1. Introduction
1. La crise des réfugiés syriens
est une conséquence de la guerre qui sévit en Syrie. Ce conflit
trouve ses origines dans les manifestations populaires de mars 2011,
qui étaient dirigées contre le gouvernement de Bachar el-Assad.
La réaction violente du gouvernement et l'aide militaire et financière
fournie par des acteurs externes aux groupes d'opposition ont provoqué
une escalade qui a rapidement dégénéré en conflit armé. Des puissances
régionales, notamment la Turquie, l'Iran et l'Arabie saoudite sont
intervenues dans un conflit qui s’est étendu et intensifié au point
de devenir une «guerre par procuration» entre des puissances extérieures. Il
semble que le conflit ait également pris un caractère sectaire,
puisque diverses forces islamistes, qui comptent notamment, parmi
les plus puissantes, le groupe terroriste sunnite EI et le Front
al-Nusra, luttent contre le gouvernement d’Assad, tandis que le
Hezbollah libanais et d’autres groupes chiites soutenus par l’Iran
combattent aux côtés des forces gouvernementales. Des puissances
internationales, notamment les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni
et la Russie, participent également au conflit, à des titres divers. D’après
les Nations Unies, à l’été 2015, le bilan du conflit était de plus
de 250 000 morts et de 1,2 million de blessés; d'autres estiment
que jusqu’à 500 000 personnes auraient été tuées. La complexité
grandissante du conflit ainsi que la participation militaire croissante
d’acteurs extérieurs ont éloigné encore plus les perspectives de
paix, comme en témoigne l’échec des cycles successifs des initiatives
de paix menées sous l’égide des Nations Unies.
2. Des réfugiés, assez peu nombreux au départ, ont commencé à
fuir la Syrie dès le début du conflit. A la fin de 2011, le nombre
de réfugiés syriens enregistrés était encore inférieur à 9 000 (mais
ils étaient sans doute beaucoup plus nombreux à différents titres
à l’extérieur du pays). A la fin de 2012, ils étaient presque 500
000. L’augmentation la plus spectaculaire a eu lieu en 2013, avec
plus de 2 300 000 personnes dénombrées à la fin de l’année. L'exode
a continué en 2014, avec un nombre total de réfugiés dépassant les
3 700 000 en fin d'année. Le rythme des départs a ralenti au milieu
de 2015, mais la reprise des hostilités à partir de septembre a
contraint 400 000 personnes supplémentaires à quitter la Syrie durant
les mois suivants. Début mars 2016, le nombre total de réfugiés
syriens s’élevait à plus de 4 800 000 personnes.
3. Il n’est pas prévu, dans le cadre du présent rapport, d’effectuer
une analyse détaillée des divers déplacements de population qui
ont eu lieu à partir des différentes régions de la Syrie vers les
pays voisins au cours des cinq années de conflit
. Aujourd'hui encore, le nombre
de personnes qui ont été déplacées à l’intérieur de la Syrie (environ
6,6 millions) est supérieur au nombre de personnes qui ont fui le
pays. La plupart de celles qui ont quitté la Syrie avaient été auparavant
déplacées à l'intérieur du pays, généralement plusieurs fois. Durant
tout le conflit, un certain nombre de réfugiés sont retournés en
Syrie en provenance de pays voisins, soit parce que l'évolution
de la situation en Syrie le permettait, soit parce que les conditions
dans le pays d'accueil étaient devenues insupportables. Globalement,
le nombre de déplacés s’est accru avec le temps, et le nombre de
ceux qui ont cherché refuge dans d'autres pays n’a cessé d’augmenter.
La protection internationale est devenue la seule alternative viable
pour une majorité toujours plus grande d’entre eux, d’autant que
le retour des réfugiés à court, voire à moyen terme, n’a jamais
paru aussi improbable compte tenu de la situation qui règne en Syrie.
4. En outre, les personnes qui fuient la Syrie vont de plus en
plus loin pour trouver la protection durable qu'elles recherchent.
Une enquête du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés
(HCR) sur les réfugiés syriens qui ont traversé la Grèce en 2015
a indiqué que 55 % des personnes interrogées n’avaient pas résidé
dans un pays tiers ou y étaient restées moins de trois mois avant
de faire la traversée vers l'Europe. Les principales raisons qui
les ont amenées à quitter le pays de premier asile ou de transit
étaient le manque de possibilités d'emploi approprié et décent,
des besoins financiers, des problèmes de sécurité et de protection,
la recherche de meilleures perspectives pour leurs enfants et l'espoir
d’accéder à l’éducation. De même, une étude réalisée par le Conseil
danois pour les réfugiés parmi les réfugiés syriens en Jordanie,
au Liban et en Turquie a montré que les conditions qui règnent dans
ces pays, ainsi que la nature apparemment interminable du conflit
syrien, ont été les principaux facteurs de leur migration vers l’Europe,
qui est jugée attrayante en raison des possibilités d’accéder aux
marchés de l’emploi, à l’éducation, aux soins médicaux et à un soutien
matériel. Pour ceux qui ont les moyens et la capacité physique d'entreprendre
le voyage, la migration, dangereuse et incertaine vers l’Europe
est de plus en plus considérée comme préférable à la perspective
d'un séjour prolongé dans un pays de premier asile. Si la politique
de l'Union européenne envers les réfugiés syriens repose sur l'hypothèse
selon laquelle les besoins de protection de la plupart d'entre eux peuvent
être satisfaits en dehors de l'Europe, alors ces éléments doivent
être pris en considération.
5. Le présent rapport a été élaboré dans le cadre du suivi de
la visite effectuée par la commission ad hoc du Bureau de l’Assemblée
à Istanbul et dans les camps de réfugiés syriens à Kilis et Gaziantep
en Turquie
. L'Assemblée
a également adopté plusieurs résolutions relatives aux réfugiés
syriens, notamment la
Résolution 1878
(2012) sur la situation en Syrie, qui invitait instamment les
Etats membres du Conseil de l'Europe à répondre positivement aux
appels des agences des Nations Unies concernant les besoins humanitaires
des réfugiés en Turquie, au Liban, en Jordanie et en Irak et de
ceux qui sont touchés en Syrie même; la
Résolution 1902 (2012) sur la réponse européenne face à la crise humanitaire
en Syrie, qui invitait la communauté internationale à faire preuve
de solidarité avec les Syriens victimes du conflit et avec les Etats
voisins, qui en accueillent la plus grande partie; la
Résolution 1940 (2013) sur la situation au Proche-Orient, qui appelait à une intensification
de l’aide financière au Liban, à la Turquie et à la Jordanie afin
de répondre aux besoins des réfugiés syriens; la
Résolution 1971 (2014) «Les réfugiés syriens: comment organiser et soutenir
l'aide internationale», qui notait que la situation des réfugiés
dans les pays voisins devenait de plus en plus critique et appelait
les Etats à faire preuve de générosité et de solidarité; la
Résolution 2025 (2014) «La réinstallation des réfugiés: promouvoir une plus
grande solidarité», qui comprenait des recommandations précises
sur la situation des réfugiés syriens; la
Résolution 2047 (2015) sur les conséquences humanitaires des actions menées
par le groupe terroriste connu sous le nom d’«Etat islamique», qui
réitérait l’appel de l’Assemblée à tous les Etats pour qu’ils fassent
preuve de solidarité et de responsabilité, et la
Résolution 2073 (2015) «Pays de transit: relever les nouveaux défis de la migration
et de l’asile», qui, sans mentionner explicitement les réfugiés
syriens, portait sur la situation en Turquie, examinée de façon
assez détaillée dans le rapport connexe.
6. Le présent rapport se concentre sur la situation dans les
pays de premier asile voisins de la Syrie, en particulier le Liban,
la Jordanie et la Turquie. Il abordera également un aspect souvent
négligé de la crise des réfugiés syriens, à savoir la situation
spécifique et particulièrement difficile des réfugiés palestiniens
de Syrie («PRS») déplacés vers la Jordanie et le Liban. Le rapport
examinera en outre l'impact social, économique et politique de l'afflux
de réfugiés sur les pays concernés et la réponse des autorités nationales.
Je me pencherai également sur l'assistance fournie par la communauté
internationale et le rôle des organismes internationaux, notamment
le HCR, le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’Office de secours
et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans
le Proche-Orient (UNRWA), en portant une attention particulière
à la récente conférence de Londres et au Plan d'action commun entre
l’Union européenne et la Turquie. Je conclurai par une réflexion
sur la future stratégie et les mesures que l'Europe doit adopter.
2. La situation des réfugiés
syriens dans les pays de premier asile voisins de la Syrie
2.1. La Jordanie
7. La Jordanie accueille désormais
quelque 640 000 réfugiés syriens enregistrés, ainsi qu’un nombre équivalent
de Syriens qui résident dans le pays mais qui ne sont pas enregistrés
en tant que réfugiés. Sa population totale actuelle est de l'ordre
de 7,5 à 8 millions d’habitants. La Jordanie n’est pas partie à
la Convention de 1951 sur le statut des réfugiés et n’applique donc
pas aux réfugiés la protection juridique qui découle des normes
internationales. Elle est néanmoins tenue de respecter le principe
de non-refoulement inscrit dans le droit international coutumier.
Ce point est également mis en évidence dans le mémorandum d’accord
conclu entre la Jordanie et le HCR, qui accorde à ce dernier le
droit de mener une procédure de détermination du statut des réfugiés
et l'oblige à assurer leur protection. La législation nationale
n’accorde pas de droit de résidence officielle aux réfugiés syriens
enregistrés par le HCR, et il a été rapporté que les autorités évitent
souvent de reconnaître officiellement les réfugiés en tant que tels
dans le cadre des dispositions juridiques nationales pertinentes.
8. Un peu plus de la moitié des réfugiés enregistrés sont mineurs
(moins de 18 ans) et un peu plus de la moitié sont des femmes. Dix-huit
pour cent d'entre eux vivent dans des camps de réfugiés, le reste
étant des réfugiés «urbains». Le camp de Za'atari est de loin celui
qui compte le plus grand nombre de réfugiés (80 000). Viennent ensuite
le camp d’Azraq (31 000), que j’ai visité, et le camp financé par
les Emirats arabes unis (6 000). Un immeuble situé à la périphérie
du parc industriel de Cyber City, près de la frontière avec la
Syrie, que j'ai également visité, a été réservé à un groupe d'environ
260 PRS. Parmi les réfugiés urbains enregistrés, la grande majorité
vivent dans le nord de la Jordanie: quelque 178 000 dans le gouvernorat
d’Amman, 141 000 à Irbid, 77 000 à Mafraq et 50 000 à Zarqa.
9. Les principaux camps – Za'atari et Azraq – sont bien équipés,
approvisionnés et organisés, et de nombreux membres du personnel
international des principaux organismes internationaux sont présents
sur le site. Aucun camp n’est surpeuplé: en effet, le nombre de
réfugiés du camp de Za'atari, qui atteignait un niveau record de
plus de 200 000 personnes en avril 2013, a diminué et le camp d’Azraq
est plus qu’à moitié vide. Il est à noter que ce dernier est très
isolé et littéralement entouré par le désert. Il s’agit d’un lieu
prévu pour loger les réfugiés qui viennent d’arriver et qui offre
peu d'attraits, même comme solution à moyen terme. Les besoins les
plus essentiels (logement, soins médicaux et éducation de base)
sont satisfaits, mais chaque ménage n’a pas un accès direct à l’eau
ou à l’électricité, bien que, dans de nombreux cas, l'aide alimentaire
et les soins médicaux sont insuffisants. Très peu d'activités intéressantes
sont offertes aux adultes, à l’exception d'un petit marché récemment
ouvert sur lequel les résidents du camp (et les ressortissants locaux)
peuvent vendre divers produits: denrées alimentaires, vêtements,
jouets et articles électriques achetés à l'extérieur du camp. Les
adultes estiment qu'ils n’ont pas, ou peu, de perspectives d'avenir.
10. La situation du site de Cyber City est très spécifique:
l’explication officieuse de son emplacement et son caractère particuliers
est que les autorités jordaniennes soupçonnent certains de ses résidents
PRS d’entretenir des liens avec des combattants de l'Organisation
de libération de la Palestine qui auraient participé à la guerre
civile – connue sous le nom de «Septembre noir» – qui a eu lieu
en 1970-1971. Quoi qu'il en soit, les conditions qui règnent à Cyber
City sont d’autant plus difficiles que les installations sont
limitées et que leur qualité est assez médiocre. J’ai été rassurée
d'entendre que beaucoup de résidents pourraient être réinstallés, en
particulier au Canada, et demande instamment aux autorités jordaniennes
et aux organismes internationaux compétents d'intensifier leurs
efforts pour trouver une solution à cette situation inacceptable.
11. La situation des 525 000 réfugiés urbains est, à bien des
égards, encore plus difficile que celle des réfugiés qui vivent
dans des camps. Le logement est un problème particulier. En effet,
la pénurie est telle que les prix moyens des loyers ont augmenté
de 14 % entre janvier 2013 et juin 2015 et que des tensions sont apparues
entre les communautés jordanienne et syrienne. Plus de 55 % des
dépenses des réfugiés sont consacrées à l'hébergement, bien que
plus de la moitié des familles de réfugiés syriens partagent un
logement avec au moins une autre famille. Plus de 20 % des familles
de réfugiés syriens ne disposent pas d'un contrat de bail, qui est
une condition sine qua non pour
recevoir une «carte de service» du ministère de l'Intérieur, indispensable
pour accéder aux services publics de santé et d'éducation. Le système
public de soins de santé n’est plus gratuit pour les réfugiés syriens:
j’ai rencontré plusieurs personnes qui avaient été grièvement blessées
lors de combats en Syrie et qui n’étaient plus en mesure, malgré
l’assistance fournie, de payer les soins médicaux dont elles avaient
besoin. En septembre dernier, le PAM a cessé de fournir une aide alimentaire
aux 229 000 réfugiés syriens urbains en Jordanie en raison d'un
financement insuffisant. L’accès à un emploi régulier est très limité:
de nombreux réfugiés travaillent de façon irrégulière, ne bénéficient
pas de la protection de la réglementation du travail, sont mal rémunérés
et vulnérables à d’autres formes d'exploitation. Ceux qui travaillent
sans permis risquent la détention, des amendes, voire l’expulsion
vers la Syrie. Malgré les efforts des autorités syriennes, notamment
l’introduction d’une scolarisation «à double vacation», plus d'un
tiers des enfants de réfugiés syriens ne sont pas scolarisés, et
entre 11 % et 33 % ne répondent pas aux critères d'admission. Certains
fréquentent plutôt les écoles non officielles, où ils courent le risque
d’être radicalisés. Beaucoup de filles devant participer à la «deuxième
vacation, (après-midi)» ne sont pas envoyées à l'école parce que
leurs familles craignent un retour à la maison après le coucher
du soleil. En outre, lorsque les économies et les mécanismes d'adaptation
positifs des ménages sont épuisés, les enfants sont de plus en plus
souvent retirés de l'école et obligés d’effectuer divers travaux
manuels et/ou subalternes, voire de mendier, car les autorités sont
considérées comme étant plus indulgentes envers les enfants qui travaillent
de façon irrégulière. En mai 2015, 14 % des familles de réfugiés
syriens interrogées comptaient sur les salaires de leurs enfants
pour payer le loyer. Il existe également de nombreux cas de familles
ayant recours au mariage de leurs filles mineures, voire aux mariages
«temporaires», qui ne sont guère plus que de la prostitution sanctionnée,
et à des formes plus flagrantes de prostitution et de traite. Malgré
le recours à ces mécanismes d'adaptation négatifs, ou peut-être
à cause d’eux, les deux tiers des réfugiés urbains ont des niveaux
d’endettement très élevés. Plus de 80 % des réfugiés syriens résidant
en Jordanie vivent en dessous du seuil national de pauvreté; d’après
les normes du HCR, qui fixent le niveau auquel une aide monétaire
est accordée, 69 % d’entre eux sont en situation de pauvreté.
12. Il est également très préoccupant qu’un groupe de plus de
20 000 réfugiés syriens soit bloqué par les autorités jordaniennes
à la frontière avec la Syrie, à l’extrême nord-est du pays. Beaucoup
d'entre eux attendent d’entrer en Jordanie depuis plusieurs mois.
Les autorités jordaniennes n’admettent que quelques dizaines de
personnes chaque jour, invoquant des problèmes de sécurité liés
au fait que les réfugiés arrivent de zones contrôlées par «EI».
Les points de passage, auparavant inhabités, de Hadalat et Rubkan,
où les réfugiés vivent désormais dans des tentes de fortune, sont
situés dans une région désertique à environ 150 kilomètres de la
ville la plus proche, ce qui complique la fourniture d’aide humanitaire
essentielle et en augmente énormément le coût. Les autorités jordaniennes
devraient accélérer leurs contrôles et s’efforcer de mettre rapidement
fin à cette situation épouvantable.
13. La présence d’autant de réfugiés urbains a mis une pression
énorme sur les infrastructures et les services de la Jordanie, notamment
les systèmes d’approvisionnement en eau (la Jordanie avait déjà
l'un des plus bas niveaux de disponibilité de ressources en eau
par habitant dans le monde) et d'assainissement, les systèmes d'élimination
des déchets solides, les services de santé et d'éducation, et a
une incidence négative sur l'environnement et les marchés du travail
et du logement. Il est d’autant plus difficile de relever ces défis que
l'économie jordanienne fait face à des difficultés importantes en
raison du conflit en Syrie, qui est un important partenaire commercial,
notamment la perturbation des routes commerciales terrestres vers
l'Irak et le Golfe, et vers l’Europe via la
Turquie. Les recettes du tourisme ont aussi considérablement diminué.
Malgré l'achèvement réussi d’un programme d'urgence du Fonds monétaire
international en novembre, la croissance du produit intérieur brut
(PIB) en 2015 était d'environ 2,5 %, soit un tiers du niveau de
2010, et la dette publique avait augmenté, se situant à 90 % du
PIB alors qu’elle avait baissé au cours de la décennie précédente.
Le chômage est passé de 11,4 % au premier semestre 2014 à 12,5 %
à la même période de 2015. Cette augmentation est peut-être due
en partie au fait que des travailleurs jordaniens ont été remplacés
par des Syriens, même si ces derniers sont pour la plupart employés
dans les secteurs de l'agriculture et de la construction, qui sont
traditionnellement peu attrayants pour les Jordaniens, et dont les
besoins de main-d'œuvre étaient déjà satisfaits auparavant par des
travailleurs migrants. Depuis l'afflux de réfugiés syriens, les autorités
jordaniennes n’accordent plus de visas aux travailleurs étrangers.
Il a toutefois été signalé que la présence d’un nombre aussi important
de réfugiés syriens travaillant irrégulièrement a fait baisser les
salaires des travailleurs non qualifiés dans l'économie informelle.
14. Les Jordaniens ont accueilli les réfugiés en faisant preuve
d’une générosité remarquable, alors qu'ils avaient déjà accueilli
auparavant un nombre considérable de réfugiés venant de Palestine
et d’Irak. Mais il est évident que la capacité sociale et économique
du pays a clairement atteint ses limites et ne lui permet plus de continuer
à prendre en charge autant de personnes désespérées. Le Gouvernement
jordanien a préparé un plan de réponse pour 2016-2018 (JRP2016-18)
dont le but est de continuer à «passer progressivement d’une réponse
fondée sur une approche axée principalement sur les réfugiés à un
cadre global fondé sur la résilience et qui permette de combler
l’écart entre l’action humanitaire à court terme et des interventions
à plus long terme en matière de développement». Un des principaux
thèmes de l'approche du gouvernement jordanien est de trouver un
équilibre entre le soutien apporté aux réfugiés syriens et celui
qui est accordé aux communautés d'accueil et, plus généralement,
à la société et à l'économie. Le plan contient des stratégies d’intervention chiffrées
pour l'éducation, l'énergie, l'environnement, la santé, la justice,
les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire, la gouvernance
locale et les services municipaux, la protection sociale, le logement,
le transport et les secteurs «WASH» (eau, assainissement et hygiène).
Le coût total des «interventions pour les réfugiés» s’élève à près
de 2,5 milliards de dollars et celui du «renforcement de la résilience»
à plus des 2,3 milliards. Dans son «Pacte pour la Jordanie» présenté
à la conférence «Soutenir la Syrie et la Région», tenue à Londres,
le Gouvernement jordanien a également expliqué son intention de
«transformer la crise des réfugiés syriens en une opportunité de
développement qui attire de nouveaux investissements, ouvre le marché
de l'Union européenne grâce à des règles d'origine simplifiées,
crée des emplois pour les Jordaniens et les réfugiés syriens, tout
en soutenant l’économie syrienne après le conflit».
2.2. Le Liban
15. Le nombre de réfugiés syriens
enregistrés dans le pays est désormais d’environ 1 070 000, soit
une baisse de 115 000 personnes par rapport au niveau record atteint
en avril 2015. Il faut également ajouter quelque 400 000 autres
Syriens, pour la plupart des réfugiés non enregistrés. Le Liban
compte 5 850 000 habitants. Au total, les réfugiés syriens représentent
environ un quart de la population. Comme la Jordanie, le Liban n'a
pas signé la Convention de 1951 et c’est le HCR qui est chargé d’enregistrer
les réfugiés. Il n’assure donc pas aux réfugiés la protection juridique
inscrite dans les normes internationales, mais il est néanmoins tenu
de respecter le principe du non-refoulement qui découle du droit
coutumier international. En mai 2015, le Gouvernement libanais a
ordonné au HCR de suspendre l'enregistrement de nouveaux arrivants:
le ministre des Affaires sociales, M. Rashid Derbas, a expliqué
que le Liban ne pouvait plus absorber un nombre aussi élevé de réfugiés.
Afin de renouveler leur permis de séjour annuel, les réfugiés doivent
payer $US 200 et fournir une attestation de résidence (bail ou acte
certifié), un engagement notarié à ne pas travailler et une preuve
de leurs ressources financières. Beaucoup, voire la plupart, des
Syriens réfugiés ne peuvent pas remplir ces conditions. Sans papiers
et en situation irrégulière, les réfugiés craignent en permanence
les arrestations, les détentions et les mauvais traitements, et
éprouvent un très grand sentiment d'insécurité. Il est facile de
comprendre que cette situation peut leur donner envie de rechercher
ailleurs une protection durable.
16. Un peu plus de la moitié des réfugiés enregistrés ont moins
de 18 ans et plus de la moitié sont des femmes. En outre, les disparités
entre les sexes sont particulièrement marquées dans le groupe d'âge
de 18 à 59 ans. Il y a donc tout lieu de penser que beaucoup d'hommes
en âge de travailler n'ont pas été enregistrés, sont retournés en
Syrie ou ont cherché refuge ailleurs (ce qui peut avoir des conséquences
sur le futur regroupement familial). Le fait qu'un cinquième des
ménages soient dirigés par des femmes confirme les observations.
Quelque 261 000 réfugiés vivent dans la région côtière septentrionale,
312 000 à Beyrouth et alentour, 125 000 dans la région côtière méridionale
et 372 000 dans la vallée de la Bekaa, séparée par des montagnes
de la plaine côtière de Beyrouth et, en hiver, souvent inaccessible
par mauvais temps. Il n'y a pas de camps de réfugiés officiels pour
les Syriens au Liban, car les autorités craindraient que les camps permanents
se développent comme ceux des réfugiés palestiniens. Les réfugiés
syriens vivent dans des logements urbains ou dans l’un les 1 900
camps informels répartis dans tout le pays.
17. Une crise du logement sévissait au Liban avant même l'arrivée
massive de réfugiés syriens, ce qui n’a fait, bien entendu, qu’aggraver
la situation. Les réfugiés syriens payent jusqu’à $US 200 par mois,
soit 90 % de leurs revenus, souvent pour vivre dans des installations
insalubres tels que des garages, des hangars et des bâtiments inachevés.
Certains doivent payer un loyer aux agriculteurs pour les bouts
de champs où ils ont dressé des tentes. Ceux qui vivent sous des
tentes dans la vallée de la Bekaa, qui se trouve à une altitude moyenne
de 1 000 m, doivent supporter des températures inférieures à zéro
et la neige pendant l'hiver; au moins quatre sont morts en janvier
2015 dans une tempête de neige. Deux tiers des réfugiés syriens
ont des arriérés de loyer et 20 % ont été menacés d'expulsion; en
2015, 18 000 réfugiés ont été expulsés de leurs foyers. Le HCR a
signalé en août 2015 que 70 % des réfugiés syriens au Liban vivaient
sous le seuil national de pauvreté. 89 % des ménages de réfugiés
syriens ont des dettes, qui s’élèvent en moyenne à $US 842 par ménage.
Des réfugiés syriens ont des difficultés à accéder aux soins de
santé publics, pour lesquels ils doivent payer. La pauvreté et l’endettement
signifient que les réfugiés ont également des difficultés à acheter suffisamment
de nourriture. En outre, en juillet 2015, faute de moyens financiers
suffisants, le PAM a diminué de moitié le montant de son aide alimentaire
mensuelle, qui est passée à $US 13,50 avant de se redresser partiellement,
à $US 21,60. Les réfugiés que j'ai rencontrés dans un magasin équipé
pour recevoir des paiements au moyen des cartes électroniques du
PAM se sont plaints des montants versés, qui n’étaient suffisants,
selon eux, que pour les deux premières semaines du mois, et qui
les obligeaient ensuite à réduire à l’extrême leurs dépenses alimentaires.
18. Sur les 370 000 enfants de réfugiés syriens en âge scolaire
au Liban, 180 000 ne vont pas à l'école, et quelque 40 000 suivent
une éducation «non formelle» (en dehors du système éducatif libanais).
On espère que cette année, 200 000 enfants syriens pourront fréquenter
l'école publique gratuite, les organismes et donateurs internationaux
prenant en charge les frais annuels, d’un montant de $US 60 (l’aide
concerne également les enfants libanais de familles démunies). Les
autorités libanaises ont également l'intention de fermer des écoles
«non formelles», dont les programmes ne sont pas supervisés et les
qualifications non certifiées, et qui peuvent être responsables
de la radicalisation des enfants réfugiés. Comme en Jordanie, les effets
de la pauvreté, de l’endettement et de l’absence de permis de travail,
ainsi que la crainte d'une arrestation, d’une détention, voire d’une
expulsion pour les adultes qui travaillent de façon irrégulière,
l’échec des mécanismes d'adaptation positive et, au moins jusqu'à
récemment, les difficultés d'accès à l'éducation, sont des facteurs
qui incitent souvent les parents à obliger leurs enfants à travailler
dès leur plus jeune âge, ce qui les expose aux abus et à l’exploitation
et nuit gravement d’autant plus à leur avenir qu'ils sont privés d’éducation.
De nombreuses informations signalent aussi l’existence de mariages
d’enfants, une pratique qui viole les droits des petites filles,
et de «mariages temporaires», qui sont une forme dissimulée de prostitution.
19. L'économie libanaise a souffert depuis le déclenchement de
la guerre en Syrie. Des sources gouvernementales m’ont indiqué qu'en
2010, l'économie avait progressé de 8 %, mais qu’à la fin de 2015,
la croissance était nulle, voire négative (bien que la Banque mondiale
continue de faire état d’une croissance d'environ 2,5 % par an),
malgré les effets de l'aide et des dépenses liées à l'aide, qui
sont estimés à 1,3 % de croissance positive. Le déficit budgétaire
est passé à 9 % du PIB par an, et le montant total de la dette publique a
atteint 138 % du PIB, soit 16 points de plus que le niveau prévu
sans la crise. Les causes de cette crise économique sont semblables
à celles de la Jordanie, y compris la perte de la Syrie comme marché d'exportation,
en particulier pour les produits agricoles, et une diminution des
recettes tirées du tourisme. Les secteurs de l’agriculture et de
la construction ont utilisé la main-d'œuvre syrienne pendant les
30 dernières années et environ 300 000 Syriens venaient chaque année
au Liban comme travailleurs migrants saisonniers. Lorsque le conflit
les a contraints à fuir la Syrie, ces travailleurs sont venus au
Liban avec leurs familles et sont restés. Or, le fait que le nombre
de réfugiés syriens soit désormais beaucoup plus important, et que
beaucoup d’entre eux n’aient pas d'autre choix que de travailler
irrégulièrement (90 % des réfugiés syriens qui travaillent n’auraient
aucun contrat de travail formel) a aggravé les effets négatifs produits
sur le marché du travail et les salaires au Liban. Ainsi, entre
2012 et 2014, le taux de chômage a doublé et dépassé la barre des
20 % (30 % pour les jeunes). Deux facteurs illustrent la pression
exercée sur les ressources et les services publics: depuis 2011,
la demande d'eau a augmenté de 28 % et les dépenses municipales
consacrées à l'élimination des déchets de 40 %.
20. Le Liban dispose de quelques avantages pour répondre à la
crise des réfugiés, notamment des ressources en eau suffisants,
un secteur agricole et un secteur financier forts et une diaspora
d'au moins 12 millions de personnes qui ont envoyé des fonds d’un
montant de 9 milliards d’euros en 2014, soit 18 % du PIB. Sur le
plan politique, cependant, le Liban est devenu un état beaucoup
plus fragile, dont le gouvernement central est faible, et qui est
beaucoup plus exposé aux risques d’un conflit intercommunautaire
et sectaire. Il suffit de se souvenir de la guerre civile de 1975-1990
et des occupations israéliennes et syriennes qui ont suivi, ainsi
que des conflits intermittents qui se produisent depuis une dizaine
d’années, pour comprendre la précarité de la situation intérieure
et la facilité avec laquelle elle pourrait être déstabilisée, avec
des conséquences qui pourraient être désastreuses. Les attentats-suicide
organisés par «EI» en novembre 2015 à Bourj el-Barajneh, qui ont
tué environ 40 personnes et qui ont été apparemment planifiés et
commis par un groupe constitué principalement de Syriens, ainsi
que l’attaque commise qui aurait été en représailles par des agents
syriens et du Hezbollah contre un cerveau terroriste montrent à
quel point les choses pourraient se dégrader rapidement.
21. Malgré cette situation délicate, le peuple libanais a fait
preuve d’une hospitalité exceptionnelle à l’égard des réfugiés syriens,
peut-être en raison de leur propre expérience des souffrances infligées
par la guerre civile. Mais les tensions se sont aggravées au fil
du temps et suite à l’augmentation des chiffres et des pressions.
L'évolution de la politique frontalière le montre tout particulièrement,
qui est passé de la politique de «portes ouvertes» qui était appliquée
durant les premières années du conflit syrien, à la politique restrictive
de juin 2014, qui refuse l'accès aux Syriens provenant de régions
qui ne sont pas limitrophes et prône le retour des réfugiés et l’installation
de camps dans des endroits «sûrs» de la Syrie, et la fermeture effective
de la frontière aux réfugiés syriens ainsi que l'introduction de
critères d’enregistrement onéreux décidées en janvier 2015. Ces
mesures ont été accompagnées de déclarations publiques appelant
à une réduction du nombre de réfugiés syriens, un point de vue que
j'ai entendu lors de ma rencontre avec des parlementaires libanais. Cependant,
la rhétorique au vitriol, xénophobe, de nombreux politiciens européens
confrontés à des problèmes de réfugiés somme toute insignifiants
ne nous permet pas vraiment de critiquer la position libanaise. Il
nous reste à admettre, cependant, que la générosité du pays a atteint
ses limites.
22. Le gouvernement a élaboré un Plan de réponse à la crise pour
2015-2016 (LCRP2015-16), qui reconnaît que «le gouvernement et les
communautés du Liban continuent d’être confrontés à une crise qui
menace leur stabilité. De même, les Libanais les plus vulnérables,
les Syriens déplacés et les réfugiés palestiniens ont épuisé toutes
leurs capacités d'adaptation». La réponse libanaise est fondée sur
une stratégie en trois volets: fournir une aide humanitaire et une
protection aux personnes les plus vulnérables que sont les réfugiés
syriens et les Libanais démunis; renforcer les capacités nationales
afin de faciliter l’accès à des services publics de base et améliorer
leur qualité; et consolider la stabilité économique, sociale, institutionnelle
et environnementale du Liban. Comme le plan JRP2016-18 (voir ci-dessus),
le plan LCRP2015-16 adopte une approche chiffrée par secteur et
prévoit un financement total de 2,48 milliards de dollars pour 2016.
2.3. La Turquie
23. On dénombre actuellement 2
715 789 réfugiés syriens en Turquie, qui comptait 78 741 000 habitants en
2015. La Turquie est ainsi le pays qui accueille le plus grand nombre
de réfugiés dans le monde, même si en termes de réfugiés par habitant,
elle est largement dépassée par la Jordanie et surtout le Liban.
Environ 10 % des réfugiés syriens en Turquie vivent dans les 26
camps répartis dans le sud du pays. De nombreux réfugiés vivent
également hors des camps dans le sud du pays, en particulier à Gaziantep,
Sanliurfa, Hatay et Kilis où, dans certains centres urbains, ils
sont plus nombreux que les ressortissants locaux. Une autre population
importante, qui atteindrait 366 000 personnes, vit à Istanbul. La
Turquie a ratifié la Convention de 1951 et le protocole de 1967
mais applique une limitation géographique, qui n’accorde le statut
de réfugiés qu’aux personnes qui fuient des persécutions commises
dans un pays européen, ce qui exclut les réfugiés syriens. Cependant,
en vertu de la loi turque de 2013 sur les étrangers et la protection
internationale, les réfugiés syriens peuvent bénéficier d’une «protection
temporaire» analogue à celle qui découle de la Convention de 1951
sur les réfugiés, notamment la protection contre le refoulement
(sauf qu’un nombre croissant de rapports signalent que la Turquie
procède à des refoulements de réfugiés syriens à sa frontière syrienne).
La Turquie conduit sa propre procédure d'enregistrement, avec l'assistance
technique du HCR. La politique de la Turquie semble avoir changé
ces dernières semaines: des milliers de réfugiés fuyant l'intensification
des combats autour d'Alep se seraient vus refuser l’entrée sur le
territoire turc et 110 000 personnes sont désormais bloquées dans
des camps du côté syrien de la frontière, soit une augmentation
de 58 000 personnes en deux semaines.
24. Les conditions qui règnent dans les camps de réfugiés syriens
en Turquie sont généralement considérées comme supérieures aux normes
internationales: une tente est mise à la disposition de chaque famille,
ainsi que des installations médicales et des écoles (appliquant
le programme syrien), qui sont fréquentées par 90 % des enfants
d'âge scolaire. Il existe également des supermarchés où les réfugiés peuvent
acheter de la nourriture à l'aide de cartes électroniques administrées
par le PAM, et un «marché» regroupant des petites entreprises gérées
par les réfugiés syriens. Cependant, les conditions climatiques observées
dans les camps peuvent être extrêmes, les températures pouvant aller
de -10 degrés Celsius en hiver à plus de 40 degrés en été. Ces conditions
dépendent beaucoup des ressources financières. Ainsi, en février
2015, un déficit de 71 millions de dollars a contraint le PAM à
cesser de fournir une aide alimentaire à 66 000 réfugiés répartis
dans neuf camps.
25. Malgré la dimension de la Turquie, le fait que les réfugiés
syriens qui vivent hors des camps soient concentrés dans quelques
régions a inévitablement exercé une forte pression sur le marché
du logement et entraîné une augmentation des loyers de 60 % à 70 %
dans les provinces situées le long de la frontière. Comme en Jordanie
et au Liban, beaucoup de réfugiés sont contraints de vivre dans
des logements insalubres (25 % seulement des personnes interrogées
dans un sondage avaient accès au chauffage et 35 % avaient un accès
aisé aux toilettes et aux douches) et/ou de partager des logements
surpeuplés avec d'autres familles (32 % des logements, d'une taille
moyenne de 2,1 pièces, abritaient plus d'une famille). Des informations rapportent
que les propriétaires turcs sont devenus réticents à louer à des
réfugiés syriens; en même temps, certains Turcs considèrent que
les propriétaires préfèrent des réfugiés syriens comme locataires
parce qu'ils sont prêts à accepter de vivre dans des logements surpeuplés.
Les soins de santé pour les réfugiés syriens vivant hors des camps
sont théoriquement gratuits et ont été généralement bien administrés,
en collaboration avec l'OMS et d'autres organismes internationaux.
Les résultats sont globalement satisfaisants, mais on note, par
exemple, une augmentation de 30 % à 40 % du nombre de patients des
hôpitaux. Des problèmes doivent également être mentionnés: en mars
2015, par exemple, 5 000 pharmaciens d’Istanbul ont refusé de fournir des
médicaments aux réfugiés syriens parce que le gouvernement ne les
remboursait pas.
26. En 2014-2015, 25 % seulement des enfants réfugiés syriens
d'âge scolaire vivant en dehors des camps fréquentaient l’école;
en Syrie avant la guerre, 99 % fréquentaient l'école primaire et
82 % l'école secondaire. Certains ont perdu plus de quatre années
de scolarité; d'autres, qui sont arrivés en Turquie avant d'atteindre l'âge
scolaire, n’ont jamais été à l'école. Certes, les autorités turques
ont fait des efforts pour améliorer l'accès à l'éducation en dehors
des camps, notamment en ouvrant des écoles le week-end, en supprimant
les critères officiels en matière de résidence et en accréditant
des «centres d'éducation temporaires» qui dispensent un enseignement
approuvé en langue arabe, mais les perspectives d'avenir d'une génération
d’enfants de réfugiés syriens sont compromises. Beaucoup travaillent
dans le secteur informel, notamment l'agriculture et la confection,
tombe dans la mendicité, et sont vulnérables au risque d'exploitation
et à d'autres formes d'abus. Le mariage d'enfants est également
un mécanisme d’adaptation négatif de plus en plus commun (en 2014,
les autorités turques ont indiqué que 14 % des filles syriennes
âgées de 15 à 18 ans étaient mariées; la plupart des cérémonies
étant plus religieuses que civiles, il est probable que le chiffre
réel soit plus élevé) tout comme la prostitution, qui englobe les
«mariages temporaires».
27. La Turquie estime avoir consacré plus de 7 milliards d’euros
au soutien des réfugiés syriens depuis le début de la crise. Elle
a pris en charge initialement toutes les dépenses liées à ce soutien,
mais depuis 2012, elle a également sollicité, et reçu, une aide
internationale, mais somme toute assez modeste. La croissance économique
annuelle, qui se situait à 9,2 % en 2010, a chuté, passant à 2,2 %
en 2012. Cette baisse est due en partie à la perturbation des échanges
commerciaux avec la Syrie, qui aurait coûté 6 milliards de dollars
entre 2011 et 2014, et à une diminution des recettes touristiques
de l’ordre de 1,6 milliard de dollars sur la même période. D’autres
facteurs, notamment la crise financière de l'Union européenne et
une augmentation de 25 % des dépenses de défense entre 2010 et 2014
auront eu également des effets significatifs. Des rapports récents suggèrent,
cependant, que l'activité économique des réfugiés syriens et les
dépenses du gouvernement pour les soutenir ont stimulé l'économie,
qui a affiché des taux de croissance plus élevés que les 4 % prévus
en 2015, et poussé le gouvernement à relever ses prévisions de 4 %
à 4,5 % pour 2016. La loi de 2013 sur les étrangers et la protection
internationale autorisait, en principe, les réfugiés syriens à travailler,
mais ce n’est qu’en janvier 2016 que la législation secondaire nécessaire
a été adoptée. Six mois après avoir reçu des cartes d'identité,
les réfugiés peuvent donc demander des permis qui ne leur permettent
de travailler que dans les provinces où ils sont enregistrés mais
qui les autorisent à effectuer tout type de travail. Les employeurs peuvent
embaucher jusqu'à 10 % de leur main-d’œuvre parmi les réfugiés syriens.
Il n’y a pas de limite dans le secteur agricole. Dans l’intervalle,
un grand nombre de réfugiés syriens ont travaillé de façon irrégulière,
et beaucoup continuent sans doute de le faire, souvent dans des
conditions où ils sont exploités. Cette situation a eu pour effet
de transférer les travailleurs turcs, en particulier les femmes
et les personnes les moins instruites, au secteur informel, notamment
l'agriculture, la construction et la confection, mais elle a cependant permis
à certaines catégories de travailleurs turcs, les hommes les moins
instruits notamment, de trouver un emploi dans un secteur formel
élargi. Les Turcs ont néanmoins le sentiment que les réfugiés syriens
«prennent nos emplois». La présence d'un grand nombre de réfugiés
syriens qui vivent hors des camps, en particulier dans les provinces
du sud, a exercé une forte pression sur les services municipaux,
notamment la gestion des déchets solides et des eaux usées, et des
infrastructures.
28. Il existe un certain nombre de soi-disant «centres de rétention
avant renvoi» en Turquie où des réfugiés, y compris des mineurs
non accompagnés, sont détenus. La situation dans ces «centres» est
telle qu'une organisation des droits humains a écrit à la délégation
de l'Union européenne en lui demandant de visiter l'un d'entre eux.
Lorsque la délégation de l'Union européenne a visité le «centre»,
ils n’ont trouvé que des réfugiés qui sont arrivés la veille, tous
les détenus précédents ayant été transférés dans un lieu inconnu.
Le 11 février, un groupe d'organisations non gouvernementales (ONG)
a publié un communiqué critiquant la situation dans ces «centres»
et demandant d’y avoir accès, ce qui a jusqu'à présent été refusé;
seul le Croissant-Rouge a accès. Quand j'étais en Turquie début
mars avec une délégation de la Commission des droits de l'homme
du Parlement allemand, on nous a refusé l'accès au «centre de rétention
avant renvoi» à Izmir.
2.4. Réfugiés palestiniens vivant
auparavant en Syrie
29. Comme indiqué ci-avant, les
réfugiés palestiniens, particulièrement ceux qui vivaient auparavant
en Syrie, ont été particulièrement touchés par le conflit. Les familles
déplacées de Syrie sont devenues des réfugiées pour la deuxième,
voire la troisième fois, et les conséquences plus larges de la crise
des réfugiés dans des pays tels que la Jordanie et le Liban ont
eu un impact sur les communautés de réfugiés palestiniens qui y
vivaient déjà. De même, le fait qu’ils soient presque exclusivement
pris en charge par l’UNRWA, et non par le HCR conformément à la
Convention de 1951 sur les réfugiés et au Statut du Haut-Commissariat,
les a laissés quelque peu à l’écart d'une grande partie de l'aide
internationale destinée aux réfugiés syriens. Il est encore plus
inexcusable que les réfugiés palestiniens, qui sont pour la plupart
techniquement apatrides, ne soient pas reconnus au même titre que
les réfugiés syriens lorsqu’ils arrivent en Europe, même s’ils détiennent des
documents de l'UNRWA et si leurs familles vivent en Syrie depuis
des générations. En outre, les besoins de financement des opérations
visant à soutenir les réfugiés syriens peuvent avoir eu un impact
sur les services fournis aux réfugiés palestiniens par l'UNRWA,
qui a dû faire face à une grave crise financière en 2015 au point
que l’Office aurait sans doute été contraint à reporter l'ouverture
de son année scolaire si les Etats du Golfe n’avaient pas fait de
dons à la dernière minute.
30. L'UNRWA a lancé en 2016 un «appel d’urgence pour la crise
régionale en Syrie» visant à mobiliser des fonds d’un montant total
de près de 410 millions de dollars pour 2016, dont 63 millions de
dollars pour le Liban, qui accueille désormais 42 000 PRS (soit
450 000 réfugiés palestiniens au total), et 17 millions de dollars
pour la Jordanie, qui accueille 18 000 PRS (soit 2 097 000 réfugiés
palestiniens au total). Les réfugiés palestiniens de Syrie font
partie des personnes les plus vulnérables d’une population déjà
vulnérable de réfugiés syriens. Sans ces ressources financières,
la Jordanie et le Liban ne pourront pas satisfaire à leurs besoins
de protection, qui sont considérables.
3. La réponse européenne
3.1. Objectifs stratégiques
31. L'objectif principal de la
communauté internationale doit être de garantir la paix en Syrie
et de créer les conditions permettant le retour des réfugiés dans
de bonnes conditions de sécurité. C’est aussi ce que veulent surtout
les réfugiés. Cependant, la paix étant peu probable, au moins à
court terme, et le retour en toute sécurité de la majorité des réfugiés
étant difficile, même à moyen terme, la protection internationale
restera une nécessité. Elle devra être assurée aussi près que possible
de leur domicile, non pas parce que les réfugiés syriens ne sont
pas le problème de l'Europe, ou parce que la présence de réfugiés
syriens est un danger pour les pays européens (ce qui est faux dans
un cas comme dans l’autre), mais parce que la protection facilitera le
retour futur et que, dans l'intervalle, elle permet aux réfugiés
de maintenir des liens avec leurs foyers et le contact avec les
membres de la famille qui sont restés en Syrie. Il est vrai également
que beaucoup de réfugiés syriens se sentent plus à l'aise dans des
sociétés qui ressemblent à la leur, et qu'il est plus économique
et efficace de fournir une aide humanitaire aux réfugiés dans des
pays tels que la Jordanie, le Liban et la Turquie qu’en Europe occidentale.
Si l’on raisonne au-delà des craintes infondées et de la xénophobie
de ceux qui considèrent que les réfugiés syriens sont une menace,
on s’aperçoit que la politique consistant à aider les pays voisins
de la Syrie qui supportent déjà le vrai fardeau de la crise des
réfugiés est une bonne politique. La réduction de la «migration
irrégulière» et du nombre de demandes d'asile en Europe peut être
une conséquence de l’efficacité de cette politique, mais elle ne
devrait pas être considérée comme le principal objectif. En clair,
la priorité doit être donnée aux réfugiés. Si les besoins des réfugiés
ne peuvent pas être satisfaits dans les pays voisins, parce que
ceux-ci ont atteint les limites de leur capacité d'absorption, il
devient également impératif de mettre en place des solutions en
dehors de la région.
32. L’étude ci-dessus de la situation en Jordanie, au Liban et
en Turquie montre que les trois pays subissent des contraintes sociales,
politiques et économiques très graves. Certes, des différences existent
entre les situations de chacun de ces pays, mais les éléments communs
sont également nombreux. Du point de vue des réfugiés, les éléments
communs sont notamment: un statut juridique incertain et une protection
précaire (surtout en Jordanie et au Liban), le manque de logements
décents et abordables, les pénuries alimentaires, l’absence de permis
de travail qui encourage l'emploi irrégulier et l'exploitation,
la pauvreté et l’endettement, un accès inadéquat aux soins de santé,
un accès insuffisant à l'éducation et le recours à des stratégies d'adaptation
négatives tels que le travail des enfants, les mariages précoces
et la prostitution. Du point de vue des communautés d’accueil, ces
éléments communs sont notamment: la pénurie de logements et les augmentations
de loyer, la hausse des prix des aliments, la concurrence sur le
marché du travail et les réductions de salaire (surtout dans l'emploi
informel), la pression sur les infrastructures et services municipaux, la
dégradation de l'environnement, et les contraintes budgétaires énormes
qui ont gonflé la dette publique et compromis la croissance économique.
Globalement, l’impact a été le plus ressenti par les plus démunis,
qui vivent souvent aux côtés des réfugiés qui habitent hors des
camps dans les mêmes quartiers. Du point de vue des réfugiés et
des communautés, la situation actuelle est intenable. Cependant,
les différences sont aussi importantes et ne doivent pas être négligées,
notamment l’isolement relatif de la Jordanie, qui ne lui permet pas
de profiter de débouchés faciles à l’exportation, et le manque d’avantages
comparatifs évidents, ainsi que la fragilité socio-politique du
Liban.
33. Dans une large mesure, l’argent peut atténuer un grand nombre
de ces problèmes. S’il n’est peut-être pas suffisant à lui seul,
il est certainement une condition préalable et nécessaire pour les
pays concernés, qui doivent fournir une protection durable à la
plupart des réfugiés qu'ils hébergent en nombre considérable, tout en
protégeant leurs propres sociétés contre les contraintes et les
tensions qui en résultent. Même si cet objectif est atteint, il
ne soustrait toutefois pas la communauté internationale de l'obligation
de fournir une protection, principalement aux réfugiés les plus
vulnérables dont les besoins particuliers ne pourraient sans cela
être satisfaits. Les programmes de réinstallation mis en place pour
ces personnes, et pour d’autres, suffisamment nombreux pour soulager
une partie du fardeau qui pèse sur les pays de premier asile, sont
un élément essentiel de toute stratégie future. Mais si la communauté
internationale ne fournit pas une aide suffisante à des pays tels
que la Jordanie, le Liban et la Turquie, les réfugiés seront contraints
de chercher une protection ailleurs, et au lieu d’un processus de
réinstallation qui se déroule de façon contrôlée et qui donne la
priorité aux plus vulnérables, c’est le chaos et le flux aveugle
de réfugiés désespérés transitant par la Grèce et les Balkans occidentaux
qui continueront de se produire, couvrant l'Europe d’une honte éternelle.
La fermeture des frontières ou l'admission quotidienne d’un nombre
restreint de réfugiés – comme c’est le cas actuellement – ne sont
pas des solutions qui permettent d’éliminer les causes profondes
de la crise, sans compter que le gouvernement et les populations
de la Grèce ne peuvent pas faire face aux conséquences d'une situation
qui a évolué en raison des échecs de la communauté internationale.
3.2. La conférence de Londres
34. La conférence «Soutenir la
Syrie et la région», qui s’est tenue à Londres le 4 février 2016,
poursuivait trois objectifs: accroître sensiblement les financements
pour répondre aux besoins immédiats et aux engagements pris à moyen
terme en matière d’aide humanitaire, de résilience et de développement
(jusqu'en 2020); répondre aux besoins à long terme en recensant
les moyens de renforcer la résilience en créant des emplois et des
débouchés économiques et en offrant des possibilités d'éducation;
maintenir la pression sur les parties au conflit afin de protéger
les civils qui en sont victimes, et veiller à ce que la communauté
internationale soit prête à soutenir un effort coordonné de stabilisation
lorsque les conditions le permettront. Notant que les appels de
fonds inter-institutions coordonnés par les Nations Unies en 2015
n’ont été financés qu’à hauteur de 56 %, la conférence a donné lieu
à des engagements de plus de $US 11 milliards de la part des Etats,
soit $US 5,9 milliards pour 2016 et 5,4 milliards de dollars supplémentaires
pour 2017-2020. Les banques multilatérales et d’autres donateurs
ont annoncé des prêts d’un montant d’environ $US 40 milliards, dont certains
(notamment le prêt de $US 200 millions de la Banque mondiale au
Liban et à la Jordanie) seraient accordés à des conditions préférentielles.
Dans la Déclaration finale, les participants se sont félicités de l'engagement
pris par les pays d'accueil de permettre aux réfugiés d'accéder
aux marchés du travail et d’offrir un soutien dans des domaines
tels que l'accès aux marchés extérieurs, les financements assortis
de conditions préférentielles, ainsi qu’un soutien externe pour
la création d'emplois, estimant que jusqu'à 1,1 million d'emplois
pourraient être créés. Ils ont également pris note des besoins spécifiques
des réfugiés palestiniens, ainsi que de la nécessité présumée de
fonds supplémentaires pour l'UNRWA, sans que le montant en soit
précisé.
35. Certes, ces résultats sont impressionnants et la participation
étroite de la Jordanie, du Liban et de la Turquie à la conférence
de Londres est un signe rassurant que leurs besoins particuliers
ont été pris en considération, mais on ne peut pas affirmer pour
autant que la déclaration finale soit en elle-même un résultat concret.
L'expérience montre que les promesses de financement ne sont souvent
pas honorées. En outre, les financements pourraient s’avérer insuffisants.
En effet, les 5,9 milliards de dollars promis pour 2016 doivent servir
à financer un large éventail d'activités, tandis que le plan régional
pour les réfugiés et la résilience a besoin à lui seul d’un montant
équivalent, rien que pour la Jordanie, le Liban et la Turquie. Le
résultat final attendu est également tributaire d'un certain nombre
d'hypothèses qui peuvent être, ou non, réalistes, notamment la capacité
des économies des pays d'accueil à tirer profit de nouveaux marchés
d'exportation et à créer un grand nombre d’emplois nouveaux. Cependant,
la conférence de Londres a certainement permis de sensibiliser la
communauté internationale aux énormes problèmes auxquels sont confrontés
les pays voisins de la Syrie, qui accueillent des populations considérables
de réfugiés syriens, et de mieux faire comprendre que la situation
exige une réponse internationale coordonnée. Il est absolument crucial
que les promesses de financement soient honorées dans leur intégralité,
mais il ne faudrait pas non plus que la communauté internationale,
en particulier les Etats européens et l'Union européenne, en conclue
qu’elle est dégagée de ses responsabilités uniquement parce qu'elle
a promis de l’argent.
36. Cela étant, il convient de rappeler que la crise des réfugiés
syriens relève non seulement de la responsabilité des Etats voisins
et de l'Europe, mais aussi de la communauté internationale dans
son ensemble. D'autres Etats, y compris dans la région du Moyen-Orient,
devraient également adopter une approche similaire, qui consiste
non seulement à apporter une aide financière, ce que beaucoup se
sont engagés à faire lors de la conférence de Londres, mais aussi
à créer des voies humanitaires d'admission des réfugiés syriens.
3.3. Le Plan d'action commun
entre l’Union européenne et la Turquie
37. Le 15 octobre, l'Union européenne
et la Turquie ont approuvé un Plan d’action commun pour trouver une
solution à la crise des réfugiés, plans qu’ils ont décidé de mettre
en œuvre le 29 novembre. Le «Plan d’action UE-Turquie» a pour but
de traiter la crise en s’attaquant aux causes profondes de l’arrivée
massive de Syriens, d’aider les réfugiés syriens et leurs communautés
d'accueil en Turquie, et de renforcer la coopération afin de prévenir
la «migration irrégulière». L'Union européenne a indiqué qu'elle
entendait mobiliser concrètement, et de manière durable, des ressources
financières supplémentaires importantes, adaptées aux nouveaux besoins,
et contribuer aux efforts déployés par la Turquie pour résoudre
les problèmes posés par l’afflux de réfugiés syriens. Sur la base
d'une évaluation complète des besoins menée conjointement, la priorité
devrait être accordée à l'aide humanitaire, au soutien juridique,
administratif et psychologique, aux centres communautaires, à l'autonomie
et la participation à l’économie, à la lutte contre l'exclusion
sociale, à l'accès à l'éducation, aux infrastructures et aux services.
Pour sa part, la Turquie a pris des engagements, dont la mise en
œuvre intégrale de la loi de 2013 sur les étrangers et la protection internationale,
qui garantit l'accès aux services d'éducation et de santé et répond
aux besoins de protection des personnes vulnérables.
38. Malheureusement, l'accord sur la mise en œuvre du Plan d’action
commun a été suivi d'une période au cours de laquelle des membres
de l’Union européenne se sont livrés à des querelles pitoyables
à propos des financements. Ces problèmes n’ont été réglés qu'au
début de février, lorsqu’un accord a été conclu sur la provenance
des 3 milliards (en fait, 1 milliard d’euros provient du budget
de l'Union européenne, et le reste est versé par les Etats membres).
Dans l'intervalle, la Commission européenne a élaboré un premier
rapport de mise en œuvre pour la période allant du 30 novembre au
16 décembre. Le rapport, qui examinait principalement les mesures
prises contre l’«immigration irrégulière», notait également que
le «Groupe d’action pour la réforme» du Gouvernement turc avait
décidé d'adopter une série de mesures, notamment, par exemple, une
législation secondaire sur les permis de travail pour les réfugiés
syriens, dans le cadre de la loi de 2013 sur les étrangers et la
protection internationale. Le rapport notait en outre qu’il avait
été décidé, dans le cadre du fonds fiduciaire régional de l'Union
européenne pour la Syrie, d’adopter de nouvelles décisions financières
prévoyant un budget allant jusqu’à 150 millions d’euros pour les
actions menées en Turquie. L'accent mis sur les contrôles aux frontières
et la «migration irrégulière» a été rappelé par M. Frans Timmermans,
vice-président de la Commission européenne, lors de sa visite en
Turquie le 11 janvier 2016. Il est important que l'aide communautaire
aux Syriens réfugiés en Turquie ne devienne pas subordonnée à une réduction
du nombre de personnes (tous ne sont pas, loin s’en faut, des réfugiés
syriens) qui traversent la mer Egée entre la Turquie et les îles
grecques.
39. Un deuxième rapport de mise en œuvre, publié le 10 février
2016, donnait également la priorité à la «migration irrégulière».
Ce rapport notait aussi l’adoption, entre autres, de la législation
secondaire sur les permis de travail. Il indiquait également que
l'Union européenne avait créé une «Facilité pour les réfugiés en Turquie»
afin d’administrer le fonds de 3 milliards de dollars ainsi qu’un
mécanisme pour coordonner les efforts déployés par l'Union européenne
et ses Etats membres pour aider la Turquie à accueillir les réfugiés
syriens. La Facilité «fournira une assistance dès que possible»
dans le cadre des priorités prévues, notamment l'aide humanitaire,
l’aide socio-économique (éducation et formation), l'accès au marché
du travail, les soins de santé et l'inclusion sociale ainsi que
les infrastructures municipales. Une première évaluation des besoins
a été annoncée, qui permettra de recenser les projets qui seront
financés par le fonds. Le rapport mentionnait que, depuis le début
de la crise, l'Union européenne avait déjà fourni € 365 millions
d’aide directe aux réfugiés syriens et aux communautés d'accueil
en Turquie. Une autre réunion spéciale entre les chefs d'Etat ou
de gouvernement de l’Union européenne et la Turquie a eu lieu le
7 mars 2016 à Bruxelles. La mise en œuvre du Plan d’action commun
est une question prioritaire inscrite à l'ordre du jour.
3.4. Réunion de haut niveau sur
le partage au plan mondial des responsabilités par des voies d'admission
des réfugiés syriens
40. Le 30 mars, le HCR accueillera
à Genève une «réunion de haut niveau sur le partage au plan mondial des
responsabilités par des voies d'admission des réfugiés syriens».
L'objectif de cet événement est double: créer ou élargir les voies
humanitaires d’admission, conçues spécifiquement pour assurer la
protection des réfugiés ayant des «besoins pressants». Ces voies
peuvent comprendre la réinstallation/l’admission pour des motifs
humanitaires, le parrainage privé, les visas humanitaires et l’évacuation
sanitaire; et faciliter l’accès à d’autres voies d’admission, telles
que l’admission des membres de leur famille (au-delà des conditions existantes
pour le regroupement familial), des programmes de bourses d’études
et d’apprentissage, des systèmes de mobilité de la main-d’œuvre,
en assouplissant ou en supprimant certaines barrières légales ou des
formalités administratives d’admission. Le but poursuivi est d’obtenir
des voies d’admission pour au moins 10 % de la population syrienne
réfugiée au cours des trois prochaines années.
41. J'espère sincèrement que cette initiative sera accueillie
avec le même enthousiasme que la conférence de Londres. Les deux
approches sont nécessaires pour que la communauté internationale
trouve une solution efficace à la crise des réfugiés syriens: l’argent
seul ne suffira pas à assurer une protection adéquate des réfugiés
et à renforcer la résilience de leurs communautés d'accueil.
4. Conclusions et recommandations
42. Le conflit syrien, qui s’est
aggravé rapidement au point de devenir incontrôlable, et dans lequel beaucoup
d'autres pays portent au moins une part de responsabilité, a créé
ce qui est peut-être la plus grave crise de réfugiés que le monde
ait connue depuis la seconde guerre mondiale. Les pays voisins de
la Syrie, impliqués ou non, portent le poids de ce conflit et l'Europe
n’a pas fait jusqu'à présent ce qu’il fallait faire pour s’acquitter
de ses responsabilités morales et juridiques.
43. La réponse européenne doit reposer sur des principes clairs:
ceux qui ont fui le conflit en Syrie ont droit à une protection
internationale; cette protection est généralement, mais pas toujours,
mieux assurée dans les pays voisins; ces pays voisins ne peuvent
pas fournir cette protection s’ils ne bénéficient pas d’un soutien extérieur
important, qui doit être adapté à leur situation particulière; ce
soutien doit inclure une aide financière suffisante, ainsi que des
mesures techniques, notamment un accès privilégié aux marchés d’exportation;
il doit être accompagné de voies humanitaires d’admission/réinstallation
pour les réfugiés syriens, qui donnent la priorité aux plus vulnérables
et évitent aux réfugiés d’emprunter des itinéraires dangereux et
irréguliers pour chercher une protection en Europe. En particulier,
les cas de regroupement familial devraient être prioritaires; la
délivrance de visas pour les membres de familles avec des enfants
ou des parents dans des pays européens doit être rapide et la procédure
doit être simplifiée. Plusieurs personnalités, y compris dans les
services des visas allemands, ont proposé que l'obligation de visa
soit levée pour les membres de la famille; de telles personnes devraient
plutôt recevoir un permis d’entrée après la vérification de leur
identité. Vu que seulement 3 % des demandeurs provenant de la Turquie
se voient refuser un visa, la procédure de visa lourde devrait être
supprimée pour tous ces demandeurs.
44. Les organisations internationales, notamment les Nations Unies
et ses organes subsidiaires, doivent prendre exemple sur l’UNRWA
et employer dans une plus grande proportion du personnel local ainsi
que des réfugiés, au lieu de recruter un grand nombre de fonctionnaires
internationaux qui sont exagérément coûteux. Ce recrutement pourrait
ouvrir de nouvelles perspectives aux réfugiés concernés. En outre,
des membres du personnel parlant leur langue et ayant la même origine
pourraient, dans de nombreux cas, prêter une oreille beaucoup plus
attentive aux besoins des réfugiés.
45. Des initiatives telles que la conférence de Londres, le Plan
d'action conjoint UE-Turquie et la réunion de Genève doivent bénéficier
d’une importance égale et être considérées comme formant la base
d'un ensemble de mesures coordonnées au niveau international. Mais,
surtout, la communauté internationale, notamment les Etats européens
et l'Union européenne, doit être prête à faire plus par le biais
de la réinstallation et du regroupement familial si les efforts
qu’elle mène actuellement s'avèrent insuffisants.