1. Introduction
1. Les migrations irrégulières
vers l’Europe sont facilitées, voire encouragées par les activités
de réseaux de trafiquants de migrants. Le nombre de migrants arrivant
en Europe du fait de ces activités a considérablement augmenté au
cours des dernières années. Pour l’Union européenne, l’Agence européenne pour
la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures
(Frontex) fait état de plus de 500 000 «franchissements illégaux
des frontières» entre janvier et août 2015, par rapport à 280 000
pour l’ensemble de l’année 2014, 107 000 en 2013 et 72 000 en 2012.
On peut s’autoriser à penser que la plupart d’entre eux ont eu recours
à des passeurs de migrants au cours de leurs voyages. Selon les
estimations, les groupes criminels organisés tireraient aujourd’hui
davantage de profits – de l’ordre de plusieurs milliards d’euros
– du trafic illicite de migrants que des activités plus traditionnelles
de contrebande d’armes ou de stupéfiants. L’Union européenne à elle
seule compterait plusieurs dizaines de milliers de trafiquants,
formant des réseaux plus ou moins structurés, ayant des connexions
dans tout le continent et au-delà, dans les pays d’origine et de transit.
2. Le présent rapport, conformément à la proposition originale,
a pour but d’examiner l’implication du crime organisé dans le trafic
illicite et l’exploitation de migrants et les moyens de lutter contre
ce phénomène. Il analyse par ailleurs la façon de renforcer la coopération
entre les services judiciaires et de police et l’échange d’informations
entre les Etats membres.
3. L’adoption par les Nations Unies d’un protocole spécifique
à la Convention contre la criminalité transnationale organisée,
en l’occurrence le Protocole contre le trafic illicite de migrants
par terre, mer et air, montre bien la prise de conscience de la
nécessité d’une action internationale pour combattre le rôle joué
par le crime organisé dans le trafic illicite de migrants. La promotion
de la convention et du protocole est assurée par l’Office des Nations
Unies pour le contrôle des drogues et la prévention du crime (ONUDC);
Interpol contribue également à la lutte contre le trafic illicite
de migrants. A l’échelon européen, plusieurs agences de l’Union
européenne travaillent activement dans ce domaine, notamment Europol,
la Commission européenne et le Haut-Représentant pour les affaires
étrangères et la politique de sécurité qui est en charge de l’opération militaire
de l’Union européenne dans la partie sud de la Méditerranée centrale
(EUNAVFOR MED) contre les passeurs de migrants. Au sein du Conseil
de l’Europe, le Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC)
doit procéder à une analyse urgente des lacunes juridiques qui bloquent
actuellement les poursuites des trafiquants de migrants, en vue
de l’élaboration éventuelle d’un nouvel instrument régional renforçant
ceux des Nations Unies, destiné à promouvoir la coopération pratique
entre les Etats membres du Conseil de l’Europe et des Etats dans
les régions voisines.
4. Pourtant, malgré les divers instruments et mécanismes internationaux
et les efforts déployés par les autorités nationales, et au vu de
l’ampleur du trafic illicite de migrants en Europe ces dernières
années, il est frappant de constater combien il est difficile de
poursuivre et de condamner les passeurs et trafiquants. Cela étant,
des succès notables sont à signaler, en particulier en Italie, et
des ressources supplémentaires sont mises à disposition et de nouvelles
initiatives engagées tant au plan national qu’européen.
5. Le trafic n’est pas le seul moyen par lequel les groupes criminels
organisés cherchent à tirer profit des migrants en situation irrégulière.
L’expérience de l’Italie, certainement reproduite ailleurs, montre
que les groupes criminels organisés sont notamment impliqués dans
l’exploitation par le travail des migrants clandestins et la corruption
associée aux systèmes d’asile nationaux. Certains rapports ont également
fait état de migrants objet d’un trafic illicite employés pour le
transport de stupéfiants.
6. Le présent rapport n’abordera pas la question de la traite
des êtres humains, qui relève du mandat de la Commission sur l’égalité
et la non-discrimination. (Le trafic de migrants et la traite des
êtres humains sont des phénomènes distincts sur quatre motifs principaux:
le trafic de migrants est volontaire et consensuel, tandis que la
traite de personnes implique une contrainte ou la tromperie; le
trafic se termine lorsque le migrant atteint sa destination, alors
que les victimes de traite continuent d’être exploitées après leur
arrivée; les bénéfices de la contrebande proviennent du paiement
reçu des migrants en contrepartie du transport, tandis que ceux
de la traite proviennent de l’exploitation des victimes; et le trafic
de migrants est toujours transnational, alors que ce n’est pas forcément
le cas en ce qui concerne la traite. Cela n’exclut pas que les migrants
puissent être exposés à des abus par des passeurs au cours de leurs
voyages, ou se trouver soumis à l’exploitation à destination.)
7. Lors de l’élaboration du rapport, le rapporteur s’est rendu
à Rome (Italie), afin de rencontrer des représentants du Haut-Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), de l’Organisation internationale
pour les migrations (OIM), du ministère italien de l’Intérieur,
de l’Institut interrégional des Nations Unies de recherche sur la
criminalité et la justice, de la commission parlementaire antimafia
et de l’autorité anticorruption italiennes. La commission des migrations,
des réfugiés et des personnes déplacées a procédé à une audition
à laquelle ont participé des représentants de l’Union européenne,
de l’Office des Nations Unies pour le contrôle des drogues et la
prévention du crime, d’Europol et de la Direction de la société
de l’information et de la lutte contre la criminalité du Conseil
de l’Europe. Le rapporteur saisit cette occasion pour remercier toutes
les personnes concernées de leurs précieuses contributions.
2. Activités des groupes criminels
organisés liées aux migrations
8. Le trafic illicite de migrants
est le principal domaine d’activité lié aux migrations dans lequel
les groupes criminels organisés sont impliqués. Ces migrants sont
acheminés clandestinement vers l’Europe en provenance du monde entier,
en particulier d’Asie du Sud-Est, d’Asie du Sud, d’Asie centrale
(notamment d’Afghanistan, et les réfugiés afghans des pays voisins
comme le Pakistan), du Moyen-Orient (notamment de Syrie et d’Irak,
ainsi que les réfugiés vivant dans les pays voisins comme le Liban
et la Jordanie), de la Corne de l’Afrique (en particulier d’Erythrée
et de Somalie) et de l’Afrique de l’Ouest (notamment du Nigeria
et du Mali). Avec le renforcement des exigences en matière de visa
et des lois concernant la responsabilité des transporteurs, il est
de plus en plus difficile d’utiliser l’avion pour les migrations
irrégulières; c’est pourquoi la plupart des migrants objets d’un
trafic illicite empruntent les voies terrestres et/ou maritimes.
Même ceux originaires d’Asie du Sud et de l’Est, ont été acheminés
clandestinement en Europe par la Méditerranée, après une première
étape en Afrique de l’Ouest ou du Nord, bien que l’effectif traçant
ce cheminement ait diminué dans les dernières années.
9. A partir de l’Afrique de l’Ouest, les principaux itinéraires
possibles sont: les îles Canaries; via le Mali jusqu’en Algérie,
au Maroc puis Ceuta ou Melilla; via le Niger vers la Libye puis
l’Italie; et via le Niger ou directement vers le Tchad, le Soudan,
l’Egypte puis la Grèce, soit par mer, soit via la Turquie. (Les ressortissants
des Etats membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique
de l’Ouest bénéficient de la liberté de circulation entre eux.)
Depuis la Syrie, l’Irak et les pays voisins, les principaux itinéraires
sont: vers l’ouest, via l’Egypte, pour atteindre l’Europe directement
en Grèce ou via la Libye jusqu’en Italie; vers le sud, par le Soudan,
avant de remonter vers le nord par la Libye et enfin l’Italie; ou
encore vers le nord, par la Turquie jusqu’en Grèce.
10. Il convient d’établir une distinction essentielle entre les
voyages «à paiement progressif», composés de plusieurs étapes organisées
les unes après les autres par le migrant et entrecoupées parfois
de longs intervalles destinés à gagner de l’argent pour couvrir
les dettes ou les dépenses futures; et les voyages «package complet»
préparés à l’avance par un trafiquant unique coordonnant les activités
des divers passeurs, et souvent non payés en totalité avant l’arrivée
à destination, l’argent étant remis à un tiers de confiance. Le
coût peut également dépendre de la «qualité de service», par exemple
le niveau de surcharge du bateau ou le fait de disposer d’une place
sur le pont plutôt que dans la cale: dans les deux cas, le facteur déterminant
est en fait la dangerosité relative du périple. Les différences
de tarifs appliqués aux migrants de diverses nationalités – sur
l’itinéraire de la Méditerranée centrale, par exemple, il semblerait
que les Ouest-Africains payent moins cher que les Syriens – reflètent
souvent ces situations, ainsi que les ressources financières relatives
des uns et des autres. Certains migrants peuvent accomplir gratuitement
quelques étapes de leur périple en contrepartie de l’accomplissement
de certaines tâches, par exemple prendre les commandes du bateau.
11. Bien que cette approche ne soit pas retenue par la grande
majorité des migrants victimes du trafic illicite, beaucoup contournent
les barrières administratives, telles que les exigences en matière
de visa, en utilisant des documents acquis par des voies corrompues,
falsifiés ou totalement faux – une sorte de «package complet». Le
coût de ces documents et des billets d’avion est hors de la portée
financière de la plupart des migrants. Ceux recourant à cette approche
peuvent être accompagnés durant le voyage ou accueillis à leur arrivée
par des complices des trafiquants, chargés de récupérer après l’arrivée
les précieux documents, potentiellement incriminants.
12. Le trafic illicite de migrants fait appel à un vaste éventail
d’activités illégales différentes, dont la falsification de documents,
la corruption d’agents locaux ou consulaires en vue de l’obtention
de documents, la non-déclaration par les chauffeurs des poids lourds
des passagers clandestins lors du franchissement des frontières,
et la corruption de garde-côtes ou de gardes-frontières. Les trafiquants
peuvent également commettre des infractions de par le traitement
infligé aux migrants, par exemple le travail forcé pour s’acquitter de
ses dettes, la détention illégale avant l’embarquement, ainsi que
les viols ou autres formes d’agressions physiques et sexuelles,
ou en liaison avec l’état pitoyable et dangereux des embarcations
de fortune dans lesquelles les migrants sont abandonnés en pleine
mer. Plusieurs passeurs arrêtés après avoir été sauvés dans leurs
navires en perdition ont été accusés de crimes d’homicide liés au
décès de passagers migrants. Les migrants objets de trafic peuvent
être incités à transporter des stupéfiants, dont l’acheminement
clandestin depuis l’Amérique du Sud jusqu’en Afrique de l’Ouest
ne cesse de croître. Les groupes criminels organisés impliqués dans
le trafic illicite de migrants peuvent par ailleurs être impliqués
dans la traite des êtres humains. Les revenus générés par le trafic
illicite de migrants peuvent donner lieu à des infractions de blanchiment
de capitaux.
13. L’implication du crime organisé ne s’arrête pas avec l’arrivée
des migrants en Europe. En plus d’organiser d’autres déplacements
irréguliers depuis le premier pays d’accueil jusque vers la destination
finale prévue, cette implication peut prendre d’autres formes. Le
scandale «mafia capitale» qui a secoué Rome, a révélé entre autres
la corruption des pouvoirs publics par les groupes criminels organisés
pour l’attribution de contrats de construction et de gestion de
centres d’accueil de réfugiés. Des membres actifs d’un réseau de trafic
de migrants ont été arrêtés parmi les résidents de l’un de ces centres
à Mineo en Sicile, où des migrants, piégés par la longueur excessive
des procédures d’asile, sont exploités par des entreprises agricoles
locales et des organisations criminelles. L’exploitation des travailleurs
migrants en situation irrégulière est répandue dans le sud de l’Italie,
parfois dans le contexte du caporalato,
un système d’intermédiaires à caractère abusif auquel contribuent
des groupes criminels organisés locaux. L’Italie n’est bien entendu
pas le seul pays concerné: à titre d’exemple, le drame des ramasseurs
de coques chinois de la baie de Morecambe en 2004, au Royaume-Uni,
a causé la mort par noyade de 21 travailleurs migrants chinois en
situation irrégulière, amenés clandestinement aux docks de Liverpool
par des groupes criminels organisés chinois et employés illégalement
par une entreprise locale. Ces exemples illustrent par ailleurs
la coopération entre les individus qui font entrer illégalement
les migrants en Europe et ceux qui prennent ensuite le relais au
sein même de l’Europe.
3. Structure et organisation
des groupes actifs dans le trafic illicite de migrants
14. La Convention des Nations Unies
contre la criminalité transnationale organisée définit l’expression «groupe
criminel organisé» comme «un groupe structuré de trois personnes
ou plus existant depuis un certain temps et agissant de concert
dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves ou
infractions établies conformément à la présente Convention, pour
en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou
un autre avantage matériel»
. Le Protocole contre le trafic illicite
de migrants par terre, mer et air établit trois infractions: le
trafic illicite de migrants; la fabrication, le fait de procurer,
de fournir ou de posséder un document de voyage ou d’identité frauduleux
afin de permettre le trafic illicite de migrants; et le fait de permettre
à une personne de séjourner illégalement dans l’Etat concerné au-delà
de la période autorisée par la falsification d’un document ou «tous
autres moyens illégaux»
. Le protocole prévoit
aussi que ces infractions doivent être considérées comme des infractions
établies conformément à la convention. Quant au trafic illicite de
migrants, l’activité criminelle qu’il constitue tombera donc sous
le coup de la convention dans la mesure où elle est commise par
un groupe structuré de trois personnes ou plus existant depuis un
certain temps et agissant de concert.
15. Si le grand public perçoit communément les groupes criminels
organisés comme de vastes entreprises de type mafieux, structurées
et centralisées, ceux impliqués dans le trafic illicite de migrants
sont généralement de plus petite envergure et de nature plus diffuse.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas de filières ininterrompues
d’activités menant des pays d’origine, via ceux de transit, jusqu’aux
pays de destination. Au lieu d’une administration ayant à sa tête
une «autorité» unique et suprême, on constate plus souvent une coopération
ad hoc entre plusieurs groupes distincts. Beaucoup de trafiquants
ont mis au point des modèles économiques et des pratiques bien définis,
assurant même par exemple la promotion de leurs destinations et tarifs
sur les médias sociaux comme Facebook, et déployant des efforts
pour entretenir la bonne réputation de leurs «services». Des enquêtes
récentes, menées notamment par les procureurs antimafia du sud de
l’Italie, ont cependant révélé des réseaux plus ambitieux, structurés
et permanents. C’est le cas par exemple de celui dirigé par Ermias
Ghermay, basé en Libye, bénéficiant d’un réseau international de
complices, capable d’offrir un vaste éventail de services en matière
de transport clandestin de migrants et soupçonné d’être responsable de
la catastrophe de Lampedusa en octobre 2013, au cours de laquelle
366 migrants ont péri noyés.
16. La mesure dans laquelle le trafic illicite de migrants via
certains itinéraires, en particulier depuis l’Afrique de l’ouest,
implique le crime organisé ou devrait être qualifié de tel est une
question sujette à controverse. Cependant, au vu de la persistance
et du renforcement des flux de migrations irrégulières vers l’Europe,
de la sophistication des méthodes employées et de l’énormité des
sommes cumulées désormais en jeu, il ne fait aujourd’hui plus guère
de doute que la définition de la convention des Nations Unies est
globalement respectée. Néanmoins, des opportunistes locaux peuvent
occasionnellement transporter des migrants en plus de leur cargaison
ordinaire, ou réagir à des circonstances locales, par exemple la
fermeture imprévue de points de passage de la frontière qui force
les migrants à chercher d’autres solutions, comme ce fut le cas
dans les Balkans occidentaux cette année: les activités de ces individus
ne seraient probablement pas qualifiées de «criminalité organisée».
Comme on peut s’y attendre, sur un plan général, plus l’itinéraire
sur lequel opère un groupe de passeurs est long, compliqué et fréquenté
régulièrement, plus l’activité aura de chances de relever de la
«criminalité organisée».
17. Dans beaucoup de pays d’origine et de transit, les trafiquants
semblent en mesure d’opérer plus ou moins ouvertement, de faire
publiquement la promotion de leurs «services», d’opérer à partir
de locaux fixes et même de jouir d’une considération élevée au sein
de la communauté locale. Certains peuvent également être passés
d’activités légales, par exemple la gestion d’une agence de voyage
ou d’une entreprise commerciale de transport ou de pêche, à des
activités liées au trafic illicite de migrants, voire poursuivre
les deux en parallèle. D’autres sont eux-mêmes d’anciens migrants,
qui ont progressivement construit leur activité sur la base de leurs
propres expériences et connaissances et des réseaux de contacts
développés au fil de leurs voyages. Les passeurs peuvent être des
ressortissants locaux ou des compatriotes de migrants transitant par
un lieu particulier: des origines religieuses, ethniques et culturelles
communes peuvent faciliter les contacts et la confiance entre migrants
et passeurs.
18. Les groupes de trafiquants de migrants de divers pays semblent
partager certaines caractéristiques organisationnelles. En un même
lieu, différentes personnes peuvent remplir des fonctions spécifiques,
par exemple la prise de contact initiale avec les migrants et la
mise en relation avec les individus assurant le transport, la fourniture
d’un logement, l’accompagnement des migrants jusqu’à ces logements,
puis ultérieurement jusqu’au lieu d’embarquement et, dans le cas
des voies maritimes, leur acheminement jusqu’aux bateaux avec lesquels
ils sont censés achever leur périple. Dans le cas des passeurs opérant
sur l’itinéraire de la Méditerranée centrale, par exemple, l’objectif
est également d’éviter tout contact entre les migrants et les chefs
des réseaux de trafiquants, afin d’éviter toute possibilité d’identification
ultérieure.
19. Même en l’absence d’une organisation à grande échelle ou d’une
structure d’ensemble, le trafic illicite de migrants est une activité
très lucrative. Selon Europol, dans toute l’Union européenne, près
de 30 000 personnes seraient impliquées dans des groupes de trafic
illicite de migrants. Les autorités autrichiennes estiment que 200
groupes sont actifs dans la seule Grèce, et que les trafiquants
sont disséminés dans tous les Balkans occidentaux, la Hongrie et
au-delà. Selon Frontex, les groupes criminels organisés tireraient
à présent davantage de revenus du trafic illicite de migrants et
de la traite d’êtres humains que du commerce illégal d’armes ou
de stupéfiants.
4. Activités des organisations
internationales engagées dans la lutte contre le trafic illicite
de migrants
20. Comme noté précédemment, l’ONUDC
est le gardien de la Convention des Nations Unies contre la criminalité
transnationale organisée et ses Protocoles, dont celui contre le
trafic illicite de migrants par terre, mer et air. Les actions menées
par l’ONUDC ont pour objectif d’aider les Etats à mettre leur législation
en conformité avec le protocole et à mettre au point des mesures
de justice pénale efficaces en réponse au trafic illicite de migrants.
Il s’agit notamment de la Loi type contre le trafic illicite de
migrants, de la formation d’agents nationaux, du Référentiel d’aide
à la lutte contre le trafic illicite de migrants et de la publication
de travaux de recherche et de documents de politique.
21. Europol contribue aux principales enquêtes internationales
en assurant la coordination des activités opérationnelles, en fournissant
une expertise médico-légale et technique et en offrant accès à l’analyse
et aux renseignements criminels. Il s’efforce de consolider la coopération
avec les pays d’origine et de transit, dans le cadre notamment du
processus d’élargissement de l’Union européenne avec les pays des
Balkans occidentaux et la Turquie. Ses activités peuvent également
associer des acteurs extérieurs aux services répressifs comme les
autorités judiciaires, les douanes et les autorités de contrôle
aux frontières, les ONG, le milieu universitaire et le secteur privé.
L’Office a entre autres objectifs de combler les lacunes en matière d’information
en produisant des analyses stratégiques et des rapports spécialisés.
Les activités spécifiques incluent l’équipe opérationnelle conjointe
en matière d’information maritime (JOT MARE) lancée en mars 2015 afin
de garantir une intensification des échanges d’informations avec
Frontex et une étroite coopération avec Interpol, avec des experts
nationaux détachés favorisant la coopération entre Europol et les
services des Etats membres de l’Union européenne participants. Europol
(accompagné de Frontex) participe aussi aux entretiens avec les
migrants et les réfugiés nouvellement arrivés, en particulier aux
points d’accès de l’Union européenne en Italie et en Grèce, en vue
d’obtenir des renseignements sur les opérations de trafic illicite
de migrants.
22. Le 27 mai 2015, la Commission européenne a publié un «Plan
d’action de l’Union européenne contre le trafic de migrants (2015-2020)»
composé de quatre chapitres: 1) Renforcement de l’action judiciaire
et policière, afin de désorganiser le modèle économique des groupes
criminels au moyen notamment de l’opération Sophia/EUNAVFOR MED
(voir ci-après) et de la saisie des biens; 2) Amélioration de la
collecte et du partage d’informations, en renforçant notamment les
rôles d’Europol, des délégations de l’Union européenne et de la
communauté de renseignement entre Frontex et certains pays d’Afrique
grâce à l’approche dite des points d’accès proposée par la Commission
censés servir de sources d’informations pour le recueil et le traitement
des demandes d’asile, et à la surveillance des contenus placés sur
internet; 3) Intensification de la prévention du trafic de migrants
et de l’assistance apportée aux migrants vulnérables, en menant
par exemple des campagnes de sensibilisation aux risques et en établissant
des partenariats avec les opérateurs économiques dans les secteurs
d’activités les plus à risque comme le transport et la navigation maritime,
et grâce à une meilleure efficacité du retour comme instrument de
dissuasion contre le trafic de migrants, à la fourniture d’un appui
technique aux pays d’origine ou de transit et à l’intensification
de la lutte contre l’emploi de migrants en situation irrégulière;
et 4) Consolidation de la coopération avec les pays tiers en vue
de traiter les causes profondes de la migration irrégulière, d’encourager
l’adhésion au protocole des Nations Unies contre le trafic illicite
de migrants et de renforcer les capacités des pays tiers.
5. Succès dans la lutte contre
le trafic illicite de migrants et les activités connexes liées au
crime organisé
23. En Europe, étant donné son
exposition sans commune mesure aux migrations irrégulières et son expertise
durement acquise en matière de lutte contre la criminalité organisée,
il n’est pas étonnant que l’Italie soit à l’avant-garde du combat
mené contre le trafic illicite de migrants. Parmi les récents succès
enregistrés, citons:
- en décembre
2014, une opération menée conjointement par les services de police
italiens et allemands a permis l’arrestation d’une dizaine d’Erythréens
soupçonnés de servir de passeurs et membres d’un réseau extrêmement
actif de trafic illicite de migrants entre la Libye et l’Italie
puis d’autres pays européens. Un homme présumé responsable de la
traversée qui s’est soldée par le décès de quelque 244 personnes
au large des côtes libyennes en juin 2015 figurait parmi les personnes
interpellées. Outre l’Italie et l’Allemagne, le groupe disposerait
de cellules dans plusieurs autres pays européens;
- en avril 2015, deux passeurs présumés – le capitaine et
un membre de son équipage – ont été arrêtés. Ils figuraient parmi
les rescapés d’un naufrage qui s’est produit au large des côtes
libyennes au cours duquel 800 migrants au moins ont péri noyés;
- durant la même période, la police italienne a délivré
des mandats d’arrêt à l’encontre de 24 membres présumés (de diverses
nationalités non européennes) d’un vaste groupe de trafiquants de
migrants. Quinze d’entre eux ont été arrêtés en Sicile (notamment
au centre d’accueil de Mineo – voir ci-dessus), à Milan et à Rome.
Les deux responsables présumés (dont Ermias Ghermay – voir ci-dessus),
qui vivraient en Libye, ont échappé aux autorités;
- en août 2015, la police italienne a procédé à l’arrestation
de cinq passeurs présumés, là encore rescapés du naufrage d’un navire
au large des côtes libyennes;
- plus tard dans le même mois, dix nouvelles arrestations
ont eu lieu en liaison avec le naufrage de deux bateaux au large
des côtes libyennes où 84 personnes au moins ont trouvé la mort.
Le HCR a formulé l’espoir que cet incident suscite un renforcement
de la coopération entre les forces de police européennes, les services
de renseignement et les organisations internationales en vue de
réprimer le commerce lié au trafic illicite de migrants, et encourage
la mise en place de mesures pour protéger et prendre soin des victimes.
24. D’autres pays européens ont également mené des actions fructueuses
de lutte contre le trafic illicite de migrants, à savoir récemment:
- en février 2015, les autorités
espagnoles ont, avec l’aide d’Europol, arrêté cinq membres présumés
d’un réseau opérant dans plusieurs pays européens et au Pakistan,
impliqué dans le trafic illicite de migrants, la falsification de
documents et l’exploitation par le travail;
- en mars 2015, les autorités grecques ont, avec l’aide
d’Europol, interpellé 16 personnes de sept nationalités différentes
soupçonnées de trafic illicite de migrants, pour l’essentiel syriens,
par mer depuis la Turquie et vers d’autres pays de l’Union européenne
en recourant à des documents falsifiés. Le groupe est soupçonné
d’avoir engrangé jusqu’à 7 500 000 euros de gains;
- en mai 2015, la police espagnole a procédé à l’arrestation
de 12 membres et du chef d’un groupe présumé responsable de trafic
illicite de migrants depuis l’Afghanistan jusqu’aux portes de l’Europe; onze
autres membres ont été arrêtés au Royaume-Uni. A leur arrivée en
Espagne et en Italie, les migrants ont été dispersés dans d’autres
pays européens dont l’Allemagne et la Suède;
- toujours en mai, la police allemande, avec l’assistance
d’Europol, a interpellé trois membres pivots d’un groupe qui se
livrait au trafic illicite de migrants entre l’Afrique et l’Europe
du Sud en empruntant divers itinéraires; ces arrestations faisaient
suite à cinq interpellations précédentes qui avaient permis de révéler
au grand jour l’existence d’un autre groupe;
- en juin 2015, quatre hommes (trois britanniques et un
d’origine kurde) ont été traduits en justice au Royaume-Uni et accusés
d’infractions en liaison avec un groupe important de passeurs bien
organisés;
- fin août 2015, la police hongroise a arrêté trois Bulgares
et un Afghan après la découverte des corps de 71 migrants à l’arrière
d’un camion réfrigéré en Autriche. Ces personnes devraient être
extradées en Autriche. Un cinquième suspect, également bulgare,
a été interpellé en Bulgarie;
- début septembre 2015, quatre Syriens ont été arrêtés en
Turquie. Ils sont soupçonnés d’avoir participé à l’opération de
trafic illicite de migrants qui a entraîné la mort du jeune garçon
syrien de trois ans, Aylan Kurdi;
- en octobre 2015, l’«Opération Bouquet», lancée en décembre 2013
par la France et le Portugal avec le soutien d’Europol, a mené à
l’arrestation de neuf membres pivots d’un réseau criminel acheminant
des migrants en situation irrégulière au sein de l’Union européenne;
- entre le 15 et le 23 septembre 2014, Europol a fait office
de centre de coordination pour l’opération Archimède, la plus grande
opération de police jamais menée contre le crime organisé en Europe.
Cette opération a notamment conduit à 170 arrestations pour «aide
à l’immigration irrégulière».
25. Malgré les informations partielles dont nous disposons, ces
arrestations et poursuites illustrent certains points essentiels
dans la lutte contre le trafic illicite de migrants. Fait encourageant,
elles témoignent de la mise en place d’une coopération effective
entre les forces de police européennes et montrent que les efforts concertés
visant à démanteler les réseaux internationaux de trafiquants ont
porté leurs fruits, s’agissant tout au moins des cellules européennes.
Cela signifie toutefois qu’une seule «extrémité» des filières de
trafic a été déstabilisée, et compte tenu de leur nature, d’une
manière qui a peu de chances de les réduire définitivement à néant,
ni même de leur causer des dommages sérieux et durables. Dans tous
les cas, et pour des raisons bien compréhensibles, seules des personnes
physiquement présentes en Europe ont été arrêtées ou poursuivies
en justice. D’après ce que l’on sait des méthodes de travail des
groupes qui se livrent au trafic illicite de migrants, les personnes
interceptées dans le cadre d’une opération de sauvetage d’embarcations
en perdition sont probablement des «petites mains» et certainement
pas les principaux acteurs et responsables, qui seraient restés
en sécurité en Libye; il se peut aussi qu’il s’agisse de migrants
eux-mêmes ayant accepté de prendre les commandes du bateau.
26. Les exemples montrent également que les groupes criminels
organisés composés de non européens se livrent au trafic illicite
de migrants vers l’Europe, mais aussi au sein de l’Europe. Or il
est hautement improbable qu’ils agissent sans être connus des groupes
criminels organisés locaux et sans y être associés d’une manière
ou d’une autre, notamment dans certaines régions comme le sud de
l’Italie où ils sont particulièrement puissants et bien implantés.
27. Il convient de noter qu’au début du mois de septembre, les
autorités italiennes, faisant référence aux conversations téléphoniques
interceptées entre des passeurs présumés, ont affirmé que la tendance
relative à privilégier cet été l’itinéraire de la Méditerranée orientale
plutôt que celui de la Méditerranée centrale était due en partie
à l’augmentation du nombre d’arrestations en Italie – plus d’une
centaine entre juin et août rien que dans ce seul pays. Si cette
analyse s’avère exacte, cela montre une nouvelle fois la flexibilité
et la capacité de réaction des passeurs face aux efforts mis en
œuvre pour stopper leurs activités (ce constat est à rapprocher
du point de vue de Frontex quant à l’éventuel effet de déplacement
de l’opération EUNAVFOR MED).
28. Les actions menées pour prévenir le trafic illicite de migrants
fondées essentiellement sur des contrôles stricts aux frontières
peuvent produire des effets à l’échelon local mais ne permettent
pas nécessairement de traiter le phénomène dans son ensemble. Les
migrations irrégulières depuis l’Afrique de l’ouest vers les îles Canaries
espagnoles («l’itinéraire d’Afrique occidentale»), par exemple,
ont fortement diminué ces dernières années en raison d’une coopération
accrue avec les autorités nationales et d’une meilleure coordination
de leurs activités dans la région. Par contre, malgré les efforts
des autorités marocaines et la construction de murs de sécurité
ou la mise en place de systèmes de surveillance maritime aux abords
des enclaves espagnoles d’Afrique du nord, Ceuta et Melilla, les
migrations irrégulières ont considérablement augmenté en 2011 et connu
un nouvel essor en 2013 et 2014 après une période de déclin en 2012.
Les migrants issus des pays d’Afrique de l’ouest les plus représentés
le long de ces itinéraires sont également très nombreux à être victimes d’un
trafic illicite tout au long de l’itinéraire de la Méditerranée
centrale, qui a enregistré une hausse de sa fréquentation de plus
de 970 % entre 2012 et 2014. Cet état de fait souligne une fois
encore la souplesse des réseaux de trafiquants ainsi que le désespoir
et la détermination des migrants, prêts à tenter des périples toujours
plus dangereux en franchissant déserts et océans. Par ailleurs,
plus le trajet que doit accomplir un migrant est long et difficile
et/ou complexe, plus fortes sont les probabilités qu’il ait à recourir
à des passeurs. Toutes choses étant égales par ailleurs, les contrôles
aux frontières auront probablement davantage un effet «positif»
sur le taux de recours à des passeurs qu’un effet «négatif» sur
les migrations irrégulières. A cet égard, les programmes de réinstallation
des réfugiés dans les pays de premier asile surchargés et les voies
sûres et légales de migration régulière peuvent offrir des alternatives
aux migrations irrégulières facilitées par les passeurs de migrants,
réduisant la demande et par conséquent les revenus potentiels dont
disposent les groupes criminels organisés.
6. Autres approches de la lutte
contre le crime organisé lié aux migrations
6.1. Opération Sophia/EUNAVFOR
MED
29. L’opération Sophia/EUNAVFOR
MED a été créée par l’Union européenne afin de démanteler le modèle économique
des réseaux de trafic de migrants dans la Méditerranée, et avant
tout ceux opérant depuis la Libye, et de contribuer à réduire les
pertes de vies humaines en mer. S’inspirant de l’opération fructueuse menée
contre les pirates au large de la Corne de l’Afrique, elle comprend
trois phases: surveillance et évaluation; arraisonnement, fouille
et, si nécessaire, saisie et déroutement des embarcations suspectes;
et neutralisation des navires et des embarcations ainsi que des
ressources connexes, de préférence avant leur utilisation, et arrestation
des trafiquants et des passeurs. La décision du Conseil de l’Union
européenne établissant l’opération contient de nombreuses références
au droit international, y compris aux conventions des Nations Unies
comme celle sur le droit de la mer, le Protocole contre le trafic
illicite de migrants ou la Convention relative au statut des réfugiés.
Le 14 septembre, le Conseil de l’Union européenne a décidé que les
objectifs de la phase 1 et les conditions nécessaires au lancement
de la phase 2 étaient remplis; le 7 octobre, les actifs requis étant
disponibles et les règles d’engagement convenues, l’Union européenne
a lancé la phase 2, avec le déploiement de six unités navales et
sept avions et hélicoptères, et trois autres navires prévus.
30. Le 9 octobre 2015, le Conseil de sécurité des Nations Unies
a adopté la Résolution 2240 (2015). Cette résolution, par des termes
précis et restrictifs, entre autres, autorise pendant un an, les
Etats membres à: i) inspecter les bateaux naviguant en haute mer
au large des côtes libyennes (pas dans les eaux territoriales libyennes)
s’ils ont des motifs raisonnables de soupçonner qu’ils sont utilisés
pour le trafic de migrants ou la traite d’êtres humains en provenance
de Libye, à condition qu’ils cherchent de bonne foi à obtenir le consentement
préalable de l’Etat du pavillon; ii) saisir les navires inspectés
dont ils ont la confirmation qu’ils sont utilisés à ces fins; et
iii) prendre des mesures complémentaires, notamment leur destruction, conformément
au droit international en vigueur en prenant dûment en considération
les intérêts de tiers agissant de bonne foi. La résolution vise
expressément à ne pas porter atteinte aux droits de l’homme des personnes
ou à les empêcher d’obtenir une protection en vertu du droit international;
elle exige que tous les migrants, notamment les demandeurs d’asile,
soient traités avec humanité et dignité et dans le plein respect de
leurs droits, et exhorte tous les Etats à s’acquitter de leurs obligations
en vertu du droit international, notamment du droit international
des droits de l’homme et du droit international des réfugiés.
31. Etant donné qu’il est peu probable que les trafiquants désertent
spontanément les rivages de la Méditerranée et, a fortiori, les
eaux territoriales, et vu qu’ils emploient souvent des embarcations
comme un «produit jetable» – calculant que si les passagers de ces
embarcations sont interceptés ou sauvés par les autorités européennes,
ils seront acheminés vers les ports européens –, il est difficile
de prévoir si les méthodes mises en œuvre par l’opération auront
véritablement un effet déstabilisant. L’Union européenne a reconnu
qu’une action militaire à elle seule n’est pas en mesure de produire
des résultats durables et risque d’entraîner un déplacement des
points de départ; le directeur exécutif de Frontex a déclaré à cet
égard: «S’il y a une opération militaire au voisinage de la Libye,
cela peut changer les routes migratoires et les faire basculer vers
la route de l’Est. On trouve déjà en Grèce des personnes qui arrivent
du continent africain…. On risque de voir des changements assez
marquants.» En effet, la forte augmentation en 2015 de la fréquentation de
l’itinéraire allant de la Turquie aux îles grecques de la mer Egée
pour le trafic illicite de migrants de diverses origines est tout
à fait conforme à cette prévision.
6.2. Lutte contre le blanchiment
de capitaux
32. Un domaine dans lequel les
groupes criminels organisés peuvent être exposés à des enquêtes
et des poursuites est le blanchiment des produits de leur activité
criminelle, qui prend souvent la forme d’opérations bancaires clandestines.
En effet, cet aspect est reconnu par la convention des Nations Unies
qui prévoit des dispositions visant à incriminer et lutter contre
le blanchiment de capitaux qui, pour les Etats qui l’ont ratifiée, couvrent
aussi le produit des infractions en vertu du protocole contre le
trafic illicite de migrants. A l’échelon européen, le Conseil de
l’Europe a élaboré deux conventions dans ce domaine, la plus récente
étant la Convention de 2005 relative au blanchiment, au dépistage,
à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement
du terrorisme (STCE no 198). Malheureusement,
la convention de 2005, qui est ouverte aux Etats non membres, a
été ratifiée seulement par 26 Etats membres et aucun Etat non membre
(tandis que la convention antérieure de 1990, toujours en vigueur
mais qui aurait besoin d’être mise à jour, a toutefois été ratifiée
par les 47 Etats membres).
33. Le Conseil de l’Europe dirige aussi des activités permanentes
pour lutter contre le blanchiment de capitaux par le biais de MONEYVAL,
le Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre
le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. En 2005,
MONEYVAL a publié un rapport sur les produits de la traite des êtres
humains et de l’immigration clandestine/la contrebande humaine
.
Plus récemment, en 2011, le Groupe d’action financière international,
qui a établi des normes dont la mise en œuvre par certains pays
du Conseil de l’Europe est suivie par MONEYVAL, a publié un rapport
sur les risques de blanchiment de capitaux provenant du trafic d’êtres
humains et du trafic de migrants («Money Laundering Risks Arising
from Trafficking in Human Beings and Smuggling of Migrants»). Ces
rapports énoncent entre autres des recommandations particulièrement
pertinentes pour la lutte contre le blanchiment de capitaux associé
au trafic de migrants, et notamment les suivantes:
i. mettre rapidement en œuvre les
recommandations du GAFI sur la remise de fonds alternatifs et les virements
électroniques, compte tenu de l’importance des services de transfert
de fonds dans les infractions de trafic des migrants, ainsi que
sur les passeurs du fonds ;
ii. incriminer l’auto blanchiment (ou le blanchiment de ses
propres fonds, à distinguer du recours à des blanchisseurs professionnels);
iii. obliger les personnes reconnues coupables d’infraction
de trafic de migrants à prouver l’origine des biens suspectés d’être
des produits ou d’autres biens susceptibles de confiscation (dans
les faits, aménager la charge de la preuve);
iv. accorder une attention spéciale à l’identification des
bénéficiaires effectifs d’une société (obligations relatives au
devoir de vigilance relatif à la clientèle, transparence et bénéficiaires
effectifs des personnes morales) ;
v. veiller au respect des obligations de déclaration des
opérations suspectes, à l’efficacité des cellules de renseignements
financiers et aux responsabilités des autorités de poursuite pénale
et des autorités chargées des enquêtes ;
vi. renforcer la coopération internationale, y compris par
le biais des instruments internationaux, de l’entraide judiciaire
et de l’extradition ;
6.3. Lutte contre la corruption
des agents publics
34. Les efforts déployés pour lutter
contre les activités des groupes criminels organisés liées aux migrations peuvent
aussi porter sur la corruption des agents publics qui, ainsi qu’indiqué
plus haut, peut avoir lieu non seulement dans le cadre d’un franchissement
irrégulier de la frontière ou de l’obtention de documents de voyage,
par exemple, mais aussi d’activités des pouvoirs publics en contact
avec les migrants après leur arrivée (comme le scandale «mafia capitale »
en Italie). La convention des Nations Unies prévoit des dispositions
visant à incriminer et combattre la corruption. A l’échelon européen,
le Conseil de l’Europe a élaboré la Convention pénale sur la corruption
(STE no 173), dont le préambule reconnaît
les liens entre le crime organisé et la corruption, et qui est ouverte
à la signature des Etats non membres: 44 Etats membres l’ont ratifiée
et
un Etat non membre a accédé à la convention (Bélarus). Le GRECO
(Groupe d’Etats contre la corruption), organe intergouvernemental
spécialisé dans la lutte contre la corruption qui assure le suivi
de la mise en œuvre de la convention, n’a pas spécifiquement traité
la corruption dans le contexte du trafic illicite de migrants. Néanmoins,
une mise en œuvre plus efficace des conventions des Nations Unies
et du Conseil de l’Europe et éventuellement, la mise en place par
le GRECO d’actions ciblées devraient aussi contribuer à lutter contre
les activités des passeurs de migrants.
6.4. Lutte contre la cybercriminalité/l’utilisation
criminelle d’internet
35. L’utilisation des médias sociaux
sur internet par les passeurs de migrants afin d’attirer une clientèle
peut aussi représenter un domaine de vulnérabilité. Le rapporteur
note l’existence du Centre européen de lutte contre la cybercriminalité
d’Europol et de la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité
(STE no 185). Il est cependant difficile
de déterminer dans quelle mesure ces mécanismes pourraient contribuer
à supprimer, éventuellement par le biais de poursuites pénales,
l’utilisation des médias sociaux en tant qu’élément d’activité criminelle
comme le trafic illicite de migrants. Néanmoins, le rapporteur pense
qu’il s’agit d’un aspect du modèle économique du trafic illicite
de migrants qui peut être sensible à une plus grande pression des
forces de l’ordre, et mérite par conséquent de faire l’objet d’un
examen plus approfondi.
7. Conclusions
et recommandations
36. A l’évidence, la coopération
internationale, à travers une approche plurisectorielle et interinstitutionnelle, sera
essentielle pour renforcer les efforts destinés à désorganiser les
activités des passeurs de migrants. Le rapporteur estime qu’il faut
mettre tout en œuvre pour renforcer la coopération entre les divers
organes européens et internationaux, en tirant profit du plus grand
nombre de compétences et de ressources, en vue de développer des
réponses novatrices et globales au trafic illicite de migrants et
aux activités criminelles connexes.
37. Les efforts des autorités nationales devraient s’appuyer sur
l’harmonisation des normes juridiques et le renforcement des mécanismes
en vue de garantir un partage d’informations et une coopération
pratique efficaces. A cette fin, l’ensemble des Etats membres du
Conseil de l’Europe, ainsi que les Etats non membres qui sont les
principaux pays d’origine et de transit des migrants objets d’un
trafic illicite, devraient ratifier et mettre effectivement en œuvre
les instruments juridiques pertinents tels que la convention et
le protocole des Nations Unies et les conventions susmentionnées
du Conseil de l’Europe sur le blanchiment des capitaux et la corruption,
et devraient s’engager pleinement auprès des organes de coopération
et de suivi compétents.
38. Il faut viser à utiliser tous les moyens possibles pour faire
du trafic illicite de migrants, et des infractions diverses qui
y sont souvent associées, des activités non plus à faibles risques
et rendements élevés mais à hauts risques et rendements faibles.