1. Procédure
1. Lors de sa réunion du 12 décembre
2013, la commission des questions juridiques et des droits de l’homme
m’a nommé rapporteur sur «L’accès à la justice grâce à des instruments
en ligne». Conformément à la proposition de résolution
à
l’origine de ce rapport, mon mandat consiste à examiner les avantages
que les instruments en ligne peuvent présenter pour atténuer les
difficultés rencontrées par les citoyens européens dans l’exercice
de leur droit d’accès à la justice. Ce faisant, j’aborderai deux
grandes questions: le règlement des litiges en ligne (RLL) et l’utilisation
des technologies de l’information et des communications (TIC) dans
la justice.
2. Pour plus de clarté, et sur ma proposition, la commission
a décidé, lors de sa réunion à Strasbourg le 29 septembre 2014,
de modifier le titre du rapport comme suit: «L’accès à la justice
et internet: potentiel et défis». Je préfère l’emploi de cet intitulé,
car le terme «instruments en ligne» ne reflète pas convenablement les
grands défis en matière de droits de l’homme de l’accès à la justice
à l’ère d’internet.
3. Le 30 octobre 2014, la commission a procédé à une audition
pour recueillir un certain nombre de témoignages utiles à l’élaboration
du présent rapport; y ont participé M. Arno Lodder, professeur de Gouvernance
et régulation d’internet à la Vrije Universiteit d’Amsterdam, et
M. Graham Ross, fondateur et président de
TheMediationRoom.com et membre du Groupe consultatif sur les modes de règlement
des litiges en ligne nommé par le Conseil de la justice civile de
l'Angleterre et du Pays de Galles. Le 23 juin 2015, la commission
des questions juridiques a procédé à une autre audition, à laquelle
a participé Mme Iveta Havlova, directrice des Alliances stratégiques
chez le prestataire de règlement des litiges en ligne
Youstice. J’aimerais remercier ces trois experts de leurs observations
et commentaires, qui m’ont apporté des éclaircissements et de nombreuses
informations.
2. «L’accès à la justice» à l’ère d’internet:
innovations et défis
4. L’accès à la justice est la
pierre angulaire de tout Etat démocratique fondé sur l’Etat de droit.
Pourtant, la jouissance effective de ce droit par les citoyens européens
continue à rencontrer divers obstacles, comme en témoigne par exemple
le nombre stupéfiant d’affaires dans lesquelles la Cour européenne
des droits de l’homme («la Cour») conclut à la violation de la Convention
européenne des droits de l’homme («la Convention»,
STE
n° 5) en raison de la durée excessive de la procédure judiciaire
nationale
. Les études
et la recherche universitaire semblent confirmer le fait que l’accès
au système judiciaire a souvent un coût considérable, non seulement
au vu du temps consacré à cette démarche, mais également sur le
plan financier
.
5. Plusieurs Etats, du moins en partie pour remédier à cette
limitation de l’accès à la justice, prennent des initiatives pour
réformer le processus judiciaire, en vue d’accélérer les procédures
et de les rendre plus abordables. L’utilisation de formes modernes
des TIC, notamment, est en augmentation.
6. Parallèlement, on observe – à la fois dans la pratique de
plusieurs Etats européens et dans le débat universitaire – que les
tribunaux ne sont plus considérés comme le seul espace de justice.
Le recours à la procédure de règlement parajudiciaire et extrajudiciaire
des litiges (REL)
, c’est-à-dire aux mécanismes de règlement
des litiges hors tribunaux, est de plus en plus fréquent; quelques
Etats (principalement des Etats membres de l’Union européenne) exigent
même que les parties cherchent d’abord à régler certains types de litiges
par la médiation avant de saisir les tribunaux.
7. L’évolution induite par l’ère d’internet a influencé cette
diversification des systèmes de règlement des litiges. L’utilisation
croissante d’internet a eu des répercussions sur la manière dont
les particuliers achètent des produits, reçoivent des informations
et communiquent. Les organismes du secteur privé et du secteur public
sont de plus en plus présents sur internet et alimentent l’augmentation
du commerce électronique, de la gouvernance électronique et de la
justice électronique. Ces initiatives ont simplifié et amélioré
l’interaction entre les particuliers et les entreprises, les administrations
et les tribunaux; elles ont généré de plus nombreuses possibilités
d’accéder à l’information. Compte tenu de cette situation, il n’est
guère surprenant que les prestataires de services de REL aient eux
aussi commencé à utiliser internet, donnant ainsi naissance aux procédures
de règlement en ligne des litiges (RLL).
8. Compte tenu de ces éléments, j’examinerai dans ce rapport
comment l’utilisation innovante des technologies au sein des tribunaux,
d’une part, et le RLL, d’autre part, peuvent permettre aux particuliers
de surmonter les obstacles à leur accès à la justice.
2.1. Définir
«l’accès à la justice» en se référant au cadre juridique prévu par
le Conseil de l’Europe
9. Une des principales difficultés,
lorsqu’on examine cette question, est l’incertitude qui prévaut
au sujet de la définition de la notion de «justice». Aux fins du
présent rapport, et conformément à l’
Avis
n° 7 «justice et société» du
Conseil
consultatif de juges européens (CCEJ), la «justice» s’entend de manière générale comme un
processus ayant pour but de trancher des litiges entre les parties
et qui représente un élément essentiel des sociétés démocratiques.
10. Ma conception de «l’accès à la justice», qui «est davantage
une formule descriptive qu’un concept juridique»
– est imprégnée de la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme sur les articles 6.1 (droit
à un procès équitable) et 13 (droit à un recours effectif) de la
Convention européenne des droits de l’homme. Ces dispositions protègent
le droit d’accès à une instance indépendante et impartiale qui assure
la protection judiciaire des droits fondamentaux, le droit à un
procès équitable et à un recours effectif, ainsi qu’aux aboutissements
justes et équitables offrant une réparation des atteintes subies.
Rappelons, à ce sujet, la
Résolution
2054 (2015) de l’Assemblée parlementaire sur l’égalité et la non-discrimination
dans l’accès à la justice, qui souligne que:
«Ces deux droits relèvent du concept plus large d’accès
à la justice, qui renvoie aux différents éléments conduisant à la
réparation appropriée de la violation d’un droit, tels que l’information
sur les droits et sur les procédures, l’aide judiciaire, la représentation
juridique, la qualité pour agir ou l’accès général aux tribunaux.»
11. Le premier commentaire formulé par la Cour au sujet de l’accès
à la justice remonte à l’affaire
Golder
c. Royaume-Uni , dans laquelle la Cour a établi
que l’article 6.1 ne confère pas seulement aux justiciables le droit à
un procès équitable dans les procédures déjà pendantes à leur encontre,
mais qu’il leur reconnaît également un droit d’accès aux tribunaux
pour engager une action en justice.
12. Depuis cette date, la Cour a souligné à plusieurs reprises
l’effet préjudiciable que les obstacles pratiques peuvent avoir
sur l’accès des justiciables à la justice. Selon la jurisprudence
constante de la Cour, l’exercice des droits consacrés par la Convention
européenne des droits de l’homme ne doit pas être «théorique ou illusoire»,
mais «concret et effectif»
. Cette
conception de l’article 6 a conduit la Cour à considérer certains obstacles
pratiques, qui empêchent les requérants de profiter du système judiciaire,
comme autant de violations de la Convention: c’est par exemple le
cas de l’incapacité à pouvoir s’offrir les services d’un avocat. L’accent
mis sur l’exercice effectif des droits a également donné lieu à
un certain nombre d’affaires portant sur l’aide judiciaire dispensée
dans les procédures civiles, en vue de favoriser l’égalité des armes
dans le règlement des litiges
.
13. La Cour a également reconnu l’incidence des procédures judiciaires
trop longues sur l’accès à la justice. L’article 6.1 de la Convention
fait sienne la notion de justice rapide, en précisant que toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement «dans
un délai raisonnable». Le caractère raisonnable de ce délai est
apprécié au vu des circonstances propres à chaque affaire
. La lutte contre
la lenteur excessive des procédures judiciaires est devenue une
priorité pour la Cour, qui a qualifié ce problème de systémique
dans un certain nombre d’arrêts pilotes prononcés récemment à l’encontre
de plusieurs Hautes Parties contractantes
.
14. Dans le même état d’esprit, la
Recommandation
CM/Rec(2010)3 du Comité des Ministres «sur des recours effectifs face
à la durée excessive des procédures» souligne que «les délais excessifs
dans l’administration de la justice constituent un danger sérieux,
en particulier pour le respect de l’Etat de droit et l’accès à la
justice».
15. De même, la
Magna
Carta des juges du CCJE, qui codifie les principaux avis adoptés par
le CCJE et définit l’accès à la justice comme l’un de ses principes
fondamentaux, souligne l’importance d’un «règlement rapide, efficace
et à un coût raisonnable des litiges». Il est intéressant de noter
que la Magna Carta des juges ne se focalise pas exclusivement sur
les procédures judiciaires. Cette conception correspond à ma propre approche,
ainsi qu’à celle de mon collègue M. Badea, dont le rapport susmentionné
donne une définition sans ambiguïté de la notion de «l’accès à la
justice», qui englobe les mécanismes de REL (paragraphe 10), comme la
médiation, la conciliation ou l’arbitrage.
16. Bien qu’ils ne donnent pas de définition précise de «l’accès
à la justice», la jurisprudence de la Cour et les textes précités
des autres organes du Conseil de l’Europe offrent un certain nombre
d’éléments d’orientation. Ils constituent selon moi un socle suffisant
pour permettre d’évaluer dans ce même esprit les procédures de RLL
et l’utilisation des TIC dans les procédures judiciaires.
2.2. Le
règlement en ligne des litiges – règlement extrajudiciaire des litiges
17. Le règlement en ligne des litiges
est une forme de règlement extrajudiciaire des litiges qui recourt
aux TIC et à internet pour simplifier et accélérer le règlement
d’un contentieux. Il est aujourd’hui très couramment, mais pas exclusivement,
utilisé pour régler les litiges nés de transactions commerciales
en ligne, par exemple sur des plates-formes de commerce électronique
comme eBay, mais également les litiges qui concernent les noms de
domaine ou d’autres questions de propriété intellectuelle. Tout
comme les procédures de règlement extrajudiciaire des litiges (REL)
qui ne font pas appel à internet, les systèmes de RLL peuvent être
structurés de diverses manières, selon la nature des litiges concernés.
Les systèmes de RLL peuvent comporter une personne qui joue le rôle
d’intermédiaire ou se limiter aux deux parties qui engagent une
procédure entièrement automatisée. On distingue habituellement trois
catégories de RLL, dont je donnerai plus loin des exemples: la négociation
automatisée et assistée, la médiation en ligne et l’arbitrage en
ligne
.
18. L’augmentation des procédures de RLL soulève un certain nombre
de points de droit et de questions relatives aux droits de l’homme
auxquels je tâcherai de répondre dans cette partie:
- quels sont les avantages des
procédures de RLL par rapport aux litiges classiques? Des études empiriques
ont-elles permis de déterminer si cette procédure présentait concrètement
des avantages éventuels?
- quels sont les risques et les défis du RLL?
- quels sont les types de litiges et domaines du droit les
plus adaptés aux procédures de RLL?
- existe-t-il, à l’inverse, des litiges qu’il convient de
ne jamais régler par RLL?
- la pertinence du recours au RLL dépendra-t-elle de son
caractère volontaire ou obligatoire, tant pour l’engagement de la
procédure que pour la conformité de son issue?
- l’utilisation obligatoire des procédures de RLL pour le
règlement de certains types de litiges avant un recours aux tribunaux
est-elle compatible avec les droits consacrés par la Convention?
Le refus de cet accès (initial) aux tribunaux est-il en particulier
légitime et proportionné au sens de l’article 6.1 de la Convention?
- quelles garanties procédurales la procédure de RLL doit-elle
comporter pour être conforme à l’article 6 de la Convention, surtout
sur le plan de l’égalité des armes entre les parties?
- le niveau de garantie varie-t-il selon que la procédure
de RLL aboutit à une décision contraignante ou non contraignante?
2.2.1. La
négociation en ligne (ou négociation électronique)
19. La négociation en ligne sert
souvent au règlement en ligne des demandes pécuniaires. L’une des premières
expériences du recours au RLL a débuté en 1996 avec la création
de
Cybersettle, un site web destiné à faciliter la négociation des
dommages-intérêts dans une procédure civile opposant deux parties. Cybersettle
a été créé principalement pour les affaires dans lesquelles la responsabilité
avait déjà été établie, les parties n’ayant plus qu’à convenir du
montant des dommages-intérêts – car le contentieux relatif à cette question
n’est souvent pas rentable. Les parties qui ont recours à Cybersettle
proposent chacune, à trois reprises et à l’aveugle, un montant.
Si, au cours de l’un des trois tours successifs, les deux montants
proposés par chaque partie sont suffisamment proches (en fonction
d’un pourcentage convenu au préalable), le chiffre médian entre
ces deux montants sera réputé accepté. Si les parties s’approchent
de cette solution, un modérateur les contacte toutes deux pour leur
proposer un tour supplémentaire d’offres.
20. Bien que le modèle de proposition à l’aveugle du montant des
dommages intérêts utilisé par Cybersettle et d’autres prestataires
soit également qualifié de «négociation automatisée», d’autres plates-formes
(dont eBay et PayPal) proposent une «négociation assistée», en proposant,
sur la base d’affaires similaires antérieures, un certain nombre
de solutions possibles aux parties à un litige
.
2.2.2. La
médiation en ligne (ou médiation électronique)
21. Cette forme de négociation
est souvent associée à une phase de médiation. Un exemple est fréquemment
cité dans le domaine de la médiation en ligne: celui d’eBay, qui
a mis en place, avec la jeune entreprise innovante sur internet
SquareTrade, un système de règlement en ligne des litiges qui permet
aux acheteurs et aux vendeurs de régler divers contentieux dans
un cadre structuré
. Les parties doivent répondre à
des questions posées sur un formulaire de plainte personnalisé et
joindre un certain nombre d’éléments à l’appui de leur demande.
SquareTrade transmet ce formulaire à la partie adverse et encourage
cette dernière à répondre. En l’absence de solution de compromis
entre les parties, l’une d’entre elles peut engager une procédure
de médiation. Le mécanisme de règlement des litiges mis en place
par Wikipédia fonctionne de manière comparable et offre un autre
excellent exemple de médiation en ligne
.
2.2.3. L’arbitrage
en ligne
22. Le RLL, conçu au départ comme
un mécanisme de règlement de litiges survenus exclusivement sur l’espace
(commercial) en ligne, s’oriente également de plus en plus vers
le règlement de litiges extérieurs à internet
. Un certain nombre de pays ont commencé
à mobiliser le potentiel d’internet pour accélérer et simplifier
le règlement des litiges entre les particuliers – une tendance dont
il convient, selon moi, de se féliciter. La Colombie Britannique,
au Canada, en offre un parfait exemple (le Canada jouit du statut
d’observateur auprès du Conseil de l’Europe). La Colombie Britannique
est en train de mettre en place un Tribunal de règlement des litiges
civils (
Civil
Resolution Tribunal), qui devrait être opérationnel à la fin de l’année
.
Ce tribunal représente la première juridiction en ligne d’Amérique
du Nord compétente pour les petits litiges et vise à recourir à
internet à toutes les étapes de la procédure de règlement des litiges.
La procédure utilisée devant cette juridiction va au-delà des exemples
précités, dans la mesure où, en l’absence d’un règlement à l’issue de
la phase initiale («auto-assistance») ou d’une phase de médiation,
les parties peuvent choisir de passer à l’étape de l’arbitrage.
A ce stade, un arbitre s’entretient avec les parties en ligne, par
téléphone ou par visioconférence, recueille les éléments de preuve
en ligne et rend une décision contraignante.
2.2.4. L’évolution
récente des RLL en Europe
23. L’Union européenne, qui a choisi
un modèle plus restreint de RLL, a adopté en 2013 la
Directive
2013/11/UE relative au règlement extrajudiciaire des litiges de
consommation («la directive REL») et le
Règlement 524/2013 relatif au règlement en ligne des litiges de consommation
(«le règlement RLL»).
24. Consciente des entraves au commerce électronique transfrontière,
et donc au marché intérieur, qui découlent de l’absence de mécanismes
de règlement des litiges peu coûteux et rapides, la
directive
REL impose aux Etats membres de veiller à l’existence de
mécanismes efficaces de règlement extrajudiciaire des litiges de
consommation relatifs à la fourniture de biens et à la prestation
de services. Chaque pays est tenu d’établir une autorité compétente
chargée du suivi du fonctionnement des prestataires agréés de REL.
25. Conformément aux dispositions du
règlement
RLL, l’Union européenne crée en ce moment une plate-forme
de RLL, qui vise à améliorer l’accessibilité en ligne des dispositifs
de REL
.
Cette plate-forme sera opérationnelle en janvier 2016. Elle tiendra
lieu de point de contact unique pour les commerçants, consommateurs
et prestataires de REL établis dans l’Union européenne et sera uniquement
applicable aux transactions en ligne effectuées entre ces parties,
qu’elles soient nationales ou transfrontières.
26. Cette plate-forme de RLL permettra aux consommateurs et aux
commerçants de déposer un formulaire électronique de plainte dans
l’une des langues officielles de l’Union européenne, d’y joindre
les documents pertinents et de choisir un prestataire de REL compétent
pour traiter ce litige. La plate-forme transmettra ensuite le formulaire
à l’autre partie. Sous réserve que cette dernière accepte de régler
ce litige par REL avec l’aide du prestataire choisi, la plate-forme
transmettra les informations à ce prestataire. Les prestataires
de REL peuvent, sans y être tenus, appliquer la procédure de règlement
des litiges au moyen de la plate-forme de RLL. Il importe de souligner
que tout prestataire de REL désireux de figurer sur la plate-forme
de RLL doit obtenir l’agrément de son autorité nationale compétente,
ce qui suppose au préalable que le prestataire se conforme aux normes
du droit européen relatives à: i) son indépendance et son impartialité;
ii) sa transparence; iii) son efficacité; iv) son objectivité; v)
sa liberté; et vi) sa légalité
.
27. Ces deux textes de loi représentent à mes yeux, comme à ceux
de nombreux universitaires et praticiens du droit, une importante
avancée vers la garantie de normes minimales de qualité applicable
aux prestataires de REL. Ils contribueront également à sensibiliser
les citoyens à l’existence de mécanismes de REL/RLL et à rendre
ces procédures plus accessibles. J’encourage par conséquent les
Etats membres qui sont également membres de l’Union européenne à
œuvrer en faveur de la transposition rapide et réussie du
règlement
RLL.
28. La constitution, par la
Commission
des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), d’un
Groupe
de travail III sur le règlement des litiges en ligne représentent une autre évolution notable dans ce domaine.
Ce groupe de travail est chargé d’établir un cadre juridique modèle
pour l’utilisation du RLL dans les litiges innombrables portant
sur de faibles montants, qui opposent les entreprises ou les entreprises
et les consommateurs. Les dispositions procédurales relatives au
RLL des transactions commerciales électroniques transfrontières,
rédigées par le groupe à l’état de projet, peuvent être incorporées
dans les contrats passés entre les parties, mais seront uniquement
applicables dans la mesure où elles sont compatibles avec le droit interne
en vigueur. Les dispositions proposées suivent une procédure à deux
voies: celle-ci débute par une négociation en ligne entre les parties,
suivie par une phase destinée à faciliter le règlement du litige;
elle se poursuit alors, soit par la voie I (arbitrage en ligne à
caractère contraignant), soit par la voie II (décision non contraignante)
. L’existence
de ces deux possibilités témoigne de l’absence de consensus au sein
du Groupe de travail (ainsi qu’au sein des juridictions nationales)
sur l’issue contraignante ou non de la procédure de RLL; elle reflète
également le fait que tous les pays n’autorisent pas que les accords
d’arbitrage qui précèdent la phase de contentieux soient contraignants
pour les consommateurs
.
2.2.5. Les
travaux du Conseil de l’Europe sur le règlement extrajudiciaire
des litiges (en ligne)
29. A ce jour, le Conseil de l’Europe
a principalement consacré ses travaux relatifs au règlement extrajudiciaire
des litiges aux procédures hors ligne. Or, comme plusieurs caractéristiques
du RLL, y compris ses avantages et inconvénients possibles, sont
les mêmes que pour les procédures de REL, les travaux entrepris
sur le REL se révéleront sans doute instructifs pour déterminer
si le RLL peut présenter un intérêt pour faciliter l’accès des particuliers
à la justice.
30. Il est intéressant de noter que la
Magna
Carta des juges du CCJE appelle les juges à faciliter le recours au
REL et à employer des modes de gestion des affaires adéquats. La
Commission
européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ) a, elle aussi, analysé tout récemment le lien
entre REL et accès à la justice dans un
rapport consacré à «L’accès à la justice en Europe». Par ailleurs,
le Comité des Ministres a abordé les questions relatives aux formes
extrajudiciaires de règlement des litiges dans un certain nombre
de recommandations. La
Recommandation
n° R (81) 7 sur «les moyens de faciliter l’accès à la justice» appelle, dans
son annexe, à la prise de mesures visant à encourager le recours
à la conciliation et à la médiation. La
Recommandation
n° R (98) 1 sur la «médiation familiale» précise que, compte tenu
des problèmes particuliers posés par les différends familiaux, la
médiation familiale peut promouvoir des solutions consensuelles
et atténuer le coût social et économique du divorce et de la séparation.
Dans sa
Recommandation
Rec(2001)9 sur «les modes alternatifs de règlement des litiges
entre les autorités administratives et les personnes privées», le
Comité des Ministres se félicite du recours aux modes alternatifs
de règlement des litiges administratifs, considérant qu’ils peuvent
favoriser le rapprochement de l’administration et des citoyens et permettre
un règlement plus rapide et moins coûteux des litiges. Parallèlement,
il souligne que «les modes alternatifs doivent se conformer aux
principes d'égalité, d'impartialité et respecter les droits des
parties». Dans ce même esprit, la
Recommandation
Rec(2002)10 sur «la médiation en matière civile» souligne l’importance d’un
système judiciaire juste, efficace et facilement accessible, en
faisant remarquer que les parties qui recourent à la médiation devraient
rester libres de saisir les tribunaux, car «l'accès au tribunal
(…) constitue la garantie ultime de protection des droits des parties».
31. L’arrêt le plus pertinent rendu par une juridiction européenne
en matière de RLL n’émane pas de la Cour européenne des droits de
l’homme, mais de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Mais cette dernière a mentionné la jurisprudence de la Cour de Strasbourg
en concluant en 2010, dans l’affaire
Rosalba Alassini , que le recours obligatoire à la médiation
avant de saisir les tribunaux dans certains litiges entre fournisseurs
et utilisateurs finals pouvait être autorisé et ne portait pas atteinte
au principe de la protection juridictionnelle effective consacré
par les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits
de l’homme et par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux
de l’Union européenne (
2000/C
364/01). Il peut être important de souligner à ce propos que
le délai de clôture de la procédure de règlement extrajudiciaire
était uniquement de 30 jours, après quoi les parties étaient libres
de saisir les tribunaux. En conclusion, la CJUE a admis que le but
poursuivi par l’obligation de recourir au préalable au RLL était
«un règlement plus rapide et moins onéreux des litiges en matière
de communications électroniques, ainsi qu’un désencombrement des tribunaux»
(paragraphe 64). Parallèlement, la CJUE a fait remarquer que l’exercice
de droits particuliers «pourrait être rendu pratiquement impossible
ou excessivement difficile pour certains justiciables, et notamment
ceux ne disposant pas d’un accès à Internet, s’il ne pouvait être
accédé à la procédure de conciliation que par la voie électronique»
. La CJUE a conclu que la protection
juridictionnelle effective était assurée, pour autant que la voie
électronique ne constitue pas l’unique moyen d’accès à la procédure
de conciliation
.
Je ne peux que féliciter la CJUE de son raisonnement très nuancé.
32. La Cour européenne des droits de l’homme s’est à ce jour rarement
prononcée sur le REL ou le RLL. Le juge Malinverni a commenté de
manière positive le REL dans son opinion concordante formulée dans l’affaire
Stempfer
c. Autriche ,
qui portait sur le fait de savoir s’il fallait favoriser les recours
préventifs ou les recours en indemnisation dans les affaires portant
sur la durée excessive de la procédure. Il a estimé qu’il fallait privilégier
les mesures préventives, y compris la possibilité de règlement extrajudiciaire
des litiges dans les affaires de droit privé, aux recours en indemnisation.
Mais la Cour n’a pas encore eu l’occasion de préciser sa position
sur l’adéquation des procédures de REL ou RLL à la garantie d’un
procès équitable consacrée par l’article 6 de la Convention. Néanmoins,
certaines orientations peuvent être déduites de sa jurisprudence, surtout
si l’on établit une distinction entre participation volontaire et
participation obligatoire au REL/RLL.
33. Lorsque les particuliers décident volontairement de recourir
au REL (en ligne ou hors ligne), les conclusions présentées par
la Cour dans un certain nombre d’affaires de renonciation se révèlent
instructives. La Cour a en effet déclaré que le fait de renoncer
au droit de saisir un tribunal ne porte pas en principe atteinte à
la Convention, au vu des avantages qu’il présente
pour les
justiciables et l’administration. Compte tenu de l’importance du
droit à un procès équitable, le consentement à un renoncement doit
être donné librement et ne pas être «entaché de contrainte»
. Précision essentielle, la Cour
a souligné qu’une procédure de REL devait comporter certaines garanties
procédurales pour être conforme à l’article 6 de la Convention.
Par ailleurs, il n’est pas possible de renoncer à l’intégralité
des droits consacrés par l’article 6, comme le droit à un juge impartial
.
34. Lorsque l’Etat exige des justiciables qu’ils recourent en
premier lieu à un REL/RLL avant de saisir les tribunaux, la question
essentielle est de savoir si cette restriction imposée à l’accès
à un tribunal est légitime et proportionnée au regard de l’article
6.1 de la Convention. A cet égard, la jurisprudence de la Cour sur
la compatibilité des décisions administratives avec les garanties
fondamentales consacrées par l’article 6.1 de la Convention peut
servir d’indicateur de ce qu’autorise la Convention. Reconnaissant
que «[d]es impératifs de souplesse et d’efficacité (…) peuvent justifier
l’intervention préalable d’organes administratifs ou corporatifs,
et a fortiori d’organes juridictionnels ne satisfaisant pas sous
tous leurs aspects à ces mêmes prescriptions [fixées par l’article
6.1 de la Convention]»
, la
Cour a constamment considéré qu’elle ne constaterait aucune violation de
cette disposition si la procédure engagée devant des organes qui
ne satisfont pas aux exigences de l’article 6.1 de la Convention
européennes des droits de l’homme font l’objet du «contrôle ultérieur
d’un organe judiciaire de pleine juridiction»
.
2.2.6. Les
avantages possibles du RLL
35. Il s’agit donc de savoir si
les procédures de RLL sont réellement plus souples et plus efficaces
que les procédures engagées devant les tribunaux ou, plus généralement,
quels sont les avantages possibles du RLL.
36. Avant tout, le RLL a la capacité d’atténuer les entraves économiques
à l’accès à la justice. L’engagement d’un contentieux classique
peut être coûteux, en particulier à cause des frais d’avocat, des dépens
et des frais de déplacement (surtout pour les litiges transfrontières).
Le coût d’un litige dissuade souvent les justiciables de chercher
à le régler ou à faire respecter leurs droits, ce qui laisse bon
nombre d’entre eux sans accès à un recours effectif qui leur permette
d’obtenir réparation. C’est particulièrement le cas dans les litiges
qui portent sur un faible montant, comme ceux qui naissent des nombreuses
transactions commerciales électroniques, pour lesquelles les procédures
de RLL peuvent représenter un important dispositif de protection
des consommateurs.
37. L’accès à la justice dépend non seulement de la situation
socio-économique de l’intéressé, mais également de la géographie;
or, l’accès géographique à la justice risque de devenir de plus
en plus difficile en raison de la tendance à la réduction du nombre
de tribunaux
. La technologie
offre la capacité d’améliorer l’accès à des mécanismes de règlement
des litiges, surtout aux justiciables qui résident dans les zones
rurales. L’administration australienne a tout particulièrement tenu
à exploiter la capacité des RLL à faciliter l’accès à la justice
des personnes qui résident dans des zones reculées du pays
. Je suis d’avis que les Etats
européens devraient eux aussi réfléchir de manière plus approfondie
à ces possibilités.
38. Selon la nature du litige, le recours aux instruments de RLL
peut également diminuer les frais entraînés par le conseil et la
représentation d’un avocat, même s’il n’est pas question d’en déduire
que les parties à une procédure de RLL peuvent se passer de ces
services juridiques. Il serait erroné de croire que la valeur relativement
modeste des litiges traités à l’heure actuelle par RLL va forcément
de pair avec la simplicité juridique du dossier
. Au
vu de l’importance que le Conseil de l’Europe attache à l’aide juridictionnelle
, il me semble essentiel que les administrations
s’emploient activement à promouvoir et à défendre des normes minimales
applicables à la justice sur le plan de l’égalité des armes, y compris
le cas échéant en fournissant une aide juridictionnelle ou la représentation
d’un avocat
.
39. La durée de la procédure judiciaire, qui est allongée par
les restrictions de ressources imposées à l’appareil judiciaire,
représente un autre obstacle à l’accès à la justice. Le RLL peut
être un excellent moyen d’accroître les mécanismes disponibles de
règlement rapide des litiges, tout en allégeant la charge de travail des
tribunaux. Il permet aux parties de régler les litiges rapidement
et de manière souple. Comme ce processus peut être mené de manière
asynchrone, les parties peuvent participer à la négociation à leur
convenance. Cet avantage est particulièrement net pour les litiges
transfrontières, surtout lorsqu’ils concernent des parties situées
dans des fuseaux horaires différents.
40. Il convient de souligner, à propos des avantages que peut
présenter le RLL, que le règlement en ligne des litiges va bien
au-delà d’un simple règlement classique des litiges dans le cyberespace.
Les principes et valeurs sur lesquels se fonde la procédure de RLL
sont en vérité différents de ceux qui prévalent dans le contentieux
tranché par les tribunaux
: le modèle
du RLL/REL vise à réaliser l’harmonie sociale par des solutions
consensuelles. Les mécanismes classiques de règlement juridictionnel
des litiges ont tendance à accroître la confrontation entre les
parties et à s’achever sur une décision de justice imposée par le
juge aux parties, qui fait autorité; en revanche, les procédures
de RLL/REL peuvent mettre l’accent sur le compromis et sur une issue
mutuellement acceptable pour les parties ou des situations avantageuses
pour les deux parties. Cette solution peut être particulièrement
bienvenue pour des parties qui souhaitent préserver leurs rapports commerciaux
ou autres et leur réputation commerciale sur le marché concerné
à l’avenir
.
Comme je l’ai indiqué plus haut à propos de la
Recommandation
n° R (98) 1 sur la «médiation familiale», les litiges qui surviennent
dans le cadre du droit de la famille ont tendance à demander des
solutions consensuelles. Cette plus grande variété de solutions
possibles (y compris, en particulier, des solutions dépourvues de
caractère pécuniaire) peuvent également renforcer la satisfaction
des parties à l’égard de la procédure de règlement des litiges
.
41. Au vu de cette situation, il n’est guère surprenant que les
autres avantages des procédures de RLL correspondent pour l’essentiel
à ceux que présentent les procédures classiques de REL hors ligne
par rapport au contentieux conventionnel devant les tribunaux. A
l’instar des procédures de REL, le RLL peut offrir aux parties davantage
de souplesse que les mécanismes juridictionnels classiques
, tant sur le plan des procédures
employées que sur celui des solutions prescrites
. Les structures du RLL sont bien souvent prévues
pour des catégories limitées de litiges (comme le règlement en ligne
de demandes à caractère pécuniaire). Elles peuvent être modifiées
pour s’adapter aux caractéristiques particulières du litige et permettent
une plus grande diversité de procédures, d’issues et d’exigences
en matière d’éléments de preuve. En outre, le système pourrait être
davantage adapté aux besoins des parties, dans la mesure où, alors
que les parties à un litige ont souvent le sentiment de n’avoir
aucun contrôle sur la procédure juridictionnelle, le caractère informel
de la médiation en ligne peut faciliter leur autonomie, ainsi que
la prise en main et l’appropriation par les parties du processus
de règlement du litige
.
2.2.7. Les
limites et les inconvénients du RLL et les moyens qui permettent
de les surmonter
42. Bien que les observations précédentes
laissent penser que le fait d’intégrer l’utilisation d’internet
dans les processus de règlement des litiges pourrait permettre d’améliorer
l’accès à la justice, il n’existe toujours pas d’études empiriques
qui confirment les implications positives du RLL en termes par exemple
d’efficacité, de coût ou de satisfaction des parties
.
Qui plus est, le recours excessif aux instruments en ligne peut
présenter des inconvénients et des risques pour certains justiciables.
43. Les critiques formulées par les médiateurs classiques pointent
du doigt la dimension impersonnelle de la médiation en ligne. La
médiation est habituellement considérée comme un processus reposant
par essence sur les rapports personnels entre des intéressés qui
s’entendent pour parvenir à une solution satisfaisante et mutuellement
acceptable
. La médiation
par courrier électronique limite la capacité des médiateurs à établir des
rapports personnels avec les parties. Mais, selon moi, l’intégration
d’autres outils technologiques dans les procédures de RLL – notamment
la visioconférence – peut, dans une certaine mesure, atténuer cet
apparent inconvénient.
44. En outre, les utilisateurs d’internet peuvent rencontrer des
difficultés techniques à utiliser les instruments en ligne autonomes,
de sorte que les processus de RLL risquent d’être inaccessibles
aux populations les plus vulnérables
. Si l’utilisation de
ce processus peut s’avérer simple et suffisamment explicite, il
me paraît essentiel de garder à l’esprit que le règlement des litiges
comporte bien souvent des questions de droit qui ne sont pas à la
portée des personnes dépourvues de formation juridique. C’est pourquoi
les procédures de RLL ne devraient pas exclure de manière générale
la possibilité de faire appel à un conseil juridique. Il importe
que la possibilité de consulter un professionnel du droit existe,
car cette garantie assure la protection du droit à un procès équitable
consacré par l’article 6 aux justiciables qui choisissent d’engager
une procédure de RLL.
45. A cet égard, il convient également de noter que, aujourd’hui
encore, internet n’est pas accessible à tous. Il n’existe donc pas
nécessairement d’égalité sur le plan des avantages que peut présenter
le RLL en matière d’accès à la justice. C’est ce que montre l’
Etude
sur les communications électroniques auprès des ménages publiée en 2012 par la Commission européenne: alors
que 64 % des ménages de l’Union européenne ont accès à internet
et que celui-ci continue à croître d’année en année, le pourcentage
national s’étend de 93 % (aux Pays-Bas) à 42 % (en Grèce). On peut
s’attendre à ce que des disparités comparables, voire plus importantes
encore, existent entre les Etats membres du Conseil de l’Europe.
L’Assemblée a reconnu, dans sa
Recommandation 1586 (2002) sur la fracture numérique et l’éducation, que la numérisation
risquait de créer une fracture numérique et a souligné qu’il importait
d’assurer l’égalité d’accès au matériel numérique.
46. L’étude de la Commission européenne révèle également qu’une
fracture numérique a tendance à se dessiner selon des critères socio-démographiques.
On constate en effet que les populations rurales et les personnes
âgées, ainsi que les catégories plus défavorisées de la société,
ont moins accès à internet. Certes, l’étendue réelle de la fracture
numérique est peut-être moins marquée que les chiffres ne le laissent
penser, car certaines personnes peuvent utiliser internet à titre
accessoire ou de manière indirecte, c’est-à-dire bénéficier indirectement
d’internet par l’entremise d’autres personnes
ou avoir la possibilité
d’utiliser les services en ligne à leur travail ou dans leur établissant
scolaire
. Mais l’existence de
cette fracture conduit à penser que, pour le moment tout au moins,
le RLL ne saurait se substituer à un système juridictionnel juste
et efficace, dont il ne peut être que le complément. C’est pourquoi
je propose qu’il soit possible de mettre en place un RLL parallèlement
à d’autres instruments plus classiques de règlement des litiges,
afin d’éviter que les parties qui n’ont pas accès à internet se
trouvent injustement désavantagées
.
47. Le risque de l’inégalité d’accès aux procédures de RLL est
lié à la question de l’égalité des armes
. Les systèmes
de RLL peuvent favoriser les acteurs fréquents, c’est-à-dire les
parties qui recourent fréquemment à un même prestataire de règlement
des litiges
. De par les rapports qu’elles
entretiennent avec les médiateurs, ces parties (en général des entreprises,
de grandes institutions et des services administratifs) peuvent
bénéficier d’un avantage par rapport aux utilisateurs occasionnels
des services de médiation (en particulier les consommateurs); ces
derniers «peuvent se sentir pressés d’accepter un règlement moins favorable
que ne le justifient les éléments de l’affaire, en raison de leurs
besoins financiers, de l’exploitation qui est faite de leur désir
d’accès [à leurs enfants] et/ou de leur manque des moyens qui leur
permettent de s’engager dans un litige lorsqu’ils ne disposent pas
d’une aide judiciaire»
.
Ce risque d’inégalité des moyens de négociation, qui place une partie
dans une situation désavantageuse, peut être atténué si l’on structure convenablement
le processus de médiation, de manière à en exclure autant que possible
toute partialité. Il importe que les prestataires de services de
RLL prennent les mesures qui s’imposent pour préserver l’impartialité
du processus de règlement des litiges.
48. L’un des moyens de garantir l’indépendance et l’impartialité
des prestataires pourrait être d’établir une liste de prestataires
de RLL présélectionnés parmi lesquels le consommateur pourrait choisir,
afin de s’assurer que ni le consommateur ni le détaillant n’a de
lien direct avec cet organisme. Cette méthode devrait être combinée
à un système uniforme de certification, c’est-à-dire à un label
commun que seuls les prestataires agréés peuvent afficher sur leur
site web respectif pour obtenir la confiance des particuliers dans
ce processus. Les administrations peuvent et devraient jouer un
rôle capital dans ce domaine, en agréant ces prestataires et en
assurant un suivi constant de leurs activités et de leur conformité
avec le droit.
49. Les détracteurs du RLL (ou plus généralement du REL) attirent
par ailleurs l’attention sur le fait que le détournement des litiges
de la sphère publique (c’est-à-dire des tribunaux) au profit d’un
univers confidentiel ou privé (le RLL) peut entraver l’évolution
du droit et compromettre le rôle joué par les tribunaux dans l’établissement
de précédents de la jurisprudence
. S’il est vrai que certains litiges
ne devraient pas être traités par REL/RLL pour ne pas compromettre
la fonction sociale des décisions de justice
, je crois en revanche
que le processus de RLL peut réellement dépasser le simple règlement
individualiste de litiges isolés. Comme je l’ai indiqué plus haut,
les prestataires de RLL s’appuient sur l’expérience acquise à l’occasion d’accords
de règlement antérieurs dans des affaires similaires pour recommander
des solutions possibles, en utilisant la technologie pour recenser
les modèles récurrents de litiges et classer les plaintes en diverses catégories.
C’est ce qui a poussé les observateurs à conclure que «le RLL est
particulièrement attrayant lorsque l’étude du dossier porte sur
des événements systémiques ou lorsqu’un un même dossier comporte
une multiplicité de plaintes»
.
Vu sous cet angle, le RLL peut être considéré non seulement comme
un moyen de règlement des litiges, mais également comme une occasion
de les prévenir, notamment en modifiant le comportement des commerçants
.
50. Le fait que la partie défenderesse puisse refuser de prendre
part à un RLL lorsqu’elle y est invitée par la partie demanderesse
est également une source de préoccupation. Les experts auditionnés
par notre commission étaient néanmoins d’accord pour considérer
que l’engagement d’une procédure de RLL devait demeurer volontaire.
On peut attendre des prestataires de RLL qu’ils conçoivent leur
dispositif ou assurent leur service de manière à renforcer la confiance
des utilisateurs dans son impartialité et son efficacité. Il semble logique
de penser que si les parties ne sont pas satisfaites du traitement
et du règlement de leur différend, ce qui ne dépend pas forcément
du fait qu’elles obtiennent gain de cause ou non
,
elles cesseront d’y avoir recours. Je suis néanmoins convaincu,
comme nous l’avons vu plus haut, que les administrations peuvent jouer
un rôle essentiel dans la promotion de cette confiance, afin d’inciter
les justiciables à recourir aux procédures de RLL.
51. En outre, même si une partie accepte d’y prendre part de manière
volontaire, la partie qui n’obtient pas satisfaction risque de refuser
de respecter l’issue de la médiation; cela amène à s’interroger
sur la manière de faire respecter les décisions auxquelles aboutissent
les procédures de RLL. Là encore, l’existence d’un système de certification
pourrait être une solution: on pourrait par exemple envisager qu’une
entreprise désireuse d’obtenir une certification officielle s’engage
à exécuter un certain pourcentage de décisions rendues par un arbitre
(par exemple 98 %, comme c’est le cas pour Youstice, la société
de l’un de nos experts). En ce sens, j’aurais tendance à souscrire
à la proposition faite par Mme Havlova lors de la deuxième audition de
la commission, c’est-à-dire au caractère contraignant du RLL pour
la partie la plus puissante (c’est-à-dire le détaillant ou le commerçant),
mais pas pour la partie la plus faible (c’est-à-dire le consommateur
ou le client), et à la possibilité donnée à cette dernière d’engager
une nouvelle procédure devant les tribunaux si elle n’est pas satisfaite
de l’issue du RLL. Il importe par conséquent, selon moi, soit qu’il
existe un délai précis de RLL, de manière à ce que la partie concernée
ne perde pas son droit d’accès au tribunal en raison de l’expiration du
délai de prescription, soit que ce délai de prescription soit suspendu
pendant la durée de la procédure de RLL.
52. Tout en étant favorable au droit de faire appel des décisions
de RLL devant un juge, j’ai bien conscience du fait que, en raison
de la nature même de ces décisions, il risque d’être peu pratique
de mettre en place une procédure d’appel devant les juridictions
ordinaires, notamment parce que les raisons qui ont poussé les parties
à choisir le RLL au départ peuvent les empêcher de se prévaloir
d’une procédure d’appel devant l’appareil judiciaire. Il me paraît
donc indispensable d’élaborer des modes pratiques et efficaces d’exécution extrajudiciaire
des décisions
.
On pourrait envisager de confier à l’avenir cette fonction à des
«cyber-tribunaux» supervisés ou mis en place par les pouvoirs publics,
qui satisfassent à l’ensemble des exigences de l’article 6 de la
Convention européenne des droits de l’homme
.
53. Le fait de concevoir les procédures de RLL de façon à garantir
le respect des droits fondamentaux de leurs utilisateurs peut se
heurter à des difficultés supplémentaires. Par exemple, les prestataires
de services de RLL doivent être extrêmement attentifs, sans doute
plus encore que les tribunaux, à préserver le caractère privé et
authentique des communications. Les utilisateurs de RLL enverront
en effet par internet des documents, des formulaires et des informations
relatives à leur identité à la partie adverse et probablement aux
médiateurs ou arbitres; il existe donc un risque d’altération de
dossiers comportant des informations confidentielles ou des informations
personnelles sensibles. Le cryptage des informations pourrait être
un moyen de garantir la sécurité des données. De même, il sera en
principe capital de garantir le secret professionnel du tiers neutre
chargé de l’arbitrage ou de la médiation en ligne
.
Afin de favoriser la participation des citoyens aux procédures de
RLL, les éventuels participants doivent se sentir assurés que le risque
d’une atteinte à leur vie privée est faible
. Les prestataires de services de RLL devraient
informer au préalable les utilisateurs des modes de conservation,
d’utilisation et de destruction des informations dont ils disposent
.
54. Enfin, compte tenu de la jurisprudence de la Cour que j’ai
évoquée plus haut (paragraphes 32 à 34), il est clair qu’il ne saurait
être question de sacrifier l’essence même des droits consacrés par
la Convention, comme le droit à un tiers indépendant et impartial
et le droit au règlement d’un litige dans un délai raisonnable
. Mais le
niveau de garantie des procédures de règlement extrajudiciaire en
ligne des litiges variera en fonction des spécificités de chaque
système de RLL. Les différents niveaux de garantie procédurale du
processus de REL/RLL doivent être fixés par l’Etat, qui doit également
veiller à l’existence de garanties procédurales minimales.
55. En dehors de ces risques, il existe des obstacles pratiques
à l’extension de l’utilisation des procédures de RLL, à commencer
par le fait que leurs utilisateurs potentiels ne connaissent pas
les avantages du RLL et n’ont pas confiance en ce système. Les universitaires
et les experts auditionnés par notre commission ont souligné le
rôle déterminant que les pouvoirs publics peuvent jouer, en diffusant
les informations relatives au RLL et en encourageant leurs utilisateurs
potentiels à avoir confiance en ce processus. Les pouvoirs publics peuvent,
et je les encourage à le faire, agréer les mécanismes de RLL et
surveiller constamment leur conformité aux normes européennes de
respect de procédure équitable, de transparence, d’équité, d’impartialité
et de cohérence. Ils peuvent établir des bureaux centraux, comme
c’est le cas du système de l’Union européenne présenté plus haut,
et prévoir des procédures d’appel en ligne
.
Le Conseil de l’Europe peut quant à lui contribuer à promouvoir
le RLL en poursuivant son bilan des procédures de RLL utilisées
par les Etats membres, afin de veiller à ce que les procédures et
la pratique favorisent l’efficacité de la justice, tout en continuant
à protéger les droits des usagers.
56. Les besoins en traduction représentent une autre entrave possible
au développement du RLL. L’aide à la traduction doit être une composante
incontournable des systèmes de RLL qui visent à régler les litiges transfrontières.
Le portail de RLL de l’Union européenne met fortement l’accent sur
la traduction, en proposant des formulaires de plainte dans toutes
les langues officielles de l’Union européenne, en traduisant le
formulaire de plainte dans la langue de la partie défenderesse et
en traduisant les informations nécessaires au règlement du litige.
Le système mis en place par l’Union européenne a cependant une limite:
bien que le portail soit disponible dans toutes les langues de l’Union
européenne, le processus de règlement du litige proprement dit se
déroule dans la langue choisie par le prestataire de REL
.
Le fait de développer encore et de mettre davantage l’accent sur
la médiation multilingue peut faciliter la création d’un processus
de communication plus en douceur et plus confortable entre les médiateurs
et les parties au litige
.
J’invite les Etats membres à redoubler d’efforts en la matière.
2.2.8. Quelques
remarques en guise de conclusion sur le RLL
57. Les procédures de règlement
en ligne des litiges s’accompagnent de considérations complexes
sur le plan du droit et des droits de l’homme. A cet égard, certains
types de litiges se prêtent bien au RLL, tandis que pour d’autres
le recours aux modes de règlement en ligne peut être inapproprié
parce que, par exemple, ils risquent de créer, de perpétuer, voire
d’accentuer une inégalité des armes.
58. Le traitement des litiges par les systèmes de RLL qui existent
déjà permet de déterminer les types de litiges qui se prêtent habituellement
bien au RLL; parmi ceux-ci pourraient figurer la litiges commerciaux
entre acheteurs et vendeurs, les litiges portant sur des créances
ou des dommages-intérêts lorsque la responsabilité de la partie
concernée n’est pas contestée, la restitution d’un bien personnel,
l’exécution spécifique d’un accord portant sur une prestation de
service ou un bien personnel, les litiges entre propriétaires et
locataires et certaines affaires de droit de la famille dans lesquelles
les membres d’une famille sont séparés par d’importantes distances
géographiques.
59. En revanche, le règlement en ligne des litiges peut s’avérer
un dans un certain nombre de cas. Il convient ici d’établir une
distinction entre, d’une part, les litiges adaptés à un REL en présence
des parties, mais pas au RLL, et, d’autre part, les litiges généralement
inadaptés au REL. Pour la première catégorie, si l’on prend le dernier
exemple cité ci-dessus, on pourrait dire que la médiation hors ligne
devrait être préférée à la procédure devant un tribunal dans les
litiges qui portent sur la garde des enfants, car elle permet de préserver
les relations existantes. L’engagement d’une procédure en ligne
risquerait de dépersonnaliser à l’excès des questions très personnelles
et de compromettre l’objectif même du règlement extrajudiciaire.
Par ailleurs, la plupart des affaires pénales, notamment celles
qui donnent lieu à une grande quantité de preuves matérielles, se
prêtent mal un règlement en ligne du litige. Un exemple du deuxième
cas concerne l’article 48.1 de la Convention du Conseil de l’Europe
sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et
la violence domestique (
STCE
n° 210), qui interdit les processus obligatoires de règlement
extrajudiciaire des litiges dans les affaires de violence domestique.
J’approuve pleinement l’approche retenue par la convention et l’évaluation
de cette dernière par M. Badea dans le rapport précité. Un règlement
dépourvu de procédure contradictoire n’est pas adapté aux cas d’actes
allégués de violence.
60. Plus généralement, je partage le point de vue des trois experts
qui ont témoigné devant la commission: il importe que le RLL ne
soit pas obligatoire
.
Il devrait au contraire avoir un caractère volontaire et être utilisé dans
les situations où il présente le plus d’avantages.
61. J’ajouterais qu’il devrait toujours être possible de soumettre
l’issue d’un RLL à un contrôle juridictionnel. Le fait de compléter
les mécanismes de RLL par des garanties procédurales qui permettent
l’exercice d’un contrôle juridictionnel par une instance capable,
d’une part, d’examiner aussi bien les éléments de fait et les points
de droits qui ont présidé à la décision de RLL et, d’autre part,
d’annuler cette dernière lorsqu’elle n’est pas conforme aux normes
minimales qui garantissent le respect de la légalité permettrait
non seulement de favoriser la confiance des citoyens dans le règlement
extrajudiciaire, mais encore de préserver la garantie de procès
équitable consacrée par la Convention
.
62. On peut également conclure que le RLL, s’il peut aider de
nombreuses personnes à régler leur litige, n’est certainement pas
la panacée. Il est vrai que son coût, inférieur à celui du contentieux
classique, est un avantage. Mais la promotion de modes alternatifs
de règlement des litiges, que ce soit en ligne ou hors ligne, ne
saurait être le seul moyen de remédier aux obstacles d’ordre économique
qui entravent l’accès aux tribunaux. Le système judiciaire devrait
être lui-même plus efficace (et économique). Cela m’amène au dernier point
du rapport, à savoir l’intégration des technologies de l'information
et des communications (TIC) en salle d’audience, qui pourrait contribuer
à rendre les tribunaux classiques plus accessibles.
2.3. L’intégration
des technologies de l'information et des communications en salle
d’audience
2.3.1. L’utilisation
des TIC dans la procédure judiciaire
63. L’intégration des TIC dans
la procédure judiciaire n’est pas une nouveauté pour le Conseil
de l’Europe. Dans sa
Résolution
2054 (2015) sur l’égalité et la non-discrimination dans l’accès
à la justice, l’Assemblée invite les Etats membres «à promouvoir
et à améliorer les connaissances juridiques en recherchant et en mettant
en œuvre des mécanismes d’information spécifiques et des stratégies
de communication innovantes» (paragraphe 4.1). La CEPEJ, dans ses
Lignes
directrices révisées relatives à la création de cartes judiciaires visant
à faciliter l’accès à la justice dans un système judiciaire de qualité de 2013, et le CCJE, dans son
Avis n°
14, «Justice et technologies de l’information (TI)», préconisent
le recours accru aux TIC dans les tribunaux. Alors que la première
examine si les TIC peuvent atténuer les effets négatifs de la récente
tendance au regroupement des tribunaux (par la fusion des juridictions
locales) sur l’accès à la justice, évoquée plus haut, le second
étudie le rôle joué par les TIC dans le renforcement des garanties
consacrées par l’article 6 de la Convention et conclut que les TIC
peuvent améliorer l’accès à la justice et diminuer la durée des
procédures judiciaires.
64. Les TIC peuvent être intégrées au système judiciaire de deux
manières distinctes. En premier lieu, les tribunaux peuvent utiliser
les TIC pour leur communication externe, qui englobe, sans s’y limiter,
le recours à la visioconférence pour la déposition des témoins à
distance, les procédures sans utilisation de papier et l’enregistrement
audio et/ou vidéo des auditions. La visioconférence permet à un
témoin de déposer depuis un lieu distant ou secret, ou depuis une
pièce adjacente à la salle d’audience, pour éviter qu’il ne se trouve
face à l’accusé; cet outil est jugé utile à la protection des témoins
. L’Assemblée s’est félicitée
du recours accru à la liaison vidéo pour la déposition des témoins
dans sa
Résolution 1784
(2011) «La protection des témoins: pierre angulaire de la justice
et de la réconciliation dans les Balkans». Les procédures sans utilisation
de papier concernent le recours aux citations à comparaître électroniques,
à l’engagement électronique d’une action en justice et aux signatures
électroniques. Les procédures sans utilisation de papier sont de
plus en plus fréquentes au sein des systèmes judiciaires nationaux
en Europe. L’Union européenne a également encouragé l’engagement
électronique d’une action en justice en établissant récemment la
Procédure européenne
de règlement des petits litiges, une procédure écrite prévue pour le règlement des litiges transfrontières
d’un montant inférieur à 2 000 euros devant les juridictions nationales.
La procédure permet à la partie demanderesse de transférer en ligne
les informations et les éléments de preuve au tribunal dans les limites
autorisées par l’Etat membre compétent pour connaître de la demande.
Mais, pour le moment, seuls quelques pays cherchent à promouvoir
l’engagement électronique d’une action en justice et le dépôt électronique
des conclusions; la plupart des Etats membres continuent à exiger
l’envoi des documents par courrier.
65. Le deuxième mode d'utilisation des TIC, à savoir pour la communication
interne des tribunaux, comporte notamment l’incorporation des systèmes
de gestion automatisée des affaires, des bases de données électroniques
de jurisprudence et des systèmes d’aide au choix des peines. Les
systèmes de gestion automatisée des affaires permettent au personnel
des tribunaux de fixer la date des audiences, d’attribuer les affaires
à un juge et d’exercer d’autres fonctions par voie électronique,
en effectuant ces tâches plus rapidement qu’avec la gestion des
affaires en format papier. Les bases de données électroniques de jurisprudence
aident les juges et (le cas échéant) les juristes qui les assistent
à effectuer des recherches dans la jurisprudence. Les systèmes d’aide
au choix des peines offrent aux juges chargés de déterminer les
peines le moyen de consulter facilement les informations relatives
au choix des peines dans des affaires similaires, sans pour autant
restreindre le pouvoir d’appréciation judiciaire des magistrats
, en vue de renforcer la cohérence de
la pratique des différents tribunaux et de favoriser ainsi l’égalité
de traitement et la sécurité juridique.
2.3.2. Tirer
le meilleur parti des TIC dans la procédure judiciaire
66. Les exemples ci-dessus laissent
penser que l’incorporation des TIC dans les systèmes judiciaires peuvent
permettre aux justiciables de mieux connaître leurs droits et la
procédure judiciaire. En dehors du fait qu’elles simplifient l’accès
au système judiciaire et aux informations sur l’état d’avancement
des procédures en cours, les TIC offrent également la possibilité
d’améliorer la communication entre les tribunaux et les justiciables.
Les systèmes de gestion automatisée des affaires, par exemple, permettraient
d’accélérer la procédure judiciaire. Les technologies telles que
les bases de données électroniques de jurisprudence et les systèmes
d’aide au choix des peines peuvent, quant à eux, contribuer à rendre
l’issue des procédures plus juste, plus égalitaire et plus prévisible.
67. Mais l’utilisation des TIC se heurte à certains obstacles.
Les contraintes budgétaires de nombreux pays entravent l’intégration
des TIC dans le système judiciaire. A court terme, la mise en place
de ces technologies et la formation du personnel des tribunaux à
leur utilisation exigent en effet d’importants investissements
.
Il est difficile d’avoir des chiffres précis sur, d’une part, le
coût de l’utilisation de la technologie dans les salles d’audience
et, d’autre part, les économies qu’elle permet; les pouvoirs publics
devraient continuer à suivre l’évolution technologique, afin de
déterminer les modes les plus économiques et les plus efficaces
de numérisation des procès, tout en veillant à ce qu’aucune atteinte
ne soit portée aux garanties de la procédure. Le risque de diminution
à court terme de la productivité après la mise en place des TIC
souligne l'importance de l'étalement dans le temps des nouvelles
technologies. Il importe que les tribunaux soient conscients de
la courbe d'apprentissage qui accompagne l'intégration des nouvelles
technologies, notamment si la baisse d'efficacité à court terme
peut limiter les futurs investissements dans les TIC. Le système
de gestion informatique de pointe des affaires de la Cour européenne
des droits de l’homme pourrait servir d’exemple pour l’administration
de la justice dans les Etats membres.
68. Un autre facteur qui entrave une plus large utilisation des
TIC dans les procédures judiciaires est le caractère préjudiciable
qu’elles pourraient avoir pour les parties qui n’ont pas l’habitude
de recourir aux technologies de l’information. Comme nous l’avons
indiqué plus haut, de nombreuses personnes n’ont toujours pas accès
à internet. Il peut donc s’avérer indispensable pendant quelque
temps de conserver les moyens de communication classiques avec les
tribunaux, tout en proposant, sans les imposer, des procédures sans utilisation
de papier
.
69. Pour qu’elle soit un succès, l’utilisation des TIC exige la
participation active et le soutien des juges. A mesure que les TIC
seront plus intégrées dans le système judiciaire, les juges auront
probablement un rôle important à jouer dans le recensement et la
limitation des risques que les TIC pourraient présenter pour les droits
procéduraux des parties
.
L’
Avis
n° 14 du CCJE souligne l’action positive que peuvent avoir
les juges en limitant le préjudice que pourrait causer aux parties
l’intégration des TIC et en satisfaisant aux besoins actuels du
système judiciaire. Je considère que les concepteurs des technologies
devraient s’appliquer à mieux comprendre le système judiciaire et
à collaborer avec les juges et le personnel des tribunaux pour veiller à
ce que l’architecture des TIC réponde aux besoins aussi bien des
tribunaux que des justiciables.
70. La transparence et l’efficacité obtenue grâce à l’intégration
des TIC s’accompagne également d’un certain nombre de risques pour
la confidentialité et la sécurité des données. La violation des
systèmes de sécurité pourrait entraîner la falsification de documents
ou la divulgation d’informations confidentielles (ce qui ne représenterait
que deux des problèmes liés à la recevabilité des preuves électroniques).
Au vu de ces éléments, les tribunaux doivent réfléchir à des mécanismes
permettant d’améliorer la sécurité des données et aux possibilités
d’établir des procédures sans utilisation de papier à un niveau
de sécurité équivalent à celui des procédures classiques en format
papier, en tenant compte notamment de la Convention pour la protection des
personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère
personnel (
STE
n° 108). Il importe que les tribunaux envisagent un recours
au cryptage des dossiers qui ne sont pas publics, comme nous l’avons indiqué
plus haut au sujet du RLL.
71. La déposition des témoins par visioconférence illustre les
risques et les possibilités associés aux TIC. L’utilisation croissante
de la visioconférence peut atténuer les obstacles à la participation
aux procès, en particulier pour les personnes dont le handicap restreint
la mobilité, autrement dit leur accès physique à la salle d’audience,
ou leur capacité à communiquer en personne
, les personnes qui résident
dans des zones reculées et les témoins qui prennent part à certains
procès sensibles. La visioconférence peut accroître les possibilités
d’audition des témoins concernés dans les affaires transfrontières.
Elle permet au juge, à l’avocat, au prévenu, au ministère public
et aux autres personnes présentes en salle d’audience d’entendre
et de voir le témoin au moyen d’une transmission en temps réel.
Le lieu où se trouve le témoin peut être protégé par cryptage
.
72. Les juridictions nationales ont déjà commencé à utiliser la
visioconférence pour certaines catégories de témoins
. Bien qu’un certain
nombre de pays autorisent la visioconférence des témoins qui doivent
effectuer des déplacements d’une distance considérable à l’intérieur
d’un pays, le recours à cette technologie se limite d’ordinaire
aux témoins vulnérables (comme les enfants), aux témoins anonymes
(sous protection) et aux témoins domiciliés à l’étranger. Le recours
à la visioconférence est rare pour les témoins qui n’appartiennent pas
à l’une de ces catégories limitées. A l’échelon international, la
Cour pénale internationale et le Tribunal pénal international pour
le Rwanda font de plus en plus appel à la visioconférence
.
73. Je suis toutefois conscient que l’intérêt de la visioconférence
présente une limite de taille: l’impossibilité d’organiser un interrogatoire
face à face. Bien que la technologie vidéo offre une transmission
de grande qualité et ne cesse de s’améliorer, elle peut entraîner
la perte de certains aspects essentiels de l’interrogatoire face
à face, comme le langage corporel. De plus, les transmissions peuvent
être interceptées et l’identité du témoin ou le lieu dans lequel
il se trouve peuvent être divulgués. Enfin, certains types de preuves
que le témoin est parfois amené à identifier au cours de sa déposition
peuvent être difficiles à authentifier par visioconférence
.
74. Compte tenu de ces éléments, il importe que les tribunaux
qui recourent à la visioconférence continuent d’examiner comment
atténuer ces défauts, par exemple en recherchant des avancées technologiques
qui améliorent la qualité de la visioconférence et en cryptant les
signaux vidéo pour les protéger contre toute interception. Les avocats,
les juges et le personnel des tribunaux devraient également se familiariser
avec les différences que présentent habituellement une déposition
faite en personne par un témoin et une déposition par visioconférence,
afin de savoir comment ces différences peuvent avoir certaines conséquences
sur une déposition faite par visioconférence. Les personnes qui
témoignent par visioconférence ont par exemple tendance à regarder
l’écran pour voir leur interlocuteur au lieu de regarder la caméra,
ce qui a pour effet de supprimer le contact visuel direct avec les
personnes qui se trouvent en salle d’audience
. Le
fait de comprendre cet élément et les autres différences propres
à cette situation peut aider les avocats, les juges et le personnel
des tribunaux à modifier ce qu’ils attendent d’un témoignage déposé
par visioconférence, par rapport à une déposition faite en personne
par le témoin.
75. Cela vaut également pour les autres technologies de l’information
et des communications employées dans les procès: si elles sont utilisées
convenablement et si tous les acteurs concernés s’entendent pour surmonter
les difficultés auxquelles se heurtent leur introduction et leur
utilisation, les TIC peuvent rendre les procès plus prévisibles
et plus économiques en temps et en argent.
3. Conclusions
76. J’aimerais conclure en indiquant
que le RLL et les TIC, s’ils ne sont en aucun cas la panacée, peuvent permettre
d’accroître l’accès au système judiciaire en offrant des solutions
aux problèmes du manque d’efficacité de la justice, des coûts élevés
des litiges et des obstacles géographiques. Le RLL et les TIC présentent
cependant quelques inconvénients et il importe que les Etats membres
continuent à investir dans l’élaboration de RLL et de TIC plus sûrs,
plus efficaces et plus accessibles.
77. Il convient que l’Assemblée et ses membres prennent conscience
et usent du rôle capital qui est le leur pour encourager l’élaboration
des procédures de RLL et de TIC au sein du Conseil de l’Europe et
de ses Etats membres. Le Conseil de l’Europe et ses Etats membres
devraient poursuivre leur évaluation des bénéfices et des risques
éventuels du RLL et des TIC sur le plan de l’accès à la justice,
sans perdre de vue l’évolution des technologies et leur utilisation
dans les procédures de RLL et les procès.