Assemblée est également préoccupée par les allégations d’agressions physiques à l’encontre de journalistes durant les événements autour du parc Gezi à Istanbul en mai et juin 2013. L’Assemblée appelle par conséquent à ce que ces agressions fassent l’objet d’enquêtes judiciaires approfondies et rappelle aux Etats membres leurs obligations respectives au titre de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5).
5. Se référant à la Résolution 68/163 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité, l’Assemblée appelle les Etats membres à faire la lumière sur tous les cas de morts violentes de journalistes, comme les décès d’Elmar Huseynov (2005) et Rafiq Tagi (2011) en Azerbaïdjan, Paul Klebnikov (2004) et Anna Politkovskaya (2006) en Fédération de Russie, Dada Vujasinović (1994) et Milan Pantić (2001) en Serbie, Hrant Dink (2007) en Turquie, Martin O’Hagan (2001) au Royaume-Uni, et Georgiy Gongadze (2000) et Vasil Klementiev (2010) en Ukraine.
6. Bien que toute propagande en faveur de la guerre et tout appel à la haine qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence soient interdits par la loi en vertu de l’article 20 du Pacte international des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques, l’Assemblée n’en demeure pas moins préoccupée par l’application excessive de ces lois dans certains pays à l’encontre des médias et des journalistes qui émettent des critiques politiques à l’égard du gouvernement. Dans ce contexte, l’Assemblée se félicite de la réduction considérable du nombre de journalistes détenus en Turquie, mais déplore néanmoins le nombre de journalistes qui sont toujours poursuivis ou détenus, malgré quelques progrès, et appelle à de nouvelles réformes législatives concernant notamment les articles 216, 301 et 314 du Code pénal turc qui pourraient conduire à des applications arbitraires à l’encontre de journalistes.
7. Rappelant l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Ahmet Yildirim c. Turquie (18 décembre 2012), l’Assemblée reconnaît que le droit d’accès à internet est considéré comme inhérent au droit à la liberté d’expression et d’information, tel qu’énoncé dans la Résolution 1987 (2014) sur le droit d’accès à internet. L’Assemblée considère dès lors que le blocage généralisé de sites ou de services internet par les pouvoirs publics constitue une violation grave de la liberté des médias qui prive, massivement et à l’aveugle, les usagers de leur droit d’accès à internet. L’Assemblée se félicite que la Turquie ait introduit des mesures juridiques visant à restreindre les possibilités de blocage de contenu spécifique sur internet.
8. Consciente de l’effet dissuasif qu’exerce la législation relative à la diffamation, l’Assemblée invite les Etats membres à examiner ladite législation conformément à la Résolution 1577 (2007) «Vers une dépénalisation de la diffamation». Cet examen devrait s’attacher aux sanctions pénales ainsi qu’aux procédures civiles pour diffamation qui pourraient représenter une menace financière disproportionnée pour les journalistes et les médias. Se référant à l’Avis de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) sur la législation italienne relative à la diffamation (6-7 décembre 2013), l’Assemblée encourage vivement le Parlement italien à reprendre l’examen de sa législation conformément à l’Avis en question.
9. Se référant à l’Avis du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sur la législation hongroise relative aux médias (25 février 2011) et à la coopération ultérieure du Conseil de l’Europe avec la Hongrie, l’Assemblée exhorte le Parlement hongrois à engager de nouvelles réformes de sa législation en vue d’améliorer l’indépendance des instances de régulation des médias, de l’agence de presse officielle et des radiodiffuseurs de service public, d’accroître la transparence et le pluralisme des médias privés et de lutter contre les formes d’expression raciste à l’égard des minorités ethniques.
10. Si la liberté des médias est aujourd’hui largement proclamée en Europe, l’Assemblée déplore toutefois qu’elle soit souvent mise à mal par les restrictions qui pèsent sur la liberté et la sécurité des journalistes. Le contexte d’insécurité qui est celui des journalistes, que cette insécurité soit physique, financière, existentielle ou une combinaison de ces éléments, limite leur liberté journalistique et influence le résultat de leur travail, les obligeant parfois à se plier aux exigences des rédacteurs, éditeurs, propriétaires, annonceurs, responsables politiques et autres.
11. Le pluralisme des médias est une condition essentielle d’une société et d’un système politique pluralistes. La transparence de la propriété des médias est nécessaire pour suivre la concentration des médias, éviter qu’ils ne soient aux mains que de quelques-uns et garantir le pluralisme de la propriété des médias. L’Assemblée propose par conséquent de mettre en circulation une «Carte d’identité des médias» sur laquelle figureraient notamment les informations relatives aux les propriétaires du média concerné ainsi que ceux qui contribuent dans une large mesure à ses revenus, à l’instar des gros annonceurs ou des donateurs.
12. Rappelant sa Recommandation 1878 (2009) sur le financement de la radiodiffusion de service public, l’Assemblée continue de s’alarmer de la tendance, constatée dans certains Etats membres, à l’érosion de la stabilité financière et de l’indépendance des radiodiffuseurs du service public. Or, dans une société démocratique, ces derniers demeurent un outil indispensable pour offrir au grand public une information et une culture impartiales dans un paysage médiatique de plus en plus commercialisé, économiquement fragilisé et politiquement contrôlé.
13. Rappelant ses précédents rapports sur les violations graves de la liberté des médias et les défis qui se posent à elle, l’Assemblée considère comme essentiel que la liberté des médias en Europe reste inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée et de l’ensemble du Conseil de l’Europe. L’adoption de la présente résolution n’est qu’une étape supplémentaire d’un processus continu et nécessaire de sensibilisation et de surveillance par les parlementaires et les gouvernements de toute l’Europe sur des violations graves de la liberté.
14. L’Assemblée invite:
14.1. les parlements nationaux à organiser des débats publics annuels (auditions, réunions de commissions ou séances plénières), sur l’état de la liberté des médias dans leurs pays respectifs, avec la participation des associations de journalistes et des médias;
14.2. le Commissaire aux droits de l’homme à accorder une attention particulière à la situation de la liberté des médias dans toutes les zones de conflit en Europe, en particulière dans l’est de l’Ukraine; 
14.3. la Commission de Venise:
14.3.1. à analyser la conformité avec les normes européennes en matière de droits de l’homme des articles 216, 301 et 314 du Code pénal turc et de la loi turque n° 5651, ainsi que leur application dans la pratique;
14.3.2. à identifier les dispositions qui représentent un danger pour le droit à la liberté d’expression et d’information à travers les médias, dans la loi hongroise CLXXXV de 2010 sur les services médiatiques et les médias, dans la loi hongroise CIV de 2010 sur la liberté de la presse et les règles fondamentales de contenu multimédia, ainsi que dans les lois fiscales hongroises concernant l’impôt progressif sur les médias pour les recettes publicitaires;
14.4. la Conférence des organisations internationales non gouvernementales (OING) à favoriser une coopération plus étroite des ONG œuvrant pour la liberté des médias et la sécurité des journalistes avec toutes les instances et institutions du Conseil de l’Europe;
14.5. les commissions du Parlement européen qui s’occupent de la liberté des médias à établir une étroite coopération avec l’Assemblée concernant l’action politique à mener pour répondre aux violations graves de la liberté des médias.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l'unanimité par la commission le 5 décembre
2014.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire se réfère à sa Résolution …. (2015) sur la protection de la liberté des médias en Europe et invite le Comité des Ministres à continuer d’agir résolument dans ce domaine, en intensifiant notamment ses activités normatives et de coopération tel qu’énoncé dans la Déclaration du Comité des Ministres du 30 avril 2014 relative à la protection du journalisme et à la sécurité des journalistes et des autres acteurs des médias.
2. Rappelant sa Recommandation 1897 (2010) sur le respect de la liberté des médias, l’Assemblée se félicite de la décision prise par le Comité des Ministres, le 19 novembre 2014, pour mettre en place une plate-forme en ligne visant à renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes. Ce projet est en effet indispensable à la création de synergies entre les divers organes du Conseil de l’Europe concernés par la liberté des médias et au renforcement de la coopération avec des organisations non gouvernementales (ONG) œuvrant en ce domaine. Il permettra également aux Etats membres de réagir aux informations qui leur parviennent sur des atteintes alléguées à la liberté des médias.
3. L’Assemblée recommande au Comité des Ministres:
3.1. de promouvoir le Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité au-delà de 2014 et d’intensifier l’action du Conseil de l’Europe dans ce domaine conformément à la Résolution 68/163 de l’Assemblée générale des Nations Unies;
3.2. de concevoir à l’intention des autorités judiciaires et de la police des Etats membres des programmes de formation sur la protection des journalistes et la liberté des médias, et d’offrir une assistance ciblée en la matière;
3.3. de veiller tout particulièrement à ce que les Etats membres exécutent pleinement et en temps voulu les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme qui portent sur des violations graves de la liberté des médias, et d’intensifier les actions ciblées de coopération et d’assistance dans ce domaine, en développant une dimension parlementaire, notamment en ce qui concerne les Etats membres qui rencontrent des problèmes récurrents et systémiques;
3.4. de faire le point sur la mise en œuvre par les Etats membres des déclarations et recommandations du Comité des Ministres dans le domaine des médias et de décider si une mise à jour des normes juridiques du Conseil de l’Europe s’impose;
3.5. de continuer à inviter les rapporteurs de l’Assemblée sur la liberté des médias aux débats thématiques et à ses groupes de rapporteurs qui s’occupent de la liberté des médias;
3.6. de coopérer plus étroitement avec les ONG et les médias de manière à renforcer la capacité du Conseil de l’Europe à évaluer les violations graves de la liberté des médias et à y faire face.

C. Exposé des motifs, par M. Flego, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Après avoir présenté son rapport sur l’état de la liberté des médias en Europe (Doc. 13078) lors de la première partie de session de l’Assemblée de 2013, mon collègue M. Mats Johansson (Suède, CE) a déposé une nouvelle proposition de résolution sur la protection des médias en Europe le 30 janvier 2013 (Doc. 13124). La commission de la culture, de la science, de l’éducation et des médias m’a désigné comme rapporteur sur ce sujet le 25 avril 2013. Le 30 septembre 2013, la proposition de résolution «Recours aux violences physiques à l’encontre de journalistes: un défi pour la démocratie» (Doc. 13274) a été renvoyée à la commission pour être prise en compte dans la préparation de ce rapport ainsi que la proposition de résolution «Le harcèlement des journalistes d’investigation qui dénoncent la corruption en Azerbaïdjan» (Doc. 13570), le 3 octobre 2014.
2. Le présent rapport suit de manière thématique les précédents rapports sur les violations graves de la liberté des médias qui ont donné lieu à la Résolution 1920 (2013) sur l'état de la liberté des médias en Europe, à la Recommandation 1897 (2010) sur le respect de la liberté des médias et à la Résolution 1535 (2007) sur les menaces contre la vie et la liberté d'expression des journalistes.
3. Dans le cadre de l’élaboration du présent rapport, la commission et sa sous-commission des médias et de la société de l’information ont tenu cinq auditions, à savoir:
  • 25 avril 2013 à Strasbourg, avec:
    • M. Enzo Iacopino, président de l’ordre italien des journalistes, Rome;
    • M. Jean-Paul Costa, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme, président de l’Institut international des droits de l’homme, Strasbourg;
  • 22 mai 2013 à Londres (Chambre des communes), avec:
    • M. István Hegedűs, ancien membre du Parlement hongrois et président de Hungarian Europe Society, Budapest;
    • Mme Francesca Fanucci, Associée principale à Free Expression Associates, Londres;
    • M. Andrew Gardner, chercheur, Amnesty International, Londres;
    • M. Michael Harris, chef des relations publiques, Index on Censorship, Londres;
    • M. William Horsley, Représentant de la liberté des médias de l’Association des journalistes européens, Directeur international du Centre pour la liberté des médias, Université de Sheffield;
  • 6 novembre 2013 à Belgrade (Assemblée nationale de la République de Serbie), avec:
    • Mme Dunja Mijatović, représentante de l’OSCE pour la liberté des médias, Vienne;
    • M. Mogens Blicher-Bjerregård, président de la Fédération européenne des journalistes, Bruxelles;
    • M. William Horsley;
  • 8 avril 2014 à Strasbourg, avec:
    • Professeur Herdis Thorgeirsdottir, vice-présidente de la Commission de Venise;
    • M. Johann Bihr, Directeur Europe et Asie centrale, Reporters sans frontières, Paris;
    • M. Andrei Aliaksandrau, Association bélarusse des journalistes, Minsk;
  • 12-13 mai 2014, à Istanbul, avec:
    • Mme Füsun Erdoğan, journaliste turque;
    • M. Mustafa Balbay, journaliste turc et membre du Parlement turc;
    • M. Ricardo Gutierrez, secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes, Bruxelles;
    • Professeur Wolfgang Benedek, Université de Graz et expert auprès de la Commission européenne;
    • M. William Horsley.
4. Afin d’informer la commission des violations actuelles de la liberté des médias, M. William Horsley a été chargé d’élaborer un rapport de fond (AS/Cult (2014) 25) et de le mettre à jour. Je lui adresse mes remerciements pour son travail approfondi et sa coopération efficace.
5. En outre, la commission a vivement apprécié les échanges de vues qui se sont tenus avec:
  • M. John Whittingdale OBE, Président de la Commission de la culture, des médias et du sport de la Chambre des communes (Londres, 12 mai 2013).
  • M. l’Ambassadeur Laurent Dominati, Représentant permanent de la France auprès du Conseil de l’Europe, et Mme l’Ambassadeur Gea Rennel, Représentante permanente de l’Estonie auprès du Conseil de l’Europe et coordonnatrice thématique du Comité des Ministres sur la politique d’information (Strasbourg, 25 juin 2013);
  • M. Nebojša Stefanović, Président de l’Assemblée nationale de Serbie (Belgrade, 6 novembre 2013)
  • Mme l’Ambassadeur Jocelyne Caballero, Représentante permanente de la France auprès du Conseil de l’Europe (Strasbourg, 8 avril 2014);
  • Mme Gabriella Battaini-Dragoni, Secrétaire Générale adjointe du Conseil de l’Europe (Strasbourg, 8 avril et 24 juin 2014; Istanbul, 12 mai 2014);
  • M. Tayfun Acarer, Président de l’Autorité des technologies d’information et de communication de la Turquie (Istanbul, 13 mai 2014).
6. En tant que rapporteur, j’ai pris la parole lors du débat thématique sur la sécurité des journalistes tenu par le Comité des Ministres à Strasbourg le 12 décembre 2013 et à la table ronde sur ce sujet organisée par le Conseil de l’Europe à Strasbourg le 19 mai 2014. Je suis également intervenu dans l’échange de vues sur les aspects législatifs de la liberté des médias dans l’Ouest des Balkans et en Turquie, organisé par la sous-commission des droits de l’homme du Parlement européen à Bruxelles (19 juin 2013).
7. Ce processus préparatoire a contribué à la mise en place par le Conseil de l’Europe, à compter de 2015, d’une plateforme d’information sur les atteintes graves à la liberté des médias en Europe, qui devrait associer plusieurs des principales organisations non-gouvernementales (ONG) œuvrant pour la liberté des médias. Par ailleurs, un mécanisme d’alerte précoce pour lesdites atteintes pourrait être mis en place dans ce cadre, pour permettre aux divers organes du Conseil de l’Europe de répondre aux situations et aux cas préoccupants.

2. Violations graves de la liberté des médias en Europe

8. A la lumière du rapport de fond de M. William Horsley, la commission a examiné en détail les violations graves de la liberté des médias qui se sont produites entre décembre 2012 et novembre 2014, autrement dit depuis l’adoption de la Résolution 1920 (2013) sur l’état de la liberté des médias en Europe. Je suis très reconnaissant à M. William Horsley de l’important travail qu’il a réalisé et j’apprécie à leur juste valeur les contributions apportées grâce aux réunions susmentionnées. Je suis aussi reconnaissant pour les informations écrites reçues par les délégations parlementaires hongroise et turque.

2.1. Le contexte

9. En janvier 2010, la Recommandation 1897 (2010) de l’Assemblée a invité le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe à mettre en place un système permettant de recueillir, d’analyser et de publier régulièrement des informations sur les violations de la liberté des médias dans la région du Conseil de l’Europe. Quatre ans plus tard, des Etats membres ont signalé qu’ils appuyaient les mesures figurant dans la proposition antérieure de l’Assemblée, qui déclarait que les preuves de violations ou de menaces graves, ainsi que les voies de recours nécessaires, devaient être envoyées régulièrement aux gouvernements et aux parlements des Etats membres.
10. La Déclaration du Comité des Ministres relative à la protection du journalisme et à la sécurité des journalistes et des autres acteurs des médias du 30 avril 2014 a mis en avant la responsabilité des gouvernements en invitant instamment les Etats membres à examiner régulièrement la manière dont ils respectaient eux-mêmes leurs obligations positives de protéger les journalistes et d’autres acteurs des médias contre les attaques dont ils sont l’objet et de mettre fin à l’impunité. La Déclaration est favorable à la création d’un portail internet permettant de signaler les violations éventuelles de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE n° 5, «la Convention») (liberté d’expression) lorsqu’elles se produisent, et laisse entrevoir que de nouvelles mesures seront adoptées pour garantir ces protections. En outre, le Secrétaire Général a proposé un mécanisme de suivi spécifique capable de réagir rapidement aux problèmes urgents, afin de prévenir les violations de l’article 10 et de l’article 11 (liberté de réunion et d’association) de la Convention.
11. La communauté internationale est de plus en plus consciente qu’il est important de garantir la sécurité des journalistes parce qu’ils contribuent à assurer une plus grande responsabilité et transparence au nom du public. En particulier, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté en décembre 2013 une résolution sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité, qui invite les Etats à mettre en place un large éventail de protections légales et pratiques pour prévenir la violence contre les journalistes et les professionnels des médias et garantir que des enquêtes efficaces seront menées dans de tels cas. La résolution proclame notamment le 2 novembre «Journée internationale de la fin de l’impunité pour les crimes commis contre les journalistes». En mars 2014, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté une résolution sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des manifestations pacifiques. Elle appelle les Etats à accorder une attention particulière à la sécurité des journalistes et professionnels des médias en raison de leur rôle spécifique et de leur vulnérabilité.
12. Depuis 2012, les Nations Unies s’efforcent de mettre en œuvre son Plan d’action sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité, qui concerne de nombreux acteurs: institutions de l’ONU, Etats, ONG et organisations de médias. Le Plan d’action prévoit des contributions positives du Conseil de l’Europe et d’autres organisations régionales.

2.2. Décès de journalistes

13. Au cours des deux dernières années, au moins 15 journalistes et professionnels des médias ont trouvé la mort en Europe en raison de leur travail. Huit journalistes sont morts en Russie; cinq journalistes, un membre d’une équipe de télévision et un fixeur-interprète ont été tués en Ukraine.
14. Le 7 Juillet 2012, Alexander Khodzinsky, un journaliste d’investigation, a été poignardé à mort à Irkoutsk (Fédération de Russie). Un ancien maire adjoint de la ville a été reconnu coupable du meurtre. La justice n’a pas pu établir qu’il existait un lien avec les activités journalistiques de M. Khodzinsky visant à dénoncer la corruption locale.
15. Le 5 décembre 2012, Kazbek Gekkiyev, présentateur du journal télévisé à la société nationale pan-russe de radio-télédiffusion (VGTRK), a été abattu à Naltchik, en République de Kabardino-Balkarie, dans le Caucase du Nord. Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a signalé que plusieurs autres journalistes de la même société avaient démissionné après avoir reçu des menaces.
16. Le 8 avril 2013, Mikhaïl Beketov, ancien rédacteur en chef du journal Khimkinskaya Pravda, est décédé des suites de blessures imputables à l’agression brutale dont il a été victime à son domicile à Moscou en 2008. Gravement blessé au cerveau, M. Beketov était lourdement handicapé. M. Beketov faisait campagne pour dénoncer la corruption présumée liée à un projet de développement qui menaçait la forêt de Khimki. Sa voiture avait été incendiée et il était menacé de poursuites pour diffamation.
17. Le 18 mai 2013, Nikolai Potapov a été abattu dans la région de Stavropol, dans l’ouest de la Russie. L’Institut international de la presse (IPI) a établi un lien entre le décès de M. Potapov et les articles qu’il avait publiés dans un journal local sur la corruption présumée de responsables locaux.
18. Le 9 juillet 2013, Akhmednabi Akhmednabiyev, rédacteur en chef adjoint du journal Novoye Delo, a été abattu dans sa voiture près de Makhatchkala, capitale du Daghestan. Il avait reçu des menaces et avait survécu à une tentative d’assassinat en janvier.
19. Le 16 décembre 2013, Arkadiy Lander, ancien rédacteur en chef du journal Mestnaya, de Sotchi, est décédé des suites de complications imputables à des blessures graves, notamment une fracture du crâne qui lui avait été infligée lorsqu’il avait été passé à tabac par des inconnus en 2010. M. Lander a déclaré qu’il était convaincu qu’il avait été attaqué dans le cadre de son travail de journaliste.
20. Le 5 avril 2014, Vassili Sergienko, journaliste travaillant pour le journal local Nadrossia et membre du parti d’extrême droite Svoboda, a été retrouvé mort près de son domicile à Korsun-Shevchenkovskiy, dans le centre de l’Ukraine. Il avait été enlevé en dehors de son domicile un jour plus tôt et son corps présentait des traces de torture.
21. Le 24 mai 2014, Andrea Rochelli, reporter-photographe italien travaillant pour plusieurs médias d’information, notamment Newsweek et Le Monde, a été tué dans une attaque au mortier qui a eu lieu à Slaviansk, dans l’est de l’Ukraine.
22. Le 24 mai 2014, Andrei Mironov, militant russe des droits de l’homme qui travaillait comme interprète et fixeur pour Andrea Rochelli, est également mort suite à l’attaque militaire lancée contre Slaviansk.
23. Le 19 février 2014, Vyacheslav Veremiy, correspondant du journal Vesti, est mort à Kiev des suites des graves blessures qui lui avaient été infligées la veille par des hommes masqués non identifiés, qui l’avaient agressé et battu avec son collègue Oleksiy Lymarenko.
24. Le 17 juin 2014, Igor Korneliouk, un journaliste de la compagnie d’Etat pan-russe de télévision VGTRK, et Anton Volochine, un membre de la même équipe, ont été tués dans une attaque au mortier ou d’artillerie près de Lougansk en Ukraine orientale.
25. Le 30 juin 2014, Anatoly Klyan, de la chaîne de télévision nationale russe Channel One, est mort de blessures par balles à Donetsk (Ukraine), lors d’une attaque du bus dans lequel il voyageait, a indiqué le CPJ.
26. Le 1er août 2014, Timur Kuashev, reporter pour le magazine nord-caucasien Dosh et autres journaux, a été retrouvé mort à Naltchik, la capitale de la République de Kabardino-Balkarie, un jour après avoir disparu. Kuashev aurait été menacé de mort à plusieurs reprises ces dernières années.
27. Le 6 août 2014, Andrei Stenin, de l’agence d’informations multimédias russe Rossiya Segodnya, a été abattu non loin de Donetsk. L’UNESCO a fait savoir que Stenin se trouvait à bord d’un convoi de véhicules civils qui a été bombardé.
28. A Istanbul, le 23 octobre 2014, un homme armé non identifié aurait forcé Ferdi Özmen, blogueur politique militant sur les réseaux sociaux, de nationalité turque, à sortir de sa voiture et aurait fait feu sur lui. Özmen est mort de ses blessures à l’hôpital.

2.3. Impunité

29. De solides éléments de preuve démontrent que l’impunité pour des crimes graves commis contre des journalistes, y compris le meurtre, reste endémique en Europe. Cette impunité illustre l’échec des autorités de l’Etat à mener des enquêtes en bonne et due forme pour poursuivre et punir les auteurs d’infractions et d’abus graves. Les auteurs n’ayant pas peur d’être arrêtés et sanctionnés, elle encourage toujours plus de violences et de manœuvres d’intimidation envers des journalistes. L’impunité est aussi un symptôme des dysfonctionnements de la justice et du manque d’indépendance des appareils judiciaires.
30. Le Conseil de l’Europe et les Nations Unies ont souligné qu’il était de la responsabilité des Etats d’enquêter sur les infractions commises contre des journalistes, d’en poursuivre les auteurs et d’éradiquer l’impunité. La Déclaration prononcée par le Comité des Ministres le 30 avril 2014 encourage également les Etats membres à conjuguer leurs efforts au plan international pour renforcer la protection des journalistes. Le Plan d’action des Nations Unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité est selon elle une nécessité urgente et vitale.
31. Le 2 novembre 2014, le Secrétaire Général des Nations Unies, Ban Ki-moon, a lancé un message marquant la première Journée internationale pour mettre fin à l’impunité des crimes contre les journalistes, soutenue par les Nations Unies. Il y insistait sur les dommages infligés par l’impunité au tissu démocratique de la société: «Dans neuf cas sur dix, ces actes demeurent impunis, ce qui encourage leurs auteurs. Les gens ont peur de dénoncer la corruption, la répression politique ou d’autres violations des droits de l’homme. Il faut que cela cesse», a déclaré M. Ban.
32. Il est important que le Conseil de l’Europe et la communauté internationale aient à maintes reprises défini la lutte contre l’impunité comme une priorité absolue pour la protection de la démocratie et des droits de l’homme. Cependant, jusqu’à présent, l’engagement public en ce sens ne s’est pas accompagné des actions nécessaires, que ce soit en Europe ou dans des pays plus lointains. L’UNESCO publie en ligne des informations exhaustives spontanément fournies par les Etats, et sa Directrice générale publie tous les deux ans un rapport sur la sécurité des journalistes et les dangers de l’impunité.
33. En octobre 2014, l’UNESCO a fait savoir que la Bulgarie, la Géorgie et la Grèce – Etats membres du Conseil de l’Europe – figuraient parmi les pays ayant omis de fournir des informations sur les assassinats de journalistes commis dans leur juridiction, en réponse aux demandes de la Directrice générale de l’UNESCO. Au total, 35 des 62 Etats contactés concernant les meurtres de journalistes commis depuis 2008 ont fourni des renseignements sur les poursuites judiciaires engagées dans ces affaires. Vingt-sept Etats s’en sont abstenus.
34. Un engagement volontaire des Etats membres du Conseil de l’Europe à fournir rapidement des renseignements complets dans le cadre de ce processus serait conforme aux promesses formulées. La Russie a communiqué un rapport déclarant que des peines d’emprisonnement avaient été prononcées en lien avec les affaires de six des 16 journalistes identifiés par l’UNESCO comme ayant été tués en Russie depuis 2006.
35. En octobre 2014, le Comité pour la protection des journalistes a publié un rapport spécial des plus édifiants intitulé «Sur la voie de la justice: rompre le cycle de l’impunité des meurtres de journalistes». Ce rapport fournit les noms de 17 journalistes et la date de leur assassinat, commis en Europe entre 2004 et 2013 dans l’impunité la plus totale. Il s’agit de:
  • en Azerbaïdjan: Elmar Huseynov, 2 mars 2005; Rafiq Tagi, 23 novembre 2011
  • au Bélarus: Aleh Byabebib, 3 septembre 2010
  • en Grèce: Sokratis Giolias, 19 juillet 2010
  • en Russie: Paul Klebnikov, 9 juillet 9 2004; Pavel Makeev, 21 mai 2005; Vagif Kochetkov, 8 janvier 2006; Ivan Safronov, 2 mars 2007; Magomed Yevloyev, 31 août 2008; Telman Alishayev, 2 septembre 2008; Natalya Estemirova, 15 juillet 2009; Abdulmalik Akhmedilov, 11 août 2009; Gadzhimurad Kamalov, 15 décembre 2011; Kazbek Gekkiyev, 5 décembre 2012; Mikail Beketov, 8 avril 2013; et Akhmednabi Akjmednabiyev, 9 juillet 2013
  • en Serbie: Bardhyl Ajeti, 25 juin 2005
36. Selon le CPJ, cinq journalistes ont été assassinés au cours de la même décennie, dans une impunité partielle – ce qui signifie qu’un ou plusieurs auteurs ont été traduits en justice mais que les instigateurs ou autres personnes soupçonnées d’être impliquées dans ces assassinats demeurent inconnus ou impunis. Il s’agit de:
  • en Croatie: Ivo Pukanić, 23 octobre 2008
  • en Russie: Anna Polikovskaya, 7 octobre 2006; Anastasia Baburova, 19 janvier 2009
  • en Serbie: Duško Jovanović, 28 mai 2004
  • en Turquie: Hrant Dink, rédacteur en chef de l’hebdomadaire bilingue d’expression turque et arménienne Agos, a été tué par balles à Istanbul le 19 janvier 2007. Il avait reçu de nombreuses menaces de mort de la part de Turcs nationalistes. Plusieurs personnes, dont le jeune meurtrier, ont été condamnées en rapport avec le meurtre. Pourtant, des fonctionnaires – dont des membres des forces de sécurité – soupçonnés de complicité ou de tentative d’obstruction de la procédure d’enquête, sont restés impunis. En 2010, la Cour européenne des droits d’homme a conclu à la violation par la Turquie de la Convention européenne des droits de l’homme pour avoir manqué à son devoir de protéger la vie et la liberté d’expression du journaliste, ainsi que le droit à une enquête effective. A la suite de la décision du tribunal pénal Bakırköy d’Istanbul d’inculper neuf hauts fonctionnaires pour n’avoir pas empêché le meurtre de Hrant Dink, le ministère turc de la Justice a rejeté une objection du parquet général en octobre 2014, permettant ainsi d’engager des poursuites.
  • au Royaume-Uni: le meurtre de Martin O’Hagan, un journaliste travaillant pour le quotidien Sunday World en Irlande du Nord, n’a toujours pas été résolu. O’Hagan a été abattu en septembre 2001 près de son domicile, à Lurgan. D’autres employés du quotidien ayant donné les noms des meurtriers supposés d’O’Hagan ont été menacés ou agressés. Pendant treize ans, les services de police d’Irlande du Nord n’ont fait aucun progrès dans l’enquête sur ce meurtre.
37. En Serbie, comme l’indique le rapport de juin 2014, quatre anciens agents de la sûreté de l’Etat ont été mis en accusation cette année en relation avec le meurtre du journaliste et éditeur Slavko Ćuruviya, perpétré en 1999. L’un des hommes accusés serait en fuite et vivrait dans un pays africain.
38. Le travail de la commission d’enquête serbe sur les meurtres de journalistes non élucidés, organisme établi en 2013, est supposé contribuer à résoudre l’affaire Ćuruviya. Cependant, nul n’ignore que l’obstruction d’anciens agents de l’Etat continue de représenter un obstacle à la progression d’autres affaires.
39. L’enquête sur le meurtre de Dada Vujasinović, reporter abattue dans son appartement en 1994, a été compliquée par le manque de diligence des forces de l’ordre qui ont initialement enregistré la mort de Vujasinović comme étant due à un suicide.
40. Une enquête intensive menée sur le meurtre de Milan Pantić, journaliste spécialisé dans les affaires criminelles, commis en 2001, est en cours. Depuis quatre ans, Veran Matić, journaliste réputé et directeur de la commission d’enquête, est placé sous protection policière 24 heures sur 24 en raison de menaces crédibles proférées contre sa sécurité personnelle. Selon Matić, la tolérance de l’impunité pour les meurtres de journalistes est la principale cause d’une corruption des mentalités qui favorise encore davantage de brutalités et d’injustices dans les sociétés concernées.
41. L’Association indépendante des journalistes de Serbie (AIJS) s’est dite très préoccupée par la persistance d’une culture de l’impunité qui reste à l’origine d’un climat général de peur et d’insécurité parmi les journalistes serbes indépendants.
42. L’attaque odieuse perpétrée le 3 juillet 2014 dans le Nouveau Belgrade par un groupe d’hommes contre Davor Pašalić, rédacteur de l’agence de presse FoNet, en est un exemple frappant. Pašalić a été agressé et violemment frappé, ce qui lui a occasionné des blessures à la tête et au visage. En dépit de déclarations officielles promettant de diligenter une enquête, deux mois plus tard, aucun progrès n’avait été réalisé dans l’identification des agresseurs.
43. L’AIJS a publié en ligne les détails de 71 actes de violence ou d’intimidation à l’encontre de journalistes, commis en Serbie entre 2012 et août 2014, dont neuf cas de véritables agressions physiques. Ces statistiques indiquent qu’en Serbie, comme dans plusieurs autres Etats d’Europe, la violence et les menaces de violence contre des professionnels des médias, et l’impunité dont elles bénéficient, est une réalité généralisée et bien ancrée qu’il faut combattre par des efforts redoublés.
44. La décision prise en décembre 2013 par le Gouvernement du Monténégro de créer une commission d’enquête pour élucider les agressions commises contre les journalistes, dans le même esprit que la commission serbe, est une innovation positive. La commission monténégrine devra être composée de représentants des ministères, du parquet, de la police, des ONG et de journalistes, dont Mihailo Jović, rédacteur en chef du quotidien Vijesti, et d’autres responsables des médias.
45. Ce nouvel organisme est notamment chargé d’enquêter sur le meurtre de Duško Jovanović, rédacteur en chef du quotidien Dan, commis en mai 2004. Jovanović avait été abattu à l’arme automatique devant les locaux de son journal, à Podgorica.
46. Un rapport sur les poursuites judiciaires engagées pour des agressions visant des journalistes au Monténégro a été publié en janvier 2014 par l’ONG Human Rights Action. Il exposait 30 affaires d’intimidation, de menaces de mort et d’agressions violentes contre des journalistes sur une période de dix ans, de 2004 à 2014. Un tiers des agressions enregistrées aurait eu lieu en 2013.
47. L’enquête sur le meurtre de Jovanović s’est soldée à ce jour par une unique condamnation, qualifiée de discutable. D’autres coupables, dont ceux ayant commandité le meurtre, n’ont toujours pas été identifiés. Des progrès importants ont cependant été accomplis concernant l’agression brutale du journaliste Tufik Softić par deux assaillants masqués et armés de battes de base-ball, qui s’est déroulée près de son domicile le 1er novembre 2007. En juillet 2014, trois hommes auraient été arrêtés pour tentative de meurtre sur la personne de Softić.
48. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe s’est inquiété qu’au Monténégro, de nouvelles affaires illustrant l’insécurité des journalistes et l’impunité des auteurs d’agressions continuent de s’ajouter aux anciennes.
49. Les problèmes posés par l’absence alléguée d’actions des forces de l’ordre pour enquêter sur des menaces et actes de violence visant des journalistes et en punir les auteurs continuent de préoccuper vivement les organisations de journalistes dans plusieurs Etats d’Europe.
50. Une autre affaire non élucidée est celle de Georgiy Gongadze, rédacteur en chef de Ukrainskaya Pravda, enlevé et assassiné en Ukraine en 2000. En 2013, en raison de retards et de défaillances du système judiciaire qui ont été condamnés dans un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, un ancien chef de la police, Olexiy Pukach, a été reconnu coupable du meurtre. On soupçonne que le crime a été commandité par une personnalité politique de premier plan et que la justice n’a pas été complètement rendue dans cette affaire.

2.4. Enquêtes menant à des poursuites ou à une condamnation dans des affaires non élucidées auparavant

51. En Serbie, en juin 2014, quatre anciens officiers des services de sécurité de l’Etat, dont l’ancien chef de ces services, Radomir Marković, ont été accusés de l’assassinat de Slavko Ćuruvija, éditeur et rédacteur en chef du journal Dnevni Telegraf. M. Ćuruvija a été abattu devant son appartement à Belgrade en avril 1999. La Fondation Slavko Ćuruvija, créée par les membres de sa famille, a déclaré que les poursuites devraient permettre de découvrir les «liens ténébreux entre la politique et la criminalité» qui expliqueraient l’assassinat. En 2013, le Gouvernement serbe a établi une commission d’enquête sur les meurtres non élucidés de journalistes. Cette commission a le pouvoir d’interroger d’anciens fonctionnaires ou des fonctionnaires actuellement en poste, afin de révéler des faits de dissimulation et de contribuer à la traduction des responsables en justice. Elle est dirigée par Veran Matić, une journaliste d’investigation de premier plan.
52. En décembre 2013, un homme d’affaires russe a été condamné par un tribunal de Moscou à sept ans de prison pour incitation à l’assassinat en 2000 du journaliste Igor Domnikov de Novaïa Gazeta. M. Domnikov a été ciblé en raison de ses articles d’investigation sur des actes de corruption commis par des fonctionnaires à Lipetsk en Russie occidentale. En 2007, cinq membres d’un gang criminel avaient été reconnus coupables dans le cadre de cet assassinat.

2.5. Multiplication des actes de violence et d’intimidation contre des journalistes

53. En dépit des nombreuses protestations d’organisations de journalistes et d’ONG, et des interventions d’autorités indépendantes, dont le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, et la représentante de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour la liberté des médias, Dunja Mijatović, des dizaines d’agressions violentes contre des journalistes ont été enregistrées en Europe ces cinq derniers mois. La plupart de ces agressions, ainsi que des menaces de violence, des tentatives d’intimidation et des actes de harcèlement, sont toujours impunis.
54. L’organisation Ossigeno per l’Informazion a par exemple publié les noms de 2 000 reporters et professionnels des médias qu’elle dit avoir été victimes de violence ou d’abus en raison de leur travail au cours des six dernières années. Selon Ossigeno, nombre de ces affaires n’ont même jamais été signalées.
55. L’Institut ukrainien de l’information de masse, qui recense toutes les formes d’agressions, déclare avoir enregistré 281 cas d’agression contre des professionnels des médias, ainsi que sept affaires de meurtre, pour la seule année 2014.
56. L’Association indépendante des journalistes de Serbie a signalé 18 agressions physiques, menaces verbales et autres mauvais traitements infligés à des journalistes entre janvier et fin août 2014.
57. Voici quelques exemples parmi les très nombreuses agressions de journalistes ayant nécessité un traitement hospitalier ou une absence prolongée du travail.
58. Le 23 juin 2014, en Bosnie-Herzégovine, l’écrivain et chroniqueur Slavo Kukić a été blessé à la tête lors d’une agression par un homme armé d’une batte de base-ball, à Mostar. Une enquête judiciaire aurait été ouverte.
59. Le 4 juillet 2014, le journaliste italien Antonio Papaleo a été poignardé par une bande de jeunes à Phuket (Thaïlande). Gravement blessé, il a dû subir une ablation de la rate. Papaleo a filmé en caméra cachée des scènes qui ont été acceptées comme preuves par un tribunal de Hong Kong, ce qui a permis la condamnation d’un Slovaque pour blanchiment de capitaux. Au cours de la procédure judiciaire, Papaleo a reçu des menaces de violence, bien qu’aucun élément de preuve reliant l’attaque au couteau à ses travaux d’enquête n’ait été établi.
60. Le 21 août 2014, en Azerbaïdjan, Ilgar Nasibov, journaliste réputé et collaborateur de Radio Free Europe/Radio Liberty et de l’agence de presse Turan, a été attaqué par des personnes non identifiées dans les locaux de son bureau du Centre de Ressources pour le développement des ONG et la démocratie à Nakhitchevan. Il a subi des blessures graves, dont une commotion cérébrale, ainsi que des fractures des pommettes, du nez et des côtes. Nasibov avait déjà été menacé et agressé à diverses reprises et, en 2007, avait été condamné à un an de prison avec sursis pour diffamation.
61. En Russie, de nombreuses agressions violentes ciblant visiblement des journalistes ayant critiqué certains aspects de l’implication de la Russie dans le conflit ukrainien ont été recensées. Selon la représentante de l’OSCE pour la liberté des médias, le journaliste d’investigation Alexander Krutov, du magazine Obshchestvennoye Mneniye, a été sauvagement battu et poignardé le 26 août 2014 par une bande d’inconnus à proximité de son domicile, à Saratov (sud-ouest de la Russie). Krutov avait déjà subi plusieurs agressions sans que ses assaillants aient été traduits en justice.
62. Ce même jour, dans la région de Pskov, dans l’ouest de la Russie, Vladimir Romensky, de Dozhd TV, Ilya Vasyunin, de Russkaya Planeta, Nina Petlyanova, de Novaya Gazeta, Irina Tumakova de Fontana.ru, ainsi que Sergey Kovalchenko et Sergey Zorin, de Telegraph, ont été agressés et ont subi des tentatives d’intimidation par plusieurs individus qui auraient enjoint Romensky et Vasyunin d’abandonner leur travail et de quitter Pskov.
63. Le 16 septembre 2014, à Astrakhan (sud de la Russie), un caméraman de la BBC a été agressé et son appareil réduit en morceaux. L’incident s’est produit pendant que le correspondant de la BBC Steve Rosenberg et son équipe enquêtaient sur des allégations – contestées par les autorités russes – selon lesquelles des soldats russes envoyés en Ukraine pour soutenir les séparatistes y auraient été tués et leurs corps enterrés en Russie, alors que leurs familles étaient laissées dans l’ignorance des circonstances de leur mort. L’équipe de la BBC a été arrêtée et interrogée par la police pendant quatre heures, durant lesquelles d’autres matériels d’enregistrement se trouvant dans leur véhicule stationné dans la cour du poste de police auraient été supprimés électroniquement.
64. Le 29 août 2014, Lev Schlosberg, journaliste au Pskovskaya Guberniya, qui avait rendu compte de la mort de soldats russes qui auraient été tués dans le cadre du conflit se déroulant dans l’est de l’Ukraine, a subi près de chez lui une agression qui lui a valu une commotion cérébrale et une fracture du nez.
65. Le 27 octobre 2014, au Kosovo* 
			(3) 
			*Toute référence au
Kosovo dans le présent document, qu’il s’agisse de son territoire,
de ses institutions ou de sa population, doit être entendue dans
le plein respect de la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des
Nations Unies, sans préjuger du statut du Kosovo., Milot Hasimja, journaliste de la chaîne de télévision Klan Kosova, a été attaqué par un homme qui l’a poignardé à plusieurs reprises au cou et à la tête. L’agresseur a été maîtrisé et il semblerait que la police traite l’affaire comme une tentative de meurtre qui pourrait être en lien avec des reportages signés par Hasimja.

2.6. Sujets de préoccupation pressants en Ukraine, Russie, Turquie et Azerbaïdjan

– Ukraine

66. En Ukraine, les journalistes et les organisations de médias ont fait l’objet d’une vague d’agressions extraordinairement virulentes dans le cadre des événements politiques récents et, depuis mars 2014, d’un différend international et des conflits armés concernant certaines régions de l’Ukraine. On compte plus de deux mille morts et de très nombreuses personnes sont blessées ou déplacées.
67. Entre le mois de janvier et le 5 juin 2014, l’Institut ukrainien de l’information de masse (IMI) a recensé 236 agressions physiques contre des professionnels des médias, dont environ 40 cas d’enlèvements ou de détention illégale de journalistes et d’attaques contre des bureaux de médias dans l’est de l’Ukraine et la Crimée. En 2013, l’IMI avait recensé 101 attaques, dont 48 avaient eu lieu en décembre.
68. Le 2 mars 2014, une trentaine d’hommes masqués ont fait irruption et brièvement occupé un bâtiment où travaillent des journalistes, le Centre pour le journalisme d’investigation, qui est situé dans le centre administratif de la Crimée, à Simféropol. Dans les jours qui ont précédé et suivi le référendum qui a été organisé en Crimée le 16 mars et qui n’a pas été reconnu sur le plan international, des dizaines d’agressions physiques ont visé des professionnels des médias et des cas de harcèlement et de confiscation de matériels se sont produits. Les personnes ciblées étaient notamment le personnel des médias régionaux, dont Inter, STB, 5 Kanal, CNN et AP Television News, ainsi que des journalistes indépendants. Les signaux terrestres des chaînes de télévision ukrainiennes en Crimée, dont Inter, Briz, 1+1, 5 Kanal, Pershyi Natsionalnyi et STB, ont été coupés et remplacés par ceux des chaînes russes NTV, Perviy Kanal, Rossiya 24, Rossiya RTR, TNT et Zvezda.
69. Depuis, les représentants des médias ukrainiens traditionnels qui cherchent à couvrir les événements en Crimée ont dû faire face à une forte hostilité et ont été très exposés au risque d’agression ou de détention. Le 11 mai 2014, un cinéaste, Oleg Sentsov, a été arrêté parce qu’il était soupçonné d’activités terroristes. Le 12 mai 2014, un rapport publié par l’OSCE relatif à la mission que l’Organisation venait récemment d’effectuer sur les droits de l’homme en Ukraine a fait état de preuves d’intimidation systématique de journalistes et de militants «pro-Maidan» dans l’est du pays, souvent avec la complicité des autorités locales. De nombreux actes de violence étaient liés au fait que des milices séparatistes et pro-russes ont essayé de mettre en place des administrations locales autonomes dans l’est de l’Ukraine et de perturber l’élection présidentielle ukrainienne qui a eu lieu le 25 mai.
70. Quatre journalistes ont été blessés dans des attaques violentes lancées contre une manifestation pro-Maidan organisée à Lougansk le 9 mars 2014. Le jour suivant, des groupes anti-Maidan ont pris d’assaut la chaîne de télévision privée IRTA TV, au motif qu’elle avait diffusé des images montrant l’attaque de la veille. Les personnes travaillant pour des médias ukrainiens et qui ont été enlevées ou retenues en otage dans l’est de l’Ukraine sont notamment Yuri Leliavski, de la chaîne de télévision ZIK, et Serhiy Shapoval, un journaliste du site internet Volyn Post. M. Shapoval a été détenu pendant trois semaines et interrogé à Slaviansk. Il aurait reçu des décharges électriques, les paumes de ses mains auraient été tailladées et il aurait été contraint de déclarer devant une caméra que ses ravisseurs étaient pacifiques et sans armes.
71. Simon Ostrovsky, un journaliste américain travaillant pour Vice News, a été fait prisonnier le 21 avril 2014 par le maire pro-russe autoproclamé de Slaviansk, Vyacheslav Ponomarev, et détenu pendant trois jours avant d’être libéré. M. Ostrovsky avait tweeté lors d’une conférence de presse que M. Ponomarev avait menacé d’exclure de la salle un journaliste qui posait des questions «provocantes» sur la détention de l’ancien maire.
72. La mission de l’OSCE a rapporté des témoignages issus de la population locale selon lesquels de nombreux manifestants anti-Maidan actifs dans les régions orientales et méridionales de l’Ukraine avaient été transportés par cars et rémunérés pour leur participation aux actions menées dans ces régions.
73. En mai 2014, de nombreuses chaînes de télévision ukrainiennes nationales ou régionales ont été interrompues dans l’est de l’Ukraine, notamment 1+1, Inter, STB, TVi, 112Ukraina, Channel 5, Novy Kanal, ICTV, TET and Ukraina; d’autres chaînes de télévision locales ont également été mises hors service dans huit villes des régions orientales. Au début de juin, de nombreux médias exerçant leurs activités dans l’est de l’Ukraine, notamment Donetskiye Novosti, Donbass et Vecherniy Donetsk ont ​​été contraints d’interrompre leurs activités en raison des menaces proférées par des groupes armés ou violents identifiés comme pro-russes et exigeant des modifications de la politique éditoriale. Des dizaines de journalistes ukrainiens ont été obligés de quitter la région ou leur domicile pour échapper à la vive hostilité et aux menaces virulentes des groupes de militants. Au cours des dernières semaines, de nombreux journalistes russes ont été empêchés d’entrer en Ukraine pour travailler, et certains ont été arrêtés par les autorités.
74. Marat Saychenko et Oleg Sidyakin, qui travaillent pour la chaîne de télévision russe LIFEnews, ont été arrêtés par les forces armées ukrainiennes le 18 mai 2014 près de Kramatorsk, où ils filmaient les activités des rebelles pro-russes. Ils ont été emmenés à Kiev, interrogés par le service de sécurité ukrainien et accusés d’aider le terrorisme. Ils ont été renvoyés en Russie au bout d’une semaine suite aux interventions des Nations Unies et de l’OSCE.
75. Certains programmes émis par la Russie vers l’Ukraine ont également été interrompus après que les autorités ukrainiennes ont demandé aux câblo-opérateurs de cesser la diffusion de plusieurs chaînes de télévision russes, notamment Rossiya 24, ORT, RTR Planeta et MTV-Mir, invoquant des raisons de sécurité nationale.
76. Le 6 mars 2014, l’Institut ukrainien de l’information de masse, Telekritika et des spécialistes indépendants des médias ont fait une déclaration détaillée sur ce qu’ils ont appelé les «rapports trompeurs et manipulateurs» ainsi que la propagande active diffusés par des médias russes sur les événements en Ukraine, notamment quatre chaînes de télévision, deux grandes agences de presse internationales ainsi que des journaux et d’autres médias. Ils ont fait valoir que les arguments avancés par le Gouvernement russe pour déployer des troupes en Crimée reposaient sur des images falsifiées. Le reportage télévisé en question a été diffusé sur la chaîne de télévision russe Russia One. Il montrait prétendument des militaires russes tués au cours d’une fusillade lors du Conseil des ministres qui se tenait à Simféropol, en Crimée. Une analyse ultérieure des images a montré que la scène présentée dans le reportage de la télévision russe comme étant une agression armée contre des hommes politiques élus de Crimée était un événement mineur mis en scène, et que les faits ne se sont pas déroulés comme ils ont été présentés. Dans d’autres cas, il s’est avéré que les images et les rapports factuels alléguant qu’un grand nombre de russophones fuyaient l’Ukraine parce qu’ils craignaient pour leur sécurité avaient été fabriqués. Dans certains cas, les images utilisées avaient été tirées de films d’archive d’événements ayant eu lieu dans d’autres endroits et associés à tort aux événements qui se déroulaient sur le territoire ukrainien.
77. La mission de l’OSCE en Ukraine a observé que la propagande diffusée dans les médias avait contribué à l’aggravation de l’insécurité pour les habitants des zones touchées. Les falsifications d’images médiatiques, surtout quand elles sont liées à l’utilisation répétée d’un langage insultant et provocateur dans le contexte d’un conflit armé ayant toutes les caractéristiques d’un conflit intercommunautaire, pourraient même être considérées comme un discours de haine ou une incitation à la violence. Le grand nombre de cas similaires observés dans le cadre d’agressions contre des journalistes dans certaines parties de l’Ukraine soulève des inquiétudes quant à l’ampleur de l’ingérence politique dans la politique éditoriale de certains médias russes, notamment si l’on tient compte des éléments de preuve accumulés montrant que des médias russes indépendants subissent des pressions ou un harcèlement de la part des autorités officielles, ce qui semble limiter les possibilités des citoyens de la Russie de recevoir des informations critiques sur les affaires nationales et internationales.
78. Le rapport de l’OSCE note également que des habitants interrogés dans l’est de l’Ukraine ont répondu que certains faits auraient été dénaturés. L’OSCE a déclaré que les autorités ukrainiennes avaient imposé des restrictions aux médias audiovisuels afin de lutter contre la propagande et que ce point lui semblait préoccupant.
79. Le 19 mars 2014, un groupe de personnes, dont un membre du parlement du parti ukrainien Svoboda, a pénétré dans les bureaux de la télévision d’Etat à Kiev et agressé le président par intérim de la société, qu’ils ont accusé de diffuser des programmes anti-ukrainiens avant de le contraindre à signer une lettre de démission. Les agresseurs ont filmé eux-mêmes une vidéo de l’incident, qu’ils ont publiée ensuite sur internet. Une enquête officielle sur l’incident a été rapidement ouverte.
80. Les autorités ukrainiennes et les autorités de fait russes en Crimée ont également empêché des journalistes d’entrer sur le territoire après son annexion illégale. Entre le 20 et le 24 mai, dans les jours précédant l’élection présidentielle, au moins cinq équipes de télévision et cinq journalistes n’ont pas pu entrer en Ukraine, notamment les journalistes de la chaîne radiophonique Echo of Moscow et la radio «Kommersant FM».
81. Au cours des manifestations EuroMaidan qui ont eu lieu sur la place Maidan (Indépendance) à Kiev entre novembre 2013 et le changement de gouvernement ukrainien en février 2014, des forces de sécurité et des bandes organisées pro-gouvernementales ont agressé de nombreuses fois des journalistes et les ont blessés grièvement, à Kiev et dans d’autres villes. Le 1er décembre 2013, plus de 40 journalistes et caméramen ont été passés à tabac par la police et subi des violences délibérées. Chaque cas d’agression entraînant des coups et blessures a été recensé et étayé par des médias ukrainiens et des ONG afin que les responsables soient amenés à rendre compte de leurs actes.
82. Près de Kiev, le 25 décembre 2013, des hommes ont poursuivi la journaliste d’investigation Tetyana Chornovol, l’ont tirée hors de sa voiture et l’ont sauvagement battue, lui infligeant une commotion cérébrale et de graves blessures, notamment au visage. Dans la nuit du 18-19 février 2014, au plus fort de la crise politique, l’Institut de droit des médias a dénombré 46 blessés en 24 heures parmi les professionnels des médias. L’Institut ukrainien de droit des médias a déclaré que les forces de sécurité avaient tiré des balles en caoutchouc en visant la tête des professionnels des médias qui se trouvaient sur la place Maidan, et que sept personnes avaient perdu l’usage d’un œil.
83. Le Commissaire aux droits de l’homme, qui s’était rendu en Ukraine en février 2014, a indiqué avoir vu des blessures qui montraient clairement que les têtes et les visages des journalistes avaient été pris pour cible par des policiers armés. L’Institut de droit des médias a noté que les forces de sécurité n’avaient pas respecté le statut professionnel des journalistes qui portaient des vestes indiquant clairement qu’ils étaient membres de la presse.
84. Suite au changement de gouvernement à Kiev, le parlement a adopté le 17 avril une loi visant à transformer le système de radiodiffusion d’Etat en un radiodiffuseur de service public («Société de radiodiffusion de service public national d’Ukraine»), qui devrait être un média indépendant et protégé contre les influences politiques que ce secteur a subies dans le passé. Le gouvernement actuel a promis une plus grande transparence concernant les agressions de journalistes et la fin de la censure. Les principales ONG, y compris l’Institut de droit des médias, ont proposé leurs propres candidats au Conseil national de la radio et télédiffusion, qui sera le principal médiateur dans le domaine des médias.
85. Le 5 septembre 2014, la représentante de l’OSCE pour la liberté des médias a dénombré huit journalistes retenus contre leur volonté ou ayant été enlevés puis relâchés: Yegor Vorobyov, Roman Chermsky, Sergei Dolgov, Yury Lelyavsky, Yevgeny Shlyakhtin, Yevgeny Tymofeyev, Anna Ivanenko et Nazar Zotsenko.
86. L’Institut ukrainien de l’information de masse a fait savoir qu’entre avril et août 2014, 62 journalistes avaient été capturés ou retenus en otages par des séparatistes pro-russes. Le sort de plusieurs d’entre eux restait inconnu au moment de la rédaction du présent rapport.
87. En juin 2014, Amnesty International a publié un rapport intitulé «Abductions and Torture in Eastern Ukraine» (Enlèvements et tortures dans l’est de l’Ukraine) qui rend compte de cas de tortures, de mauvais traitements et de menaces d’exécution infligés à de nombreuses personnes parmi les centaines enlevées par des groupes séparatistes armés dans l’est de l’Ukraine, dont à cette date 39 journalistes.
88. Le 9 septembre 2014, la représentante de l’OSCE pour la liberté des médias s’est dite très préoccupée par les tentatives d’intimidation de journalistes indépendants pratiquées par les autorités russes de facto en Crimée, y compris la détention et l’interrogatoire subis pendant six heures par Yelizaveta Bohutskaya, journaliste pigiste, et la convocation pour interrogatoire de membres du personnel du Centre de journalisme d’investigation de Crimée. La représentante pour la liberté des médias a décrit ces incidents comme des tentatives visant à faire taire toute critique.
89. Ces derniers mois, les autorités de facto en Crimée et les autorités ukrainiennes ont interdit de manière sélective l’entrée de certains journalistes. Les services de sécurité ukrainiens auraient ainsi interdit à plusieurs dizaines de professionnels des médias russes d’entrer en Ukraine, sous prétexte de menaces pour la sûreté nationale.
90. Des agents des forces de l’ordre ukrainiennes ont perquisitionné les locaux de plusieurs médias critiques à l’égard du pouvoir, dont le quotidien Vesti, à Kiev, ou fait obstruction à leur travail. La représentante de l’OSCE pour la liberté des médias s’est également inquiétée de la détention et de l’expulsion d’Ukraine de plusieurs journalistes russes depuis le début de l’année 2014.
91. Des responsables du futur Gouvernement ukrainien se sont engagés à prendre des mesures pour instruire et sanctionner des agressions au cours desquelles des journalistes auraient été grièvement blessés par des agents des forces de l’ordre et autres personnes au cours des manifestations de la place Maidan contre l’ancien Gouvernement ukrainien, qui se sont déroulées début 2014.
92. Pourtant peu de progrès, voire aucun, ont été accomplis pour traduire en justice les auteurs de ces agressions ou d’autres attaques coordonnées, dont celles où des journalistes ont été atteints par balles lors du soulèvement populaire contre l’ancien gouvernement qui a connu la débâcle fin février dernier.
93. Le 23 septembre 2014, l’Institut du droit des médias de Kiev s’est élevé contre des affirmations selon lesquelles certains éléments des médias russes s’ingéniaient à attiser le conflit ukrainien, y compris en utilisant une propagande de guerre et en incitant à la haine et à la violence. L’Institut du droit des médias a cité des exemples de prétendues manipulations et falsifications d’images et d’informations factuelles par plusieurs radiodiffuseurs russes et a pressé la communauté internationale, dans le cadre du conflit en Ukraine, de faire la distinction entre les médias et journalistes qui agissent de bonne foi en s’acquittant d’une mission importante – informer dans l’intérêt du public – et ceux qui se comportent comme des «propagandistes». Dans sa déclaration, l’Institut a instamment demandé que l’on refuse aux travailleurs des médias qui violent délibérément la déontologie journalistique la qualité de membre dans des associations professionnelles de journalistes et de médias.
94. Le 12 août 2014, la représentante de l’OSCE pour la liberté des médias s’est déclarée préoccupée par le projet de loi ukrainien visant à autoriser les autorités à interdire des émissions de radio ou de télévision en invoquant des raisons de sécurité nationale, et a affirmé qu’un tel texte nuirait à la libre circulation de l’information et des idées et constituerait ainsi une violation des normes internationales. Cependant, le 10 septembre, l’autorité ukrainienne de réglementation des médias, le Conseil national de la radio et télédiffusion, a fait paraître une liste de 15 chaînes télévisées russes interdites en Ukraine.
95. Le 10 novembre 2014, une enquête menée par l’autorité britannique de réglementation des médias – Ofcom – a permis de constater que RT (anciennement Russia Today) ne respectait pas la réglementation audiovisuelle en matière d’impartialité dans sa couverture de la crise ukrainienne.

– Fédération de Russie

96. La sécurité des journalistes et des médias indépendants russes a été de plus en plus menacée au cours des deux dernières années, en raison d’un climat persistant d’impunité concernant les agressions dirigées dans le passé contre des journalistes, de l’application trop rigide des lois sur la liberté d’expression, les manifestations pacifiques et l’internet, et des lourdes pressions administratives et politiques qui pèsent sur les journalistes et les organisations de médias.
97. L’incapacité à traduire en justice les responsables des nombreux meurtres de journalistes commis les années précédentes et qui n’ont toujours pas été élucidés continue de saper la confiance dans l’indépendance et l’efficacité du système judiciaire de la Russie dans ces affaires. Aucun progrès notable n’a été accompli en ce qui concerne la traduction en justice des responsables de l’assassinat de Paul Klebnikov, rédacteur en chef et fondateur de «Forbes Russia», en 2004 et de l’assassinat en Tchétchénie en 2009 de Natalia Estemirova, journaliste et membre éminent de l’organisation des droits de l’homme Memorial.
98. En 2014, huit ans après l’assassinat en octobre 2006 d’Anna Politkovskaya, journaliste à Novaya Gazeta, cinq hommes ont été reconnus coupables et condamnés à de longues peines de prison, mais le «cerveau» ou les instigateurs du meurtre n’ont toujours pas été traduits en justice. Un premier procès des suspects du meurtre de Mme Politkovskaya n’a pas abouti parce que l’accusation n’a pas pu présenter d’éléments suffisamment probants. En décembre 2012, un lieutenant-colonel de police à la retraite, Dmitri Pavlioutchenkov, a également été reconnu coupable et condamné à une peine de 11 ans. Des critiques ont néanmoins été émises à l’encontre des autorités judiciaires parce qu’elles avaient conclu un arrangement avec le condamné qui, selon certaines allégations, aurait permis de masquer l’identité des véritables instigateurs du crime.
99. L’incapacité du gouvernement à punir de nombreux fonctionnaires qui commettent des abus renforce le sentiment d’impunité, en particulier en ce qui concerne les crimes violents commis contre les journalistes. Le Comité pour la protection des journalistes classe la Russie (qui est le seul pays européen nommé) au dixième rang de son Indice mondial d’impunité 2014, qui recense les pays où les meurtres de journalistes sont les plus susceptibles de rester impunis.
100. Dans sa Résolution 1920 (2013), l’Assemblée parlementaire a appelé les autorités russes à mener une enquête complète sur l’affaire Sergei Magnitsky, un avocat qui est décédé en détention provisoire en 2009 suite aux abus et à la négligence des autorités carcérales. M. Magnitsky a cherché à dénoncer la corruption officielle en Russie; son arrestation, les tortures qui lui auraient été infligées ainsi que sa mort en prison sont de nature à dissuader d’autres personnes qui souhaitent dénoncer publiquement les abus commis par les autorités, ou les considérer comme une source importante d’informations pour les médias. Le propre Conseil des droits de l’homme du Président russe a conclu que M. Magnitsky a probablement été battu à mort dans la prison, mais, en mars 2013, le Comité d’enquête fédéral aurait mis un terme à son enquête sur son décès sans pouvoir trouver d’éléments probants de nature criminelle.
101. Les journalistes indépendants et critiques russes ont souvent fait l’objet d’agressions injustifiées, dont un grand nombre commises par la police ou les forces de sécurité, et d’arrestations arbitraires. En 2013, l’ONG «Glasnost Defense Foundation» a dénombré 63 atteintes à l’intégrité physique de journalistes, 24 poursuites judiciaires, 34 menaces de violence et 19 cas de journalistes licenciés à cause de reportages critiques. Parmi les exemples d’agressions graves, citons notamment le passage à tabac d’Andrey Chelnokov, président de l’Union des journalistes de Novossibirsk, qui a eu lieu le 1er avril 2013. M. Chelnokov a disparu pendant dix jours avant d’être retrouvé grièvement blessé, victime d’une commotion cérébrale, de côtes cassées et d’une fracture du nez. Aucune arrestation n’a été ordonnée.
102. Le 22 octobre 2013, le journaliste Sergueï Reznik a été attaqué à Rostov-sur-le-Don par deux hommes non identifiés armés de battes de base-ball qui lui ont infligé des blessures à la tête et au cou. L’agression faisait suite à la publication d’un billet de blog dans lequel M. Reznik accusait un juge de faits de corruption. Le journaliste a lui-même été poursuivi et condamné par la suite, notamment pour outrage à un fonctionnaire public et tentative de versement de pots-de-vin.
103. Les autorités russes appliquent également des lois excessivement restrictives pour restreindre la liberté d’expression et les manifestations publiques. En juin 2012, une nouvelle loi contre les manifestations a considérablement relevé les amendes pour ceux qui prennent part à des manifestations publiques qui ne sont pas conformes aux conditions très strictes prescrites; l’amende maximale a été portée à 300 000 roubles (environ $US 9 000), soit une somme supérieure à un salaire annuel moyen. En 2013, le président Poutine a annoncé une interdiction des manifestations et des rassemblements à Sotchi pendant les Jeux olympiques d’hiver, qui se sont déroulés au début de 2014.
104. La loi russe de 2012 sur les ONG qui reçoivent des fonds de l’étranger et sont réputées pour être engagées dans l’activité politique a été appliquée très durement à de nombreuses organisations de la société civile indépendantes qui jouent un rôle essentiel dans la promotion du débat public ouvert sur des questions d’intérêt public en Russie. La loi, qui oblige ces groupes à s’inscrire comme «agents étrangers», a donné lieu à des poursuites judiciaires contre des organisations qui refusent l’enregistrement. Certains groupes ont été contraints de fermer; des centaines d’autres ont été soumis à des inspections très poussées. En 2013, le groupe d’observation des élections Golos a fait partie des organisations de la société civile qui ont été suspendues et contraintes de payer une amende de $US 10 000 pour avoir refusé de s’inscrire comme agent étranger.
105. La loi russe sur la répression de l’extrémisme donne une définition très large des activités extrémistes et confère aux tribunaux le pouvoir de fermer un organe de presse considéré comme ayant violé la loi, sans possibilité de recours. Un organisme public de réglementation des communications, Roskomnadzor, adresse régulièrement des avertissements aux journaux et sites internet. Deux avertissements en un an peuvent conduire à la fermeture de l’organisme averti. Il est clair que l’existence même de cette loi draconienne peut conduire à l’auto-censure.
106. Une nouvelle loi sur l’internet, entrée en vigueur en février 2014, a renforcé les pouvoirs du gouvernement en matière de blocage de sites internet. En mars 2013, le site internet de Garry Kasparov, Kasparov.ru, et d’autres sites indépendants ont été bloqués. L’organisme de réglementation Roskomnadzor a déclaré que ces sites avaient été ajoutés au registre des sites au contenu interdit à la demande du bureau du procureur général, parce qu’ils lançaient des appels à participer à des «actions de masse non autorisées». Le blog du site «Livejournal» d’Alexei Navalny, militant anti-corruption et figure de l’opposition, a également été bloqué. En mai, le président Poutine a signé une extension de la loi sur l’internet qui oblige les blogueurs ayant plus de 3 000 «abonnés» à s’inscrire en tant que médias de masse et à se conformer à d’autres réglementations applicables aux grands médias.
107. En 2013, plusieurs autres lois ont été adoptées, qui limitent encore davantage la liberté d’expression et la parole publique: une «loi sur la propagande» visant les manifestations publiques d’appui aux groupes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres), une loi contre l’atteinte au sentiment religieux et une loi incriminant les appels au séparatisme en Russie, qui prévoit une peine maximale de cinq ans de prison.
108. Ces derniers mois, le Gouvernement russe et ses alliés ont encore étendu leur emprise sur les médias influents. En décembre 2013, le gouvernement a fermé la plus grande agence d’information appartenant à l’Etat, RIA Novosti, qui avait la réputation de couvrir les questions politiques de manière relativement équilibrée. Elle a été remplacée par une agence d’information appelée Rossia Segodnya (Russia Today), dont les liens avec le Kremlin seraient beaucoup plus étroits. L’agence RIA Novosti a caractérisé elle-même la décision comme étant «un renforcement du contrôle de l’Etat dans un secteur des médias déjà fortement réglementé».
109. En mars 2014, Galina Timchenko, rédactrice en chef du portail d’information indépendant Lenta.ru, a été soudainement licenciée après que le site a reçu un avertissement de Roskomnadzor pour avoir interviewé un leader ultra-nationaliste ukrainien.
110. En avril 2014, Pavel Durov, fondateur et propriétaire du réseau social le plus populaire de Russie, Vkontakte, a quitté la Russie après avoir été contraint de vendre ses actions dans l’entreprise. Il a déclaré qu’il avait pris sa décision après avoir reçu une demande de remettre des données à caractère privé appartenant à des utilisateurs, et suite aux nouvelles restrictions draconiennes appliquées à l’utilisation d’internet.
111. La grande chaîne russe de télévision indépendante et critique, Dozhd (Rain), risque de mettre fin à ses activités depuis février 2014, date à laquelle les opérateurs de câble et de satellite ont déclaré qu’ils ne transmettraient plus les programmes de la chaîne. De plus, Dozhd doit faire face à des contrôles fiscaux et à une perte soudaine de contrats publicitaires. Le propriétaire de Dozhd a déclaré que les mesures prises par les distributeurs étaient dues à des pressions politiques.
112. A la fin du mois de juin 2014, la Russie a adopté une loi prévoyant des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour incitation publique à «l’extrémisme». La Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a déclaré que la loi russe était trop imprécise et pouvait imposer des restrictions disproportionnées de la liberté d’expression.
113. Le 21 juillet 2014, le Président Poutine a approuvé une disposition législative empêchant les chaînes de télévision privées de tirer des revenus de la publicité commerciale, dont beaucoup dépendent pour survivre. Cette loi ne s’applique pas aux chaînes télévisées publiques ou sous contrôle de l’Etat, connues pour suivre les politiques éditoriales validées par le Kremlin.
114. Le 14 octobre, la Russie a adopté une loi visant à restreindre à un maximum de 20 % la détention étrangère de capitaux dans toute forme de médias. Pour le moment, aucune restriction ne s’applique à la presse écrite et les intérêts étrangers dans les chaînes de radio et de télévision sont plafonnés à 50 %.
115. La loi devait être progressivement adoptée au cours des deux prochaines années. Elle entraîne une sévère restriction des possibilités accordées aux médias indépendants pour opérer dans l’environnement médiatique russe et, partant, un appauvrissement de la pluralité médiatique. Il semble probable qu’elle concentrera encore davantage la propriété et le contrôle des médias entre les mains d’un petit groupe de propriétaires alliés à l’Etat ou redevables envers lui.
116. Les autorités russes ont ouvertement parlé d’une «guerre de l’information» dans le conflit ukrainien, à laquelle participent des médias russes contrôlés ou influencés par les autorités gouvernementales et diffusant des informations et opinions très éloignées de celles provenant de sources indépendantes, dont la mission spéciale d’observation de l’OSCE en Ukraine.

– Turquie

117. En Turquie, plus de 20 journalistes étaient toujours en prison au moment de la rédaction du présent rapport. Cependant, de nombreux autres journalistes qui se trouvaient en détention provisoire ont été libérés grâce à des réformes judiciaires qui, si elles se poursuivent, pourraient conduire à une amélioration majeure de la sécurité et des conditions de travail des médias libres et indépendants. A l’heure actuelle, en Turquie, la sécurité et l’indépendance professionnelle des journalistes sont toujours menacées par des lois excessivement restrictives, des centaines d’enquêtes pénales douteuses, un certain nombre de nouvelles poursuites à l’encontre de journalistes, des contraintes concernant l’accès à l’internet, des ingérences injustifiées des autorités dans le travail des médias, et un manque de tolérance du gouvernement à l’égard des critiques qui lui sont adressées.
118. Parmi les journalistes libérés après une détention provisoire en mai 2014, on compte sept journalistes kurdes et Füsun Erdoğan, qui a passé huit ans en détention provisoire, selon elle sur la base de fausses accusations. Elle aurait en effet tenté de renverser l’ordre constitutionnel par la violence et serait membre d’un parti marxiste interdit. Le gouvernement a continué d’affirmer que la plupart ou la totalité des journalistes détenus dans les prisons turques avaient commis des infractions sans rapport avec leur profession.
119. Des réformes positives ont été adoptées, notamment l’abaissement récent de la durée maximale de la détention provisoire de dix ans à cinq ans, une nouvelle disposition qui autorise la Cour constitutionnelle turque à connaître des recours individuels, et l’abolition des tribunaux spéciaux qui ont instruit les procès controversés de centaines de personnes, dont des journalistes et des militaires accusés de faire partie de complots anti-gouvernementaux. Toutefois, en mars 2014, le gouvernement a également renforcé son contrôle sur le Conseil supérieur de la magistrature, suscitant ainsi des craintes d’un accroissement de l’ingérence politique dans le système judiciaire.
120. Le quatrième train de réformes judiciaires d’avril 2013 contenait des améliorations liées à la liberté d’expression, notamment un assouplissement des restrictions sévères frappant la publication ou l’impression de déclarations d’organisations illégales (article 6/2, loi anti-terroriste) et la réduction du champ d’application de l’infraction visant la propagande en faveur du terrorisme (article 7/2 de la loi antiterroriste et article 220/8 du Code pénal). Toutefois, les réformes n’ont pas mis fin aux nombreuses poursuites engagées, notamment contre certains journalistes, pour appartenance à une organisation armée (article 314). L’article 301, très critiqué, qui réprime les insultes visant la «nation turque», n’a pas été modifié. Il a été utilisé pour ouvrir plus de 30 nouvelles affaires en 2012 et 2013. Une enquête a été lancée contre le rédacteur en chef et un journaliste d’Agos, le magazine de l’ancien rédacteur en chef assassiné Hrant Dink, après qu’ils ont critiqué le verdict du procès Dink.
121. Pendant les grandes manifestations du parc Gezi en 2013, l’organisation Bianet, qui assure la surveillance des médias indépendants, a rapporté que la police avait agressé au moins 105 journalistes alors qu’ils couvraient les événements. La police a également emprisonné 28 journalistes, dont certains ont été détenus pendant la nuit et interrogés. Peu de policiers ou fonctionnaires ont eu à rendre publiquement des comptes de leurs actes, ce qui a renforcé le sentiment d’impunité ainsi que la défiance du public à l’égard des forces de l’ordre. Les efforts concertés du gouvernement pour supprimer la couverture des événements qui se déroulaient au parc Gezi ont pu être assimilés à une tentative de censure à grande échelle.
122. Le 11 juin 2013, au plus fort des manifestations, l’organisme de réglementation des médias de radiodiffusion RTUK (Conseil supérieur de la radio et de la télévision) a demandé à Ulusal TV, Halk TV, EM TV et Cem TV de ne pas diffuser de reportages sur les manifestations au motif qu’ils inciteraient à la violence. Sous la pression, de nombreuses chaînes de télévision ont cessé de diffuser des reportages sur des manifestations auxquelles des dizaines de milliers de Turcs ont participé pendant plusieurs semaines, à Istanbul et dans d’autres villes.
123. De nombreux journalistes de la presse et de la radio-télévision turques ont censuré leurs reportages sous la contrainte et parce qu’ils craignaient de perdre leur emploi ou d’autres formes de représailles. Au cours des dernières années, de nombreux journalistes turcs de premier plan ont été licenciés sommairement par leurs employeurs à la suite, apparemment, d’une intervention directe ou sous la pression de hauts fonctionnaires du gouvernement. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan a reconnu qu’il avait téléphoné personnellement à plusieurs propriétaires ou rédacteurs en chef de médias pour influencer leur ligne éditoriale. Il est apparu plus tard que, pendant les manifestations du parc Gezi, le premier ministre avait téléphoné du Maroc à un haut dirigeant du groupe Cener, qui possède la chaîne d’information Haberturk TV, et lui avait demandé de modifier une information qui lui déplaisait.
124. Au cours de l’année écoulée, un certain nombre d’allégations de corruption impliquant des membres du gouvernement et des membres de leurs familles sont apparues sur internet, notamment sur les médias sociaux. Sur fond de défiance accrue de la population à l’égard des médias turcs traditionnels en raison de la censure et de l’autocensure, l’internet est devenu un vecteur important pour ceux qui souhaitent publier et recevoir des informations d’intérêt public qui pourraient être indésirables pour les autorités gouvernementales, en particulier des informations sur les cas présumés de corruption officielle.
125. Le gouvernement a utilisé ses pouvoirs juridiques pour bloquer de nombreux sites d’information et de partage de fichiers, notamment les sites de blogueurs et YouTube, en s’appuyant sur les lois qui répriment l’insulte visant l’«identité nationale turque», les lois relatives à la sécurité nationale et les lois qui interdisent de longue date toute critique d’Atatürk. Depuis 2009, le nombre de sites internet bloqués en Turquie est estimé à plus de 50 000. Selon des sources officielles, 81,9 % de ces sites ont été bloqués en raison de l’obscénité, 9,6 % en raison de l’abus des enfants, 4,6 % en raison de la prostitution et 1,4 % en raison de la violation de la vie privée. En mars 2014, pendant la campagne électorale qui précédait les élections municipales turques, prévues le 30 mars, Twitter a été bloqué après que le Premier ministre Erdoğan se soit engagé à «effacer Twitter» parce que les utilisateurs répandaient des allégations de corruption au plus haut niveau, ce qu’il avait démenti. Le président Abdullah Gül a personnellement utilisé Twitter pour affirmer que, selon lui, l’interdiction totale de Twitter était inacceptable et techniquement impossible. Un tribunal d’Ankara a condamné l’interdiction, et le 2 avril 2014, la Cour constitutionnelle a confirmé ce jugement.
126. En décembre 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé (dans l’affaire Ahmet Yildirim c. Turquie) que le blocage de l’accès à une plateforme en ligne appelée Google Sites est une violation du droit à la liberté d’expression s’il ne s’inscrit pas dans un cadre juridique strict quant à la délimitation de l’interdiction et efficace quant au contrôle judiciaire.
127. En 2014, la Grande Assemblée nationale turque a adopté plusieurs amendements à la loi n° 5651, lesquels permettent de fermer plus rapidement des sites internet; mais la nouvelle loi exige également que les décisions de justice concernant ces mesures interviennent plus rapidement. Compte tenu de la pratique antérieure de la Turquie en matière de blocage de sites internet, cette révision a fait l’objet de critiques.
128. En mars 2014, le gouvernement a diffusé des informations détaillées sur un vaste Plan d’Action pour les droits de l’homme destiné à aligner la législation turque sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, suite aux nombreuses décisions de celle-ci concluant à des violations par la Turquie de la liberté d’expression, de la liberté de réunion et des normes judiciaires. Le rythme de mise en œuvre du plan d’action dépendra vraisemblablement de la volonté politique du Gouvernement turc. L’Union européenne continue d’être réticente à ouvrir des négociations officielles avec la Turquie sur le chapitre 23 de la procédure d’adhésion de l’Union européenne, qui traite du système judiciaire et des droits fondamentaux, ce qui pourrait freiner le processus.
129. Plusieurs journalistes turcs et étrangers sont devenus la cible de campagnes de haine sur les médias sociaux et font l’objet de multiples menaces de violence depuis que des personnalités turques de premier plan les ont insultés ou condamnés en raison de leurs reportages. Suite à la catastrophe de la mine de Soma en mai 2014, le correspondant en Turquie du magazine Der Spiegel, Hasnain Kazim, a quitté le pays parce qu’il aurait reçu plus de 10 000 menaces sur Facebook et Twitter concernant ses reportages sur la catastrophe, dans lesquels un mineur local tenait des propos très critiques à l’égard du Premier ministre turc lors de la visite de M. Erdoğan à Soma.
130. Le Premier ministre Erdoğan a accusé le service turc de la BBC d’avoir embauché des acteurs pour jouer le rôle de parents de mineurs morts sur le site minier de Soma. Il a réagi ainsi après la diffusion par la BBC d’une séquence vidéo dans laquelle deux parentes de mineurs décédés déclaraient qu’elles ne voteraient plus pour le parti AK de M. Erdoğan en raison de sa réponse contestable concernant ceux qui avaient perdu la vie dans la catastrophe. La BBC a nié toute manipulation de l’information, mais par la suite, la journaliste de la BBC, Rengin Arslan, est devenue la cible d’une campagne de dénigrement extrêmement désagréable véhiculée sur les médias sociaux, ainsi que d’autres accusations relayées par les médias pro-gouvernementaux.
131. Ces affaires démontrent que les personnages publics ne doivent pas abuser de leur position privilégiée pour utiliser un langage excessif ou provocateur contre les journalistes ou organes de presse, et doivent présenter rapidement des excuses les plus complètes possibles lorsqu’il est prouvé que leurs déclarations sont sans fondement.
132. La décision prise le 2 octobre 2014 par la Cour constitutionnelle turque d’annuler les pouvoirs de censure et de surveillance en ligne supplémentaires que le gouvernement prévoyait d’octroyer à la haute autorité des télécommunications et de l’informatique a été un pas en avant sur la voie de la liberté d’expression. La Cour a jugé inconstitutionnels les pouvoirs supplémentaires proposés, qui auraient permis d’ordonner le blocage immédiat de l’accès aux sites internet à des fins de protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public, sans l’autorisation d’aucun tribunal, et de recueillir les données de communications de tous les usagers de l’internet.
133. Le Réseau indépendant de communication turc (BIA), un organisme de surveillance, a déclaré sur son site d’information Bianet qu’au début du mois d’octobre 2014, 19 journalistes étaient toujours détenus dans les prisons turques, dont quatre dans l’attente de la conclusion d’un processus d’enquête ou d’un procès. Douze d’entre eux seraient des professionnels des médias kurdes accusés ou reconnus coupables d’entretenir des liens avec des organisations illégales, selon la loi anti-terroriste et le Code pénal turc.
134. Bianet a déclaré qu’un an auparavant, 66 journalistes se trouvaient dans les prisons turques. La même organisation a recensé 21 agressions commises en Turquie contre des journalistes entre juillet et septembre 2014, et rapporte que depuis le début de l’année 2014, le ministère de la Justice a approuvé 79 demandes de mises en examen de journalistes au titre de l’article 301 du Code pénal turc, lequel érige en infraction pénale l’insulte à l’identité turque ou aux institutions de l’Etat turc.
135. PEN International s’est dite vivement préoccupée par la condamnation à 11 mois et 20 jours de prison avec sursis prononcée à la fin du mois de septembre à l’encontre du journaliste et écrivain Erol Özkoray après la condamnation de ce dernier pour diffamation envers l’actuel Président turc, M. Erdoğan, dans un ouvrage sur le mouvement de protestation du Parc Gezi, en 2013. Cette condamnation signifie qu’Özkoray devra purger sa peine en prison s’il est à nouveau condamné au pénal pour diffamation dans les cinq prochaines années. PEN International a demandé la levée de la peine assortie de sursis.
136. Depuis le mois de juin 2014, les organisations de médias et associations de journalistes turques et internationales sont de plus en plus préoccupées par une série d’attaques verbales incendiaires prononcées par des personnages clés de la scène politique turque et visant des journalistes dont le travail déplaît aux autorités.
137. En août 2014, M. Erdoğan, alors Premier ministre, prenant la parole lors d’un rassemblement dans le sud de la Turquie, a dit d’Amberin Zaman, la correspondante turque du journal The Economist: «C’est une militante déguisée en journaliste… une femme effrontée.»
138. Les propos agressifs du Premier ministre dirigés contre une journaliste respectée ont déclenché contre celle-ci un flot d’injures et de menaces violentes dans les médias sociaux. The Economist a déclaré que les manœuvres d’intimidation contre des journalistes n’avaient pas leur place dans une démocratie.
139. Reporters sans frontières, Article 19 et PEN Angleterre ont écrit à M. Erdoğan une lettre ouverte lui demandant d’user de son influence de Président de la Turquie pour favoriser une culture dans laquelle les journalistes et écrivains turcs pourront exercer leur liberté d’expression sans crainte d’intimidations.

– Azerbaïdjan

140. Des journalistes et des médias indépendants azerbaïdjanais ont dû faire face à des comportements agressifs visant à réduire au silence les voix critiques. On relève en effet de nombreux cas d’agressions physiques, de détention et d’emprisonnement faisant suite à des accusations dont on pense qu’elles sont forgées de toutes pièces, des cas de harcèlement judiciaire, et des cas de tentatives de chantage par des personnes liées au gouvernement.
141. Les meurtres du journaliste et écrivain Rafiq Tagi en 2011 et du rédacteur en chef Elmar Huseynov en 2005 demeurent non élucidés et impunis, ce qui renforce le sentiment d’impunité qui tend à protéger les puissants contre toute obligation de rendre compte, et entrave l’efficacité de la justice. La Fédération Internationale des journalistes a dénombré 15 agressions contre des journalistes en 2013.
142. Le 25 avril 2014, le journaliste du quotidien Yeni Musavat, Farahim Ilgaroğlu, a été battu et frappé au visage par un inconnu qui lui a demandé de confirmer son nom avant de l’agresser. L’attaque, injustifiée, s’est produite devant son domicile à Bakou.
143. En novembre 2012, Farahim Ilgaroğlu, qui se trouvait en compagnie d’Etimad Budagov, journaliste à l’agence d’information Turan, d’Amid Suleymanov, correspondant de l’agence d’information Media Forum et de Rasim Aliyev, correspondant de l’Institut pour la liberté et la sécurité des journalistes (IRFS), ont été passés à tabac par la police et arrêtés alors qu’ils couvraient une manifestation de l’opposition à Bakou, malgré le port de gilets indiquant clairement qu’ils travaillaient pour la presse.
144. Le Commissaire aux droits de l’homme, dans ses observations sur la situation des droits de l’homme en Azerbaïdjan, publiées en avril 2014, a déploré une tendance à la hausse du nombre des poursuites pénales injustifiées ou sélectives visant des journalistes et d’autres personnes qui expriment des opinions critiques. Son évaluation faisait écho à celle de la Résolution 1917 (2013) de l’Assemblée de janvier 2013 sur le respect des obligations et engagements de l’Azerbaïdjan. Le Commissaire a fait référence aux arrestations du blogueur Omar Mammadov en janvier 2014, de l’activiste en ligne Abdul Abilov en novembre 2013, tous deux pour des accusations douteuses de trafic de drogue, et de Parviz Hashimli, du journal Bizim Yoi en septembre 2013 pour une prétendue possession d’armes. Le Commissaire a réfuté les objections formulées antérieurement par les autorités azerbaïdjanaises selon lesquelles les journalistes emprisonnés dans le pays avaient tous été poursuivis pour des délits sans rapport avec leur activité professionnelle.
145. La condamnation en mai 2014 de Parviz Hashimli, rédacteur en chef du portail d’information indépendant Moderator, à huit ans de prison pour trafic et possession d’armes a été critiquée par l’Union européenne et de nombreuses organisations d’observation des droits de l’homme, qui ont considéré qu’il s’agissait d’une injustice reposant sur des preuves fabriquées. M. Hashimli est connu pour ses reportages critiques sur la corruption et les violations des droits de l’homme en Azerbaïdjan, et qui couvrent également des questions liées aux agissements du président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev. L’Institut pour la liberté et la sécurité des journalistes a déclaré que l’arrestation de M. Hashimli en septembre 2013 était un avertissement lancé délibérément aux journalistes à la veille d’une élection.
146. Le Président Aliev a été réélu pour un troisième mandat en octobre 2013 lors d’élections qui, selon les observateurs électoraux de l’OSCE, ont été entachées par des allégations d’intimidation à l’encontre d’électeurs et de candidats, et par un environnement restrictif pour les médias caractérisé par l’intimidation, l’arrestation et l’utilisation de la force contre les journalistes et les activistes en ligne et hors ligne de la cause des droits de l’homme et de la démocratie. L’OSCE a suivi les programmes de six chaînes de télévision au cours de la campagne électorale et a indiqué que 92 % des reportages étaient consacrés au président sortant, le reste de la couverture médiatique étant attribué aux neuf candidats restants (Rapport final sur l’élection présidentielle en Azerbaïdjan du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’OSCE (OSCE/BIDDH), publié le 24 décembre 2013).
147. Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) a déclaré en mai 2014 que dix journalistes étaient actuellement en détention ou purgeaient des peines de prison sur la base de fausses accusations ou d’accusations motivées par des considérations politiques: Sardar Alibayli; Nidjat Aliyev; Araz Guliyev; Parviz Hashimli; Fouad Huseynov; Hilal Mammadov; Rauf Mirkadirov; Faramaz Novruzoglu; Tofig Yagublu; et Avaz Zeynalli.
148. Depuis 2012, une campagne de dénigrement inquiétante a été menée contre Khadija Ismayilova, une journaliste d’investigation de premier plan de Radio Azadliq et de Radio Free Europe/Radio Liberty, visant apparemment à l’empêcher de publier des rapports sur les opérations commerciales du Président et des membres de sa famille. Mme Ismayilova est devenue la cible d’atteintes grossières à sa vie privée, et en mars 2013, des images intimes de sa personne, enregistrées en secret à son domicile, ont été publiées sur internet, un acte ayant visiblement pour but de la discréditer. Le gouvernement n’a pas réussi à identifier ou punir les responsables de la surveillance illégale et des atteintes à sa vie privée. En octobre 2013, Mme Ismayilova a demandé à la Cour européenne des droits de l’homme d’ordonner aux autorités azerbaïdjanaises de prendre des mesures pour la protéger contre la violence, les menaces et les atteintes à sa vie privée.
149. Des signes positifs indiquent que la Cour suprême d’Azerbaïdjan a recommandé de modifier la loi qui réprime l’insulte et la diffamation pour se conformer aux décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Cependant, les sanctions pénales pour diffamation, notamment une peine d’emprisonnement de trois ans, n’ont pas encore été supprimées. En 2013, le gouvernement a étendu le champ d’application des sanctions juridiques pour diffamation afin d’inclure des expressions diffusées sur l’internet. Les procès civils en diffamation ont donné lieu à de fortes amendes contre les organisations de médias, au point que certaines ont failli disparaître, et ils ont produit un effet dissuasif sur la liberté des médias au sens large. L’article 106 de la Constitution et l’article 323 du Code pénal, qui interdisent d’insulter l’honneur et la dignité du Président, représentent des limitations excessives de la liberté d’expression.
150. Le 30 octobre 2014, le journaliste Khalid Garayev, qui collabore au journal d’opposition Azadlig, a été condamné à 25 jours d’emprisonnement sous l’accusation de hooliganisme et de non-respect des instructions de la police, que les organisations de suivi des droits de l’homme disent inventée de toutes pièces. En novembre 2012, la survie du journal a été menacée par le gel de ses comptes en banque et par sa condamnation à de lourdes amendes à la suite de plusieurs procès intentés par des personnes décrites comme proches du gouvernement. Reporters sans frontières a déclaré que ces amendes exorbitantes constituaient une tentative délibérée des autorités d’affaiblir Azadlig. RSF a fait observer que la plupart des autres journaux d’opposition d’Azerbaïdjan avaient fermé et que l’ensemble des médias nationaux était sous contrôle du gouvernement.
151. Le 10 novembre 2014, à la suite de l’interdiction de voyager signifiée au blogueur Mehman Huseynov, la représentante de l’OSCE pour la liberté des médias a critiqué les mesures répressives prises contre des médias indépendants et a défendu la liberté d’expression en Azerbaïdjan. Ce jour-là, Huseynov a été retenu à l’aéroport de Bakou et empêché de prendre l’avion pour Tbilissi afin d’assister à une conférence à l’invitation de l’OSCE.
152. Khadija Ismailova a été victime, en 2012, d’une tentative de chantage – selon les critiques, orchestrée par les autorités – a également été empêchée de se rendre à la conférence de Tbilissi par des restrictions de la liberté de circulation qui lui avait été précédemment imposées.
153. Le 12 novembre 2014, des organisations de défense des droits de l’homme faisant partie du réseau de la Maison des droits de l’homme et du réseau des Défenseurs des droits de l’homme du Caucase du Sud ont appelé le Président azerbaïdjanais à ordonner la libération immédiate de tous les acteurs de la société civile emprisonnés dans le pays. Parmi eux figurent les défenseurs des droits de l’homme Leyla Yunus et son époux Arif Yunus, arrêtés en juillet et en août pour ce que les groupes de la société civile qualifient d’accusations forgées de toutes pièces, ainsi que Rasul Jafarov, lui aussi défenseur des droits de l’homme, l’avocat des droits de l’homme Intigam Aliyev, et les observateurs des élections Anar Mammadli et Bashir Suleymanli.
154. Le 24 octobre 2014, à la suite d’une visite en Azerbaïdjan, le Commissaire aux droits d’homme a déploré l’arrestation et la détention de, selon ses dires, pratiquement l’ensemble des partenaires de la société civile de son bureau. Le Commissaire a insisté sur la nécessité de réformer les lois azerbaïdjanaises sur les ONG, dont les exigences complexes en matière d’immatriculation poussent inévitablement un certain nombre d’ONG à fonctionner en marge de la loi. S’exprimant à Strasbourg le 3 novembre, le Commissaire a fait observer que les journalistes exprimant des opinions critiques en Azerbaïdjan sont souvent en butte à des problèmes juridiques. Il a ajouté qu’au moins 11 journalistes sont actuellement emprisonnés en raison de leur activité.
155. Selon un rapport récemment publié par Article 19 sur la situation des médias indépendants et des défenseurs des droits de l’homme en Azerbaïdjan, les autorités du pays auraient lancé contre la société civile une attaque odieuse pour écarter de la vie publique les ONG, journalistes et autres voix critiques en les harcelant ou en les emprisonnant. Article 19 a cité le cas du journaliste d’investigation Idrak Abbasov, qui affirme avoir été torturé en 2009 dans les locaux du ministère de la Sécurité nationale et brutalement agressé et frappé en avril 2012 par des agents de sécurité de la compagnie pétrolière nationale, SOCAR. Article 19 rapporte que les autorités n’ont ouvert aucune enquête concernant ces allégations de torture. De même, aucune enquête en bonne et due forme n’a été menée sur l’agression commise en 2012, alors qu’Abbasov avait lui-même déclaré qu’il était convaincu que ses assaillants avaient eu l’intention de le tuer. En mai 2014, Abbasov a saisi la Cour européenne des droits de l’homme au motif que l’Etat n’avait pas mené d’enquête appropriée en l’espèce.

2.7. Cas et enjeux importants dans d’autres régions d’Europe

156. Dans de nombreuses autres régions d’Europe, le travail des journalistes et leur sécurité sont systématiquement mis régulièrement en danger par des actes et des menaces de violence, mais aussi par des lois trop restrictives et diverses formes de harcèlement grave et d’obstruction de la part des autorités. Le taux extrêmement faible d’élucidation d’affaires dans lesquelles les journalistes sont victimes de crimes ou d’abus (impunité) alourdit souvent le climat d’intimidation ou de répression.
157. La liberté des médias en Europe connaît un contexte difficile, comme en témoigne le rapport le plus récent de «Freedom of the Press 2014», qui est une ONG basée aux Etats-Unis et qui étudie la liberté de la presse. Freedom House a classé l’Azerbaïdjan, le Bélarus, la Russie, la Turquie et l’Ukraine dans la catégorie «non libre», tandis que l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, la Géorgie, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, le Kosovo, la République de Moldova, «l’ex-République yougoslave de Macédoine», le Monténégro, la Roumanie et la Serbie étaient tous classés dans la catégorie «en partie libre».
158. Le cadre de protection comporte des insuffisances importantes, notamment l’incapacité de la majorité des Etats membres du Conseil de l’Europe à dépénaliser l’insulte et la diffamation, malgré les demandes fréquemment formulées en ce sens par des ONG internationales et des organisations intergouvernementales, dont le Conseil de l’Europe et l’OSCE.
159. Beaucoup d’Etats européens appliquent des lois inefficaces ou trop restrictives sur la liberté d’accès à l’information ainsi que des lois trop contraignantes sur le secret d’Etat, la sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme. Dans ces conditions, les journalistes de certains pays sont particulièrement exposés à l’hostilité du pouvoir en place ou à des poursuites des autorités lorsqu’ils cherchent à rendre compte de questions sensibles d’un intérêt public.
160. L’expansion rapide de la surveillance des communications électroniques par des organismes d’Etat a été, dans de nombreux cas, dirigée contre des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme, et les enquêtes pénales et les poursuites de blogueurs ont augmenté. Le rédacteur en chef du journal The Guardian, Alan Rusbridger, craint que les journalistes ne puissent peut-être plus protéger la confidentialité de leurs sources si la surveillance et le contrôle des communications en ligne ne sont pas restreints. En effet, si cette évolution se poursuit, les journalistes et les sources d’information seront alors exposés à des risques, et le journalisme d’investigation sera gravement entravé.
161. En janvier 2014, des organisations mondiales de défense de la liberté de la presse, dont l’Association Mondiale des Journaux (The World Association of Newspapers), ont effectué une mission sur la liberté de la presse à Londres, et critiqué ce qu’ils ont appelé l’ingérence du gouvernement britannique dans l’indépendance éditoriale du Guardian, qui avait publié des articles révélant l’étendue des programmes de surveillance électronique au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. En août 2013, le Gouvernement britannique a défendu son application de la législation antiterroriste concernant la détention, l’interrogatoire et la saisie de matériel à l’aéroport Heathrow de David Miranda, le partenaire du journaliste responsable de la plupart des rapports, Glenn Greenwald. Il a également justifié l’envoi de fonctionnaires dans les bureaux du Guardian afin d’ordonner la destruction d’un disque dur d’ordinateur. Le Guardian affirme que le gouvernement a exercé des pressions injustifiées pour tenter d’empêcher la publication de questions d’un intérêt public légitime. Une commission parlementaire britannique a demandé que des réformes profondes soient menées en vue de renforcer le contrôle indépendant de la sécurité du Royaume-Uni et des agences de renseignement. Le Comité des affaires intérieures a déclaré en mai 2014 que le système actuel était dépassé et si inefficace qu’il nuisait à la crédibilité des agences de renseignement et du parlement.
162. Au cours des deux dernières années, on assiste à une tendance dont le développement est tout à fait préoccupant. Il s’agit du renforcement de l’autocensure, qui a été observé par les organisations de journalistes elles-mêmes. Cet «effet paralysant», qui résulte de la coercition ou de la pression exercée par de puissants patrons de médias ou responsables publics, peut placer les journalistes devant un dilemme fâcheux, voire impossible: être les porte-parole d’un des groupes influents de la société ou être exposés à de graves menaces pour leur sécurité ou leurs moyens d’existence. Les grands changements qui ont transformé le marché des médias et l’univers des technologies, ainsi que les politiques d’austérité appliquées partout dans le monde, ont rendu les organisations de médias plus instables sur le plan économique, plus vulnérables aux pressions, notamment à cause de la perte de contrats publicitaires et de subventions publiques, et donc plus exposées aux influences qui n’ont pas lieu d’être.
163. L’avenir des radiodiffuseurs de service public et de ceux qui travaillent pour eux est également de plus en plus menacé. En Grèce, le radiodiffuseur public ERT a été subitement fermé en juin 2013 par le gouvernement. La fermeture, qui a suscité la polémique, a été officiellement imputée à une mauvaise gestion et à la nécessité de faire des économies draconiennes. Un nouveau radiodiffuseur national, beaucoup plus petit, NTANGA, a vu le jour en juin 2014.
164. Au Bélarus, les détentions arbitraires, les arrestations et le harcèlement de journalistes continuent d’être systématiquement signalés. La loi relative à la répression de l’extrémisme incrimine le journalisme indépendant, notamment les activités et la publication de matériels qui portent atteinte à l’honneur du pays ou de son président, ou incitent à l’«hooliganisme» pour des raisons politiques. La loi dissuade la publication de reportages indépendants en menaçant les organisations de médias de fermeture.
165. Andzej Poczobut, un journaliste biélorusse qui, depuis 2011, a été à plusieurs reprises accusé d’avoir diffamé le Président, a enfin vu sa condamnation à trois ans avec sursis annulée en septembre 2013, lorsque le ministère public a abandonné les poursuites engagées contre lui, faute de preuves.
166. En Arménie, on a noté un recul du nombre d’agressions contre l’intégrité physique des journalistes au cours des deux dernières années. Mais plusieurs journalistes ont été agressés au moment de l’élection présidentielle en février 2013. Des rapports ultérieurs ont montré que personne n’avait été poursuivi pour les agressions commises, faute de preuves.
167. En Bulgarie, deux cas ont été signalés, dans lesquels des journalistes d’investigation ont été menacés, apparemment pour les dissuader de publier des articles révélant la corruption ou des actes répréhensibles. En juillet 2012, Spas Spasov, qui travaille pour les journaux Capital et Dnevnik dans la ville de Varna, a reçu des menaces par voie postale en rapport avec ses articles sur des faits de corruption liés à un projet de construction local. En 2013, un journaliste d’investigation bulgare, Hristo Hristov, dont les travaux portent sur les dossiers secrets et les crimes présumés des organes de sécurité de l’ancien Etat communiste, a reçu plusieurs menaces de mort qu’il a signalées à la police.
168. En juin 2013, une enquête portant sur plus de 150 journalistes de la section bulgare de l’Association des journalistes européens a révélé que plus des quatre cinquièmes d’entre eux considéraient que l’environnement des médias bulgares était soumis à des pressions excessives, notamment sur les professionnels des médias. Plus de six sur dix ont déclaré que les pressions internes des directeurs ou des rédacteurs en chef étaient à l’origine de modifications inappropriées du contenu rédactionnel.
169. En Espagne, des journalistes qui couvraient des manifestations qui se déroulaient à Madrid le 29 mars 2014 ont fait l’objet de violences et d’intimidations de la part de la police. Ces faits ont été dénoncés par le représentant de l’OSCE pour la liberté des médias et les organisations journalistiques espagnoles. Cinq journalistes, Gabriel Pecot, Mario Munera, Juan Ramón Robles, William A. Criollo et Raul Capin auraient été agressés par des policiers et empêchés de prendre des photos et de recueillir des informations, alors qu’ils s’étaient présentés comme membres de la presse.
170. Au cours des deux dernières années, la Fédération des associations de journalistes d’Espagne (FAPE) a continué de protester contre la pratique arbitraire utilisée par les ministères et les partis politiques, qui cherchent à empêcher les journalistes de poser des questions à des personnes, de les enregistrer ou de les interroger lors de certaines conférences de presse et au cours des campagnes électorales. Selon la FAPE, des journalistes n’ont pas pu poser de questions aux porte-parole du Parti populaire au pouvoir pendant plusieurs semaines, au plus fort d’un scandale concernant un financement illicite présumé de partis politiques, ce qui a bloqué tout débat ouvert sur des questions d’un intérêt public évident. Le gouvernement a été informé des plaintes déposées et n’y a pas encore répondu de manière adéquate.
171. En Grèce, le 16 janvier 2013, des bombes artisanales ont visé les domiciles de cinq journalistes actuels ou anciens à Athènes, dont des membres du personnel de Athens News Agency, de la télévision publique ERT, d’Alpha TV et de Mega TV.
172. Kostas Vaxevanis, rédacteur en chef d’un magazine d’investigation grec, a été deux fois jugé et menacé d’une peine de prison. Il est accusé de violation de la vie privée pour avoir publié les noms de plus de 2 000 citoyens grecs détenant des comptes bancaires en Suisse. M. Vaxevanis a déclaré qu’il avait publié la liste pour montrer l’inaction des pouvoirs publics concernant des preuves d’une éventuelle évasion fiscale de personnages puissants de la société. Il a été acquitté pour la deuxième fois par une Cour d’appel en novembre 2013.
173. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’utilisation par l’Italie de sanctions pénales en cas de diffamation était disproportionnée. Une nouvelle loi a été rédigée, dans laquelle la sanction d’emprisonnement serait enfin supprimée, mais d’autres améliorations sont nécessaires pour fournir des garanties suffisantes contre les demandes abusives, les amendes exorbitantes et les dommages-intérêts excessifs visant les défendeurs, qui ont souvent été des représentants des médias.
174. A la suite de la Résolution de l’Assemblée 1920 (2013), la Commission de Venise a adopté, à sa réunion des 6 et 7 décembre 2013, un Avis sur la législation italienne relative à la diffamation et conclu que: «Mentionner plus explicitement, dans les dispositions sur la diffamation, l’exigence de proportionnalité des sanctions et le critère de la situation économique du journaliste contribuerait, parallèlement au principe général de proportionnalité inscrit dans le système juridique italien, à éviter l’application d’amendes excessives et à garantir des compensations d’un montant raisonnable. Il conviendrait aussi de reconsidérer l’instauration, en cas de diffamation répétée, d’une interdiction temporaire d’exercer la profession de journaliste, qui risque d’entraîner une autocensure dans les médias et d’avoir un effet intimidant sur le journalisme d’investigation.»
175. La Fédération nationale de la presse italienne (FNSI) a protesté contre les restrictions excessives de la liberté d’expression. Le 9 septembre 2013, la police a perquisitionné le bureau et saisi du matériel informatique de Consolato Minniti, journaliste au quotidien L’Ora della Calabria, qui avait publié des informations détaillées relatives à une enquête sur la criminalité organisée.
176. Au Monténégro, la fréquence élevée des agressions violentes dirigées contre les journalistes est préoccupante. Le 3 janvier 2014, Lidija Nikcević, une journaliste du journal Dan, a été agressée en face de son bureau par un assaillant masqué armé d’une batte de base-ball. Elle a subi une commotion cérébrale et des blessures lui ont été infligées à la tête et au corps. Le 13 février 2014, une voiture de fonction du journal Vijesti a été incendiée à Podgorica. C’était la cinquième fois qu’une voiture de Vijesti était détruite.
177. Dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine», des manifestations internationales ont été organisées pour protester contre la peine de quatre ans et demi de prison prononcée en octobre 2013 contre le journaliste Tomislav Kezarovski, qui avait écrit des articles dans le magazine Reporter 92 révélant l’identité d’un témoin protégé dans une affaire d’assassinat ayant eu lieu en 2008. Le journaliste avait déclaré que le fait de divulguer que le témoin présenté par la police avait fait un faux témoignage était d’un intérêt public évident. M. Kezarovski a été libéré de prison par la suite et placé en résidence surveillée en attendant le jugement en appel.
178. En novembre 2012, les Pays-Bas ont été reconnus coupables d’avoir violé le droit du journal De Telegraaf et de deux de ses journalistes de garder leurs sources journalistiques secrètes. En effet, les services de sécurité avaient procédé à des écoutes illégales des communications des journalistes, puis ils avaient arrêté ceux-ci pendant plusieurs jours et exigé d’eux qu’ils révèlent la source de l’information qu’ils avaient publiée à propos d’une faille de sécurité embarrassante pour les services. Le Gouvernement néerlandais s’est engagé par la suite à adopter des lois pour protéger la confidentialité des sources journalistiques. Cette nouvelle loi promise est toujours attendue.
179. La Hongrie a adopté une série de lois sur les médias en 2010 et 2011. A la suite d’un avis circonstancié rendu par le Commissaire aux droits de l’homme en 2011, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et le vice-Premier ministre hongrois ont eu au début de l’année 2013 plusieurs entretiens concernant les divers problèmes posés par la législation hongroise relative aux médias. En conséquence, le Parlement hongrois a introduit en avril 2013 certaines modifications dans les dispositions de cette législation qui avaient été contestées. Malgré cela, la législation hongroise a toujours un effet paralysant sur la liberté et l’indépendance des médias, malgré les modifications ultérieures. Plusieurs problèmes restent préoccupants, notamment l’obligation, mal définie, de produire un «contenu équilibré» dans la presse écrite, les fortes amendes pouvant être imposées aux journalistes pour violation des lois sur les médias, et l’absence persistante de mesures de protection garantissant l’indépendance de l’Autorité des médias et du Conseil des médias.
180. Le 28 juillet 2014, la Commissaire européenne Neelie Kroes a réitéré ses critiques véhémentes envers la loi des médias hongroise de 2010, y compris concernant la mise en place d’un système de réglementation globale des médias qu’elle estime soumis aux pressions politiques du parti au pouvoir, le Fidesz. Mme Kroes a décrit l’impôt sur la publicité – adopté en juin 2014 sans débat digne de ce nom – comme une menace pour la liberté et la pluralité des médias; selon elle, en effet, son but évident est de chasser du pays le radiodiffuseur étranger RTL. Or, RTL est considérée comme l’une des rares chaînes de télévision ne soutenant pas le Fidesz. C’est aussi celle qui a été la plus durement touchée par le nouvel impôt.
181. A la suite des élections législatives hongroises du 6 avril 2014, la mission restreinte d’observation électorale de l’OSCE/BIDDH a publié son rapport final le 11 juillet. Selon celui-ci, une couverture médiatique partiale et des règles de campagne restrictives ont offert au parti au pouvoir un avantage électoral déloyal. L’observation du suivi médiatique de la campagne par la mission a révélé que trois des cinq chaînes télévisées avaient fait preuve d’une partialité incontestable en faveur du Fidesz. L’attribution à certains médias de publicités financées par l’Etat a également porté atteinte au pluralisme et renforcé l’autocensure parmi les journalistes.
182. Le rapport de l’OSCE/ODIHR a recommandé qu’à l’avenir, les médias publics soient soumis à des règles strictes interdisant toute ingérence gouvernementale, et que l’application de la disposition juridique relative à une couverture équilibrée soit supervisée par un organisme véritablement indépendant. Le rapport a également recommandé que la loi pénale hongroise sur la diffamation soit abrogée et que les sanctions civiles soient strictement proportionnelles aux torts causés.

3. Conclusions

183. S’il est vrai que les organisations internationales accordent une plus grande attention aux atteintes graves à la liberté des médias, la situation de cette dernière ne s’est cependant pas améliorée en Europe. Les décès de journalistes et les agressions physiques dont ils sont victimes sont autant de signes alarmants qui révèlent la nécessité pour les gouvernements et les parlements des Etats membres ainsi que pour le Conseil de l’Europe de redoubler d’efforts à cet égard.
184. En menant une action positive en faveur de la liberté des médias, les Etats membres montreraient à d’autres la voie à suivre. J’évoquerai ici la création par la Serbie en 2013 d’une commission d’enquête sur les meurtres non élucidés de journalistes, ainsi que les divers amendements aux législations relatives aux médias décriées par la communauté internationale en Hongrie et en Turquie. Ces révisions sont le fruit d’une étroite coopération avec le Conseil de l’Europe.
185. L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme constituant la norme juridique suprême en matière de liberté d’expression et d’information pour l’ensemble de l’Europe, le Conseil de l’Europe se doit d’assumer son rôle de premier plan en défendant ce droit fondamental, sans lequel il ne saurait y avoir de démocratie qui fonctionne ni de contrôle démocratique de l’Etat de droit.
186. Même si peu d’Etats membres ont enregistré une augmentation en quantité et en intensité des atteintes vraisemblables à la liberté des médias, il convient d’appeler tous les Etats membres du Conseil de l’Europe à renforcer la protection de la liberté des médias, tant au niveau national, à travers la législation et la pratique, qu’au niveau international, à travers le Conseil de l’Europe.
187. Un nouveau volet de cette action sera la mise en place de la plateforme en ligne destinée à recenser et dénoncer les éventuelles violations des droits garantis par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. D’ici à quelques années, cette initiative lancée par l’Assemblée deviendra une interface structurelle importante pour une coopération accrue avec les principales ONG de défense de la liberté des médias. L’Assemblée se devra de suivre de près la mise en œuvre de cette initiative et d’y contribuer activement.