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Rapport | Doc. 14010 | 01 avril 2016

Prévenir la radicalisation d’enfants en s’attaquant à ses causes profondes

Commission des questions sociales, de la santé et du développement durable

Rapporteure : Mme Sevinj FATALIYEVA, Azerbaïdjan, CE

Origine - Renvoi en commission: Doc. 13778, Renvoie 4134 du 22 juin 2015. 2016 - Deuxième partie de session

Résumé

Les attentats terroristes perpétrés dans plusieurs pays d’Europe et du voisinage au cours de l’année écoulée sont le douloureux résultat d’une tendance très inquiétante: le nombre croissant d’enfants et de jeunes qui, à la recherche d’une identité et d’une vraie place dans la société, se tournent vers les mouvements extrémistes. Leurs sentiments exacerbés d’injustice et de frustration face à leur exclusion sociale comptent au nombre des principales causes profondes qui contribuent à la vulnérabilité des jeunes et renforcent leur volonté d’adhérer à des groupes extrémistes, parfois violents, qui les investissent, à leurs yeux, d’une mission sociale.

L’Assemblée parlementaire devrait appeler les Etats membres du Conseil de l'Europe à faire tout leur possible pour garantir l’inclusion sociale des enfants et des jeunes à risque grâce à l’éducation et à la formation ainsi qu’à des programmes ciblés de prévention, de déradicalisation et de réinsertion. Elle devrait aussi promouvoir des campagnes de sensibilisation – à la fois contre la radicalisation elle-même et contre le discours de haine et la discrimination qui poussent un nombre encore accru de mineurs vers des mouvements radicaux – le développement du dialogue au sein des communautés religieuses et avec elles ainsi que des mesures visant des milieux particuliers où les enfants et les jeunes sont soumis à l’influence des mouvements extrémistes, comme les établissements pénitentiaires ou les médias sociaux.

A. Projet de résolution 
			(1) 
			Projet
de résolution adopté à l’unanimité par la commission le 15 mars
2016.

(open)
1. Le phénomène de la radicalisation islamiste endogène s’est considérablement développé ces dernières années. Des jeunes, dont de nombreux mineurs, sensibles au discours idéologique émanant des organisations islamistes radicales et à l’apparent «sentiment d’utilité sociale» qu’elles leur procurent, sont entraînés dans des mouvements extrémistes engagés dans des conflits violents, en Syrie et en Irak par exemple, et qui commettent des actes terroristes, y compris en Europe.
2. L’Assemblée parlementaire est très préoccupée par cette évolution. Elle considère que la prévention est la solution clé. Il faut dissuader les enfants et les jeunes de se tourner vers les mouvements extrémistes dès le plus jeune âge, au moment où se forment les valeurs et les convictions. Les stratégies de prévention, de déradicalisation et de réinsertion doivent cibler la personne dans son contexte particulier, être globales et fondées sur des partenariats locaux entre de multiples institutions.
3. Le discours de haine, l’islamophobie et la discrimination à l’égard de jeunes d’origine musulmane ou de communautés musulmanes en tant que telles (dont des réfugiés arrivant en Europe) renforcent la radicalisation religieuse. Alors que la réponse européenne aux activités terroristes doit être assurée d’une manière extrêmement ciblée par des agences spécialisées, dont les services de renseignements et les institutions judiciaires et policières, les causes profondes endogènes doivent être traitées aux niveaux national et en particulier local, dans le cadre de vie quotidien des enfants et des jeunes. Les stratégies correspondantes doivent respecter les droits humains et les libertés fondamentales afin d’éviter de susciter à nouveau du ressentiment.
4. Au vu de ces considérations, l’Assemblée parlementaire appelle les Etats membres du Conseil de l’Europe:
4.1. s’agissant de l’intégration sociale par l’éducation et la formation:
4.1.1. à offrir à tous les enfants et les jeunes les mêmes chances et des perspectives d’avenir, à leur donner un sentiment d’utilité sociale ainsi que des perspectives de mobilité sociale;
4.1.2. à dispenser aux enfants et aux jeunes une éducation à la citoyenneté démocratique et à favoriser leur adhésion à des valeurs européennes comme le respect et la tolérance, y compris en encourageant leur participation;
4.2. s’agissant des stratégies ciblées:
4.2.1. à soutenir les institutions et organisations de la société civile spécialisées, à désigner des personnes de référence au niveau local et à mettre en place des programmes ciblés de prévention, de déradicalisation et de réinsertion, y compris en suivant des approches différenciées selon le genre;
4.2.2. à offrir une formation spécifique à toutes les parties concernées (services de répression, travailleurs sociaux, organisations non gouvernementales (ONG), familles) afin de leur donner les outils nécessaires pour prévenir une radicalisation (accrue) des enfants à risque;
4.2.3. à soutenir activement la déradicalisation des jeunes qui quittent les mouvements extrémistes en facilitant leur réinsertion afin d’éviter qu’ils ne servent les causes terroristes en tant qu’«agents multiplicateurs»;
4.2.4. à mettre en œuvre des programmes spécifiques pour les jeunes incarcérés;
4.2.5. à promouvoir des partenariats multiples fondés sur la confiance mutuelle, en instaurant une cloison étanche entre les services de signalement et les services d’appui;
4.3. s’agissant des politiques urbaines, à investir dans l’amélioration des quartiers défavorisés et de leur infrastructure sociale;
4.4. s’agissant plus généralement de l’action sociale et du dialogue:
4.4.1. à faciliter le dialogue entre les communautés religieuses et les familles afin de repérer les enfants et les jeunes à risque et de favoriser la compréhension et le respect mutuels entre les religions;
4.4.2. à mener des campagnes et à mettre en œuvre des mesures ciblées contre l’islamophobie et d’autres formes de discours de haine susceptibles de renforcer d’autant plus le cercle vicieux de la discrimination et la défiance entre les systèmes politiques et religieux qui alimentent l’extrémisme;
4.5. s’agissant des politiques visant à rendre internet plus sûr:
4.5.1. à encourager les familles et l’école à apprendre aux enfants à faire un bon usage d’internet afin qu’ils prennent conscience des contenus extrémistes et se montrent critiques vis‑à‑vis des méthodes manipulatrices employées par les organisations radicales;
4.5.2. à lutter contre la diffusion de la propagande radicale et du discours de haine par le biais d’internet, des médias sociaux et d’autres techniques de communication en renforçant les mécanismes d’alerte;
4.6. s’agissant des services de répression et de renseignement: à créer des systèmes destinés à identifier les personnes radicalisées et les délinquants condamnés et à faciliter l’échange d’informations à leur sujet afin de suivre leurs déplacements transfrontaliers en Europe et d’éviter d’autres actes criminels, tout en respectant leurs droits humains et leurs libertés fondamentales.
5. L’Assemblée invite, en outre, les Etats membres:
5.1. à signer, ratifier et appliquer, s’ils ne l’ont pas encore fait, la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention du terrorisme (STCE no 196) et son Protocole additionnel (STCE no 217);
5.2. à soutenir et mettre en œuvre le Plan d’action du Conseil de l’Europe sur «La lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme (2015-2017)», les Lignes directrices à l’intention des services pénitentiaires et de probation concernant la radicalisation et l’extrémisme violent adoptées par le Comité des Ministres en mars 2016, ainsi que la Stratégie du Conseil de l’Europe sur les droits de l’enfant (2016-2021) qui sera lancée en avril 2016 et qui vise aussi à prévenir la radicalisation d’enfants;
5.3. à échanger des informations et de bonnes pratiques concernant les meilleurs stratégies et outils destinés à éviter la radicalisation, à déradicaliser les jeunes concernés et à réinsérer les personnes qui regagnent leur pays après avoir combattu à l’étranger et appartenu à des organisations extrémistes.

B. Exposé des motifs, par Mme Sevinj Fataliyeva, rapporteure

(open)

1. Introduction

1. L’onde de choc des attaques terroristes perpétrées par des islamistes radicaux à Paris (France) le 13 novembre 2015 a frappé l’Europe. Les attentats de Paris ont été perçus comme une véritable attaque contre les valeurs européennes fondamentales du «vivre ensemble», pacifiquement, dans une société multiculturelle. La donne a changé du jour au lendemain. Des attaques terroristes massives avaient déjà frappé d’autres pays européens comme la Turquie et des pays voisins comme la Tunisie au cours des mois précédents, et de nombreux citoyens, d’Europe occidentale en particulier, ont commencé à se demander s’ils pourraient toujours, au quotidien, vivre en toute sécurité.
2. Les événements de novembre 2015 ont aussi conduit les gens à se rendre compte que les auteurs des attentats n’étaient pas des ressortissants étrangers mais des jeunes qui étaient nés et avaient grandi en Europe, membres de communautés européennes et citoyens européens. Il s’agissait de voisins, de connaissances, d’amis ou de proches entraînés dans des mouvements extrémistes et donc «radicalisés», un processus qui passe souvent inaperçu pour l’entourage. Depuis les derniers attentats, des responsables du gouvernement et des experts ont commencé à appeler à mener une action préventive contre la radicalisation des jeunes, y compris en prenant des mesures s’attaquant aux «causes profondes».
3. Dans sa Résolution 2031 (2015) «Attaques terroristes à Paris: ensemble pour une réponse démocratique», adoptée en janvier 2015, l’Assemblée parlementaire a demandé aux Etats membres de prendre des «mesures préventives visant à éradiquer les causes mêmes de la radicalisation (…) chez les jeunes» et «des mesures pour combattre la marginalisation, l’exclusion sociale, la discrimination et la ségrégation, en particulier chez les jeunes de quartiers défavorisés». Pour donner directement suite à ce texte, je voudrais explorer les lignes d’action susceptibles de constituer des politiques efficaces contre la radicalisation de mineurs 
			(2) 
			Aux fins du présent
rapport, les termes «mineurs» et «enfants» sont employés alternativement
pour désigner les personnes de moins de 18 ans, conformément à la
définition donnée par la Convention des Nations Unies relative aux droits
de l’enfant, selon laquelle un enfant s’entend de «tout être humain
âgé de moins de dix-huit ans», <a href='http://www.ohchr.org/en/professionalinterest/pages/crc.aspx'>www.ohchr.org/en/professionalinterest/pages/crc.aspx</a>..
4. En tant que rapporteure générale sur les enfants de l’Assemblée parlementaire et parlementaire engagée dans la défense des droits de l’enfant dans mon propre pays, l’Azerbaïdjan, je suis animée par la conviction que des mesures visant à empêcher efficacement les processus de radicalisation, de nature politique ou religieuse, doivent être mises en place à l’intention des jeunes et des enfants, et ce dès le plus jeune âge. Le présent rapport se propose donc d’analyser, d’une part, les «causes profondes» de la radicalisation des enfants dans différents contextes, sans exclure entièrement les jeunes (jusqu’à 24 ans) 
			(3) 
			Selon
la définition de la jeunesse donnée par l’Organisation des Nations
Unies, qui inclut toute personne jusqu’à l’âge de 24 ans, <a href='http://www.un.org/esa/socdev/documents/youth/fact-sheets/youth-definition.pdf'>www.un.org/esa/socdev/documents/youth/fact-sheets/youth-definition.pdf</a>. NB: Bien que le présent document soit principalement
axé sur les enfants, les jeunes doivent aussi être englobés dans
ces considérations, étant donné que leurs agissements, à cet âge,
s’expliquent souvent par leur vécu antérieur. Les processus de radicalisation commencent
à un stade précoce mais ne se manifestent souvent qu’à l’âge adulte;
il importe de les aborder de manière globale. qu’ils deviendront bientôt, et, de l’autre, les actions requises pour les empêcher d’être victimes des mouvements extrémistes en tout genre qui les privent d’avenir et mettent en danger leur vie et celle d’autrui.
5. Lutter contre la radicalisation est non seulement pertinent pour des questions de sécurité européenne, mais aussi essentiel sous l’angle des droits de l’enfant. Les enfants et les jeunes radicalisés ne sont pas extrémistes «de naissance». Ils sont attirés dans le piège des mouvements extrémistes par des cercles terroristes implacables, pour qui ils constituent une «proie facile», susceptible de subir l’influence d’idéologies politiques et religieuses qui leur donnent, apparemment, leur place au sein d’une «communauté» choisie. Dans la forme la plus extrême de radicalisation, qui conduit à commettre un attentat-suicide, les jeunes en arrivent à croire qu’ils sont les «héros» d’une cause mondiale, alors qu’ils sont manipulés pour servir les desseins odieux d’idéologues prêts à sacrifier les vies de personnes pacifiques.
6. Afin de prendre des mesures rapides à la suite des événements dramatiques de début 2015 à Paris, la commission a sollicité l’expertise externe de M. Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Belgique) 
			(4) 
			Audition sur le thème
«Réagir de manière constructive à la radicalisation d'enfants» tenue
lors de la réunion de la commission le 24 mars 2015 à Paris., ainsi que, en juin 2015 (par conséquent avant ma nomination comme rapporteure), par le biais d’une audition conjointe d’experts sur le thème «Prévenir l’islamophobie dans la lutte contre la radicalisation des jeunes» avec l’Alliance parlementaire contre la haine de l’Assemblée. Je tiens à remercier les experts concernés pour leurs précieuses contributions au présent rapport 
			(5) 
			Les experts présents
lors de l’audition du 23 juin 2015 étaient M. Tahir Abbas, professeur
au département de sociologie de l’université Fatih (Istanbul, Turquie),
M. Bernard De Vos, délégué général aux droits de l’enfant de la Fédération
Wallonie-Bruxelles (Belgique), et M. Francesco Ragazzi (PhD), maître
de conférences en relations internationales à l’Institut de science
politique de l’université de Leiden (Pays-Bas)..
7. D’importantes recommandations pour prévenir l’extrémisme, notamment politique, ont déjà été formulées par l’Assemblée dans la Résolution 2011 (2014) «Faire barrage aux manifestations de néonazisme et d’extrémisme de droite». En vue de présenter des conclusions et recommandations qui viendront compléter ce texte antérieur, et à la lumière des dernières attaques terroristes perpétrées en référence à une motivation religieuse extrémiste, je vais examiner ici les tendances en matière de radicalisation d’enfants et de jeunes, notamment enclenchées par les extrémistes islamistes.
8. La prévention de la radicalisation a aussi été définie comme une priorité du Conseil de l’Europe, comme en témoigne la Déclaration du Comité des Ministres intitulée «Unis autour de nos principes contre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme». Adoptée à Bruxelles en mai 2015 
			(6) 
			CM(2015)74 final, 19
mai 2015 (adopté à la 125e session du
Comité des Ministres)., elle introduit un plan d’action du Conseil de l’Europe destiné à combattre l’extrémisme violent et la radicalisation conduisant au terrorisme 
			(7) 
			CM(2015)74 add final,
19 mai 2015 (adopté à la 125e session
du Comité des Ministres).. Ces documents serviront de référence lorsqu’il faudra élaborer les mesures pertinentes à prendre par les gouvernements et les parlements nationaux, aux côtés de la résolution du Parlement européen de novembre 2015 
			(8) 
			Parlement européen/Direction
générale des politiques internes: Preventing and Countering Youth
Radicalisation in the EU, étude réalisée pour la Commission LIBE,
Bruxelles, avril 2014: 
			(8) 
			<a href='http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/2014/509977/IPOL-LIBE_ET(2014)509977_EN.pdf'>www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/2014/509977/IPOL-LIBE_ET(2014)509977_EN.pdf</a>; Résolution du Parlement européen du 25 novembre 2015
sur la prévention de la radicalisation et du recrutement de citoyens
de l’Union par des organisations terroristes (2015/2063(INI))., alors que, pour toute action à développer au niveau local, les textes récents du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe contiennent des recommandations utiles.

2. L’enjeu: les mineurs entraînés dans des mouvements radicaux et extrémistes

9. «La radicalisation des jeunes ne tient pas à une seule et unique raison. (…) Ni à une seule cause profonde. La radicalisation est un processus qui peut survenir dans n’importe quelle société», a déclaré le professeur Neumann, directeur du Centre international d’études sur la radicalisation du King’s College de Londres, devant le Conseil de sécurité des Nations unies 
			(9) 
			King’s College de Londres,
article posté le 29 avril 2015: <a href='http://www.kcl.ac.uk/newsevents/news/newsrecords/2015/April/ICSR-discuss-young-extremists-at-UN-Security-Council.aspx'>www.kcl.ac.uk/newsevents/news/newsrecords/2015/April/ICSR-discuss-young-extremists-at-UN-Security-Council.aspx</a>. . Je souhaite examiner quelques-unes des facettes du phénomène afin de préparer le terrain pour des recommandations visant à une action immédiate qui devient urgente.

2.1. Les processus et causes typiques de la radicalisation

10. La radicalisation peut être définie comme «le processus qui consiste à soutenir ou à encourager des activités jugées (par les autres) contraires à des normes sociales importantes (comme le massacre de civils)». Les experts distinguent aussi la radicalisation cognitive de la radicalisation comportementale, selon que les idées radicales s’expriment par des convictions ou des actes, ainsi qu’entre les différentes causes de la radicalisation en fonction de déterminants endogènes (socio-économiques), géopolitiques (influence des événements internationaux et des groupes terroristes) et idéologiques (justification idéologique des actes de violence) 
			(10) 
			Léa Hannaoui-Saulais,
Menace within Home-grown Islamic radicalisation in Western Europe:
Roots, processes & prevention policies, thèse en Etudes Européennes
Interdisciplinaires, Collège d’Europe, campus de Natolin (Varsovie), 2014-2015. .
11. Bien que les derniers attentats en date commis par des islamistes radicaux aient conduit au présent rapport, je voudrais rappeler que les mouvements religieux et les mouvements politiques ont recours à des méthodes similaires pour attirer les enfants et les jeunes dans leur sphère d’influence, et que la vulnérabilité de ces groupes d’âges vis-à-vis de ce type de mouvements a des causes profondes similaires.
12. En Belgique, les services nationaux de sécurité et prévention ont distingué trois stades dans le processus de «radicalisation»  
			(11) 
			Comprendre la radicalisation
à travers deux cas belges, <a href='http://www.besafe.be/'>www.besafe.be</a>.: 1) un sentiment d’insécurité, qui 2) trouve ensuite son expression dans la violence, voire 3) le terrorisme. Ce type de progression peut être observé à la fois dans les processus de radicalisation d’inspiration politique, comme le mouvement néonazi «Blood and Honour» présent dans plusieurs pays, et dans les processus de radicalisation «religieuse». Dans les deux types de radicalisation, des facteurs individuels et sociaux sont à l’œuvre. A l’origine, la personne concernée éprouve souvent un sentiment d’injustice subie ou de frustration, par exemple en raison d’une discrimination sociale ou d’une absence d’opportunités économiques et sociales. Dans les formes de radicalisation politique, le vécu personnel, comme des altercations avec des personnes issues de minorités qui servent de boucs émissaires faciles (étrangers, homosexuels, etc.), un milieu familial défavorisé ou la perte d’un emploi, peut accentuer l’influence de l’idéologie sur une personne vulnérable.
13. La dimension sociale de certains mouvements et rassemblements politiques, qui s’accompagnent d’activités collectives (concerts, soirées, ateliers) souvent placées sous le signe de la distraction (consommation d’alcool ou de drogue), facilite l’acceptation des valeurs d’un mouvement politique et contribue à dissiper les méfiances quant à l’idéologie véhiculée. Un sentiment de solidarité, la pression des pairs et le caractère clandestin des rassemblements conduisent les jeunes à basculer plus encore dans les mouvements extrémistes. A terme, cela finit par les isoler d’autres réseaux sociaux, suscitant ainsi la motivation de commettre des actes de violence pour le compte de leur communauté d’adoption.
14. Les processus de radicalisation «religieuse» interviennent de façon analogue, mais obéissent aussi à d’autres ressorts, comme une quête d’identité religieuse et une volonté d’adhérer à certaines causes collectives, par exemple rendre justice aux membres de la communauté qui souffrent à l’étranger. Curieusement, dans de nombreux cas, les jeunes sont plutôt laïcs avant d’entrer dans la radicalisation, qui intervient souvent au sein des réseaux informels d’amis et de pairs puis des médias sociaux. Un facteur important dans ces processus est semble-t-il la présence d’une personnalité charismatique qui tient des discours persuasifs, dans les lieux religieux, à l’école, à l’université, dans les prisons ou par le biais des médias sociaux 
			(12) 
			M. Bizina et D.H. Gray,
«Radicalization of Youth as a Growing Concern for Counter-Terrorism
Policy», Global Security Studies,
hiver 2014, volume 5, no 1..
15. Dans notre examen des causes profondes de la radicalisation, nous devons établir une distinction entre les facteurs d’incitation et d’attraction, c’est-à-dire les facteurs qui attirent activement les individus vers les mouvements extrémistes et ceux qui les poussent à rejoindre ces mouvements. Au nombre des premiers, citons la «séduction» exercée par les mouvements extrémistes eux-mêmes, l’idéologie qu’ils offrent aux nouvelles recrues et leurs méthodes de persuasion, qui ciblent souvent des enfants et des jeunes vulnérables et influençables. Dans la mesure où le renforcement de l’emprise idéologique intervient en grande partie, tout comme le recrutement proprement dit, dans des pays lointains ou par le biais d’internet et des médias sociaux et où les moyens financiers sont mis à disposition par des organisations extracommunautaires (comme l’organisation terroriste connue sous le nom de «Daech»), ces facteurs doivent être abordés par des services répressifs et de renseignement hautement spécialisés.
16. Les facteurs d’attraction seraient en revanche des facteurs endogènes liés aux conditions de vie des enfants et des jeunes en Europe, qui les exposent au risque de devenir victimes de mouvements extrémistes ou même terroristes et, à terme, d’être exploités par ces mouvements. Les récents attentats perpétrés en France ont attiré l’attention sur ces facteurs, qui figurent assurément parmi les premiers à aborder dans le cadre d’initiatives publiques et privées au sein de chacun des Etats membres du Conseil de l’Europe. Les facteurs «endogènes» et «exogènes» sont bien évidemment étroitement liés lorsque des mineurs sont recrutés comme combattants étrangers. Ce qui m’intéresse le plus à titre personnel, cependant, est d’envisager ce qui pourrait être fait pour réduire la vulnérabilité de ces enfants et empêcher leur radicalisation, donc les facteurs endogènes de tels processus.
17. L’étude de 2014 du Parlement européen sur le thème «Prévenir et lutter contre la radicalisation des jeunes dans l’UE» a confirmé que plusieurs causes, y compris des causes profondes remontant à la petite enfance, pouvaient conduire à la radicalisation d’un individu. Elle a également montré que l’Etat, par le biais des conditions de vie sur son territoire et de la politique extérieure, pouvait – dans une certaine mesure – contribuer à créer le contexte dans lequel certaines personnes étaient entraînées dans la mouvance extrémiste. Dans ce cas, les experts recommandent d’employer les termes d’«escalade» et de «désescalade» au lieu de radicalisation (souvent vue comme une dynamique à sens unique) 
			(13) 
			Parlement
européen / Direction générale des politiques internes, Preventing
and Countering Youth Radicalisation in the EU, étude réalisée pour
la Commission LIBE, Bruxelles, avril 2014: <a href='http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/2014/509977/IPOL-LIBE_ET(2014)509977_EN.pdf'>www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/2014/509977/IPOL-LIBE_ET(2014)509977_EN.pdf</a>..

2.2. Processus de radicalisation religieuse: observations globales en Europe

18. La radicalisation de mineurs est un problème de plus en plus préoccupant en Europe et en Amérique du Nord. Comme indiqué en juin 2015 par M. Abbas, professeur à l’université Fatih d’Istanbul, c’est probablement au Royaume-Uni qu’ont été menées le plus de recherches en la matière. Ce pays a connu plusieurs vagues de «djihadisme» 
			(14) 
			«Djihadisme»
est un terme employé par les médias pour décrire l’idéologie de
mouvements musulmans extrémistes; le terme de «djihad», utilisé
plus souvent par l’islam, signifie «effort» ou «lutte» (en arabe)
et désigne la lutte intérieure de l’individu contre ses instincts
primaires, la lutte pour construire une bonne société musulmane
ou une guerre sainte menée contre les non-croyants; voir <a href='http://www.bbc.com/news/world-middle-east-30411519'>www.bbc.com/news/world-middle-east-30411519</a>. avec de jeunes musulmans quittant le pays pour participer à diverses guerres à l’étranger: 1) en Afghanistan et au Cachemire dans les années 1980; 2) en Irak – en lien avec la première guerre du Golfe – dans les années 1990; et 3) en Bosnie, toujours dans les années 1990. La vague actuelle a démarré au lendemain du Printemps arabe et concerne en particulier la Syrie et l’Irak. Ce phénomène a attiré l’attention d’analystes et de chercheurs dès les années 1980, mais n’était alors ni reconnu ni pénalisé par la loi britannique.
19. La situation a changé après les événements du 11 septembre 2001 à New York, la «guerre contre le terrorisme» conduisant à des restrictions des libertés civiles et à un encadrement plus strict des activités considérées comme potentiellement liées au terrorisme. Au Royaume-Uni, les personnes impliquées dans la première vague de djihadisme étaient des musulmans de seconde génération, nés au Royaume-Uni, d’origine sud-asiatique (Pakistanais et Bangladais), venus pour la plupart d’environnements urbains et de milieux défavorisés au sein de villes appauvries, offrant des opportunités socio-économiques et des perspectives limitées. La discrimination résultant du sentiment anti-immigrés et anti-musulman touche en outre plus particulièrement certaines communautés, notamment les personnes issues des classes populaires et celles ayant un faible niveau d’instruction, et rend les jeunes encore plus vulnérables aux influences extérieures.
20. Les experts travaillant dans d’autres pays, tels la Belgique, ne sont pas nécessairement en mesure d’identifier un profil type parmi les jeunes fondamentalistes. En Belgique, les jeunes «radicalisés» semblent souvent être issus de milieux socio-économiques différents et possèdent des degrés d’instruction divers. Cependant, tous partagent un profond sentiment d’injustice envers eux ou leur communauté (parfois comprise dans une perspective globale) qui peut les pousser à exprimer leur solidarité avec certaines «grandes causes» défendues par des extrémistes religieux ou politiques à l’étranger (voir le focus sur les causes profondes ci-dessous).
21. En Europe occidentale, les jeunes d’origine maghrébine de culture arabo-musulmane, en particulier, ressentent apparemment très souvent un sentiment de différence et d’infériorité par rapport aux autres au sein de leur environnement social et ne s’intègrent pas dans la société; alors qu’ils vivent dans le pays depuis des années (ou des générations), ils sont toujours considérés comme des immigrés. Dans ces cas, l’extrémisme religieux, mais aussi la délinquance, peuvent être une manière d’exprimer leur différence. Cela peut aussi être une forme de protestation contre les limitations fixées par la société dominante aux modes d’expression liés aux croyances religieuses (comme le voile intégral, fête du sacrifice ou le mois de jeûne du Ramadan). Leur intérêt accru pour des actions et idéologies radicales conduit fréquemment ces jeunes à blâmer (par projection) la société pour leurs souffrances 
			(15) 
			M.
Bizina et D.H. Gray, «Radicalization of Youth as a Growing Concern
for Counter-Terrorism Policy», op. cit. .
22. A cet égard, je souhaiterais attirer particulièrement l’attention sur les travaux relatifs aux «Combattants étrangers en Syrie et en Irak» 
			(16) 
			Doc. 13937 et la Résolution
2091 (2016). menés récemment par l’Assemblée parlementaire, dans le cadre de laquelle le rapporteur, M. Dirk Van der Maelen (Belgique, SOC), a préparé une analyse détaillée des causes sous-jacentes qui conduisent les jeunes à s’engager comme combattants étrangers, y compris leur condition sociale et leur quête d’identité. Dans la résolution telle qu’adoptée, l’Assemblée s’est dite extrêmement préoccupée par le flux croissant de combattants étrangers – des hommes et des femmes de l’Europe entière – qui se rendent en Syrie et en Irak pour rejoindre des groupes extrémistes violents perpétrant des crimes contre des citoyens européens et contre la population locale des pays de destination; elle a relevé que plus de 20 000 combattants étrangers, dont un cinquième de résidents ou de ressortissants des pays d’Europe occidentale (principalement la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, ainsi que la Suède et le Danemark proportionnellement à leur population relativement réduite), avaient rejoint des organisations militantes dans ces deux pays 
			(17) 
			Peter
Neumann, «Le nombre d’étrangers en Syrie et en Irak dépasse aujourd’hui
les 20 000 combattants, soit un nombre plus élevé que pendant le
conflit en Afghanistan dans les années 1980», ICSR, King’s College
London, 26 janvier 2015, <a href='http://icsr.info/2015/01/foreign-fighter-total-syriairaq-now-exceeds-20000-surpasses-afghanistan-conflict-1980s/'>http://icsr.info/2015/01/foreign-fighter-total-syriairaq-now-exceeds-20000-surpasses-afghanistan-conflict-1980s/</a>..
23. L’Assemblée a également, et à juste titre, attiré l’attention sur une tendance des plus préoccupantes – l’engagement de plus en plus marqué des jeunes femmes en faveur d’organisations terroristes comme «Daech». Sur 3 000 occidentaux qui seraient partis combattre, 550 seraient des femmes et des jeunes filles 
			(18) 
			Hoyle, Bradford et
Frenett, Becoming Mulan? Female Western migrants to ISIS, Institute
for Strategic Dialogue, 2015.. Leur nombre a progressé de manière significative depuis la déclaration du califat en 2014. Sur ces 550 femmes occidentales, il y aurait quelque 70 Allemandes, 63-70 Françaises, 60 Britanniques, 30 Néerlandaises et 14 Autrichiennes 
			(19) 
			Bakker
et de Leede, European Female Jihadists in Syria: Exploring an Under-Researched
Topic, note d’information ICCT, avril 2015.. Bien souvent, leur rôle n’est pas tant de combattre que de soutenir indirectement l’organisation terroriste, par exemple en recrutant de nouveaux adeptes 
			(20) 
			Ibid., p. 9; Badran, Women and Radicalization,
DIIS Working Paper No. 2006/5; Hoyle, Bradford et Frenett, Becoming
Mulan? Female Western migrants to ISIS, op.
cit.. Dans une étude de 2012, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) insiste sur l’importance de tenir compte de la radicalisation des femmes et rappelle que, bien souvent, les facteurs de radicalisation sont identiques pour les hommes, les femmes, les garçons et les filles 
			(21) 
			OSCE, Women and Terrorist
Radicalization (les femmes et la radicalisation terroriste) – rapport
final, février 2013, n° 5.. Le rôle des familles pour faire «obstacle à la migration», le rôle clé d’internet 
			(22) 
			Bhui, Warfa et Jones,
Is Violent Radicalisation Associated with Poverty, Migration, Poor
Self-Reported Health and Common Mental Disorders? PLoS ONE 9(3);
Hoyle, Bradford et Frenett, Becoming Mulan? Female Western migrants
to ISIS, op. cit. et une «interaction renforcée avec les petites organisations de femmes au niveau local» sont d’une importance cruciale pour lutter contre la radicalisation des jeunes femmes et des filles 
			(23) 
			OSCE, Women and Terrorist
Radicalization (les femmes et la radicalisation terroriste) – rapport
final, février 2013, n° 23..
24. Si la disponibilité des données est très variable en Europe, des études spécifiques sur certains pays confirment les tendances générales et les déterminants communs, comme le montre une étude récente sur la Bosnie-Herzégovine, où on a constaté que 156 hommes, 36 femmes et 25 enfants se sont rendus en Syrie (décembre 2012-décembre 2014). Parmi les principales causes du phénomène, les experts ont identifié une érosion rapide des valeurs socioculturelles dans le pays après le conflit, la violence et l’idéologie perçues comme seuls moyens disponibles pour s’affirmer et pour se protéger, et un taux de chômage très élevé (44 % au niveau national et 63 % chez les jeunes, taux le plus élevé au monde), qui font des 15-24 ans un groupe particulièrement ciblé 
			(24) 
			Asinovic et Jusic,
The lure of the Syrian war: the foreign fighters’ Bosnian Contingent,
Atlantic Initiative, Sarajevo 2015..
25. Les pays d’Europe de l’Est dont le mien, l’Azerbaïdjan, connaissent aussi le phénomène du radicalisme islamiste, apparu dans le sillage de leur indépendance à l’égard de l’Union soviétique. Mon pays a notamment assisté à la montée d’importantes communautés d’obédience salafiste, doctrine fondée sur une interprétation extrémiste de l’islam et une division sectaire des différents courants islamiques (sunnite et chiite). Les mouvements radicaux implantés dans le pays tentent régulièrement de recruter des ressortissants azerbaïdjanais, dont des jeunes, comme combattants étrangers, dans les conflits en Irak ou en Syrie par exemple. Les recherches ont toutefois fait apparaître un affaiblissement relatif du phénomène de radicalisation ces dernières années grâce à la mise en place de plusieurs initiatives positives, comme la révision de la loi relative à la liberté religieuse et le contrôle des mosquées, deux mesures qui facilitent la détection des premiers signes de radicalisation. En tant que société multiculturelle et laïque qui s’attache à promouvoir une cohabitation pacifique entre différentes communautés et une interprétation modérée de la religion, l’Azerbaïdjan est régulièrement vu comme un pays à même de jouer un rôle plus actif comme médiateur des conflits sectaires au Moyen-Orient et de favoriser un dialogue plus approfondi entre l’Occident et le monde islamique 
			(25) 
			European Foundation
for Democracy, «Secularism in Azerbaijan and the Threat of Radicalisation
in the Region», projet de lutte contre l’extrémisme, Bruxelles,
juin 2015..

2.3. Causes profondes observées «sur le terrain»: le statut social des enfants, les opportunités qui leur sont offertes, leur quête d’identité

26. Une contribution essentielle à la compréhension par notre commission des causes profondes de la radicalisation d’enfants et de jeunes a été apportée par M. Bernard De Vos, Délégué général aux droits de l’enfant de la Fédération Wallonie-Bruxelles, invité à s’exprimer devant la commission des questions sociales en mars 2015. Cet expert, qui étudie la radicalisation de mineurs depuis plusieurs années, a notamment abordé la question avec des jeunes originaires des quartiers défavorisés de Bruxelles, qui font l’objet d’une grande attention à la suite des derniers attentats perpétrés à Paris (certains des terroristes avaient grandi à Molenbeek, dans la région de Bruxelles).
27. Dans le cadre des travaux qu’il a menés auprès d’enfants et de jeunes à Bruxelles, M. Bernard De Vos a identifié deux principales causes expliquant leur radicalisation: (1) un sentiment de profonde injustice, de ségrégation ou de marginalisation, souvent dû à l’exclusion de la société «dominante» et à la discrimination dont eux-mêmes ou d’autres sont victimes (pour accéder à l’enseignement supérieur ou au marché du travail par exemple), et (2) l’absence d’un but social dans la vie et le sentiment d’être inutile. Ces sentiments conduisent les jeunes à s’intéresser à toute action sociale qui leur est proposée, y compris par des chefs radicaux habiles pour établir des contacts avec des mineurs dans différents contextes (internet, communautés, associations, centres de détention.
28. Beaucoup de jeunes, en Belgique comme ailleurs, connaissent dès le départ la discrimination, d’abord dans le cadre de l’éducation nationale, puis dans l’emploi – ce processus peut certainement être vu comme une «bombe à retardement» et l’une des principales causes de radicalisation. D’autres jeunes se sentent stigmatisés après avoir quitté les mouvements radicaux et ont encore plus de mal à se réinsérer dans la société. Nous pouvons donc voir que la discrimination et la radicalisation sont deux phénomènes d’un même cercle vicieux, où des individus sont d’abord incités à adopter des idées extrémistes et ont ensuite les pires difficultés à s’extraire des mouvements extrémistes avec lesquels ils ont été en contact. Dans ce contexte, l’idéologie permet souvent aux jeunes radicaux de devenir «quelqu’un» d’une manière apparemment légitimée par une structure religieuse et politique, et «le désir fondamental de compter, de devenir quelqu’un, d’être respecté [devient] un élément déterminant sur la voie de l’extrémisme violent» 
			(26) 
			Léa Hannaoui-Saulais,
voir note 11..
29. Pour contrecarrer ces dynamiques négatives observées sur le terrain, les experts appellent à tenir un discours public dépourvu d’ambiguïté, désignant clairement les mouvements radicaux ou le terrorisme, mais sans les assimiler à l’islam en tant que tel. Le dialogue interreligieux et interethnique devrait dépasser les rites religieux et traiter de coutumes culturelles problématiques (comme l’éducation de «petit prince» pour les garçons dans certaines cultures, de même que le contrôle social excessif exercé sur les filles). Une partie de la solution passe par les sociétés européennes, qui doivent briser le cercle vicieux des inégalités en assurant à tous les jeunes l’égalité des chances et en luttant contre l’«islamophobie» (voir ci-après), telle qu’elle est parfois véhiculée par les mass media par exemple (voir plus bas). Au niveau individuel, la résistance morale des enfants et des jeunes doit être renforcée et il importe de donner à chacun d’entre eux une vraie place au sein de la société, par le biais de l’éducation, de l’emploi ou de l’engagement citoyen. Au niveau collectif, la notion de communauté doit être renforcée. La radicalisation est avant tout un défi socio-économique, face à de jeunes musulmans qui ne sont pas dotés des mêmes possibilités que leurs pairs, dans un contexte où les crimes de haine islamophobes se multiplient 
			(27) 
			Bizina
et Gray: Radicalization of Youth as a Growing Concern for Counter-Terrorism
Policy, op. cit..

2.4. L’islamophobie comme facteur aggravant

30. De mon point de vue, l’islamophobie, définie comme «une hostilité non fondée envers l’Islam et en conséquence la peur et l’aversion envers tous les musulmans ou la majorité d’entre eux» 
			(28) 
			Selon la
définition proposée par le Center for Race & Gender, University
of California, Berkeley (Etats-Unis), <a href='http://crg.berkeley.edu/content/islamophobia/defining-islamophobia'>http://crg.berkeley.edu/content/islamophobia/defining-islamophobia</a>., n’est pas l’une des causes profondes de la radicalisation, mais peut constituer un facteur aggravant dans certains engrenages vicieux qui mènent à l’extrémisme. La radicalisation et l’islamophobie sont donc étroitement liées et sont le produit d’un même contexte social dans de nombreux pays. Nous sommes tous régulièrement témoins de la désinformation et des idées fausses véhiculées à l’encontre des musulmans européens. Les projecteurs braqués sur le terrorisme et l’extrémisme détournent l’attention des musulmans ordinaires qui vivent comme des citoyens pacifiques partout en Europe. Il importe aussi de rappeler que les musulmans nés en Europe impliqués dans le «djihadisme» violent sont très peu nombreux, si l’on considère que les musulmans représentent de 5 % à 10 % de la population y compris dans des pays d’Europe occidentale comme l’Allemagne, le Danemark, la France, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.
31. S’agissant du Royaume-Uni, M. Abbas a expliqué à notre commission que l’islamophobie n’est apparue qu’à une époque relativement récente. Auparavant, il n’y avait pas véritablement de concept de communauté musulmane au Royaume-Uni, mais plutôt l’idée d’une communauté d'origine asiatique, avec une très faible connotation religieuse. Aujourd’hui, cependant, l'islamophobie est réelle et constitue une menace concrète, malgré les efforts pour la neutraliser dans les médias et la sphère politique. Au niveau mondial, les dernières décennies ont vu l’émergence de la thèse du «choc des civilisations», avec une incompréhension grandissante entre le monde occidental et les pays musulmans. Sur cette toile de fond, certains jeunes musulmans n’ayant pas une idée précise de ce qu’est l’islam peuvent considérer le «djihad» comme une forme de salut; il leur donne des moyens d’action que leur radicalisation rend justifiables. Dernièrement, au vu des derniers attentats terroristes et de la crise des réfugiés, il semble que l’islamophobie et le discours de haine à l’encontre des musulmans en général et des migrants en particulier soient salués par les mouvements terroristes internationaux, car ils rendent encore plus de personnes réceptives au discours extrémiste.
32. Dans ce contexte, la crise des réfugiés et des migrants que traverse actuellement l’Europe en raison, mais pas seulement, des conflits violents apparemment sans fin en Syrie et en Irak, est un autre phénomène sensible. Plusieurs pays européens connaissent une montée des attitudes et actes anti-immigrés et souvent antimusulmans, comme en février 2016 en Allemagne, où des cars transportant des réfugiés et des foyers ont été attaqués par une foule, certes peu nombreuse mais en furie, qui était opposée à leur venue 
			(29) 
			The
Guardian, «Mob chanting at bus of refugees in Germany
shames politicians (Les politiques en Allemagne embarrassés par
une foule scandant face à un bus de réfugiés)», 19 février 2016: <a href='http://www.theguardian.com/world/2016/feb/19/mob-chanting-bus-refugees-germany-politicians'>www.theguardian.com/world/2016/feb/19/mob-chanting-bus-refugees-germany-politicians</a>.. Ce genre d’événement ne peut qu’accentuer davantage encore la marginalisation des jeunes issus de l’immigration et, par la suite, leur sensibilité au discours extrémiste. Ces événements montrent également de quelle manière des mouvements extrémistes religieux et politiques, bien que d’origines différentes, peuvent être étroitement liés.

2.5. L’internet au cœur des réseaux de recrutement

33. Les recherches internationales conduites par l’Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) ont confirmé tout récemment que les groupes extrémistes violents ont adopté l’internet; ils utilisent de plus en plus cette technologie pour promouvoir la haine et la violence sur la base de motifs ethniques, religieux et culturels, recruter des jeunes et créer des communautés en ligne de portée mondiale qui peuvent encourager les opinions et les comportements extrémistes violents, favorisant ainsi les processus de radicalisation. Comme souligné par l’UNESCO, internet est devenu un outil stratégique pour accroître la visibilité et l’influence de groupes sectaires qui prospèrent comme communautés virtuelles, même s’ils se développent aussi hors ligne en marge des sociétés. Il importe par conséquent que la communauté internationale comprenne mieux le rôle qu’internet joue comme outil de recrutement pour l’extrémisme et la radicalisation et conçoive, en retour, des outils efficaces 
			(30) 
			Voir les informations
communiquées dans le cadre d’une conférence de l’Unesco organisée
en juin 2015, <a href='http://fr.unesco.org/sites/default/files/note_conceptuelle_-_les_jeunes_et_internet.pdf'>http://fr.unesco.org/sites/default/files/note_conceptuelle_-_les_jeunes_et_internet.pdf</a>..
34. S’agissant plus particulièrement de l’Europe et du Royaume-Uni, il ressort du rapport de la Rand Corporation, qui étudie la trajectoire de 15 terroristes et extrémistes violents, qu’internet joue bien un rôle dans la radicalisation 
			(31) 
			Rand Corporation/Rand
Europe (Behr, Reding, Edwards, Gribbon), Radicalisation in the digital
era. The use of the internet in 15 cases of terrorism and extremism,
Cambridge/Bruxelles, 2013, <a href='http://www.rand.org/content/dam/rand/pubs/research_reports/RR400/RR453/RAND_RR453.pdf'>www.rand.org/content/dam/rand/pubs/research_reports/RR400/RR453/RAND_RR453.pdf</a>.. Le rapport confirme qu’internet constitue un important moyen d’information, de communication et de propagande, qui crée davantage de possibilités de radicalisation et qui a un effet amplificateur, dans la mesure où certaines personnes y trouvent une confirmation plus marquée de leurs croyances que dans le cadre d’interactions hors ligne. Le rapport conclut toutefois qu’internet est (seulement) une facette de la radicalisation, et qu’il est essentiel que les travaux futurs s’intéressent à la fois aux problématiques en ligne et hors ligne pour pleinement comprendre les processus pertinents et inspirer la mise au point de nouvelles stratégies et politiques.

3. Mesures prises et recommandées par les parties intéressées du niveau européen jusqu’au niveau local

3.1. La radicalisation au regard des normes du Conseil de l’Europe

35. La liberté d’expression est un droit fondamental protégé par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (STE no 5) et l’un des fondements des sociétés démocratiques et plurielles. A ce titre, elle vaut non seulement pour les idées accueillies avec faveur, mais aussi pour celles qui peuvent heurter, choquer ou inquiéter l’Etat ou la population, comme souligné par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme («la Cour»).
36. Cette liberté fondamentale doit bien évidemment respecter d’autres droits fondamentaux et les droits d’autrui; on peut donc juger nécessaire de prévenir et de sanctionner toutes les formes d’expression qui propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine fondée sur l’intolérance 
			(32) 
			Cour européenne des
droits de l’homme, fiche thématique sur le discours de haine, novembre
2015, <a href='http://www.echr.coe.int/Documents/FS_Hate_speech_FRA.pdf'>www.echr.coe.int/Documents/FS_Hate_speech_FRA.pdf</a>.. A mon avis, ceci englobe non seulement les propos tenus par les mouvements radicaux contre les sociétés démocratiques et leurs valeurs fondamentales, mais aussi toute manifestation de haine contre les mouvements religieux présents en Europe (comme «l’islamophobie»; voir ci-dessus). Cependant, et comme confirmé par la jurisprudence de la Cour, toute «restriction» ou «sanction» imposée en matière de liberté d’expression doit bien entendu être proportionnée au but légitime poursuivi 
			(33) 
			Handyside c. Royaume-Uni, arrêt
du 7 décembre 1976, paragraphe 49..
37. Au niveau du Conseil de l’Europe, la lutte contre le terrorisme s’appuie sur un cadre juridique solide qui comprend la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme (STCE no 196) et son Protocole additionnel (STCE no 217), le Protocole additionnel à la Convention sur la cybercriminalité, relatif à l’incrimination des actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques (STE no 189), ainsi que d’autres textes. Bien que des progrès intéressants aient été accomplis ces dernières années en ce qui concerne l’adhésion à ces instruments et leur mise en œuvre, il est regrettable que des recommandations importantes de l’Assemblée parlementaire n’aient pas été prises en compte, notamment celles formulées dans l’Avis 289 (2015) sur le projet de protocole additionnel à la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, qui proposait de faire référence à la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies.
38. Outre un débat, en janvier 2015, sur le thème «Attaques terroristes à Paris: ensemble, pour une réponse démocratique», l’Assemblée a déjà fait part de ses préoccupations quant à la diffusion croissante du discours de haine, en particulier dans la sphère politique et sur internet, ainsi que dans les partis politiques et mouvements populistes et extrémistes anti-migrants, et a encouragé les Etats membres à développer des stratégies spécifiques et des plans d’action dans ces domaines 
			(34) 
			Voir
sa Résolution 2011 (2014) «Faire barrage aux manifestations de néonazisme et d’extrémisme
de droite» et sa Résolution
2069 (2015) «Reconnaître et prévenir le néo-racisme». .
39. Le Plan d’action du Conseil de l’Europe destiné à combattre l’extrémisme et la radicalisation conduisant au terrorisme (2015-2017), adopté par le Comité des Ministres lors de sa 125e session à Bruxelles le 19 mai 2015, appelle les Etats membres à renforcer le cadre juridique contre le terrorisme et l’extrémisme violent et à prévenir et combattre la radicalisation violente par des mesures concrètes dans le secteur public, en particulier dans les établissements scolaires et les prisons, et sur internet. Tous les Etats membres du Conseil de l’Europe devraient être invités à soutenir la mise en œuvre de ce plan d’action, notamment en renforçant leurs cadres juridiques et en prenant, au niveau national, des mesures plus spécifiques dans trois domaines: l’éducation, les prisons et internet.
40. Les activités relatives à l’intolérance et à la discrimination menées par le Conseil de l’Europe (par le biais de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) par exemple) dans le domaine de l’éducation (notamment la promotion des compétences pour la culture démocratique, le dialogue interculturel et l’accès à l’éducation et à l’emploi des réfugiés et des migrants) constituent une autre action qu’il convient de mentionner ici et sont une source d’inspiration intéressante pour l’action nationale. Dans ce contexte, j’aimerais souligner tout particulièrement l’importance de la campagne «Mouvement contre le discours de haine» qui a été prolongée jusqu’en 2017. L’Assemblée a largement contribué à cette initiative ces dernières années et continuera de le faire par le biais de l’Alliance parlementaire contre la haine, un réseau avec lequel notre commission a étroitement coopéré pour préparer le présent rapport. Le Conseil de l’Europe a lancé d’autres initiatives dans le domaine de la participation des enfants, avec notamment les travaux de 1 200 élèves sur «la tolérance et le vivre ensemble dans la paix» pour le Forum mondial de la démocratie qui se tiendra à Strasbourg à l’automne 2016.
41. S’agissant de l’action locale, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe a adopté une Stratégie pour combattre la radicalisation au plus près des citoyens en janvier 2015 et l’a complétée par des Lignes directrices à l’intention des collectivités territoriales sur la prévention de la radicalisation et des manifestations de haine à l’échelle locale, en septembre 2015. Il recommande la mise en place de stratégies locales pluri-institutionnelles, de partenariats pour la sécurité à l’échelle locale, la prise en compte de l’éducation comme vecteur privilégié, la participation de la société civile, l’élaboration de programmes de sortie de l’extrémisme pour ceux qui souhaitent se désengager, ainsi que l’allocation des fonds nécessaires dans les budgets locaux pour permettre le financement durable de programmes de prévention 
			(35) 
			Voir document CG/2015(29)5,
adopté à la 29e session du Congrès, 20-22
octobre 2015..
42. Enfin, je souhaite évoquer une manifestation organisée par le Centre européen pour l’interdépendance et la solidarité mondiales (Centre Nord-Sud) du Conseil de l’Europe avec le concours de l’Union européenne, dans le cadre du programme «Vers une gouvernance démocratique renforcée dans le Sud de la Méditerranée». Je veux parler du Forum de Lisbonne 2015 tenu à Lisbonne les 3 et 4 décembre 2015 sur le thème «Comment combattre la radicalisation et le terrorisme: outils de prévention et connaissances partagées dans l’espace méditerranéen et européen», auquel j’ai contribué au nom de l’Assemblée parlementaire. Dans leurs conclusions, les participants ont insisté sur le renforcement de la gouvernance démocratique et sur la promotion de la participation des citoyens au niveau local comme protections contre la radicalisation et le terrorisme, tout en soulignant l’importance de l’éducation, du dialogue interculturel, de sociétés plus inclusives et d’approches pluri-institutionnelles dans les communautés locales.
43. Enfin, le Parlement européen a également formulé des recommandations spécifiques dans sa Résolution du 25 novembre 2015 sur la prévention de la radicalisation et du recrutement de citoyens européens par les organisations terroristes, qui appelle à agir par le biais de diverses mesures judiciaires et répressives. Je partage pleinement l’analyse du Parlement européen et de sa rapporteure, la députée française Rachida Dati, quant à la nécessité d’une approche rigoureuse et véritablement européenne 
			(36) 
			Article
du Parlement européen – Justice et affaires intérieures, «Rachida
Dati sur la radicalisation de citoyens européens: “La réponse doit
nécessairement être européenne”», 19 novembre 2015, <a href='http://www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/20151016STO98139/Radicalisation-pour-Rachida-Dati-la-réponse-doit-être-européenne'>www.europarl.europa.eu/news/fr/news-room/20151016STO98139/Radicalisation-pour-Rachida-Dati-la-réponse-doit-être-européenne</a>..

3.2. Bonnes pratiques des organisations de la société civile

44. Dans le cadre d’une coopération régulière avec le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux, le Forum européen pour la sécurité urbaine (Efus) a au fil des années réalisé plusieurs activités visant à renforcer les capacités des autorités locales face à l’extrémisme violent, et continuera à proposer des sessions de formation aux collectivités locales en 2016 
			(37) 
			Pour plus d’informations
sur ces sessions de formation, voir: <a href='http://efus.eu/fr/topics/risks-forms-of-crime/radicalisation/efus/10651/'>http://efus.eu/fr/topics/risks-forms-of-crime/radicalisation/efus/10651/</a>.. Le 18 novembre 2015, le Forum a organisé à Aarhus (Danemark) une conférence sur la prévention de la radicalisation conduisant à l’extrémisme violent, qui a débouché sur une déclaration commune, dite «Déclaration d’Aarhus», soulignant le rôle de premier plan à jouer par les collectivités locales dans la mise en œuvre des stratégies de lutte contre la radicalisation et la mise en place de systèmes d’alerte précoce 
			(38) 
			Déclaration d’Aarhus, <a href='http://citiesagainstextremism.eu/197-2/?lang=fr'>http://citiesagainstextremism.eu/197-2/?lang=fr</a>.. Je tiens à rappeler l’importance des acteurs de la société civile pour être à l’écoute des enfants et des jeunes dans leur environnement quotidien, comme le montrent également certains des exemples de bonnes pratiques suivants. Il est par conséquent manifeste que les stratégies de lutte contre la radicalisation ou de déradicalisation, en particulier au niveau local, doivent adopter des approches multipartites.

3.3. Exemples de bonnes pratiques observées dans différents Etats membres

45. Des approches intéressantes à la déradicalisation sont par exemple à trouver au Royaume-Uni, comme West London Initiative (WLI) 
			(39) 
			WLI est membre du European
Network of Deradicalisation, <a href='http://www.european-network-of-deradicalisation.eu/profiles/68-west-london-initiative'>www.european-network-of-deradicalisation.eu/profiles/68-west-london-initiative</a>.. WLI est une ONG qui travaille dans la déradicalisation en première ligne auprès de jeunes d’origine musulmane susceptibles de s’orienter vers des convictions extrémistes diffusées par des idéologues extrémistes. L’accent est mis sur les groupes cibles de convertis et de musulmans des deuxième et troisième générations nés et ayant grandi au Royaume-Uni, ainsi que leurs familles. En coopération étroite avec les organismes gouvernementaux, WLI poursuit un large éventail d’objectifs visant à assurer la participation des jeunes au sein de la société dominante et à jeter des passerelles afin de favoriser le dialogue et des initiatives pacifiques. A l’échelon national, le programme Channel soutient les comités locaux et leurs partenaires dans le cadre de la loi de 2015 sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme (CT&S Act) 
			(40) 
			Gouvernement britannique,
2015, Channel Duty Guidance on «Protecting vulnerable people from
being drawn into terrorism», <a href='http://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/425189/Channel_Duty_Guidance_April_2015.pdf'>www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/425189/Channel_Duty_Guidance_April_2015.pdf.</a>. Il ressort des données collectées pour ce programme à quel point les enfants sont touchés par les processus de radicalisation: sur les 796 personnes dirigées vers le programme du gouvernement en vue d’une intervention éventuelle, 312 n’avaient pas 18 ans 
			(41) 
			«Large
proportion of those referred to UK deradicalisation scheme are under
18», The Guardian, 8 octobre
2015, <a href='http://www.theguardian.com/uk-news/2015/oct/08/large-proportion-of-those-referred-to-uk-deradicalisation-scheme-are-under-18'>www.theguardian.com/uk-news/2015/oct/08/large-proportion-of-those-referred-to-uk-deradicalisation-scheme-are-under-18</a>..
46. D’autres pays, comme la France, élargissent leurs approches préventives dans le sillage des récents attentats. Alors qu’un organisme privé – le Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI) – était opérationnel depuis quelques années, le Gouvernement français vient d’annoncer la création de centres publics de déradicalisation.
47. D’utiles stratégies préventives sont, là encore, à trouver en Belgique où un Programme fédéral de prévention de la radicalisation violente a été adopté en 2013 (pour mettre en œuvre la stratégie et le plan d’action pertinents approuvés en 2005 par l’Union européenne). Le programme belge s’articule autour de six piliers: 1) une plus grande sensibilisation collective sur la radicalisation; 2) un plan d’action contre les frustrations susceptibles de déboucher sur la radicalisation; 3) l’accroissement de la résistance morale des groupes vulnérables; 4) le soutien des autorités locales; 5) l’implication des communautés et de la diaspora; 6) la lutte contre le radicalisme sur internet 
			(42) 
			Delafortrie
et Springael, Programme fédéral de prévention de la radicalisation
violente, article publié le 19 avril 2013 par la Chancellerie du
Premier ministre belge: <a href='http://www.presscenter.org/'>www.presscenter.org</a>. .
48. Plusieurs collectivités locales belges ont également eu recours à des approches intéressantes. La Ville de Verviers a ainsi mis en place une cellule de prévention composée d’une «personne de référence radicalisme», d’un psychologue et d’un travailleur social, ainsi qu’une plate-forme de concertation multidisciplinaire rassemblant tous les acteurs concernés (la police, la justice, l’aide à la jeunesse, la «personne de référence radicalisme», les écoles et les associations de jeunesse) 
			(43) 
			Roxanne Baguette, La
cellule de prévention et une plate-forme multidisciplinaire luttent
contre le radicalisme à Verviers, article publié dans le Journal de la Police, 10 juin 2015, <a href='http://www.besafe.be/'>www.besafe.be</a>..
49. En 2014, le ministère norvégien de la Justice et de la Sécurité publique a présenté un plan d’action contre la radicalisation et l’extrémisme violent recensant des lignes d’action exhaustives, dont des volets sur la prévention internationale de la criminalité (notamment dans le contexte des pays nordiques) et la prévention de la radicalisation et du recrutement par le biais d’internet 
			(44) 
			Le plan d’action est
disponible en ligne: <a href='http://www.regjeringen.no/contentassets/6d84d5d6c6df47b38f5e2b989347fc49/action-plan-against-radicalisation-and-violent-extremism_2014.pdf'>www.regjeringen.no/contentassets/6d84d5d6c6df47b38f5e2b989347fc49/action-plan-against-radicalisation-and-violent-extremism_2014.pdf</a>.. Sur ce dernier point, une présence policière renforcée est spécifiquement recommandée afin de prévenir la discrimination, le harcèlement et le discours de haine, de même qu’une meilleure connaissance des mesures à prendre contre les expériences désagréables sur internet.
50. Une étude réalisée par l’Union européenne en 2010 considérait le Danemark comme un «chef de file» en matière de déradicalisation et désengagement. En 2009, le pays a présenté sa première stratégie nationale de prévention de la radicalisation et de l’extrémisme, de gauche comme de droite, ainsi que de l’islamisme militant. Comme d’autres initiatives, ce plan se centre principalement sur l’établissement du dialogue et de contacts direct avec des jeunes vulnérables (dans les quartiers défavorisés ou les prisons par exemple) et la mise en place de partenariats locaux 
			(45) 
			Ministère danois des
Réfugiés, de l’Immigration et de l’Intégration, The challenge of
extremism, Examples of deradicalisation and disengagement programmes
in the EU, Copenhague, octobre 2010, <a href='http://www.youthpolicy.org/library/wp-content/uploads/library/2010_Challenge_Extremisme_Deradicalisation_EU_Eng.pdf'>www.youthpolicy.org/library/wp-content/uploads/library/2010_Challenge_Extremisme_Deradicalisation_EU_Eng.pdf</a>.. Bien que cette étude remonte déjà à quelques années, nous pouvons assurément considérer que le Danemark figure parmi les pays précurseurs dans ce domaine. C’est d’ailleurs ce qu’il ressort d’une conférence organisée en 2012 sous la présidence danoise de l’Union européenne 
			(46) 
			<a href='http://www.strategicdialogue.org/Tackling_Extremism_-_Conference_Report.pdf'>www.strategicdialogue.org/Tackling_Extremism_-_Conference_Report.pdf</a>..
51. Bien évidemment, beaucoup d’autres pays ont pris des mesures exemplaires et de grande portée, mais je ne saurais toutes les citer ici. Néanmoins, si l’on veut aller vers une prévention efficace de la radicalisation d’enfants et de jeunes en Europe, des échanges de bonnes pratiques aux niveaux des gouvernements, des parlements, des collectivités locales et de la société civile seront essentiels. En tant que parlementaire engagée dans la défense des droits et de la protection de l’enfance, je suis profondément attachée à promouvoir de tels échanges.

3.4. Combattre efficacement la radicalisation d’enfants et de jeunes en s’attaquant aux causes profondes – les recommandations des experts

52. Les organisations internationales et les experts abordent la radicalisation des enfants et des jeunes sous différents angles. L’approche la plus concrète est assurément suivie par les experts travaillant sur le terrain avec des mineurs. A mon sens, certaines des mesures les plus convaincantes pour lutter contre ce phénomène ont ainsi été présentées par le délégué général aux droits de l’enfant belge, qui – en suivant une approche complète – a appelé:
  • à lutter contre la discrimination, la ségrégation et la marginalisation (et les sentiments d’injustice qui en découlent) dont sont victimes des enfants de toutes les origines ethniques et de tous les milieux socio-économiques;
  • à offrir à tous les enfants et jeunes les mêmes chances et des perspectives d’avenir, leur donner un but et un sentiment d’utilité sociale, ainsi que des perspectives de mobilité sociale;
  • à utiliser l’éducation comme un vecteur d’intégration des enfants depuis leur plus jeune âge, notamment par le biais d’une éducation spécifique à la citoyenneté démocratique;
  • à prévenir les «dysfonctionnements» au sein de la famille, notamment en impliquant les femmes en tant que principaux «éducateurs» des enfants au sein de la famille;
  • à tisser de véritables partenariats à l’échelon local, en mobilisant les capacités des communautés locales au lieu de les isoler et en «pacifiant» les relations entre les jeunes et les institutions qui sont à leur service (l’école, la police, les services sociaux et autres), y compris en aidant les familles à comprendre la vocation de ces institutions;
  • à éviter la stigmatisation des enfants et des jeunes qui, à un moment donné, ont été entraînés dans des mouvements radicaux;
  • à éviter les généralisations verbales et les attaques contre l’islam, dépasser l’accent excessif mis sur les symboles religieux (et engager un dialogue interreligieux sur les enjeux essentiels dans un contexte favorable au pluralisme religieux) et distinguer l’islam, religion mondiale, des mouvements religieux extrémistes tels que le groupe terroriste connu sous le nom de «Daech»;
  • à contrôler en permanence les mouvements radicaux mais en évitant toute pratique de «profilage ethnique» par les forces de l’ordre.
53. Lors de son exposé devant notre commission en juin 2015, M. Federico Ragazzi, maître de conférences à l’université de Leiden (Pays-Bas) et l’un des auteurs de l’étude du Parlement européen, a ajouté que l’une des principales difficultés dans la lutte contre la radicalisation de jeunes était l’absence, à ce jour, d’une séparation nette («pare-feu») entre les activités d’intégration sociale et le travail de la police (ceux qui aident ne devraient pas être les mêmes que ceux qui signalent). Pour lutter efficacement contre la radicalisation des jeunes, les experts de l’Union européenne recommandent d’améliorer la collecte de données, d’examiner l’incidence des politiques de lutte contre la radicalisation sur les droits de l’homme, de restaurer la confiance dans les institutions démocratiques existantes, d’éviter de restreindre les libertés fondamentales pour prévenir le risque d’une radicalisation accrue, d’établir des règles claires et de fixer des limites aux interventions de la police et des services de renseignement (limiter le signalement par les pairs par exemple) et de baser l’action judiciaire sur les actions commises (et non anticipées).

4. Conclusions et recommandations

54. A travers les premières stratégies internationales et les analyses des experts, la radicalisation des enfants et des jeunes apparaît comme un phénomène social complexe du XXIe siècle. En tant que rapporteure générale sur les enfants de l’Assemblée parlementaire, je tiens à souligner à nouveau l’importance de travailler avec les enfants et adolescents dès le plus jeune âge. Pour lutter efficacement contre la radicalisation, il est essentiel d’orienter les jeunes dans leurs choix de vie avant qu’ils ne prennent des décisions aux retombées décisives sur leur développement socio-économique, lorsqu’ils en sont encore au stade de la construction de leur identité et de la formation de leurs opinions politiques.
55. En tant qu’ancienne rapporteure sur le thème «Eradiquer la pauvreté des enfants en Europe» 
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			Voir la Résolution 1995 (2014) de l’Assemblée «Eradiquer la pauvreté des enfants en
Europe»., je considère que l’éducation et l’emploi sont des aspects fondamentaux de l’intégration sociale. En ma qualité de parlementaire, je rencontre régulièrement des enfants, des enseignants et des familles, ce qui me permet de constater à quel point l’enseignement et la formation professionnelle sont essentiels pour donner à tous les enfants et adolescents une vraie place au sein de la société, leur permettre de s’approprier les valeurs fondamentales des sociétés européennes et les sensibiliser aux risques de se retrouver pris au piège de mouvements radicaux par le biais d’internet et des médias sociaux.
56. Ma conviction personnelle est qu’il faudrait favoriser une prise de conscience et le dialogue dans toutes les sociétés européennes: la communication interpersonnelle entre les enfants, leur famille et leurs autres éducateurs, le dialogue et la communication entre les Etats qui combattent conjointement la montée des groupes et des mouvements radicaux, notamment en entravant les déplacements transfrontaliers des terroristes, et, enfin et surtout, le dialogue interreligieux qui concourt à la coexistence pacifique au lieu de combattre par la violence d’autres systèmes politiques, sociétaux et religieux.
57. En tant que rapporteure, j’ai également la ferme conviction que l’efficacité de la prévention est démultipliée lorsque ces actions sont menées en coopération étroite avec les populations cibles. Les stratégies de lutte contre la radicalisation et de déradicalisation doivent être dirigées par les collectivités et les communautés locales, les familles et les pairs qui doivent être associés en tant que partenaires et non comme «destinataires» d’approches théoriques venant d’en haut. Dans différentes institutions, des personnes de référence devraient être spécialement formées aux tendances en matière de radicalisation et aux stratégies de déradicalisation, afin de les aider à communiquer avec les enfants dans leur environnement quotidien.
58. En tant que membres politiquement actifs des sociétés européennes, nous ne devons pas oublier que l’on observe aussi une poussée générale des idées extrémistes dans nos sociétés. Plusieurs pays européens connaissent actuellement une montée des mouvements et des partis politiques extrémistes qui s’inscrit dans un contexte de crise économique persistante ou d’arrivée massive de réfugiés qui demandent l’asile. La lutte contre les idées extrémistes ne sert pas uniquement à nous protéger des attentats terroristes, mais est également profitable pour nos sociétés en tant que telles, pour sauvegarder les normes les plus élevées en matière de démocratie et de droits de l’homme. Nous pouvons dès lors nous sentir tous concernés par la liste de mesures incluse dans le projet de résolution.
59. Mon propos ici concerne principalement les causes profondes «endogènes» qui sont à trouver dans l’entourage immédiat des enfants et des jeunes, mais je tiens à souligner la nécessité de parvenir à un juste équilibre entre l’action répressive visant à empêcher les mouvements «religieux» ou politiques (causes profondes «exogènes») de perpétrer de nouveaux crimes et les actions collectives de prévention destinées à éviter la discrimination et les abus dont sont victimes les jeunes vulnérables. Je suis cependant fermement convaincue que la lutte résolument engagée contre le terrorisme international ne doit pas nous faire oublier le respect des droits fondamentaux et de l’Etat de droit. Les stratégies de lutte contre la radicalisation menées dans tous les Etats membres du Conseil de l’Europe doivent s’accompagner de mesures de lutte contre l’islamophobie et d’autres formes de discours de haine qui, si l’on n’agit pas pour y remédier, pourraient encore renforcer le cercle vicieux de la discrimination et la méfiance entre les systèmes politiques et religieux qui alimentent l’extrémisme.