Imprimer
Autres documents liés
Résolution 2057 (2015)
Le patrimoine culturel dans les situations de crise et de postcrise
1. L’Assemblée parlementaire constate
avec une grande préoccupation que l’éradication délibérée de la culture,
de l’identité et de l’existence de «l’autre» au travers de la destruction
systématique du patrimoine culturel est devenue un élément central
des conflits modernes à caractère ethnique, caractérisés par le
recours à des forces paramilitaires et rarement précédés d’une déclaration
de guerre officielle. Cette évolution rend très difficile l’application
des instruments juridiques internationaux pertinents dont la Convention
de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit
armé (1954) et la Convention de Genève relative à la protection
des personnes civiles en temps de guerre (1949), et ses protocoles
(1977). L’Assemblée considère que la protection du patrimoine culturel
pendant et immédiatement après un conflit est une question relative aux
droits l’homme qui devrait engager la responsabilité internationale.
2. La résolution des conflits et la réconciliation sont des processus
complexes qui peuvent s’étendre sur plusieurs générations. Ces processus
supposent de faire preuve de sensibilité pour s’attacher en premier
lieu à instaurer la tolérance et une coexistence pacifique, avant
de chercher à développer la confiance, l’acceptation et la coopération.
L’Assemblée souligne que la restauration et la reconstruction du
patrimoine culturel bâti, et la sensibilisation à sa «valeur commune»
(sa valeur intrinsèque, culturelle et historique) de toutes les
communautés d’une société sont des aspects essentiels de la résolution
des conflits.
3. Le processus de reconstruction du patrimoine culturel présente
un fort potentiel de réconciliation et de construction de la cohésion
sociale, mais il peut également être utilisé à mauvais escient pour
réveiller les clivages et raviver la haine. Par conséquent, l’Assemblée
affirme qu’un cadre politique, législatif et juridique solide est
primordial pour jeter les bases des mesures de confiance dans un
contexte de relèvement postcrise.
4. A la lumière de ces considérations, l’Assemblée recommande
aux Etats membres du Conseil de l’Europe concernés par des situations
de crise et de postcrise:
4.1. de
signer et de ratifier la Convention-cadre du Conseil de l’Europe
sur la valeur du patrimoine culturel pour la société (STCE no 199,
«Convention de Faro») et la Convention européenne du paysage (STE
no 176), s’ils ne l’ont pas encore fait,
et de développer des stratégies nationales de restauration et de
reconstruction du patrimoine culturel, conformément aux principes
énoncés dans ces conventions;
4.2. de dépolitiser le processus de reconstruction du patrimoine
culturel et de créer les conditions nécessaires pour permettre aux
comités techniques indépendants de travailler sans subir de pressions de
la part des autorités politiques et/ou religieuses, afin d’éviter
l’imposition de politiques de reconstruction du patrimoine fondées
sur l’ethnicité et la religion, et, par contre, de garantir un régime de
protection du patrimoine impartial et non discriminatoire;
4.3. dans un premier temps, pendant et immédiatement après
la crise, d’intégrer le patrimoine culturel dans les programmes
d’urgence humanitaire, et en particulier:
4.3.1. de s’approprier
le patrimoine culturel et sa diversité, plutôt que de déléguer la responsabilité
à des organismes d’aide extérieurs;
4.3.2. d’entreprendre une évaluation des dommages causés au patrimoine
culturel et d’assurer la cohérence entre l’aide humanitaire immédiate
(par exemple les normes du Haut-Commissariat des Nations Unies pour
les réfugiés (HCR) en matière de logement et d’abri) et les exigences
du patrimoine;
4.3.3. d’inclure le patrimoine bâti endommagé dans les programmes
de réparation d’urgence, notamment les bâtiments susceptibles d’offrir
un hébergement aux populations déplacées, tout en ayant recours
aux méthodes appropriées (matériaux et techniques authentiques)
pour leur restauration et leur reconstruction;
4.3.4. de prendre en compte le patrimoine bâti détruit dans les
programmes de relance des villes et villages, en exploitant toutes
les archives patrimoniales disponibles et en encourageant les communautés
locales à participer au processus;
4.3.5. de préserver l’identité d’un lieu et de protéger les zones
où le patrimoine bâti a été délibérément ciblé et détruit de toute
construction temporaire ou permanente, exception faite de la restauration
des bâtiments endommagés;
4.3.6. de protéger de toute détérioration, en procédant à des
travaux de réparation d’urgence, les autres éléments du patrimoine
bâti endommagés dont l’intégration dans les programmes d’urgence
n’est pas justifiée;
4.4. dans un deuxième temps, de consolider les institutions
publiques et les structures de gouvernance, et de définir le cadre
de restauration et de reconstruction du patrimoine culturel, et
en particulier:
4.4.1. de revoir la législation et les systèmes
de contrôle de l’urbanisme, et de renforcer les mécanismes de suivi
pour garantir des normes techniques élevées en matière de restauration
et de reconstruction, et pour éviter les risques de développement
anarchique et irrespectueux du patrimoine local;
4.4.2. d’associer la restauration et la reconstruction du patrimoine
culturel au retour des réfugiés et des personnes déplacées;
4.4.3. d’élaborer des programmes nationaux de restauration et
de reconstruction du patrimoine culturel endommagé ou détruit dans
le cadre d’une stratégie nationale plus étendue en matière de patrimoine
culturel; de faire participer les organisations et les donateurs internationaux
à ce processus;
4.4.4. d’encourager la création de structures participatives,
comme des forums du patrimoine culturel local, fondées sur les principes
d’ouverture du dialogue, de transparence et de responsabilité, en
vue de développer des projets relatifs au patrimoine culturel local;
et d’engager une vaste consultation publique afin d’identifier les
priorités;
4.4.5. dans l’évaluation postcrise des zones, d’inclure dans
la production des inventaires une estimation des valeurs et de l’importance
du patrimoine culturel, parallèlement aux informations techniques
relatives à l’état d’un site de patrimoine culturel;
4.4.6. de préserver l’authenticité et de respecter toutes les
couches de l’Histoire dans le processus de restauration et de reconstruction
afin de conserver l’esprit des lieux et le caractère original des
sites patrimoniaux;
4.4.7. outre les monuments emblématiques, de tenir dûment compte
des autres sites du patrimoine local à l’architecture vernaculaire,
y compris de leur contexte paysager naturel ou urbain, afin d’éviter
la fragmentation des communautés et une perte d’identité;
4.5. dans un troisième temps, de consolider le processus de
réconciliation et d’améliorer la pérennité des projets, et en particulier:
4.5.1. de garantir que la reconstruction liée à un projet à court
terme ne prime pas une stratégie étendue et à plus long terme en
faveur du développement durable;
4.5.2. d’engager des processus participatifs et une consultation
publique afin d’intégrer les projets du patrimoine local dans les
plans de développement socio-économique;
4.5.3. d’élaborer des plans de gestion du patrimoine local axés
sur l’utilisation, les activités, les financements, les partenariats
et l’implication de la communauté pour assurer que, dans la mesure
du possible, le site deviendra au fil du temps un «patrimoine vivant»
autonome;
4.5.4. d’utiliser le processus de restauration et de reconstruction
du patrimoine culturel pour renforcer les capacités et les compétences,
nouer des partenariats transectoriels (éducation, tourisme, médias,
économie) et sensibiliser à sa «valeur commune» (sa valeur intrinsèque, culturelle
et historique) toutes les communautés;
4.5.5. d’entreprendre des actions de certification de l’artisanat,
de formation et d’accréditation pour stimuler l’emploi au plan local.
5. L’Assemblée invite instamment les organisations donatrices
nationales et internationales à aider les institutions de l’Etat
bénéficiaire, aux plans local et national, à s’approprier le patrimoine
culturel et à définir ensemble des priorités et objectifs communs
fondés sur un régime de protection du patrimoine culturel impartial
et non discriminatoire, en accordant une attention particulière
à la préservation de l’identité culturelle locale et de la diversité
du patrimoine culturel; et à respecter ces principes.
6. L'Assemblée invite le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux
du Conseil de l'Europe à promouvoir la coopération, l'échange de
compétences et d'expériences pratiques entre les collectivités locales
et régionales, afin de gérer avec succès la restauration et la reconstruction
du patrimoine culturel en tant qu’élément clé des processus de relèvement
et de réconciliation après une crise.
7. L’Assemblée recommande à tous les Etats membres du Conseil
de l’Europe, en coopération avec les Nations Unies et d’autres organisations
compétentes:
7.1. d’envisager la
révision et le renforcement des dispositions de la Convention de
La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit
armé et de la Convention de Genève relative à la protection des
personnes civiles en temps de guerre, et ses protocoles, prévoyant
des mécanismes de protection préventive plus solides et des sanctions
plus lourdes, y compris des réparations, en cas de destructions
non justifiées par des nécessités militaires; de reconnaître que
ce type de destructions ne constitue pas une atteinte qu’au tissu
bâti, mais aussi à ce qu’il représente et à la communauté qu’il dessert;
7.2. d’asseoir juridiquement l’idée selon laquelle la destruction
et le pillage systématiques, délibérés et ciblés de biens culturels
peuvent être qualifiés de crimes contre l’humanité, et de mettre
au point de nouveaux mécanismes pour déférer les auteurs de tels
actes devant la justice nationale et internationale.