1. Contexte
1. En juin 2013, l’Assemblée parlementaire a adopté
la
Résolution 1941 (2013) sur une demande d’ouverture d’une procédure de suivi
pour la Hongrie. Dans ce texte, l’Assemblée a souligné que «le nouveau Parlement
hongrois a, pour la première fois dans l’histoire de la Hongrie
libre et démocratique, amendé son ancienne Constitution – héritée
d’un parti unique –, pour en faire une nouvelle Loi fondamentale
moderne, à l’issue d’une procédure démocratique et d’intenses débats
au parlement, et avec des contributions de la société civile hongroise».
L’Assemblée a également déclaré que «[l]a Constitution et les lois
organiques y afférentes sont le fondement du fonctionnement juridique
et démocratique d’un pays. Elles établissent les règles démocratiques
de base et le cadre pour la protection des droits de l’homme de
ses citoyens et pour le respect de l’Etat de droit». De plus l’Assemblée
s’est déclarée profondément inquiète de «l’érosion de l’équilibre
démocratique entre les différents pouvoirs qui résulte du nouveau
cadre constitutionnel en Hongrie» et a souligné que «[l]es analyses
de la Constitution et de plusieurs lois cardinales effectuées par
des experts de la Commission de Venise et du Conseil de l’Europe
soulèvent un certain nombre de questions quant à la compatibilité
de certaines dispositions avec les normes et standards européens,
y compris avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l’homme».
2. L’Assemblée a appelé les autorités hongroises à poursuivre
leur dialogue ouvert et constructif avec la Commission européenne
pour la démocratie par le droit (Commission de Venise) et toutes
les autres institutions européennes et à prendre un train de mesures
particulières concernant la loi sur la liberté de religion et le
statut des Eglises, la loi sur l’élection des membres du parlement,
la loi sur la Cour constitutionnelle, les lois relatives au système
judiciaire et la législation applicable aux médias.
3. Tout en soulignant que, pris séparément, chacun des sujets
de préoccupation mentionnés était, en soi, grave, l’Assemblée a
mis en garde contre «l’accumulation de réformes visant à établir
un contrôle politique sur la plupart des institutions essentielles
tout en affaiblissant le système d’équilibre des pouvoirs».
4. En conclusion, l’Assemblée a décidé de ne pas ouvrir de procédure
de suivi à l’égard de la Hongrie mais «de suivre de près l’évolution
de la situation en Hongrie et de dresser le bilan des progrès accomplis
dans la mise en œuvre de la présente résolution».
5. Le 2 septembre 2013, le Bureau de l’Assemble a décidé de renvoyer
la question de la «Situation en Hongrie suite à l’adoption de la
Résolution 1941 (2013)» à la commission des questions politiques et de la démocratie
pour rapport et à la commission des questions juridiques et des
droits de l’homme ainsi qu’à la commission de la culture, de la
science, de l’éducation et des médias pour avis.
6. Le 1er octobre 2013, la commission
des questions politiques et de la démocratie m’a désigné comme rapporteur.
7. Au cours de la partie de session de janvier 2014 de l’Assemblée,
j’ai tenu des échanges de vues avec des membres de la délégation
hongroise, représentant aussi bien le gouvernement que l’opposition,
avec le Représentant permanent de la Hongrie auprès du Conseil de
l’Europe et avec le secrétariat de la Commission de Venise.
8. J’ai, en outre, adressé une lettre à la délégation hongroise
en demandant à nos collègues de nous informer par écrit des suites
données par les autorités hongroises aux problèmes précis mentionnés
dans la
Résolution 1941
(2013). J’ai reçu une réponse des autorités hongroises et le
Parti socialiste hongrois m’a fait part de sa position. J’ai aussi
reçu des observations d’organisations non gouvernementales (ONG).
9. Le dimanche 6 avril 2014, des élections législatives ont eu
lieu en Hongrie. Le parti au pouvoir, le Fidesz, ainsi que le Parti
populaire démocrate-chrétien (KDNP), ont perdu des voix mais, avec
45,04 % des suffrages, ils ont obtenu une majorité des deux tiers
des sièges (66,83 %)
.
10. Lors d’une conférence de presse tenue à Budapest le lendemain
des élections législatives, la délégation de l’Organisation pour
la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) chargée de l’observation
des élections a identifié plusieurs changements positifs dans la
législation électorale tout en soulignant que certains changements
avaient affaibli le système d’équilibre des pouvoirs en Hongrie
et donné un avantage injustifié au Fidesz lors du scrutin.
11. En juillet, le Bureau des institutions démocratiques et des
droits de l’homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération
en Europe (OSCE/BIDDH) a publié un rapport sur les élections confirmant
que «les élections législatives du 6 avril avaient été organisées
de manière efficace et avaient donné un large choix aux électeurs
grâce à un processus inclusif d’enregistrement des candidats Le
principal parti au pouvoir a, néanmoins, joui d’un avantage injustifié
du fait de la réglementation restrictive de la campagne, de la couverture
médiatique partiale et des activités de campagne qui ont brouillé
la séparation entre parti politique et Etat».
12. J’ai examiné de près tous les documents soumis et, les 17
et 18 juin 2014, lorsque les nouveaux parlement et gouvernement
étaient opérationnels, je me suis rendu à Budapest où j’ai rencontré
des députés, le ministre de la Justice, les présidents de la Commission
nationale électorale et de la Cour constitutionnelle, des responsables
gouvernementaux, des ambassadeurs d’Etats membres du Conseil de
l’Europe et des représentants de groupes religieux, de médias et
d’organisations de défense des droits de l’homme.
13. Je tiens, tout d’abord, à adresser mes remerciements à la
délégation hongroise et à tous les fonctionnaires, ministres et
parlementaires que j’ai rencontrés à cette occasion. Tous se sont
montrés très ouverts et désireux de m’aider à élaborer ce rapport
pour l’Assemblée parlementaire.
14. Suite à un compte rendu oral de ma visite lors de la partie
de session d’octobre 2014, la commission a tenu une audition, en
janvier 2015, avec la participation de membres de la nouvelle délégation
hongroise, de M. Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe, qui a publié un rapport après sa visite
en Hongrie en juillet 2014, et de M. Thomas Markert, Secrétaire
de la Commission de Venise.
2. Mesures particulières
demandées par l’Assemblée
15. Au paragraphe 12 de sa
Résolution 1941 (2013), l’Assemblée a soulevé un certain nombre de points qui
posent, selon elle, des problèmes en termes de démocratie, d’Etat
de droit et de respect des droits de l’homme. En conséquence, elle
a appelé les autorités hongroises à prendre une série de mesures
particulières dans différents domaines.
16. S’agissant de la loi sur la liberté de religion et le statut
des Eglises, l’Assemblée a demandé:
16.1. que le droit de reconnaître à un groupe confessionnel
le statut d’Eglise ne fasse plus partie des compétences du parlement
et que ce type de décision soit pris par une autorité administrative
impartiale, sur la base de critères juridiques clairs;
16.2. que soient définis, pour la reconnaissance d’une Eglise,
des critères juridiques précis, pleinement conformes aux normes
internationales et, en particulier, à la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme;
16.3. que soit prévue une possibilité d’appel contre toute décision
d’accepter ou de rejeter une demande de reconnaissance en tant qu’Eglise
devant une juridiction ordinaire, aussi bien sur le fond que pour
des motifs de procédure.
17. S’agissant de la loi sur l’élection des membres du parlement,
l’Assemblée a, en pleine conformité avec une décision de 2005 de
la Cour constitutionnelle hongroise qui avait critiqué l’absence
de critères, demandé:
17.1. que le
découpage des circonscriptions électorales soit effectué par une
autorité indépendante, sur la base de critères juridiques clairs;
17.2. que les limites mêmes des circonscriptions ne soient pas
fixées par la loi, en particulier par une loi cardinale. En outre,
l’Assemblée a recommandé aux autorités de s’efforcer de parvenir
à un large consensus entre tous les partis politiques au sujet de
la formule des dites «compensations» et de permettre aux électeurs
appartenant à des minorités de choisir jusqu’au jour du scrutin
s’ils veulent voter pour un parti ordinaire ou pour une liste minoritaire.
18. S’agissant de la loi sur la Cour constitutionnelle, l’Assemblée
a, en outre, demandé:
18.1. que soit
abolie la limitation des compétences de la Cour constitutionnelle
en matière économique;
18.2. que soit supprimée de la Constitution l’interdiction faite
à la Cour constitutionnelle de se référer à sa jurisprudence antérieure
au 1er janvier 2012;
18.3. que soit instaurée une période de pause obligatoire pour
les membres du parlement, à l’instar de ce qui existe déjà pour
les membres du gouvernement, les chefs de partis politiques et les
dirigeants de l’Etat, entre la fin du mandat politique et la prise
de nouvelles fonctions, avant qu’ils ne soient éligibles en tant
que juge à la Cour constitutionnelle.
19. S’agissant des lois relatives au système judiciaire, nonobstant
les améliorations apportées aux lois concernées en coopération avec
le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, l’Assemblée a demandé:
19.1. que la possibilité de transférer
des affaires soit retirée des compétences reconnues au Président de
l’Office national de la justice;
19.2. que soit retirée de la loi la possibilité reconnue au
Président de l’Office national de la justice d’annuler le résultat
de concours de nomination de juges;
19.3. qu’aux termes de la loi, toutes les décisions du Président
de l’Office national de la justice puissent faire l’objet d’un recours
devant les tribunaux, aussi bien sur le fond que pour des motifs
de procédure.
20. Enfin, s’agissant de la législation applicable aux médias,
l’Assemblée a demandé:
20.1. que
soient annulées les conditions fixées pour l’enregistrement des
médias de la presse écrite et de la presse en ligne;
20.2. que le Conseil des médias soit séparé fonctionnellement
et juridiquement de l’Autorité des médias;
20.3. qu’aux termes de la loi, toutes les décisions du Conseil
des médias ou de l’Autorité des médias puissent faire l’objet d’un
recours devant les tribunaux, aussi bien sur le fond que pour des
motifs de procédure.
3. Loi sur la liberté
de religion et le statut des Eglises
21. S’agissant de la loi cardinale CCVI sur le droit
à la liberté de conscience et de religion et le statut légal des
Eglises, des groupes confessionnels et des communautés religieuses,
dans leur première réponse en date du 28 mars 2014, les autorités
hongroises ont expliqué les procédures et les critères de reconnaissance
du statut d’Eglise à un groupe confessionnel ainsi que le rôle du
parlement et m’ont informé que les critères juridiques régissant
la reconnaissance d’une Eglise étaient pleinement en conformité
avec les normes internationales, dont la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme.
22. Elles n’ont fait état, en revanche, d’aucune disposition prévoyant
la possibilité de faire appel, comme l’avait demandé l’Assemblée,
contre toute décision d’accepter ou de rejeter une demande de reconnaissance en
tant qu’Eglise devant une juridiction ordinaire, aussi bien sur
le fond que pour des motifs de procédure.
23. Pendant mon séjour en Hongrie, j’ai rencontré plusieurs groupes
confessionnels et discuté de cette question avec un certain nombre
d’autres personnes. Il s’avère qu’il y a une distinction, dans ce
pays, entre les Eglises dites «traditionnelles» et «non traditionnelles»;
les Eglises traditionnelles bénéficient de certaines subventions
de l’Etat, ce qui n’est pas le cas des Eglises non traditionnelles,
qui prennent assez mal cette situation. En revanche, j’ai eu l’impression
que la liberté de religion en Hongrie n’était soumise à aucune pression,
ni restriction. Tout un chacun peut pratiquer sa religion comme
il le souhaite; la seule différence, c’est que les groupes religieux
ne disposent pas tous des mêmes ressources financières.
24. S’agissant des subventions octroyées, il m’a été répondu qu’elles
étaient destinées à l’action sociale à caractère caritatif menée
par les Eglises, comme l’aide aux personnes démunies et autres activités communautaires.
25. Selon le Secrétaire de la Commission de Venise, des progrès
pourraient être notés sur la liberté de religion. L’Assemblée et
la Commission de Venise avaient critiqué le fait que la reconnaissance
des communautés religieuses relevait directement du parlement, situation
que le 5e amendement a modifiée. A présent,
le parlement n’est plus habilité à reconnaître à proprement parler
les groupes religieux mais prend la décision de coopérer ou non
avec telle ou telle communauté religieuse, ce qui ne change pas
grand-chose dans la pratique.
26. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé, le 8 avril
2014, que la loi violait l’article 11 (liberté de réunion et d’association)
interprété à la lumière de l’article 9 (liberté de pensée, de conscience
et de religion) de la Convention européenne des droits de l’homme
(STE no 5) puisqu’elle bafouait les droits
des groupes religieux en les privant de leur statut d’Eglise. La
Cour a estimé notamment que le gouvernement hongrois n’avait pas
démontré qu’il était impossible d’apporter des solutions moins drastiques
que l’annulation de l’enregistrement des communautés requérantes
aux problèmes relatifs à l’utilisation abusive par certaines Eglises
des subventions de l’Etat. En outre, il est incompatible avec le
devoir de neutralité de l’Etat en matière religieuse que des groupes
religieux soient tenus de saisir le parlement pour obtenir leur
réenregistrement comme Eglise et que, s’agissant des avantages matériels,
ils soient traités différemment, sans motif objectif, des Eglises
«légalement établies». La demande de renvoi à la Grande chambre
déposée par le Gouvernement hongrois a été rejetée et l’arrêt est
devenu définitif le 8 septembre 2014. Dans son arrêt, la Cour a
réservé la plupart des questions se rapportant à la satisfaction
équitable (article 41) et invité les parties à lui donner connaissance,
dans un délai de six mois, soit jusqu’au 8 mars 2015, de tout accord
auquel elles pourraient parvenir. Le gouvernement hongrois a informé
la Cour que les négociations progressaient et demandé le report du
délai au 15 mai 2015. Le 15 mai 2015, les autorités hongroises ont
informé le Conseil de l’Europe que six Eglises étaient sur le point
de signer un accord et quatre autres, un accord partiel.
4. Loi sur l’élection
des membres du parlement
27. S’agissant de la loi cardinale CCIII sur l’élection
des membres du parlement de Hongrie, les recommandations de l’Assemblée
étaient pleinement en conformité avec une décision de 2005 de la
Cour constitutionnelle hongroise qui avait déjà critiqué l’absence
de critères concernant la redéfinition des limites des circonscriptions.
Toutefois, les circonscriptions électorales n’ont pas été redécoupées
par une autorité indépendante sur la base de critères juridiques
clairs comme l’avait demandé l’Assemblée. Or, l’Assemblée elle-même
reconnaît qu’«en adoptant la loi sur l’élection des membres du parlement,
les autorités ont répondu aux recommandations de la Commission de
Venise et à la décision de la Cour constitutionnelle concernant
le problème des écarts de taille entre circonscriptions».
28. A l’Assemblée qui demandait que les limites mêmes des circonscriptions
ne soient pas définies par la loi, en particulier par une loi cardinale,
les autorités hongroises ont répondu que, de leur point de vue,
cette définition par une loi cardinale était nécessaire.
29. A la recommandation de l’Assemblée selon laquelle les autorités
devaient s’efforcer de parvenir à un large consensus entre tous
les partis politiques au sujet de la formule des dites «compensations»
et permettre aux électeurs appartenant à des minorités de choisir
jusqu’au jour du scrutin s’ils veulent voter pour un parti ordinaire
ou pour une liste minoritaire, ces mêmes autorités ont répondu que,
pour des raisons pratiques, il était impossible de donner aux électeurs
de groupes minoritaires la possibilité de choisir jusqu’au jour
du scrutin. Les autorités ont expliqué que, selon la Commission
de Venise, l’enregistrement préalable des électeurs appartenant
à des minorités était acceptable si un délai raisonnablement court
leur était laissé pour faire leur choix. Conformément à ces dispositions
légales, un électeur appartenant à une minorité peut s’enregistrer
en tant que tel jusqu’à 16 jours avant le jour des élections. Dans
ce cas, il peut voter pour la liste de sa nationalité ou, en absence
d’une telle liste, pour une liste de parti. Cependant l’option d’annuler
son enregistrement sur la liste électorale est ouverte jusqu’à deux
jours avant le jour de l’élection (en pratique jusqu’au vendredi).
Dans ce délai, l’électeur est informé de toutes les circonstances,
comme les partis qui ont une liste de parti, l’existence d’une liste
minoritaire, et aussi des noms figurant sur une telle liste.
30. Mes interlocuteurs en Hongrie ont expliqué que la Cour constitutionnelle
avait invalidé la précédente carte électorale qui avait été établie
par ordonnance gouvernementale dans les dernières années du régime communiste;
elle avait, en outre, demandé que les écarts de taille, en termes
de nombre de votants, entre les circonscriptions électorales soient
réduits En conséquence, les circonscriptions électorales ont été redécoupées
par le gouvernement. Le président de la Commission électorale nationale
a nié l’existence de toute arrière-pensée politique dans la façon
dont les circonscriptions ont été redécoupées. Les autorités hongroises
ont également souligné que le point de départ de la
Résolution 1941 (2013) était incorrect concernant le niveau de réglementation.
En 2010, la Cour constitutionnelle a décidé d’annuler le décret
du gouvernement qui régulait les limites des circonscriptions. Dans
son jugement, la Cour a souligné que la formation des circonscriptions
était étroitement liée à l’exercice du droit de vote.
31. Selon le Secrétaire de la Commission de Venise, la question
des limites des circonscriptions soulevée par l’Assemblée n’a pas
été réglée mais le principal problème ne concernait pas apparemment
la loi sur l’élection des membres du parlement mais la loi relative
aux procédures électorales qui n’a pas été examinée par la Commission
de Venise. Beaucoup de critiques ont été formulées à propos, en
particulier, du vote à l’étranger. Toutefois, il n’est pas inhabituel
parmi les Etats membres du Conseil de l’Europe d’accorder le droit de
vote à leurs ressortissants vivant à l’étranger; les critiques,
dans le cas des autres Etats membres, portent généralement sur les
restrictions pesant sur le droit de vote de ces ressortissants.
Le 15 mars, dans les affaires Vámos et
autres c. Hongrie, la Cour européenne des droits de l’homme
a débouté les requérants, selon lesquels il existait une discrimination
entre les ressortissants hongrois vivant à l’étranger dans l’exercice
du droit de vote.
5. Loi sur la Cour
constitutionnelle
32. S’agissant de la loi cardinale CLI sur la Cour constitutionnelle,
la limitation des compétences de la Cour constitutionnelle en matière
économique, que l’Assemblée avait demandé de supprimer, est restée
en vigueur. Les autorités hongroises ont expliqué que selon la Loi
fondamentale, tant que la dette de l’Etat dépasse la moitié du produit
intérieur brut (PIB), la Cour constitutionnelle peut réexaminer
certaines lois sur les questions économiques par le biais de la
Loi fondamentale, exclusivement en ce qui concerne les droits à
la vie et la dignité humaine, à la protection des données à caractère
personnel, la liberté de pensée, de conscience et de religion, ou
les droits liés à la citoyenneté hongroise, et elle peut annuler
ces lois uniquement en cas de violation de ces droits. Les autorités
hongroises soulignent que la restriction ci-dessus est de nature
temporaire et limitée dans sa portée. En outre, la Cour constitutionnelle
peut poursuivre l’examen de la violation des droits fondamentaux
de la personne définis dans la Loi fondamentale. Ainsi, la règle
limitant la Cour constitutionnelle ne l’empêche pas, par exemple,
de réviser des lois fiscales sur la base d’une violation du droit
à la dignité humaine.
33. Les autorités hongroises affirment que, dans le cadre des
résolutions antérieures de la Cour constitutionnelle, le but de
l’interdiction faite à la Cour constitutionnelle de se référer à
sa jurisprudence antérieure au 1er janvier
2012 est de faire en sorte que les dispositions de la Loi fondamentale
soient construites dans le cadre de la Loi fondamentale indépendamment
du système de l’ancienne Constitution. Par ce biais, le législateur
indique clairement que la Cour constitutionnelle n’est pas liée
aux décisions adoptées sur la base de l’ancienne Constitution, mais
que la Cour est libre de se référer à sa jurisprudence antérieure.
34. La période de pause obligatoire pour les membres du parlement,
dont l’Assemblée a demandé l’introduction et qui existe déjà pour
les membres du gouvernement, les chefs de partis politiques et les dirigeants
de l’Etat, entre la fin du mandat politique et la prise de nouvelles
fonctions, avant qu’ils ne soient éligibles en tant que juge à la
Cour constitutionnelle, n’a pas été instaurée car les autorités
ont estimé que la question méritait d’être approfondie.
35. L’opposition a également critiqué le pouvoir de la majorité
de nommer d’anciens députés au poste de juge près la Cour constitutionnelle
sans que ces députés aient déjà exercé la fonction de juge et sans
qu’il y ait une période de pause entre leurs activités politiques
et leurs activités judiciaires.
36. Selon M. Thomas Markert, Secrétaire de la Commission de Venise,
en dépit des restrictions que l’Assemblée a critiquées dans sa résolution,
la Cour constitutionnelle a pu jouer son rôle de principal organe de
contrôle du pouvoir de ceux qui détiennent actuellement la majorité.
Il reste cependant souhaitable d’abroger certaines des dispositions
adoptées dans le 4e amendement.
6. Lois sur le système
judiciaire
37. S’agissant des lois cardinales sur le système judiciaire,
le pouvoir du Président de l’Office national de la justice de transférer
des affaires ainsi que la possibilité, pour cette personne, d’annuler
le résultat de concours de nomination de juges suscitaient des inquiétudes.
38. J’ai été informé des améliorations aux lois applicables, en
coopération avec le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, et
notamment que la possibilité de transférer des affaires avait été
bel et bien retirée des compétences du Président de l’Office national
de la justice, comme l’avait demandé l’Assemblée.
39. S’agissant des recommandations faites par l’Assemblée concernant
la suppression de la possibilité reconnue au Président de l’Office
national de la justice d’annuler le résultat de concours de nomination
de juges, j’ai appris que cette possibilité avait été précisée,
restreinte, et que le Conseil national de la magistrature, indépendant,
était l’organe compétent pour prendre des décisions sur ces propositions.
40. Les autorités hongroises ont confirmé que, selon la loi, toutes
les décisions du Président de l’Office national de la justice peuvent
faire l’objet d’un recours devant les tribunaux, aussi bien sur
le fond que pour des motifs de procédure, comme l’avait demandé
l’Assemblée.
41. Selon le Secrétaire de la Commission de Venise, l’indépendance
de la magistrature est le domaine où les plus grands progrès ont
été réalisés et le système est à présent plus équilibré concernant
les pouvoirs du président de l’Office national de la justice et
les organes d’autogestion judiciaire.
7. Législation applicable
aux médias
42. En mai 2012, la Direction générale Droits de l’homme
et Etat de droit du Conseil de l’Europe a publié une analyse, effectuée
par des experts, de la législation hongroise applicable aux médias,
qui a mis en évidence plusieurs sujets de préoccupation. Sur la
base de cette analyse, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe
et les autorités hongroises ont engagé des discussions au terme
desquelles certaines modifications ont été apportées à la législation.
43. Dans sa résolution de 2013, l’Assemblée a demandé l’abolition
des conditions fixées pour l’enregistrement des médias de la presse
écrite et de la presse en ligne. Toutefois, les autorités hongroises m’ont
informé que ces conditions existaient depuis toujours. Elles ont
en outre souligné que l’enregistrement n’est qu’une formalité, une
procédure de type administratif, qui n’entraîne pas d’examen substantiel
du contenu du service. La loi énonce clairement que l’enregistrement
n’est pas une condition de commencement d’activité, puisqu’il suffit
que l’enregistrement du produit de presse ait lieu dans les 60 jours
après le commencement de l’activité. Ainsi, l’enregistrement n’est
pas un acte constitutif, mais déclaratif. L’autorité n’a pas de
pouvoirs discrétionnaires lors de l’enregistrement concernant l’évaluation
de l’enregistrement. L’autorité est obligée d’enregistrer un produit
de presse dans le registre, si les exigences légales sont remplies.
44. L’Assemblée, demandait également que le Conseil des médias
soit séparé, fonctionnellement et juridiquement, de l’Autorité des
médias, et qu’une disposition juridique soit adoptée prévoyant que
toutes les décisions du Conseil des médias ou de l’Autorité des
médias puissent faire l’objet d’un recours devant les tribunaux.
45. Le Conseil des médias n’a pas été séparé fonctionnellement
et juridiquement de l’Autorité des médias, contrairement à ce qu’avait
demandé l’Assemblée. Dans leur réponse, les autorités ont indiqué
qu’il n’y a pas une «Autorité des médias» en plus du Conseil des
médias, mais seulement une Autorité unique et convergente, administrant
les médias et l’information et les questions de technologie des
communications. Un des organes indépendants et distincts de cette
Autorité est le Conseil des médias, qui dispose de pouvoirs précisément
définis par la loi, tandis que le Président de l’Autorité des médias
n’exerce aucun pouvoir concernant les médias.
46. S’agissant du Conseil des médias et de l’Autorité des médias,
il s’avère que ces deux organes ont des fonctions distinctes. Le
Conseil des médias s’occupe principalement de la presse écrite et
des médias de radiodiffusion; l’Autorité des médias s’intéresse
à l’internet et à d’autres types de média électronique. Ces deux instances
travaillent dans le même bâtiment mais il ne semble pas qu’il y
ait un conflit majeur d’intérêts entre leurs activités respectives.
47. Enfin, les autorités hongroises m’ont informé que, selon la
loi, toutes les décisions du Conseil des médias ou de l’Autorité
des médias peuvent faire l’objet d’un recours devant les tribunaux,
aussi bien sur le fond que pour des motifs de procédure, comme l’Assemblée
l’avait demandé.
48. Deux autres questions ont été soulevées lors de ma visite;
l’une d’elles concerne un nouvel impôt sur les médias et la taxation
des recettes des chaînes de télévision privées. Une question a suscité
des inquiétudes: le fait qu’une seule chaîne de télévision privée
sera touchée par cette mesure, à savoir la chaîne RTL Klub dont
la société Bertelsmann est en partie propriétaire; cette mesure
est donc apparue comme discriminatoire. Les autorités hongroises
ont expliqué que le principe sous-jacent de la nouvelle réglementation est
que chacun devrait payer des impôts en fonction de sa capacité et
de sa performance financière. Sur les bases de ce même principe,
les impôts des secteurs bancaires, de l’énergie, de la distribution
et des télécommunications ont été également augmentés. Les entreprises
opérant dans ces secteurs perçoivent des revenus publicitaires élevés
qui ne sont pas soumis à la taxe sur la valeur ajoutée ou la taxe
sur les sociétés, constituant ainsi une perte pour le budget de
l’Etat hongrois et en même temps une contradiction avec le principe
de la répartition équitable des charges fiscales. La taxe sur la
publicité n’est pas intrusive dans les opérations internes d’un
seul journal, une seule chaîne de télévision ou d’autres plates-formes
de médias; par conséquent, elle n’aura aucun effet sur la liberté
des médias. Les autorités hongroises m’ont informé qu’une large
modification de cette loi est en préparation, mais qu’elle n’avait
pas encore été soumise au parlement.
49. M. Nils Muižnieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil
de l’Europe, qui s’est rendu en Hongrie en juillet 2014 (
CommDH
(2014) 21), a souligné que les médias restaient soumis à un cadre
juridique inadapté et à des pressions politiques.
50. La Commission de Venise n’a pas étudié la législation applicable
aux médias. Elle a, toutefois, formulé des critiques portant sur
l’interdiction de la publicité payante dans les médias pendant les
campagnes électorales car elle craint que ce soit un obstacle à
l’accès aux médias, notamment pour les petits partis et l’opposition;
elle a, en outre, estimé que les restrictions constitutionnelles
à la liberté d’expression pour protéger la dignité de la nation
ou de communautés hongroises étaient trop grandes.
51. A sa partie de session de janvier 2015, l’Assemblée a invité
la Commission de Venise à recenser les dispositions qui représentent
un danger pour le droit à la liberté d’expression et d’information
par l’intermédiaire des médias dans la loi hongroise CLXXXV de 2010
relative aux services médiatiques et aux médias de masse, dans la
loi hongroise CIV de 2010 sur la liberté de la presse et les règles
fondamentales régissant le contenu des médias et dans les lois fiscales
hongroises concernant l’impôt progressif sur les médias pour les
recettes publicitaires. La Commission de Venise compte adopter son
avis en juin 2015.
8. Autres commentaires
52. Le Parti socialiste hongrois (opposition) m’a communiqué
sa position sur les questions examinées le 11 janvier 2015. Selon
lui, le Gouvernement hongrois n’a appliqué que très peu des recommandations formulées
par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en juin 2013.
Le fait nouveau le plus marquant de ces derniers temps, c’est qu’à
présent, le Premier ministre, Viktor Orbán, exprime ouvertement son
rejet de la démocratie libérale. En conséquence, selon le Parti
socialiste, le Gouvernement dirigé par Viktor Orbán ne fait même
plus officiellement le moindre effort pour se conformer aux principes
fondamentaux de la démocratie libérale en matière d’organisation
de l’Etat et de protection du droit dont la promotion est pourtant la
mission principale du Conseil de l’Europe.
53. Durant l’audition tenue par la commission durant la partie
de session de janvier 2015, M. Gábor Harangozó, membre de la délégation
hongroise auprès de l’Assemblée représentant l’opposition, a rappelé que
la commission de suivi avait rejeté à une seule voix près l’ouverture
d’une procédure de suivi à l’égard de la Hongrie. Or, très peu de
problèmes soulevés par l’Assemblée dans sa
Résolution 1941 (2013) ont été réglés. La loi sur les Eglises devrait être
révisée au vu de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme. La
loi sur la Cour constitutionnelle n’a pas été modifiée comme le
préconisaient les recommandations. En matière de médias, le Conseil
des médias n’a pas été séparé de l’Autorité des médias et plusieurs
nouvelles mesures restrictives ont été introduites. Le système électoral
continue de donner au parti au pouvoir un avantage injuste puisqu’il
lui assure une majorité des deux tiers avec seulement 44 % des suffrages.
En outre, depuis 2013, un certain nombre de faits marquants se sont
produits en Hongrie qui ont eu une influence négative sur le fonctionnement
de la démocratie. En conclusion, le Parti socialiste a estimé que
le temps n’était pas venu de mettre fin à l’examen approfondi de
la situation en Hongrie.
54. De l’avis du Secrétaire de la Commission de Venise, la Constitution
reste le document d’un seul parti politique et non pas de l’ensemble
de la nation. Trop de questions sont réglementées par des lois cardinales qui
sont difficiles à modifier car il faut, pour ce faire, une majorité
des deux tiers.
55. M. Zsolt Németh, président de la délégation hongroise auprès
de l’Assemblée, a souligné que le gouvernement et la majorité parlementaire
ont réussi à approuver une nouvelle Loi fondamentale et plusieurs lois
cardinales pour remplacer les anciens textes législatifs. Il a remercié
la Commission de Venise et le Commissaire aux droits de l’homme
de leur soutien, affirmant que toutes les observations du Conseil
de l’Europe étaient utiles pour procéder à des «ajustements». Les
médias ne sont en butte à aucune ingérence et le gouvernement a
affirmé sans détour sa volonté d’appliquer une tolérance zéro en
matière de racisme anti-Roms et d’antisémitisme.
56. L’un des membres de notre commission a exprimé le souhait
que les observations adressées par l’Assemblée parlementaire soient
utiles à la Hongrie. D’autres pays d’Europe centrale devraient suivre
de près ce qui s’y passe. Un autre membre a estimé qu’il y avait
une véritable recrudescence de l’autoritarisme en Hongrie et que
l’Assemblée devait demander aux Hongrois de prêter attention aux
inquiétudes de leurs amis, dont la Commission de Venise et le Commissaire
aux droits de l’homme. Certains freins et contrepoids, qui sont
essentiels, ont été supprimés.
9. Conclusions
57. Deux ans après l’adoption de la
Résolution 1941 (2013) de l’Assemblée, il est temps de faire le bilan des progrès
réalisés concernant la mise en œuvre de cette résolution.
58. S’agissant de la nouvelle loi hongroise sur les Eglises, la
Cour européenne des droits de l’homme a jugé, le 8 avril 2014, qu’elle
violait l’article 11 (liberté de réunion et d’association) interprété
à la lumière de l’article 9 (liberté de pensée, de conscience et
de religion) de la Convention européenne des droits de l’homme puisqu’elle
bafouait les droits des groupes religieux en les privant de leur
statut d’Eglise.
59. S’agissant du redécoupage des circonscriptions électorales
en Hongrie, effectué en application d’une décision de la Cour constitutionnelle,
j’avoue m’être fait la réflexion que, dans mon propre pays, nous
avions eu exactement le même débat. S’il n’y avait pas eu de désaccord
au sein des partenaires de la coalition au pouvoir, les changements
auraient été adoptés. Ils auraient profité au Parti conservateur
au détriment du Parti travailliste mais comme mes électeurs s’insurgent
contre le fait d’être 75 000 alors que dans certaines autres régions
du pays, il n’y a que 45 000 électeurs, nous considérions qu’un
redécoupage était raisonnable et juste. Par conséquent, la Cour
constitutionnelle hongroise a probablement jugé raisonnable de redécouper
les circonscriptions.
60. Les partis d’opposition prétendent que le redécoupage n’est
pas juste, mais il y a lieu de noter que la Commission de Venise
n’a pas trouvé de preuve à l’appui de leurs affirmations. A ce sujet,
l’Assemblée recommandait qu’un organe indépendant soit chargé de
ce processus – recommandation qui n’a pas été appliquée. L’OSCE/BIDDH
était du même avis.
61. La Commission de Venise a clairement critiqué les restrictions
imposées à la Cour constitutionnelle en matière économique.
62. Comme indiqué précédemment, aucun changement n’a été apporté
dans la loi à la suite de l’avis formulé par la Commission de Venise
sur la possibilité pour la Cour de se référer à sa jurisprudence
antérieure. La Cour constitutionnelle a toutefois déclaré, dans
sa décision 13/2013, qu’il était possible de se référer à la substance
de sa jurisprudence créée sous l’ancienne Constitution et l’a fait
dans un certain nombre de ses récentes décisions (c’est-à-dire celles
adoptées après l’entrée en vigueur du Quatrième Amendement). La Cour
constitutionnelle se réfère en effet amplement à sa jurisprudence
antérieure (par exemple les décisions 12/2013, 3109/2013 et 3104/2013).
63. La nomination près la Cour constitutionnelle de personnes
ayant déjà exercé la fonction de juge n’est pas une obligation.
L’instauration d’une période de pause serait judicieuse dans les
circonstances actuelles en Hongrie, mais ce n’est pas la règle dans
d’autres pays.
64. S’agissant du système judiciaire, la question du transfert
d’affaires entre juges a été réglée grâce à des amendements législatifs,
dans le cadre du dialogue avec le Secrétaire Général. Globalement,
le président de l’Office national de la justice n’a plus autant
de pouvoirs qu’avant.
65. S’agissant des médias, la Commission de Venise n’avait pas
été consultée sur les questions relatives à leur réglementation.
Toutefois, à sa partie de session de janvier 2015, l’Assemblée a
invité la Commission de Venise à recenser les dispositions qui représentent
un danger pour le droit à la liberté d’expression et d’information
par l’intermédiaire des médias dans la loi relative aux services
médiatiques et aux médias de masse, dans la loi sur la liberté de
la presse et les règles fondamentales régissant le contenu des médias
et dans les lois fiscales hongroises concernant l’impôt progressif
sur les médias pour les recettes publicitaires. La Commission de
Venise compte adopter son avis en juin 2015.
66. En conclusion, tandis que nous devons nous féliciter des mesures
prises par les autorités hongroises et de la coopération constante
avec le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, nous encourageons
les autorités hongroises à continuer le dialogue ouvert et constructif
avec les différents interlocuteurs du Conseil de l’Europe et les
autres organisations.
67. Comme c’était le cas il y a deux ans, je maintiens ma position
initiale et je crois que l’Assemblée parlementaire a pris la bonne
décision de ne pas ouvrir de procédure de suivi à l’égard de la
Hongrie. A la lumière de ce qui précède, je pense qu’il n’est pas
nécessaire de poursuivre un examen spécial en ce qui concerne la
Hongrie.