1. But et
champ d’étude du rapport
1. L’accès à l’école et à l’éducation
s’est considérablement amélioré depuis vingt ans en Europe et au-delà, mais
à des degrés divers en fonction des différents groupes de population
concernés.
2. Dans plusieurs Etats européens, certains enfants ne sont pas
scolarisés. Les raisons en sont multiples: manque d’écoles dans
les régions où ils vivent, difficultés socio-économiques (par exemple,
les parents ont besoin que leurs enfants les aident gratuitement
à travailler aux champs et dans leurs activités), obstacles culturels
(par exemple, traditions opposées à l’éducation des filles). Certains
enfants parmi les plus défavorisés comme les enfants sans papiers
(souvent des enfants abandonnés par leur famille et vivant dans
la rue mais aussi des enfants roms et des enfants réfugiés) sont
de fait privés du droit à l’éducation. Cette situation leur ôte
toute chance de trouver leur place dans la société dans leur pays
d’origine ou à l’étranger et de vivre dans la dignité. Certains
enfants reçoivent une éducation inappropriée, de mauvaise qualité
ou inadaptée à leurs besoins particuliers, comme les enfants handicapés,
mais aussi les enfants surdoués.
3. Les écarts observés dans les niveaux d’instruction sont considérés
comme l’un des grands clivages sociaux dans les sociétés modernes.
Il importe donc non seulement de voir ce qui entrave l’accès à l’éducation, mais
aussi ce qui empêche d’achever la scolarité. Le taux de décrochage
est considéré comme très élevé dans certaines régions d’Europe.
Les systèmes éducatifs devraient avoir non seulement une politique
d’accès, mais aussi une politique de sortie. Les élèves doivent
achever leur études avec succès. Un taux élevé d’accès à l’éducation
associé à un taux élevé de décrochage scolaire ne fait que différer
les problèmes.
4. L’article 2 du Protocole additionnel à la Convention européenne
des droits de l’homme (STE no 9) établit que
«[n]ul ne peut se voir refuser le droit à l’instruction». En outre,
conformément à l’article 17.1.a de
la Charte sociale européenne révisée (STE no 163),
les Etats Parties doivent «assurer aux enfants et aux adolescents (…)
l’éducation et la formation dont ils ont besoin» pour garantir l’exercice
effectif de leur droit de grandir dans un milieu favorable à l’épanouissement
de leur personnalité et au développement de leurs aptitudes physiques et
mentales.
5. Dans sa
Résolution
2013 (2014) sur le thème «Bonne gouvernance et meilleure qualité
de l’enseignement», l’Assemblée parlementaire a souligné l’importance
de garantir à tous l’accès à une éducation de qualité. Les Etats
membres ont été invités (paragraphe 5.4) à «garantir la non-discrimination
dans l’accès à l’enseignement et [à] adopter des mesures positives
pour lutter contre les inégalités scolaires». S’appuyant sur cette
recommandation, l’Assemblée a renvoyé à notre commission, le 27
juin 2014, pour rapport, la proposition de résolution sur «L’accès
à l’école et à l’éducation pour tous les enfants» que j’avais déposée
avec 23 autres collègues (
Doc.
13533, Renvoi 4053). J’ai été nommé rapporteur le 2 octobre
2014.
6. Dans ce rapport, je me suis intéressé non pas à n’importe
quelle offre éducative, mais à l’accès à une «éducation de qualité»,
en me penchant sur ce que les Etats membres du Conseil de l’Europe
pourraient faire pour supprimer les obstacles à l’accès à l’éducation
et pour s’assurer que l’école publique prend en charge tous les
enfants. En d’autres termes, notre but n’est pas seulement de faire
en sorte que tous les enfants aillent à l’école mais de veiller
à ce qu’ils aient accès à une éducation qui puisse garantir le développement
de leurs capacités personnelles et les aider à s’épanouir pleinement.
Notre commission a étudié en profondeur ce concept dans le rapport
de notre collègue, M. Paolo Corsini, sur le thème «Bonne gouvernance
et meilleure qualité de l’enseignement»
.
7. Gardant ces éléments à l’esprit, le rapport examine tout d’abord
la situation de certains groupes particuliers qui sont exposés à
la discrimination ou à l’exclusion en ce qui concerne l’exercice
effectif de leur droit à l’éducation (section 2). J’analyse ensuite
les obstacles entravant l’accès à l’éducation (section 3) et conclus
en proposant une série d’actions aux niveaux local, national, européen
et mondial pour garantir l’accès de tous à une éducation de qualité
(section 4). Je remercie les experts ayant participé aux travaux
de la commission pour leurs précieuses contributions
.
2. Enfants exposés à la discrimination
ou à l’exclusion
8. De forts écarts dans les niveaux
d’instruction créent des inégalités profondes, à l’encontre du principe d’égalité
des chances et d’inclusion sociale. On constate que, là où l’éducation
fait défaut, s’installent l’exclusion et la discrimination, la pauvreté,
les expulsions et le germe de la révolte. Il est évident qu’un enfant sans
instruction n’est pas armé pour vivre en société dans un climat
de paix et de coopération ni pour exercer une profession qualifiée.
Pour dire les choses crûment, celle ou celui qui, aujourd’hui, n’a
suivi ni cursus d’enseignement général ni formation professionnelle
n’est rien ni personne. Voilà pourquoi l’accès à l’école et à l’éducation
pour tous est primordial.
9. Le Conseil de l’Europe a identifié des mesures visant à favoriser
l’accès à l’éducation des enfants exposés à la discrimination ou
à l’exclusion
. Afin de
pouvoir dresser un premier bilan des actions entreprises par les
Etats membres, le 31 mars 2015 un questionnaire a été adressé aux
pouvoirs publics dans le domaine de l’éducation via le Comité directeur
pour les politiques et pratiques éducatives (CDPPE) du Conseil de l’Europe
. Dans
cette section, j’analyserai la situation de certains groupes particuliers
d’enfants en ce qui concerne une mise en œuvre effective de leur
droit à l’éducation.
2.1. Enfants
de migrants et de demandeurs d’asile
10. En 2013, selon les estimations
du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR),
on comptait 7 millions d’enfants réfugiés et entre 11,2 et 13,7 millions
d’enfants déplacés à l’intérieur de leur propre pays en raison d’un
conflit. Les crises que traversent la Syrie et l’Ukraine depuis
deux ans n’ont fait qu’aggraver la situation. Bien que les enfants
bénéficient de la plus grande partie de l’aide humanitaire fournie, le
financement des secteurs les visant spécifiquement, tels que la
protection de l’enfance et l’éducation, est nettement insuffisant
au niveau mondial. Au cours des dix dernières années, l’éducation
a été le secteur de l’aide humanitaire le moins financé: presque
deux tiers des besoins n’ont pas reçu le moindre financement et le
secteur n’a bénéficié que de 3 % de l’aide humanitaire globale.
La raison en est essentiellement que, dans les situations de crise,
les secours d’urgence, plus immédiats et vitaux, reçoivent souvent
la priorité
.
11. Les enfants réfugiés et demandeurs d’asile ont vécu la tragédie
de la guerre dans leur pays d’origine et survécu à des atrocités.
Ces enfants, qui ont des cultures et des coutumes différentes, doivent
être resocialisés. Il est du devoir de leur nouveau pays d’accueil
de les traiter comme de nouveaux citoyens et de créer les conditions
propices à leur intégration dans la société, en leur offrant la
possibilité d’apprendre la langue de leur nouveau cadre de vie et
de prendre part, dès que possible, à des activités scolaires régulières.
12. Le Professeur David Little a cité l’exemple de Scoil Bhríde
(Cailíní), école située à Blanchardstown, dans la banlieue de Dublin
(Irlande), et qui accueille environ 320 élèves dont 80 % sont issus
de familles non anglophones ou irlandophones. Quelque 51 langues
d’origines différentes (dont l’anglais et l’irlandais) sont parlées
dans cette école. L’établissement, qui nous donne un exemple instructif,
est parvenu à garantir l’accès à l’éducation à tous les enfants
inscrits et ce pour diverses raisons. Pour commencer, il poursuit
deux objectifs éducatifs fondamentaux: garantir aux élèves issus
de l’immigration le plein accès à l’éducation et tirer profit de la
diversité linguistique au bénéfice de tous les élèves. L’école a
défini ses politiques et pratiques éducatives en conséquence. Ensuite,
les langues parlées à la maison sont considérées comme une ressource
pour tous les apprenants, et les élèves issus de familles d’immigrés
sont encouragés à les employer s’ils le souhaitent, aussi bien au
sein de la salle de classe qu’en dehors. Un accent particulier est
mis sur le développement de l’alphabétisation dans la langue de
scolarisation, les langues du programme (irlandais, français), et
les langues parlées à la maison (rôle des parents). Grâce à cela,
l’école obtient des résultats supérieurs à la moyenne nationale
aux tests normalisés de langue anglaise et de mathématiques (conçus
pour des locuteurs natifs). Les élèves issus de l’immigration développent
un niveau élevé d’alphabétisation pour leur âge dans leur langue d’origine.
Celle-ci étant constamment mise en avant, les élèves se sentent
valorisés, sont très motivés pour apprendre et développent un niveau
élevé, pour leur âge, d’éveil aux langues et d’apprentissage en
anglais, français et irlandais.
13. Concernant les enfants de migrants et de demandeurs d’asile,
les statistiques révèlent que la maîtrise de la lecture dans la
langue de scolarisation est indispensable pour réussir à l’école.
Un élève qui achoppe sur la lecture ne peut comprendre ni intégrer
le contenu d’un programme scolaire
.
Savoir lire permet à l’élève d’approfondir ses connaissances, non
seulement sur les sujets abordés à l’école mais également sur tout
ce qui touche au quotidien et à la société en général. Les enfants
nés de parents ne maîtrisant pas la langue en usage à l’école ont
davantage de difficultés à lire correctement. Ce point est d’une
importance cruciale: en effet, comme le démontre le Programme international
de recherche en lecture scolaire (PIRLS) de l’IEA, un élève qui
bute encore sur les mots et leur sens à la lecture lorsqu’il atteint
sa troisième ou sa quatrième année de scolarité risque de connaître
des problèmes d’apprentissage toute sa vie
. Une éducation préscolaire pourrait
aider les enfants issus de familles de migrants et de demandeurs
d’asile à améliorer leur maîtrise globale de la lecture
.
14. En effet, la maîtrise d’une langue autre que leur langue maternelle
peut permettre à ces élèves de suivre plus facilement des cours
et stimule donc leur développement. Cela dit, le fait d’avoir accès
à l’éducation dans sa langue maternelle ou sa langue familiale
agit aussi comme une stimulation
supplémentaire, qui contribue à assurer l’estime de soi des enfants
immigrés et de leurs familles et favorise le respect de leur identité.
Cela peut avoir des retombées positives à plusieurs égards: les
parents qui participent à la réussite scolaire potentielle de leurs
enfants et à leur bien-être s’intègrent mieux et plus vite au plan
social; et en retour, la communauté apprécie l’intégration plus
rapide des parents.
15. La mise à disposition d’une éducation pour les enfants migrants
nouvellement arrivés a pour objet d’assurer qu’à leur entrée dans
l’éducation ordinaire, les élèves ont certaines notions de la langue
de scolarisation. Ce peut être une mesure d’accueil indispensable
pour faire face à l’arrivée massive d’enfants de familles de migrants.
Des cours de langue spécialement conçus pourraient être proposés
également pour faciliter leur participation dans les cours traditionnels.
Cette mesure suppose une bonne coordination entre les professeurs
de langue et leurs collègues qui enseignent d’autres matières. Certains
pays (dont la Belgique, la France et l’Irlande) ont mis au point
des approches pédagogiques qui encouragent les élèves migrants à utiliser
les langues parlées à la maison même si l’enseignant auquel ils
s’adressent ne les maîtrise pas
.
Les enseignants, en tant qu’individus, et les établissements scolaires,
en tant qu’institutions, ainsi que les communautés locales et les
autorités nationales doivent être bien préparés et disposés à coopérer
dans cette tâche.
16. Lorsqu’on examine la question de la maîtrise de la langue,
il faut prendre en considération le niveau de compétences linguistiques
des parents. Dans environ deux tiers des pays membres de l’Union
européenne, des brochures d’information sur le système scolaire
sont publiées à l’intention des familles immigrées. Toutefois, les
langues de publication sont généralement en nombre restreint. L’accès
à des services d’interprétation est un droit prévu par la loi dans
trois pays nordiques (Norvège, Finlande et Suède), deux Etats baltes
(Estonie et Lituanie) et en Hongrie. Même dans ces six pays, ce
droit ne s’applique qu’à une catégorie spécifique de familles immigrées
(les réfugiés) ou qu’à des situations bien précises nécessitant
un contact entre les familles immigrées et l’école
.
2.2. Enfants
de membres de la communauté rom
17. Les enfants roms ont nettement
moins de chances de fréquenter l’enseignement préscolaire, la scolarisation
des enfants roms âgés de 3 à 6 ans variant entre un minimum de 0,2 %
au Kosovo et un maximum de 17 % en Roumanie
. La réussite scolaire chez les Roms
est inférieure à celle des autres élèves. Par exemple, il ressort
d’une étude hongroise que la moyenne des notes des élèves roms était
inférieure à celle obtenue par la majorité des autres élèves, la
moitié d’entre eux obtenant des mauvaises notes en langue hongroise
et en mathématiques. Les enfants roms mettent également plus de
temps pour achever leur scolarité. En République slovaque, les enfants
roms risquent 18 fois plus que les enfants non roms de ne pas atteindre
la classe de huitième en huit ans, et en Hongrie, 80 % des enfants
ont besoin de plus de huit ans pour terminer l’enseignement primaire.
Parmi ceux qui n’ont pas atteint la classe de huitième il reste
toujours un certain nombre d’enfants totalement ou fonctionnellement
illettrés
. Les femmes roms sont encore plus vulnérables
.
En Europe du sud-est, le taux d’illettrisme atteint 32 % chez les
femmes roms et 22 % chez les hommes, contre 5 % et 2 % respectivement
chez les femmes et les hommes dans la population majoritaire.
18. Certains enfants roms sont inscrits dans des écoles spéciales
même s’ils n’ont aucun problème de santé physique ou mentale. Cela
est souvent dû à la discrimination et au refus d’accepter ces enfants
en milieu scolaire ordinaire. Cette pratique menace tout l’avenir
des enfants roms. Une fois dans une école spéciale, les élèves ne
reçoivent pas une éducation d’une qualité égale à celle dispensée
dans les établissements d’enseignement ordinaire
. De plus, une fois dans une
école spéciale, les chances d’un transfert vers un milieu scolaire
ordinaire sont pratiquement inexistantes.
19. La Cour européenne des droits de l’homme a énoncé, dans le
cadre d’une affaire intentée contre la République tchèque liée à
l’éducation des enfants tsiganes/roms, un principe essentiel: garantir
l’accès en lui-même
ne suffit
pas, encore faut-il que l’Etat puisse garantir aux enfants un accès
à une éducation
de qualité (et
non les cantonner dans des écoles où l’enseignement dispensé est
prévu pour des enfants handicapés mentaux)
.
Nous devrions insister sur le principe non seulement de «l’accès
aux droits» – en l’occurrence, au droit à l’éducation» – mais aussi
de «la pleine et égale jouissance de ces droits».
20. L’accès à l’éducation préscolaire dès l’âge de trois ans pourrait
avoir un effet bénéfique pour la suite de la scolarité et la socialisation
future des enfants roms. Bien entendu, les pouvoirs publics ne peuvent
obtenir de bons résultats sans la coopération des familles roms,
ce qui signifie qu’il est crucial de faire participer ces dernières.
2.3. Enfants
de familles à faibles revenus, en particulier en milieu rural
21. Les niveaux de revenu et la
zone géographique où vivent les familles figurent aussi parmi les
facteurs qui ont une incidence sur l’accès à l’éducation. Bien souvent,
les parents de familles à faibles revenus ne sont pas en mesure
de fournir tout ce qui est nécessaire pour que leurs enfants fréquentent
l’école. Par exemple, au Royaume-Uni, la classe sociale reste le
meilleur indicateur du niveau d’études et l’écart entre les classes sociales
du point de vue des résultats scolaires est l’un des plus importants
des pays développés
.
22. Le lieu géographique où résident les enfants est également
source d’inégalités. Dans un certain nombre d’Etats membres, la
récente crise économique a contraint les pouvoirs publics à fermer
des écoles rurales, suivant une stratégie de regroupement des établissements.
Les élèves des écoles primaires et secondaires des régions rurales
doivent parcourir quotidiennement de plus longues distances, ce
qui augmente également les coûts pour les parents.
23. Les différences entre zones rurales et urbaines apparaissent
déjà au niveau de l’éducation préscolaire. Même dans les pays nordiques,
connus pour leur réseau efficace et étendu de services préscolaires,
on observe une nette différenciation selon l’axe rural-urbain, avec
une proportion de crèches considérablement plus élevée dans les
zones urbaines.
24. Les écoles affichant les meilleurs taux de réussite se trouvent,
le plus souvent, dans les villes. Leurs élèves sont habituellement
issus de familles relativement aisées, maîtrisent la langue d’enseignement
et possèdent déjà un niveau d’alphabétisation minimal à leur première
rentrée scolaire. Il s’agit d’écoles bénéficiant généralement de
conditions de travail et d’infrastructures privilégiées, et qui
ne manquent d’aucun support de formation (manuels scolaires, ordinateurs,
équipements technologiques, fournitures en tous genres). En fonction
des pays et de leur lieu d’implantation, certains établissements
scolaires offrent également un accès à d’autres ressources importantes
(bibliothèques, centres multimédia ou musées par exemple).
25. Au niveau européen, en moyenne, les élèves fréquentant des
établissements situés dans des villes de plus de 15 000 habitants
affichent des résultats en lecture supérieurs à ceux des élèves
scolarisés dans de plus petites villes ou en zone rurale (moins
de 15 000 habitants). Concernant les enfants de familles à faibles revenus,
notamment celles résidant en zone rurale, le problème revêt divers
aspects qu’il convient d’examiner avec attention: disponibilité
des ressources éducatives à domicile, niveau d’éducation des parents,
égalité d’accès et parité des sexes et enfin, écarts entre milieu
rural et urbain en termes d’accès à l’éducation et de capacité des
élèves à achever leur scolarité. Selon divers travaux de recherche,
il existe un lien positif étroit entre la réussite et le statut
socio-économique – ou certains indicateurs de ce statut, comme le
niveau d’éducation ou la profession des parents ou des tuteurs
.
L’environnement domestique exerce davantage d’influence en amont
de la scolarisation. De même, la présence de supports de lecture
à la maison se reflète fortement dans les résultats futurs de l’enfant
non seulement en lecture, mais aussi en mathématiques et en sciences.
26. On observe une forte corrélation entre les revenus des familles
et la réussite des élèves en lecture et en mathématiques
.
A l’échelon européen, les écarts entre les moyennes obtenues par
les élèves issus de familles aux revenus confortables et ceux issus
de familles plus modestes varient de 40 points au Portugal à 130
points à Malte. En Suède, en Allemagne et en Italie, le niveau de
lecture des enfants est proportionnel au niveau d’éducation et d’emploi
des parents. La Suède présente de plus grandes disparités de résultats
entre les élèves de diverses origines sociales; suivent l’Allemagne,
puis l’Italie. La présente analyse confirme l’hypothèse selon laquelle
l’assiduité scolaire est d’autant plus importante pour les élèves
défavorisés. La baisse continue des résultats en lecture observée
aux Pays-Bas au cours de la dernière décennie est liée à la situation
socio-économique des élèves (p.e. la pauvreté) et à des facteurs
éducatifs tels le manque d’activités d’alphabétisation mises en
place précocement au sein du foyer familial et d’un travail de lecture
et d’écriture entamé dès les premières années à l’école.
2.4. Enfants
handicapés
27. La Convention des Nations Unies
relative aux droits des personnes handicapées (article 24) interdit
la discrimination et promeut l’égalité des chances dans l’éducation
à tous les niveaux
. Cent cinquante et un pays ont ratifié
la Convention, dont la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe
. Je tiens également à rappeler que
le Comité des Ministres a adopté en 2006 la Recommandation Rec(2006)5
sur le Plan d’action du Conseil de l’Europe pour la promotion des
droits et de la pleine participation des personnes handicapées à la
société: améliorer la qualité de vie des personnes handicapées en
Europe 2006-2015. L’Union européenne est devenue partie à la Convention
en décembre 2010.
28. Cependant, malgré la volonté affichée par les responsables
politiques, les enfants handicapés sont toujours confrontés à de
sérieux obstacles dans l’accès à l’éducation dans un certain nombre
d’Etats membres du Conseil de l’Europe. Selon un rapport publié
par OSIAF Arménie, 70 % des enfants handicapés vivant dans des orphelinats
ne sont pas du tout scolarisés
. De plus, lorsqu’ils ont accès à
une forme d’éducation, celle-ci est très souvent inadéquate et ne
contribue pas à la réalisation de leur potentiel. En Arménie, 19 %
des parents d’enfants ayant des besoins éducatifs spéciaux ont indiqué
que les conditions d’accès insuffisantes et la mauvaise qualité
de l’éducation étaient les raisons principales de l’exclusion de
leurs enfants des établissements d’enseignement ordinaires.
29. L’expérience et les données indiquent que les enfants inscrits
dans des établissements d’enseignement ordinaires ont de meilleurs
résultats scolaires que ceux qui sont scolarisés dans des classes
ou des écoles spéciales et, par conséquent, qu’ils peuvent avoir
de meilleures chances d’accéder ensuite à un emploi, comme l’illustrent
les systèmes où la scolarisation spéciale limite la possibilité
d’acquérir des qualifications égales. Par exemple, le rapport national
allemand indique qu’en 2006 plus de 77 % des jeunes fréquentant une
école spéciale n’avaient pas de qualification à la fin de leur scolarité,
alors que seulement 7,9 % des élèves inscrits dans des établissements
d’enseignement ordinaires étaient dans ce cas. De plus, les rapports
de la Pologne montrent qu’en 2008 plus de 95 % des élèves fréquentant
des établissements ordinaires qui ont passé l’examen de fin d’études
secondaires l’ont réussi, tandis que le taux de réussite était de
seulement 67,4 % dans les établissements secondaires spéciaux
.
2.5. Enfants
surdoués
30. En ce qui concerne les enfants
surdoués, l’IEA a procédé à une évaluation à grande échelle des
élèves les plus capables. Elle a ainsi déterminé le pourcentage
d’élèves ayant atteint un niveau élevé
dans l’échelle de
notation internationale pour trois disciplines (mathématiques, sciences
et lecture). Le pourcentage d’élèves entrant dans cette catégorie
– c’est-à-dire, les élèves capables de lire des textes complexes
en comprenant parfaitement leur sens, de résoudre divers problèmes
mathématiques et de témoigner d’une connaissance scientifique variée
et approfondie – a servi d’indicateur de la réussite scolaire des
enfants doués par rapport au reste des élèves du même âge. Au niveau
européen, l’écart moyen dans les résultats de lecture entre les élèves
des 10 premiers et des 10 derniers centiles, tous pays confondus,
était de 182 points. Le plus petit écart a été observé aux Pays-Bas
(139 points), le plus élevé, à Malte (253 points). En conclusion,
pour qu’ils puissent progresser, les enfants surdoués doivent pouvoir
suivre des programmes différents de ceux conçus pour leurs autres
camarades de classe. Les programmes scolaires doivent être adaptés
à leur rapidité d’apprentissage pour stimuler leur envie de progresser.
31. On déplorera cependant que les enfants surdoués n’aient pas
accès à une offre éducative adaptée à leurs capacités. Très souvent,
ces enfants doivent suivre un programme «moyen» qui devrait permettre
à la majorité des élèves de progresser. De ce fait, ces enfants
sont déçus, ils s’ennuient en classe, ce qui les démotive et, dans
les cas extrêmes, les conduit à abandonner l’école.
32. De plus, les enseignants accordent souvent moins d’attention
aux élèves les plus doués. Ces enfants, censés avoir les meilleurs
résultats scolaires, donnent l’impression de ne pas avoir besoin
de l’aide des enseignants. Et pourtant ils ont des besoins, dont
celui de confronter leurs compétences avec celles d’élèves, peut-être
d’un âge différent, mais ayant un niveau de connaissances similaire.
Par exemple, il pourrait être bénéfique pour des élèves d’âges différents,
mais dotés d’un don particulier pour le design et la technologie, de
suivre une fois par semaine les mêmes cours dispensés par un enseignant
spécialisé dans cette matière.
2.6. Discrimination
fondée sur le sexe
33. Le sexe des élèves joue également
un rôle dans leur réussite scolaire. Cela étant, des écarts considérables
apparaissent en fonction des champs d’apprentissage, de l’âge des
apprenants et des pays, et la nature et les raisons de ces écarts
sont encore sujettes à débat. Des études révèlent que les garçons
et les filles en bas âge ne présentent pas de différences en ce
qui concerne les capacités cognitives qui sont à la base de la pensée
mathématique et scientifique. Garçons et filles maîtrisent en outre
les concepts et les opérations mathématiques élémentaires de la
même manière au même moment. Si le sexe des participants aux études
de l’IEA
n’a pu être relié de façon probante
à leurs résultats en mathématiques ou en sciences, en ce qui concerne
la lecture, les filles font systématiquement mieux que les garçons.
34. Le risque de double discrimination, par la combinaison de
facteurs tels que le sexe et l’appartenance ethnique, mérite également
toute notre attention. En Europe du Sud-Est, par exemple, le taux
d’illettrisme atteint 32 % chez les femmes roms et 22 % chez les
hommes, contre 5 % et 2 % respectivement chez les femmes et les
hommes dans la population majoritaire. En Albanie, un quart des
femmes roms sont analphabètes, soit plus du double des hommes. Les
femmes roms vivant dans ce pays ont passé en moyenne 5,5 années
à l’école, contre 8 pour les hommes. Près d’un tiers des filles
en âge d’intégrer l’école primaire ne sont pas scolarisées, alors
que cette fraction est environ un cinquième (19 %) chez les garçons
.
3. Obstacles
particuliers à l’accès à une éducation de qualité et à l’école pour
tous
3.1. Obstacles
identifiés dans un programme d’éducation inclusive du Conseil de
l’Europe
35. Pour construire des sociétés
inclusives en établissant des systèmes qui offrent à tous l’égalité
des chances, nous devons accorder une attention particulière à l’éducation
inclusive. Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ont mis
en place un programme conjoint sur l’éducation inclusive en Europe
du Sud-Est pour relever les défis en matière d’accès à l’éducation.
Comme les participants à ce programme l’ont souvent souligné, une
école inclusive est une école où «chaque enfant est bienvenu, chaque
parent est impliqué et chaque enseignant est valorisé». Le projet
promeut le concept d’éducation inclusive comme principe de réforme
consistant à respecter et à prendre en compte la diversité chez
tous les apprenants, avec un accent particulier sur les enfants
qui sont le plus exposés à la marginalisation et l’exclusion
.
La constitution de réseaux entre écoles pilotes est un élément important
de ce projet
, car elle contribue à l’échange de
bonnes pratiques et favorise l’apprentissage mutuel concernant l’éducation
inclusive. L’importance de la mise en réseau d’établissements scolaires
a été citée également par l’Estonie dans sa réponse au questionnaire
sur l’accès à l’école (voir le point 4.1 ci-dessous).
36. Il n’est pas facile de mettre en œuvre une éducation inclusive.
Divers obstacles doivent être surmontés. Le programme conjoint a
identifié des obstacles spécifiques, notamment:
- obstacles sociaux et financiers
– le soutien aux élèves et l’aide aux familles défavorisées varient considérablement
selon les pays en Europe; l’environnement social peut être insuffisamment encourageant;
l’origine et la situation sociales peuvent engendrer un manque d’espoir
et de perspectives;
- obstacles culturels – difficulté de grandir dans un environnement
qui ne valorise pas l’éducation;
- maîtrise de la langue – ceux qui ne maîtrisent pas suffisamment
la/les langue(s) d’enseignement, mais aussi ceux qui ont une maîtrise
insuffisante de leur langue maternelle ont du mal à accéder à un programme
éducatif;
- obstacles administratifs – par exemple l’absence de documents
d’identité (migrants en situation irrégulière, réfugiés ou non;
enfants des rues).
37. Je tiens à souligner que l’éducation est déterminante pour
l’avenir des enfants. Il n’est pas possible de mettre en place une
formation personnalisée, mais il faut essayer d’établir un système
d’éducation qui stimule intensivement les enfants et les aide à
développer leurs capacités dès leur plus jeune âge.
38. Un autre obstacle empêche les enfants de recevoir une instruction
ou de la poursuivre jusqu’au plus haut niveau: le manque d’investissement
des parents dans leur scolarité. Plusieurs études internationales soulignent
l’importance fondamentale du soutien familial dans le développement
des capacités de lecture de l’enfant. Il suffit aux parents ou aux
tuteurs de parler en bien de la lecture et du plaisir d’apprendre
pour que l’enfant effectue des progrès notables en lecture. Le temps
consacré aux activités d’alphabétisation joue un rôle essentiel
dans l’acquisition des compétences élémentaires en lecture et dans
leur ancrage à long terme. D’après une étude d’envergure menée récemment
en Angleterre, sept activités pratiquées dans le milieu familial
– écouter quelqu’un faire la lecture, aller à la bibliothèque, jouer
avec les chiffres, peindre et dessiner, apprendre l’alphabet et
les chiffres et chanter ou réciter des chansons/poèmes/comptines
– permettraient de prédire les capacités de lecture, d’écriture
et de calcul futures d’un enfant mieux que n’importe quelle autre variable
étudiée, parmi lesquelles la situation socio-économique, le niveau
d’éducation des parents et les revenus du foyer.
39. L’implication des parents dans les activités scolaires favorise
l’apprentissage de la lecture chez l’enfant. Cette relation de cause
à effet se confirme quel que soit le niveau d’éducation des parents.
Les parents moins instruits tendent à moins s’impliquer dans les
activités scolaires. On observe également que les élèves dont les
parents s’investissent activement dans leur scolarité sont plus
assidus en cours, obtiennent de meilleures notes aux examens et
poursuivent leurs études après le lycée.
3.2. L’accès
à l’éducation en péril au niveau mondial
40. Concernant l’accès à l’éducation
au niveau mondial, une question peut paraître légitime: pour quelle raison
les citoyens européens devraient-ils s’en préoccuper? Ma réponse
est qu’ils n’ont pas le choix. Les Etats membres du Conseil de l’Europe
devraient considérer non seulement le coût de l’action, mais également
celui de l’immobilisme. L’Europe doit donc en faire plus, selon
moi, pour garantir l’accès à l’éducation dans le monde entier.
41. En 1990, à l’occasion de la Conférence mondiale de Jomtien
(Thaïlande), l’Unesco, en collaboration avec le Programme des Nations
Unies pour le développement (PNUD), l’Unicef et la Banque mondiale,
avait lancé le mouvement «Education pour tous», promesse d’un engagement
mondial à proposer une éducation élémentaire de qualité à tous les
enfants, les jeunes et les adultes.
42. Des efforts concertés avec l’Unesco, l’Unicef et la Commission
européenne devraient nous aider à convaincre les gouvernements et
les parlements nationaux qu’il est de leur devoir d’offrir à chaque
enfant une éducation appropriée, de les préparer aux défis qui les
attendent, de leur donner la chance de vivre dans la dignité, et
que les dépenses d’éducation ne sont pas uniquement des dépenses
budgétaires, mais constituent un investissement pour un avenir meilleur.
Cela étant, j’attire tout de même l’attention des membres de l’Assemblée
sur les événements préoccupants qui menacent l’accès à l’éducation
au niveau mondial.
43. En 2013, 28,5 millions d’enfants vivant dans des pays touchés
par des conflits ne fréquentaient pas l’école primaire (estimations
des Nations Unies). En conséquence, dans les pays pauvres touchés
par un conflit, le taux d’alphabétisation des enfants n’atteint
que 79 %, alors qu’il est de 93 % dans les autres pays pauvres.
Plus d’un milliard d’enfants, dont 300 millions âgés de moins de
cinq ans, vivent dans un pays touché par un conflit
.
44. Ces dernières années, le monde a été témoin d’une série d’attentats
prenant pour cible des écoles. Le nombre de ces attentats ne cesse
d’augmenter. Nous nous souvenons tous de l’acte courageux de Malala Yousafzai,
qui n’avait que 11 ans alors que son journal anonyme captivait le
public
.
Les militants talibans ont détruit des dizaines d’écoles de filles
lorsqu’ils exerçaient le pouvoir sur la région où elle vivait. Malala Yousafzai
a retenu tout d’abord l’attention du public par son journal, publié
sur le site de la BBC en langue ourdoue, dans lequel elle exprimait
sa volonté de continuer ses études et souhaitait aux filles d’avoir
la chance d’être éduquées. Lorsqu’elle fut touchée à la tête par
un tireur taliban en octobre 2012, elle était déjà bien connue au
Pakistan, mais cet acte ignoble l’a rendue célèbre sur le plan international
.
45. Le Pakistan fut à nouveau frappé par la terreur le 16 décembre
2014. Des militants talibans pakistanais attaquèrent une école militaire
à Peshawar, faisant au moins 135 morts, en majorité des enfants
. Cet attentat a causé un choc sans
précédent au Pakistan et a montré jusqu’où pouvaient aller les talibans
pour inspirer la terreur. Apparemment, ils avaient l’intention de
tuer le plus grand nombre possible d’élèves – et non de prendre des
otages, comme on le pensait initialement. Les militants talibans
ont présenté cette attaque comme une mesure de rétorsion pour se
venger du prix Nobel de la paix décerné à Malala Yousafzai en 2014.
46. Le 14 avril 2014, 276 écolières furent enlevées par Boko Haram,
un mouvement djihadiste sunnite menant depuis cinq ans une insurrection
en vue d’établir un Etat islamiste dans le nord du Nigeria, dans
le lycée public pour filles de Chibok; 53 ont pu s’échapper et rentrer
chez elles
. Boko Haram a utilisé l’enlèvement
comme moyen d’intimider la population civile pour l’empêcher de
résister.
47. Un haut responsable des droits de l’homme aux Nations Unies,
M. Zeid Ra’ad Al Hussein, a déclaré que le fait qu’un enfant aille
à l’école ne devait jamais être un acte de bravoure, où que ce soit
dans le monde. Pourtant, dans certaines régions du Pakistan, de
l’Afghanistan et du Nigeria, le seul fait de se présenter à l’école
exige énormément de courage et de détermination. Il a souligné que
les Nations Unies avait fréquemment reçu des rapports sur ces trois
pays faisant état d’écoles détruites ou fermées en raison de menaces
proférées par des militants, et d’élèves (en particulier de filles)
enlevés, abattus, agressés à l’acide ou empoisonnés par des groupes
dont l’idéologie ne peut en rien se comparer à une religion ou à
une norme culturelle
. Ces attaques visaient les écoles,
qui sont l’environnement où les enfants devraient se sentir en sécurité.
Aucun accès à l’éducation n’est possible lorsque les parents vivent
dans la peur et lorsque les enfants ne peuvent se rendre à l’école.
48. La course aux armements a considérablement accru la mise en
circulation de munitions d’un prix abordable qui se retrouvent entre
les mains de groupes terroristes. Cela ne doit plus être toléré.
Les pays doivent prendre d’urgence des mesures pour arrêter la prolifération
des armes et leur utilisation contre la population civile. Les Etats
membres du Conseil de l’Europe ne peuvent plus se permettre de laisser
le commerce des armes non maîtrisé.
49. Comme l’a souligné notre collègue M. Michael Connarty lors
de notre réunion à La Haye, la situation des enfants dans les zones
de conflit est critique. Selon les données recueillies par une commission
parlementaire du Royaume-Uni, 15 millions d’enfants étaient concernés
par un conflit grave à la date considérée (soit vivaient dans une
zone de conflit, soit avaient été déplacés). Ce problème a également
été soulevé par Mme Gülsün Bilgehan,
qui a précisé que la Turquie avait accueilli 2 millions de réfugiés
syriens, parmi lesquels des milliers d’enfants. Des organisations
non gouvernementales (ONG) telles que «War Child» ou même l’Unicef
ont dénoncé le fait que l’éducation passait au second plan dès lors
que les caisses étaient vides. Les fonds transitent vers une autre
zone de conflit. Lorsque l’offre éducative fait défaut, les enfants
se retrouvent dans l’impasse. Autre problème: les effets de l’apprentissage
précoce se dissipent très vite en situation de pauvreté. Privé des
ressources nécessaires, un enfant revient à la case «voué à l’échec»
avant même la troisième ou quatrième année d’enseignement primaire.
50. En 2014, une consultation mondiale a été entreprise pour faire
le point sur les résultats du mouvement «Education pour tous» et
fixer de nouveaux objectifs pour le programme en matière d’éducation
après 2015. Les résultats des consultations ont été présentés au
Forum mondial de l’éducation (WEF) 2015 (Incheon, République de
Corée, 19-22 mai 2015). Le Forum a adopté une position commune sur
l’éducation au-delà de 2015 présentée dans la Déclaration d’Incheon:
«Education 2030: vers une éducation de qualité équitable et inclusive
et un apprentissage tout au long de la vie pour tous»
. La Déclaration d’Incheon s’accompagne désormais
du cadre d’action adopté à la réunion de haut niveau de l’Unesco
, qui a eu lieu le 4 novembre 2015,
lors de sa 38e Conférence générale
. Le cadre d’action spécifie des objectifs
concrets et des indicateurs pour chaque but et définit des stratégies
de mise en œuvre et des actions de soutien. Les Etats membres de l’UNESCO
sont appelés en particulier:
- à
«garantir l’accès à une éducation de qualité et son achèvement pour
tous les enfants et tous les jeunes, soit un minimum de douze années
d’enseignement primaire et secondaire inclusif et équitable de qualité,
gratuit et financé par l’Etat, dont au moins neuf années obligatoires»;
- à «assurer l’équité et l’inclusion dans et par l’éducation,
et à lutter contre toutes les formes d’exclusion et de marginalisation,
les disparités, les vulnérabilités et les inégalités dans l’accès
et la participation à l’éducation, ainsi que dans les résultats
d’apprentissage»;
- à veiller à ce que «l’éducation soit d’une qualité suffisante
pour mener à des résultats d’apprentissage pertinents, équitables
et efficaces, à tous les niveaux et dans tous les contextes, et
fasse partie intégrante du droit à l’éducation.»
51. Les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient soutenir
la mise en œuvre de la Déclaration d’Incheon et de son cadre d’action
et le Partenariat mondial pour l’éducation (PME), créé par l’ONU
pour accélérer les progrès vers la réalisation des Objectifs 2 et
3 du Millénaire pour le développement (assurer l’éducation primaire
pour tous et promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation
des femmes).
52. Sur la question de la gouvernance, de la coordination et du
financement de l’éducation, Mme Sachs-Israel,
qui représentait l’Unesco lors de notre réunion de commission à
La Haye, a attiré l’attention des membres de la commission sur les
cibles spécifiques mentionnées dans la Déclaration de Paris sur
les objectifs d’éducation au-delà de 2015 (Unesco). Il est recommandé
aux gouvernements de consacrer à l’éducation 4 % à 6 % de leur PIB
ou 15 % à 20 % du total de leurs dépenses publiques, conformément
aux valeurs internationales de référence. Alors que l’Europe demeure
l’un des plus généreux donateurs, l’Unesco réaffirme l’engagement
international à allouer 0,7 % du revenu national brut (RNB) à l’aide
publique au développement.
4. Mesures
à prendre pour garantir à tous l’accès à une éducation de qualité
4.1. Réponses
des Etats membres au questionnaire sur l’accès à l’école
53. Seules 15 délégations sur 50
ont répondu au questionnaire adressé au CDPPE, mais les réponses reçues
étaient dans l’ensemble de qualité. Les principales préoccupations
exprimées concernaient le cadre juridique de l’accès à l’éducation
pour tous, le rôle des pouvoirs publics, les politiques publiques
en place et la pratique consistant à inscrire la question de l’accès
dans le cadre de la prévention du décrochage scolaire. Certaines
réponses concernaient les groupes les plus défavorisés en termes
d’accès à l’école.
54. Concernant le cadre juridique, les délégations ont évoqué,
dans leurs réponses, le fait que l’éducation était considérée autant
comme un droit que comme une obligation. Elles ont ainsi fourni
l’exemple de procédures obligatoires d’inscription des enfants en
âge d’être scolarisés. La coexistence de contraintes/sanctions et
de mesures d’encouragement/d’incitation a également été mentionnée.
Certaines réponses pointaient le manque d’une définition juridique
claire pour la notion de «groupes vulnérables»; d’autres signalaient
que les dispositions sur la protection des données ne permettaient
pas de prendre des mesures ciblées.
55. Les pouvoirs publics sont les garants de l’accès à l’école,
cette responsabilité étant partagée à des degrés divers entre l’Etat
et les collectivités régionales et locales. Je constate avec satisfaction
que certains Etats membres proposent de nouvelles initiatives dans
ce sens. La question de l’adéquation entre les compétences des collectivités
locales et les moyens mis à leur disposition a été soulevée. Dans
quelques cas, il a été indiqué que les responsabilités concernant
certains groupes d’enfants (enfants handicapés par exemple) avaient
été transférées des autorités chargées de l’éducation à d’autres
administrations publiques.
56. Pour permettre un accès à l’école et à l’éducation, une approche
systémique est nécessaire. Les politiques publiques devraient spécifier
quelles sont les zones d’éducation prioritaires et prévoir des mesures adaptées
à la nature de leur environnement (urbain/rural). La coopération
entre les pouvoirs publics et les familles devrait être renforcée
et des mesures mises en place pour protéger les enfants et leur
garantir l’accès à l’école, dans l’éventualité où les familles échoueraient
à le faire.
57. La Recommandation CM/Rec(2012)13 du Comité des Ministres en
vue d’assurer une éducation de qualité insiste sur le fait qu’un
système éducatif de qualité se doit d’être socialement inclusif.
Les pouvoirs publics devraient prendre des mesures pour identifier
les groupes exposés à l’exclusion et élaborer des plans d’action
à l’intention des groupes vulnérables. En outre, des stratégies
d’apprentissage tout au long de la vie devraient être mises en place,
en particulier pour les familles dont les enfants font face au risque
d’exclusion ou de décrochage scolaire. Des programmes et des stratégies
spécifiques de formation des enseignants devraient être préparés
et des cours de langue proposés aux enfants issus de minorités ou
de familles immigrées. Les pouvoirs publics devraient reconnaître
que les langues familiales des enfants issus de communautés minoritaires
et de migrants sont essentielles à leur développement cognitif et
social. Il conviendrait de prendre en compte ce fait dans la manière
d’enseigner aux enfants concernés, y compris dans les situations
où l’instruction dans la langue d’origine s’avère impossible. Les
pouvoirs publics devraient aussi reconnaître que, pour accéder à
l’éducation, les enfants de communautés minoritaires et de migrants
doivent acquérir un niveau de maîtrise approprié dans la langue
de scolarisation, parfois différente de celle parlée à la maison.
58. Des Etats membres ont également souhaité commenter en particulier
les questions de l’accès à l’école et du décrochage. Par exemple,
concernant la scolarisation obligatoire, la diversité des tranches
d’âge peut conduire au décrochage scolaire dans certains cas. Il
est nécessaire de définir des mesures différentes au niveau de l’école
primaire et des deux cycles de l’enseignement secondaire pour les
élèves susceptibles de décrocher avant la fin des cours ou du programme.
Les groupes les plus exposés requièrent une attention particulière.
Le terme de «décrochage» suppose que l’enfant ou l’adolescent a
déjà été scolarisé. Or certains enfants n’auront jamais cette chance,
et ce bien que l’éducation soit obligatoire (dans le cas des réfugiés,
des migrants en situation irrégulière, des enfants gravement handicapés
et des enfants des rues par exemple). Il est par conséquent nécessaire
de réfléchir à ce qui rend l’éducation essentielle, soit: en premier
lieu, à la place réservée par nos sociétés à ceux qui n’ont aucune
qualification ou presque; ensuite, aux risques liés aux coûts individuels
et sociétaux de la marginalisation; et enfin, à la signification
et aux conséquences de l’analphabétisme dans les sociétés modernes
et complexes.
4.2. Nécessité
d’un changement systémique pour garantir à tous l’accès à une éducation
de qualité
59. A l’évidence, le fait de fournir
un accès approprié à l’éducation et de considérer l’inclusion sociale comme
faisant partie intégrante de la notion de qualité de l’éducation
n’est pas seulement l’affaire des établissements scolaires et des
universités, ni même du système éducatif. C’est indéniablement une
question qui se pose à la société tout entière.
60. La question peut être abordée sous deux angles, complémentaires
plus que contradictoires. Du point de vue des individus, c’est une
question de justice individuelle, d’égalité des chances. Du point
de vue de nos sociétés, il s’agit aussi de faire le meilleur usage
de nos talents collectifs. Aucune société ne peut se permettre de
ne pas exploiter au mieux les talents de tous ses membres, surtout
en temps de crise économique. Ces deux préoccupations se rejoignent
dans notre conception de nous-mêmes et du type de sociétés que nous souhaitons
former.
61. Plusieurs études soulignent le besoin d’un changement systémique
pour garantir à tous l’accès à une éducation de qualité
.
Ce type de changement nécessite une bonne planification et un engagement
sur la durée. D’une manière générale, il faudrait mettre l’accent
sur les trois éléments suivants: premièrement, le droit d’apprendre,
par principe, doit être reconnu par tous (parents, enseignants,
chefs d’établissement, etc.); deuxièmement, le coût des mesures
mises en place; et, troisièmement, l’aspect pratique des mesures proposées,
par exemple la disponibilité d’enseignants capables de travailler
dans un tel environnement multiculturel. Des mesures telles que
celles proposées ci-après devraient contribuer à favoriser l’accès
à une éducation de qualité pour tous les enfants.
62. Faciliter l’accès de tous à l’éducation préscolaire, en visant
en priorité les enfants issus de familles défavorisées, les enfants
de migrants et ceux scolarisés en milieu rural, apparaît comme un
objectif de politique éducative souhaitable, à même de contribuer
à la réussite scolaire. Les politiques visant à améliorer la participation
à l’éducation de la petite enfance (EPE) semblent particulièrement
importantes dans les systèmes éducatifs où les enfants ayant fréquenté
un établissement d’EPE affichent de bien meilleurs résultats. Une
scolarisation plus précoce se traduit par un meilleur accès général
à l’éducation et moins d’échec chez les élèves du secondaire. L’équivalent
de l’école maternelle française a produit de bons résultats dans
un certain nombre de pays. Il a également été remarqué que les enfants
scolarisés sans passer par une école maternelle accusaient beaucoup
de retard dès le départ.
63. Les responsables politiques seraient avisés d’investir dans
des programmes destinés à aider les parents à s’impliquer dans des
activités d’alphabétisation précoces susceptibles de favoriser l’apprentissage
de la lecture et de l’écriture dans les premières années de l’école
primaire. Il est souhaitable que les stratégies mises en place pour
impliquer les parents, si elles veulent atteindre leur but, adoptent
une approche nuancée reflétant l’environnement culturel, ethnique
et socio-économique spécifique des parents. Une telle précaution
est nécessaire, en particulier, dans le cas des familles immigrées
qui, sans aide adaptée, peuvent se retrouver dans l’incapacité d’aider
leurs enfants à faire leurs devoirs, avec les risques d’échec scolaire
futur que cela implique.
64. Les responsables politiques pourraient réfléchir à des moyens
d’inciter les parents à s’investir davantage dans les activités
scolaires, notamment dans les écoles où la majorité des parents
d’élèves n’ont pas un niveau d’éducation très élevé.
65. Plusieurs études suggèrent que la résilience et la réussite
scolaires (même «contre toute attente», en ce qui concerne les enfants
issus de familles défavorisées) devraient être encouragées par les
pouvoirs publics, via l’élaboration, par exemple, de politiques
et programmes propres à créer une ambiance de travail positive à
l’école, à susciter des attentes plus élevées en termes de résultats
scolaires et à donner le goût de l’apprentissage aux élèves issus
de milieux défavorisés.
66. Il a également été constaté que les élèves provenant de milieux
défavorisés réussissaient mieux, en général, lorsqu’ils étaient
scolarisés dans des établissements accueillant en majorité des élèves
issus de familles plus aisées. Les politiques visant à inclure les
élèves issus de milieux défavorisés ou de la migration semblent
jouer un rôle dans le nivellement des résultats scolaires.
67. L’égalité et la parité des sexes devraient être défendues
à tous les échelons de l’enseignement, en portant une attention
particulière aux femmes et aux filles issues de milieux défavorisés,
telles que les Roms, les migrantes, les réfugiées et les femmes
et filles handicapées.
68. Que l’éducation pèse lourd dans le budget public est une évidence.
Mais il convient de garder à l’esprit que, si l’éducation a un coût,
ne pas investir dans ce domaine peut également coûter cher, les
dépenses afférentes au chômage et à la dépendance pouvant dépasser
de loin les investissements réalisés au profit de l’éducation. Sans
oublier le «manque à gagner»: quelle aurait été la contribution
de ces jeunes femmes et hommes s’ils avaient pu accéder à une éducation
de qualité?
69. En conclusion, rappelons-nous que l’accès à l’éducation est
une condition préalable à une insertion sociale effective et à l’accès
à l’emploi et exige, par conséquent, un soutien et une volonté politiques
forts. L’Assemblée parlementaire peut et doit, à cet égard, être
une force d’impulsion.