1. Introduction
1. Les attaques qui ont visé des
femmes à Cologne, Hambourg et dans d’autres villes d’Europe dans
la nuit du 31 décembre 2015 au 1er janvier
2016, ont choqué l’opinion. Ces violences auront des répercussions à
long terme sur les victimes et il est impératif que les auteurs
soient traduits en justice. Il est essentiel de comprendre ce qui
s’est passé et comment ces incidents auraient pu être évités.
2. La simultanéité de ces agressions de masse dans plusieurs
villes, leur ampleur et la réaction tardive des autorités sont sources
de grande inquiétude. D’après les témoignages recueillis, les auteurs
seraient en majorité des hommes d’origine étrangère. Ces allégations
ont ravivé le débat en Allemagne et ailleurs sur les politiques
d’accueil, l’intégration et ce qu’il est convenu d’appeler les différences
culturelles, ainsi que sur le sexisme et l’inégalité de genre dont
nous faisons l’expérience dans nos sociétés.
3. La violence à l’égard des femmes est l’une des violations
les plus systématiques et les plus répandues des droits de l’homme.
Elle touche une femme sur trois en Europe et se produit le plus
souvent à l’abri des regards, dans l’intimité du cercle familial
ou d’une relation. Le harcèlement dans la rue n’en reste pas moins un
phénomène courant dans la plupart des villes européennes. Toutefois,
les agressions du 31 décembre ont ceci de particulier qu’elles se
sont produites dans des lieux ouverts, au milieu d’une foule dense,
et selon un déroulement qui pourrait laisser croire qu’elles ont
été planifiées ou tout du moins coordonnées.
4. Les comptes rendus contradictoires et tardifs des médias,
les chiffres fluctuants, les informations selon lesquelles les victimes
auraient été dissuadées de porter plainte et la lente réaction des
autorités sont révélateurs d’un certain nombre de zones d’ombre
autour de ces attaques et posent plusieurs questions. Une enquête
menée par les autorités compétentes devrait toutefois permettre
de faire la lumière sur ce qui s’est exactement passé.
5. L’Assemblée condamne sans relâche les violences faites aux
femmes et a présenté des propositions d’action. Elle a appelé à
l’adoption d’une Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention
et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique (STCE no 210, «Convention
d’Istanbul») et préconisé sa ratification et sa mise en œuvre. La
violence à l’égard des femmes ne saurait être minimisée, mais ne
devrait pas pour autant être instrumentalisée à d’autres fins. Le
présent rapport est l’occasion de réitérer notre engagement ferme
envers la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des
femmes sous toutes ses formes et d’exhorter les Etats membres du
Conseil de l’Europe à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour
ratifier et mettre en œuvre, immédiatement et sans réserve, la Convention
d’Istanbul.
6. La Commission sur l’égalité et la non-discrimination a été
saisie pour rapport à la suite d’une demande de débat selon la procédure
d’urgence par Sir Roger Gale (Royaume-Uni, CE) et d’autres membres
de l’Assemblée, conformément à l’article 51 du Règlement, confirmé
par un vote de l’Assemblée le 25 janvier 2016
.
2. Les faits tels qu’ils sont connus
7. La violence sexuelle à l’égard
des femmes a fait la une des médias à la suite des attaques commises
à Cologne et dans d’autres villes, principalement en Allemagne,
mais aussi en Autriche, en Finlande et en Suisse la nuit du 31 décembre
2015 au 1er janvier 2016. Des violences
survenues en Suède l’an dernier ont à cette occasion été rapportées
par les médias.
8. Il ne s’agit pas, dans le présent rapport, d’exposer en détail
ce qui s’est produit dans chaque ville mais de s’intéresser aux
agressions survenues à Cologne, lesquelles ont donné lieu au plus
grand nombre de plaintes jamais enregistrées par la police. Il est
impossible, à ce stade préliminaire de l’enquête, de tirer des conclusions
mais nous pouvons essayer de faire part de nos interrogations et
inquiétudes. Les informations présentées dans le présent rapport
s’appuient sur les comptes rendus des médias et les récits des victimes
et des témoins publiés dans la presse.
9. Le 31 décembre 2015, aux abords de la gare et de la cathédrale
de Cologne, des centaines d’hommes s’étaient massés environ deux
heures avant le début des feux d’artifice. Les médias font état
de près d’un millier d’hommes
. Les victimes et les agents
de police présents sur les lieux ont signalé que la plupart de ces hommes
seraient d’origine étrangère, bien souvent sous l’emprise de l’alcool.
Des notes manuscrites sur lesquelles figuraient des insultes à caractère
sexuel traduites de l’arabe en allemand auraient également été retrouvées.
10. Les hommes ont agressé, insulté et molesté des femmes sur
le parvis de la cathédrale et à l’intérieur de la gare, où vraisemblablement
une foule immense s’était rassemblée. Ils ont arraché les vêtements
de certaines femmes et les ont dévalisées. Certaines victimes ont
dit avoir craint pour leur vie. Jessica P. a déclaré à un journaliste
du Monde: «On était ballotées, tripotées. Je voyais dans leurs yeux
que je n’étais qu’un objet avec lequel on fait ce qu’on veut. Ça
leur faisait plaisir de sentir ma panique. La gare leur appartenait.
J’ai cru qu’on allait mourir
.»
11. Les victimes ont évoqué une ambiance générale d’agressivité
et ont fait part de leur difficulté à s’extraire de la foule. Certaines
femmes étaient accompagnées de leurs partenaires qui n’ont pas réussi
à les protéger du mouvement de la foule. D’autres sont restées en
groupe pour traverser la foule.
12. Les témoignages sont rares et bien souvent anonymes. Les victimes
ont déclaré à la presse qu’elles ne souhaitaient pas donner leur
nom et prénom par peur d’être retrouvées sur les médias sociaux
et harcelées pour avoir contribué à alimenter la haine envers les
migrants et les demandeurs d’asile
.
13. Les témoins ont signalé à la presse que la majorité des hommes
présents dans la foule étaient d’apparence arabe ou nord-africaine.
Le nombre précis de demandeurs d’asile dans la foule n’est pas connu.
14. A Cologne, 766 plaintes ont à ce jour été officiellement enregistrées
par la police, dont 497 pour agressions sexuelles et trois au moins
pour viol. Certaines victimes ont indiqué aux journalistes qu’elles
avaient été dissuadées de porter plainte dans la mesure où on ne
leur avait rien volé.
15. La police de Cologne a été critiquée pour n’avoir pas su anticiper
le risque et réagir de manière proportionnée en envoyant des renforts
suffisants aux agents sur place. Rainer Wendt, président du syndicat de
la police allemande, a déclaré que la police avait commis plusieurs
erreurs
.
16. Certaines femmes ont déclaré à la presse qu’elles avaient
demandé à la police de leur venir en aide et que celle-ci leur avait
répondu qu’elle était en effectif insuffisant pour cela. Le 1er janvier
2016, la police de Cologne a déclaré que la nuit de la Saint Sylvestre
avait été «calme». Le 8 janvier, le chef de la police locale a été
suspendu de ses fonctions notamment pour son incapacité à prévenir
les événements décrits plus haut et y faire face.
17. Les autorités et les médias allemands ont été accusés d’avoir
caché la vérité au public pendant quatre jours
.
L’une des premières réactions officielles a été la recommandation
faite aux femmes par la maire de Cologne de «se tenir à distance
de bras» des hommes, ce qui lui a valu une salve de critiques, la
responsabilité des agressions étant ici imputée aux victimes et
non aux agresseurs.
18. PEGIDA et Alternative für Deutschland ont vu dans ces retards
dans la communication des informations l’occasion d’accuser le gouvernement
d’avoir voulu éviter que ne soient critiqués le comportement des migrants
et des réfugiés et la politique adoptée quelques mois plus tôt ayant
conduit l’Allemagne à accueillir près d’un million de réfugiés en
2015, principalement en provenance de Syrie. Ces mouvements se sont également
servi des agressions pour présenter tous les immigrants comme des
criminels et des individus potentiellement dangereux.
19. Au lendemain des agressions, des images ont circulé dans les
médias sociaux. Certaines des photos publiées prétendaient avoir
été prises la nuit de la Saint Sylvestre à Cologne alors qu’en réalité
les clichés étaient bien plus anciens et avaient même souvent été
pris dans un autre pays
.
Il est difficile voire impossible de trouver des photos ou des vidéos
en ligne des événements de Cologne ce qui a rendu d’autant plus
facile la diffusion à grande échelle de fausses photos, associées
à tort aux agressions et publiées par la presse.
20. Les agressions ont, rapporte-t-on, provoqué un revirement
de l’opinion publique allemande. A l’initiative de PEGIDA, une manifestation
anti-migrants a été organisée à Cologne quelques jours après les événements
.
Une augmentation du discours de haine à l’endroit des migrants et
des demandeurs d’asile a également été observée dans les médias
sociaux. Des violences physiques ont en outre été signalées.
21. Certaines militantes féministes expliquent leur réaction tardive
face aux agressions par leur crainte d’être taxées de «racistes».
La violence, le sexisme et le racisme ne sont toutefois pas nécessairement
liés. On peut condamner les agressions commises sur des femmes par
des étrangers sans pour autant être raciste et en général, les mouvements
qui défendent les droits de la femme défendent les droits fondamentaux.
Je salue donc les manifestations qui ont été organisées à Cologne
condamnant à la fois les violences faites aux femmes, le sexisme
et le racisme et montrant clairement que la prévention et la lutte
contre la violence à l’égard des femmes ne devraient pas exacerber
le racisme ou la défiance à l’égard d’une partie de la population
.
3. La
couverture médiatique
22. Les médias allemands et internationaux
ont couvert les événements de Cologne quelques jours après les faits,
ce qui a déclenché des débats sur leur rôle et ce qu’ils voulaient
prétendument cacher à l’opinion publique. Je suis d’avis qu’un crime
est un crime et que les médias ne devraient pas cacher la vérité
au grand public afin de respecter le «politiquement correct». Il
est important d’avoir une couverture médiatique honnête sur les
crimes, indépendamment de l’identité de l’auteur. Cela aide à construire
un lien de confiance entre le public et les médias, et en définitive
avec les autorités, et peut contribuer à un vivre ensemble harmonieux.
23. Les médias ont la responsabilité de rapporter des faits objectifs,
sans stigmatiser une partie de la population. Une couverture médiatique
sur des crimes qui serait partielle, tardive ou malhonnête peut
nourrir des théories conspirationnistes et attiser la haine envers
une partie de la population.
24. La chaîne de télévision ZDF a présenté ses excuses pour avoir
attendu quatre jours avant de couvrir les événements. Dans la mesure
où les délais dans la communication des faits par les autorités
et les médias soulèvent de nombreuses questions, je souhaiterais
encourager le lancement d’une enquête sur les raisons pouvant expliquer
ce retard.
4. La
violence sexuelle à l’égard des femmes
4.1. Données
disponibles sur la violence sexuelle à l’égard des femmes en Europe
25. La violence à l’égard des femmes,
notamment la violence sexuelle et le harcèlement, est un phénomène largement
répandu en Europe. Elle n’est pas l’apanage d’une catégorie sociale
en particulier ni d’une classe d’âge et n’a aucune dimension géographique.
Il ressort de l’enquête sur la violence à l’égard des femmes réalisée
par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne
que 33 % des femmes
dans l’UE ont été victimes, depuis l’âge de 15 ans, de violence
physique et/ou sexuelle commise par un partenaire ou quelqu’un qui
n’était pas leur partenaire, 20 % des femmes ont subi depuis l’âge
de 15 ans des violences physiques de la part d’un individu qui n’était
pas leur partenaire et 6 % ont subi depuis l’âge de 15 ans des violences
sexuelles de la part d’un individu qui n’était pas leur partenaire.
55 % des femmes ont subi une forme de harcèlement sexuel depuis
l’âge de 15 ans. 13 % des femmes ont indiqué avoir signalé à la
police le fait de violence le plus grave subi depuis l’âge de 15
ans perpétré par une personne qui n’était pas leur partenaire.
26. Les résultats de l’enquête de la FRA sont globalement comparables
pour l’Allemagne. Ils indiquent que 35 % des femmes ont subi depuis
l’âge de 15 ans des violences physiques et/ou sexuelles de la part
d’un partenaire ou de quelqu’un qui n’était pas leur partenaire,
21 % des femmes ont subi depuis l’âge de 15 ans des violences physiques
qui ne sont pas le fait d’un partenaire et 7 % ont subi depuis l’âge
de 15 ans des violences sexuelles commises par un individu qui n’était
pas leur partenaire. 60% des femmes ayant participé à l’enquête
en Allemagne ont été victimes depuis l’âge de 15 ans d’une forme
de harcèlement sexuel. 10 % des femmes ont indiqué qu’elles avaient
signalé à la police le fait de violence le plus grave subi depuis
l’âge de 15 ans de la part d’une personne qui n’était pas leur partenaire.
27. D’après Monika Hauser, présidente de Medica Mondiale, «les
agressions sexuelles ne sont pas chose nouvelle en Allemagne. Chaque
année 8 000 cas sont officiellement répertoriés, ce qui signifie
100 000 dans la réalité. Il serait temps que le déni prenne fin»
.
Les événements de Cologne mettent en lumière ce phénomène et ravivent
le débat dans la société allemande et au-delà sur la violence à
l’égard des femmes. Cette violence est omniprésente et les auteurs
sont d’origines diverses. Alors que les agressions survenues seraient
principalement le fait d’hommes d’origine immigrée, nous ne devrions
pas attacher plus d’importance au pays d’origine des agresseurs
qu’à la gravité des actes commis.
28. Les festivités qui sont associées à une forte consommation
d’alcool constituent un environnement plus propice à la commission
d’actes de violence et de harcèlement sexuels. Chaque année, lors
de l’Oktoberfest à Munich, des dizaines d’agressions sexuelles sont
perpétrées en dépit d’une forte présence policière et de dispositifs
de vidéo surveillance. Les femmes qui se sentent menacées peuvent
se rendre dans un «point de sécurité» pour y recevoir de l’aide.
D’après les données communiquées par la police de Munich, deux plaintes pour
viol sont enregistrées chaque année par la police au moment de l’Oktoberfest.
Selon Maike Bublitz, de l’association Frauennotruf München, l’Oktoberfest
a déjà été le théâtre d’actes collectifs de violence et de harcèlement
visant des femmes. Le harcèlement et les plaisanteries à caractère
sexuel sont monnaie courante et passent trop souvent inaperçus
.
29. En Allemagne, avant même les attaques de Cologne, l’éventualité
d’une actualisation de la loi sur le viol a été débattue. A l’heure
actuelle, le viol n’est pas passible de poursuites en Allemagne
si la victime ne s’est pas défendue. La définition juridique actuelle
du viol n’inclut pas la notion de consentement, ce que les défenseurs
des droits de la femme fustigent depuis plusieurs années déjà. La
révision de cette définition supprimerait l’obligation de prouver
que la victime a riposté. Dans le cas des agressions de Cologne,
il pourrait être difficile, en l’état actuel de la législation,
de prouver que les victimes ont riposté et donc de poursuivre les auteurs
de ces actes
.
30. La violence à l’égard des femmes, y compris la violence sexuelle,
est un acte odieux qui ne devrait être excusé sous aucun prétexte.
Elle ne peut être considérée comme plus acceptable si elle se produit
au sein du cercle familial ou si elle est le fait d’Européens. Je
souhaiterais, avec ce rapport, que l’Assemblée prenne fermement
position et dénonce toutes les formes de violence à l’égard des
femmes, où que se produisent ces violences et quels qu’en soient
les auteurs. Nous disposons à cette fin du traité international
le plus avancé qui soit en matière de prévention et de lutte contre
la violence à l’égard des femmes: la Convention d’Istanbul.
4.2. Sous-signalement
de la violence faite aux femmes
31. Bien que la violence faite
aux femmes ne soit pas un phénomène méconnu en Europe et en dehors,
les victimes sont souvent trop honteuses pour se manifester. Il
a fallu à certaines plus d’une semaine pour s’adresser à la police
après les attaques qui ont eu lieu à Cologne. Elles sont parfois
découragées de porter plainte ou pensent que cela ne sera pas utile,
ou encore elles ont peur d’éventuelles répercussions et notamment
de représailles. Dans les situations de violence domestique, les
victimes craignent pour leur avenir et de ne pas pouvoir subvenir
aux besoins de leur famille mais aussi de ne pas être suffisamment
soutenues.
32. Le manque de confiance dans la police et dans la justice peut
aussi expliquer le défaut de signalement de la violence. La formation
des agents de police sur la manière d’aider au mieux les victimes
devrait être généralisée.
33. Les attaques de Cologne montrent une fois encore l’importance
du dépôt de plainte, l’impact éventuel d’un signalement insuffisant
et l’intérêt de collecter systématiquement des données sur la violence
faite aux femmes pour prévenir la violence future. A ce propos,
je tiens à citer le rapport de Mme Maria Edera Spadoni (Italie,
NI) qui paraîtra prochainement sur «La collecte systématique de
données relatives à la violence à l’égard des femmes». Ce document
présentera des recommandations précises dans ce domaine spécifique. Les
données collectées sur la violence faite aux femmes servent d’indicateur
de l’ampleur de la violence et du profil des auteurs et peuvent
aider à concevoir des politiques ciblées en vue d’une action plus
efficace.
4.3. La
Convention d’Istanbul
34. La Convention d’Istanbul privilégie
une approche globale de la prévention et de la lutte contre la violence à
l’égard des femmes, fondée sur les quatre «P» que sont la prévention,
la protection et l’aide aux victimes, les poursuites contre les
auteurs d’actes de violence et les politiques intégrées. Elle couvre
toutes les formes de violence et n’accepte pas que la culture ou
la religion servent d’excuses aux violences faites aux femmes. La
convention donne la priorité aux victimes et à ce qui peut être
fait pour les aider.
35. Je tiens à rappeler que la violence à l’égard des femmes,
y compris la violence et le harcèlement sexuels, ne saurait être
vue comme un problème culturel. L’article 42 de la Convention d’Istanbul
dispose clairement que «la culture, la coutume, la religion, la
tradition ou le prétendu «honneur» ne doivent pas être considérés
comme justifiant de tels actes». Les violences faites aux femmes
sont présentes partout et il serait, au mieux, malavisé de dire
qu’elles ont plus à voir avec une culture qu’avec une autre.
36. A l’heure actuelle, le fait de proférer des insultes à caractère
sexuel, de toucher quelqu’un avec insistance contre son gré, d’étreindre
ou d’embrasser quelqu’un par la force ne constitue pas une infraction pénale
vraisemblablement dans la plupart des Etats membres du Conseil de
l’Europe. C’est pourquoi il est de la plus haute importance de ratifier
et de mettre en œuvre la Convention d’Istanbul. Le harcèlement et
les formes de violence dites «invisibles» devraient être érigés
en infractions pénales pour provoquer un réel changement d’attitude.
37. La Convention d’Istanbul, qui énonce des règles d’actions
efficaces pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes
et la violence domestique, a été ratifiée jusque-là par 19 Etats.
Avec le présent rapport, j’appelle les Etats membres du Conseil
de l’Europe qui ne l’ont pas encore ratifiée à le faire pour contribuer
à la protection de millions de femmes.
4.4. Prévention
de la violence à l’égard des femmes
38. Après les attaques de Cologne,
il a été dit que les femmes avaient été agressées à cause de la
façon dont elles étaient habillées ou de leur mode de vie. Je condamne
fermement les propos de chefs religieux ou d’autres personnalités
publiques selon lesquels les femmes, d’une manière ou d’une autre,
en raison de leurs vêtements, de leur parfum ou de leur attitude
méritaient la violence qu’elles ont subie à Cologne ou ailleurs dans
d’autres contextes. Une victime ne devrait jamais être rendue responsable
de la violence.
39. La protection des femmes contre la violence ne signifie pas
qu’il faut adopter une attitude paternaliste à leur égard. Appeler
les femmes à s’habiller ou à ne pas s’habiller de telle ou telle
manière ne traite pas les causes du problème – cela fait que les
femmes se sentent responsables de la violence.
40. Les efforts en matière de prévention devraient viser les auteurs
de violence potentiels et non inciter les femmes à changer de comportement.
Dans le récent rapport intitulé «Promouvoir les meilleures pratiques
dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes» de Mme Sahiba
Gafarova (Azerbaïdjan, CE), plusieurs initiatives de sensibilisation
ayant obtenu des résultats positifs ont été présentées
. Il y a lieu d’encourager plus
fortement la participation des hommes aux campagnes de prévention.
5. Migrants
41. Les médias qui ont relayé des
informations sur les attaques du 31 décembre ont tous souligné le
fait que les auteurs étaient en grande partie arabophones et venaient
soit d’Afrique du Nord soit du Moyen-Orient. Certains médias ont
saisi l’occasion pour les associer au million de réfugiés accueillis
par l’Allemagne en 2015 et pour critiquer cette politique, en mettant
l’accent sur les différences et incompatibilités culturelles. Des articles
sur un éventuel choc des civilisations ont été publiés dans la presse,
ne faisant qu’exacerber les tensions. «Depuis Cologne, lorsque les
Européens pensent aux réfugiés, ils ne voient plus des familles
ou des enfants persécutés. Ils voient désormais de jeunes hommes
menaçants imbus d’un sexisme qui n’est que trop répandu au Moyen-Orient
et en Afrique du Nord», lit-on dans
The
Economist .
42. La demande de débat d’urgence a fait référence à la pratique
supposée de
« taharrush gamea » dans le
monde arabe (terme qui désigne dans ce cas le harcèlement collectif
visant des femmes) pour décrire les agressions de Cologne. Or, le
sens habituel du mot «taharrush» est simplement «harcèlement», et
peu d’éléments attestent de pratiques répandues d’agressions sexuelles
commises à titre collectif dans le monde arabe
.
Ces dernières années, après l’agression sexuelle dont la journaliste
Lara Logan a été victime sur la place Tahrir, au Caire, en 2011
, l’attention internationale s’est
beaucoup portée sur le harcèlement et les agressions collectives
visant des femmes dans des lieux publics en Egypte. S’il est indéniable
que toutes les agressions de ce type doivent être condamnées avec
la plus grande fermeté, la prudence s’impose avant de laisser entendre
qu’il existe une «culture» de ce type d’agressions ou qu’elles découlent
de quelconques pratiques religieuses. Les militants contre le harcèlement
sexuel en Egypte ont exprimé une certaine frustration face à la
focalisation de l’attention sur des interprétations extrêmes du
sens de «taharrush», notamment pour désigner des agressions sexuelles
commises lors de mouvements de foule, au détriment de la lutte contre
le harcèlement sexuel que des femmes subissent au quotidien dans
le monde entier
.
43. A la suite des attaques qui ont eu lieu à Cologne et dans
d’autres villes européennes, plusieurs commentateurs ont attiré
l’attention sur le fait que les migrants sont pour la plupart des
hommes jeunes dont la présence pourrait faire basculer la proportion
hommes-femmes dans plusieurs pays européens. D’après les données
disponibles, en 2015, 73 % des demandeurs d’asile en Europe étaient
des hommes, dont 40 % âgés de 18 à 34 ans. Il a été observé que,
dans un pays comme la Suède, le sexe-ratio pourrait atteindre 116 hommes
pour 100 femmes si toutes les demandes d’asile étaient acceptées.
Il est à noter cependant que ce risque ne concerne pas tous les
pays européens et que les pays les moins peuplés et recevant des
nombres plus importants de réfugiés y sont les plus exposés. En
Allemagne, le sexe-ratio pourrait atteindre 106 hommes pour 100
femmes pour la tranche d’âge 18-34 ans si toutes les demandes d’asile
étaient acceptées.
44. Les déséquilibres femmes-hommes peuvent avoir de graves répercussions
sur le long terme. Par exemple, un lien a été établi entre un déséquilibre
du sexe-ratio et l’apparition de bandes criminelles violentes et
de mouvements anti-gouvernementaux. L’une des raisons avancées est
que «lorsque de jeunes hommes ne franchissent pas l’étape qui consiste
à fonder un foyer – en particulier les jeunes qui présentent déjà
des risques de comportements sociopathes en raison d’une marginalisation,
préoccupation commune chez les immigrés –, leur ressentiment est
exacerbé»
.
45. Les conséquences pour les femmes ont été établies également:
«les crimes tels que le viol et le harcèlement sexuel sont plus
courants dans les sociétés fortement masculinisées, et la capacité
des femmes à se déplacer en toute liberté et sans crainte au sein
de la société est réduite»
. Dans sa
Résolution 1829 (2011) sur la sélection prénatale en fonction du sexe, l’Assemblée
a déjà mis en garde les Etats membres contre des déséquilibres démographiques
susceptibles de créer des difficultés pour les hommes dans la recherche
d’une épouse, de mener à des violations graves des droits humains
telles que la prostitution forcée et la traite à des fins de mariage
ou d’exploitation sexuelle, et de contribuer à une montée de la
criminalité et des troubles sociaux.
46. Les réponses face à ce risque varient d’un Etat à l’autre.
Par exemple, le Canada a décidé en novembre 2015 de n’accueillir
que des femmes, des enfants, des familles et des hommes LGBT. Or,
cette mesure pourrait être jugée contraire aux droits des réfugiés,
qui devraient s’appliquer sans discrimination fondée sur le sexe.
D’autres pays comme l’Allemagne ou la Norvège ont organisé des cours
à l’intention de migrants volontaires pour les sensibiliser aux
comportements sociaux à adopter à l’égard des femmes et aux droits
des femmes. Des recherches approfondies pourraient être effectuées
pour identifier comment réduire au minimum l’impact social potentiel
lié au déséquilibre entre les femmes et les hommes. Des propositions
récentes de refus du regroupement familial pour les demandeurs d’asile
vivant au Danemark depuis moins de trois ans – qui ont déjà été
critiquées pour d’autres motifs – mériteraient également d’être
réévaluées dans ce contexte.
6. Egalité
entre les femmes et les hommes
47. Ces événements profondément
troublants nous obligent à réfléchir aux causes de la violence.
La violence à l’égard des femmes est ancrée dans une inégalité profonde
entre les femmes et les hommes et une différence de statut supposée
des femmes et des hommes dans la société. Cette situation persistera
tant que les hommes penseront qu’ils ont plus de pouvoir que les
femmes et qu’ils peuvent les contraindre à faire ce qu’ils voudraient
qu’elles fassent.
48. Il est regrettable que cette inégalité soit encore largement
présente. Les débats actuels sur l’attitude d’hommes migrants à
l’égard d’Européennes risquent même de fléchir l’attention portée
au problème ou de l’en détourner.
49. Les violences faites aux femmes et les inégalités de genre
ne sont pas apparues avec la vague d’immigration de 2015. Elles
existent depuis des siècles et la situation évolue lentement. On
ne devrait pas minimiser le niveau de violence dans les pays d’origine
des migrants et des demandeurs d’asile; pour autant, l’éradication
de la violence à l’égard des femmes ne deviendra une réalité que
si l’on intensifie les efforts pour promouvoir l’égalité entre les
femmes et les hommes dès le plus jeune âge dans le monde entier
– y compris l’Europe.
7. Conclusions
et recommandations
50. Les attaques de Cologne ont
fait changer, semble-t-il, l’attitude de l’Europe vis-à-vis des
migrants et des demandeurs d’asile. Certains ont profité de l’occasion
pour qualifier les migrants et les demandeurs d’asile de menace
pour les droits et la liberté de circulation des femmes, et s’en
servent comme argument pour limiter davantage l’immigration. Limiter
l’accès des femmes à l’espace public ne peut pas être considéré
comme une solution. Nous ne pouvons pas permettre l’utilisation
des droits des femmes et leur protection comme instrument de propagande
raciste.
51. Ces attaques contribuent à un climat de peur qui peut mettre
en danger les piliers démocratiques de nos sociétés et encourager
certains à chercher d’autres alternatives.
52. Je considère ce rapport comme une occasion de réaffirmer la
fermeté de notre engagement pour la prévention de toute forme de
violence faite aux femmes et la lutte contre cette violence dans
les Etats membres du Conseil de l’Europe et en dehors, et d’appeler
une fois encore à la ratification et à la mise en œuvre de la Convention
d’Istanbul. Les dispositions de la convention sont plus que jamais
d’actualité. Les Etats devraient prendre toutes les mesures qui
s’imposent pour: promouvoir l’égalité de genre, sensibiliser à la
nécessité d’une égalité pleine et entière entre les femmes et les
hommes, mettre en œuvre des programmes de prévention, apporter une
aide aux victimes de violences fondées sur le genre et poursuivre
les auteurs de tels actes.
53. Les auteurs de toute forme de violence faite aux femmes devraient
être traduits en justice, d’où qu’ils viennent et quelles que soient
les motivations de leurs actes. Je salue l’appel à l’impunité zéro
lancé par les autorités allemandes et encourage vivement ces dernières
à mener des enquêtes complètes pour faire la lumière sur ce qui
s’est passé et déterminer si cela était planifié à l’avance et,
si tel est le cas, ce qui aurait pu être fait et de quelle façon
pour empêcher de tels actes.
54. Les autorités publiques et les médias ont la responsabilité
importante de couvrir honnêtement les événements sans stigmatiser.
La réponse des autorités, y compris de la police, doit aussi retenir
l’attention, et l’enquête devrait nous aider à comprendre ce qui
s’est passé.
55. Les attaques ont stupéfait les observateurs par leur ampleur
et leur simultanéité. Or, dans toute l’Europe, ce sont des milliers
de femmes qui subissent le harcèlement sexuel au quotidien simplement
lorsqu’elles marchent dans la rue ou prennent les transports publics.
Je recommande par conséquent qu’un rapport soit établi sur le thème
des femmes dans l’espace public. La commission sur l’égalité et
la non-discrimination de pourrait travailler sur ce rapport.