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Rapport | Doc. 14008 | 31 mars 2016

Engagement renouvelé dans le combat contre l’antisémitisme en Europe

Commission sur l'égalité et la non-discrimination

Rapporteur : M. Boriss CILEVIČS, Lettonie, SOC

Origine - Renvoi en commission: Doc 13751, Renvoi 4127 du 24 Avril 2015. 2016 - Deuxième partie de session

Résumé

Les attaques ciblées à l’encontre des membres de la communauté juive ces dernières années dans plusieurs Etats membres du Conseil de l’Europe montrent que l’antisémitisme reste une menace. Il se fonde sur des stéréotypes persistants, l’ignorance et la haine, et est contraire aux valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. Historiquement, les manifestations d'antisémitisme ont montré comment les préjugés et l'intolérance peuvent conduire au harcèlement, à la discrimination et, en fin de compte, à l’extermination de masse et au génocide. A la lumière des événements récents et de la montée de l’intolérance et de la xénophobie, il faut redoubler d’efforts afin de prévenir et de lutter contre ce fléau.

La pleine mise en œuvre d’un cadre législatif antidiscrimination et antiracisme complet est une condition préalable à une action efficace contre l’antisémitisme. La continuation des programmes d’enseignement et de la mémoire de l’Holocauste, les campagnes de sensibilisation et l’adoption de mesures spécifiques contre le discours de haine, y compris en ligne, peuvent contribuer à prévenir ses manifestations. L’accent devrait aussi être mis sur l’instauration de la confiance dans les autorités nationales afin d’encourager le signalement des attaques et des crimes de haines antisémites.

L’action au niveau politique étant essentielle, les gouvernements et les parlements devraient considérer la lutte contre l’antisémitisme comme une priorité. Les parlementaires ont la responsabilité de démontrer leur engagement et leadership politique pour la protection des droits humains. Ils peuvent jouer un rôle important pour la prévention de l’antisémitisme en condamnant systématiquement et publiquement les attaques et discours antisémites.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 11 mars
2016.

(open)
1. Les attaques ciblées à l’encontre des membres de la communauté juive ces dernières années dans plusieurs Etats membres du Conseil de l'Europe montrent bien que l'antisémitisme n’est pas un fléau du passé, mais une menace et une réalité en Europe aujourd’hui.
2. L'Assemblée parlementaire constate depuis quelques années une augmentation inquiétante du nombre de manifestations de discours de haine, de racisme, de xénophobie et d'intolérance en Europe qui touchent les migrants, les demandeurs d'asile, les juifs et les musulmans, de même que les Roms, les Sinti et les Gens du voyage. Elle a condamné sans relâche les manifestations de haine et d'intolérance et appelé ses membres à adopter une position ferme contre de telles manifestations.
3. Historiquement, les manifestations d'antisémitisme ont montré comment les préjugés et l'intolérance peuvent conduire au harcèlement systématique, à la discrimination et, finalement, à l’extermination de masse et au génocide. Encore aujourd'hui, les membres de la communauté juive en Europe sont chaque jour victimes de stéréotypes persistants, d’insultes et de violence physique. Des mécanismes de protection limités et la mise en œuvre partielle de la législation anti-discrimination et anti-racisme ne garantissent pas l'égalité et la sécurité pour tous.
4. L'antisémitisme et ses manifestations sont en contradiction avec les valeurs fondamentales du Conseil de l'Europe. Il trouve son origine dans les préjugés profondément ancrés dans la société à l’encontre des juifs, et seuls des efforts de sensibilisation accrus auprès de la population et une forte condamnation politique seraient en mesure de les éradiquer. L'Assemblée se dit préoccupée par le fait que les stéréotypes discriminatoires se perpétuent et elle appelle à agir pour lutter contre ce fléau.
5. La plupart des Etats membres ont pris des mesures pertinentes pour lutter contre l'antisémitisme et la discrimination. Mais à la lumière des récents événements, les Etats membres doivent faire preuve d’une vigilance accrue et redoubler d’efforts pour répondre aux nouveaux défis. Les gouvernements et les parlements devraient considérer la lutte contre l’antisémitisme comme une priorité et leur responsabilité comme étant partie intégrante des politiques et des actions de lutte contre toutes les formes de haine.
6. Se référant à sa Résolution 1563 (2007) «Combattre l’antisémitisme en Europe», l'Assemblée rappelle que l'antisémitisme représente un danger pour tout Etat démocratique, car il sert de prétexte pour utiliser et pour justifier la violence. L'Assemblée soutient également les travaux entrepris par la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) afin de prévenir et de combattre toutes les formes de racisme et d'intolérance, dont l'antisémitisme. Il faut s’assurer que sa Recommandation de politique générale No 9 sur la lutte contre l’antisémitisme et le suivi de ses recommandations formulées à l’occasion de ses visites de pays sont pleinement mis en œuvre.
7. A la lumière de ces considérations, l'Assemblée invite les Etats membres du Conseil de l'Europe, les observateurs et partenaires pour la démocratie:
7.1. en ce qui concerne la condamnation et la poursuite des crimes antisémites:
7.1.1. à veiller à ce que le cadre législatif de lutte contre la discrimination, quel qu’en soit le motif, et le discours de haine soit complet et mis en œuvre, couvrant les manifestations d’antisémitisme, dont l’incitation publique à la violence, à la haine ou à la discrimination, les injures publiques, les menaces et la dégradation ou la profanation de biens ou de monuments juifs;
7.1.2. à ériger en infraction pénale la négation publique, la banalisation, la justification ou l'éloge de l’Holocauste («Shoah»), des crimes de génocide et des crimes contre l'humanité, lorsque cela n’est pas déjà le cas;
7.1.3. à faire d’un motif fondé sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la religion ou les convictions une circonstance aggravante d'une infraction pénale, lorsque cela n’est pas déjà le cas;
7.1.4. à assurer la poursuite des personnalités publiques et des partis politiques pour propos antisémites et appels à la haine;
7.1.5. à supprimer le financement public des organisations et partis politiques qui promeuvent l’antisémitisme;
7.1.6. à signer et ratifier, s’ils ne l’ont pas déjà fait, le Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 177);
7.2. en ce qui concerne le signalement des crimes à caractère antisémite et autres crimes de haine:
7.2.1. à accroître le niveau de confiance dans les autorités nationales en dispensant des formations sur la lutte contre le crime de haine et la discrimination aux agents de police et en mettant en place des unités dédiées de lutte contre le crime de haine dans les forces de police, lorsque cela n’est pas déjà le cas;
7.2.2. à encourager les victimes à signaler les crimes antisémites et autres crimes de haine en lançant des campagnes d'information sur la manière de signaler ces crimes;
7.2.3. à redoubler d'efforts pour assurer la collecte de données sur les crimes de haine ventilées par motivation et assurer la publication du nombre de plaintes et leur motivation;
7.2.4. à encourager la coopération entre la police, le pouvoir judiciaire, les éducateurs et les organisations de la société civile dans l’aide aux victimes de crimes de haine;
7.3. en ce qui concerne la prévention de l'antisémitisme:
7.3.1. à exiger que les programmes éducatifs mettent en avant le lien entre les manifestations actuelles de haine et d’intolérance et l’Holocauste («Shoah»);
7.3.2. à veiller à ce que l'enseignement de l'Holocauste («Shoah») fasse partie intégrante du programme d’enseignement secondaire et à ce que les enseignants reçoivent une formation spécifique;
7.3.3. à encourager les échanges entre enfants et jeunes de confessions différentes via des activités communes, des programmes culturels et des événements sportifs:
7.3.4. à mener des réflexions et des débats, aux niveaux gouvernemental et parlementaire, sur les raisons de la persistance de stéréotypes négatifs et les causes profondes de l'antisémitisme;
7.3.5. à obliger les auteurs d'actes antisémites à participer à des programmes éducatifs sur l'Holocauste («Shoah»);
7.3.6. à lancer des campagnes de sensibilisation en faveur du respect et d’un vivre ensemble harmonieux;
7.4. en ce qui concerne l'antisémitisme dans les médias et le discours de haine antisémite en ligne:
7.4.1. à encourager les médias à promouvoir le respect de toutes les croyances religieuses et l'appréciation de la diversité et rendre compte de façon impartiale des attaques antisémites et des événements mondiaux, afin de ne pas attiser les tensions;
7.4.2. à inciter les fournisseurs de services internet et les médias sociaux à prendre des mesures spécifiques pour prévenir et combattre le discours de haine en ligne;
7.4.3. à signer et ratifier, s’ils ne l’ont pas encore fait, le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques (STE no 189).
8. L'Assemblée encourage les parlements nationaux, dont les partenaires pour la démocratie, à coopérer avec l’Alliance parlementaire contre la haine et la campagne du Mouvement contre le discours de haine dans leurs activités de prévention et de lutte contre l'antisémitisme et d'autres formes de discours de haine et d'intolérance. L'Assemblée appelle aussi à renforcer le dialogue sur les moyens de prévenir et de combattre l'antisémitisme avec la délégation d'observateurs de la Knesset à l'Assemblée.
9. L'Assemblée exhorte les membres des parlements nationaux et les dirigeants politiques à condamner systématiquement et publiquement les déclarations antisémites et à s’exprimer par des contre-discours et des discours alternatifs.
10. L'Assemblée reconnaît le rôle important que jouent les organisations de la société civile pour prévenir et combattre toutes les formes de haine et d'intolérance et demande à ce qu’elles reçoivent un soutien financier continu.
11. Se référant à la Recommandation 1962 (2011) sur la dimension religieuse du dialogue interculturel et à la Recommandation 2080 (2015) «Liberté de religion et vivre ensemble dans une société démocratique», l’Assemblée réitère sa proposition au Comité des Ministres de créer une plate-forme de dialogue, stable et formellement reconnue, entre le Conseil de l’Europe et de hauts représentants de religions et d’organisations non confessionnelles.

B. Exposé des motifs, par M. Boriss Cilevičs, rapporteur

(open)

1. Introduction

1. Les horribles attentats perpétrés successivement à Toulouse, Bruxelles, Paris et Copenhague nous montrent que l'antisémitisme n'est pas seulement une menace historique ou théorique. Il trouve son origine dans des préjugés anciens et malheureusement tenaces, et conduit à des actes de violence.
2. Ces événements traumatisants ont touché des personnes de confession juive et autre. Les attentats terroristes antisémites commis dans un supermarché casher de Paris en janvier 2015 et au Musée juif de Bruxelles en mai 2014 ont à juste titre bénéficié d’une forte couverture médiatique. Ils ont déclenché une onde de choc en Europe et nous ont appelés à réfléchir et à réagir. Cependant, ces attentats ne sont pas des événements isolés: ils doivent être examinés dans le contexte plus large d’une recrudescence des manifestations de haine et d’intolérance en Europe.
3. Nous aurions espéré que les horreurs de d’Holocauste aient mis un terme à l’antisémitisme. Or bien au contraire, les propos antisémites, la présentation de théories du complot, la justification voire l’apologie de l’Holocauste ne sont pas encore enrayés, mais ils connaissent une recrudescence dans plusieurs pays européens 
			(2) 
			Antisemitism – Overview
of data available in the European Union 2004-2014, Agence des droits
fondamentaux de l’Union européenne, 2015..
4. Les déclarations antisémites peuvent très facilement être partagées et relayées dans les médias, y compris dans les médias sociaux. Les incidents antisémites bénéficient d’une meilleure visibilité, mais celle-ci ne se traduit pas nécessairement par une augmentation du nombre de plaintes auprès de la police.
5. Les débats sur une montée ou non de l’antisémitisme ne doivent pas nous faire oublier que la principale question a trait à la persistance bien réelle de l’antisémitisme aujourd’hui. Les Etats membres du Conseil de l’Europe ont pris diverses mesures en vue de prévenir et combattre ce phénomène, mais il nous faut désormais analyser leur efficacité et examiner toute difficulté rencontrée dans la mise en œuvre de la législation contre la discrimination sur un plan général.
6. Pour lutter efficacement contre l’antisémitisme, il convient d’examiner les conditions préalables à la violence ainsi que ses causes profondes et d’analyser les manifestations actuelles de préjugés envers les juifs. Des discussions ont trait à ce que l’on entend par nouvel antisémitisme versus vieil antisémitisme. Selon des études, les vieux préjugés perdurent et les manifestations d’antisémitisme ne sont aujourd’hui pas uniquement liées à l’antisionisme. La persistance et la montée d’anciens préjugés, renforcées par l’instrumentalisation de la rhétorique antisioniste, sont le ferment de la haine, de la violence et de la discrimination.
7. L'Assemblée parlementaire constate depuis quelques années une augmentation inquiétante du nombre de manifestations de racisme, de xénophobie et d'intolérance en Europe. Dans ce contexte, l’Assemblée condamne sans relâche l'antisémitisme, comme elle l’a fait dernièrement dans sa Résolution 2069 (2015) «Reconnaître et prévenir le néo-racisme», dans sa Résolution 2011 (2014) «Faire barrage aux manifestations de néonazisme et d’extrémisme de droite» et dans sa Résolution 1967 (2014) sur une stratégie pour la prévention du racisme et de l'intolérance en Europe.
8. La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) a adopté, le 25 juin 2004, sa Recommandation de politique générale sur la lutte contre l’antisémitisme et assure le suivi de sa mise en œuvre à l’occasion de ses visites de pays. Ce rapport est pour nous l’occasion de réaffirmer le soutien de l’Assemblée à ce texte et d’appeler à sa mise en œuvre au niveau national.
9. Des manifestations d’antisémitisme ont également été rapportées dans des Etats observateurs du Conseil de l’Europe et des Etats dont le parlement a le statut de partenaire pour la démocratie. Cette question ne s’inscrit pas de façon formelle dans le cadre du rapport mais j’estime qu’elle mérite une attention sérieuse, en particulier dans le cadre d’un dialogue avec ces Etats.

2. Buts du rapport et méthodologie

10. La proposition à l'origine de ce rapport renvoie à la Résolution 1563 (2007) de l'Assemblée intitulée «Combattre l’antisémitisme en Europe» dont elle demande une évaluation de la mise en œuvre. J’ai par conséquent examiné les mesures adoptées par les Etats membres et me suis efforcé de mettre en avant les bonnes pratiques visant à prévenir et combattre l’antisémitisme. Mon travail a consisté aussi, en partie, à formuler des recommandations sur la base de cette évaluation et à analyser le contexte général de la recrudescence de l'antisémitisme observée ces dernières années en Europe.
11. Dans le cadre de la préparation de mon rapport, j’ai adressé un questionnaire aux parlements des Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe par l’intermédiaire du Centre européen de recherche et de documentation parlementaires (CERDP). J’ai reçu les réponses de 31 
			(3) 
			Albanie,
Allemagne, Autriche, Belgique, Croatie, Chypre, Danemark, Espagne,
Estonie, Finlande, France, Géorgie, Grèce, Islande, Lettonie, «l’ex-République
yougoslave de Macédoine», Lituanie, Monténégro, Norvège, Pays-Bas, Pologne,
Portugal, Roumanie, Royaume-Uni, Fédération de Russie, Serbie, République
slovaque, Slovénie, Suède, Suisse et Turquie. parlements d’Etats membres du Conseil de l’Europe et de deux 
			(4) 
			Canada et Israël. parlements d’Etats observateurs. Je tiens à les remercier de leur coopération et des informations communiquées.
12. Le premier Colloque annuel sur les droits fondamentaux dans l’Union européenne, organisé à Bruxelles les 1er et 2 octobre 2015, avait pour thème «La tolérance et le respect: prévenir et combattre l'antisémitisme et l'islamophobie en Europe». J’ai étudié avec beaucoup d’intérêt les contributions au colloque et suivi ses conclusions.
13. Le 2 décembre 2015 à Paris, la commission sur l'égalité et la non-discrimination a tenu une audition avec la participation de M. Henri Nickels, chef du secteur Egalité à l’Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne (FRA), de Mme Cristina M. Fich, chef du département Tolérance et Non-discrimination au Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE/BIDDH), et de M. Vincent Tiberj, professeur associé à l’Institut d’Etudes politiques de Bordeaux. Le 26 janvier 2016, la commission a tenu une audition sur le travail de l’ECRI relatif à la lutte contre le discours de haine avec M. Mirosław Wyrzykowski, membre de l’ECRI au titre de la Pologne, et M. Michael Whine, expert de la question de l’antisémitisme et également membre de l’ECRI au titre du Royaume-Uni. Je voudrais remercier les orateurs invités pour leur participation à ces échanges avec les membres de la commission ainsi que pour leurs précieuses contributions à la préparation du présent rapport.

3. Conditions préalables à la violence et manifestations d'antisémitisme

3.1. Le poids des préjugés

14. Afin de prévenir et combattre la violence, nous devons lutter activement et avec détermination contre les stéréotypes et les préjugés. Nous devons comprendre ce qui peut nourrir les préjugés et pourquoi le discours de haine antisémite touche un public aussi large et réfléchir à ces questions.
15. L’antisémitisme trouve souvent son fondement dans l’idée que les juifs constituent l’élite et ont trop de pouvoir. Devant la commission sur l’égalité et la non-discrimination, Vincent Tiberj a indiqué qu’un tiers des Français interrogés dans le cadre d’une enquête avaient le sentiment que les juifs ont trop de pouvoir. Soixante-quinze pour cent des personnes interrogées estimaient par ailleurs que les juifs ont «un rapport particulier à l’argent». Il a néanmoins précisé que cette communauté est l’une des mieux acceptées en France (80 % à 90 % des enquêtés ont répondu que les juifs sont «des Français comme les autres») 
			(5) 
			Rapport
annuel de la Commission nationale consultative des droits de l'homme,
chapitre 3: La revitalisation des vieux clichés antisémites, 2014. et que les Français issus de l’immigration ne font pas montre d’un antisémitisme plus marqué que les autres. Bien que je fasse ici référence à une étude concernant la France, je tiens à souligner que les stéréotypes liés au pouvoir économique, médiatique et politique des personnes juives sont ancrés dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. Ce qu’il est convenu d’appeler «le vieil antisémitisme» reste d’actualité et continue de se propager.
16. Lors de notre audition, Vincent Tiberj a par ailleurs indiqué qu’une personne antisémite était également souvent islamophobe et faisait montre de préjugés envers les femmes et les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT). D’après les enquêtes qu’il a menées, les catholiques pratiquants sont légèrement plus antisémites que le reste de la population. Il a de plus constaté que le nouvel antisémitisme qui serait lié à l’Islam ne constitue qu’une part infime de l’antisémitisme aujourd’hui.
17. Selon l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) 
			(6) 
			Discrimination
et crimes de haine à l’égard des personnes juives dans les Etats
membres de l’UE: expériences et perceptions de l’antisémitisme,
Agence des droits fondamentaux, 2013., les auteurs d’actes antisémites associent souvent les actions de l’Etat d’Israël aux communautés juives locales et les tiennent pour responsables. Le nombre d’incidents enregistrés connaît un pic dès lorsque se produisent des événements au Proche-Orient, ces derniers affectant par ailleurs le sentiment de sécurité 
			(7) 
			Ibid.
«Le résumé de la FRA des incidents antisémites enregistrés dans
l’UE en 2011 fait état de preuves suggérant que les événements au
Moyen-Orient sont susceptibles d’agir comme élément déclencheur
dans la traduction du sentiment anti-israélien en sentiment antisémite
visant les populations juives dans leur ensemble. (…) Dans l’enquête,
il a été demandé aux répondants dans quelle mesure, le cas échéant,
le conflit israélo-arabe a affecté leur sentiment de sécurité dans
le pays dans lequel ils vivent. Les résultats indiquent que le conflit
israélo-arabe affecte les vies de la plupart des répondants en Belgique,
en France, en Allemagne, en Suède et au Royaume-Uni. (…) L’enquête
a également demandé aux répondants s’ils ont eu l’impression d’être
tenus responsables des actions du gouvernement israélien. La majorité
des répondants en Belgique, Italie et France (environ 60 %) a déclaré
que les personnes du pays les accusent ou les tiennent responsables
“fréquemment” ou “tout le temps” des actions du gouvernement israélien».. L’antisémitisme est parfois aussi présenté comme un motif d’actions violentes pour les jeunes de retour en Europe après être partis en Irak et en Syrie.
18. L’antisémitisme trouve également son origine dans l’ignorance de l’Holocauste et de l’importance du respect et de la protection des droits humains et de la dignité humaine. L’ignorance nourrit l’intolérance et peut conduire à la violence.

3.2. Sentiment croissant d'insécurité

19. Les communautés juives manifestent de plus en plus d'inquiétude et de crainte. Citons à titre d'exemple la peur de se déclarer juif, ce qui change la vie de tous les jours. Maurice Sosnowski, président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique, a dit à l'Alliance parlementaire contre la haine que l'antisémitisme n'avait plus de limites et que la communauté juive vivait dans la peur. Il a déploré le refus de l'Europe de reconnaître la montée de l'antisémitisme 
			(8) 
			Réunion de lancement
de l'Alliance parlementaire contre la haine, 29 janvier 2015, Strasbourg. . Des déclarations politiques rejetant fermement toute expression d’antisémitisme sont indispensables pour rassurer les communautés juives.
20. Les manifestations d’antisémitisme prennent diverses formes allant de simples remarques faites dans la rue à des infractions motivées par la haine. «Dans certains pays comme la France, la Belgique et la Suède, il est devenu très difficile et angoissant d'être juif, ce qui est un choc pour la communauté» a déclaré Jane Braden Golay, ancienne présidente de l’Union européenne des étudiants juifs 
			(9) 
			Entretien donné à la
suite de l’échange de vues sur la lutte contre l’antisémitisme en
Europe, réunion de lancement de l'Alliance parlementaire contre
la haine, Strasbourg, 29 janvier 2015. . Lors de certaines manifestations en France, on a pu entendre ou lire sur des banderoles le slogan «Mort aux juifs» 
			(10) 
			Antisémitisme: «La
menace vient du quotidien le plus élémentaire», L’Obs, 14 janvier 2016.. Les attaques contre des synagogues, des cimetières et des œuvres d'art troublent durablement la sérénité de la population. Ils ont pour objectif de choquer et de déstabiliser la communauté juive installée dans une municipalité donnée et au-delà. Les agressions de personnes portant des symboles religieux ostensibles peuvent faire craindre une identification fondée sur la religion. A la suite de l’attaque à l’encontre d’un professeur juif à Marseille le 11 janvier 2016, une organisation juive a recommandé de ne pas porter de kippa en public 
			(11) 
			Marseille:
l’appel à ne plus porter la kippa fait débat, Le
Monde, 12 janvier 2016.. Je suis fermement convaincu que personne ne devrait se sentir forcé de cacher son identité religieuse et s’abstenir de porter des symboles religieux visibles, à moins que cela ne soit prévu par la loi dans des conditions particulières.
21. Après les attentats de Paris et l’attaque perpétrée à Toulouse visant spécifiquement une école juive, les autorités françaises ont décidé de protéger les synagogues ainsi que les établissements scolaires et jardins d’enfants juifs en assurant une présence militaire. Considérant que la menace d'autres attaques terroristes est réaliste, la police militaire ou armée garde aujourd’hui également les écoles juives à certains moments dans plusieurs autres Etats membres du Conseil de l'Europe dont l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Cette présence militaire modifie la manière dont les enfants se perçoivent par rapport au reste de la population, celle dont ils communiquent avec les autres et ce qu'ils ressentent quand ils vont à l'école.
22. Les médias rendent régulièrement compte du départ de juifs vers Israël et contribuent à la création et la propagation d’un climat de peur au sein des communautés juives. Selon le ministère israélien de l’Immigration, quelque 8 000 juifs ont décidé en 2015 de quitter la France pour s’installer en Israël, leur départ étant principalement motivé par un sentiment d’insécurité 
			(12) 
			L'immigration des juifs
de France en Israël atteint un niveau record, France tv info, 25
décembre 2015..
23. En Turquie, on observe une peur croissante des attentats antisémites et une montée du discours antisémite, notamment dans les médias sociaux 
			(13) 
			«Jews
threatened by anti-Semitism in Turkey», Deutsche
Welle, 23 janvier 2015..
24. J’aimerais également mentionner la discrimination et les préjugés silencieux. Le regard qu’un individu est susceptible de lancer à un autre, les yeux qui se détournent en croisant un membre d’une autre confession, la tête qui se tourne ou l’absence de réaction face à des insultes ou à une agression sont autant d’actes silencieux pouvant avoir une incidence et contribuer à un climat d’intolérance. Nous devons prêter une attention accrue à l’indifférence envers l’intolérance, qui peut conduire à la discrimination et encourager la violence.

3.3. Données disponibles sur l'antisémitisme

25. Ce rapport est l'occasion de partager des informations sur les faits. Les actes antisémites font la une des journaux, mais les données statistiques sur l'antisémitisme sont à ce jour limitées. «Les comptes rendus d’incidents antisémites reposent sur des données de types différents et s'appuient dans une large mesure sur des témoignages subjectifs» 
			(14) 
			Fear of a new darkness, The Economist, 21 février 2015., ce qui peut rendre la collecte de données délicate. Selon le dernier rapport de la FRA sur les données disponibles sur l’antisémitisme dans l’Union européenne, 20 Etats membres recueillent des données sur les incidents antisémites 
			(15) 
			Antisemitism
– Overview of data available in the European Union 2004-2014, Agence
des droits fondamentaux, 2015..
26. Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l’OSCE procède également à la collecte d’informations sur les infractions motivées par la haine auprès des Etats participants ou d’organisations internationales gouvernementales et d’organisations non gouvernementales 
			(16) 
			En
2014, 43 Etats participants de l’OSCE ont fourni des informations
sur les infractions inspirées par la haine et 17 Etats ont ventilé
les données par motivation.. En 2014, neuf Etats participants de l’OSCE ont rendu compte de crimes antisémites enregistrés par la police (1 883 incidents ont été signalés, dont 321 actes violents à l’encontre de personnes). Selon Cristina Finch, il est difficile de tirer des conclusions quant aux tendances compte tenu du manque de données et du défaut de signalement des incidents 
			(17) 
			Audition tenue lors
de la réunion de la commission sur l'égalité et la non-discrimination
le 2 décembre 2015 à Paris.. Si l’existence de l’antisémitisme ne fait aucun doute, il est d’après elle impossible de comparer les données d’un Etat à l’autre, voire même au sein des Etats.
27. Les chiffres officiels ne reflètent pas la prévalence de l’antisémitisme dans un Etat donné puisqu’ils reposent uniquement sur le nombre d’incidents signalés aux autorités, dont la police. Les enquêtes menées auprès de la population, comme celle réalisée par la FRA, fournissent des informations essentielles et donnent une idée de la perception de l’antisémitisme et du ressenti de la population juive dans un pays donné. Vingt-trois pour cent des personnes interrogées dans le cadre de l’enquête de la FRA ont répondu qu’elles estimaient avoir fait l’objet de discrimination en raison de leur religion ou origine ethnique dans l’année précédente (enquête effectuée en septembre et octobre 2012). En outre, selon l’enquête, deux tiers des 5 847 personnes interrogées dans les huit pays choisis, considéraient l'antisémitisme comme un problème et près de la moitié d'entre elles craignaient d'être harcelées ou insultées dans un lieu public.
28. Les réponses au questionnaire communiquées par les parlements ont fourni des renseignements sur les données recueillies par la police et d’autres institutions 
			(18) 
			Les données présentées
proviennent des réponses au questionnaire envoyées par les parlements,
sauf mention contraire.. Les pays ayant connu des incidents antisémites ces dernières années ont constaté leur augmentation sur un plan général. En Belgique, l’organe de promotion de l’égalité a reçu 83 plaintes relatives à des incidents antisémites commis en 2013 et 130 en 2014 
			(19) 
			Centre
interfédéral pour l’égalité des chances, Antisémitisme: les derniers
chiffres confirment une nette augmentation, 22 janvier 2015.. Cinquante-trois incidents antisémites ont été rapportés à l’Organisation pour la sécurité de la communauté juive du Danemark en 2014, et 40 en 2012. En Allemagne, la police a recensé 1 596 «crimes à caractère antisémite» contre 1 275 en 2013. En Pologne, selon les informations reçues, 207 incidents antisémites ont été enregistrés en 2014 et 93 en 2012. En Espagne, trois incidents antisémites ont été signalés en 2013 et 24 en 2014. En Suède, la police a établi 267 rapports sur des infractions au caractère antisémite identifié en 2014, et 161 en 2010. Au Canada, 165 infractions motivées par la haine ciblant des populations juives ont été recensées en 2008 et 181 en 2013.
29. Toutefois, nous relevons une diminution dans certains Etats membres, même si les chiffres restent très élevés. En France, le Service de protection de la communauté juive (SPCJ) et le ministère de l'Intérieur ont enregistré 806 actes antisémites en 2015, une diminution de 14 % par rapport à 2014 
			(20) 
			Les actes islamophobes
ont bondi en 2015, les actes antisémites sont encore à un niveau
élevé, Le Monde, 20 janvier
2016.. Au Royaume-Uni, l’organisation Community Security Trust a enregistré 924 incidents antisémites en 2015, une chute de 22 % 
			(21) 
			Antisemitic
incidents Report 2015, Community Security Trust..
30. Aucun incident antisémite n’a été signalé entre 2007 et 2014 à Chypre, dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine» et au Monténégro. Ni la police ni aucune autre institution ne recueille de données sur des incidents antisémites en Albanie, Estonie, Géorgie, Islande, Lituanie, Serbie, République slovaque (les forces de police se contentant d’un résumé des infractions pénales liées à l’extrémisme et à motivation raciale), Slovénie et Turquie.
31. Ces chiffres doivent être considérés avec précaution en raison du faible taux de signalement de la part des victimes et du manque de confiance à l’égard des forces de l’ordre. D’après les résultats de l’enquête susmentionnée de la FRA, 76 % des personnes ayant fait l’expérience d’un harcèlement antisémite dans les cinq dernières années n’ont pas signalé l’incident le plus grave à la police ou à une autre organisation.
32. Pour prévenir le défaut de signalement, fréquent dans les affaires d’antisémitisme, la confiance dans les autorités nationales doit être renforcée. Il est donc important d’élaborer des programmes et de dispenser une formation sur la lutte contre la discrimination, par exemple sur le modèle des programmes de renforcement des capacités du BIDDH pour les officiers de police et procureurs sur les crimes de haine.
33. La collecte et la publication de données sont d’une importance déterminante pour prévenir et combattre efficacement l'antisémitisme. En comparant les données communiquées par les parlements nationaux, les rapports de police et les renseignements fournis par les organisations internationales, j’ai pris conscience qu’il convenait de redoubler d’efforts pour améliorer la collecte et la coordination des données sur les infractions motivées par la haine. Une fois les données recueillies, la police devrait procéder à un classement des plaintes enregistrées dans son système de collecte de données par motivations ethniques et religieuses afin de pouvoir dresser un tableau précis du nombre d’incidents antisémites. Le nombre de plaintes avec indication de leur motif doit également être publié, ce qui contribuerait à sensibiliser à ce phénomène. La coopération entre la police, le système judiciaire, les éducateurs et les organisations de la société civile devrait être encouragée pour soutenir les victimes et la collecte des données et des activités de prévention devraient être mises en œuvre dans la mesure du possible.

4. Evaluation thématique de la mise en œuvre de la Résolution 1563 (2007)

34. Afin d'évaluer la mise en œuvre de la Résolution 1563 (2007), j’ai choisi de classer les 19 points de la résolution en six groupes thématiques.

4.1. Législation visant à lutter contre l'antisémitisme dans les Etats membres du Conseil de l'Europe (points 12.1, 12.5 et 12.6)

35. L’antisémitisme, parmi d’autres, peut s’inscrire dans la liste des motivations spécifiques du discours de haine recensées dans la législation nationale. Il peut aussi ne pas être expressément mentionné mais cependant érigé en infraction en tant que discours de haine fondé sur des croyances religieuses. Je suis d’avis qu’une législation générale et inclusive est préférable, à condition d’en garantir l’application.
36. En règle générale, le Code pénal fait souvent du discours de haine une infraction pénale en soi (par exemple en Allemagne, en Autriche, au Danemark, en Espagne, dans «l’ex-République yougoslave de Macédoine», en Lituanie, aux Pays-Bas, en Norvège, en Pologne, au Royaume-Uni, en Fédération de Russie, en Serbie, en Slovénie et en Suisse).
37. L’antisémitisme peut également être mentionné dans une loi de lutte contre les discriminations (comme par exemple à Chypre, en France et au Monténégro) ou clairement déclaré inconstitutionnel. En particulier, en Slovénie, inciter à la discrimination nationale, raciale, religieuse ou autre, et attiser la haine et l’intolérance nationales, raciales, religieuses ou autres, sont contraires à la Constitution.
38. Les sanctions prévues varient d’un pays à l’autre et peuvent aller d’une simple amende à plusieurs années de détention. Toute incitation à la haine ou à la discorde fondée sur la race, l’origine ethnique, la religion ou l’orientation sexuelle est passible de deux à dix ans d’emprisonnement en Albanie. Des peines d’emprisonnement ou l’imposition d’une amende sont également prévues en Islande, en Norvège, aux Pays-Bas, en Pologne, au Royaume-Uni, en Serbie, en République slovaque et en Suisse, entre autres.
39. En Finlande, tout discours menaçant ou insultant quelqu’un au motif de sa race, de sa couleur de peau, de sa naissance, de son originale nationale ou ethnique, de sa religion ou de ses convictions, de son orientation sexuelle ou de son handicap est considéré comme une «provocation ethnique» et sanctionné en tant que tel par une amende ou une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans. Le concept de «provocation raciale» est fondamental dans la législation suédoise de lutte contre le racisme et la xénophobie. Il est interdit de s’adonner à des propos menaçants ou méprisants envers un groupe national, ethnique ou autre en y faisant allusion à la race, la couleur ou la religion en dehors de la sphère strictement privée. La sanction prévue est un emprisonnement d’une durée maximale de deux ans.
40. Au Monténégro, une amende de € 500 à € 20 000 est infligée à toute personne morale ayant tenu des propos haineux à l’encontre d’un individu ou d’un groupe, fondés entre autres sur ses caractéristiques personnelles, la xénophobie, l’antisémitisme ou la haine raciale. Quiconque incite publiquement à la violence ou à la haine envers un groupe ou un membre d’un groupe, pour des raisons, entre autres, de couleur de peau ou de religion, est passible d’une peine de six mois à cinq ans d’emprisonnement.
41. En Estonie, aucune loi n’érige le discours de haine en infraction pénale, sauf lorsque ce discours comporte un danger pour la vie, la santé ou les biens, ou entraîne la mort d’une personne.
42. Au niveau européen, la Cour européenne des droits de l'homme exclut de la protection de la Convention européenne des droits de l'homme (STE no 5, «la Convention») les discours d’incitation à la haine sur la base de l'article 17 (interdiction de l'abus de droit) ou établit des limitations à la protection (article 10) afin de protéger les droits et libertés d'autrui, entre autres raisons. La Cour a statué clairement que l'article 10 de la Convention (liberté d’expression) ne protège pas les auteurs de discours de haine antisémite 
			(22) 
			Pavel
Ivanov c. Russie (déc), Requête no 35222/04,
arrêt du 20 février 2007, et M’Bala M’Bala
c. France (déc), Requête no 25239/13,
arrêt du 10 novembre 2015..
43. Dans sa Résolution 1563 (2007), l’Assemblée appelait les gouvernements des Etats membres à signer et à ratifier le Protocole no 12 à la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 177), qui prévoit l’interdiction générale de la discrimination. Au 12 février 2016, 19 Etats membres avaient ratifié le protocole et 19 autres l’avaient signé mais non encore ratifié.
44. Lors de notre audition du 26 janvier 2016, Michael Whine, membre de l'ECRI au titre du Royaume-Uni, a expliqué comment le discours de haine a entraîné les horreurs de l'Holocauste. Il a souligné que le discours de haine a sapé la primauté du droit et la démocratie et indiqué qu’il importe d'avoir des outils législatifs solides pour les combattre. Une recommandation essentielle consisterait donc à s’assurer que le cadre législatif de lutte contre la discrimination, quel qu’en soit le motif, et le discours de haine soit complet et mis en œuvre de manière cohérente et persistante 
			(23) 
			La Décision-cadre sur
la lutte contre certaines formes et manifestations de racisme et
de xénophobie au moyen du droit pénal est également pertinente dans
ce contexte.. Comme l’exige la Recommandation de politique générale de l’ECRI sur la lutte contre l'antisémitisme, les Etats membres devraient veiller à ce que, dans la lutte contre le racisme, le droit pénal prenne en compte un vaste éventail de manifestations d’antisémitisme, dont entre autres choses l’incitation publique à la violence, à la haine ou à la discrimination, les injures publiques, les menaces, la dégradation ou la profanation de biens ou de monuments juifs.

4.2. Condamnation de l'antisémitisme et exercice de poursuites (points 12.2, 12.3, 12.4 et 12.19)

4.2.1. Condamnations et poursuites engagées contre des personnalités publiques et des partis politiques

45. Les poursuites engagées contre des personnalités publiques et des partis politiques pour propos antisémites sont des indicateurs patents de la fermeté de l’engagement d’un Etat à lutter contre les discours de haine antisémites. Dans sa Recommandation de politique générale sur la lutte contre l’antisémitisme, l’ECRI recommande d’inclure dans la législation nationale l’obligation de supprimer le financement public des organisations qui promeuvent l’antisémitisme, y compris dans le cas de partis politiques et la possibilité de dissoudre des organisations faisant la promotion de l’antisémitisme. Dans sa Résolution 1563 (2007), l’Assemblée appelle les gouvernements des Etats membres du Conseil de l’Europe à poursuivre en justice tout parti politique qui prône dans son action, ses manifestes ou ses publications des thèses antisémites. A ce jour, peu de personnalités politiques ont été condamnées pour avoir tenu des propos antisémites.
46. En France, Jean-Marie Le Pen, ancien président du Front National, a été condamné à plusieurs reprises pour des propos minimisant l’importance de la Shoah, qu’il a qualifiée de «détail de l’histoire». Je tiens aussi à citer le cas de Dieudonné M’Bala M’Bala, acteur français, condamné en mars 2015 à une amende de € 22 500 pour s’être livré à des propos antisémites au cours de son spectacle. Il a depuis aussi été condamné à une amende de € 10 000 pour avoir invité sur scène le négationniste Robert Faurisson à recevoir «le prix de l’infréquentabilité» des mains d’un acteur portant la tenue des juifs déportés dans les camps de concentration. Le 10 novembre 2015, la Cour européenne des droits de l’homme a statué que les garanties de la liberté d’expression ne pouvaient s’appliquer au cas d’espèce, cette protection ne pouvant être offerte pour des commentaires qui nient l’Holocauste 
			(24) 
			M’Bala
M’Bala c. France (déc.), Requête no 25239/13,
décision du 10 novembre 2015.. La Cour a déclaré que le spectacle avait perdu son caractère de divertissement pour devenir un meeting politique prônant la remise en cause de l’Holocauste. Dieudonné a également été condamné le 25 novembre 2015 à une peine de deux mois d’emprisonnement assortie d’une amende de € 9 000 pour antisémitisme, incitation à la haine et diffusion de propos haineux ainsi que négationnistes, à l’occasion d’un spectacle qu’il a donné à Herstal (Belgique), le 14 mars 2012.
47. En Lituanie, la Commission électorale centrale (CEC) a demandé en 2012 au parquet général d’ouvrir une enquête sur le matériel de campagne du parti de l’Union nationaliste lituanienne (qui contenait une caricature de juif et un texte évoquant la décision du gouvernement d’indemniser la communauté juive pour les expropriations subies). Avant les élections locales de 2015, la CEC a redemandé aux procureurs d’enquêter sur d’éventuels contenus antisémites dans le tract de l’alliance électorale «Contre la corruption». Selon les informations reçues, ces affaires sont restées sans suites.
48. La Constitution polonaise interdit clairement les partis politiques et autres organisations qui font la promotion de la haine raciale ou nationale (article 13). Au Royaume-Uni, un parlementaire, George Galloway, a été interrogé par la police en août 2014 après avoir déclaré sa circonscription «Israel-free zone» (zone sans Israël). Il n’a pas été poursuivi.

4.2.2. Négation, justification ou apologie publiques de crimes de génocide et de crimes contre l’humanité

49. L’antisémitisme peut s’exprimer par la négation, la justification ou l’apologie publiques de crimes de génocide et de crimes contre l’humanité. La minimisation grossière d’un crime de génocide est probablement l’une des questions les plus délicates dans la mesure où elle suscite un débat sur les limitations de la liberté d’expression.
50. La Cour européenne des droits de l’homme a explicitement indiqué que la négation ou la révision «de faits historiques clairement établis – tel que l'Holocauste – (…) se verrait soustraite par l'article 17 (interdiction de l’abus de droit) à la protection de l'article 10 (liberté d’expression) de la CEDH» 
			(25) 
			Lehideux
et Isorni c. France, Requête no 24662/94,
arrêt du 23 septembre 1998.. Je voudrais également évoquer la décision Garaudy c. France 
			(26) 
			Garaudy
c. France (déc.), Requête no 65831/01,
décision du 24 juin 2003.. Déclarant la requête irrecevable, la Cour a précisé que «la contestation de crimes contre l'humanité apparaît comme l'une des formes les plus aiguës de diffamation raciale envers les juifs et d'incitation à la haine à leur égard. La négation ou la révision de faits historiques de ce type remettent en cause les valeurs qui fondent la lutte contre le racisme et l'antisémitisme et sont de nature à troubler gravement l'ordre public».
51. Dans sa Résolution 1563 (2007), l’Assemblée a appelé les Etats membres à ériger en infractions pénales la négation, la minimisation grossière, la justification ou l’apologie publiques, dans un but raciste, de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre. De nombreux Etats européens ont d’ores et déjà pris des mesures en ce sens. En France, ces infractions sont sanctionnées d’un an d’emprisonnement et d’une amende de € 45 000. En Lettonie, la glorification, la négation, l’acquittement ou la minimisation grossière d’un génocide sont sanctionnés d’une peine pouvant atteindre cinq ans d’emprisonnement, de travaux d’intérêt général ou d’une amende. L’invitation publique au génocide est punie d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à huit ans.
52. En Croatie, une peine d’emprisonnement maximale de trois ans est prévue. En Pologne, quiconque incite à commettre un acte visant à détruire en tout ou en partie un groupe ethnique, racial, politique ou religieux, ou un groupe ayant une vision différente de la vie, ou fait publiquement l’éloge de la commission d'un tel acte est passible d’une peine de privation de liberté de trois mois à cinq ans. En Roumanie, la négation, la contestation, l’approbation, la justification ou la minimisation évidente en public, de l’Holocauste ou de ses conséquences, sont punies de six mois à trois ans d’emprisonnement ou d’une amende.
53. En Slovénie, quiconque répand publiquement l’idée de la suprématie d’une race sur une autre, soutient d’une manière ou d’une autre une activité raciste, ou nie, approuve, ignore ou encourage le génocide, l’Holocauste, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, les agressions ou autres infractions pénales contre l’humanité, en diminue l’importance ou les tourne en dérision, sera condamné à une peine d’emprisonnement pouvant atteindre deux ans. En Suisse, la négation, la justification et l’éloge publics de crimes de génocide et de crimes contre l’humanité constituent une infraction pénale et sont criminalisés. Toute personne niant, minimisant ou cherchant à justifier un génocide ou autres crimes contre l’humanité est passible d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas trois ans, ou d’une sanction pécuniaire. Au Canada, la défense ou la promotion du génocide est une infraction passible d’un emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans. En Israël, une loi érigeant la négation de l’Holocauste en infraction pénale a été adoptée par la Knesset le 8 juillet 1986.
54. Aux Pays-Bas, un projet de loi érigeant en infraction la négation publique d’un génocide a été rédigé en 2006, mais demeure en instance. Au Danemark, ceci ne constitue pas une infraction pénale en soi mais peut être considéré comme tel si les exigences de l’article 266b du Code pénal sont satisfaites. En Norvège, cet acte n’est pas davantage une infraction pénale en soi mais peut être punissable s’il constitue une incitation publique à commettre une infraction pénale. De tels propos peuvent également constituer un discours de haine du point de vue pénal.
55. La négation, la justification ou l’apologie publiques de crimes de génocide et de crimes contre l’humanité ne sont pas constitutives d’infractions pénales en Estonie et en Suède. Elles ne constituent pas non plus une infraction pénale au Royaume-Uni, mais dans plusieurs cas elles ont été poursuivies avec succès lorsqu’elles constituaient une incitation à la haine raciale.
56. Afin d'envoyer un signal fort aux auteurs potentiels et d’empêcher une escalade de discours violent de haine antisémite, je crois que la négation, la justification ou l'éloge publics de crimes de génocide et crimes contre l'humanité doivent être érigés en infraction pénale si tel n’est pas déjà le cas.

4.2.3. Les motivations antisémites comme facteur aggravant dans les affaires pénales

57. Les motivations antisémites peuvent constituer un facteur aggravant dans les affaires pénales. Si l’antisémitisme n’est pas expressément mentionné en tant que motivation pouvant être considérée comme une circonstance aggravante, il peut relever de la discrimination fondée sur la religion. En France par exemple, les motivations antisémites, racistes ou religieuses constituent un facteur aggravant. C’est également le cas en Suisse.
58. Les motivations raciales et/ou xénophobes sont considérées comme un facteur aggravant sur le plan pénal à Chypre, en Croatie, en Grèce, en Lituanie et en Norvège.
59. Si l’infraction est commise pour un motif lié à la race, à l’origine nationale ou ethnique, à la religion ou aux convictions, la Finlande, la Lettonie, la Suède et le Royaume-Uni retiennent la notion de facteur aggravant. Aux Pays-Bas, lorsqu’une personne est poursuivie pour une infraction également liée à une discrimination, le ministère public considère l’aspect discriminatoire comme un facteur aggravant.
60. Cependant, les motivations antisémites ne constituent pas un facteur aggravant en Albanie et en Estonie.
61. Avec ce rapport, je voudrais également appeler les Etats membres qui ne l'ont pas encore fait à faire de la motivation fondée sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la religion ou la conviction une circonstance aggravante d'une infraction pénale.

4.3. Mesures préventives et protection (points 12.8, 12.9, 12.10, 12.11 et 12.12)

62. Depuis 2007, les Etats membres du Conseil de l’Europe ont mis en œuvre différentes mesures préventives et des campagnes de sensibilisation pour lutter contre l’antisémitisme. Au Danemark, la municipalité de Copenhague a lancé diverses campagnes de sensibilisation dont une, intitulée «stemplet» (stigmatisé), portait sur la lutte contre le crime de haine et la discrimination et s’est traduite par la création d’une application pour smartphone encourageant les citoyens à signaler des incidents de discrimination. En 2009, la ville de Copenhague a lancé une autre campagne appelée «L’antisémitisme et l’islamophobie – pas dans notre ville».
63. En 2008, l'Union des communautés religieuses juives en Pologne a lancé la campagne «Je suis Polonais», proposant des affiches montrant des jeunes souriant et représentant des minorités nationales et ethniques. J’ai également reçu des informations concernant les initiatives de l'Institut Polonais du Cinéma qui soutient des œuvres cinématographiques sur l'histoire juive polonaise, menant à des débats publics sur la diversité, l'assimilation et l'antisémitisme. L'organisation «Hejt Stop» recueille des informations sur les manifestations du discours antisémite, à la fois sur internet et dans l'espace public (arrêts de bus, écoles, lieux de culte, etc.) et essaye de les effacer avec ses bénévoles.
64. En Lituanie, le Seimas a fait de 2011 l’année dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste et a adopté une loi sur une indemnisation «de bonne foi» pour les biens immeubles confisqués aux communautés religieuses juives. Des événements commémoratifs ont été organisés par les municipalités, les organismes d’Etat et les ministères. La communauté juive lituanienne a mené entre janvier 2014 et juin 2015 une campagne intitulée «Boutique de bagels: une campagne pour la tolérance et contre l’antisémitisme et la haine publique», consistant notamment à surveiller les manifestations de haine et d’intolérance dans l’espace public et comportant une campagne publique appelée «Être différent».
65. Le 25 juin 2015, la Commission fédérale suisse contre le racisme (CFR) a lancé sa campagne nationale intitulée «Une Suisse à nos couleurs» dans l’objectif de sensibiliser les jeunes à la nécessité de combattre la discrimination raciale et le discours de haine.
66. L’Association suédoise des collectivités locales et des régions a constitué un réseau de municipalités partageant les meilleures pratiques en matière de lutte contre les crimes de haine. Le Forum de l’histoire vivante a été créé en Suède en 2003 dans le but d’encourager les citoyens à aspirer à une société égalitaire en concevant des matériels pédagogiques, en menant des enquêtes sur les mentalités au sein de la société et en organisant des expositions. Il est encore très actif aujourd’hui et utilise l’Holocauste et d’autres crimes contre l’humanité comme point de départ. Le 27 janvier, journée commémorant la libération du camp de concentration d’Auschwitz, a le statut de journée nationale du souvenir.
67. Je me félicite de l’établissement d’une Journée de commémoration de l’Holocauste par, à ce jour, 43 Etats membres du Conseil de l’Europe.
68. L’encouragement au dialogue entre les responsables religieux et les communautés religieuses est l’un des aspects clés de la prévention de l’antisémitisme. Au Royaume-Uni, le Community Security Trust et l’organisation musulmane Tell MAMA coopèrent pour faire le suivi de la commission d’infractions motivées par la haine. Je tiens également à souligner le travail de Nisa-Nashim qui rassemble des femmes juives et musulmanes afin de développer des compétences de leadership, le Forum musulman juif du Grand Manchester qui regroupe les dirigeants juifs et musulmans et le Forum des trois confessions qui développe des compétences de leadership chez les jeunes juifs, musulmans et chrétiens. Aux Pays-Bas, le Centrum Informatie en Documentatie Israël (CIDI) assiste le Stichting Platform Islamitische Organisaties Rijnmond (SPIOR) pour surveiller la haine anti-musulmane. De telles initiatives méritent d’être encouragées davantage.
69. Je tiens à souligner qu’aucun changement tangible ne pourra intervenir en l’absence de mesures spécifiques destinées aux jeunes. Il convient d’inscrire au rang des priorités l’investissement dans l’éducation et la sensibilisation de la population. Les échanges entre enfants et jeunes de diverses confessions devraient être encouragés davantage par le biais d’activités, de programmes culturels et d’événements sportifs communs.

4.4. Enseignement de l'histoire et lutte contre l'antisémitisme (points 12.7 et 12.15)

70. Malheureusement, il n’est pas rare de voir les élèves et les étudiants faire preuve d’indifférence et afficher un certain désintérêt pour la mémoire de l’Holocauste ainsi qu’un manque de respect lors de cérémonies commémoratives. L’ignorance de ces événements historiques tragiques est un terreau fertile pour l’antisémitisme
71. L’enseignement de l’histoire est un élément déterminant de la lutte contre l’antisémitisme. Comme l’a souligné Henri Nickels lors de notre audition, l’enseignement et la mémoire de l’Holocauste, qui peuvent s’inscrire dans le cadre de l’éducation formelle et non formelle, ne devraient pas être dissociés de la lutte contre l’antisémitisme. Il a précisé que bon nombre des auteurs de discours antisémites ne savaient pas grand-chose de l’Holocauste. L’éducation et les relations entre communautés sont par conséquent essentielles pour établir des sociétés tolérantes. La prévention et le combat de l’antisémitisme à l’école ne se limitent pas à l’enseignement de l’histoire. Ils supposent également de lutter contre le harcèlement, d’enseigner la diversité, de mettre en œuvre des activités visant à briser les stéréotypes et de présenter des récits positifs dans les programmes éducatifs. Michael Whine, membre de l'ECRI au titre du Royaume-Uni, a réitéré lors de notre audition qu’il importe de garder vivante la connaissance du passé en commémorant l'Holocauste et en organisant des programmes de sensibilisation et de compréhension sur la question.
72. Dans la plupart des Etats membres du Conseil de l’Europe, l’enseignement de l’Holocauste est un chapitre obligatoire des programmes scolaires. A titre d’exemple, en Lituanie, l’Holocauste est enseigné de manière formelle et informelle (dissertations, collecte de documents, visites et entretien de cimetières et de mémoriaux juifs). Quelque 96 «centres de développement de la tolérance» ont été créés au sein d’établissements d’enseignement secondaire, de musées régionaux et de centres éducatifs.
73. En 2014, dans le cadre de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, des classes virtuelles ont été organisées par «Citoyenneté et Immigration Canada» et par l’Office national du film du Canada, dans le but de présenter de nouvelles approches de l’enseignement de l’Holocauste. Cette journée a été l’occasion de discuter des enseignements à tirer en matière de protection des droits humains et des valeurs démocratiques et de prévention du racisme et du génocide.
74. Le Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales ont produit du matériel pédagogique consacré à la mémoire de l’Holocauste. Je tiens à souligner en particulier le manuel pour les enseignants, intitulé «Excursion vers le passé – leçons pour l’avenir» et publié par la FRA, qui donne des outils permettant aux enseignants de rattacher l’Holocauste à l’éducation aux droits humains et leur fournit des conseils quant à l’organisation de visites de sites se rapportant à l’Holocauste.
75. Je suis convaincu que le souvenir de l'Holocauste devrait être rattaché à la lutte contre l’antisémitisme. C’est pourquoi, les programmes éducatifs devraient mettre en avant le lien entre les manifestations actuelles de haine et d’intolérance et l’Holocauste. Il devrait être demandé aux auteurs d’actes antisémites de participer aux programmes éducatifs sur l’Holocauste et d’assister aux débats.

4.5. Rôle des médias (points 12.13 et 12.14)

76. Les médias jouent un rôle déterminant dans la lutte contre l’antisémitisme dans la mesure où ils endossent une responsabilité spécifique en matière de promotion et de présentation d’une culture de la diversité. Les médias peuvent, par exemple, contribuer au renforcement de la visibilité des responsables religieux qui arborent des symboles religieux visibles. La manière dont les médias rendent compte du conflit au Proche-Orient peut influencer considérablement l’opinion publique. Les médias peuvent aussi, selon moi, jouer un rôle éducatif susceptible de contribuer à développer le respect et la compréhension ou au contraire attiser les tensions par des articles tendancieux.
77. Depuis 2007, les Etats membres ont procédé à certaines modifications des réglementations des médias, élargissant essentiellement leur champ d’application à internet. La Résolution 1563 (2007) appelait les Etats membres «à se doter d’instruments permettant de réprimer les déclarations antisémites sur internet et donc à signer et à ratifier le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques (STE no 189)». Au 12 février 2016, 24 Etats membres du Conseil de l’Europe l’avaient ratifié.
78. En Croatie, la loi relative aux médias électroniques de 2009 interdit la promotion et la propagation de discours de haine ou de discrimination, notamment fondés sur la religion, l’antisémitisme et la xénophobie. Au Monténégro et en Serbie notamment, la législation sur les médias interdit les discours de haine.
79. En Finlande, le directeur de Magneetti Media a été poursuivi et condamné pour avoir publié des déclarations antisémites dans un journal gratuit en 2013. En Islande, un rédacteur ou directeur d’un fournisseur de services de médias peut se voir infliger une amende ou être condamné à une peine pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement si son organe de média incite directement à la haine pour des motifs de race, de nationalité ou de convictions religieuses (loi sur les médias de 2011).
80. Dans la plupart des Etats membres, les associations et conseils de presse ont adopté des lignes directrices ou des codes d’éthique professionnelle à l’usage des journalistes qui interdisent clairement le discours de haine et la discrimination pour quelque motif que ce soit (Autriche, Danemark, Grèce, Lituanie, Norvège, Royaume-Uni et Suisse, pour ne citer qu’eux).
81. Les discours de haine antisémite en ligne se sont multipliés au cours des dernières années. Des actions spécifiques doivent être menées avec les fournisseurs de services internet et les médias sociaux et cibler expressément cette forme de discours de haine. Des activités de sensibilisation pourraient également être mises en œuvre avec ces entreprises. En particulier, dans son récent arrêt Delfi c. Estonie 
			(27) 
			Requête no 64569/09,
arrêt du 16 juin 2015., la Cour européenne des droits de l’homme a retenu, dans certaines circonstances, que la société détenant un portail internet pouvait être tenue responsable de contenus publiés par les internautes.

4.6. Coopération avec l’ECRI et les organisations de la société civile (points 12.16, 12.17 et 12.18)

82. Dans sa Résolution 1563 (2007), l’Assemblée appelle les Etats membres à alerter, par le biais de l’ECRI, les autorités publiques sur les actes antisémites, à soutenir les travaux de l’ECRI et à donner une suite concrète à ses recommandations. Je tiens également à réaffirmer le rôle crucial joué par l’ECRI dans la prévention de l’antisémitisme et la lutte contre ce fléau et à saluer sa coopération de longue date avec l’Assemblée.
83. La campagne du Conseil de l’Europe «Mouvement contre le discours de haine» sera poursuivie jusqu’en 2017, avec entre autres priorités la lutte contre l’antisémitisme. J’appelle les parlementaires à coopérer avec cette campagne et à organiser si possible des événements communs au sein de leurs parlements, avec le soutien de l’Alliance parlementaire contre la haine.
84. Nous ne pouvons pas combattre efficacement l’antisémitisme sans soutenir les organisations de la société civile œuvrant à la sensibilisation, à la prévention, à l’aide aux victimes et à la collecte de données, et leur assurer notre coopération. A titre d’exemple, le Community Security Trust au Royaume-Uni a conclu un accord avec la police sur le partage des données relatives aux infractions motivées par la haine.
85. Plusieurs initiatives intéressantes ont été lancées par des organisations de la société civile au cours des dernières années. Je mentionnerai à cet égard la campagne européenne «Facing Facts!», qui promeut la prévention des infractions motivées par la haine et propose aux organisations de la société civile des formations sur les systèmes de suivi des crimes de haine. La Conférence musulmano-juive annuelle est une autre initiative remarquable qui réunit des étudiants et de jeunes professionnels musulmans et juifs du monde entier et les invite à échanger et dialoguer. Le développement de réseaux et le partage d’expériences peuvent contribuer à prévenir la haine et les stéréotypes négatifs.

5. Rôle des parlementaires dans la lutte contre l'antisémitisme

86. Je suis convaincu que les parlementaires peuvent jouer un rôle important dans la lutte contre l'intolérance et la haine. Ils peuvent sensibiliser à l’existence et à la nature de l’antisémitisme et discuter avec leurs électeurs. En condamnant publiquement les manifestations d’antisémitisme et en intervenant dans les médias, ils sont en mesure de contribuer à l'évolution des mentalités. Les parlementaires peuvent par ailleurs initier des campagnes de sensibilisation et donner l'exemple. Ils appellent au dialogue interculturel et l’encouragent, tiennent des auditions et promeuvent le respect et la compréhension mutuels. Selon Vincent Tiberj, «les hommes politiques portent une lourde responsabilité dans la persistance des préjugés au sein de la société» 
			(28) 
			Audition tenue lors
de la réunion de la commission sur l'égalité et la non-discrimination
le 2 décembre 2015 à Paris.. Michael Whine a également souligné que les «parlementaires peuvent apporter une contribution importante à la lutte contre le discours de haine» 
			(29) 
			Audition sur les travaux
de l’ECRI relatifs à la lutte contre le discours de haine tenue
lors de la réunion de la commission sur l'égalité et la non-discrimination
le 26 janvier 2016 à Strasbourg..
87. C’est en leur qualité de législateurs que les parlementaires peuvent avoir le maximum d’impact, en veillant à l’exhaustivité du cadre législatif national de prévention de la discrimination et de lutte contre cette dernière. Il appartient aux parlementaires de veiller à la prise en compte des crimes à caractère antisémite dans la législation sur les infractions motivées par la haine et au suivi de sa mise en œuvre.
88. Plusieurs initiatives ont été lancées au niveau international par des parlementaires, témoignant de leur détermination à combattre la discrimination et la haine. L'Alliance parlementaire contre la haine a tenu une audition sur la lutte contre l'antisémitisme en Europe lors de sa réunion de lancement, organisée le 29 janvier 2015 à Strasbourg, et elle continuera à se pencher sur cette question. En signant la Charte des engagements, les membres de l’Alliance conviennent de prendre position ouvertement, fermement et de manière proactive contre le racisme, la haine et l’intolérance, quels qu’en soient les motifs. La lutte contre l’antisémitisme est également l’une des priorités de l’Alliance pour 2016-2017. J’encourage les membres de l’Assemblée parlementaire à se joindre à l’Alliance. Les responsables politiques se doivent de rejeter toute déclaration antisémite ou xénophobe.
89. L'intergroupe Antiracisme et Diversité du Parlement européen se consacrera également à la lutte contre l’antisémitisme en 2016. Ces deux structures sont des forums à l’échelon européen, permettant d’examiner les actions à entreprendre pour combattre l’antisémitisme.
90. La Coalition interparlementaire de lutte contre l'antisémitisme a été fondée en 2008. Elle réunit 700 parlementaires de plus de 60 pays, déterminés à combattre l’antisémitisme. Le principal objectif de la coalition est de permettre le partage d’expériences et de bonnes pratiques et de soutenir la création de groupes multipartites au sein des parlements. Selon la coalition, «les parlementaires et ministres occupent une position unique pour lutter contre l’antisémitisme. Il est de leur responsabilité de le combattre, de veiller à la mise en place de la législation pertinente et de son utilisation à bon escient, à la formation adéquate de l’ensemble des services, afin de donner aux communautés affectées le sentiment d’être soutenues et l’assurance de la prise en considération de leurs craintes» 
			(30) 
			Contribution de la
Coalition interparlementaire de lutte contre l'antisémitisme au
premier colloque annuel de l’Union européenne sur les droits fondamentaux,
«La tolérance et le respect: prévenir et combattre l'antisémitisme
et l'islamophobie en Europe», 1-2 octobre 2015..
91. Il convient également de noter plusieurs initiatives parlementaires intéressantes en matière de lutte contre l’antisémitisme à l’échelon national. Une coalition parlementaire canadienne ayant pour but de lutter contre l’antisémitisme s’est constituée entre 2009 et 2011 afin d’apprécier l’étendue du problème et de formuler des recommandations concrètes. Cette coalition s’est organisée sous la forme d’un groupe parlementaire multipartite indépendant. Le Sénat espagnol observe la journée officielle de commémoration de l’Holocauste depuis 2006. Le Parlement autrichien accueille chaque année la célébration d’une journée de commémoration contre la violence et le racisme en mémoire des victimes du national-socialisme. Il organise de même des activités éducatives centrées sur la lutte contre les crimes de haine. Le 11 juin 2015, le Parlement norvégien a adopté à l’unanimité une résolution demandant au gouvernement de proposer pour combattre l’antisémitisme un plan d’action axé sur la formation des enseignants, la modification des programmes des écoles primaires et des établissements d’enseignement secondaire, et l’observation dans toutes les écoles de la journée annuelle de commémoration de l’Holocauste.
92. Au Royaume-Uni, le groupe parlementaire multipartite contre l’antisémitisme a commandé une enquête parlementaire multipartite sur l’antisémitisme, publiée en février 2015. Dans sa réponse, le gouvernement a réaffirmé sa détermination à combattre l’antisémitisme et annoncé qu’il prendra des mesures pour améliorer le signalement des crimes à caractère antisémite et autres infractions motivées par la haine. Il a par ailleurs mis en place un groupe de travail interministériel sur l’antisémitisme.
93. Je souhaite encourager de telles initiatives dans tous les parlements des Etats membres et observateurs du Conseil de l’Europe. L’engagement de chaque parlementaire dans la lutte contre l’antisémitisme peut contribuer à changer les choses. Nous devons reconnaître notre responsabilité politique et agir en conséquence. Rester silencieux face à l’antisémitisme par craindre de perdre des électeurs peut s’avérer dangereux. Nous devons prendre conscience de la dimension de plus en plus multiculturelle de l’Europe qui ne saurait tolérer des manifestations de haine. Il nous appartient de combattre l’actuel climat d’intolérance et de faire preuve de leadership politique en faveur de la promotion et de la protection des droits humains.

6. Conclusions

94. La plupart des Etats membres ont pris des mesures pertinentes pour combattre l’antisémitisme et la discrimination depuis l'adoption de la Résolution 1563 (2007) sur la lutte contre l'antisémitisme en Europe. Mais à la lumière de la montée de l'intolérance, de la xénophobie et de l'antisémitisme en Europe, nous devons faire preuve d’une vigilance accrue et redoubler d’efforts pour répondre aux nouveaux défis.
95. Les gouvernements et les parlements devraient considérer la lutte contre l’antisémitisme comme une priorité et une responsabilité. Des plans d’action destinés à prévenir et combattre le racisme, l’antisémitisme et l’islamophobie devraient être adoptés si ce n’est déjà fait, et inclure des mesures de sensibilisation à la lutte contre les stéréotypes négatifs. Je me félicite de la désignation d’une coordinatrice de l’Union européenne pour la lutte contre l’antisémitisme et j’attends avec intérêt les actions qu’elle entreprendra au niveau de l’Union européenne. J’encourage également les parlements à organiser des événements de sensibilisation à la nécessité de lutter contre l’antisémitisme au niveau national, avec le soutien de l’Alliance parlementaire contre la haine, et je les appelle à réagir aux déclarations et incidents antisémites et à donner l’exemple.
96. Les actions futures devraient viser spécifiquement à renforcer le cadre législatif afin de prévenir et combattre l'antisémitisme et redoubler d’efforts pour lutter contre le discours de haine. Je recommande également de poursuivre les programmes de commémoration de l'Holocauste et d’investir dans la jeunesse comme moyen le plus efficace de prévenir les manifestations futures de lutte contre l'antisémitisme.
97. Si la sécurité de tous les citoyens, y compris les citoyens juifs, est une priorité, une présence militaire à long terme pour protéger les lieux de culte n’est pas une solution viable, car elle contribue également à renforcer un climat de peur. J’encourage les gouvernements et les parlements à réfléchir aux causes profondes de l’antisémitisme et de ses violentes manifestions et à en débattre.
98. L'antisémitisme ne revient pas à rétablir la justice pour les actes répréhensibles, prétendus ou avérés, de l’Etat d’Israël. Il doit être possible de critiquer les politiques d’Israël sans être targué d’antisémitisme. Je suis conscient que ce sujet peut facilement être instrumentalisé et j’espère que l’Assemblée engagera le dialogue sur cette question avec la délégation d’observateurs de la Knesset auprès de l’Assemblée parlementaire. Il est cependant inacceptable que la critique à l’égard d’un Etat soit utilisée afin d’alimenter des sentiments et une propagande antisémite. Cette question devrait être soulevée dans le cadre d’un dialogue entre l’Assemblée et ses partenaires pour la démocratie, y compris le Conseil national palestinien.
99. L’antisémitisme n’est pas un phénomène isolé et il devrait également être examiné concomitamment à d’autres formes de haine. L’Europe est de plus en plus diverse et les interactions entre personnes de religions différentes pourraient contribuer à réduire les préjugés et la discrimination. Des campagnes de sensibilisation à la diversité et au vivre ensemble sont nécessaires partout en Europe. Je compte à cette fin sur la coopération de l’Alliance parlementaire contre la haine et sur la campagne «Mouvement contre le discours de haine».
100. La lutte contre l’antisémitisme et la prévention de ce phénomène sont des questions liées aux droits humains, qui sont au cœur des valeurs fondamentales du Conseil de l’Europe. Ce combat est important non pas parce que les juifs méritent plus de protection que les autres, mais car, dans le passé, l’antisémitisme a montré comment les préjugés et l’intolérance pouvaient au fil du temps évoluer en harcèlement et discrimination systématiques, et conduire au final au génocide et au massacre de personnes au nom de leurs identité ou origine juive. L’Europe a besoin que sa communauté juive se sente en sécurité et chez elle.