1. Introduction
1. Le 4 juillet 2014, j’ai signé
et présenté avec 19 autres membres de l’Assemblée parlementaire
une proposition de résolution faisant observer que «[l]’Europe coopère
de plus en plus avec ces pays de transit dans le but de réduire
le nombre d’arrivées en Europe. En conséquence, certains pays de
transit ont de plus en plus clos leurs frontières pour prévenir
l’entrée des migrants sur le territoire européen. Cette évolution
ne s’accompagne pas toujours pour les migrants et les réfugiés d’un
meilleur accès à la protection et aux droits fondamentaux». L’Assemblée
a alors été appelée à «partager son expérience de la migration et
de l’asile avec ces pays en examinant les défis auxquels ils se
heurtent en la matière et en leur proposant son aide pour les relever».
Le 23 mars 2015, la commission des migrations, des réfugiés et des
personnes déplacées a décidé que le présent rapport devait également
aborder les questions soulevées dans la proposition concernant «L’application
de l’arrêt Hirsi: a-t-on mis fin aux renvois?»
.
2. En apparence, le concept de «pays de transit» se borne à indiquer
qu’un migrant a transité par un pays donné au cours de son voyage
entre son pays d’origine et le pays de destination final. Il ne
tient pas compte des causes du départ du pays d’origine, du temps
passé par le migrant et de son comportement dans le «pays de transit»,
pas plus que de ses raisons de le quitter. Sauf à l’élaborer plus
avant et à l’inscrire dans un cadre conceptuel élargi, ce concept
est imprécis et constitue une base peu fiable pour la formulation
des politiques. Pour qu’elle soit efficace, il faut considérer la
politique migratoire dans une perspective globale: tous les pays à
partir desquels, à travers ou vers lesquels peuvent voyager des
migrants doivent coopérer et coordonner leurs actions, avec le soutien
de la communauté internationale. En outre, les politiques doivent
être axées sur la situation des individus qui décident de (continuer
de) migrer. Se contenter de désigner un pays comme étant «de transit»
et escompter qu’il bloque unilatéralement toute entrée ou sortie
irrégulière tout en respectant les normes internationales relatives
au respect des droits des migrants est une approche condamnée à
l’échec, comme certains en ont fait la douloureuse expérience
.
2. Définitions et champ d’étude
du rapport
2.1. Description des divers phénomènes
potentiellement couverts par le terme « migration de transit »
3. En commençant au niveau individuel,
la migration de transit peut être étudiée sous quatre angles:
- Premièrement, les intentions
du migrant. Au moment de quitter son pays d’origine a, a-t-il eu l’intention de transiter
par le pays b avant de parvenir
dans un pays prédéterminé c, ou
l’intention de poursuivre en direction du pays c n’est-elle
née que pendant le séjour passé dans le pays b ? L’intention
première de poursuivre vers le pays c se
doublait-elle de plans concrets et d’efforts orientés ou était-ce
plutôt une aspiration vague, l’objectif principal étant de quitter
le pays a?
- Deuxièmement, la durée du séjour dans le pays b. Si l’on en croit la Division
de la population des Nations Unies, un séjour de 3 à 12 mois peut
être considéré comme une «immigration temporaire» et un séjour de
plus de 12 mois comme une «immigration». Tout séjour de quelques
jours à moins de trois mois peut donc être qualifié de «migration
de transit». Cela étant, ces distinctions sont quelque peu arbitraires;
une définition plus utile tiendrait par exemple également compte
des activités du migrant lors de son séjour dans le pays b .
- Ceci nous amène à un troisième aspect, lequel consiste
à se demander dans quelle mesure un migrant interagit avec le pays b sur un plan social et économique, voire s’il peut s’y intégrer.
De ce point de vue, même une période relativement plus longue passée
dans le pays b peut être considérée
comme une migration de transit si le migrant la passe dans la clandestinité
ou la consacre à des activités dont le seul but est de préparer
la suite de son voyage. De même, une période plus courte durant
laquelle un migrant, qui s’efforce manifestement de s’intégrer,
se voit contraint par un changement de situation à un nouveau déménagement,
peut être vue comme une «immigration temporaire».
- Quatrièmement, on pourrait également analyser les facteurs
«incitatifs» et «dissuasifs» qui influencent le passage d’un migrant
à travers le pays b: il peut
s’agir de la seule voie de sortie légale du pays a; le migrant peut être obligé de
travailler ou de réunir des fonds d’une autre manière dans le pays b afin de payer son passage vers
le pays c; la poursuite de
la migration vers le pays c peut
être motivée par la présence de membres de la famille dans ce pays;
la situation juridique – en particulier la possibilité d’obtenir
une protection – sécuritaire ou socio-économique peut peser sur
l’intention de demeurer dans le pays b;
les contrôles aux frontières du pays de destination envisagé, l’absence
de documents d’identité; le manque de ressources financières, en
particulier pour rétribuer les passeurs .
4. Aux fins du présent rapport, l’analyse ci-dessus fait apparaître
qu’un examen superficiel des déplacements d’un migrant au fil du
temps qui ne tient pas compte de l’évolution de sa situation et
de son état d’esprit subjectif ne suffit pas pour permettre de le
classer ou non comme un migrant de transit. Ceci n’est pas sans
conséquences pour classer des mouvements comme «migration de transit»
ou un pays particulier comme (essentiellement) un «pays de transit».
D’un point de vue pratique, un pays de destination peut en considérer
un autre comme un «pays de transit» parce que des migrants l’ont
traversé, alors qu’en fait, ces derniers ne forment qu’une partie,
voire la minorité, des migrants entrant dans ce pays.
5. De plus, l’expression «pays de transit» peut avoir une forte
résonance dans le discours politique. D’une part, elle peut être
utilisée dans un sens péjoratif dans les pays de destination, en
sous-entendant que le pays de transit ne contrôle pas correctement
ses frontières et pose donc problème, sans reconnaître les causes géopolitiques
de la présence de migrants sur ce territoire. D’autre part, un pays
peut se décrire lui-même comme «pays de transit» pour signaler que
les immigrants ne sont pas les bienvenus, ou même pour dissimuler
des politiques et pratiques qui rendent insupportable le séjour
prolongé des migrants et forcent ces derniers à poursuivre leur
périple. Si les migrants sont dans l’incapacité de partir, le pays
peut attribuer leur présence à la sévérité des contrôles frontaliers
du pays de destination envisagé et se montrer réticent à s’acquitter
pleinement de ses responsabilités envers eux. Aucune de ces deux
stratégies ne contribue à trouver de solutions constructives, durables
et respectueuses des droits fondamentaux des migrants.
6. Il serait également bon de faire la distinction entre différents
types de «pays de transit», à savoir entre ceux qui ne sont que
des «étapes» et ceux qui constituent le «tremplin» final vers l’Union
européenne. Conformément à la proposition originale, qui insiste
sur l’aspect de «l’externalisation» des contrôles aux frontières
de l’Union européenne aux Etats voisins que traversent les migrants
en route vers l’Europe, le présent rapport se concentre sur des
exemples relevant de la deuxième catégorie. Il est néanmoins révélateur que
les efforts déployés par l’Union européenne pour contrôler la migration
s’inscrivent désormais dans une perspective plus large englobant
en particulier les pays d’origine
.Je
considère cette approche «triangulaire» comme indispensable à toute
solution à long terme, dès lors qu’il s’agit de placer les droits
de l’homme au cœur de cette coopération.
7. Il convient également de rappeler que la migration de transit
n’est pas synonyme de migration irrégulière. La plupart des étapes
ponctuant le voyage d’un migrant se font dans la régularité et ce
n’est souvent que lors de la dernière étape pour entrer en Europe
que sa situation devient irrégulière. Les contrôles toujours plus
stricts aux frontières de l’Union européenne signifient aussi que
ce qui pouvait initialement avoir été conçu comme une migration
«de transit» se transforme concrètement en une immigration prolongée,
voire semi-permanente
. Pendant ce temps, la clandestinité
dans laquelle vit le migrant et l’absence de protection qui en découle
l’excluent socialement et économiquement. Privé de toute protection
juridique et exposé à la discrimination et à l’exploitation, il
tombera sous la coupe de passeurs, courant ainsi le risque de subir
d’autres violences et mauvais traitements et de devoir emprunter
des moyens de transport souvent extrêmement périlleux.
2.2. Conséquences pour le champ
d’étude du rapport
8. Tout ceci ne signifie pas que
les concepts de «migration de transit» et de «pays de transit» n’ont
aucune valeur ou utilité, mais plutôt que l’approche plus nuancée
exposée ci-dessus permet une meilleure compréhension de la condition
des migrants, de la nature des flux migratoires spécifiques et de
la situation dans un pays donné. Aussi est-ce cette approche que
j’adopterai en étudiant deux «pays de transit», à savoir la Turquie
(un Etat membre du Conseil de l’Europe) et le Maroc (un «partenaire
pour la démocratie» de l’Assemblée parlementaire)
; et, plus brièvement,
la Libye comme l’illustration la plus extrême des conséquences d’un
échec total de la gestion des migrations.
9. Bien que souvent étiquetés comme pays d’émigration et de transit,
la Turquie et le Maroc ont été confrontés à l’arrivée massive de
migrants et de réfugiés cherchant à rejoindre l’Union européenne.
La crise syrienne ainsi que les souffrances et les graves persécutions
endurées dans d’autres pays voisins n’ont fait qu’amplifier le phénomène.
L’Union européenne a intensifié sa coopération avec ces pays dans
le but de contrôler cette immigration vers ses Etats membres. En
raison notamment de cette coopération, la Turquie et le Maroc sont
de plus en plus devenus eux-mêmes des pays de destination. Dans
le cas de la Turquie en particulier, une grande partie des réfugiés
n’ont initialement pas l’intention de poursuivre leur chemin et
le développement économique du pays attire des travailleurs migrants
toujours plus nombreux. Il serait réducteur de concevoir l’un ou
l’autre pays comme étant uniquement de transit, et absurde de prétendre
qu’une immigration plus ou moins permanente ne constitue pas pour
tous deux une réalité importante. Il convient toutefois de s’attaquer
et de remédier aux préoccupations que continuent de susciter les
migrants et les réfugiés dans ces pays en matière de droits de l’homme.
La Libye a quant à elle malheureusement évolué dans la direction
totalement inverse: d’un pays d’immigration (essentiellement de
travail), elle est aussi devenue un pays connaissant une migration
de transit massive et non maîtrisée.
3. Itinéraires et pays de transit
pour les migrants vers l’Europe
10. L’Agence européenne pour la
gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures
des Etats membres de l’Union européenne (Frontex) a défini les principales
voies de migration vers l’Union européenne en 2014 comme suit:
i. Itinéraire de la Méditerranée centrale
– au total, 170 664 franchissements illégaux des frontières;
ii. Itinéraire de la Méditerranée orientale – 50 834;
iii. Itinéraire des Balkans occidentaux– 43 357;
iv. Itinéraire «circulaire» de l’Albanie à la Grèce (près
de 100 % de main-d’œuvre irrégulière) – 8 841;
v. Itinéraire de l’ouest de la Méditerranée (par voie terrestre
jusqu’à Ceuta et Melilla et par voie maritime jusqu’à l’Espagne
continentale) – 7 842;
vi. Itinéraire des frontières de l’est – 1 275 (Frontex observe
que l’utilisation abusive des voies légales de la migration est
plus fréquente que le franchissement illégal de frontières);
vii. Itinéraire de la mer Noire – 433;
viii. Itinéraire d’Afrique occidentale (vers les îles Canaries)
– 276 .
11. Si l’on opte pour la définition large de «pays de transit»
du paragraphe 6 ci-dessus, on peut conclure qu’un grand nombre d’Etats
membres du Conseil de l’Europe et de pays voisins connaissent une
migration de transit, les plus notables paraissant être:
- le Maroc, la Libye, la Serbie,
le Kosovo* , l’Albanie «l’ex-République
yougoslave de Macédoine», la Turquie et l’Ukraine en tant que «tremplins»
(de point de vue de l’Union européenne);
- l’Espagne, l’Italie, Malte, la Grèce, la Bulgarie, la
Hongrie et la Pologne en tant que pays d’entrée et de transit au
sein de l’Union européenne;
- On peut également citer des pays de l’Union européenne
tels que la France, que les migrants traversent sur leur trajet
vers le Royaume-Uni, et l’Autriche, qui se trouve dans une situation
comparable, sur leur trajet vers l’Allemagne.
Il
est à noter que les pays de transit se trouvent aussi bien à l’intérieur
qu’à l’extérieur des frontières de l’Union européenne, un aspect
souvent négligé dans le débat politique autocentré de l’Union européenne.
Que ce soit pour des raisons économiques, culturelles ou familiales,
il est fréquent que la destination prévue ne soit pas l’Union européenne
en tant que tout monolithique, mais un Etat membre en particulier.
Deux facteurs permettent notamment de faire la distinction entre
ces deux situations: dans la plupart des pays de l’Union européenne,
le cadre juridique pertinent est pleinement mis en harmonie avec
le régime d’asile européen commun; et les contrôles aux frontières
intérieures de l’Union européenne sont rares ou inexistants, du
moins en ce qui concerne les pays de l’espace Schengen, contrairement
aux contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne,
qui sont extrêmement stricts. Comme observé précédemment, le présent
rapport se concentrera sur la situation dans les pays de transit
«tremplins», dont en particulier la Turquie, le Maroc et la Libye.
Parallèlement au nombre important de migrants et de réfugiés auquel
ils doivent faire face, les deux premiers pays présentent un intérêt
particulier en raison de leur intense coopération avec l’Union européenne en
matière de migration. L’évaluation de l’impact de cette coopération
m’amène à formuler certaines recommandations à l’intention de l’Union
européenne. La Libye est l’un des principaux pays de départ vers l’Union
européenne et elle est confrontée à l’absence d’une véritable autorité
étatique, d’où la nécessité pour l’Union européenne d’adopter une
approche différente à son égard. Dans les deux cas toutefois, les
droits de l’homme des migrants et des réfugiés doivent être au cœur
des préoccupations.
4. Défis à relever par les
pays de transit
4.1. Défis intérieurs
12. On a dit que, en «contenant
les pressions relatives à la migration plutôt qu’en les résolvant,
le Maroc s’est transformé d’un pays de transit vers l’Europe en
«pays d’accueil réticent» d’une population de migrants»
.
L’attitude des dirigeants politiques et la perception du public,
révélatrices de cette réticence, vont de pair. C’est pourquoi il
est important que les faiseurs d’opinion, notamment parmi les responsables
politiques et les médias, agissent de manière responsable en présentant
une vision équilibrée, honnête et précise de la migration et des
communautés de migrants, en ne cédant surtout pas à l’alarmisme,
à la stigmatisation ou au discours de haine. Ce type d’attitude
responsable doit trouver son expression dans un cadre juridique
et politique positif et réaliste garantissant un statut et une protection
juridiques, ainsi qu’un accès à des droits fondamentaux tels que
les soins de santé, l’emploi, l’éducation, la formation et le regroupement
familial, en assurant ainsi stabilité et dignité aux migrants et
en leur offrant les moyens de s’intégrer. Je souhaiterais à cet égard
comparer la situation respective de la Turquie et du Maroc.
13. Ces dernières années, l’évolution sensible de la position
du Gouvernement turc envers la migration et la protection internationale
s’est notamment caractérisée par deux événements: l’introduction
en 2014 d’une nouvelle «loi sur les étrangers et la protection internationale»,
et la réaction à l’arrivée massive de réfugiés syriens. Bien que
non encore pleinement mise en œuvre, y compris dans des domaines
d’importance comme le renforcement des capacités et la réglementation
de questions telles que l’accès à l’éducation et au marché du travail,
ladite loi répond effectivement aux normes de protection internationales
et, pour la première fois, institue un cadre juridique global et
moderne parallèlement à la création d’un organe administratif spécialisé: la
Direction générale pour la gestion des migrations. Elaborée en étroite
collaboration avec des organisations internationales comme le HCR
et l’OIM, ainsi qu’avec des organisations nationales de la société
civile, la nouvelle loi montre que la Turquie ne considère pas la
politique migratoire comme une charge indésirable imposée par une
Union européenne uniquement soucieuse de ses propres intérêts et
ne cherchant qu’à externaliser le contrôle de ses frontières, mais
bien comme un enjeu d’intérêt national. Cette loi reconnaît en outre
que des politiques migratoires efficaces et durables supposent le
respect et la protection des droits humains fondamentaux des migrants.
Aussi la Turquie et l’Union européenne sont-elles désormais partenaires dans
une situation gagnant-gagnant, indépendamment de questions non résolues
dans d’autres domaines tels que la libéralisation du système de
visas de l’Union européenne, les accords de réadmission ou les négociations
d’adhésion plus vastes. De surcroît, la Turquie accueille près de
deux millions de réfugiés dont bon nombre aurait sans nul doute
tenté de pénétrer sur le territoire de l’Union européenne sans la
protection que leur accorde la nouvelle loi de 2014 et les dépenses
considérables supportées par les autorités publiques
.
14. Quant au Maroc, la déclaration prononcée par le roi en septembre
2013, à la suite d’un rapport du Conseil national des droits de
l’Homme (CNDH)
,
témoigne de l’acceptation au plus haut niveau de la nécessité d’une
politique d’asile et de migration globale, cohérente et «humaniste».
L’intégration de normes internationales relatives aux droits des
migrants dans le projet escompté de nouvelle législation, ainsi
que des mesures telles que la régularisation des réfugiés et des
migrants irréguliers, peuvent laisser espérer que des améliorations
notables se feront sentir dans la situation des migrants, ainsi
que dans l’attitude des autorités et des citoyens et que le Maroc
deviendra un exemple de bonnes pratiques pour les autres pays de
la région. Bien d’autres mesures restent cependant à prendre afin
de mettre en œuvre efficacement une politique de migration et d’intégration
garantissant le droit à la protection, la liberté de circulation
et l’accès aux services essentiels ainsi qu’au marché du travail
et à l’éducation En revanche, mes rencontres avec des responsables marocains
ont révélé une tendance persistante à imputer à la rigueur des contrôles
frontaliers européens la présence de migrants (en particulier irréguliers)
au Maroc. S’il est vrai que d’un point de vue pratique, ces contrôles
empêchent certains migrants de quitter le Maroc, ceci ne tient pas
compte des facteurs incitatifs qui les ont conduits à quitter leur
pays d’origine et semble impliquer qu’il faudrait autoriser l’entrée
en Europe aux migrants se trouvant au Maroc dont le séjour devait
être transitoire. Bien que les pays européens aient certaines obligations
juridiques et morales envers les migrants, une telle approche fait
fi des réalités, détourne l’attention de la détresse des migrants
et complique la recherche d’un accord politique ouvrant la voie
à des solutions coopératives. Si le Maroc parvient à réaliser que
l’immigration fait désormais partie de la vie du pays et qu’elle
est le reflet de sa situation politique, économique et géographique,
des progrès plus considérables encore pourront être accomplis dans
l’intérêt de tous
.
15. Il est aussi bon de rappeler la taille des populations migrantes
dans ces deux pays. La Turquie (74 millions d’habitants en 2012
)
héberge aujourd’hui près de 2 millions de réfugiés et de demandeurs
d’asile dont près de 1,7 million de Syriens
. En 2011, elle a accueilli
plus de 240 000 ressortissants étrangers titulaires d’un permis
de séjour, délivré près de 17 000 de permis de travail et déclaré
plus de 42 000 migrants irréguliers (immigrants clandestins et en
dépassement de permis de séjour)
.
Le Maroc (32,5 millions d’habitants en 2012) accueille près de 4 000
réfugiés et demandeurs d’asile, dont environ 1 300 Syriens
, ajoutés
à près de 78 000 ressortissants étrangers titulaires d’un permis
de séjour
.
En 2014, le gouvernement a estimé le nombre de migrants irréguliers
à 30 000, dont plus de 27 000 ont demandé à être régularisés dans le
cadre de la procédure exceptionnelle, presque 18 000 d’entre eux
obtenant gain de cause
.
16. A l’autre extrême, la situation de la Libye (6,2 millions
d’habitants en 2012) témoigne des conséquences de l’absence de cadres
institutionnels et législatifs efficaces. «Avant la crise, le chiffre
le plus fréquemment cité était celui de 600 000 travailleurs migrants
réguliers
plus entre 750 000
et 1, 2 million de travailleurs migrants irréguliers vivant en Libye
… Le 28 mars 2011, l’OIM a estimé le nombre total de ressortissants
étrangers vivant en Libye avant la crise à 2,5 millions … Selon
les estimations de l’OIM, 768 372 migrants ont fui les violences en
Libye durant la crise de 2011 ... Bien que la Libye soit avant tout
un pays d’immigration, la détérioration des conditions de vie de
ses immigrants en a également fait un important pays de migration
de transit, en particulier pour les nombreux migrants essayant d’atteindre
Malte et l’île italienne de Lampedusa.»
La
Mission d’appui des Nations Unies en Libye (UNSMIL) a constaté que
même les membres de communautés bien établies vivant de manière
permanente en Libye, comme les Palestiniens et les Irakiens, sont
de plus en plus nombreux à envisager de quitter le pays en raison
de la situation dramatique qui y règne et des violations répétées
des droits de l’homme
.
17. Les récents événements ont mis en lumière la nécessité pour
l’Europe et l’Union européenne de maintenir et au besoin d’intensifier
le soutien politique et matériel qu’ils apportent aux pays de transit.
En 2014, l’itinéraire de la Méditerranée centrale était de loin
le passage le plus emprunté par les migrants irréguliers pour se
rendre en Europe (voir le paragraphe 10 ci-dessus). A la mi-2015,
malgré le nombre record d’arrivées par rapport à la même période
en 2014, il a été largement devancé par l'itinéraire de la Méditerranée
orientale: au 14 août, on dénombrait 158 456 arrivées en Grèce depuis
la Turquie, comparativement à quelque 104 000 en Italie et 94 à
Malte
.
Près des deux tiers des arrivants en Grèce sont des Syriens
.
La plupart n’ont pas l’intention de rester en Grèce et poursuivent
leur chemin vers le nord, mettant ainsi également à rude épreuve des
pays tels que «l’ex-République yougoslave de Macédoine», la Serbie,
la Hongrie et l’Autriche
.J’appuie par
conséquent fermement les initiatives de l’Assemblée visant à encourager
d’autres pays européens à aider et soutenir bien davantage la Turquie
et d’autres pays tiers dans leurs efforts pour offrir protection
et assistance aux réfugiés syriens.
4.2. Défis régionaux : coopération
pour la gestion des migrations avec les pays voisins, dont les pays
d’origine
18. La mise en œuvre de politiques
visant à «externaliser» le contrôle des frontières de l’Union européenne a
des répercussions sur les relations entre pays de transit et pays
d’origine. La Turquie, par exemple, a depuis longtemps instauré
un régime de visas libéral vis-à-vis de nombreux pays. Cette situation
est aujourd’hui remise en question par l’exigence de l’Union européenne
posant comme condition préalable à une libéralisation de son régime
l’alignement de la politique de visas de la Turquie sur la sienne.
Ceci pourrait avoir des conséquences sur les relations de la Turquie
avec les pays dont les citoyens pouvaient jusqu’à présent se rendre
sur son territoire sans visa. Quant au Maroc, il a été suggéré que
«sa relation avec l’UE a contribué à fragiliser une éventuelle coopération
avec les pays d’origine.»
.
19. Pour les pays de transit, des politiques migratoires efficaces
nécessitent une coopération non seulement avec les pays de destination,
en particulier membres de l’Union européenne, mais également au
niveau régional, à la fois avec les autres pays de transit – dans
le cas du Maroc, près de 90 % des migrants irréguliers, dont des
réfugiés syriens, sont arrivés par l’Algérie, les Sub-sahariens
ayant traversé le Sahara via le Niger
–
et les pays d’origine (dans le cas du Maroc, notamment l’Afrique
subsaharienne).
20. Le Dialogue euro-africain sur la migration et le développement
(«Processus de Rabat»), qui réunit l’Union européenne, ses Etats
membres et de nombreux Etats d’Afrique centrale, de l’Ouest et du
Nord, est très intéressant à cet égard. Mis en place en 2006, le
Processus de Rabat a donné lieu à de nombreuses conférences ministérielles
et réunions thématiques et de hauts fonctionnaires. Malgré le peu
de résultats concrets produits jusqu’à présent, son importance réside
avant tout dans son rôle de tribune reconnue et établie, et de base
pour une future coopération régionale, auparavant inexistante
. La volonté affichée par
le Maroc de s’engager dans une coopération bilatérale s’est par
exemple manifestée dans la récente annonce du Secrétaire général
du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger
. Celui-ci a en effet déclaré que
le Maroc était disposé à faire bénéficier les Etats africains de
son expérience en matière de politiques migratoires
.
Le Maroc renforce également ses liens commerciaux et diplomatiques
avec ses voisins du Sud: lors de ma visite, par exemple, le roi
Mohammed VI achevait une «tournée» au Sénégal, en Guinée-Bissau, en
Côte d’Ivoire et au Gabon. La priorité avait été donnée aux accords
commerciaux et de développement, mais il est bon de rappeler que
des progrès réalisés dans ces domaines permettraient d’atténuer
nombre des facteurs les plus incitatifs engendrant une migration
vers (et à travers) le Maroc.
21. L’Assemblée parlementaire a pris une part active à la promotion
du dialogue interparlementaire, notamment par le biais de la sous-commission
sur la coopération avec les pays d’origine non européens, de commission
des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées. En mars
2015, cette sous-commission a tenu une conférence sur «le dialogue
sur les migrations Nord-Sud» à Lagos (Portugal), avec la participation de
parlementaires notamment algériens, jordaniens, marocains et tunisiens.
En octobre 2014, elle a organisé un «Séminaire sur la nouvelle politique
migratoire du Maroc et l’expérience européenne: nouveaux défis pour les
politiques et pratiques d’intégration» dont le principal objectif
était «d’examiner les modalités de coopération des parlementaires,
des experts et des militants des ONG d’Afrique et d’Europe pour
transformer les divers problèmes complexes que posent les migrations,
légales ou illégales en perspectives économiques et sociales profitant
en fin de compte au pays de résidence et au pays d’origine»
.
4.3. Respect des normes de protection
internationales dont la Convention de 1951 des Nations Unies relative
au statut des réfugiés
22. Les accords de réadmission
ou relatifs au contrôle des frontières conclus par l’Union européenne
avec les pays de transit exigent de ces derniers un niveau élevé
de protection en matière de droits de l’homme. L’Union européenne
porte malgré tout également une part de responsabilité si des migrants
sont victimes de violations des droits de l’homme dans ces pays
de transit ou se voient refuser l’accès à une protection en raison de
ces accords. Toutefois, en réalité, quand bien même des instruments
internationaux tels que la Convention de 1951 des Nations Unies
relative au statut des réfugiés ont été ratifiés, cela ne signifie
pas qu’ils soient systématiquement appliqués. Par exemple, avant
que la nouvelle législation prévue soit adoptée et mise en œuvre,
il restera encore au Maroc à «adopter la législation nationale relative
aux réfugiés et à instaurer des procédures d’asile conformes aux
normes internationales»; et ce n’est que depuis la création d’une commission
ad hoc, en septembre 2013, que les réfugiés dont le statut était
déterminé par le HCR ont été reconnus et ont bénéficié de la protection
des autorités
.
Ailleurs, la situation est pire. Par exemple, l’Algérie n’a ni loi
d’asile ni autorité responsable de la détermination du statut de
réfugié
et la Libye
n’a pas ratifié la Convention de 1951.
23. La Turquie a fixé une «limite géographique» à son application
de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, en vertu
de laquelle seuls les réfugiés originaires d’«Europe» (soit, concrètement,
d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe) sont reconnus en
tant que réfugiés au sens de la Convention. La loi sur les étrangers
et la protection internationale prévoit théoriquement une protection
analogue pour les réfugiés d’autres pays, les Syriens et toutes
les autres nationalités non européennes se voyant attribuer un statut
distinct
. Cependant, dans la pratique, compte tenu
du nombre considérable de réfugiés syriens sur le territoire turc
qui mettent à rude épreuve le système turc, les demandeurs d’asile
d’autres nationalités sont abandonnés à un sort précaire et à une
incertitude susceptible d’influer sur leur décision de demeurer
en Turquie ou de tenter de rejoindre l’Union européenne.
24. L’absence de ratification ou l’inefficacité de la mise en
œuvre d’autres instruments internationaux suscitent de semblables
craintes.
25. En pareil cas, la conclusion d’accords de réadmission entre
l’Union européenne et ces pays rendrait possible l’envoi de migrants
ayant besoin de protection de l’Union européenne vers des pays n’offrant
pas de garanties juridiques suffisantes pour satisfaire à ces besoins.
Les accords de réadmission peuvent également amener les pays de
transit à prendre d’autres mesures visant à empêcher les réfugiés
d’entrer sur leur territoire à partir d’un autre Etat membre et
au final leur ôter ainsi toute possibilité de fuir leur pays où
ils risquent d’être persécutés. Les accords de réadmission incitent
aussi les pays de transit à adopter des mesures pour empêcher les
migrants d’entrer dans l’Union européenne. Le renforcement des contrôles
aux frontières par les Etats membres de l’Union européenne et les
pays de transit risque d’avoir pour résultat de bloquer les migrants dans
ces derniers, sans qu’ils aient accès à une procédure d’asile effective
.
5. Coopération entre pays européens
et pays de transit
5.1. Instruments de coopération
sur la réadmission, le contrôle aux frontières et les visas
26. Les relations de l’Union européenne
avec nombre de ses Etats voisins prennent notamment la forme d’accords
relatifs au renforcement de leurs contrôles frontaliers pour réduire
les futures pressions migratoires aux frontières extérieures de
l’Union européenne. En témoignent les nombreuses références à la
gestion des migrations et aux contrôles frontaliers dans les rapports
d’avancement de la Commission européenne sur la mise en œuvre de
la politique européenne de voisinage dans les Etats concernés dont,
par exemple, le Maroc, la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie
.
27. Pour ce qui concerne le Maroc, les relations qu’il entretient
depuis juin 2013 avec l’Union européenne sont régies par un «partenariat
de mobilité» dont les objectifs consistent notamment à lutter contre l’immigration
irrégulière, les réseaux impliqués dans le trafic et la traite d’êtres
humains, et à encourager une politique efficace de retour et de
réadmission, tout en respectant les droits fondamentaux et les lois
applicables et en garantissant la dignité des personnes concernées
.
Ces objectifs doivent être considérés dans le contexte de négociations
plus larges avec le Maroc, y compris celles qui visent à la création
d’une zone de libre-échange global et approfondi, dont le lancement
a eu lieu en mars 2013.
28. Ce partenariat s’inscrit avec d’autres partenariats de mobilité
dans l’Approche globale de la question des migrations et de la mobilité
(GAMM) de l’Union européenne, qui s’articule autour de quatre axes:
organisation et facilitation de la migration et de la mobilité régulières;
prévention et réduction de la migration irrégulière et de la traite
des êtres humains; encouragement de la protection internationale
et renforcement de la dimension extérieure de la politique d’asile;
et exploitation optimale des effets de la migration et de la mobilité
sur le développement.
29. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de
l’homme des migrants reproche à la GAMM son «manque de transparence
et de clarté quant au contenu de fond de ses éléments multiples
et complexes. En outre, nombre d’accords conclus dans le cadre de
cette approche n’ont pas de fondement solide en droit international
et ne sont généralement pas assortis de mesures de suivi et de définition
des responsabilités, ce qui peut instaurer des rapports de pouvoir
déséquilibrés entre pays et une sujétion de la mise en œuvre aux politiques
du moment. L’Union européenne a néanmoins continué d’utiliser cette
approche pour promouvoir une plus grande “sécurité”. Les partenariats
pour la mobilité n’ont apparemment guère débouché sur un surcroît
de droits de l’homme ou sur des avantages en matière de développement,
faute de clarté quant aux spécifications et aux produits des projets
en question. Le primat général de la sécurité et le manque de cohérence
des politiques dans l’ensemble de cette approche créent le risque
que les avantages tirés des projets relatifs aux droits de l’homme
et au développement soient escamotés par les effets secondaires
de politiques davantage axées sur la sécurité»
.
L’attention portée à l’amélioration des droits de l’homme semble être
davantage de nature ad hoc tandis que la coopération en matière
de contrôle des frontières a un caractère plus structurel et bénéficie
de financements bien plus conséquents.
30. Le récent agenda européen en matière de migration de la Commission
européenne
propose «d’entreprendre
une action immédiate pour intervenir en amont dans les régions d’origine
et de transit». Cette action comprend un soutien accru aux pays
comptant le plus grand nombre de réfugiés déplacés; la mise en place
d’un centre au Niger (pays situé sur la principale voie de migration
reliant l’Afrique de l’Ouest à l’Afrique du Nord) afin de faire
circuler l’information et d’offrir une protection et des possibilités
de réinstallation au niveau local à ceux qui en ont besoin; et l’intégration
de la migration aux missions déjà en cours dans le cadre de la politique
de sécurité et de défense commune dans des pays tels que le Niger
et le Mali. D’autres mesures proposées dans l’agenda concernent
également les pays de transit, y compris des actions contre les
réseaux criminels de trafic et de traite de migrants, et la réinstallation
de réfugiés originaires d’Etats non membres de l’Union européenne.
Tout en continuant d’accorder la priorité à la sécurisation des
frontières extérieures de l’Union européenne, l’agenda reconnaît
également qu’il est nécessaire d’améliorer la politique de l’Union européenne
en matière de migration régulière et de favoriser le développement
dans les pays d’origine.
31. Les accords de réadmission, qui s’étendent aussi aux ressortissants
de pays tiers, sont un objectif important des relations de l’Union
européenne avec les pays de transit. Dans son évaluation des accords
de réadmission menée en 2011, la Commission européenne recommandait
de revoir la politique d’inclusion des pays tiers dans (les négociations
sur) les accords de réadmission avec les pays de transit, en raison notamment
des préoccupations en matière de droit de l’homme
.
Toutefois, en juin 2014, la commissaire Malmström se félicitait
de la ratification par le Parlement turc de l’accord de réadmission
conclu entre l’Union européenne et la Turquie, déclarant que celui-ci
reflétait notre intérêt commun pour une gestion plus efficace des
migrations et des frontières. Le communiqué de presse accompagnant
la déclaration expliquait l’importance de cet accord pour le dialogue
entre l’Union européenne et la Turquie sur la libéralisation du régime
des visas
. La Turquie est elle aussi consciente
de l’importance de cette libéralisation sur le plan politique, notamment
parce que son développement économique amène de plus en plus de
citoyens turcs à voyager (au lieu d’émigrer) en Europe. Les accords
de réadmission et d’assouplissement des formalités de délivrance
de visas sont également liés aux négociations en cours dans le cadre
du partenariat de mobilité entre l’Union européenne et le Maroc
, bien que les autorités marocaines paraissent
opposées à la conclusion de tout accord de réadmission qui s’étendrait
aux ressortissants de pays tiers et, en tout état de cause, ne semblent
pas attacher la même importance à la libéralisation du régime de
visas.
5.2. Aide financière et technique
aux « pays de transit »
32. Les activités d’assistance
et de coopération de l’Union européenne avec des pays tiers sont
complexes et multiples. Procéder à un examen exhaustif de ces activités
dépasserait le cadre du présent rapport et n’apporterait rien à
ses conclusions. C’est pourquoi seuls des exemples choisis sont
exposés ci-après.
33. Le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) est actuellement
responsable d’un projet d’un million d’euros courant sur 18 mois
avec la Jordanie, le Maroc et la Tunisie, dont le but est de promouvoir
la participation de ces trois pays dans ses activités et celles
de Frontex. A cette fin, le BEAA familiarise les autorités compétentes
avec le mandat, les outils et instruments des agences, dont les
modèles de coopération mis au point avec des Etats membres de l’Union
européenne. Frontex défend le concept de «gestion intégrée des frontières»,
ainsi que les approches globales de la gestion des flux migratoires
mixtes, en particulier en ce qui concerne certains aspects de la
coopération inter agence, auprès de la Tunisie et du Maroc. Le BEAA préconise
quant à lui le régime d’asile européen commun (RAEC) et partage
les meilleures pratiques des Etats membres de l’Union européenne,
y compris relatives aux structures d’accueil.
34. Frontex joue également d’autres rôles au sein du processus.
Par exemple, elle a signé un «accord de travail» (ou protocole d’accord)
avec les autorités turques compétentes, par lequel elles sont convenues
de coopérer dans divers domaines. Il s’agit notamment d’échanges
d’expériences et de meilleures pratiques en matière de contrôles
des frontières; d’activités liées à la gestion des frontières; de
projets conjoints visant à renforcer la capacité collective à lutter
contre la migration illégale/irrégulière; du soutien de l’amélioration
de la coopération organisationnelle et technique entre autorités
chargées de la gestion des frontières; et du développement de la
coopération dans les opérations de retour communes et coordonnées
de Frontex, y compris par la facilitation et la participation actives
des autorités turques compétentes, qui pourraient être financées
par Frontex au cas par cas
.
35. Ce type d’activités s’inscrit dans le cadre d’engagements
financiers de grande ampleur contractés par l’Union européenne.
Par exemple, l’instrument européen de voisinage et de partenariat
(IEVP) (lequel finance, entre autres, le projet BEAA susmentionné
avec la Jordanie, le Maroc et la Tunisie), qui court de 2007 à 2013, s’assortit
d’engagements annuels moyens de € 204 millions pour le Maroc, de
€ 110 millions pour la Tunisie, de € 52 millions pour l’Algérie
et de près de € 12 millions pour la Libye
. Les aides d’une
telle ampleur se sont poursuivies: s’agissant du Maroc par exemple,
le «Cadre Unique d’Appui» pour le Maroc couvrant la période 2014-2017
prévoit une allocation indicative bilatérale maximale de € 890 millions
.
36. Bien entendu, l’Union européenne n’est pas l’unique organisation
internationale dont la coopération avec les pays de transit est
susceptible d’améliorer la situation des migrants sur leur territoire.
Au Maroc, par exemple, outre son rôle dans la détermination du statut
des réfugiés (voir ci-dessus) et ses activités humanitaires et de
protection, le HCR se livre à des activités de renforcement des
capacités, de soutien technique et d’expertise avec les autorités
marocaines et contribue à l’intégration sociale des réfugiés
. En Turquie,
il est également partie prenante dans des activités de renforcement
des capacités en rapport avec la mise en œuvre de la loi sur les
étrangers et la protection internationale
. L’OIM
est elle aussi active dans ces deux pays.
5.3. Conséquences pour les pays
de transit
37. Dans un contexte politique
où l’importance pour les pays de transit des relations commerciales
avec – et des transferts financiers en provenance de – l’Union européenne
est considérable, l’objectif poursuivi par cette dernière, qui consiste
à «externaliser» les contrôles aux frontières, pèse d’un grand poids
sur leurs politiques de migration. Le Maroc est même décrit comme
«un exécutant d’une politique qui est imposée par l’extérieur. A
travers les mesures prises en Europe, qui limitent la liberté de
circulation des personnes avec ces dernières, devenues de plus en
plus drastiques, le Maroc est presque considéré comme le gendarme
des frontières européennes dans le sud de la Méditerranée». Ainsi,
«[e]n combinant pression politique et aide financière, l’UE a externalisé
une part importante de sa gestion des frontières vers le Maroc»
.
L’Ukraine pourrait constituer un autre exemple à cet égard: à la
suite de l’élargissement de l’Union européenne à l’est, en 2004,
Human Rights Watch a affirmé qu’étant donné l’importance économique,
politique et stratégique de ses relations avec l’Union européenne,
le gouvernement de Kiev avait tout intérêt à coopérer avec l’Europe
en matière de gestion des migrations et des flux de demandeurs d’asile
et ce, aux conditions de l’Union européenne
.
38. La situation n’est cependant pas toujours simple et les pays
de transit, en tant qu’Etats souverains indépendants, conservent
en dernier ressort leur liberté d’action. En 2012 par exemple, Saâdeddine
El Othmani, ministre des Affaires étrangères, a déclaré que le Maroc
ne serait pas «le gendarme de l’Union européenne»
.
Selon Hein de Haas, la politique de plus en plus indépendante menée
par le Maroc est clairement apparue dans la réforme de la politique
d’immigration de grande ampleur annoncée en 2013
. D’aucuns
soutiennent que si la précédente politique migratoire marocaine
a été interprétée comme une réaction face à la pression de l’Union
européenne pour contrôler l’immigration vers l’Europe, il est difficile d’interpréter
la régularisation de la même manière. Étant donné que la majorité
des migrants interrogés a manifesté le souhait de rallier l’Europe,
un statut régulier pourrait leur faciliter les choses. C’est pourquoi
la régularisation ne s’inscrit pas dans les intérêts bien compris
des Etats européens qui souhaitent réduire l’immigration en provenance
du Maroc. Si l’on s’en tient à cet argument, la politique illustre
au contraire les récents changements survenus dans l’orientation
géopolitique du Maroc, y compris concernant la consolidation des
relations avec les pays d’Afrique subsaharienne, et le renforcement
notable de ses capacités d’anticipation par rapport aux années précédentes
.
39. Quoi qu’il en soit, étant donné l’engagement institutionnel
officiel de l’Union européenne vis-à-vis de la protection des droits
de l’homme, y compris dans ses relations extérieures, la coopération
entre l’Union européenne et les pays de transit devrait grandement
contribuer à garantir une protection renforcée des droits des migrants.
Au Maroc, par exemple, j’ai été informée par la délégation de l’Union
européenne de sa détermination à appuyer la mise en œuvre de la
nouvelle loi attendue sur la migration, le droit d’asile et la lutte contre
la traite des êtres humains, ainsi que de la disponibilité des ressources
mobilisées. En effet, l’Union européenne reconnaît l’importance
des aspects relatifs aux droits de l’homme et espère voir la nouvelle
loi devenir un exemple de bonnes pratiques pour la région. Je ne
peux que saluer et encourager cette attitude.
40. Cependant, si la coopération est principalement axée sur le
contrôle des frontières, elle crée le risque d’engendrer dans les
faits de nouvelles atteintes aux droits de l’homme, les réfugiés
n’étant pas en mesure de fuir le pays de transit alors même qu’ils
sont dans l’incapacité d’y trouver protection et sécurité. Pour
éviter de telles conséquences, un certain niveau de garantie des
droits de l’homme des migrants et des réfugiés devrait être une
condition préalable à l’instauration ou à l’intensification de la
coopération en matière de contrôle des frontières. La Convention
européenne des droits de l’homme et la Convention relative au statut
des réfugiés devraient constituer à cet égard le cadre de référence.
5.4. Conséquences pour les migrants
41. Lors des négociations entre
l’Union européenne et les pays de transit, les différentes parties
concernées veillent à protéger leurs propres intérêts, sans examen
ou prise en compte de ceux des migrants. D’aucuns se sont déclarés
inquiets des répercussions possibles sur les droits de l’homme des
divers accords et activités de coopération entre d’une part l’Union
européenne et ses Etats membres et, d’autre part, les pays de transit
non membres de l’Union européenne. En 2014, par exemple, la Fédération
internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et d’autres
organisations non gouvernementales (ONG), ayant «à maintes reprises
exprimé de sérieuses réserves suscitées par le projet de «partenariat
de mobilité» signé par l’UE et la Tunisie», ont trouvé très préoccupant
«qu’un tel accord puisse être signé et mis en œuvre dans un contexte
de transition qui, pour se vouloir démocratique, est encore loin
d’être doté de toutes les institutions et de tous les instruments
législatifs indispensables à la garantie préalable et absolue du
respect des droits des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile
… Selon les termes de la déclaration conjointe … ce n’est pas sur
ce terrain, en effet, que se trouve la priorité de ce “partenariat”»
.
42. De même, dans son analyse du partenariat de mobilité liant
l’Union européenne et le Maroc, le Réseau euro-méditerranéen des
droits de l’Homme (REMDH) «redoute que les activités en matière
de lutte contre l’immigration irrégulière soient privilégiées et
implémentées aux dépens, non seulement des autres thématiques du
Partenariat, mais aussi des droits des migrants et des réfugiés»
.
(Le REMDH «désapprouve la logique donateur/bénéficiaire qui guide
ce partenariat et la pratique de «marchandage», selon laquelle l’aide économique
européenne et les facilitations de visas sont octroyées en échange
du contrôle des «flux migratoires» par le Maroc».)
43. Un contrôle plus strict des frontières extérieures de l’Union
européenne force les migrants à demeurer plus longtemps dans les
pays de transit. «Au fur et à mesure que les contrôles aux frontières
se sont durcis et que l’hostilité envers les migrants s’est répandue
dans les pays de transit et de destination, les migrants irréguliers
bloqués dans des pays du Sahara au centre des mouvements migratoires
ont dû faire face à des conditions de vie et de travail de plus
en plus difficiles
.» Cette situation peut être encore aggravée
par des complications administratives, dont notamment l’absence
de documents d’identité. Par exemple, «La carte de séjour, un permis
de résidence nécessaire pour tous les étrangers vivants au Maroc,
sert de support de régularisation pour accéder à l’emploi, au logement
et à d’autres services comme les soins de santé: sans cela, un migrant
est marginalisé dans quasiment tous les aspects de la vie quotidienne.
Ceci entraîne une invisibilité accrue et une vulnérabilité pour
la majorité des migrants subsahariens». Les migrants n’ont en effet
ni possibilité de faire appel à la protection de la police contre
le vol ou les violences physiques, ni accès aux voies de recours
officiel en cas de mauvais traitements, d’exploitation ou de discrimination
en matière de logement ou d’emploi, ou subissent des restrictions
à leur liberté de circulation
. Il est à espérer que la politique
et la législation nouvellement adoptées remédieront à cette situation.
44. La politique migratoire du Maroc ayant évolué, en particulier
depuis 2013, l’usage de la violence par des fonctionnaires à l’encontre
de migrants irréguliers est devenu moins fréquent, notamment en
comparaison avec la situation d’il y a dix ans
; ce qui m’a été
confirmé par le HCR. Il reste cependant matière à amélioration,
comme l’ont prouvé les événements des mois de février et mars 2015,
lorsque quelque 1 200 migrants, dont 14 identifiés comme des demandeurs
d’asile par le HCR, ont été arrêtés à proximité de Melilla, puis
transférés et arbitrairement détenus dans des villes du Sud, sous
prétexte de protéger les femmes et les enfants contre les trafiquants.
(Selon les ONG que j’ai rencontrées, la véritable raison était le
maintien de la «zone tampon» autour de Melilla.) Le 6 mars, tous
les détenus semblaient avoir été libérés sans qu’aucun refoulement
ou déportation ait été signalé(e)
. Il n’en reste pas
moins que ces arrestations et détentions étaient contraires aux
droits fondamentaux des migrants à la liberté, la sécurité et l’accès
à la justice et que des récits détaillés de menaces et de violences
pratiquées par des fonctionnaires ont été rapportés
. L’un des éléments clés de la mise
en œuvre de la nouvelle politique migratoire consistera donc à former
et à sensibiliser les agents publics afin de garantir une cessation
totale de l’usage excessif de la force par des fonctionnaires contre
des migrants et la possibilité pour les ONG de surveiller les actes
et le comportement des agents publics à l’égard des migrants.
45. On peut constater en Libye comment l’absence d’un cadre juridique
opérationnel ou d’institutions efficaces avec lesquels des acteurs
extérieurs pourraient coopérer rend impossible la gestion des migrations et
expose les migrants à de grands dangers. L’UNSMIL a signalé que
sur fond de crise politique et de conflits armés, d’absence de législation
nationale en matière d’asile et d’effondrement de l’ordre public,
les migrants, demandeurs d’asile et réfugiés de Libye sont exposés
à des mauvais traitements, y compris à une détention dans des conditions
atroces; à la torture; à l’enlèvement contre rançon; à l’exploitation;
et aux meurtres. Les passeurs et trafiquants, qui prospèrent dans
ce contexte anarchique, sont les auteurs de nombre de ses maltraitances.
Les femmes migrantes sont tout spécialement vulnérables à l’exploitation
et aux violences sexuelles. La dégradation de la situation sécuritaire,
associée à un accès limité aux pays avoisinants par voie de terre,
a contraint un nombre sans précédent de migrants, demandeurs d’asile
et réfugiés, à entreprendre dans des embarcations de fortune une
traversée dangereuse et souvent mortelle de la mer Méditerranée
. Malgré
l’ampleur des problèmes, des efforts sont entrepris pour remédier
à la situation. Le HCR et l’OIM ont récemment mis en place un forum
visant à améliorer la réponse apportée par la Libye aux embarcations
en détresse au large de ses côtes, et notamment à accroître les
capacités de recherche et de sauvetage, de récupération des dépouilles
en mer et d’assistance humanitaire aux personnes rescapées après
leur débarquement
. Je me félicite
de l’appui financier octroyé par l’Union européenne à cette initiative.
Par contre, je crains fortement que les actions envisagées pour
lutter contre le trafic de migrants, à savoir la destruction de
bateaux dans les eaux libyennes, mettent les réfugiés dans l’incapacité
de quitter la Libye, en dépit de leur situation désespérée. Il serait
plus approprié d’aider les réfugiés en leur trouvant, par des moyens
légaux, un lieu sûr en Europe.
6. Renvois (« push-backs »)
consécutifs à l’arrêt Hirsi de la Cour européenne des droits de
l’homme
6.1. L’arrêt Hirsi
46. En l’affaire
Hirsi Jamaa c. Italie , les
requérants, des migrants tentant de traverser la Méditerranée entre
la Libye et l’Italie, ont été interceptés dans les eaux internationales
par des navires militaires italiens qui les ont reconduits à Tripoli.
La Cour européenne des droits de l’homme a constaté que les requérants
s’étant trouvés sous le contrôle continu et exclusif des autorités
italiennes, ils relevaient de la juridiction de l’Italie au titre
de la Convention européenne des droits de l’homme. Le refoulement
par l’Italie des migrants en Libye, sans évaluation individuelle
de leurs besoins de protection, s’apparentait donc à une expulsion
collective s’analysant en une violation de l’article 4 du Protocole
no 4 à la Convention (STE no 46).
Etant donné les conditions d’accueil en Libye et l’insuffisance
de garanties protégeant les migrants contre le risque de refoulement
arbitraire vers leur pays d’origine, leur retour était également
constitutif d’une violation de l’article 3 de la Convention; et
le défaut de recours effectif contre ces atteintes emportait également
violation de l’article 13.
6.2. Evolutions observées depuis
l’arrêt Hirsi
47. Au moment où la Grande Chambre
rendait son arrêt en l’affaire Hirsi,
les autorités italiennes avaient déjà mis fin à la pratique des
refoulements directs vers la Libye de migrants interceptés en Méditerranée.
C’est ce que l’on a pu observer lors de l’opération Mare Nostrum, au cours de laquelle
des navires et avions militaires italiens ont effectué des recherches
et des sauvetages dans les eaux côtières et internationales, jusqu’aux eaux
côtières de la Libye, les immigrants secourus étant ramenés sur
le territoire italien.
48. Cela étant, le 8 octobre 2012, le Rapporteur spécial des Nations
Unies sur les droits de l’homme des migrants s’est dit inquiet de
la coopération bilatérale en cours, basée sur un
processo verbale de 2012 signé entre
l’Italie et la Libye. Il a déclaré qu’il lui semblait qu’une grande
importance était accordée au renforcement des capacités des autorités
libyennes à intercepter des migrants espérant rejoindre l’Europe,
tant sur leur territoire que dans leurs eaux territoriales, et à
les refouler en Libye. C’est pourquoi il a mis en garde les Etats membres
de l’Union européenne contre une «externalisation» progressive des
contrôles des frontières. En effet, si l’on considère notamment
les difficultés actuelles des autorités libyennes, ainsi que les
rapports sur des atteintes aux droits de l’homme perpétrées contre
les migrants sur le territoire libyen, cette coopération en matière
de migration avec la Libye ne doit en aucune manière entraîner le
renvoi contre leur gré de migrants sur les côtes libyennes, que
ce soit par les garde-côtes italiens, la
Guardia
di Finanza ou les garde-côtes libyens avec le soutien
technique ou logistique de leurs homologues italiens. Le Rapporteur
spécial, rappelant l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire
M.S.S. c. Belgique et Grèce, a également
critiqué la pratique des autorités italiennes consistant à empêcher
les migrants irréguliers de débarquer de navires en provenance de
Grèce, et à les forcer ainsi à y retourner sans qu’aucune procédure
officielle soit engagée pour leur permettre de soulever des questions
relatives à leur protection, y compris en matière de demandes d’asile.
Il a appelé l’Italie à interdire expressément la pratique des «renvois»
automatiques informels vers la Grèce
.
49. En dépit de l’arrêt
Hirsi,
des rapports laissent entendre que la pratique des renvois a toujours
cours dans d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe, dont par
exemple:
- la Bulgarie: en 2014,
Human Rights Watch a signalé avoir entendu les comptes-rendus détaillés
de 41 personnes concernant 44 renvois. Lors de ces incidents, au
moins 519 personnes ont été arrêtées sur le sol bulgare par la police
des frontières qui les a refoulées en Turquie sans autre forme de
procès, en l’absence de toute procédure idoine, sans leur laisser
la possibilité de formuler une demande d’asile et, qui plus est,
en faisant souvent usage d’une force excessive. Nombre de personnes
interrogées sur leur renvoi expéditif ont déclaré que les gardes
bulgares les avaient frappées ou autrement maltraitées. Ces incidents
se sont produits à la suite de la mise en œuvre par les autorités
bulgares d’un «plan de confinement» en réaction à l’augmentation
du nombre de demandeurs d’asile, dont beaucoup fuient le conflit
syrien. Human Rights Watch a relevé que les auteurs de l’opération
avaient reçu le renfort d’un contingent de gardes invités d’autres
Etats membres de l’Union européenne, par l’intermédiaire de l’Agence
de gestion des frontières extérieures de l’Union européenne, Frontex .
Au cours de ma visite en Turquie, j’ai cependant recueilli des témoignages
contradictoires quant à cette pratique des renvois.
- la Grèce: en 2014, Amnesty International a signalé que
le nombre même des allégations crédibles de renvoi qu’elle a été
en mesure d’enregistrer au cours des derniers mois en seulement
quelques semaines de recherche en Grèce et en Turquie porte fortement
à croire que ces opérations sont coutumières aussi bien aux frontières
terrestres que maritimes, en ajoutant que c’est le déni persistant de
l’ampleur de cette pratique des autorités grecques, aussi dangereuse
que contraire aux droits, qui permet sa persistance . J’ai entendu
le même type d’allégations lors de ma visite en Turquie. La contribution
possible de Frontex à cet état de fait a une nouvelle fois été évoquée .
- «l’ex-République yougoslave de Macédoine»: en 2015, Amnesty
International indiquait qu’au lieu d’introduire une demande officielle
pour le retour en Grèce des réfugiés et des migrants, la police
aux frontières semble systématiquement les repousser au-delà de
la frontière, sans offrir aucune garantie et donne rarement aux
réfugiés l’occasion de déposer une demande d’asile. Les réfugiés
et les migrants qui parviennent à traverser «l’ex-République yougoslave
de Macédoine» sans être détectés sont susceptibles d’être repoussés
en Grèce même après avoir atteint la frontière avec la Serbie .
- la Serbie: en 2015, Amnesty International faisait part
de plusieurs déclarations de réfugiés et de migrants dont le niveau
de détail et la constance laissaient entrevoir le caractère routinier
des renvois par la police aux frontières serbes. Toujours selon
ces déclarations, les gardes-frontières négligeaient systématiquement
l’examen de la situation individuelle des personnes arrivées sur
leur territoire, et ne leur offraient pas la possibilité d’enregistrer
leur intention de demander asile. Dans certains cas, les renvois
s’accompagnaient de mauvais traitements .
- l’Espagne (Melilla): au début de l’année, Nils Muižnieks,
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, a dit
avoir reçu des informations cohérentes et récurrentes sur des renvois
effectués pour certains avec un usage excessif de la force et dirigés
par la police des frontières espagnoles (Guardia Civil) . Le Commissaire s’est également
dit préoccupé par un texte portant modification à la loi espagnole
sur les étrangers, lequel visait à légaliser le renvoi de migrants
arrivant à Ceuta et Melilla, ce qui n’apporte pas une protection
claire contre le refoulement et les expulsions collectives .
50. Les références à la possibilité de renvois qui auraient eu
lieu dans le cadre d’opérations Frontex suscitent des inquiétudes.
L’Assemblée a déjà fait observer qu’il «est clairement apparu que
[les activités de Frontex] avaient de nombreuses implications en
matière de droits de l’homme et qu’elle était mal préparée pour y
faire face. C’était particulièrement le cas pour l’interception
de migrants en situation irrégulière, de demandeurs d’asile et de
réfugiés aux frontières ou en mer, ainsi que pour les opérations
de retour de migrants en situation irrégulière et de personnes déboutées
du droit d’asile»
. Bien que le rapport de l’Assemblée
ait également renvoyé à une conclusion de l’Agence des droits fondamentaux
de l’Union européenne selon laquelle «le risque de refoulement informel
de nationaux de pays tiers vers la Turquie a diminué avec le déploiement
d’opérations de Frontex en Grèce»,
les rapports les plus récents concernant
la Bulgarie et la Grèce pourraient suggérer la nécessité d’un examen
plus approfondi. Par ailleurs, les opérations menées par Frontex
dans des pays tiers non membres de l’Union européenne requièrent
une attention particulière quant à leur impact en matière de droits
de l’homme, faisant notamment courir le risque que les réfugiés
n’atteignent pas le territoire européen sans pour autant bénéficier
d’une protection effective dans le pays tiers concerné.
51. Enfin, je tiens à préciser que je ne n’ai pas été en mesure
d’effectuer la visite d’information prévue à Melilla et Madrid (Espagne),
car il s’est avéré impossible, durant plusieurs mois, d’obtenir
l’accord de la délégation espagnole sur les dates proposées. Je
n’ai de ce fait pas pu mener une évaluation plus détaillée du problème
des renvois depuis Melilla ou aux alentours, de la coopération avec
les autorités marocaines, et de la législation espagnole susmentionnée
qui auraient mérité un examen plus approfondi dans le présent rapport.
Je voudrais demander à la délégation espagnole, au même titre que
toute autre, de veiller à coopérer efficacement à l’organisation
des visites de travail entreprises par des membres de l’Assemblée,
afin de garantir la transparence indispensable pour faire progresser
les droits de l’homme au sein de nos Etats membres.