1. Introduction et portée du
rapport
1. En juin 2014, deux propositions
de résolution relatives au conflit du Haut-Karabakh ont été déposées par
des membres de l’Assemblée parlementaire: la première sur l’occupation
armée de territoires azerbaïdjanais par l’Arménie (
Doc. 13546), déposée le 24 juin par M. Elkhan Suleymanov et d’autres
membres de l’Assemblée, et la deuxième sur le conflit du Haut-Karabakh
(
Doc. 13549), déposée le 25 juin par Mme Theodora
Bakoyannis, présidente de la commission des questions politiques
et de la démocratie, et d’autres membres de l’Assemblée.
2. Au mois de septembre 2014, l’Assemblée a renvoyé à la commission
des questions politiques et de la démocratie les deux propositions
pour qu’elle les traite conjointement dans un rapport unique sous
le titre de son choix. Tenant également compte des dernières évolutions
sur le terrain, le Bureau de l’Assemblée avait «recommandé» de donner
au rapport le titre suivant: «L’escalade de la violence dans le
Haut-Karabakh et les autres territoires occupés en Azerbaïdjan»
.
3. Au cours de la partie de session d’automne 2014 de l’Assemblée,
la commission des questions politiques et de la démocratie, à la
suite de propositions de sa présidente et de ses membres, a voté
à trois reprises sur le sujet. Elle a décidé de poursuivre par la
préparation d’un rapport sur les deux propositions lui ayant été
soumises, en rejetant la proposition de ne donner aucun suivi; a
approuvé le titre recommandé par le Bureau pour le rapport conjoint
sur les deux propositions; et, enfin, m’a désigné comme rapporteur.
4. A la suite de ma nomination en tant que rapporteur, j’ai immédiatement
présenté à la commission mon projet de plan du rapport. Mon intention
était notamment d’effectuer quatre visites d’information afin d’organiser des
réunions en Arménie, en Azerbaïdjan, dans la région du Haut-Karabakh,
ainsi qu’avec des personnes déplacées à l’intérieur (PDI) azerbaïdjanaises
du Haut-Karabakh. J’ai aussi clairement précisé que mon but n’était
ni d’endosser le rôle du Groupe de Minsk
, l’unique forme de médiation reconnue
par les deux parties en présence, ni de tenter de proposer une solution
pour résoudre ce conflit de longue durée. Ce n’était là ni le rôle
de l’Assemblée parlementaire, ni celui du Conseil de l’Europe en
général.
5. Le rapport avait pour seul but d’informer mes collègues de
l’Assemblée de la réalité de la situation sur le terrain – le pays
connaissant depuis l’été 2014 une escalade de la violence le long
de la ligne de contact – ainsi que des points de vue de toutes les
parties concernées, y compris des autorités de fait
du Haut-Karabakh et des représentants
de la société civile sur place. En effet, comme indiqué dans la
proposition déposée par Mme Bakoyannis et d’autres membres, 13 ans
après l’adhésion de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan au Conseil de
l’Europe qui s’étaient tous deux engagés à «n’utiliser que des moyens
pacifiques pour régler le conflit, en s’abstenant de menacer de
faire usage de la force contre le pays voisin», neuf ans après l’adoption
de la
Résolution 1416
(2005) de l’Assemblée sur le conflit du Haut-Karabakh traité
par la Conférence de Minsk de l’OSCE, et au vu des nouvelles conditions
géopolitiques dans la région et des tensions croissantes le long
de la ligne de contact, le moment semblait venu de sensibiliser
l’opinion au conflit en cours et d’échanger les informations actualisées
obtenues par l’ensemble des parties concernées. Suite à mes travaux,
j’ai tiré quelques conclusions qui sont reflétées dans le projet
de résolution.
6. Concernant le titre du rapport, j’ai expliqué dès ma nomination
– et n’ai cessé de le répéter depuis – qu’il était le fruit d’une
décision prise par la commission sur recommandation du Bureau, et
non de ma propre proposition. La Présidente de la délégation arménienne
a présenté à la fois au Bureau et à la commission, ses objections
quant au titre et au rapport, or le titre actuel a été approuvé
au cours des deux réunions. A de nombreuses reprises, j’ai dit être
disposé à suggérer à la commission des modifications du titre du
rapport en m’appuyant sur les arguments transmis par les parties
intéressées, pendant la rédaction du rapport et en particulier lors
des réunions que j’avais espérées avoir avec les autorités arméniennes,
puisque c’est la partie arménienne qui objectait ce titre.
2. Contexte
2.1. Résumé des travaux antérieurs
de l’Assemblée parlementaire sur le conflit
7. En adhérant au Conseil de l'Europe,
l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont pris tous deux l’engagement de «poursuivre
les efforts pour résoudre ce conflit [du Haut-Karabakh] exclusivement
par des moyens pacifiques» et «régler les différends internationaux
et internes par des moyens pacifiques et selon les principes de
droit international (obligation qui incombe à tous les Etats membres
du Conseil de l'Europe), en rejetant résolument toute menace d’employer
la force contre [leurs] voisins»
.
8. Il y a lieu de noter que l’Assemblée a donné son feu vert
à l’adhésion simultanément aux deux Etats précisément à la lumière
du conflit en cours entre eux et en considérant que si le Groupe
de Minsk de l’OSCE est le cadre optimal pour les négociations d’un
règlement pacifique de ce conflit, l’adhésion au Conseil de l’Europe
contribuerait au processus de négociation et à la stabilité dans
la région. Dans ses avis sur l’adhésion, l’Assemblée a aussi examiné
positivement la décision prise par les Présidents des parlements
d’Arménie, d’Azerbaïdjan et de Géorgie de mettre en place une coopération
parlementaire régionale et s’est félicitée du climat de confiance
et de détente qui s’est établi entre les délégations parlementaires
de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan lors de la première de ces rencontres
régionales qui s’est tenue à Tbilissi en septembre 1999.
9. En outre, l’Arménie s’était engagée à utiliser l’influence
considérable qu’elle a sur les Arméniens du Haut-Karabakh pour encourager
la résolution du conflit.
10. Les rapports sur le respect des engagements et obligations
de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan que l’Assemblée a examinés depuis
l’adhésion des deux Etats en janvier 2001 ont mentionné le conflit,
mais ne l’ont pas examiné de manière approfondie.
11. Pour sa part, la commission des questions politiques et de
la démocratie a approuvé un rapport en novembre 2004 sur le conflit
du Haut-Karabakh traité par la Conférence de Minsk de l’OSCE, préparé
par M. Terry Davis (Royaume-Uni, SOC) et, après son élection au
poste de Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, finalisé par
feu M. David Atkinson (Royaume Uni, Groupe GDE (à présent CE)).
A la suite d’un débat sur ce rapport, l’Assemblée a adopté, en janvier
2005, la
Résolution 1416
(2005) et la
Recommandation
1690 (2005) qui constituent à ce jour les seuls textes de l’Assemblée
traitant exclusivement du conflit du Haut-Karabakh.
12. Je renvoie au rapport de 2004 présenté par M. Atkinson (
Doc. 10364) en ce qui concerne le contexte historique du conflit,
le rôle du Groupe de Minsk de l’OSCE et les
Résolutions
822 (1993),
853
(1993),
874 (1993) et
884
(1993) du Conseil de sécurité des Nations Unies adoptées au
lendemain du conflit, en 1993. Je renvoie aussi à ce rapport s’agissant
des principales conditions d’un règlement durable et des mesures
que pourraient prendre le Conseil de l'Europe et ses Etats membres.
Tous ces éléments demeurent inchangés, notamment, à mon grand regret,
l’absence de mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité.
13. Et surtout, je tiens à rappeler et à réaffirmer la position
qu’a prise l’Assemblée dans sa
Résolution 1416 (2005) dans laquelle elle déplore, entre autres, le non règlement
du conflit du Haut-Karabakh qui a conduit au déplacement de centaines
de milliers de personnes et le fait que «des portions considérables
du territoire azerbaïdjanais demeurent occupées par les forces arméniennes»,
tandis que «des forces séparatistes conservent le contrôle de la
région au Haut-Karabakh»; elle y réaffirme par ailleurs que «l’indépendance
et la sécession d’un territoire qui fait partie d’un Etat ne peuvent
être que l’aboutissement d’un processus légal et pacifique, fondé
sur le soutien exprimé démocratiquement par les habitants du territoire
en question et ne sauraient être la conséquence d’un conflit armé
débouchant sur des expulsions ethniques et sur l’annexion de fait
du territoire concerné par un autre Etat». Elle y rappelle que «l’occupation
d’un territoire étranger par un Etat membre constitue une grave
violation des obligations qui incombent à cet Etat en sa qualité
de membre du Conseil de l'Europe» et réaffirmé «le droit des personnes
déplacées de la zone du conflit de retourner à leurs foyers dans
la sécurité et la dignité». Je réitère toutes les demandes que l’Assemblée
a adressées il y a dix ans à l’Arménie et à l’Azerbaïdjan, ainsi
qu’aux coprésidents du Groupe de Minsk de l’OSCE, puisqu’elles restent
toutes valables à ce jour.
14. En 2007, l’Assemblée, réunie au niveau de la Commission permanente,
a adopté la
Résolution
1553 (2007) et la
Recommandation
1797 (2007) sur les personnes disparues en Arménie, en Azerbaïdjan
et en Géorgie dans les conflits touchant les régions du Haut-Karabakh,
d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Je renvoie à ces textes et au rapport
correspondant (
Doc. 11196), préparé par M. Leo Platvoet (Pays Bas, UEL) dans la mesure
où les aspects humanitaires particuliers du conflit du Haut-Karabakh
sont concernés et en tant que toile de fond de mes propres échanges
de vues sur la question des PDI avec mes interlocuteurs en Azerbaïdjan.
15. Dernier point, mais non le moindre, laissez-moi rappeler que
pour assurer la mise en œuvre de la
Résolution 1416 (2005), le Bureau de l’Assemblée avait mis en place une commission
ad hoc, lequel sous la présidence de feu Lord Russell Johnston a
tenu cinq réunions entre 2005 et 2007. Les informations de base concernant
les travaux du comité ad hoc se trouvent dans le rapport présenté
au Bureau en janvier 2012 par M. Jordi Xuclà, dernier président
de cette commission ad hoc.
16. En résumé, il y a lieu d’observer que, en l’absence de coopération
de la délégation arménienne, à compter de début 2008, la commission
ad hoc n’a pas pu obtenir de résultats tangibles. Elle n’a pas été reconstituée
en janvier 2012. De même, toutes les tentatives d’examiner le conflit
dans le cadre d’une Sous-commission sur la prévention et le règlement
du conflit de la commission des questions politiques et de la démocratie
ont échoué pour les mêmes raisons. Un rapport sur «Les habitants
de régions frontalières de l’Azerbaïdjan sont délibérément privés
d’eau»
a été préparé par Mme Milica
Marković (Bosnie-Herzégovine, SOC) pour la commission des questions
sociales, de la santé et du développement durable. Mme Marković
a effectué deux visites d’information en Azerbaïdjan mais n’a pas
réussi à se rendre en l’Arménie et dans la région du Haut-Karabakh.
17. De fait, les développements récents, notamment l’escalade
de la violence le long de la ligne de contact, mais également le
manque de coopération du côté arménien dans l’établissement du rapport
(alors que dix ans auparavant, le président de la délégation arménienne
avait facilité les visites du rapporteur tant en Arménie que dans
la région du Haut-Karabakh), témoignent malheureusement de l’absence
de toute avancée vers le règlement pacifique du conflit, mais aussi
d’une baisse de confiance de part et d’autre. D’où la nécessité
de rappeler d’urgence aux deux camps qu’ils doivent se conformer
à l’engagement pris lors de leur adhésion, il y a 15 ans, de régler
le conflit du Haut-Karabakh par des moyens pacifiques et de s’abstenir
de tout recours à la force ou de toute menace de l’employer.
2.2. Etapes de la préparation
du rapport
18. Malgré ma déclaration initiale,
le principe et le titre du rapport, ainsi que ma nomination en tant
que rapporteur, ont été vivement critiqués par la délégation arménienne
auprès de l’Assemblée et, au cours de cette même réunion où j’ai
été nommé rapporteur, sa présidente, Mme Hermine Naghdalyan, a déclaré
que seul le Groupe de Minsk ayant légitimité pour traiter du conflit
du Haut-Karabakh et de son règlement, l’Arménie ne collaborerait
pas à l’élaboration de mon rapport.
19. Pour passer de la parole aux actes et faire en sorte que mon
mandat ne soit pas vu comme une tentative d’ingérence dans le travail
du Groupe de Minsk, j’ai rencontré à Vienne le 10 novembre 2014
– soit seulement quelques semaines après ma nomination et à mon
initiative – l’ambassadeur Andrzej Kasprzyk, Représentant personnel
du Président en exercice pour le conflit dont la Conférence de Minsk
de l’OSCE est saisie. A la suite de cette réunion et à ma demande,
la Présidente de l’Assemblée parlementaire a écrit au président
en exercice de l’OSCE de l’époque, M. Didier Burkhalter, Président
de la Confédération suisse, pour solliciter son accord, outre celui
déjà donné par les Présidents des délégations arménienne et azerbaïdjanaise
auprès de l’Assemblée, en vue d’organiser une visite dans la région
du Haut-Karabakh avec l’aide de l’Ambassadeur Kasprzyk.
20. Au cours de la réunion de la commission des questions politiques
et de la démocratie du mois de décembre 2014, j’ai informé mes collègues
de l’entretien que j’avais eu avec l’ambassadeur Kasprzyk et du courrier
envoyé par la Présidente de l’Assemblée et leur ai redit mon intention,
annoncée dès ma nomination en tant que rapporteur, d’organiser des
réunions avec l’ensemble des parties concernées. Pour ce faire et
afin de fixer les dates et modalités de mes visites, j’ai entamé
des pourparlers bilatéraux avec les Présidents des délégations arménienne
et azerbaïdjanaise. Mon intention première était de commencer par
une visite en Arménie en mars 2015, mais Mme Naghdalyan
m’a fait savoir qu’il serait impossible de l’organiser avant le
mois de mai 2015. C’est pourquoi j’ai décidé d’organiser entre-temps
une visite d’information en Azerbaïdjan.
21. A la suite de mes entretiens avec les Présidents des délégations
arménienne et azerbaïdjanaise, un courrier officiel leur a été envoyé
le 6 février 2015 par M. Wojciech Sawicki, Secrétaire général de
l’Assemblée, afin de leur proposer des dates pour mes visites –
en mars en Azerbaïdjan et en mai en Arménie. M. Sawicki y confirmait
aux deux parties mon intention de me rendre également dans la région
du Haut-Karabakh.
22. Le président de la délégation azerbaïdjanaise, M. Samad Seyidov,
n’a pas tardé à y répondre positivement et j’ai effectué ma première
visite d’information à Bakou du 11 au 13 mars 2015. Dans un souci d’impartialité
et pour garantir l’objectivité de mon rapport, je me suis abstenu
de toute déclaration à la presse durant ma visite à Bakou. Dans
l’attente de ma visite en Arménie, j’ai également évité d’informer
les membres de la commission du contenu de mes réunions à Bakou
et ne leur ai même pas communiqué le programme de ma visite. Mon
intention était de faire rapport à la commission sur mes visites
en Azerbaïdjan et en Arménie à l’issue de ma visite prévue en mai
à Erevan.
23. En l’absence de réponse de la Présidente de la délégation
arménienne, un nouveau courrier proposant des dates concrètes pour
mes visites à Erevan, entre le 11 et le 14 mai 2015 – dates acceptées
de façon informelles par Mme Naghdalyan
– lui a été envoyé le 30 mars. Ce courrier est demeuré sans réponse
jusqu’en juin 2015.
24. Le 19 juin 2015, Mme Naghdalyan
a écrit à M. Sawicki pour lui signifier qu’elle acceptait de me
recevoir en Arménie en tant que collègue de l’Assemblée parlementaire
et qu’elle faciliterait l’organisation de réunions avec des députés
ainsi qu’avec des réfugiés et des groupes de la société civile et
ce, en dépit de fortes réserves (voire de l’opposition) exprimées
par sa délégation au cours de la partie de session d’octobre 2014 de
l’Assemblée à inscrire la question du règlement du conflit du Haut-Karabakh
à l’ordre du jour de l’Assemblée. Quant à mon intention de me rendre
dans la région du Haut-Karabakh, Mme Naghdalyan
a paru convenir qu’une visite y était indispensable pour toute personne
vraiment désireuse de s’informer de la situation sur le terrain
et m’a dit espérer que j’effectuerais ma visite «en étroite coopération
avec les autorités du Haut-Karabakh».
25. Deux jours plus tard, le 22 juin, j’ai personnellement répondu
au courrier de Mme Naghdalyan en la remerciant et en l’assurant
de ma volonté de discuter des dates et modalités concrètes de ma
visite en Arménie. Quant à mon intention de me rendre dans le Haut-Karabakh,
j’ai sollicité son aide pour organiser cette visite conformément
à la pratique établie de l’Assemblée: en raison du conflit et à
des fins de sécurité, les visites de rapporteurs dans le Haut-Karabakh
sont systématiquement organisées avec l’aide du président de la
délégation arménienne auprès de l’Assemblée.
26. N’ayant pas eu de précisions de Mme Naghdalyan concernant
les dates éventuelles de ma visite en Arménie et/ou dans le Haut-Karabakh
durant l’été, je lui ai réécrit le 27 août en lui proposant d’organiser
ces visites au courant du mois de septembre. En outre, comme mon
rapport portait essentiellement sur des allégations de violences
perpétrées le long de la ligne de contact, je me suis déclaré prêt,
en me rendant dans le Haut-Karabakh, à visiter la ligne de contact
ou à m’en approcher autant que le permettraient les conditions de
sécurité. Le même jour, j’ai adressé une lettre à M. Seyidov, président
de la délégation azerbaïdjanaise, en lui proposant de visiter la
ligne de contact à partir du territoire de l’Azerbaïdjan.
27. Lors de la réunion de la commission du 1er septembre
2015, à Paris, j’ai informé mes collègues de mon intention de me
rendre le long de la ligne de contact, et j’ai demandé aux délégations
arménienne et azerbaïdjanaise de me faciliter les choses. Malgré
l’absence des représentants arméniens dans la salle de réunion au
moment de mon intervention, je m’étais entretenu plus tôt dans la
journée avec Mme Naghdalyan et lui avait
réitéré mes intentions telles que déjà communiquées dans mon courrier
du 27 août. Elle m’a promis que je recevrais très prochainement
une réponse officielle à mes précédentes demandes.
28. Le 7 septembre, M. Seyidov a répondu à ma demande et m’a fait
savoir que les autorités azerbaïdjanaises étaient disposées à me
recevoir à Bakou et à faciliter ma visite le long de la ligne de
contact les 15 et 16 septembre 2015.
29. Le 10 septembre, j’ai reçu un courrier de Mme Naghdalyan
me confirmant qu’elle acceptait de me recevoir en Arménie, mais
pas en septembre. Elle me proposait plutôt de visiter Erevan à la
fin du mois de novembre. Elle m’avertissait également que pour visiter
le Haut-Karabakh et les autres territoires occupés, il me faudrait
obtenir une invitation du représentant de la soi-disant «République
du Haut-Karabakh (RHK)» à Erevan. Ce moment n’était prétendument
pas propice à une visite. C’est pourquoi j’ai été quelque peu surpris de
lire que le Parlement arménien avait reçu en septembre une délégation
de l’Assemblée nationale française, organisé des réunions de haut
niveau à Erevan et emmené le groupe sur la ligne de contact dans
le Haut-Karabakh, selon un programme très comparable à celui que
je proposais depuis le début de l’année 2015.
30. En outre, le 22 septembre, contrairement à la pratique de
l’Assemblée, j’avais bel et bien adressé à l’administration de fait
du Haut-Karabakh – par l’intermédiaire de son représentant à Erevan
– une demande pour visiter Stepanakert, éventuellement en octobre
2015. Dans la réponse reçue le 2 octobre 2015, le titre de mon rapport
était une fois de plus critiqué et l'on me faisait savoir qu’il
était devenu un obstacle à toute coopération avec les autorités
de fait du Haut-Karabakh. Le contenu de la réponse ne laissait aucun
doute quant au fait que, contrairement à ce qu’avait affirmé Mme Naghdalyan
lors de la réunion de la commission d’octobre 2015, avoir écrit
à l’administration de fait n’avait rien changé à sa position et
ne m’avait aucunement aidé à préparer le rapport. Pour la commodité
des lecteurs, j’ai joint en annexe la lettre reçue le 2 octobre
2015.
31. Le 5 octobre 2015, j’ai adressé une autre lettre aux Présidents
des délégations d’Arménie et d’Azerbaïdjan, leur demandant des informations,
avant le 19 octobre 2015, sur la chronologie de l’escalade de la
violence au cours des quinze derniers mois. Ceci m’aurait permis
d’avoir au moins quelques informations par écrit du côté arménien.
J’ai reçu une réponse de la part du Président de la délégation d’Azerbaïdjan
le 8 octobre 2015, contenant les informations demandées. J’ai reçu
une réponse de la Présidente de la délégation arménienne le 27 octobre
2015, qui ne contient pas toutefois pas les informations spécifiquement demandées.
3. Récents développements (mai
2014 jusqu’à mi-octobre 2015)
32. Comme je l’ai expliqué plus
haut, ce rapport n’a pas pour objet, et l’Assemblée n’a pas pour
rôle, de proposer une solution au conflit persistant autour du Haut-Karabakh.
Mon but étant d’informer mes collègues des derniers développements
sur le terrain tout en respectant les actions du Groupe de Minsk
de l’OSCE, je me suis efforcé, dans la présente section, de résumer
les événements intervenus depuis l’été 2014, date à laquelle les
deux propositions à l’origine de mon rapport ont été présentées.
33. Les propositions portent sur le conflit en tant que tel et
la nécessité de progresser sur la voie d’un règlement pacifique,
tandis que le titre du rapport, proposé par le Bureau et approuvé
par la commission, fait état de la récente escalade de la violence.
C’est pourquoi, dans les paragraphes qui suivent, j’ai essayé de résumer
les développements en rapport avec ces deux questions, qui sont
à l’évidence étroitement liées. A cette fin, je me suis appuyé sur
les déclarations publiques des coprésidents du Groupe de Minsk de
l’OSCE (les ambassadeurs Igor Popov, Fédération de Russie, James
Warlick, Etats-Unis, et Pierre Andrieu, France). Malheureusement,
les rapports de suivi réguliers publiés par le Représentant personnel
de la présidence en exercice de l’OSCE, l’ambassadeur Andrzej Kasprzyk,
qui contiennent des informations plus détaillées, ne sont pas publics,
bien qu’ils soient à la disposition des gouvernements des Etats
participants de l’OSCE. Je fais également référence à un arrêt de
la Cour européenne des droits de l’homme présentant un intérêt dans le
cadre de mon rapport.
34. Pour commencer, le 12 mai 2014, à l’occasion du 20e anniversaire
de l’accord de cessez-le-feu, les coprésidents du Groupe de Minsk
de l'OSCE ont publié une déclaration rappelant le début du processus
de négociation en vue d’un règlement pacifique et faisant le point
sur son avancement à la mi-2014. Je cite cette déclaration dans
son intégralité, car elle peut aider mes collègues à bien comprendre
les enjeux actuels et, en particulier, les principes fondamentaux
sur lesquels un règlement pacifique devrait être fondé et les éléments qu’il
devrait inclure:
«En ce vingtième
anniversaire de l’accord de cessez-le-feu de 1994, les coprésidents
du Groupe de Minsk de l’OSCE invitent les peuples de la région à
réfléchir à l’héritage des deux dernières décennies.
Cet accord a mis fin à une guerre ouverte et aux violences
tragiques des années précédentes et a posé les bases de négociations
qui offraient aux parties une voie vers la paix. Grâce à la trêve
qui en a résulté, une nouvelle génération d’Arméniens et d’Azerbaïdjanais
a grandi sans connaître les horreurs de la guerre. Les parties devraient
faire tout ce qui est en leur pouvoir pour protéger les générations
futures d’une telle épreuve.
L’accord de cessez-le-feu n’a toutefois pas résolu le
conflit sous-jacent; il a laissé occupés les territoires qui entourent
le Haut-Karabagh et n’a pas permis d’aller de l’avant sur le statut
du Haut-Karabagh. L’absence de règlement final a eu pour effets
le maintien du déplacement de centaines de milliers de personnes,
la menace constante d’une escalade de la violence le long de la
frontière internationale et de la Ligne de contact et, chez certains,
l’idée erronée que le statu quo peut être maintenu indéfiniment.
Les parties se sont montrées peu disposées à tirer parti
des possibilités présentées par les pays qui exercent la coprésidence
ou à prendre les décisions politiques nécessaires pour progresser
dans ce processus de paix.
Nous avons une position commune sur ce conflit et nous
demeurons fermement attachés à aider les parties à parvenir dès
que possible à un règlement pacifique sur la base des principes
fondamentaux de la Charte des Nations Unies et de l’Acte final de
Helsinki, en particulier ceux qui se rapportent au non-recours à
la force, à l’intégrité territoriale, à l’égalité de droits et à
l’autodétermination des peuples. Un règlement devra inclure les
éléments énoncés par les Présidents des pays exerçant la coprésidence dans
leurs déclarations de 2009 à 2013, qui comprennent la restitution
des territoires qui entourent le Haut-Karabagh, un statut temporaire
pour le Haut-Karabagh garantissant sa sécurité et son autonomie, un
corridor reliant l’Arménie au Haut-Karabagh, un statut définitif
du Haut-Karabagh qui devra être défini dans l’avenir au moyen de
l’expression juridiquement contraignante de la volonté des populations,
le droit au retour de toutes les personnes déplacées et de tous
les réfugiés et des garanties internationales de sécurité, dont
une opération de maintien de la paix. En novembre, nous avons observé
une reprise prometteuse du dialogue au plus haut niveau. Nous appelons
les parties à engager des négociations constructives et de bonne
foi débouchant sur un accord de paix basé sur ces éléments en vue
d’aboutir à un règlement durable du conflit.
Un tel règlement ne sera pas possible sans reposer sur
la confiance et la compréhension entre les peuples arménien et azerbaïdjanais.
Nous appelons les parties à s’attacher à des programmes de rapprochement
actif entre les peuples et à des mesures de confiance en matière
de sécurité afin de conforter le processus de paix.
Les Arméniens et les Azerbaïdjanais méritent de vivre
en paix et en sécurité, et nous sommes prêts à les y aider. Les
parties doivent prendre les mesures nécessaires en vue de la paix.
Lorsqu’elles le feront, ce sera avec le soutien total de l’OSCE
et de la communauté internationale. »
35. A peine quelques jours après la publication de cette déclaration,
le 19 mai 2014, les trois présidents, qui avaient franchi la ligne
de contact près de Terter, ont déploré les violations continues
du cessez-le-feu, qui faisaient régulièrement des victimes. Ils
ont noté que l’absence d’un mécanisme d’enquête sur ces violations permettait
aux parties de s’en accuser mutuellement
.
36. La fin de juillet et le début d’août 2014 ont été marqués
par une brusque détérioration de la situation et une escalade de
la violence le long de la ligne de contact et de la frontière entre
l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Les deux parties ont fait état d’un
grand nombre d’incursions, de victimes et d’attaques dirigées contre
la population civile, s’accusant mutuellement de violer l’accord
de cessez-le-feu. Le nombre de tués et d’incursions signalés ainsi
que les armes utilisées et le fait que des villages soient visés
dénotaient un niveau de tension sans précédent depuis l’entrée en
vigueur de l’accord de cessez-le-feu. Dans une déclaration publiée
le 2 août, le Président en exercice de l’OSCE et les coprésidents
du Groupe de Minsk se sont dits vivement préoccupés par les attaques
visant délibérément des civils et par les tirs dirigés contre des
représentants d’organisations internationales, en violation des
obligations incombant aux deux parties en vertu de la Convention
de Genève – un véhicule du Comité international de la Croix-Rouge
(CICR), clairement identifiable comme tel, ayant essuyé des tirs
alors qu’il venait en aide à la population locale sur la frontière
arméno-azerbaïdjanaise dans le cadre d’une mission humanitaire.
Ils ont appelé les Présidents arménien et azerbaïdjanais à prendre
des mesures immédiates pour désamorcer les tensions et faire respecter
l’accord de cessez-le-feu
.
37. Le 10 août 2014, le Président russe, Vladimir Poutine, a accueilli
à Sotchi une réunion tripartite avec les Présidents arménien et
azerbaïdjanais, qui semble avoir eu un effet stabilisateur. Cette
réunion avait été organisée par le Président russe et coprésident
du Groupe de Minsk, qui n’avait pas invité les autres coprésidents.
En réaction, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a organisé
une réunion à Newport, Pays de Galles, en marge du sommet de l’OTAN
en septembre 2014.
38. Le 27 octobre 2014, le Président français, François Hollande,
a accueilli un sommet des Présidents arménien et azerbaïdjanais,
avec la participation des coprésidents du Groupe de Minsk et du
Représentant personnel du Président en exercice de l’OSCE. Au cours
du sommet de Paris, les deux Présidents ont eu un long tête-à-tête.
Toutefois, en raison de fortes divergences sur la question du «statut
final», ils n’ont pu s’entendre sur une déclaration commune. Le
Président français a par conséquent publié sa propre déclaration, incluant
des éléments approuvés par les deux parties. Entre autres choses,
il est à noter que les Présidents d’Arménie et d’Azerbaïdjan ont
accepté d’échanger des informations sur les soldats disparus dans
le conflit sous l’égide du CICR, activité toujours en cours. Notant
également que le statu quo n’était pas tenable, le Président français
a proposé dans sa déclaration le lancement de la rédaction d’un
«accord de paix global».
39. Ces trois rencontres présidentielles, après le pic de violence
de la fin juillet et du début août, ont eu pour effet de réactiver
le plus important canal de communication entre les deux parties.
40. Malheureusement, la situation s’est de nouveau dégradée lorsqu’un
hélicoptère militaire arménien a été abattu le 12 novembre 2014
à proximité de la ligne de contact au cours d’un vaste exercice
militaire conduit par l’Arménie à Agdam, l’un des territoires occupés
d’Azerbaïdjan avoisinant le Haut-Karabakh. Selon une déclaration
conjointe publiée par les chefs de délégation des pays coprésidant
le Groupe de Minsk de l’OSCE lors de la conférence ministérielle
de l’OSCE tenue à Bâle le 4 décembre 2014, «[l]a destruction d’un hélicoptère
militaire le 12 novembre, le long de la ligne de contact, était
une tragédie évitable qui montre l’importance que les parties prennent
des mesures pour réduire les tensions, rétablir la confiance et
éviter de futurs incidents».
41. Le 29 décembre 2014, un «tribunal de première instance» du
Haut-Karabakh a jugé deux Azerbaïdjanais qui étaient détenus au
Haut-Karabakh depuis leur arrestation en juillet. Le tribunal a
condamné Dilgam Asgarov à la réclusion à perpétuité et Shahbaz Guliyev
à 22 ans d’emprisonnement. Ils étaient jugés pour «entrée illégale
dans le Haut-Karabakh, espionnage, enlèvement et meurtre». D’après
les autorités azerbaïdjanaises, Asgarov et Guliyev avaient été pris
en otage par les forces arméniennes alors qu’ils étaient en visite
dans leur région natale, la province occupée de Kalbajar en Azerbaïdjan.
Un autre ressortissant azerbaïdjanais, Hasan Hasanov, avait été
abattu et son corps remis ultérieurement aux autorités azerbaïdjanaises
pour qu’il puisse être inhumé. Les autorités azerbaïdjanaises ont
contesté la légalité du verdict, affirmant que «cette prétendue
affaire (…) ne repos[ait] sur aucun fondement juridique» et indiquant qu’afin
d’obtenir la libération d’Asgarov et de Guliyev elles «maintiendr[aient]
le contact avec les coprésidents du Groupe de Minsk et les organisations
internationales». Le verdict a été confirmé le 10 mars 2015 par
la «Cour d’appel» et le 27 mai 2015 par la «Cour suprême» du Haut-Karabakh.
Les épouses d’Asgarov et de Guliyev ont saisi la Cour européenne
des droits de l’homme, alléguant des violations des droits de leurs
époux.
42. Le 5 février 2015, M. Elkhan Suleymanov et d’autres membres
de l’Assemblée ont déposé une proposition de résolution intitulée
«Garantir le droit de Dilgam Asgarov et Shahbaz Guliyev à un procès équitable»
(Doc. 13709), que le Bureau
de l’Assemblée a renvoyée à la commission des questions politiques et
de la démocratie pour qu’elle soit prise en compte dans le cadre
de ce rapport. Dans cette proposition, les signataires notaient
que «[l]e “tribunal” qui a prononcé ces deux condamnations n’est
reconnu en droit par aucun Etat, car il a été mis en place par une
entité politique séparatiste non reconnue. Il ne respecte pas non plus
les principes fondamentaux qui régissent les procédures judiciaires,
car il échappe à tout contrôle et n’est tenu par aucune ligne directrice
découlant des traités internationaux qui garantissent les droits
de l'homme et l'Etat de droit, puisque cette entité politique non
reconnue n’est pas signataire de ces textes». Les signataires de
la proposition demandaient à l’Assemblée parlementaire d’«appeler
toutes les parties directement impliquées dans la détention illégale
de D. Asgarov et S. Guliyev et les poursuites intentées à leur encontre, ainsi
que toute organisation nationale ou internationale qui pourrait
contribuer à la résolution de ces cas, à agir avec détermination
afin de garantir le respect des droits fondamentaux élémentaires
de ces deux hommes» et de les exhorter «à leur garantir un procès
équitable et impartial dans un délai raisonnable, mené par un tribunal indépendant
établi par la loi, conformément aux dispositions de l’article 6
de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5)».
43. Après 2014, année au cours de laquelle une soixantaine de
personnes ont perdu la vie, cette inquiétante montée de la violence
s’est poursuivie l’année suivante. En janvier 2015 il a été fait
état de 12 tués et 18 blessés par les différentes parties
.
44. Les mois qui ont suivi, jusqu’à la fin de juillet 2015, ont
été marqués par une période de relative stabilité le long de la
ligne de contact et de la frontière arméno-azerbaïdjanaise, qui
a coïncidé avec des événements internationaux majeurs dans les deux
pays
.
45. Le 3 mai 2015, des «élections législatives» ont eu lieu dans
le Haut-Karabakh. Dans une déclaration publiée quelques jours plus
tôt, les coprésidents avaient noté qu’ils «reconnaiss[aient] le
rôle du peuple du Haut-Karabakh pour décider de son avenir dans
le cadre d’un règlement global du conflit». Leur déclaration se concluait
ainsi: «Toutefois, aucun de nos trois Etats, ni aucun autre pays,
ne reconnaît le Haut-Karabakh en tant qu’Etat indépendant et souverain.
En conséquence, nous n’acceptons pas que le résultat de ces “élections”
ait une incidence sur le statut juridique du Haut-Karabakh, et soulignons
qu’elles ne préjugent aucunement du statut final du Haut-Karabakh
ou de l’issue des négociations en vue d’un règlement durable et pacifique
du conflit du Haut-Karabakh
.»
46. Le 5 mai 2015, un soldat du Haut-Karabakh, Arsen Baghdasaryan,
en détention depuis le 26 décembre 2014 sous l’inculpation de sabotage,
a été condamné à 15 ans de réclusion dans une prison de haute sécurité.
Le 15 juillet, un tribunal azerbaïdjanais a confirmé la condamnation
de Baghdasaryan dans une audience à huis clos. Le soldat avait été
capturé par les forces azerbaïdjanaises au cours de ce que le ministre azerbaïdjanais
de la Défense a qualifié de tentative d’incursion des forces arméniennes
sur la ligne de contact à proximité d’Agdam. Pour sa part, le service
de presse du «ministre de la Défense» du Haut-Karabakh a indiqué
que le soldat capturé était «un militaire contractuel (…) [qui]
avait déserté son poste d’affectation, raison pour laquelle il était
temporairement suspendu».
47. La Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme
(«la Cour») a rendu, le 16 juin 2015, un arrêt dans l’affaire
Chiragov et autres c. Arménie . L’affaire concerne les griefs de
six réfugiés azerbaïdjanais qui se plaignaient de ne pas pouvoir
accéder à leur domicile et à leurs biens restés dans le district
de Latchin, en territoire occupé d’Azerbaïdjan, qu’ils avaient été
contraints de fuir en 1992 pendant le conflit opposant l’Arménie
à l’Azerbaïdjan au sujet du Haut-Karabakh
.
48. Dans le cas des requérants et avant de juger sur le fond,
la Cour a confirmé que l’Arménie exerçait un contrôle effectif sur
le Haut-Karabakh et les territoires avoisinants et exerçait de fait
une juridiction sur le district de Latchin. La Cour a noté en particulier
que de nombreux rapports et déclarations publiques, certains en provenance
de membres et anciens membres du Gouvernement arménien, démontraient
que l’Arménie, par sa présence militaire et par la fourniture de
matériel et de conseils militaires, avait participé très tôt et
de manière significative au conflit du Haut-Karabakh. Cet appui
militaire est demeuré déterminant pour la conservation du contrôle
sur les territoires en cause. De plus, il était évident à partir
des fait établis que l’Arménie fournissait à la «RHK» un appui politique
et financier substantiels; ses citoyens étant obligés d’acquérir
des passeports arméniens pour pouvoir voyager à l’étranger, puisque
la «RHK» n’était reconnue par aucun Etat ou organisation internationale.
En conclusion, l’Arménie et la «RHK» étaient hautement intégrées
dans pratiquement tous les domaines importants et que la «RHK» et
son administration survivaient grâce à l’appui militaire, politique,
financier et autre que leur apportait l’Arménie. L’Arménie exerçait
ainsi un contrôle effectif sur le Haut-Karabakh et les territoires
avoisinants.
49. Sur le fond, la Cour considère que le refus de laisser les
requérants accéder à leurs biens ou de les indemniser n’est pas
justifié. Le fait que les négociations de paix soient en cours ne
dispense pas le gouvernement de prendre d’autres mesures. Il est
important de mettre en place un mécanisme de revendication des biens
qui soit aisément accessible, de manière à permettre aux requérants
et aux autres personnes qui se trouvent dans la même situation qu’eux
d’obtenir le rétablissement de leurs droits sur leurs biens ainsi
qu’une indemnisation. La Cour estime, à la majorité, qu’il y a eu:
violation continue de l’article 1 du Protocole no 1
(protection de la propriété) à la Convention européenne des droits
de l’homme (STE no 5); violation continue
de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale);
et violation continue de l’article 13 (droit à un recours effectif)
.
50. Tant les autorités arméniennes que les autorités azerbaïdjanaises
ont réagi à l’arrêt de la Cour dans l’affaire Chiragov. Pour l’Azerbaïdjan,
cette décision «a reconnu les atteintes persistantes portées par l’Arménie
à plusieurs droits [des requérants]» et «la République d’Arménie
porte l’entière responsabilité internationale des violations du
droit international qui se sont produites et continuent de se produire».
La conclusion de la Cour selon laquelle «l’Arménie exerce un contrôle
effectif sur le Haut-Karabakh et les territoires avoisinants » a
également été soulignée. Pour les autorités arméniennes, «il s’agit
d’une affaire spécifique qui ne saurait avoir d’incidence sur le
processus de règlement du conflit du Haut-Karabakh. La coprésidence
du Groupe de Minsk est la seule instance possédant un mandat international
en vue de la recherche d’une solution au problème» et «les questions
relatives au droit au retour des réfugiés et des personnes déplacées
font partie intégrante du processus de négociation»
.
51. Dans le prolongement d’une recrudescence des violations du
cessez-le-feu dès juillet 2015, le mois de septembre a été marqué,
selon le Groupe de Minsk de l’OSCE, par une escalade inacceptable
du conflit, les forces arméniennes et azerbaïdjanaises utilisant
des mortiers et des armes lourdes à l’intérieur et à proximité de
secteurs civils, provoquant une augmentation du nombre de victimes
parmi les civils de part et d’autre de la ligne de contact et de
la frontière internationale. A la suite d’une rencontre entre les
ministres des Affaires étrangères des deux pays à New York, les
coprésidents, dans une déclaration publiée le 26 septembre 2015, ont
appelé les Présidents arménien et azerbaïdjanais à accepter un mécanisme
de l’OSCE chargé d’enquêter sur les violations du cessez-le-feu,
car «[en] l’absence d’un tel mécanisme, les parties continueront
à s’accuser mutuellement d’avoir lancé des attaques mortelles sur
la ligne de contact et la frontière arméno-azerbaïdjanaise». Notant
que l’Arménie avait accepté d’examiner les modalités de ce mécanisme,
les coprésidents ont invité instamment l’Azerbaïdjan à faire de
même
.
52. Il est prévu que les deux Présidents se rencontrent d’ici
la fin de l’année, mais la date et le lieu de cette rencontre n’ont
pas encore été convenus.
4. Visites d’information
53. En raison des faits mentionnés
au paragraphe 2.2 de mon rapport, et à mon grand regret, je n’ai
pu me rendre ni en Arménie ni dans le Haut-Karabakh. C’est pourquoi
je me vois contraint de limiter mon compte-rendu aux deux visites
d’information effectuées en Azerbaïdjan, en espérant que le compte
rendu de ces visites sera instructif pour mes collègues de l’Assemblée.
J’ai pu également me baser sur des informations fournies ci-dessus
par les coprésidents du Groupe de Minsk de l’OSCE et le Représentant
personnel du Président en exercice de l’OSCE. Ce qui suit est un
résumé des discussions que j’ai eues avec divers interlocuteurs
dans le cadre du programme de mes deux visites.
4.1. Première visite d’information
en Azerbaïdjan (Bakou, 11-13 mars 2015)
54. Des ambassadeurs d’Etats membres
et observateurs du Conseil de l’Europe, ainsi que des représentants
des organisations internationales présentes dans le pays ont été
les premières personnes que j’ai rencontrées à Bakou.
55. Mes interlocuteurs se sont unanimement félicités que j’aie
entamé mon mandat en rencontrant l’Ambassadeur Kasprzyk. Ceci étant,
certains ont mis en doute l’efficacité du groupe au vu des résultats obtenus
jusque-là. Faisant référence aux principes de Madrid sur le règlement
du conflit, plusieurs d’entre eux se sont accordés à dire que le
véritable enjeu consistait à définir comment concilier le principe
de l’intégrité territoriale avec celui de l’autodétermination. Pour
certains, il y avait un décalage considérable entre d’une part, l’urgence
de la situation sur le terrain (sous-estimée par les capitales)
et d’autre part, la lenteur du processus de médiation.
56. Finalement, tous les ambassadeurs ont paru convenir du point
que j’avais fait valoir, c’est-à-dire qu’après tout, le Groupe de
Minsk était une structure de médiation visant à faciliter le processus
mais qu’il ne pouvait forcer les parties en présence à se mettre
d’accord contre leur gré. C’est aux deux présidents qu’il revient
de s’efforcer de trouver une solution acceptable; toute tentative
de médiation est vouée à l’échec si les dirigeants n’affichent pas
leur volonté politique de résoudre le conflit. Ceci suppose également
d’accepter que des compromis sont nécessaires et qu’il faut avant
tout faire comprendre aux citoyens que des concessions seront indispensables
pour sortir de l’impasse. Cependant, pour le moment, les deux parties
en présence n’ont pas fait grand-chose en ce sens.
57. Les ambassadeurs ont unanimement souligné l’importance des
contacts interpersonnels. La population des deux parties semble
prisonnière du passé et le souvenir de perceptions durables du passé
se transmet d’une génération à l’autre.
58. De même, il était important de nouer des contacts au niveau
de la société civile, de manière à ce que les deux parties puissent
s’approprier le processus de négociation et ses résultats éventuels.
Certains ambassadeurs ont regretté à cet égard les mesures de répression
exercées sur la société civile en Azerbaïdjan, lesquelles ont restreint
les occasions de nouer des contacts interpersonnels fructueux nécessaires
pour aller de l’avant et de trouver une solution durable (plutôt
qu’imposée). Ceci a également compliqué le financement par l’Union
européenne de mesures de confiance, celles-ci étant essentiellement destinées
à la société civile.
59. Parmi d’autres points soulevés par les ambassadeurs, je citerai:
- la nature du conflit: bien qu’un
ambassadeur ait qualifié le conflit du Haut-Karabakh, né lors de
la dissolution de l’ex-URSS, de «gelé», la plupart de ses homologues
ont semblé convenir qu’il n’en était rien puisque des personnes
trouvaient quotidiennement la mort le long de la ligne de contact;
- la comparaison avec le conflit d’Ukraine: pour certains,
il n’y avait aucune raison de traiter différemment les deux conflits.
En effet, il y avait dans les deux cas violation de l’intégrité
territoriale. Pour d’autres, il existait bel et bien une différence
entre le conflit du Haut-Karabakh et tous les autres conflits survenus sur
le territoire de l’ex-Union soviétique, en raison du contexte historique
particulier et de l’origine de ce conflit en comparaison avec à
la fois des conflits plus anciens (Transnistrie, Ossétie du Sud
et Abkhazie) et celui, plus récent, en Ukraine;
- l’importance de la mission d’observation internationale
dans la région afin d’éviter par exemple des accidents comme la
destruction en vol d’un hélicoptère arménien en novembre 2014, alors
que l’Arménie dirigeait de grandes manœuvres militaires sur le territoire
occupé d’Agdam;
- la nécessité d’alerter l’opinion publique internationale
concernant ce conflit qui perdure depuis plus de 20 ans et la détérioration
de la situation durant ces derniers mois;
- les répercussions positives qu’aurait la résolution du
conflit sur le développement de toute la région (actuellement otage
du passé).
60. Le représentant du Haut-Commissariat des Nations Unies pour
les réfugiés (HCR) a souligné que les autorités azerbaïdjanaises
accomplissaient un travail humanitaire titanesque pour aider les
PDI et les réfugiés fuyant le conflit, par des moyens tant législatifs
que financiers. Il m’a informé que le nombre de PDI et de réfugiés
s’élevait à plus d’un million, dont 600 000 PDI du Haut-Karabakh
et des sept territoires environnants, 250 000 réfugiés d’Arménie,
50 000 Turcs meskhètes et quelque 100 000 personnes vivant à proximité
de la ligne de contact qui avaient pénétré de quelques kilomètres
en Azerbaïdjan, mais dont la plupart étaient toutefois revenues
à leur emplacement d’origine (
Doc.
11196). Les autorités méritaient d’être félicitées pour le travail
accompli avec les PDI. Le risque d’un nouveau déplacement n’était
toutefois pas exclu au vu du récent regain de violence aux abords
de la ligne de contact. Le HCR collabore avec le CICR pour gérer
les cas de personnes franchissant la ligne de contact par mégarde
ou délibérément.
61. La plupart des ambassadeurs semblaient d’accord sur le fait
que le second semestre 2014 avait connu la plus forte escalade de
violence depuis 1994, date de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu.
La violence n’avait cessé de gagner au cours de l’été, culminant
par la destruction en vol de l’hélicoptère arménien en novembre 2014.
62. Au cours de mes réunions au parlement, la plupart des députés
se sont prononcés en faveur de la paix, en soi et en tant que condition sine qua non de la prospérité de
l’ensemble de la région. il fallait selon eux trouver une solution
au conflit, et au plus vite. Ils ont toutefois déploré des violations
continues du cessez-le-feu qui, assuraient-ils, étaient quotidiennement
commises par la partie arménienne, y compris par l’utilisation de
drones, d’hélicoptères et d’armement lourd.
63. Ils ont insisté sur la persistance de la violation du droit
international commise par l’Arménie il y a plus de 20 ans et sur
le fait que les deux tiers de leur frontière avec l’Arménie demeuraient
occupés par cette dernière. Comment une réconciliation serait-elle
possible aussi longtemps que l’occupation militaire ayant provoqué
le déplacement d’un million de personnes se poursuivait? Ils se
sont également interrogés sur la raison de l’absence de réactions
de l’Europe et de la communauté internationale face aux violations
du droit international perpétrées en l’espèce alors qu’elles n’étaient
en revanche pas prêtes à accepter de semblables atteintes en Ukraine
ou en Géorgie?
64. Quant aux sept territoires entourant le Haut-Karabakh, certains
députés ont déclaré qu’aucun Arménien n’y avait jamais vécu et qu’il
fallait par conséquent qu’ils soient immédiatement libérés pour
permettre le retour de centaines de milliers de PDI. La question
du statut du Haut-Karabakh (tel que délimité avant le conflit) pourrait
alors être discutée. Selon eux, l’Arménie préférait cependant maintenir
le statu quo.
65. Les députés ont unanimement remis en question le rôle de la
Russie, bien qu’à des degrés différents: pour la plupart, la Russie
étant à l’origine du conflit et donc une composante du problème,
elle ne pouvait donc faire également partie de la solution. Ils
ont affirmé que sans l’ingérence de la Russie, les peuples arménien et
azerbaïdjanais parviendraient à s’entendre. D’autres députés estimaient
qu’une union douanière entre l’Azerbaïdjan et la Russie pourrait
être envisagée mais qu’il ne fallait cependant absolument pas imaginer
que la Russie protégerait leurs frontières car ceci constituerait
une atteinte à la souveraineté de leur pays.
66. Estimant qu’il ne servait qu’à préserver le statu quo, les
députés ont dit leur frustration à l’égard du Groupe de Minsk. Certains
ont admis que son rôle – qui se résumait à émettre des recommandations
que l’Arménie pouvait de toute façon choisir d’ignorer – était à
tout le moins limité.
67. Pour sa part, la délégation azerbaïdjanaise auprès de l’Assemblée
a rappelé tous les efforts qu’elle avait consentis pour inscrire
la question du Haut-Karabakh à l’ordre du jour de l’Assemblée. Elle
comprenait parfaitement qu’il n’appartenait pas au Conseil de l’Europe
de trouver une solution mais considérait comme très important de
sensibiliser l’opinion de tous les Etats membres du Conseil de l’Europe
au conflit et aux incessantes violations du droit international
commises par l’Arménie, y compris sa pratique de l’épuration ethnique.
Elle a rappelé la
Résolution
1416 (2005) sur le conflit et a regretté que peu de temps après
son adoption, le Président de l’Arménie, s’adressant à l’Assemblée,
n’en ait fait aucun cas.
68. Des membres de la délégation ont évoqué la nécessité de rétablir
des liens entre les communautés arménienne et azerbaïdjanaise du
Haut-Karabakh, rapprochement qui pourrait aussi permettre au Groupe
de Minsk – qui n’a jusqu’à présent pas fait la preuve de son efficacité
– de progresser. Ils ont également insisté sur le fait que, faisant
chaque jour des victimes, le conflit du Haut-Karabakh n’était nullement
gelé.
69. Lors de mes deux rencontres au parlement (avec des députés
et des membres de la délégation) j’ai entendu dire que les tirs
provenant du côté arménien ne ciblaient pas uniquement les forces
armées, mais aussi les civils dans les villages proches de la ligne
de contact.
70. Dans l’après-midi du premier jour de ma visite, je me suis
rendu dans l’ensemble d’habitations pour PDI de Masaric inauguré
le 1er avril 2013. J’ai été impressionné
par la qualité de l’hébergement offert.
71. Quelque 760 familles, principalement originaires de la région
du Zangilan, l’un des sept territoires occupés voisins du Haut-Karabakh,
y vivent. Environ 28 % des habitants sont au chômage et l’Etat leur
alloue une subvention équivalente au salaire moyen qu’ils percevaient
avant le conflit. Cependant, grâce à une augmentation récente des
possibilités d’emploi, ce pourcentage ne cesse de baisser.
72. 425 enfants âgés de 6 à 17 ans sont inscrits à l’école du
camp (dont la capacité totale est de 480 élèves). Les salles de
classe sont neuves, superbement agencées et accueillent au maximum
25 enfants. L’une des PDI originaires de la région du Zangilan m’a
dit que les années précédentes, certains PDI étaient revenus visiter
leurs villages en passant par l’Iran. La plupart de leurs maisons
avaient été détruites. Plus personne n’y vivait.
73. Le Vice-président de la Commission nationale pour les réfugiés
et les PDI, M. Fuad Huseynov, m’a informé que le gouvernement avait
élaboré un programme de retour. Citant des études indépendantes,
il m’a affirmé qu’entre 90 % et 95 % des PDI souhaitaient regagner
leur région d’origine et que le gouvernement devait répondre à leurs
vœux. Il a par exemple mentionné l’exemple de personnes âgées qui
demandaient à ce qu’après leur mort, leurs corps soient placés dans
un cercueil afin qu’ils puissent être envoyés et enterrés dans leur
pays d’origine.
74. Le plan du gouvernement consiste à rebâtir les villages lorsque
les PDI pourraient revenir en toute sécurité. Le HCR s’intéresse
également au processus de réinstallation.
75. A la question que je lui posais, M. Huseynov a répondu qu’avant
le conflit, dans certains villages, les Azéris cohabitaient avec
les Arméniens, qui représentaient entre 1 % et 2 % de la population,
ainsi qu’avec quelques Russes.
76. Le vice-ministre de la Défense a confirmé que l’Azerbaïdjan
voulait la paix mais ne pouvait pour autant accepter de céder 20 %
de son territoire. Il a aussi fait savoir que les forces armées
du pays faisaient l’objet d’une réforme en profondeur et que l’Etat
entretenait de bonnes relations avec l’ensemble de ses voisins, l’Arménie
exceptée.
77. Il a regretté que la montée récente des tensions provoque
une détérioration de la situation le long de la ligne de contact.
Selon lui, cette aggravation s’était dessinée au cours de l’été
2014 du côté arménien et était également liée au conflit opposant
la Russie et l’Ukraine. De fait, les tensions n’avaient jamais atteint
un tel paroxysme depuis l’entrée en vigueur de l’accord de cessez-le-feu,
en 1994.
78. Evoquant les fréquentes provocations de la partie arménienne
ainsi que les manœuvres militaires de grande envergure – mobilisant
des dizaines de milliers de soldats arméniens – conduites par l’Arménie
dans le territoire occupé d’Agdam en novembre 2014, le vice-ministre
m’a informé qu’au cours de ces manœuvres, deux hélicoptères arméniens
avaient attaqué leurs positions et que l’un d’eux (un MI-24) avait
été abattu. Il m’a également dit que l’armée arménienne se trouvait
de l’autre côté de la ligne de contact, ainsi que la soi-disant armée
du Haut-Karabakh, qui n’était en fait qu’une division de l’armée
arménienne. Les armes utilisées dans le Haut-Karabakh proviennent
d’Arménie et 99 % d’entre elles sont d’importation russe.
79. Concernant le Nakhitchevan, le vice-ministre a affirmé qu’il
s’agissait d’une exclave qui n’était pas rattachée à l’Azerbaïdjan
par la terre et que l’Azerbaïdjan fournissait du pétrole à l’Iran
de manière à ce que celui-ci puisse approvisionner le Nakhitchevan
en pétrole.
80. En conclusion, le vice-ministre a souligné que le conflit
du Haut-Karabakh n’était en rien gelé et qu’il s’agissait au contraire
d’un «conflit brûlant» faisant chaque jour de nouvelles victimes.
Les habitants de l’Azerbaïdjan perdaient patience et il était donc
urgent de parvenir à un règlement pacifique.
81. Pour leur part, les représentants de la société civile que
j’ai rencontrés à Bakou ont proposé que l’Assemblée organise une
réunion entre eux-mêmes et des représentants de la société civile
d’Arménie et du Haut-Karabakh, par exemple à Tbilissi ou à Strasbourg.
Ils avaient déjà pris part dans le passé à des réunions organisées
par l’Assemblée ou le secteur intergouvernemental, notamment sur
des questions liées à la culture ou aux médias. Certains d’entre
eux n’avaient pu poursuivre leur coopération avec le Conseil de
l’Europe en raison de lois récentes qui compliquaient le fonctionnement
et le financement des organisations non gouvernementales (ONG) en
Azerbaïdjan. Ils paraissaient unanimes sur le rôle dissuasif joué
par la Russie chaque fois qu’une solution semblait se dessiner entre
les deux camps.
82. J’ai rencontré le Président Aliyev le second jour de ma visite
à Bakou. Le Président a commencé par comparer les situations respectives
du Haut-Karabakh et du Donbass. La violation de l’intégrité territoriale
de l’Ukraine n’était en rien différente de celle subie par l’Azerbaïdjan:
la ligne de cessez-le-feu mentionnée dans les accords de Minsk à
propos du Donbass était semblable à la ligne de contact du Haut-Karabakh.
De plus, dans ce dernier cas, plusieurs résolutions du Conseil de
sécurité des Nations Unies prônaient le respect de l’intégrité territoriale
de l’Azerbaïdjan.
83. Evoquant l’origine historique du conflit, le Président Aliyev
a cette fois fait un parallèle avec la situation en Crimée: si le
prétendu «référendum» qui s’y est déroulé n’était pas légitime,
il l’était encore moins dans le Haut-Karabakh où son organisation
n’avait eu lieu qu’après l’expulsion de la population azerbaïdjanaise. Quant
au rôle de la Russie, il a rappelé que 5 000 de ses hommes de troupe
étaient stationnés sur le territoire arménien et qu’elle fournissait
gratuitement des armes à l’Arménie.
84. Il s’est félicité de l’organisation et de l’utilité de ses
rencontres avec son homologue arménien et les coprésidents du Groupe
de Minsk qui se sont tenues en 2014 (à Sotchi en août, au pays de
Galles en septembre et à Paris en octobre), et a loué la détermination
sincère du Président français à aller de l’avant. C’est alors que
les grandes manœuvres militaires menées par l’Arménie sur le territoire
occupé d’Agdam ont ruiné tout espoir de progrès dans les négociations
et conduit à la destruction en vol de l’hélicoptère ainsi qu’à une
nouvelle flambée de violence.
85. Le Président Aliyev a souligné que le Groupe de Minsk avait
indiqué clairement que le statu quo était inacceptable, ce que l’Arménie
ne semblait pas prête à admettre. La première étape du processus
de résolution du conflit, débattue au sein du Groupe de Minsk, serait
la libération par l’Arménie des sept territoires adjacents au Haut-Karabakh
en échange de la reconnaissance d’un statut provisoire du Haut-Karabakh.
Dans le cadre d’un accord sur un tel statut, l’Azerbaïdjan était
disposé à accepter que l’Arménie conserve le contrôle du corridor
de Latchin et que le Haut-Karabakh puisse disposer d’institutions
autonomes propres. En revanche, l’Azerbaïdjan a déclaré qu’il était
hors de question d’accepter l’indépendance du Haut-Karabakh ou de
tout statut impliquant la séparation d’avec l’Azerbaïdjan, des arguments
à la fois historiques et juridiques plaidant en faveur de l’appartenance
de la région à l’Azerbaïdjan. Dix ou 15 ans après l’entrée en vigueur
d’un statut provisoire, et une fois la réconciliation scellée, nul
ne pourrait prédire le résultat d’un éventuel référendum. Le Président
a rappelé à cet égard que le référendum organisé par les Nations
unies à Chypre, où les deux communautés avaient voté différemment,
et évoqué plusieurs exemples de régions autonomes ou semi-autonomes
d’Europe. Il a également rappelé qu’en 2009, lors de la conférence
ministérielle de l’OSCE organisée à Athènes, les deux parties étaient
pratiquement parvenues à un accord. A la suite d’une longue période
d’inactivité, la réunion organisée à Sotchi en août 2014 par le
coprésident russe du Groupe de Minsk a marqué un nouveau départ
dans les négociations qui ont toutefois été suspendues après les
provocations arméniennes qui ont eu lieu trois mois plus tard.
86. Le Président Aliyev a énergiquement affirmé que le recours
à la force devait être totalement exclu. Cela dit, il a souligné
que le budget de la défense de l’Azerbaïdjan était deux fois supérieur
au budget global de l’Etat arménien.
87. Il a ajouté que le règlement du conflit entraînerait le retour
à des relations normales de l’Arménie avec ses voisins et la fin
de son isolement économique et de sa complète dépendance envers
la Russie.
88. Quant à la situation concrète des sept territoires adjacents,
le Président Aliyev a fait mention des deux missions d’information
menées par l’OSCE en 2005 et 2010
, qui avaient témoigné des conséquences désastreuses
du conflit et décrit la destruction presque totale des villes et
villages de la région, désormais abandonnés et en ruines. C’est
pourquoi le Président Aliyev a déclaré qu’il serait difficile d’avancer
une quelconque estimation des coûts de reconstruction de ces territoires.
Près de la ligne de contact, 300 millions d’euros ont été dépensés
annuellement pour les travaux de reconstruction. Jusqu’ici, quelque
20 000 PDI ont été réinstallées dans des lieux équipés d’infrastructures
adaptées. La veille de notre réunion, par exemple, le Président
Aliyev avait inauguré un nouvel ensemble d’habitations accueillant
environ 400 PDI à Barda, près de la ligne de contact.
89. Au total, 240 000 PDI ont été réinstallées grâce aux actions
menées ces cinq dernières années et au développement économique
du pays. Le Président a rappelé que durant les 15 ans ayant suivi
le conflit, les PDI étaient restés logées dans des camps de tentes,
dont le dernier a été fermé en 2007. Les PDI qui n’avaient pas encore
été réinstallées continuaient d’habiter des dortoirs ou des jardins
d’enfants.
90. Nous avons poursuivi cette discussion sur la situation des
PDI avec M. Ali Hasanov, vice-Premier ministre et Président de la
Commission nationale pour les réfugiés et les PDI. Il a précisé
que, dans l’attente d’une résolution du conflit et du retour des
PDI dans leurs régions d’origine actuellement occupées, ces dernières
étaient réinstallées à titre temporaire dans des infrastructures
appartenant à l’Etat. Il fallait reloger les quelque 340 000 PDI
qui continuaient de vivre dans des conditions déplorables dans des
dortoirs. Une enveloppe globale de 5,5 milliards de dollars a été
allouée aux PDI. Le total des dégâts provoqués par le conflit a
été estimé à 300 milliards de dollars.
91. M. Hasanov a évoqué le programme de réinstallation conçu par
le gouvernement et commenté par 150 organismes, dont des organisations
internationales. Il a toutefois ajouté que la reconstruction des
territoires occupés nécessiterait des efforts considérables et que
le déminage prendrait à lui seul au moins cinq ans.
92. Selon les estimations du gouvernement, seuls 10 % des PDI
pourraient ne pas souhaiter revenir dans leur région d’origine.
Le pourcentage de celles souhaitant y revenir était plus élevé chez
les personnes âgées et plus faible chez la jeune génération.
93. Le gouvernement a adopté trois programmes en faveur du développement
rural, qui encourageront aussi les retours. L’approvisionnement
en gaz, eau, électricité, etc. a été assuré dans tout le pays. Des conditions
de vie confortable et des possibilités d’emploi ont été créées en
dehors de la capitale. Des logements ont été construits à proximité
de la ligne de contact pour faciliter les retours.
94. Le Président du Parlement a confirmé la position du Président
de la République concernant les mesures à l’étude pour régler le
conflit. Il m’a une nouvelle fois assuré que le travail du parlement
s’inscrivait dans la droite ligne de l’action du Président dans
les négociations. Il a regretté que les organisations internationales ne
soient pas en mesure de renforcer les résolutions adoptées.
95. Concernant les relations avec la Russie, le Président du parlement
a déclaré que l’Azerbaïdjan n’avait pas rejoint l’union douanière
proposée par la Russie parce que le pays entendait rester plus proche
de l’Europe. Pourtant, un sentiment grandissant de frustration se
faisait sentir en Azerbaïdjan quant au rôle de l’Europe dans le
règlement du conflit, ou plutôt quant à son absence de tout rôle.
96. M. Elmar Mammadyarov, ministre des Affaires étrangères, m’a
également clairement exposé les mesures à prendre pour régler pacifiquement
le conflit. Il a notamment fait référence à une proposition du Président
français, François Hollande, qui suggérait de partager, sous les
auspices du CICR, des données sur les personnes portées disparues
lors du conflit. Mais alors que l’Azerbaïdjan était disposé à accepter
cette proposition, l’Arménie l’a rejetée. Il se demandait si ce
serait par crainte que l’on découvre des fosses communes.
97. Quant au statut provisoire qui pourrait être accordé au Haut-Karabakh
dans l’attente de négociations sur son statut définitif et en échange
de la libération des territoires occupés, le ministre a déclaré
que cela ne changerait pas grand-chose à la situation actuelle sur
le terrain. Le gouvernement insistera uniquement pour que les forces
de maintien de la paix devant être employées ne soient pas originaires
d’Etats représentés au sein du Groupe de Minsk ou d’Etats voisins.
98. Le ministre a souligné que les militaires représentant l’élément
le plus sensible du conflit, «ils devaient retourner à leurs casernes».
Il était convaincu que les mentalités pouvaient évoluer et qu’une
réconciliation serait possible après le retrait des troupes. Il
a également confirmé que l’Azerbaïdjan était prêt à investir d’importantes
sommes d’argent non seulement dans les territoires libérés, mais
également au Haut-Karabakh lui-même une fois un accord conclu sur
son statut provisoire.
4.2. Deuxième visite d’information
à Bakou, incluant une visite dans la zone de la ligne de contact (15-16
septembre 2015)
99. J’ai effectué ma deuxième visite
en Azerbaïdjan les 15 et 16 septembre 2015. Au cours de cette visite, j’ai
eu l’occasion de rencontrer à Bakou les ministres des Affaires étrangères
et de la Défense, des responsables de la communauté du Karabakh
et des membres de la délégation azerbaïdjanaise auprès de l’Assemblée.
Le 16 septembre, un hélicoptère de l’armée azerbaïdjanaise m’a conduit
dans la ville de Terter, située à 230 km à l’ouest de Bakou et à
une vingtaine de kilomètres de la ligne de contact et j’ai pu ainsi
visiter la ligne de front.
100. Au cours de ma deuxième réunion avec M. Elmar Mammadyarov,
ministre des Affaires étrangères, ce dernier a brièvement réitéré
les perspectives du processus politique de règlement du conflit
du Haut-Karabakh et les paramètres d’une éventuelle solution. Il
a répété que le principal problème était la présence des troupes arméniennes
dans le Haut-Karabakh proprement dit, ainsi que dans sept districts
voisins contrôlés par les Arméniens; les coprésidents du Groupe
de Minsk étaient unanimes à considérer que le retrait de ses troupes par
l’Arménie était une première étape indispensable pour progresser
vers un règlement. Le ministre était convaincu que cette mesure
enclencherait une dynamique positive et permettrait des développements prévisibles,
à savoir l’établissement de contacts, d’une communication et, à
terme, d’une coopération entre les parties. La question du statut
futur du Haut-Karabakh pourrait être renvoyée à plus tard.
101. D’après M. Mammadyarov, dès que la partie arménienne accepterait
le principe du retrait de ses troupes, les progrès seraient plus
rapides que l’on ne pensait sur toutes les autres questions, notamment
le retour des réfugiés et des PDI, et le rétablissement des transports
et des échanges économiques. L’Arménie bénéficierait elle aussi
du processus grâce à l’impulsion donnée à son économie.
102. Cependant, selon le ministre, la position de l’Arménie restait
inchangée et Erevan s’opposait à toutes les initiatives visant à
sortir de l’impasse actuelle par le retrait des troupes. Ce manque
de souplesse était dû au fait que l’Arménie craignait une dégradation
des conditions de sécurité dans le Haut-Karabakh en cas de retrait.
Les problèmes de sécurité pourraient être traités, dans le cadre
du règlement, par le déploiement d’une force de maintien de la paix
de l’OSCE, sous mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies,
dont la composition serait convenue entre toutes les parties et
comprendrait probablement des forces de maintient de la paix russes
et turques.
103. Le ministre a indiqué qu’après l’ouverture du processus de
règlement, l’administration interne du Haut-Karabakh serait assurée
par «les personnes en place». Toutes les routes traversant l’actuelle
ligne de contact qui sont aujourd’hui coupées seraient rouvertes
et surveillées par la force de maintien de la paix. La sécurité du
corridor de Latchin serait également garantie par une surveillance
internationale. La frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan devrait
aussi être ouverte et démilitarisée – «que les militaires rentrent
à la caserne», a répété le ministre.
104. Le retrait des troupes et le déploiement d’une force de maintien
de la paix ouvrirait la voie au retour des réfugiés et des PDI.
Les autorités azerbaïdjanaises prépareraient un ensemble de mesures
pour encourager les retours et stimuler le développement économique
de la région.
105. Le ministre a exprimé des doutes quant à la réelle volonté
des dirigeants arméniens actuels de trouver une solution au conflit.
Qui plus est, il pensait que la partie arménienne ne souhaitait
pas que la question du Haut-Karabakh figure parmi les objectifs
prioritaires de la communauté internationale. Pourtant, un règlement serait
à l’avantage de toutes les parties concernées et l’on surestime,
à son avis, le caractère sensible de cette question pour les Arméniens.
106. Comme je lui demandais si l’Arménie reconnaissait la présence
de ses troupes dans le Haut-Karabakh et les districts voisins, le
ministre a confirmé que des appelés arméniens étaient envoyés dans
ces régions et que l’armée arménienne y procédait à des exercices
militaires.
107. Le colonel général Zakir Hasanov, ministre de la Défense,
a ouvert la réunion par un exposé détaillé des vues de l’Azerbaïdjan
sur les origines du conflit du Haut-Karabakh. Il a accusé la partie
arménienne de nourrir le dessein d’une «Grande Arménie s’étendant
de la mer Noire à la mer Caspienne»; le conflit à l’intérieur et autour
du Haut-Karabakh ferait partie de ce dessein.
108. Appréciant l’actuel équilibre des forces, le ministre a estimé
que le temps jouait en faveur de l’Azerbaïdjan, dont l’économie
et la population étaient en croissance tandis que l’Arménie connaissait
un déclin démographique et économique. Afin de neutraliser les effets
de ce recul démographique, les Arméniens faisaient appel à des combattants
venus de Syrie et d’autres zones de conflit pour participer aux
combats contre les troupes azerbaïdjanaises et réinstallaient dans
le Haut-Karabakh des réfugiés syriens. Contrairement à ce qui se
passait il y a quelques années, la partie arménienne ne cachait
plus la présence de ses troupes dans le Haut-Karabakh. Il existe
un échange régulier de personnel haut-gradé au sein des forces armées
arméniennes et de ce qu’on appelle l’«armée de la République du
Haut-Karabakh». En juin cette année, le Général de corps d'armée
Levon Mnatsakanyan, chef d’état major adjoint de l’armée arménienne,
a été nommé Ministre de la défense de la «RHK» et Commandant en
chef de «l’armée du RHK». Son prédécesseur, le Général de corps
d'armée Movses Hakobyan avait été nommé comme chef d'état-major adjoint
à Erevan. Dans les faits, l’actuel Ministre de la défense arménien,
Seyran Ohanyan, a été commandant en chef de l’«Armée de la RHK»
entre 2000 et 2007.
109. Le Ministre Hasanov a donné quelques informations sur la situation
sur le terrain. Il a décrit une intensification des échanges de
tirs de part et d’autre de la ligne de contact, dont il attribuait
la responsabilité à la partie arménienne, et a affirmé que la partie
azerbaïdjanaise ne faisait que riposter aux tirs venus de l’autre bord.
D’après lui, les Arméniens étaient dans une situation privilégiée
d’un point de vue tactique, car ils occupaient les hauteurs et étaient
en meilleure position pour diriger leurs tirs. Les civils habitant
les villages à proximité de la ligne de contact étaient souvent
visés: le ministre a notamment évoqué un incident récent, lors duquel
des tirs avaient frappé une fête de mariage du côté azerbaïdjanais
de la ligne de contact, faisant plusieurs blessés graves, dont des
enfants. Les mortiers étaient de plus en plus utilisés, à côté des
armes de petit calibre. Il a aussi déploré la multiplication des
exercices militaires arméniens, qui n’étaient souvent rien d’autre
que des provocations et a mentionné le cas d’un hélicoptère arménien
abattu alors qu’il survolait l’espace aérien azerbaïdjanais.
110. Enfin, le ministre a indiqué qu’une pression croissante émanait
de la société azerbaïdjanaise en faveur d’un recours à la force
pour récupérer les territoires tenus par les Arméniens. Tout en
soulignant que l’Azerbaïdjan privilégiait une solution négociée
au conflit du Haut-Karabakh, il a déclaré que l’armée était prête à
agir en cas de provocations massives.
111. Des représentants de la communauté du Karabakh ont réaffirmé
le souhait de la population de rentrer chez eux et d’y vivre, aux
côtés des Arméniens, comme cela avait été le cas pendant de longues
années. Par ailleurs, ils se sont fait l’écho de la frustration
des réfugiés et des PDI, soit plus d’un million de personnes, face à
l’incapacité de la communauté internationale à contribuer à la cessation
du conflit du Haut-Karabakh. Ils avaient le sentiment que l’opinion
publique internationale se désintéressait du conflit en général,
et de leur situation en particulier, et qu’ils étaient tout simplement
oubliés.
112. Les membres de la délégation azerbaïdjanaise auprès de l’Assemblée
se sont également dits profondément déçus que, vint ans après le
début du conflit, les efforts du Groupe de Minsk n’aient pas encore apporté
de résultats concrets. La recherche d’une solution politique au
conflit du Haut-Karabakh ne semble pas revêtir un haut degré de
priorité pour la communauté internationale, pour laquelle il s’agit
d’un «conflit gelé» parmi d’autres. Or ce conflit est bien réel,
avec des tirs quotidiens de balles et d’obus de mortier et des victimes
civiles. Selon eux, l’inaction de la communauté internationale fait
le jeu des Arméniens, qui préfèrent le maintien du statu quo, et
aggrave en fait la situation sur le terrain et les souffrances des
civils, qu’ils vivent à proximité de la ligne de contact ou qu’ils
soient réfugiés ou déplacés.
113. Le 16 septembre, je me suis rendu dans la ville de Terter,
située à quelque 230 km à l’ouest de Bakou et à une vingtaine de
kilomètres de la ligne de contact, à bord d’un hélicoptère Mi-8
de l’armée azerbaïdjanaise. J’étais accompagné par le lieutenant
général Veliev, Vice-ministre de la Défense. Nous avons ensuite
été conduits dans des véhicules blindés de transport de troupes
sur une position de l’armée azerbaïdjanaise située sur la ligne
de front, à environ 200-300 mètres de la ligne de contact effective.
J’ai eu la possibilité de m’entretenir avec des soldats et des officiers
azerbaïdjanais sur le terrain et dans les casernes.
114. Bien que je n’aie pas été témoin d’échanges de tirs pendant
mon séjour dans la région, j’ai senti que ce calme était trompeur
et qu’il planait un climat de tension et d’anxiété. Les officiers
azerbaïdjanais m’ont indiqué qu’en moyenne 70 à 80 échanges de tirs
de part et d’autre de la ligne de contact avaient lieu chaque jour
et que ce nombre était en augmentation.
115. Bon nombre des militaires avec lesquels j’ai parlé, tant dans
les tranchées que dans les casernes, ont reconnu avoir essuyé des
tirs. D’après mes interlocuteurs azerbaïdjanais, ils ont ordre de
ne jamais ouvrir le feu les premiers, mais de riposter systématiquement
afin de «réduire au silence» la source des tirs ennemis. Ils ont
également nié avoir jamais visé des civils vivant dans des villages
de l’autre côté de la ligne de contact.
116. Un grand nombre des militaires azerbaïdjanais que j’ai rencontrés
étaient issus de familles qui vivaient autrefois dans le Haut-Karabakh
ou dans les zones alentour. Certaines de ces familles habitent toujours
dans des districts voisins, d’autres ont dû partir dans d’autres
régions d’Azerbaïdjan. Ces jeunes soldats n’ont jamais vu la terre
d’origine de leur famille, mais beaucoup disent qu’ils aimeraient
pouvoir y retourner un jour.
117. Selon les officiers azerbaïdjanais, les forces qui leur font
face comprennent les troupes du «ministère de la Défense du Haut-Karabakh»,
ainsi que des militaires arméniens et des combattants irréguliers
issus de la population locale. Ils affirment aussi qu’il y a des
«mercenaires» venus dans la région depuis d’autres points chauds
comme la Syrie et l’Irak, c’est à dire des réfugiés en provenance
d’autres zones de conflit, réinstallés dans le Haut-Karabakh et
les districts environnants avec l’obligation de servir sur la ligne
de front.
118. Les armes les plus fréquemment utilisées dans les échauffourées
sont des fusils automatiques, des mitrailleuses et des mortiers
de 60 mm et de 82 mm. Les militaires azerbaïdjanais ont aussi signalé
de fréquents incidents de coups de feu tirés par des tireurs embusqués
et la présence d’un nombre important de dispositifs d’artillerie
de campagne et de chars de l’autre côté de la ligne de contact.
Il y a aussi de vastes champs de mines de part et d’autre de la
ligne.
119. Les officiers azerbaïdjanais disent qu’il n’y a pas de contacts
sur le terrain ni de lignes de communication régulières entre les
commandements locaux des deux parties. A titre exceptionnel, des
contacts sont établis pour permettre aux observateurs du Groupe
de Minsk de contrôler la situation sur le terrain. En pareil cas,
des passages sont ouverts à travers les champs de mines à partir
de chaque camp. Le reste du temps, nul ne traverse la ligne de contact.
120. L’armée et les autorités locales m’ont informé de l’existence
de quantités massives de munitions non explosées dans les champs
situés à proximité de la ligne de contact, ce qui rend ces terrains
dangereux pour la population locale et pour ainsi dire incultivables.
En outre, les cours d’eau qui descendent des montagnes du Haut-Karabakh
ne cessent de déposer de nouvelles munitions non explosées.
121. J’ai aussi visité des villages du district de Terter, notamment
le village de Gapanly, situé à peine à une centaine de mètres de
la ligne de contact, et j’ai entendu les témoignages d’habitants
de ce village sur les conditions de leur vie quotidienne. Gapanly
est justement le lieu où, le 1er septembre 2015,
une cérémonie de mariage aurait été délibérément visée par des tirs
et des bombardements des forces arméniennes; trois civils auraient
été blessés, dont un enfant.
122. Lors de ma visite, une cinquantaine d’habitants du village,
dont de nombreux enfants et personnes âgées, se sont rassemblés
sur une petite place. Les histoires émouvantes qu’ils m’ont racontées
donnaient une image bien sombre de la vie sur la ligne de front.
Le village a été visé systématiquement et intentionnellement depuis
l’autre côté de la ligne de contact, bien que l’armée azerbaïdjanaise
n’y dispose d’aucune installation. Beaucoup de résidents ont indiqué
avoir essuyé des tirs et été blessés alors qu’ils travaillaient
dans les champs. De nombreuses maisons ont été endommagées. Les
autorités construisent à présent des murs en béton pour protéger
la route qui relie le village aux localités voisines et à la grand-route. Les
enfants du village doivent suivre cette route pour se rendre à l’école,
et il semble que des écoliers aient subi des tirs.
123. Comme la plus grande partie de cette région, Gapanly vivait
autrefois de l’agriculture, grâce à ses sols fertiles et à l’eau
acheminée par un réseau de canaux d’irrigation depuis les réservoirs
des montagnes du Haut-Karabakh. Depuis le début de la guerre, au
début des années 1990, ce réseau est hors d’usage et la région souffre
en permanence d’une pénurie d’eau. Les représentants des autorités
locales se plaignent que les Arméniens ferment les vannes des réservoirs
la plus grande partie de l’année, de sorte que les agriculteurs azerbaïdjanais
manquent d’eau précisément au moment où ils en ont le plus besoin.
De ce fait, l’économie locale est en déclin. A Gapanly, les autorités
assurent l’approvisionnement en eau au moyen de forages, mais cette
eau est de médiocre qualité et en quantité insuffisante.
124. Malgré ces difficultés, les habitants semblent attachés à
leur terre natale et déterminés à y demeurer. Cependant, on ressent
clairement un mélange de colère et d’incompréhension devant l’absence
de toute amélioration de leur situation depuis vingt ans. Il règne
aussi un sentiment de profonde injustice, car la communauté internationale
semble avoir perdu tout intérêt pour le sort de ces personnes ordinaires,
qui sont en fait les principales victimes de ce conflit
.
125. Selon les responsables azerbaïdjanais, plus de 130 villages
vivraient dans de semblables conditions le long de la ligne de contact.
5. Conclusions
126. Mes conclusions sont résumées
dans le projet de résolution. Afin de résumer mes propositions,
je mentionnerais en particulier ce qui suit.
127. Nous devrions exprimer notre profonde préoccupation et condamner
l’escalade de la violence observée depuis l’été 2014 de part et
d’autre de la ligne de contact séparant le Haut-Karabakh et les
autres territoires de l’Azerbaïdjan occupés par l’Arménie du reste
du territoire de l’Azerbaïdjan, ainsi que le long de la frontière internationale
entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.
128. Nous devrions condamner fermement les attaques dirigées délibérément
contre des localités habitées par des civils à proximité de la ligne
de contact et rappeler aux parties l’obligation qui leur incombe
au titre des Conventions de Genève de protéger la sécurité des non-combattants.
La multiplication récente des violations du cessez-le-feu et les
informations selon lesquelles des armes lourdes, y compris des mortiers
et des pièces d’artillerie, seraient désormais utilisées, sont particulièrement
inquiétantes. De nouveaux atermoiements ne feront que compliquer
le règlement de ce conflit «dégelé», qui a coûté plus d’une centaine
de vies humaines depuis 15 mois et pourrait dégénérer en une véritable
guerre entre deux Etats membres du Conseil de l’Europe.
129. Réaffirmant la
Résolution
1416 (2005) et la
Recommandation
1690 (2005) de l’Assemblée sur le conflit du Haut-Karabakh traité
par la Conférence de Minsk de l’OSCE, nous devrions prendre note
de la position de la Cour européenne des droits de l’homme dans
son arrêt de juin 2015,
Chiragov et autres
c. Arménie, concernant la question de la juridiction,
à savoir que l’Arménie «exerce un contrôle effectif sur le Haut-Karabakh
et les territoires avoisinants».
130. Nous devrions réitérer notre appel aux délégations parlementaires
de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan à faire usage de la plate-forme
offerte par l’Assemblée pour nouer un dialogue constructif et retrouver
une confiance mutuelle.
131. Rappelant que l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont, l’un et l’autre,
pris l’engagement, lors de leur adhésion au Conseil de l’Europe
en janvier 2001, de n’utiliser que des moyens pacifiques pour régler
leur conflit au sujet de la région du Haut-Karabakh, nous devrions
inviter instamment les deux gouvernements à s’abstenir de faire usage
de la force armée l’un contre l’autre et de développer les actions
militaires.
132. Tout en nous félicitant des rencontres entre les Présidents
arménien et azerbaïdjanais organisées par les coprésidents du Groupe
de Minsk de l’OSCE à l’été et à l’automne 2014, nous devrions inviter
de nouveau l’Arménie et l’Azerbaïdjan à mettre à profit le processus
de Minsk de l’OSCE et à se soumettre mutuellement, par l’intermédiaire
du Groupe de Minsk, des propositions constructives pour le règlement
pacifique du conflit, conformément aux principes du droit international.
Toutefois, vu l’absence de progrès au cours des vingt dernières
années, qui sape la crédibilité des institutions internationales,
nous devrions appeler le Groupe de Minsk à envisager de revoir son
approche de la résolution du conflit.
133. Nous devrions féliciter le Gouvernement azerbaïdjanais du
soutien financier et matériel qu’il apporte à plus d’un million
de personnes déplacées et de réfugiés, et nous réjouir de son engagement
à financer et faciliter un programme de réinstallation de toutes
les personnes déplacées qui souhaitent rentrer dans leur foyer dans
la région. Nous devrions également nous réjouir de la volonté du
Gouvernement azerbaïdjanais d’établir des contacts avec les représentants
politiques des deux communautés de la région du Haut-Karabakh au
sujet de la réinstallation des personnes déplacées dans leur localité
d’origine.
134. Notant que le statu quo est inacceptable et qu’il ne doit
pas être considéré comme un fait accompli, bénéficiant en fin de
compte à une seule des parties, nous devrions appeler à ce qu’un
certain nombre de mesures soient prises en priorité dans le cadre
du processus de Minsk de l’OSCE, en particulier:
- la cessation immédiate de la
violence de part et d’autre de la ligne de contact et de la frontière
entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, y compris le retrait de tous les
équipements militaires et la cessation des activités militaires
au voisinage de la région;
- la démilitarisation des deux côtés de la ligne de contact;
- la mise en œuvre des premières étapes d’un règlement pacifique,
à savoir: le retrait des forces armées arméniennes et des autres
forces armées irrégulières du Haut-Karabakh et des autres territoires occupés
de l’Azerbaïdjan; l’établissement de la pleine souveraineté de l’Azerbaïdjan
sur ces territoires et la convocation d’une réunion plénière du
Groupe de Minsk en vue d’instaurer un statut provisoire pour le
Haut-Karabakh, garantissant la sécurité et une autonomie interne,
et comprenant l’approbation d’un corridor reliant l’Arménie au Haut-Karabakh;
et de prendre d’autres mesures de confiance, dont un corridor d’accès
au Nakhitchevan;
- la reconnaissance, par la Fédération de Russie, de l’embargo
sur les livraisons d’armes décidé au niveau international envers
les deux parties au conflit et de veiller à ce que, si des armes
sont fournies à l’Arménie, elles ne tombent pas dans les mains des
forces séparatistes du Haut-Karabakh;
- le déploiement par l’OSCE d’une force internationale de
maintien de la paix pour assurer la sécurité dans le Haut-Karabakh
et les autres territoires occupés et permettre le retour et la réinstallation
des personnes déplacées dans des conditions de sécurité, ainsi que
la mise en place d’un mécanisme d’enquête sur les violations du
cessez-le-feu;
- la pleine coopération de l’Arménie à l’échange de données
sur les personnes disparues dans le conflit sous l’égide du CICR,
pour donner suite à la proposition lancée par le Président français
François Hollande;
135. Nous devrions faire appel à toutes les parties directement
impliquées dans la condamnation illicite de D. Asgarov et S. Guliyev
par des «tribunaux» non reconnus du Haut-Karabakh et leur maintien
en détention sur place, à leur garantir un procès équitable, conduit
par une juridiction reconnue de la puissance occupante, l’Arménie,
dans des conditions conformes aux dispositions de l’article 6 de
la Convention européenne des droits de l’homme.
136. Nous devrions regretter le manque de coopération de la part
de la délégation arménienne auprès de l’Assemblée parlementaire
et du Gouvernement de l’Arménie dans la préparation de ce rapport
et, notant qu’une telle attitude contrevient aux engagements de
l’Arménie en sa qualité de membre du Conseil de l’Europe, nous devrions
examiner les mesures à prendre dans le cas présent, dans le cadre
du Règlement de l’Assemblée, afin de garantir que ses rapporteurs
puissent à l’avenir mener à bien leur mandat sans entraves. La commission
du Règlement, des immunités et des affaires institutionnelles pourrait
préparer un rapport dans ce sens.
137. Enfin, nous devrions continuer à suivre régulièrement, éventuellement
en nommant un Rapporteur spécial au sein de la commission des questions
politiques et de la démocratie, l’évolution de la situation en faveur
d’un règlement pacifique de ce conflit dans le cadre du processus
de Minsk de l’OSCE, l’arrêt de la violence dans la région et la
restauration de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan.