1. Procédure
1. La proposition de résolution intitulée «Drones et
exécutions ciblées: la nécessité de veiller au respect des droits
de l’homme» (
Doc. 13200) a été renvoyée à la commission des questions juridiques
et des droits de l’homme pour rapport en juin 2013. Le 4 septembre
2013, la commission a nommé Mme Marina
Schuster (Allemagne, ADLE) rapporteure. J’ai été nommé rapporteur
pour remplacer Mme Schuster le 12 novembre 2013.
Lors de sa réunion du 3 mars 2014, la commission a examiné ma note
introductive
et m’a autorisé à procéder
à l’audition d’experts. Le 30 septembre 2014, la commission a eu
un échange de vues avec les trois experts suivants:
- Ben Emmerson, Rapporteur spécial
des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme
et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste;
- Irmina Pacho, directrice du Contentieux stratégique, Fondation
Helsinki pour les droits de l’homme de Pologne;
- Markus Wagner, Professeur Associé, Faculté de droit de
l’université de Miami .
2. Introduction
2.1. Quelques données
chiffrées
2. La proposition de résolution sur laquelle se fonde
le présent rapport traite de l’utilisation de plus en plus fréquente
de véhicules aériens de combat sans pilote (ci-après, les «drones
de combat») en vue de procéder à des exécutions ciblées.
3. L’utilisation de drones, voire de drones armés, ne pose pas
en soi problème du point de vue des droits de l’homme. Les drones
armés (ou plus précisément les armes qu’ils transportent en leur
qualité de systèmes de transport) ne sont pas considérés comme des
armes illégales
. Comme n’importe
quelle arme, depuis l’arme de poing jusqu’au chasseur-bombardier,
c’est leur mode d’utilisation, leur cible et les raisons de leur utilisation
qui déterminent s’ils posent ou non problème du point de vue des
droits de l’homme. Une distinction rend cependant l’utilisation
des drones «particulière», par rapport à un aéronef à pilote: la
disponibilité de ces engins sans pilote pourrait bien abaisser leur
seuil d’utilisation effective, notamment à l’étranger. Les gouvernements
démocratiquement élus attachent en effet un grand prix à la vie
de leurs soldats et ont horreur des conséquences qu’entraîne leur
mort ou leur capture par une puissance étrangère. Ils pourraient
bien se montrer moins hésitants à utiliser une arme qui n’expose
pas leurs forces armées à la mort, aux blessures ou à la capture
qu’à envoyer, par exemple, un aéronef conventionnel piloté ou un
groupe de soldats des forces spéciales sur le terrain. De plus,
au vu des avancées technologiques,
«les
drones pourraient devenir plus sophistiqués et prendre une forme
plus compacte, tout en devenant moins chers et, du même coup, plus
accessibles. Ils sont susceptibles de faire partie de l’arsenal
d’un nombre croissant d’Etats, qui pourront être en mesure de déployer
ces forces par-delà les frontières internationales, relativement
sans intrusion et parfois sans que ces opérations leur soient imputables, sur
le champ de bataille et de viser des cibles très éloignées de ce
que l’on considère habituellement comme des zones de conflit armé» .
4. Parallèlement, la précision accrue des frappes effectuées
à l’aide de drones par rapport aux bombardements réalisés par les
aéronefs classiques
offre
également une réelle possibilité de mieux respecter le droit international
humanitaire et des droits de l’homme.
5. Le type d’armement dont sont équipés les drones de combat
, leur utilisation croissante
par les Etats-Unis pour certaines exécutions ciblées, largement
attestée, y compris en dehors de la mission de la Force internationale
d’assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan
, et l’absence de transparence qui accompagne
ces opérations sont préoccupants du point de vue des droits de l’homme,
au regard du droit à la vie des combattants comme des civils, qu’il
s’agisse de cibles visées ou de «dommages collatéraux».
6. En outre, dans des pays comme le Pakistan, le Yémen et la
Somalie, où il est fait état d’une utilisation fréquente des drones
de combat à des fins d’exécutions ciblées, la menace persistante
de ces frappes porte atteinte à la dignité humaine et aux autres
droits fondamentaux. Afin de minimiser le risque d’être pris pour cible,
les simples citoyens de ces zones se sentent obligés d’être toujours
en mouvement et d’éviter de se regrouper
, y compris à des fins sociales, éducatives
et économiques, voire pour les enterrements
.
Cette situation menace la durabilité des cultures rurales et tribales
anciennes et le développement à long terme des sociétés, qui vivent
dans la peur des attaques de drones. «L’analyse d’échantillons de
frappes» réalisée par Ben Emmerson, Rapporteur spécial des Nations
Unies sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, dans
son rapport final au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies
, rend compte
de manière impressionnante d’exemples concrets des dommages collatéraux
causés par les frappes effectuées à l’aide de drone en Afghanistan,
au Pakistan, au Yémen, en Somalie et à Gaza.
7. Si les Etats-Unis sont les principaux utilisateurs de frappes
aériennes par drone, Israël a également reconnu pratiquer des «exécutions
ciblées par légitime défense (…) en raison de l’incapacité de l’Autorité palestinienne
à prévenir les actes de terrorisme et, surtout, les attentats suicides
visant Israël, à mener des enquêtes à leur sujet et à poursuivre
leurs auteurs»
;
l’utilisation de drones de combat s’inscrit dans le cadre de cette
pratique
. Certains Etats membres du Conseil
de l’Europe envisagent également l’acquisition de drones de combat
.
8. L’absence de transparence qui accompagne l’utilisation des
drones de combat rend difficile l’évaluation du nombre d’exécutions
ciblées réalisées à l’aide de drones. Toutefois, comme l’a fait
remarquer le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions
extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, la société civile a
mené de très importantes recherches sur les frappes effectuées à
l’aide de drones
.
Le Rapporteur spécial des Nations Unies a jugé bon de se fier aux
estimations fournies par des organisations telles que le Bureau
du journalisme d’investigation (Bureau of Investigative Journalism
– BIJ)
et la New America Foundation (NAF).
9. Bien que les chiffres du nombre de frappes effectuées à l’aide
de drones et de victimes militaires et civiles varient, le Rapporteur
spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires
ou arbitraires a fait remarquer que toutes les sources s’accordaient
sur «l’augmentation considérable de leur utilisation»
au cours des trois années qui ont précédé
son rapport consacré aux «Suites données aux recommandations adressées
aux Etats: les Etats-Unis d’Amérique», publié le 30 mars 2012. Selon
le Bureau du journalisme d’investigation (Bureau of Investigative
Journalism), le nombre de morts depuis la première frappe signalée
en 2002
se
monte à 4 000 personnes (dont 1 000 civils)
.
10. Ben Emmerson a indiqué en juin 2013 qu’après avoir rencontré
des agents de la Central Intelligence Agency (CIA), il s’attendait
à une réduction importante des frappes américaines par drone dans
le monde, car l’armée américaine a désormais pris la relève de la
CIA, qui dirigeait auparavant les frappes
. Pourtant, une seule attaque lancée
au Pakistan début juin 2013 aurait par exemple fait sept morts
. En 2014, le nombre
de frappes américaines par drone au Pakistan aurait fortement diminué,
puisqu’il atteignait le chiffre de huit frappes au mois de septembre
. Mais dans le même temps, le nombre
de frappes effectuées par drone au Yémen a considérablement augmenté
.
11. Certains Etats européens auraient participé, en fournissant
des renseignements ou de la logistique, aux attaques par drone lancées
par les Etats-Unis
.
12. Pour conclure cette présentation factuelle, soulignons que,
comme l’avait annoncé le Rapporteur spécial des Nations Unies, M. Alston,
certains groupes armés non étatiques sont parvenus à obtenir et
à utiliser la technologie des drones
.
2.2. Les travaux antérieurs
pertinents de l’Assemblée
13. Les points de droit et les questions relatives aux
droits de l’homme associés aux exécutions ciblées pratiquées à l’aide
de drones touchent à un certain nombre de sujets précédemment traités
par l’Assemblée. C’est notamment le cas des travaux qu’elle a consacrés
au respect des droits de l’homme et à la lutte contre le terrorisme
. L’Assemblée a souligné en particulier
le danger qu’il y avait à traiter les terroristes en soldats plutôt
qu’en criminels.
14. En outre, l’absence de transparence qui accompagne les frappes
réalisées à l’aide de drones fait écho aux travaux antérieurs de
l’Assemblée sur «Les recours abusifs au secret d’Etat et à la sécurité
nationale: obstacles au contrôle parlementaire et judiciaire des
violations des droits de l’homme»
. Cela ne concerne pas seulement
les Etats qui effectuent des frappes à l’aide de drones, mais également
ceux qui refusent de confirmer ou de démentir la mise en commun
d’informations détenues par les services de renseignement pour pratiquer
des frappes.
2.3. Les rapports des
rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur les droits de l’homme
et la lutte contre le terrorisme et sur les exécutions extrajudiciaires,
sommaires ou arbitraires.
15. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits
de l’homme et la lutte contre le terrorisme, M. Ben Emmerson, a
mené une enquête sur les incidences pour les civils et les implications
en matière de droits de l’homme de l’utilisation des drones et d’autres
formes d’exécution ciblée à des fins de lutte contre le terrorisme et
les insurrections
. Après avoir rédigé
en octobre 2013 un rapport provisoire présenté à l’Assemblée générale
des Nations Unies à New York
,
il a publié la version définitive de son rapport en février 2014
. Presque
au même moment, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les
exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, M. Christof
Heyns, a remis à l’Assemblée générale un rapport portant tout spécialement
sur les questions préoccupantes que soulèvent les drones armés et
le droit à la vie
.
J’ai suivi les travaux de M. Emmerson et de M. Heyns autant que
possible et je leur suis redevable de leur contribution au présent
rapport. Je remercie tout particulièrement M. Emmerson de l’exposé
qu’il a présenté lors de son audition devant la commission le 30
septembre 2014, au cours de laquelle il a résumé de manière claire
et convaincante les conclusions de son étude.
2.4. La résolution du
Parlement européen
16. Le 25 février 2014, le Parlement européen a adopté
une résolution sur l’utilisation des drones armés
, qui demande
l’adoption d’une position commune au sein de l’Union européenne
et la promotion d’une
«plus grande
transparence et responsabilité de la part des pays tiers dans l’utilisation
de drones armés au regard de la base juridique de leur utilisation
et de la responsabilité opérationnelle, de prévoir un contrôle de
la légalité des frappes de drones et de veiller à ce que les victimes
de frappes illégales de drones aient un accès effectif à des voies
de recours».
17. Le Parlement européen estime également que
«les frappes de drones, alors qu’aucune guerre n’a été
déclarée, menées par un Etat sur le territoire d’un autre Etat sans
le consentement de ce dernier ou du Conseil de sécurité des Nations
unies, constituent une violation du droit international ainsi que
de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de cet Etat»
et
rappelle que
«en cas d’allégations
de morts civiles à la suite de frappes de drones, les Etats sont
tenus de mener des enquêtes rapides et indépendantes et, si ces
allégations se révèlent correctes, de procéder à l’attribution publique
des responsabilités, de punir les responsables et de prévoir la
possibilité de réparations, y compris le versement d’indemnités
aux familles des victimes»
et que
«le droit international en matière
de droits de l’homme interdit les assassinats arbitraires, en toutes circonstances;
(…) le droit humanitaire international ne permet pas l’assassinat
ciblé de personnes qui se trouvent dans des Etats non belligérants».
3. Le régime juridique
des exécutions ciblées
3.1. Définition
18. Selon le Rapporteur spécial des Nations Unies sur
les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, l’exécution
ciblée consiste en un «recours volontaire, prémédité et délibéré
à la force meurtrière des Etats ou de leurs agents, qui agissent
sous couvert du droit, ou d’un groupe armé organisé dans les conflits armés,
à l’encontre d’une personne précise qui n’est pas physiquement détenue
par les auteurs de cet acte»
. Cette définition comporte l’ensemble
des éléments constitutifs de l’exécution ciblée: l’intention de
tuer, la préméditation, l’identification de cibles précises qui
ne sont pas placées en détention et, élément fondamental, l’exigence
de respect (réel ou prétendu) du droit.
3.2. Le régime juridique:
le droit international humanitaire ou des droits de l’homme
19. Bien que les critères applicables au fait pour un
Etat d’infliger la mort soient avant tout définis par le droit interne,
ils sont fortement limités par le droit des traités
et le droit international
coutumier. Ils comportent l’interdiction absolue d’ôter arbitrairement
la vie et les principes fondamentaux de sécurité juridique, de transparence
et de proportionnalité lorsque l’Etat inflige la mort conformément
à sa législation.
20. Le droit international humanitaire s’applique aux situations
de conflits armés, tandis que le droit international des droits
de l’homme est applicable principalement en temps de paix, y compris
aux situations dans lesquelles «la violence est présente, mais n’atteint
pas le seuil du conflit armé»
. Cela dit, il est aujourd’hui
largement admis que le droit international des droits de l’homme
s’applique également aux situations de conflits armés (qu’ils aient
un caractère international ou non)
. Le droit international humanitaire et
le droit international des droits de l’homme forment par conséquent
des corpus de droit complémentaires, qui se renforcent mutuellement
et imposent des obligations aux Etats dans un conflit armé, les
dispositions du droit international humanitaire ayant primauté en
leur qualité de
lex specialis .
21. Dans un conflit armé, qui peut être international (entre Etats)
ou non (habituellement entre des Etats et des groupes armés organisés
non étatiques ou entre de tels groupes), la force meurtrière peut
être légitimement employée contre les combattants ennemis, sous
réserve que certains principes bien établis soient respectés, comme
le principe de distinction (entre combattants et non-combattants),
de proportionnalité (entre l’avantage militaire escompté et les
«dommages collatéraux» causés aux civils) et de précaution (veiller soigneusement
à minimiser les «dommages collatéraux» même inévitables et proportionnés).
22. En dehors d’un conflit armé, les principes qui régissent l’exécution
des lois (prévention ou sanction des infractions) sont applicables;
en vertu de ces principes, le recours à la force meurtrière par
les agents de l’Etat est uniquement légal dans de très rares situations.
Pour les Etats Parties au Protocole n° 6 à la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 114), même
l’exécution d’une personne reconnue coupable d’un crime passible
de la peine capitale par un tribunal ne peut être autorisée; cette
interdiction est également applicable en temps de guerre pour les
Etats Parties au Protocole n° 13 (STE no 187)
23. L’existence ou non d’un conflit armé dans les territoires
sur lesquels s’effectuent les frappes de drones dépend de la situation
de fait sur le terrain, et non des seules déclarations subjectives
des Etats
. Comme l’indique Philip Alston,
«il convient d’apprécier la situation de chaque pays au cas par
cas, afin de déterminer l’existence ou non d’un conflit armé»
. Une question connexe se pose lorsqu’un combattant
participe à des hostilités dans le cadre d’un conflit armé depuis
le territoire d’un Etat non belligérant ou se rend sur ce territoire après
avoir participé à un conflit armé en cours. Quel est alors le cadre
juridique (droit international humanitaire ou droit international
des droits de l’homme) applicable au recours à la force meurtrière
contre cet individu?
24. Pour justifier l’application du droit international humanitaire,
qui permet une utilisation plus large des exécutions ciblées que
le droit international des droits de l’homme, certains Etats ont
retenu une interprétation de la notion de conflit armé non international
si large qu’elle englobe de nombreuses régions du monde dans la
catégorie des «zones de combat» de la «guerre mondiale contre le
terrorisme». Cette démarche risque selon moi de brouiller la frontière
entre conflit armé et exécution des lois, au détriment de la protection
des droits de l’homme. Il convient donc de s’y opposer. A la limite,
“[l]e fait de conseiller une autre attitude signifierait que le
monde entier est potentiellement une zone de combat et qu’une personne
et qui s’y déplace pourrait devenir légalement, en vertu du droit
international humanitaire, une cible sur le territoire d’Etats qui
ne sont parties à aucun conflit armé»
.
25. Cela dit, je n’ai guère de doute sur le fait que la lutte
contre le groupe terroriste connu sous le nom d’«EI»
ou
contre les groupes organisés de guérilla qui combattent sous la
bannière d’Al Qaïda est une guerre et non une activité de police,
de sorte que le recours aux drones armés serait apprécié au regard
du droit international humanitaire. Cela vaut également pour de
nombreuses régions d’Afghanistan, où une guerre à part entière est
menée contre les talibans.
3.3. Les critères du
droit international des droits de l’homme
26. Le critère du droit international des droits de l’homme
est le suivant: «[Une] exécution commise par un Etat est uniquement
légale si la protection de la vie l’exige (…) et s’il n’existe aucun
autre moyen, tel que la capture ou la neutralisation sans infliger
la mort, d’empêcher que des vies ne soient en danger
.»
27. Le critère européen de la légalité de la mort infligée par
un Etat ou avec son aval découle de l’article 2 de la Convention
européenne des droits de l’homme (STE no 5,
«la Convention»): celle-ci doit être au minimum «absolument nécessaire»
à la protection de la vie d’autrui ou à
la défense d’autrui contre la violence illégale, ce qui place le
seuil de l’intervention légale de l’Etat dans ce domaine à un niveau
plus élevé que celui de la plupart des droits garantis par la Convention,
dont l’atteinte doit être «nécessaire dans une société démocratique»:
«149. A cet égard, l’emploi des
termes “absolument nécessaire” figurant à l’article 2 par. 2 (art.
2-2) indique qu’il faut appliquer un critère de nécessité plus strict
et impérieux que celui normalement employé pour déterminer si l’intervention
de l’Etat est “nécessaire dans une société démocratique” au titre
du paragraphe 2 des articles 8 à 11 (art. 8-2, art. 9-2, art. 10-2,
art. 11-2) de la Convention. La force utilisée doit en particulier
être strictement proportionnée (…) »
28. La Cour européenne des droits de l’homme a fixé ce seuil élevé
pour les exécutions volontaires auxquelles procèdent les autorités
dans une affaire d’exécution volontaire, par des agents du SAS,
de trois terroristes de l’IRA à Gibraltar, qui étaient soupçonnés
d’organiser un attentat à la voiture piégée, dont le détonateur
devait être actionné à l’aide d’une télécommande qu’ils portaient
sur eux.
29. La Cour a souligné, dans son interprétation de l’article 2,
l’importance capitale du droit à la vie dans une société démocratique
et a considéré que:
«150. Reconnaissant
l’importance de cette disposition (art. 2) dans une société démocratique,
la Cour doit se former une opinion en examinant de façon extrêmement
attentive les cas où l’on inflige la mort, notamment lorsque l’on
fait un usage délibéré de la force meurtrière, et prendre en considération
non seulement les actes des agents de l’Etat ayant eu recours à
la force mais également l’ensemble des circonstances de l’affaire,
notamment la préparation et le contrôle des actes en question.»
30. Après une analyse méticuleuse de la planification de l’opération,
des informations dont disposaient les autorités, des instructions
données aux agents du SAS et des actions menées par ceux-ci, la
Cour a conclu:
«213. En résumé,
eu égard à la décision de ne pas empêcher les suspects d’entrer
à Gibraltar, à la prise en compte insuffisante par les autorités
d’une possibilité d’erreur dans leurs appréciations en matière de renseignements,
au moins sur certains aspects, et au recours automatique à la force
meurtrière lorsque les militaires ont ouvert le feu, la Cour n’est
pas convaincue que la mort des trois terroristes ait résulté d’un
recours à la force rendu absolument nécessaire pour assurer la défense
d’autrui contre la violence illégale, au sens de l’article 2 par. 2
a) (art. 2-2-a) de la Convention.»
31. En comparaison, la conception américaine de l’exigence du
recours à la force meurtrière uniquement pour faire face à une menace
imminente semble beaucoup plus étendue, puisqu’elle englobe «la
prise en compte de circonstances favorables pour agir, du préjudice
que le fait de ne pas profiter de ces circonstances favorables pourrait
causer aux civils et de la probabilité que cette intervention écarte
de futurs attentats aux conséquences désastreuses»
.
3.4. Les critères du
droit international humanitaire
32. En droit international humanitaire,
«l’exécution ciblée est légale
uniquement si la cible est un “combattant” ou, s’il s’agit d’un
civil, uniquement tant que la personne “participe directement aux
hostilités”. De plus, l’exécution doit être militairement nécessaire,
le recours à la force doit être proportionné, de manière à ce que
tout avantage militaire escompté soit pris en considération à la
lumière du préjudice que l’on s’attend à causer aux civils du voisinage,
et tout doit être fait pour éviter les erreurs et minimiser les
dommages causés aux civils» .
33. Le droit des traités, et notamment le
Protocole additionnel
1 aux Conventions de Genève, consacre les principes qui protègent les civils pris
dans la tourmente d’un conflit armé, comme les principes de distinction, de
proportionnalité et de précaution
, qui sont également énoncés
par le droit international coutumier. Ces principes s’appliquent,
notamment, au type d’armes qui peuvent être utilisées dans les conflits
et à leur utilisation effective.
34. L’article 51.4.b du
Protocole additionnel 1 prévoit que les attaques ne doivent pas
être, par nature, sans discrimination, dans la mesure où il leur
est impossible d’éviter les dommages causés aux civils lorsqu’elles visent
les combattants. En outre, l’article 48 fait obligation aux Etats,
«en tout temps», de «faire la distinction entre la population civile
et les combattants».
35. La doctrine de la proportionnalité, dans son application aux
conflits armés, impose aux Etats «d’examiner si les dommages collatéraux
[civils] causés par une attaque seraient excessifs par rapport à l’avantage
militaire attendu». L’article 51.5.b prévoit
que les attaques qui seraient excessives sur ce plan sont considérées
comme des attaques sans discrimination, et par conséquent interdites.
36. L’article 57 énonce un principe de précaution, qui exige de
prendre toutes les précautions pratiquement possibles avant d’attaquer
une cible, y compris en vérifiant qu’il s’agit bien d’une cible
militaire et non civile. «Dans ce contexte, pratiquement possible
s’entend de manière générale comme «ce qui est réalisable ou concrètement
possible, en tenant compte de l’ensemble des circonstances présentes
au moment en question, et notamment des considérations humanitaires
et militaires»
.
37. Il convient de noter que ni les Etats-Unis ni Israël ne sont
Parties au Protocole additionnel 1. Toutefois, compte tenu du caractère
formel de la protection des civils dans les conflits armés, le Comité
international de la Croix-Rouge (CICR) estime que cette protection
reflète le droit international coutumier
,
qui est également applicable aux Etats-Unis et à Israël. Cela vaut
pour les articles 48
,
51.4.
b ,
51.5.
b et 57
. Dans le même état d’esprit,
la Cour internationale de justice a qualifié les principes de distinction
et de proportionnalité de «principes intransgressibles du droit
international coutumier»
.
38. Les normes générales du droit international des droits de
l’homme et du droit international humanitaire s’appliquent quel
que soit le type d’armes utilisées pour l’exécution. Elles sont
applicables aux questions particulières qui ont trait à la légalité
de l’utilisation des drones de combat à des fins d’exécution ciblée:
la procédure de vérification de l’identité des cibles, le caractère
imminent et crédible de la menace que représentent les cibles, l’appréciation
du caractère nécessaire de cette exécution, l’existence d’autres
moyens propres à supprimer cette menace, les mesures prises pour
coopérer avec les autorités territoriales et la proportionnalité
de l’opération d’exécution ciblée, notamment au regard des dommages
collatéraux causés à la population civile.
3.5. Les questions de
souveraineté au regard du droit international
39. L’utilisation des drones en vue de prendre pour cible
des personnes situées dans un autre Etat doit également se conformer
aux dispositions relatives au recours à la force interétatique.
Christoph Heyns souligne dans son rapport consacré aux exécutions
extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires
que
«[a]lors que le droit international
humanitaire et des droits de l’homme visent à protéger les individus concernés,
le droit applicable au recours à la force interétatique sert avant
tout à protéger les droits reconnus aux Etats par le droit, y compris
le droit et l’intérêt de l’Etat à protéger la vie de ses citoyens
et habitants contre les actes d’agression».
40. L’interdiction générale de la menace ou du recours à la force
interétatique est posée par l’article 2 (4) de la Charte des Nations
Unies, qui prévoit des exceptions limitées, notamment le consentement
de l’Etat concerné, le fait que la mesure soit prise en légitime
défense ou l’autorisation par le Conseil de sécurité des Nations
Unies.
41. Ce consentement doit être exprès et ne peut être simplement
présumé; il doit être donné librement et clairement par les plus
hautes autorités gouvernementales de l’Etat, et non par des autorités
régionales ou une administration particulière; de plus, les Etats
ne sauraient valablement consentir à des violations du droit international
humanitaire ou des droits de l’homme sur leur territoire
. Dans l’idéal, les parlements
nationaux devraient contrôler toute autorisation donnée par l’exécutif.
42. La légitime défense fait également l’objet de limitations
rigoureuses en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations Unies
et du droit international coutumier. La Cour internationale de justice
a estimé que pour qu’une agression permette à l’Etat de se prévaloir
de son droit à recourir à la force en légitime défense, l’étendue
et les conséquences de cette agression doivent atteindre un certain
seuil de gravité
. L’Etat qui invoque la légitime défense doit
également satisfaire aux exigences de nécessité et de proportionnalité prévues
par le droit international coutumier. Comme le souligne M. Heyns,
«[c]es exigences (…) sont étroitement
liées au but poursuivi par l’acte légal de légitime défense. La nécessité
et la proportionnalité signifient par conséquent que la légitime
défense ne doit pas présenter un caractère punitif ou de représailles;
le but poursuivi devrait consister à arrêter et à repousser une attaque» .
43. La notion de légitime défense anticipée est très controversée
. Alors que le recours à la force meurtrière
par anticipation d’une menace, y compris d’une menace qui émane
d’acteurs non étatiques, est généralement considéré comme illégal,
il pourrait prendre un caractère légal dans des circonstances exceptionnelles.
La légitime défense anticipée peut toutefois uniquement être autorisée
en cas d’attaque imminente, qui ne peut être prévenue par d’autres
moyens, et lorsque que l’action militaire anticipée est proportionnée
. Mais cette notion d’imminence est
aussi vague que la notion de légitime défense anticipée et il n’existe
à l’heure actuelle aucun consensus sur le seuil applicable à la
définition de cette imminence
.
44. Il semblerait que de nombreuses attaques de drones relatées
par les deux rapporteurs spéciaux des Nations Unies ne respectent
pas les principes qui régissent le recours à la force interétatique.
Il convient de noter à propos des frappes effectuées à l’aide de
drones sur le territoire pakistanais que le Président du Pakistan
s’est publiquement opposé à ces frappes lorsque les accords secrets
passés entre la CIA et les services de sécurité pakistanais, qui
autorisaient de telles frappes, ont été rendus publics en octobre
2013
.
45. A titre exceptionnel, le principe du respect de la souveraineté
nationale peut aussi connaître des exceptions qui peuvent se justifier
par la «responsabilité de protéger»
.
4. Le fondement juridique
avancé pour les exécutions ciblées à l’aide de drones de combat
(le point de vue des Etats-Unis)
46. Le 23 mai 2013, le Président Obama a prononcé un
discours sur la stratégie américaine de lutte contre le terrorisme
et a publié simultanément un document intitulé «Principes et modalités
applicables par les Etats-Unis au recours à la force dans les opérations
de lutte contre le terrorisme menées hors du territoire américain et
dans les zones de conflit (
U.S.
Policy Standards and Procedures for the Use of Force in Counter-Terrorism Operations
Outside the United States and Areas of Active Hostilities). Cette démarche représente un progrès sur le plan de
la transparence, puisque nous connaissons désormais au moins le
fondement juridique déclaré des attaques de drones. Il reste toutefois
deux questions dans le rapport qui devraient être examinées:
a. les critères juridiques retenus
sont-ils conformes au droit international des droits de l’homme
et au droit international humanitaire?
b. les critères juridiques retenus sont-ils respectés dans
la pratique?
47. Le fondement juridique avancé par le Président Obama se résume
comme suit:
a. la politique américaine
privilégie, lorsque cela s’avère «pratiquement possible», la capture
des cibles au recours à la force meurtrière;
b. la force meurtrière ne se substitue pas à une peine ou
à l’engagement de poursuites; elle est uniquement utilisée lorsqu’il
n’existe aucune alternative raisonnable et que les conditions préalables
suivantes sont réunies:
i. le recours
à la force doit être juridiquement fondé;
ii. la cible doit représenter une menace «constante et imminente»;
et
iii. les critères suivants doivent être réunis:
47.2.3.1. la «quasi-certitude» de la présence
de la cible;
47.2.3.2. la «quasi-certitude» que les non-combattants ne seront
ni blessés ni tués;
47.2.3.3. d’après l’évaluation de la situation, la capture n’est
pas concrètement possible au moment de l’opération;
47.2.3.4. d’après l’évaluation de la situation, les autorités gouvernementales
compétentes du territoire concerné ne sont pas en mesure de remédier
ou ne remédieront pas efficacement à la menace que représente la
cible pour des ressortissants américains; et
47.2.3.5. Il n’existe aucune alternative raisonnable pour remédier
à la menace que représente la cible pour des ressortissants américains.
iv. le recours à la force est compatible avec la souveraineté
nationale et le droit international.
48. On peut faire remarquer que certains termes utilisés
pour la définition de ces critères sont par essence subjectifs et
imprécis, comme «pratiquement possible», «efficace», «raisonnable»,
«constante et imminente» et «quasi-certitude». M. Wagner, dans l’exposé
qu’il a présenté à la commission le 30 septembre 2014, a souligné
qu’il existe à l’heure actuelle un énorme désaccord sur l’interprétation
au regard du droit international humanitaire des principes de distinction
et de proportionnalité. Les termes qualificatifs qu’utilise le résumé
de la politique américaine semblent autoriser une interprétation
élargie; il convient par conséquent de se conformer strictement
aux interprétations bien établies du droit international des droits
de l’homme. Le deuxième point abordé par M. Wagner est celui de
la «procédurisation» accrue de la prise de décision des exécutions
ciblées. La «fausse légitimité» qui découle de la procédurisation
présente un danger lorsque celle-ci ne s’accompagne en réalité d’aucune
amélioration substantielle. Je partage l’analyse de M. Wagner, pour qui
l’élément essentiel est celui de la qualité des appréciations, qu’il
s’agisse de la connaissance des faits (présence d’une cible légitime,
risque pour les civils, etc.) ou de l’adéquation des dispositions
légales appliquées à une situation donnée.
49. La publication, par le Président Obama, de ce document directif
représente une avancée importante sur le plan de la transparence
et de l’obligation de rendre des comptes qui accompagnent les attaques
de drones; c’est également l’avis du Rapporteur spécial des Nations
Unies sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme
. Mais, selon les propres
termes de Ben Emmerson,
«(…)
plusieurs questions importantes restent sans réponse. Si on lit
attentivement le texte du discours et des lignes directrices, quelques
points essentiels demeurent obscurs. Certaines informations devront bien
entendu rester classées secrètes dans l’intérêt de la sécurité nationale,
comme les informations susceptibles de mettre en danger les sources
ou de dévoiler la méthodologie des activités de renseignements.
Je ne doute cependant pas que davantage d’informations
sur le programme des drones puissent être publiées en toute sécurité.
Dans les mois à venir, je m’emploierai à obtenir de l’Administration
qu’elle atténue encore le manque de transparence. J’ai bon espoir
que cette démarche portera ses fruits et je rendrai compte de ses
résultats en temps utile à l’Assemblée générale des Nations Unies» .
50. Les initiatives supplémentaires prises en vue de renforcer
la transparence devraient privilégier la fourniture de plus amples
précisions sur les justifications de chaque frappe, autant que faire
se peut sans porter atteinte aux intérêts nationaux légitimes en
matière de sécurité. La publication de critères juridiques abstraits est,
en soi, d’une utilité pratique limitée sur le plan de l’obligation
de rendre des comptes à propos des exécutions pratiquées.
5. Les incidences
pour les Etats membres du Conseil de l’Europe
51. Comme nous l’avons indiqué plus haut, à ce jour,
la plupart des frappes effectuées à l’aide de drones sont le fait
des Etats-Unis et d’Israël (les Etats-Unis ont le statut d’Etat
observateur auprès du Conseil de l’Europe et le Parlement israélien
a le statut d’observateur auprès de l’Assemblée parlementaire).
Mais le Royaume-Uni, l’Italie et, plus largement, les participants
de la FIAS, parmi lesquels figurent un certain nombre d’Etats membres
du Conseil de l’Europe, ont également eu recours à des drones dans
le conflit armé contre les talibans en Afghanistan
. La France aurait l’intention
d’acquérir des drones aux Etats-Unis pour les utiliser dans ses
opérations militaires au Mali
. Selon certaines sources, la Russie,
la Turquie, l’Allemagne et la Pologne envisagent l’acquisition de
drones de combat. Les Etats membres du Conseil de l’Europe peuvent également
être accusés de complicité de frappes illégales réalisées à l’aide
de drones par des Etats tiers, par exemple du fait de la mise en
commun des informations de leurs services de renseignement
. En pareil cas, un Etat qui ne procède pas
lui-même à des exécutions ciblées peut être tenu responsable de
complicité de violation des droits de l’homme par d’autres Etats
.
Sa responsabilité dépend, d’une part, du fait que l’Etat complice
ait connaissance des circonstances de la violation du droit international
par l’Etat bénéficiaire de cette complicité et, d’autre part, du
fait que l’action en question serait constitutive d’une violation
du droit international si elle était commise par l’Etat complice
lui-même
.
52. Adam Bodnar et Irmina Pacho, de la Fondation Helsinki pour
les droits de l’homme de Pologne, ont examiné si l’utilisation de
drones à des fins d’exécution ciblée par des Etats membres du Conseil
de l’Europe pouvait dans quelque cas que ce soit être légale au
titre de la Convention européenne des droits de l’homme, à la lumière
de l’application extraterritoriale de cet instrument et des limites
rigoureuses qu’il impose aux exécutions ciblées, même en temps de
guerre
.
53. Comme l’a expliqué Mme Pacho au
cours de l’audition organisée par la commission le 30 septembre 2014,
la Cour européenne des droits de l’homme a illustré sa conception
de l’applicabilité extraterritoriale de la Convention dans deux
arrêts rendus en 2011:
Al Skeini et autres
c. Royaume-Uni et
Al-Jedda
c. Royaume-Uni . Dans la première affaire, la Cour
a estimé que l’exercice de la puissance publique dans le sud-est
de l’Irak par le Royaume-Uni avait fait naître pour celui-ci une
obligation de respecter la Convention. Dans la deuxième affaire,
elle a considéré que les pays dont les forces militaires faisaient
partie de forces multinationales étaient responsables des actes
de leurs soldats. Pour ce qui est de la dualité des régimes juridiques
applicables (droit international humanitaire ou droit international
des droits de l’homme), Mme Pacho a réaffirmé
que le droit international des droits de l’homme était généralement
considéré comme applicable à tout moment. L’interdiction des exécutions
arbitraires par le droit international des droits de l’homme continue à
s’appliquer dans une situation de conflit armé. Mais le caractère
arbitraire de l’exécution doit être déterminé au regard des dispositions
du droit international humanitaire, comme nous l’avons résumé plus
haut
.
54. Mme Pacho a rappelé à juste titre
que l’article 2 de la Convention imposait également aux Parties contractantes
une obligation procédurale stricte de mener une enquête en bonne
et due forme sur les cas où la mort a été infligée, afin de déterminer
si le recours à la force meurtrière était rigoureusement nécessaire.
En résumé, l’utilisation de drones armés par les Etats parties à
la Convention – où qu’elle se produise – peut être examinée par
la Cour européenne des droits de l’homme en temps de paix, dans
les situations d’état d’urgence et en période de conflit armé.
6. Questions particulièrement
préoccupantes
56. Ces frappes ou systèmes d’armes ne semblent pas réunir les
conditions de légalité des frappes à l’aide de drones, que ce soit
dans un conflit armé en cours ou dans le cadre de l’exécution des
lois.
57. Comme l’ont montré les experts au cours de l’audition organisée
le 30 septembre 2014, les frappes signatures ont fait, par le passé,
de nombreux dégâts en touchant des cibles qui n’étaient pas visées,
comme les fêtes de mariage ou les assemblées tribales. A moins que
la «signature» ne soit définie très soigneusement, de manière à
désigner uniquement des cibles légitimes, les frappes signatures
ne sauraient respecter les principes de distinction et de précaution
exigés par le droit international humanitaire. Parmi les «signatures»
qui ne peuvent être autorisées figurent par exemple le fait d’être
un homme en âge de combattre, «de fréquenter des militants connus»
ou de porter une arme dans les régions où cette attitude est courante
.
58. Il semblerait que les frappes qui poursuivent un but autre
n’aient pas le moindre objectif militaire légitime; quant aux frappes
en doublé, qui prennent pour cible les premiers intervenants, elles
sont selon moi susceptibles de constituer des crimes de guerre.
En dehors d’un conflit armé, il est même moins probable que ce type
de frappes à l’aide de drones soit légal au regard du droit international
des droits de l’homme, car la nécessité absolue de ces exécutions
peut difficilement se justifier par la prévention d’actes de violence
qui risquent de faire des victimes.
59. Les systèmes d’armes autonomes ne sont pas en mesure de respecter
les principes de distinction et de proportionnalité d’une manière
qui soit conforme aux exigences du droit international humanitaire
ou du droit international des droits de l’homme. Malgré les progrès
technologiques supplémentaires escomptés
, il est trop tôt
pour même songer à examiner la légalité de l’utilisation de ces
systèmes. La combinaison d’opérations massives de surveillance,
comme celles qui ont été dévoilées par Edward Snowden, de «frappes
signatures» et de systèmes d’armes autonomes suffit à faire frémir.
7. Conclusion
60. Comme nous l’avons vu, les exécutions ciblées à l’aide
de drones armés soulèvent un certain nombre de questions graves,
tant sur le plan des faits que sur celui du droit applicable.
61. Sur le plan des faits, l’utilisation de drones armés pour
procéder à des exécutions à distance, sans risque ou avec de faibles
risques pour les propres forces de l’utilisateur, soulève la question
de l’abaissement du seuil de leur utilisation, au point de banaliser
ces interventions, et de la responsabilité de l’issue réelle de
chaque frappe.
62. Sur le plan du droit, la question première n’est pas celle
de l’utilisation des drones armés en soi, mais du fait de cibler
des personnes avec l’intention de les tuer. On ne saurait permettre
que le processus décisionnel qui conduit à ces frappes se dégrade
au point de devenir une procédure banale, dans laquelle les condamnations
à mort sont prononcées par les membres du pouvoir exécutif sans
même que «l’accusé» n’ait connaissance des raisons pour lesquelles
il est soupçonné, et encore moins la possibilité de se défendre.
Je ne suis pas convaincu que la procédure et les critères essentiels
indiqués par l’administration Obama satisfassent aux exigences du
droit international et du droit international humanitaire et des
droits de l’homme.
63. Il convient par conséquent que l’Assemblée rappelle les principes
fondamentaux qui régissent le recours à la force meurtrière au regard
du droit international, notamment du droit international humanitaire
et des droits de l’homme, et invite instamment tous les Etats membres
et Etats observateurs du Conseil de l’Europe à respecter ces principes
et à offrir suffisamment de transparence pour garantir que le respect
de ces principes puisse faire l’objet d’un contrôle indépendant.
Il importe d’inviter le Comité des Ministres à édicter les lignes directrices
correspondantes. C’est là l’objet du projet de résolution et du
projet de recommandation qui précèdent le présent rapport.