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Rapport | Doc. 13684 | 27 janvier 2015

Attaques terroristes à Paris: ensemble pour une réponse démocratique

Commission des questions politiques et de la démocratie

Rapporteur : M. Jacques LEGENDRE, France, PPE/DC

Origine - Renvoi en commission: décision du Bureau, Renvoi 4104 du 26 janvier 2015. 2015 - Première partie de session

Résumé

La Commission des questions politiques et de la démocratie estime que, plus qu’une attaque contre la liberté d’expression, qui avait pour but de réduire au silence et d’intimider des voix critiques, ou qu’un nouvel acte de violence antisémite – ce qu’elles étaient aussi – les attaques terroristes à Paris en janvier 2015 visaient les valeurs mêmes de la démocratie et de la liberté en général. Elles se fondaient sur la haine, que rien ne saurait justifier. Il ne doit pas y avoir de «mais».

La liberté d’expression, en particulier celle des journalistes, des écrivains et autres artistes, doit être protégée et les gouvernements des Etats membres ne devraient pas interférer dans l’exercice de cette liberté, que ce soit dans la presse écrite ou les médias électroniques, y compris les médias sociaux.

L’Europe devra continuer de montrer qu’elle n’a pas peur et continuer d’utiliser l’humour et la satire. S’interdire de le faire pour être politiquement correct voudrait dire que les terroristes ont gagné. Le principe de la séparation de l’Etat et des religions doit également être protégé.

Le rapport souligne que toute réponse sécuritaire visant à renforcer la lutte contre le terrorisme et le djihadisme dans le plein respect des droits de l’homme doit s’accompagner de mesures préventives visant à éradiquer les causes de la radicalisation et de la montée du fanatisme religieux. Il propose par conséquent des recommandations spécifiques aux Etats membres du Conseil de l’Europe dans ce but.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 27 janvier
2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire est indignée par les attaques terroristes barbares des 7, 8 et 9 janvier 2015 à Paris, qui ont causé la mort de 17 personnes, au nombre desquelles figuraient des journalistes, des caricaturistes et des membres du personnel tués de sang-froid au siège du journal satirique Charlie Hebdo, des policiers et des personnes de confession juive. L’Assemblée s’associe à la douleur des familles des victimes et exprime sa solidarité au côté des autorités et du peuple français.
2. Plus qu’une attaque contre la liberté d’expression ou qu’un nouvel acte de violence antisémite – ce qu’elles étaient aussi – ces attaques visaient les valeurs mêmes de démocratie et de liberté en général, le type de société que notre organisation paneuropéenne s’attache à bâtir depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
3. Ces attaques terroristes se fondaient sur la haine, que rien ne saurait justifier, et il convient de rejeter fermement toute tentation de trouver des excuses aux actes des meurtriers. Il ne doit pas y avoir de «mais». Comme le déclare l’Assemblée dans sa Résolution 1258 (2001) sur les démocraties face au terrorisme, «rien ne peut justifier le terrorisme».
4. Par ailleurs, l’Assemblée tient à souligner que bien évidemment ces attaques terroristes n’étaient pas le fruit d’un prétendu complot destiné à stigmatiser l’Islam ou les musulmans mais une action concertée destinée à réduire au silence, par le crime, des journalistes et un journal emblématiques de la liberté d’expression; et à tuer des personnes pour la seule raison qu’elles sont juives ou des policiers parce qu’ils incarnent la défense des institutions et l’Etat de droit.
5. L’Assemblée rappelle que, conformément à une jurisprudence bien établie de la Cour européenne des droits de l’homme, l’utilisation de la satire, y compris irrévérencieuse, et les informations ou idées «offensantes, choquantes ou perturbantes», y compris les critiques de la religion, sont protégées dans le cadre de la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»). Ce sont là les conditions de ce pluralisme, de cette tolérance et de cette ouverture d’esprit sans lesquels il ne saurait y avoir de société démocratique.
6. Liberté rime avec responsabilité, et il incombe aux institutions démocratiques, notamment les tribunaux, de trouver le juste équilibre entre la liberté d’expression et ses limitations autorisées, par exemple le discours de haine et l’incitation à la violence – qui devraient figurer dans la législation de tous les Etats européens – sous l’ultime contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans ce contexte, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1510 (2006) dans laquelle elle déclarait que «la liberté d’expression, telle qu’elle est protégée en vertu de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, ne doit pas être davantage restreinte pour répondre à la sensibilité croissante de certains groupes religieux».
7. L’Assemblée note que le fait que les terroristes aient revendiqué leur action «au nom de l’Islam», insultant par là-même la religion qu’ils prétendaient défendre, a incité bon nombre de figures religieuses musulmanes de premier plan, de représentants d’associations islamiques mais aussi un très grand nombre de citoyens de confession musulmane à condamner les attaques et à mettre en garde contre le risque de stigmatisation. L’Assemblée condamne fermement tous les actes malveillants, actuellement en augmentation, à l’encontre des citoyens de confession musulmane et de leurs lieux de culte.
8. L’Assemblée rappelle sa condamnation constante de tout développement de l’antisémitisme. Elle estime que le conflit israélo-arabe ne saurait justifier le développement de tels actes au sein des sociétés démocratiques européennes.
9. Dans le même temps, le fait que les trois djihadistes aient été des français, qui sont nés et ont grandi dans un milieu défavorisé, et que bon nombre de personnes se disant musulmanes, en particulier parmi les jeunes, aient pris le parti des terroristes dans les réseaux sociaux, a déclenché un double débat: d’une part sur la nécessité d’apporter d’urgence une réponse commune, internationale mais aussi spécifiquement européenne, à la menace djihadiste; et d’autre part sur la nécessité de combattre l’exclusion sociale, la discrimination, la violence et la ségrégation, qui font le lit du terrorisme et du fanatisme religieux.
10. Toute l’Europe a condamné d’une seule voix les attaques et porté le deuil des victimes innocentes des 7, 8 et 9 janvier 2015, et toute l’Europe a marché aux côtés de la France le dimanche 11 janvier 2015 pour exprimer son rejet du terrorisme et déclarer son ferme attachement aux valeurs de démocratie et de liberté. Toute l’Europe doit maintenant, ensemble, trouver une réponse démocratique à la montée du terrorisme et de l’islamisme radical. Les valeurs sur lesquelles est fondée l’Europe ne sont pas dépassées. La démocratie, la liberté et les droits de l’homme méritent que l’on se batte pour eux.
11. L’Europe devra continuer de montrer qu’elle n’a pas peur et continuer d’utiliser l’humour et la satire. S’interdire de le faire pour être politiquement correct voudrait dire que les terroristes ont gagné. La laïcité, c’est à dire le principe de la séparation de l’Etat et des religions, doit également être protégé.
12. La liberté d’expression, en particulier celle des journalistes, des écrivains et autres artistes, doit être protégée et les gouvernements des Etats membres ne devraient pas interférer dans l’exercice de cette liberté, que ce soit dans la presse écrite ou les médias électroniques, y compris les médias sociaux. A cet égard, l’Assemblée condamne les déclarations faites par certaines autorités à l’encontre de la liberté des médias, dans les jours qui ont suivi les attaques contre Charlie Hebdo.
13. L’Assemblée est fermement persuadée que les démocraties ont le droit, et l’obligation, de se défendre lorsqu’elles sont attaquées. Elle estime donc que la lutte contre le terrorisme et le djihadisme doit être renforcée tout en garantissant le respect des droits de l’homme, de l’état de droit et des valeurs communes défendues par le Conseil de l’Europe.
14. A cet égard, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1840 (2011) sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, dans laquelle elle déclarait que le concept d’une «guerre contre la terreur» est fallacieux et de peu d’utilité, et menace l’ensemble du cadre des droits de l’homme internationaux. Les terroristes sont des criminels, pas des soldats, et les crimes terroristes ne s’apparentent pas à des actes de guerre. Elle invite en particulier les Etats membres:
14.1. à faire en sorte qu’un juste équilibre soit trouvé pour défendre la liberté et la sécurité en évitant, ce faisant, de violer ces mêmes droits;
14.2. à éviter toute surveillance massive indiscriminée, qui s’est révélée inefficace pour la prévention du terrorisme et qui donc, non seulement est dangereuse pour le respect des droits de l’homme, mais constitue aussi un gaspillage de ressources;
14.3. à doter les services répressifs, de sécurité et de renseignement de moyens appropriés et à former leurs personnels pour faire face aux menaces croissantes de terrorisme, y compris la menace djihadiste;
14.4. à faire en sorte que les services de renseignement des différents pays européens intensifient leur collaboration. La coopération avec d’autres démocraties, ainsi qu’avec les pays du Proche-Orient et le monde arabe est également importante;
14.5. à partager, sous réserve de garanties appropriées en matière de protection des données, les fichiers nationaux de personnes condamnées pour des chefs de terrorisme ainsi que les informations sur les passagers des transports aériens constituant une menace pour la sécurité;
14.6. à suivre sérieusement les filières permettant d’acheminer de l’argent et des armes à des terroristes potentiels, pour démanteler ces réseaux et punir les coupables.
15. En outre, afin de renforcer l’action juridique contre le terrorisme, l’Assemblée:
15.1. invite les Etats membres du Conseil de l’Europe, et les pays voisins, qui ne l’ont pas encore fait, à signer et à ratifier, en priorité, la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196);
15.2. se réjouit de la préparation, qu’elle soutient pleinement, d’un protocole additionnel sur «les combattants terroristes étrangers» à la Convention pour la prévention du terrorisme, l’Assemblée suivant elle-même de près cette question;
15.3. soutient les demandes émanant de plusieurs Etats membres de l’Union européenne qui demandent au Parlement européen qu’il reconsidère sa position concernant le système PNR (données personnelles des passagers), qu’il bloque depuis près de deux ans, sous réserve de garanties appropriées concernant la protection des données.
,
16. L’Assemblée invite les journaux et les chaînes de télévision à envisager un code de conduite quant à la couverture des événements terroristes, conciliant la nécessaire liberté d’information avec les nécessités de l’action policière.
17. L’Assemblée souligne que les réponses apportées en matière de sécurité doivent s’accompagner de mesures préventives visant à éradiquer les causes mêmes de la radicalisation et de l’essor du fanatisme religieux, en particulier chez les jeunes. A cet égard, l’Assemblée demande aux Etats membres en particulier:
17.1. d’analyser avec soin la situation dans les prisons et la manière dont les prisonniers sont endoctrinés pour le terrorisme, et en particulier le djihadisme, et de prendre des mesures pour lutter contre ce phénomène;
17.2. de surveiller de près internet et les réseaux sociaux, en vue notamment de lutter contre le discours de haine, la radicalisation et le cyber-djihadisme;
17.3. d’accorder des moyens et des ressources appropriés aux écoles et aux enseignants pour promouvoir l’éducation à la citoyenneté démocratique et aux droits de l’homme, en ciblant plus particulièrement l’éducation dans des contextes marginalisés et défavorisés;
17.4. de promouvoir le dialogue interculturel et le modèle du «vivre ensemble», notamment dans les écoles;
17.5. de prendre des mesures pour combattre la marginalisation, l’exclusion sociale, la discrimination et la ségrégation, en particulier chez les jeunes de quartiers défavorisés;
17.6. de soutenir les familles dans leur rôle d’éducation de leurs enfants au respect des valeurs de la démocratie et de la tolérance;
17.7. de protéger les journalistes, les écrivains et autres artistes des menaces extrémistes et de s’abstenir de toute ingérence avec l’exercice de leur liberté d’expression, dans le respect de la loi, que ce soit dans les médias, sur support papier ou électronique, y compris dans les médias sociaux;
17.8. de soutenir l’action du Conseil de l’Europe dans les domaines susmentionnés et d’allouer les moyens et ressources appropriés, conformément aux propositions formulées par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe.
18. Pour sa part, l’Assemblée décide de continuer à suivre de près et de s’efforcer de relever, par les travaux de ses commissions et de l’Alliance parlementaire contre la haine, nouvellement créée, les principaux défis issus des récentes attaques terroristes à Paris, à savoir: la nécessité de vivre ensemble, la montée de la menace djihadiste et la question des djihadistes venus d’Europe pour combattre en Iraq et en Syrie; la protection des droits de l’homme dans la lutte contre le terrorisme; la nécessité de combattre les causes de la radicalisation et du fanatisme religieux, telles que l’exclusion sociale, la discrimination voire la ségrégation; le processus de radicalisation dans les prisons; la poursuite de la lutte contre le discours de haine, le racisme et l’intolérance, y compris l’antisémitisme et l’islamophobie; et le rôle de l’éducation à la citoyenneté démocratique, aux droits de l’homme et au dialogue interculturel.

B. Projet de recommandation 
			(2) 
			Projet
de recommandation adopté à l’unanimité par la commission le 27 janvier
2015.

(open)
1. L’Assemblée parlementaire se réfère à sa Résolution … (2015) «Attaques terroristes à Paris: ensemble pour une réponse démocratique», dans laquelle elle s’indigne du meurtre de 17 personnes, au nombre desquelles figuraient des journalistes, des caricaturistes et des membres du personnel tués de sang-froid au siège du journal satirique Charlie Hebdo, des policiers dans l’exercice de leurs fonctions et des personnes prises en otage au simple fait qu’elles étaient de confession juive. L’Assemblée s’associe à la douleur des familles des victimes et exprime sa solidarité aux autorités et au peuple français.
2. L’Assemblée estime que, plus qu’une attaque contre la liberté d’expression, qui avait pour but de réduire au silence et d’intimider des voix critiques, ou qu’un nouvel acte de violence antisémite – ce qu’elles étaient aussi – ces attaques visaient les valeurs mêmes de démocratie et de liberté en général. Elle souligne que toute réponse sécuritaire visant à renforcer la lutte contre le terrorisme et le djihadisme dans le plein respect des droits de l’homme doit s’accompagner de mesures préventives visant à éradiquer les causes de la radicalisation et de la montée du fanatisme religieux.
3. L’Assemblée demande donc au Comité des Ministres:
3.1. de porter à l’attention des gouvernements des Etats membres les recommandations spécifiques qui leur sont adressées à cet égard dans la Résolution … (2015);
3.2. d’allouer des moyens et ressources appropriés pour mettre en œuvre les propositions faites par le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe en vue d’une «Action immédiate du Conseil de l’Europe pour combattre la radicalisation qui aboutit à l’extrémisme».

C. Exposé des motifs, par M. Legendre, rapporteur

(open)

1. Les faits

1. Le 7 janvier 2015, deux jeunes Français sont entrés dans les locaux de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo et ont tué 12 personnes, criant «Allah Akbar» et disant avoir vengé le Prophète Mahomet. Au nombre des victimes figuraient des journalistes, des analystes, des caricaturistes et des membres du personnel ainsi que deux policiers en faction. Les tueurs, qui étaient parvenus à s’échapper, ont été tués par la police deux jours plus tard. Ils déclaraient avoir agi au nom de «Al Qaeda au Yémen».
2. Le 8 janvier, un autre Français tuait, de sang-froid, d’un coup de feu une policière à Paris et, le 9 janvier, prenait plus de 20 otages dans un supermarché casher, tuant immédiatement quatre d’entre eux; le preneur d’otage a été tué par la police et les autres otages libérés. Les quatre personnes tuées étaient juives. Le tueur avait prétendu agir en coordination avec les deux autres meurtriers et se réclamait de l’organisation terroriste connue sous le nom d’ «Etat islamique».
3. La police française a établi que les trois meurtriers avaient eu des contacts entre eux et avec des djihadistes connus, en prison mais aussi ailleurs, et qu’au moins l’un d’entre eux s’était rendu au Yémen, où il avait suivi un entraînement militaire. «Al Qaeda au Yémen» a revendiqué les attaques une semaine après.
4. La Présidente de l’Assemblée parlementaire, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe et le Président en exercice du Comité des Ministres se sont joints aux dirigeants du monde entier pour condamner les attaques. De nombreux chefs religieux musulmans ont également condamné les attaques.
5. Le 11 janvier, la manifestation à Paris en soutien à la liberté d’expression et aux valeurs de la démocratie, en solidarité aux victimes des attaques et pour rejeter la violence a été un raz-de-marée. De nombreux chefs d’Etats et de gouvernement européens – et certains non européens – étaient présents à Paris en signe de solidarité et de soutien.
6. Le 14 janvier, une semaine après l’attaque, Charlie Hebdo a sorti un autre numéro avec, en couverture, un dessin censé représenter Mahomet, ce qui a déclenché des manifestations dans certaines parties du monde musulman, notamment au Pakistan, au Niger et dans la République tchétchène de la Fédération de Russie.
7. Le 14 janvier, le Gouvernement allemand a adopté plusieurs mesures contre le terrorisme, visant pour l’essentiel à empêcher de jeunes Européens de se rendre en Syrie et en Irak pour y combattre.
8. Le 15 janvier, la police belge a démantelé un réseau terroriste qui planifiait des attentats contre la police. Deux djihadistes récemment revenus de Syrie ont été tués dans la confrontation avec les forces de l’ordre.
9. Le fait que les trois terroristes de Paris aient clamé qu’ils agissaient “au nom de l’Islam”, insultant par là-même la religion qu’ils prétendaient défendre, a incité bon nombre de chefs religieux musulmans, de représentants d’associations islamiques mais aussi un grand nombre de citoyens de confession musulmane à mettre en garde contre le risque de stigmatisation.
10. Les autorités françaises ont rapidement réagi, réaffirmant avec fermeté, au plus niveau, leur volonté de défendre les citoyens de confession musulmane et leurs lieux de culte, et de lutter contre les phénomènes d’islamophobie, qui sont actuellement en augmentation.
11. Dans le même temps, le fait que les trois djihadistes aient été des français, qui sont nés et ont grandi dans un milieu défavorisé, et que bon nombre de gens se disant musulmans, en particulier parmi les jeunes, aient pris le parti des terroristes dans les réseaux sociaux, a déclenché un double débat: d’une part sur la nécessité d’apporter d’urgence une réponse commune, internationale mais aussi spécifiquement européenne, à la menace djihadiste, et d’autre part sur la nécessité de combattre l’exclusion sociale, la discrimination, la violence et la ségrégation, qui font le lit du terrorisme et du fanatisme religieux.
12. De nombreux intellectuels, pour la plupart de confession musulmane, ont également réagi, proposant une réflexion sur la nécessité de revoir les textes traditionnels de la foi islamique et de les confronter aux défis du monde d’aujourd’hui, ce qui permettrait d’offrir une alternative libérale crédible au djihadisme et à d’autres interprétations violentes des textes sacrés.
13. Alors que l’essence même des valeurs de la démocratie et de la liberté sont attaquées en Europe, les Européens doivent trouver ensemble la réponse démocratique appropriée, dans le plein respect des valeurs qu’ils souhaitent défendre. Les événements de Paris posent plusieurs questions, notamment la liberté d’expression et son lien avec la liberté de religion, la lutte contre le terrorisme en Europe et la nécessité de prévenir la radicalisation et de lutter contre les causes du djihadisme.

2. Protection de la liberté d’expression et son lien avec la liberté de religion

14. Le débat critique, la liberté artistique et l’humour sont nécessaires dans une société libre. Seuls les systèmes totalitaires les craignent. Une société qui est incapable de se moquer d’elle-même est une société malade. Ceux qui prétendent que les caricaturistes de Charlie Hebdo ont bien cherché ce qui leur est arrivé justifient l’injustifiable.
15. Au lendemain des attaques dans les locaux de Charlie Hebdo, certains journaux et chaînes de télévision ont décidé de ne pas publier de caricatures par crainte des représailles, si elles étaient perçues comme offensantes par des musulmans. Mais n’est-il pas cependant plus offensant de publier les noms et photographies de prétendus représentants d’organisations terroristes et parfois même de les laisser justifier le terrorisme à la télévision? Il serait souhaitable que les journaux et chaînes de télévision établissent un code de conduite quant à une couverture responsable des événements terroristes, conciliant la nécessaire liberté d’information avec les nécessités de l’action policière
16. En Turquie, tant le Premier Ministre, à peine de retour de la réunion des chefs politiques européens du 11 janvier à Paris en soutien à la manifestation, qu’un Vice-Premier Ministre ont fait des déclarations publiques contre la liberté de la presse. Par la suite, le quotidien turc Cumhurriyet a fait l’objet d’une enquête policière et des sites internet ont été bloqués sur décision des procureurs, au prétexte qu’ils pouvaient héberger des contenus offensants. Parmi les nombreuses voix qui se sont élevées, Amnesty International et le Président de la Fédération européenne des journalistes ont critiqué la position du Gouvernement turc. L’Assemblée devrait se joindre à eux.
17. Au vu des événements de Paris et des réactions qui ont suivi, il est bon de rappeler brièvement le cadre juridique pertinent en matière de liberté d’expression telle que garantie par la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5, «la Convention»).
18. Conformément à une jurisprudence bien établie de la Cour européenne des droits de l’homme 
			(3) 
			Voir Handyside c. le Royaume Uni, Requête
no 5493/72, 7 décembre 1976 et plus récemment: Eon c. France, Requête no 26118/10,
arrêt du 4 mars 2013, Vereinigung Bildender
Künstler c. Autriche, Requête no 8354/01,
arrêt du 25 janvier 2007, Alves da Silva
c. Portugal, Requête no 41665/07,
arrêt du 20 octobre 2009, et mutatis
mutandis, Tuşalp c. Turquie,
Requêtes nos 32131/08 et 41617/08, arrêt
du 21 février 2012., l’utilisation de la satire, y compris irrévérencieuse, et les informations ou idées qui «heurtent, choquent ou inquiètent», y compris les critiques de la religion, sont protégées dans le cadre de la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. «Ce sont là les conditions de ce pluralisme, de cette tolérance et de cette ouverture d’esprit sans lesquels il ne saurait y avoir de société démocratique.»
19. Toutefois, liberté rime avec responsabilité, et il incombe aux institutions démocratiques, y compris les tribunaux, de trouver le juste équilibre entre la liberté d’expression et ses limitations autorisées, conformément également au deuxième paragraphe de l’Article 10 de la Convention, comme par exemple le discours de haine ou l’incitation à la violence. La Cour européenne des droits de l’homme dit le droit de manière définitive en ce domaine.
20. Dans ce contexte, il importe de rappeler que, dans sa Résolution 1510 (2006) sur la liberté d’expression et le respect des croyances religieuses, adoptée à la suite de la controverse sur les caricatures danoises, l’Assemblée déclarait que «la liberté d’expression, telle qu’elle est protégée en vertu de l’article 10 de la Convention, ne doit pas être davantage restreinte pour répondre à la sensibilité croissante de certains groupes religieux».
21. A la demande de l’Assemblée figurant dans cette résolution, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) a publié, en 2008, un rapport sur les relations entre liberté d’expression et liberté de religion: réglementation et répression du blasphème, de l’injure à caractère religieux et de l’incitation à la haine religieuse 
			(4) 
			Voir
document CDL-AD(2008)026., dans lequel elle confirmait que la liberté d’expression, qui est garantie par l’article 10 de la Convention, constitue l’un des fondements essentiels de toute société démocratique, ainsi que l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Le rapport répétait la jurisprudence bien établie de la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle, sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, la liberté d’expression vaut non seulement pour les «informations» ou «idées» accueillies favorablement ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent.
22. Selon la Commission de Venise, une démocratie ne doit pas craindre le débat, même lorsqu’il porte sur les idées les plus choquantes ou antidémocratiques. C’est par des discussions ouvertes que l’on pourra combattre ces idées et démontrer la supériorité des valeurs démocratiques. Sans débat ouvert, pas de compréhension ni de respect mutuels. A l’opposé de l’interdiction ou de la répression, la persuasion par le débat public est le moyen le plus démocratique de préserver les valeurs fondamentales.
23. De l’avis de la Commission de Venise cependant, dans une véritable démocratie, la possibilité d’imposer des restrictions à la liberté d’expression ne doit pas être utilisée comme moyen de préserver la société contre des points de vue divergents, voire extrêmes.
24. Toute restriction à la liberté d’expression doit avoir pour but de protéger les personnes qui ont des croyances ou opinions spécifiques, et non de protéger des systèmes de croyance de la critique. Le droit à la liberté d’expression implique qu’elle devrait être autorisée à examiner, débattre ouvertement, et critiquer, même durement et déraisonnablement, des systèmes de croyance, opinions et institutions, tant que cela n’aboutit pas à prôner la haine contre un individu ou des groupes d’individus.
25. Ce qui peut offenser gravement des personnes d’une obédience religieuse donnée varie grandement d’une époque et d’un lieu à l’autre.
26. La Commission de Venise est d’accord avec l’Assemblée parlementaire sur le fait que «compte tenu de la diversification des croyances religieuses en Europe et du principe démocratique de séparation de la religion et de l’Etat, les gouvernements et les parlements des Etats membres devraient réexaminer les lois sur le blasphème» et que «le blasphème, en tant qu’insulte à une religion, ne devrait pas être érigé en infraction pénale».
27. La Commission de Venise ne juge pas qu’il soit nécessaire ni souhaitable de créer une infraction d’injure religieuse (c’est-à-dire d’insulte au sentiment religieux) en tant que telle, en l’absence de l’élément essentiel de l’incitation à la haine. Dès lors qu’une déclaration ou une œuvre d’art ne comporte pas d’incitation à la haine, elle ne devrait pas donner lieu à des sanctions pénales.
28. Cela étant, la Commission de Venise n’est pas partisane du libéralisme absolu. S’il est vrai que, dans une démocratie, toutes les idées, y compris les idées choquantes ou dérangeantes, doivent en principe être protégées, il est également vrai que toutes les idées ne méritent pas d’être diffusées. L’exercice de la liberté d’expression impliquant des devoirs et des responsabilités, on peut légitimement attendre de chaque membre d’une société démocratique qu’il évite, dans la mesure du possible, d’employer des expressions témoignant du mépris ou gratuitement offensantes à l’égard d’autres personnes.
29. Il faut toutefois souligner que les sociétés démocratiques ne doivent pas être prises en otage par ces sensibilités et que la liberté d’expression ne doit pas reculer sans discernement face à des réactions violentes. Le seuil de sensibilité de certains individus peut s’avérer trop bas dans certaines circonstances particulières, et des incidents peuvent même se produire dans des lieux différents, et parfois très distants, de l’endroit où un problème est survenu au départ, et cela ne devrait pas constituer en soi une raison d’empêcher toute forme de discussion sur des questions religieuses touchant à ladite religion: sans quoi, le droit à la liberté d’expression dans une société démocratique risque d’être compromis. Il appartient à chacun de garder à l’esprit que le respect de sa liberté d’expression nécessite aussi le respect de la conscience de l’autre.

3. La lutte contre le terrorisme en Europe

30. Les attaques survenues à Paris appellent à prendre des mesures pour renforcer la lutte contre le terrorisme et le djihadisme, mais pas au détriment des droits de l’homme, de l’état de droit et de la défense de nos valeurs communes. Dans ce contexte, l’Assemblée rappelle sa Résolution 1840 (2011) sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, dans laquelle elle déclarait que «le concept d’une “guerre contre la terreur” est fallacieux et de peu d’utilité, et menace l’ensemble du cadre des droits de l’homme internationaux. Les terroristes sont des criminels, pas des soldats, et les crimes terroristes ne s’apparentent pas à des actes de guerre.»
31. Selon les estimations, quelque 5 000 jeunes Européens sont partis combattre en Syrie et en Irak et bon nombre d’entre eux reviennent en Europe aguerris à des techniques de combat. Ils constituent une menace considérable en Europe et doivent être suivis de près. Dans sa Résolution 2016 (2014) traitant des menaces contre l’humanité posées par le groupe terroriste connu sous le nom de «EI», l’Assemblée incitait déjà les Etats membres du Conseil de l’Europe à intensifier leurs efforts pour identifier les Européens combattant pour «l’EI», ainsi que pour identifier et démanteler les canaux de recrutement, poursuivre les responsables et échanger les informations et coordonner leur réponses face aux djihadistes de retour. La commission des questions politiques et de la démocratie prépare actuellement un rapport sur les combattants étrangers en Syrie et en Irak.
32. Des propositions ont été faites visant à retirer leur passeport européen aux djihadistes qui reviennent, s’ils ont une autre nationalité.
33. Les services répressifs, de sécurité et de renseignement devraient être dotés des moyens appropriés pour faire face à la situation et les services des divers pays européens devraient intensifier leur coopération. La surveillance massive indiscriminée s’est toutefois révélée inefficace pour la prévention du terrorisme et donc est non seulement dangereuse pour le respect des droits de l’homme mais constitue aussi un gaspillage de ressources.
34. Les registres nationaux des personnes condamnées pour des chefs d’infraction terroriste devraient être partagés ainsi que les informations opérationnelles concernant les actions ou mouvements de terroristes ou de réseaux terroristes, y compris pour ce qui est des combattants terroristes étrangers, conformément à la Résolution 2178 (2014) du Conseil de Sécurité des Nations Unies. A cet égard, le Parlement européen s’est vu demander de reconsidérer sa position concernant le système de registre des noms des passagers (PNR), sous réserve de garanties appropriées concernant la protection des données.
35. Il conviendrait de suivre sérieusement les filières permettant d’acheminer de l’argent et des armes à des terroristes potentiels, pour démanteler ces réseaux et punir les coupables.

4. La nécessité de prévenir la radicalisation et de combattre les causes du djihadisme

36. Dans sa Résolution 1258 (2001) sur les démocraties face au terrorisme, l’Assemblée déclarait que «la prévention à long terme du terrorisme passe par une compréhension appropriée de ses origines sociales, économiques, politiques et religieuses, et de l’aptitude à la haine de l’individu. En s’attaquant aux racines du terrorisme, il est possible de porter sérieusement atteinte au support sur lequel s’appuient les terroristes et à leurs réseaux de recrutement».
37. Dans sa Résolution 1754 (2010) «Lutte contre l’extrémisme: réalisations, faiblesses et échecs», l’Assemblée avait déclaré que «l’opinion publique et les gouvernements européens sont de plus en plus conscients de l’ampleur de la menace que représente l’intégrisme islamique, une idéologie qui, bien qu’elle reste marginale en Europe, exerce un attrait croissant sur les jeunes musulmans, trouvant un terrain fertile dans leurs frustrations causées par le racisme, la discrimination, l’exclusion sociale et le chômage, dont ils tendent à souffrir davantage que le reste de la population. Cette forme d’extrémisme a conduit à la perpétration de plusieurs attentats terroristes meurtriers».
38. Les trois djihadistes français qui ont tué 17 personnes à Paris avaient rencontré des islamistes radicaux en prison et ailleurs. Deux d’entre eux avaient purgé des peines de prison pour avoir mis au point une filière permettant d’envoyer des jeunes Européens combattre en Syrie et en Irak. L’un des trois avait suivi un entraînement militaire au Yémen.
39. Nous devrions prêter davantage attention aux moyens mis en œuvre pour endoctriner des jeunes et en faire des terroristes, par exemple dans les prisons et, c’est vrai également, dans certaines mosquées. Internet et les médias sociaux devraient être surveillés plus étroitement en vue de lutter contre le discours de haine, la radicalisation et le cyber-djihadisme.
40. Le Conseil de l’Europe pourrait peut-être lancer un débat public sur la compatibilité des différentes visions du monde, y compris l’Islam, avec le fonctionnement d’un Etat démocratique où tous les droits de l’homme, tels que définis dans la Convention européenne des droits de l’homme sont effectivement protégés.
41. Nous renouvelons l’appel lancé par notre Assemblée dans sa Résolution 1754 (2010), l’Assemblée soulignant que «prendre des mesures fermes contre la discrimination, mettre l’accent sur l’éducation civique et le dialogue interculturel et interreligieux, associer la société civile et les organisations non gouvernementales – en particulier celles qui représentent des catégories de la société exclues, de droit ou de fait, des voies de participation ordinaires – aux processus de consultation ou de prise des décisions constituent les principaux moyens de réduire l’attrait potentiel des groupes et des mouvements extrémistes», y compris les djihadistes.
42. C’est pourquoi l’Assemblée invitait les Etats membres du Conseil de l’Europe à «répondre efficacement à cette menace, tout en évitant de stigmatiser l’islam en tant que religion. Des efforts supplémentaires doivent être faits pour lutter contre l’islamophobie et la diffusion de stéréotypes négatifs sur l’islam et les musulmans dans la société».
43. Le fait que les trois terroristes de Paris aient été scolarisés dans le système de l’éducation nationale française est un signe que nos systèmes éducatifs européens devraient être revus. Il y a quelques années, le Conseil de l’Europe avait lancé des initiatives dans le domaine de l’éducation à la citoyenneté démocratique; il est vraisemblablement utile d’en relancer certaines. Il conviendrait de porter une attention particulière à l’éducation dans des contextes marginalisés et défavorisés.

5. Conclusions

44. Plus qu’une attaque contre la liberté d’expression, qui avait pour but de réduire au silence et d’intimider des voix critiques, ou qu’un nouvel acte de violence antisémite – ce qu’elles étaient aussi – les attaques terroristes de Paris visaient les valeurs mêmes de démocratie et de liberté en général, le type de société que notre Organisation paneuropéenne s’attache à bâtir depuis la fin de la seconde guerre mondiale.
45. Dans le projet de résolution, j’ai tenté de résumer les grands principes et normes du Conseil de l’Europe qui sont en jeu, en particulier ceux qui concernent la liberté d’expression. J’ai aussi adressé un certain nombre de recommandations aux Etats membres du Conseil de l’Europe à prendre en compte dans leur lutte contre le terrorisme et la menace djihadiste, et tenté d’énumérer les principaux défis que les démocraties européennes devraient relever si elles veulent prévenir la radicalisation et combattre les causes du fanatisme religieux.
46. Bon nombre de ces propositions et de ces défis vont dans le sens des actions immédiates que le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe a proposé pour «combattre la radicalisation qui aboutit à l’extrémisme», qui pourraient être prises par l’Organisation d’ici la Session ministérielle de mai 2015 à Bruxelles 
			(5) 
			Voir document SG/Inf(2015)4..
47. Je pense que, pour sa part, l’Assemblée devrait continuer de suivre de près et de s’efforcer de relever, par les travaux de ses commissions et de l’Alliance parlementaire contre la haine, nouvellement créée, les principaux défis posés par les récentes attaques terroristes à Paris, à savoir: la montée de la menace djihadiste et la question des combattants terroristes étrangers; la protection des droits de l’homme dans la lutte contre le terrorisme; la nécessité de combattre les causes de la radicalisation et du fanatisme religieux, telles que l’exclusion sociale, la discrimination voire la ségrégation; le processus de radicalisation dans les prisons; la poursuite de la lutte contre le discours de haine, le racisme et l’intolérance, y compris l’antisémitisme et l’islamophobie; et le rôle de l’éducation à la citoyenneté démocratique et au dialogue interculturel.