1. Introduction
1. Le présent rapport s’appuie
sur la déclaration suivante figurant dans la proposition de recommandation

: «Dans le contexte actuel de crise
économique profonde et de coupes drastiques dans les dépenses publiques, la
culture est souvent considérée comme un luxe que la société peut
à peine se permettre. En réalité, elle est un atout pour la croissance
durable et un outil puissant pour renforcer la cohésion sociale
et la stabilité démocratique.»
2. Le rapport a pour but de promouvoir la démocratisation culturelle,
en d’autres termes, de promouvoir un large accès aux atouts culturels
et la participation aux activités culturelles, en tant que facteur
déclenchant la création de capital social, le renforcement des relations
sociales et l’adhésion des citoyens aux valeurs démocratiques. Il
aborde également la question plus générale de l’impact de la culture
sur le niveau de démocratie dans nos sociétés.
3. Dans ce rapport, le terme «culture» englobe les traits spirituels,
matériels, intellectuels et psychologiques qui caractérisent une
société. Cela inclut non seulement les arts et les lettres, mais
aussi les styles de vie, les modes de pensée et d’action, les systèmes
de valeurs, les traditions et les croyances. Faisant un pas de plus,
je suis d’avis que la culture ne concerne pas seulement l’expression
d’idées sur le monde, mais qu’elle incarne aussi la volonté de conserver
ces idées ou de les changer. Vue dans ce contexte, la culture est en
fait un outil puissant qui permet d’exercer la pensée critique,
de lancer le débat public et de renforcer la pratique démocratique
dans nos pays respectifs.
4. La crise économique et sociale marque profondément la vie
de la plupart des Européens. Les craintes et le manque de confiance
de ces derniers sont étroitement liés à l’exclusion sociale, la
discrimination, la violence et la ségrégation. Ce contexte est un
terreau fertile pour les partis politiques antidémocratiques et xénophobes
qui radicalisent et divisent la société, et représentent une grave
menace pour nos démocraties.
5. Il est crucial, par conséquent, de donner un nouvel élan à
la façon dont nous exerçons la démocratie et de trouver de nouveaux
moyens de promouvoir l’inclusion, la participation des citoyens
à la vie publique et sociale et la citoyenneté démocratique. La
culture peut jouer un rôle important pour ce qui est d’établir des
liens sociaux, de mieux faire comprendre les autres approches et
visions du monde ainsi que la dignité intrinsèque de tout être humain
et de favoriser une réponse créative aux enjeux sociétaux, mais
seulement si les décideurs des secteurs publics et privés sont sensibles
à sa valeur. Il est regrettable que la culture et l’éducation figurent parmi
les premiers secteurs dans lesquels de nombreux gouvernements européens
cherchent à faire des économies au moyen de coupes drastiques dans
les financements publics.
6. Selon Ivan Krastev, politologue bulgare, la culture est un
enjeu de sécurité dans un monde en proie à l’insécurité. L’agression
tragique du 7 janvier 2015 en France, dirigée contre des journalistes
et caricaturistes de
Charlie Hebdo en
vue de les réduire au silence, et les attentats terroristes ultérieurs
du 13 novembre n’étaient pas seulement des attaques contre la liberté
d’expression: ils visaient aussi les valeurs mêmes de la démocratie
et la liberté en général. Ils ont constitué un véritable coup de
semonce pour les gouvernements européens, en montrant que le défi
de l’extrémisme et de la violence ne peut être surmonté uniquement
au moyen de politiques sécuritaires car de nombreux jeunes en quête
d’identité et sans perspectives d’avenir sont particulièrement vulnérables
à la radicalisation. C’est ce qu’a reconnu Matteo Renzi, le Premier
ministre de l’Italie, lorsqu’il a déclaré que, pour chaque euro
investi dans la sécurité, un euro supplémentaire doit être investi
dans la culture car la réponse à la terreur ne peut être exclusivement
de type «sécuritaire». M. Renzi a annoncé l’allocation de ressources
supplémentaires de deux milliards par an

.
7. L’année 2016 offre, par conséquent, l’occasion unique en Europe
d’affirmer de nouvelles priorités politiques et d’apporter des suites
concrètes aux déclarations politiques des ministres de la Culture
de l’Union européenne à Riga

et des ministres de l’Education lors
de leur réunion informelle du 17 mars 2015 à Paris

concernant la promotion de la citoyenneté
et les valeurs communes de la liberté et de la non‑discrimination
à travers la culture et l’éducation. Je me réjouis dans ce contexte
de la décision du Conseil de l’Europe de tenir la Conférence permanente
des ministres de l’Education les 11 et 12 avril 2016 à Bruxelles
sur le thème «L’éducation: une option sûre pour la démocratie –
Le développement d’un cadre de référence des compétences nécessaires
à une culture de la démocratie».
8. J’apprécie également l’initiative du Secrétaire Général du
Conseil de l’Europe, qui a formulé des propositions d’action immédiate
du Conseil de l’Europe pour combattre la radicalisation qui aboutit
au terrorisme

. Du côté parlementaire,
l’Assemblée parlementaire a tenu un débat et adopté la
Résolution 2031 (2015) «Attaques terroristes à Paris: ensemble pour une réponse
démocratique» et le Bureau de l’Assemblée a décidé d’inviter certaines
commissions, dont la commission de la culture, de la science et
des médias, à engager le travail de suivi. Au sein de notre commission,
nous avons recensé huit rapports présentant un intérêt direct pour
ce débat, parmi lesquels le présent rapport

.
9. Au vu de ce contexte politique pressant, je propose de traiter
les trois aspects fondamentaux suivants: a) l’amélioration de la
«culture démocratique politique» par la culture; b) l’intégration
de la culture dans la gouvernance; et c) la vitalité culturelle
et son impact sur la démocratie. Je profite de l’occasion pour remercier Dr
Monika Mokre

pour
ses recherches et son aide précieuse.
2. Améliorer la «culture démocratique
politique» par la culture
10. Comme l’exprime la devise de
la Révolution française, la démocratie est basée sur la liberté,
l’égalité et la fraternité. Ces trois valeurs se soutiennent et
se renforcent mutuellement. Elles ne peuvent être envisagées séparément
et doivent être poursuivies de front. Ensemble, elles constituent
le fondement d’une société démocratique dans laquelle les individus
s’identifient à l’Etat et aux autres citoyens.
11. Dans le difficile contexte actuel marqué par l’érosion des
liens civiques et l’usure des valeurs établies, la culture peut
être un moyen puissant de prévenir la radicalisation et d’autonomiser
la société civile aux fins du développement d’une société démocratique.
Depuis l’époque des Lumières, la culture et les arts ont été conçus
comme des outils importants d’éducation politique et sociale. Dans
cet esprit, le poète allemand Friedrich Schiller définissait le
théâtre comme une «institution morale» (moralische
Anstalt) où les individus peuvent apprendre à connaître
à la fois l’Etat et la critique de l’Etat. C’est là une conception
assez académique du rôle de la culture et des arts qui présuppose
que les artistes et les producteurs de culture ont un «message» à
communiquer, en confinant le public dans un rôle passif. Même si
l’on ne souscrit pas à ces idées, la culture et les arts peuvent
néanmoins être compris comme des moyens d’éducation politique. Toutefois,
la culture doit maintenir une distance critique par rapport au pouvoir
et servir à l’épanouissement de la liberté en tant que condition
préalable à la démocratie. Par conséquent, elle doit être un moyen
d’éducation à la démocratie et certainement pas un instrument d’endoctrinement,
comme dans l’ex-Union soviétique ou l’Allemagne nazie.
12. Pierre Bourdieu a attiré l’attention sur les effets potentiellement
non démocratiques de la «haute culture», en tant que source de capital
culturel et social, et aussi de capital économique, pour les individus
déjà privilégiés en ce domaine. Reconnaissant à la fois la dimension
positive et les aspects problématiques de la culture et des arts,
les projets de «culture pour tous» lancés dans les années 70 se
sont efforcés d’ouvrir l’accès à la haute culture à toutes les couches
de la société. Ils se proposaient d’atteindre cet objectif en réduisant
les droits d’entrée et en régionalisant les activités culturelles.
Cependant, le succès de ces initiatives est resté assez limité.
Il est clair que le seuil d’accès à la haute culture n’est pas principalement
financier mais lié à un habitus spécifique.
L’amour des arts est un goût qui s’acquiert essentiellement par
le contact précoce.
13. La Turquie offre un exemple historique. Dans les années qui
suivirent la fondation de la République de Turquie (1923), des initiatives
furent prises pour investir dans la culture et l’éducation des jeunes
générations en vue de moderniser et de démocratiser l’Etat. L’alphabet
turc fut établi en remplaçant les lettres arabes par les lettres
latines et des campagnes permirent d’accroître le faible taux d’alphabétisation.
Les Maisons du Peuple (Halkevleri en turc) furent fondées en 1932;
elles proposaient des cours gratuits dans des domaines comme les
langues, la littérature, le théâtre, la musique, les beaux-arts,
l’expression orale et écrite ainsi que l’artisanat et la confection
de vêtements sur mesure. Les instituts de village furent créés dans
les zones rurales de 21 régions; l’Unesco les qualifia, en 1951,
de modèle unique d’expérience de formation des enseignants.
14. Dans l’Europe contemporaine, les écoles, et même les crèches,
continuent de jouer un rôle décisif dans la démocratisation de la
culture et des arts. Il est particulièrement important de faciliter
l’accès aux formes artistiques au lieu de les laisser susciter fascination
et malaise. L’organisation d’expositions et de performances, par
exemple, en sus des formes spécifiques de médiation artistique et
culturelle, est nécessaire. La Robert Bosch Stiftung, une fondation
allemande, soutient 16 projets de ce type dans diverses institutions culturelles
en Allemagne depuis 2013. Un exemple en est le Minifilmclub, géré
par le Musée allemand du film en coopération avec des crèches, qui
permet à des enfants de 4 à 6 ans de se familiariser avec les modalités de
réalisation d’un film, y compris les coulisses. Des films d’animation
expérimentaux leur sont ensuite présentés et ils sont invités à
réaliser eux‑mêmes un film de ce type, par exemple en peignant ou
en rayant de la pellicule ou en filmant le mouvement de pierres
ou de cailloux

. Ces exemples auraient une portée
encore plus grande si leurs effets sur les individus, comme une
connaissance approfondie d’autrui, l’empathie, la curiosité, la
réflexion critique et le respect de la dignité intrinsèque de tous
les êtres humains, qui, tous, sont des aspects de la compétence
démocratique, étaient évalués grâce à des études ciblées, visant
également à promouvoir l’apprentissage mutuel.
15. Cela est vrai également pour les programmes qui s’adressent
aux adultes n’ayant eu auparavant qu’un accès et/ou un intérêt limité
pour la culture et les arts. Ces programmes doivent être soigneusement
conçus car ils constituent une forme de «reconnaissance paradoxale»:
ils cherchent à promouvoir l’égalité d’accès à la culture tout en
visant des groupes spécifiques désignés comme défavorisés ou moins
bien éduqués

. Les «ambassadeurs des
arts» employés depuis plusieurs décennies par certaines institutions
culturelles au Royaume‑Uni sont un bon exemple d’approche intelligente
et habilitante permettant de surmonter ce problème. Un ambassadeur
des arts est défini comme «un réseauteur chargé de faire circuler
au sein de la communauté des informations sur les événements artistiques
et culturels et/ou de représenter les opinions et aspirations d’un
groupe cible»

. On peut citer aussi un projet
réalisé à Poole avec le concours de diverses institutions artistiques
et d’une centaine d’ambassadeurs des arts afin d’attirer des personnes
n’ayant encore jamais participé aux manifestations organisées par
les institutions impliquées dans le projet. Pendant une période
de 14 mois, les ambassadeurs des arts (dont beaucoup assistaient
eux‑mêmes aux manifestations pour la première fois) ont réussi à
attirer environ 3 000 personnes nouvelles. Le retour d’information
fourni par les ambassadeurs des arts dans le cadre d’ateliers et
de groupes de discussion était un élément à part entière de ce projet

.
16. Il importe aussi de faire participer différents groupes de
la population non seulement comme public mais aussi comme acteurs
et producteurs culturels. La production culturelle est une forme
essentielle d’autonomisation et elle permet d’acquérir l’assurance
requise dans la relation avec la culture et les arts. Le projet
Diamond

,
par exemple, associe des activités de médiation et de production
culturelle impliquant le public. Grâce à ce programme, les musées
des sciences d’Italie, de Roumanie et d’Espagne ont pu mettre au point
de nouvelles formes d’accès pour certains groupes cibles. Les initiatives
organisées dans ce contexte ont inclus des séances de «narration
numérique» où les participants ont mis en récit leurs musées respectifs. Ils
ont ainsi pu aborder leur musée sous un angle spécifique, en tant
que lieu où se racontent des histoires, de façon à rendre ces institutions
plus accessibles à d’autres visiteurs tout en améliorant les connaissances
et les compétentes numériques des participants

.
17. Le projet Antena en Belgique flamande a eu pour but d’accroître
la diversité ethnique au sein des conseils d’administration des
institutions culturelles

. Il s’agit là d’un bon exemple d’intégration
de la diversité au moyen d’une approche de haut en bas semblable
à l’approche recommandée pour la parité hommes‑femmes.
18. Plusieurs programmes de différents pays européens sont axés
spécifiquement sur les productions culturelles de groupes particuliers
de la population. Certains visent à soutenir les artistes appartenant
à des minorités ethniques afin de combattre la discrimination. En
Suède, le projet Artistnet a été créé par Intercult à Stockholm.
Artistnet est un réseau d’artistes d’origine immigrée vivant en
Suède. Il a pour objectif de faciliter les contacts avec des arrangeurs
musicaux, des producteurs, des sociétés de cinéma, des chaînes de télévision,
des théâtres et d’autres institutions culturelles recherchant des
artistes ou des acteurs en relation avec des projets particuliers

. De même, en Autriche, le programme
«kültüř gemma!» attribue des bourses d’un an à des artistes d’origine
immigrée pour la réalisation de projets spécifiques

.
19. De telles activités représentent un moyen important de favoriser
l’expression culturelle des groupes marginalisés. Cependant, on
peut soutenir qu’étant axées sur des communautés particulières,
elles peuvent renforcer la ségrégation de ces groupes au lieu de
les aider à développer des relations transculturelles. Il n’existe
pas à cet égard de modèle d’analyse applicable à toutes les situations
pour évaluer les avantages et les inconvénients des projets artistiques
et culturels communautaires. Il convient donc d’examiner de manière approfondie
chaque projet sous l’angle des objectifs de politique culturelle
poursuivis et des effets concrets qu’il peut avoir sur certains
sous-groupes de participants.
20. Ces types de programmes créent également des opportunités
pour toute une gamme de productions culturelles diverses mais restent
généralement sur les marges du champ culturel. La structure et l’image
des institutions dans le domaine des arts et de la haute culture
constituent fréquemment un obstacle à l’inclusion d’artistes non professionnels
ou d’artistes perçus comme non conformes à des critères d’excellence
qui, le plus souvent, sont à peine définis. Il va sans dire que,
pour promouvoir la diversité au sein de la société, les politiques
culturelles devraient avoir pour but de garantir à toutes les couches
de la société l’égalité des chances dans la production et la consommation
d’œuvres culturelles et artistiques. Les moyens d’atteindre ce but,
cependant, sont très vivement discutés. Les dispositions légales
exigeant l’inclusion des groupes marginalisés (comme les quotas
hommes/femmes) sont fréquemment perçues comme une forme indue de restriction
de la liberté des arts et de la culture par l’Etat. Par conséquent,
d’autres types d’incitations (comme le financement supplémentaire)
représentent probablement un moyen mieux adapté de parvenir à des productions
culturelles inclusives. On peut toutefois soutenir que de telles
incitations constituent une influence indue de la part de l’Etat.
21. La culture et les arts peuvent remplir une autre fonction
démocratique importante: ils peuvent ouvrir la sphère publique «protégée»
et aider à résoudre les conflits existant au sein de la société.
Les institutions culturelles entretiennent la mémoire en affrontant
les réalités complexes du passé afin de proposer des visions innovantes
de l’avenir. Elles peuvent offrir des lieux de rencontre et des
espaces sûrs pour le dialogue, la communication et le développement
personnel. Il est scientifiquement prouvé qu’un dialogue, une communication
et une coopération véritables entre des personnes qui participent
à des activités ayant un but commun ont pour effet de réduire réellement
les préjugés et l’intolérance

.
La liberté artistique rend possible l’expression de points de vue
conflictuels qui, autrement, seraient politiquement (ou même légalement) difficiles
à formuler ou tout à fait inacceptables. Cela peut se révéler plus
productif que de réduire au silence ces points de vue politiques.
En Serbie, par exemple,
La parade (2011),
le film réalisé par Srđan Dragojević, qui a été le premier à aborder
la question des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles
et transgenres (LGBT), a été vu par 330 000 spectateurs en Serbie
et 320 000 autres dans les pays de l’ex‑Yougoslavie, atteignant
ainsi un large public en réussissant à traiter ce sujet important
de façon ouverte et sensible

. La représentation en 2015 de
Roméo et Juliette, la pièce de Shakespeare,
était un projet commun entre Radionica Integracije et Qendra Multimedia
qui a également cherché à «mettre symboliquement un terme au conflit
entre la Serbie et le Kosovo». Les Montaigu étaient joués par des
acteurs albanais du Kosovo et les Capulet par des acteurs serbes

.
22. Même les points de vue radicaux et extrémistes peuvent être
discutés dans cet environnement «sûr», afin de développer des réponses
et des récits nouveaux, et de débattre ouvertement de questions
qui enflamment les passions. Cependant, certaines formes d’expression
ont aussi été à l’origine de troubles et ont conduit à s’interroger
sur l’interprétation et les limites de la liberté d’expression.
Les caricatures du prophète Mohamed publiées dans un journal danois
en 2005, par exemple, ont provoqué des manifestations et des protestations
violentes de musulmans dans le monde entier, des conflits diplomatiques
et le boycott de produits danois. Ces événements ont coûté la vie
à 100 personnes. La discussion à ce sujet dans les médias s’est généralement
focalisée sur l’opposition entre les valeurs occidentales de liberté
d’expression et les restrictions à cette liberté à l’intérieur de
l’Islam. Cependant, cette opposition n’avait rien de productif ni
d’exact car, dans les sociétés occidentales aussi, la liberté d’expression
(y compris la liberté des arts) a parfois été limitée par le sentiment
religieux. Des œuvres d’art ont été interdites pour atteinte alléguée
au sentiment religieux et, généralement, à la foi chrétienne. Un
livre de bandes dessinées du dessinateur autrichien Gerhard Haderer, La vie de Jésus (2002), a par exemple
été interdit en Grèce suite à une plainte de l’Eglise orthodoxe
grecque et Haderer a été condamné in
absentia à une peine de prison de six mois.
23. Au lieu de raisonner de façon binaire en opposant valeurs
occidentales et valeurs islamiques, il serait préférable de réexaminer
la question de la liberté d’expression et des arts dans le contexte
des sociétés contemporaines et de l’interaction mondiale. L’imposition
de restrictions à la liberté artistique doit être évitée à toute
force mais les artistes et les producteurs culturels, ainsi que
les responsables de l’élaboration des politiques culturelles, doivent
être conscients des responsabilités qui accompagnent toute forme
de liberté. On pourrait soutenir à cet égard que les représentants
des cultures majoritaires doivent être sensibilisés aux valeurs
et aux sentiments des minorités. Toutefois, chacun doit être conscient
des valeurs et des sensibilités des autres communautés. Une telle
approche serait non seulement conforme aux valeurs démocratiques
(qui reposent toujours conjointement sur le pouvoir de la majorité
et les droits reconnus aux minorités) mais pourrait aussi faciliter
les relations interculturelles, en explorant les avantages et les
inconvénients des valeurs occidentales pour ceux qui ne sont pas
nés au sein de ces valeurs ou n’ont pas grandi avec elles. La poursuite du
débat sur l’éthique des expressions culturelles et artistiques est
donc nécessaire, tout comme l’existence d’une sphère publique permettant
de discuter de la «culture politique démocratique» par le biais
de la culture.
24. Cette sphère publique résulte très souvent de l’action provocatrice
d’artistes. L’action du groupe punk contestataire féministe russe
Pussy Riot a, par exemple, capté l’attention des médias internationaux
et suscité des discussions animées sur son caractère approprié,
ainsi que sur les questions soulevées par le groupe. En 2012, celui‑ci
a réalisé une performance à l’intérieur de la Cathédrale du Christ‑Sauveur
de Moscou en chantant une «prière punk» adressée à la Vierge Marie
et demandant le départ du pouvoir de Poutine

, en critiquant ainsi le soutien apporté
au président russe par l’Eglise orthodoxe. Pour protester contre
l’arrestation de deux membres du groupe, l’artiste russe Petr Pavlensky,
également très connu pour ses projets provocateurs, s’est cousu
la bouche

.
3. Intégrer
la culture à la gouvernance
25. Le terme «culture» a de nombreux
sens différents, qui vont de la culture comme «totalité d’un mode
de vie» à la «haute culture» reposant sur la production et la reproduction
des arts classiques. Comme indiqué dans l’introduction de ce rapport,
ce terme englobe ici les traits spirituels, matériels, intellectuels
et psychologiques qui caractérisent les êtres humains et leurs sociétés.
Il comprend donc non seulement les arts et les lettres mais aussi
les styles de vie, les modes de pensée et d’action, les systèmes
de valeurs, les traditions et les croyances. En faisant un pas de
plus, on dira que la culture est un besoin et une nécessité qui distingue
l’activité humaine.
26. Cependant, les interventions des organes gouvernementaux qui
s’occupent de la culture restent confinées dans le domaine des institutions
et des productions artistiques et culturelles, les politiques relevant d’une
conception plus large de la culture (comme les politiques d’intégration
et les politiques visant les minorités) étant généralement prises
en charge par d’autres institutions. Il est rare que les politiques supranationales,
nationales ou régionales prennent en compte systématiquement la
culture dans tous les domaines de la gouvernance. La culture est
en fait marginalisée dans les activités de gouvernance, surtout
en période d’austérité et de réduction drastique du financement
public, qui se trouve affecté à ce que l’on considère être des priorités
politiques plus urgentes. Cela s’explique sans doute principalement
par l’incapacité à reconnaître l’impact de la culture sur la société.
Ce manque de reconnaissance a de nombreuses causes, dont beaucoup
se situent hors du champ des politiques culturelles (comme la place
principale accordée à l’économie dans le discours politique). Il
paraît donc essentiel que le rôle de la culture et des arts soit légalement
reconnu, par exemple dans les textes constitutionnels. Comme le
montre une récente étude suédoise, tel est le cas dans quatre pays
de l’Union européenne; dans les autres pays existe parfois une réglementation
à ce sujet, mais celle‑ci n’est pas inscrite dans la constitution

.
La mise en place de dispositions constitutionnelles sur la culture
et les arts est en général souhaitable car de telles dispositions signifient
que leur importance est reconnue au plus haut niveau. Toutefois,
cela ne saurait à lui seul suffire à assurer la prise en compte
systématique de la culture dans les politiques concrètes.
27. L’intégration de la culture se heurte à l’absence fréquente
de définitions (pratiques) de la culture et des objectifs des politiques
culturelles

. Sans de telles définitions, il
sera difficile d’établir un cadre global pour l’intégration de la
culture. Si la notion d’intégration de la culture doit évoluer de
manière similaire à celle d’intégration des questions de genre,
aujourd’hui largement appliquée, toutes les politiques devront être évaluées
sous l’angle de leur impact sur la culture (et de différentes possibilités,
expressions et communautés culturelles). Cependant, l’intégration
de la culture devra aussi prendre en compte – et même mettre l’accent sur
– la relation inverse, à savoir la valeur ajoutée de la culture
dans différents domaines de l’action publique.
28. Une autre approche de l’intégration de la culture est apparue
depuis peu, en particulier dans les pays germanophones; elle vise
à assurer l’égalité des chances de participation à tous les groupes
ethniques

. Cette approche peut être considérée
comme répondant mieux à une idée de la culture conçue comme condition
préalable et élément à part entière de la démocratie, mais elle
pourrait aussi avoir des conséquences problématiques car, une fois
encore, elle met davantage l’accent sur les différences culturelles
et moins sur les traits culturels communs. Néanmoins, envisager
la relation entre culture et démocratie du point de vue de la diversité
et d’une pluralité de cultures qui se recoupent entre elles semble
devoir constituer une approche appropriée dans les sociétés contemporaines.
Ce recoupement est absolument essentiel dans le domaine des droits
de l'homme.
29. Les politiques culturelles de la Suisse peuvent servir d’exemple
ici, ce pays n’ayant ni une culture nationale homogène, ni une identité
nationale bien définie

. La culture commune y est bien plus le
produit d’efforts permanents pour maintenir la diversité culturelle
vivante du pays sous un toit fonctionnel commun. Ces efforts sont
axés principalement sur l’adoption de mesures pour promouvoir la
compréhension et la solidarité entre les différentes régions linguistiques
et cultures de la Suisse. Aux termes de l’article 3 de la nouvelle
loi à ce sujet, la promotion de la culture par le gouvernement fédéral
poursuit les objectifs suivants: a) renforcer la cohésion et la
diversité culturelle de la Suisse; b) promouvoir un éventail richement divers
et remarquable par la qualité d’offres et d’activités culturelles;
c) créer des conditions favorables aux travailleurs culturels et
aux institutions culturelles; d) donner à la population suisse accès
à la culture et faciliter cet accès; e) faire connaître les œuvres
culturelles suisses à l’étranger

.
30. Comme exemple de projet plurilingue, on peut mentionner le
projet «Creativity in the Community» mis en œuvre par le Goldsmith
College pour réfléchir aux «possibilités d’utiliser des œuvres de
création (récits, danse, théâtre, œuvres d’art, œuvres multimédias)
dans l’enseignement des langues de la communauté pour stimuler la
créativité propre des apprenants»

. Dans le cadre de ce projet, une
pièce intitulée
Happy families a été
écrite et présentée dans une école complémentaire panjabi pour des
élèves de 6 à 17 ans à Greenwich. Les élèves ont choisi à la fois
les moyens d’expression artistique et le thème de la pièce, qui
porte sur un problème sensible au sein de la communauté: la manière
injuste dont les jeunes femmes sont traitées par leur belle‑mère
lorsqu’elles se marient et entrent dans la famille de leur mari.
La pièce a été écrite en panjabi puis traduite en anglais par deux
élèves de terminale, son accompagnement musical a été choisi par
deux élèves de huit ans et la plupart des élèves ont participé à
sa mise en scène. Après la représentation, les élèves ont décidé
de publier l’histoire sous la forme d’un livre de bandes dessinées
bilingue anglais‑panjabi. Le projet a réussi à «légitimer et mettre
en valeur des aspects de l’expérience linguistique et culturelle
des élèves qui ne sont pas en général pris en compte dans l’enseignement
ordinaire»

.
31. De telles approches sont évidemment importantes non seulement
au regard de la diversité ethnique et linguistique, mais aussi de
la diversité sexuelle ou des besoins et intérêts de différents groupes socioéconomiques.
Intégrer ainsi les politiques culturelles signifie à la fois: 1) reconnaître
l’impact de la culture et des productions culturelles dans tous
les secteurs de la société; et 2) appliquer les principes des politiques culturelles
dans tous les domaines de gouvernance.
3.1. Politiques
d’éducation
32. L’éducation culturelle et artistique
doit être reconnue comme une partie importante et un élément à part entière
de l’enseignement général. Le défi majeur pour les systèmes éducatifs
aujourd’hui n’est pas seulement de permettre aux jeunes d’acquérir
les connaissances et les compétences requises pour répondre à la demande
du marché de l’emploi dans un environnement qui évolue rapidement,
mais aussi de les aider à acquérir des comportements et des valeurs
leur permettant d’envisager leur avenir avec une confiance, une ouverture
et une créativité plus grandes. Le défi est aussi de renforcer parmi
les jeunes le sens du respect, la solidarité et la cohésion sociale
ainsi que leurs compétences démocratiques et interculturelles

.
33. Cependant, l’éducation à tous les niveaux est de plus en plus
conçue comme une formation à un emploi et non comme une préparation
plus générale à une vie épanouie

. La conséquence en est que l’éducation artistique
subit fréquemment des coupes budgétaires et des réductions du temps
d’enseignement, alors que d’autres disciplines (sciences, technologie,
ingénierie et mathématiques) sont mises en avant. Sans nier l’importance
de ces disciplines (ainsi que la nécessité de les enseigner de manière
non sexiste), il faut refuser que le développement de l’enseignement
de ces matières se fasse au détriment des disciplines artistiques
et culturelles. Avec la flexibilité accrue requise par le marché
du travail, l’enseignement général, y compris l’enseignement artistique
et culturel, devrait être amené à jouer un rôle non pas moins important
mais au contraire plus important, ce qui suppose de doter les jeunes
des compétences nécessaires pour mener une vie de citoyen démocrate
actif (comme la capacité de réflexion analytique et critique, les
aptitudes à coopérer, la souplesse, le respect d’autrui, le sens
des responsabilités, etc.).
34. Deuxièmement, la question se pose de savoir comment développer
l’éducation artistique de manière à appliquer les principes généraux
des politiques culturelles, tels que décrits plus haut. Une production
culturelle active est probablement mieux indiquée à cet égard qu’une
réception quelque peu passive de la culture et des arts. L’association
française «Les Engraineurs», basée dans la municipalité de Pantin,
organise des ateliers d’écriture et de cinéma pour les enfants et
les jeunes, la plupart d’origine immigrée. Des œuvres individuelles et
collectives sont produites dans le cadre de ces ateliers sous la
supervision de cinéastes professionnels. Chaque participant est
impliqué dans l’ensemble du processus de réalisation d’un film

. L’une des productions récentes
de l’association présente de façon ouverte différents points de
vue sur l’homosexualité, en ouvrant ainsi la discussion sur une
question qui est rarement abordée ouvertement à l’intérieur des différentes
communautés en France (et ailleurs)

.
35. D’autre part, il est nécessaire que les enfants et les jeunes
se familiarisent avec les œuvres culturelles importantes d’hier
et d’aujourd’hui. Les écoles se heurtent sans doute à un problème
à cet égard dans la mesure où l’idée d’un canon reconnu des œuvres
littéraires et artistiques a été – à juste titre – abandonnée au profit
de l’idée d’une multiplicité d’œuvres culturelles diverses. La question
se pose donc de savoir avec quelles œuvres d’art les enfants et
les élèves doivent être invités à se familiariser. En Autriche,
par exemple, le choix des œuvres littéraires à enseigner est aujourd’hui
laissé en grande mesure à l’enseignant. Comme les examens sont centralisés
dans toute l’Autriche, la conséquence en est que les épreuves de
langue ne peuvent inclure des questions portant sur la forme ou
le fond d’œuvres littéraires spécifiques et se limitent à des sujets littéraires
très généraux ou bien portent, par exemple, sur la rédaction de
demandes d’emploi ou de lettres commerciales, etc. En outre, l’année
précédant l’examen terminal étant principalement consacrée à la préparation
des élèves aux épreuves, l’enseignement de la littérature est négligé
tout au long de l’année scolaire.
3.2. Politiques
sociales
36. Dans le domaine des politiques
sociales, il faut reconnaître que l’accès à la culture est un droit
universel conféré à chaque individu, indépendamment du sexe, de
l’origine ethnique, de la race, de l’appartenance sociale, de l’orientation
sexuelle, etc. Par conséquent, les autorités publiques sont tenues
de donner accès à la culture à ceux qui en ont été auparavant privés,
par exemple en mettant en place des droits d’entrée réduits, la
gratuité de l’accès ou des chèques culture pour certains groupes
particuliers. Dans plusieurs provinces et villes d’Autriche et d’Allemagne,
ainsi qu’au Luxembourg, des passeports culturels ont été introduits
pour les personnes à bas revenus. Ces passeports culturels permettent
d’accéder gratuitement ou à un prix réduit à de nombreuses institutions
culturelles

.
37. Ici encore, les mesures ne devraient pas se limiter à favoriser
la consommation culturelle mais devraient inclure aussi des incitations
à la production culturelle ou des mesures de soutien spécifique
aux artistes et aux producteurs culturels. Le développement de projets
culturels participatifs avec des groupes particuliers peut constituer
une approche adaptée à cet égard. Le projet vénézuélien «El Sistema»,
qui vise à fournir une éducation musicale aux enfants du pays qui
sont le plus dans le besoin, est un exemple de cette approche connu
dans le monde entier: «De nombreux enfants commencent à se rendre
dans le centre local d’El Sistema ou
“nucleo” dès
l’âge de deux ou trois ans et la grande majorité continuent à le
faire bien après en tant qu’adolescents; ils suivent l’enseignement
jusqu’à six jours par semaine, trois à quatre heures par jour, auxquels
s’ajoutent des périodes de retraite et des ateliers intensifs. La
participation est gratuite pour tous les élèves. On compte aujourd’hui
plus de 500 000 élèves dans le pays et il est prévu d’étendre le
projet pour accueillir un million d’élèves par an

.» Le projet poursuit par conséquent
deux objectifs: l’éducation des enfants pauvres et la formation
de musiciens de haut niveau. Des projets similaires ont été développés
dans d’autres pays. Toutefois, il convient de noter qu’El Sistema a
fait l’objet de nombreuses critiques: les orchestres ont, par exemple,
été qualifiés de «modèles de tyrannie absolue… s’inscrivant dans
une démarche axée à la fois sur le progrès moral et la poursuite
du profit». On a même affirmé que les élèves sont en fait issus
des classes moyennes, que l’opacité règne sur les aspects financiers
du projet et que les succès proclamés n’ont pas été évalués de façon
adéquate. Ces graves critiques ont été vigoureusement démenties

. Sans prendre parti dans ce débat,
on peut dire que le projet apparaît utile et important mais qu’il aurait
certainement besoin d’être examiné et évalué de manière adéquate.
38. Il est aujourd’hui largement admis que la culture et les arts
peuvent contribuer fortement à l’inclusion sociale. Le Fonds social
européen (FSE) finance un nombre très important de projets culturels.
Entre 2009 et 2013, par exemple, le FSE a financé en partie des
projets de coopération entre des écoles et des institutions culturelles
en Hongrie sous le titre «Aide en dehors de la classe et activités
de temps libre dans les institutions culturelles». La coopération
a pris la forme de journées thématiques, d’ateliers et d’activités
visant à encourager les élèves talentueux. Les écoles confrontées
à des problèmes sociaux étaient visées en priorité. Des théâtres,
des centres culturels, des musées et des bibliothèques ont participé
au projet.
3.3. Politiques
étrangères
39. Les arts et la culture occupent
généralement une place importante dans la politique internationale
et les relations extérieures, en particulier sous la forme de la
diplomatie culturelle. S’agissant de la Politique étrangère et de
sécurité commune de l’Union européenne (PESC), on a reproché au
développement de la diplomatie culturelle européenne d’«amollir»
la PESC (alors que celle‑ci devrait être approfondie au moyen d’une
coopération plus intensive de l’Union européenne, élargie du point
de vue de sa portée géographique et affermie au moyen d’interventions
actives, éventuellement par la force, dans des conflits armés).
Pourtant, il n’est pas vrai que toutes les formes de diplomatie
culturelle ont pour effet d’amollir une politique étrangère. En présentant
une culture comme supérieure et tout à fait distincte des autres
cultures, la diplomatie culturelle peut avoir pour effet de durcir
une politique étrangère. Pour renforcer la compréhension mutuelle,
il serait souhaitable que les politiques culturelles internationales
soient moins liées à la diplomatie culturelle et visent plutôt à
développer les relations transversales, notamment entre les institutions
publiques de différents pays et entre les organisations non gouvernementales

.
40. Les activités culturelles internationales devraient en outre
promouvoir les principes du fédéralisme et de la participation.
Pour ce faire, il convient tout d’abord d’abandonner l’idée d’une
culture nationale unifiée, de manière à encourager aussi les activités
axées sur les régions, petites ou grandes. Comme les régions transcendent
fréquemment les frontières nationales, cet aspect transversal devrait
être mis en avant. Le Musée des civilisations de l’Europe et de
la Méditerranée (MUCEM) à Marseille

, lauréat du Prix du Musée du Conseil
de l’Europe en 2015, est un exemple d’institution culturelle dont
la perspective est régionale et transeuropéenne. Créé à juste titre
dans une ville qui a toujours été plus marquée par sa situation
sur les rives de la Méditerranée que par son appartenance nationale
à la France, ce musée s’appuie, dans le sillage de Fernand Braudel,
sur une idée de la Méditerranée conçue comme le fondement non seulement
de la culture européenne mais aussi du monde arabe, et comme un
lieu unique de communication entre les cultures. Outre qu’il s’agit
d’un musée exemplaire, le MUCEM fonctionne aussi comme une agora
contemporaine, en cherchant à attirer le public le plus large possible.
Il joue surtout un rôle important de démocratisation de la société
au moyen d’activités éducatives, de discussions avec des artistes
et des écrivains, de séminaires, de conférences, de festivals de
cinéma, de spectacles de théâtre contemporain et de concerts, en
abordant un large éventail de questions contemporaines, souvent
extrêmement controversées, qui concernent la Méditerranée.
41. Dans les relations internationales, les activités culturelles
se limitent traditionnellement à la présentation d’œuvres artistiques
et culturelles. Les projets participatifs n’ont pas jusqu’ici joué
un rôle important dans la diplomatie culturelle, mais une évolution
vers des activités culturelles transversales pourrait et devrait
entraîner des changements à cet égard. On peut mentionner ici un
projet intéressant de l’Institut Goethe de Sofia intitulé «Bud.ko».
Ce projet a lieu à l’intérieur et autour du bâtiment abandonné d’un
ancien kiosque à journaux de l’époque socialiste, appelé
budka en bulgare. Il existe encore
plusieurs de ces kiosques à Sofia et celui qu’a choisi l’Institut
Goethe occupe une position tout à fait centrale, à proximité de
l’Opéra. Ce kiosque est aujourd’hui un lieu d’échange d’idées entre
artistes, habitants du quartier, passants, etc. Les échanges prennent
différentes formes: organisation d’ateliers, appel aux gens à exprimer
leurs idées sur le kiosque recouvert de papier blanc ou graffitis
de deux artistes représentant les «monstres de Sofia»

.
3.4. Politiques
de santé
42. La culture et les arts peuvent
et doivent aussi être intégrés à d’autres domaines des politiques.
Dans les institutions de santé, donner aux patients la possibilité
d’avoir accès à la culture et aux arts ou de participer à des productions
culturelles peut les aider à améliorer leur qualité de vie et favoriser
leur autonomie. Dans cet esprit, le Musée de Liverpool (lauréat
du Prix du Musée du Conseil de l’Europe en 2013) a développé un
projet appelé «House of Memories» fournissant aux personnes s’occupant
des soins des patients atteints de la maladie d’Alzheimer des informations
sur cette maladie, «en leur permettant d’acquérir des compétences pratiques
et des connaissances de nature à améliorer l’expérience de vie des
personnes atteintes de cette maladie»

. Une partie de ce projet s’appuie
sur des «valises à souvenirs» contenant divers objets, photographies
et souvenirs. Des valises thématiques sont aussi consacrées, par
exemple, à des souvenirs d’Afrique ou des Caraïbes, à la communauté
irlandaise et à l’histoire des LGBT.
43. Certaines expériences limites et des situations très particulières
de la vie peuvent en outre donner lieu à des productions esthétiques
très intéressantes, comme le montrent les célèbres œuvres d’art
brut des patients de l’hôpital psychiatrique de Gugging en Autriche

.
3.5. Politiques
judiciaires
44. La culture et les arts peuvent
aussi être intégrés au système judiciaire, par exemple en rendant
possible et en encourageant la production artistique dans les prisons
ou dans le cadre des mesures de réhabilitation. Il existe de nombreux
exemples d’art dans les prisons en Europe et surtout aux Etats‑Unis.
Une manifestation bien connue est le «Festival multi-arts pour les
prisonniers», organisé tous les ans en Roumanie, pour «encourager
les détenus à s’exprimer dans le domaine des arts dramatiques en
mettant à profit leur désir de rétablissement social et moral. Organisé
chaque année à l’automne depuis 2009, cet événement unique en Europe
rassemble des artistes et des troupes de prisonniers de l’ensemble
du système pénitentiaire, en permettant au public d’entrer directement
en contact avec une réalité à laquelle ils n’ont pas normalement accès.
La préparation du festival s’étale en fait sur toute l’année. Dans
un premier temps, la prison sélectionne les détenus puis ceux‑ci,
en coopération avec des représentants du monde du théâtre (metteurs
en scène et acteurs), définissent la formule artistique la mieux
adaptée en s’inspirant à la fois de la réalité de la vie en prison et
du théâtre classique ou contemporain. Les performances artistiques
sont présentées dans la prison puis sur la scène du théâtre local.
L’étape finale a lieu à Bucarest. Les meilleures productions théâtrales
sont présentées au Théâtre Nottara, une salle de théâtre bien connue
de la capitale roumaine»

.
3.6. Politiques
de recherche
45. La culture et les arts ont
commencé à jouer un rôle plus important dans le domaine de la science
et de la recherche grâce au concept assez nouveau de «recherche
axée sur les arts». La reconnaissance du fait que l’art est une
forme de recherche remet en cause l’hégémonie de la recherche académique.
D’un côté, la conception de la recherche s’en trouve élargie, ce
qui permet des rencontres intéressantes entre universitaires et
artistes. De l’autre, cette perspective nouvelle rend possibles
de nouveaux modes de recherche prenant en compte, par exemple, les
aspects créatifs et intuitifs du travail académique. De nombreuses
formes de recherche axée sur les arts existent aujourd’hui dans
différentes disciplines artistiques et universitaires. Un exemple
très intéressant est celui de la coopération entre neurosciences
et diverses disciplines artistiques. Cette coopération poursuit
deux objectifs principaux: développer les connaissances concernant
l’impact des arts sur l’activité du cerveau et utiliser des expériences
artistiques dans le développement des neurosciences. Les études
menées dans le premier domaine de coopération ont parfois été critiquées,
non sans raison, comme trop générales et envisageant l’impact possible
des arts de manière simpliste

. Néanmoins, la recherche interdisciplinaire
en neurosciences et en théâtrologie s’est révélée particulièrement
fructueuse à la fois pour comprendre ce qui se passe dans le cerveau
d’un acteur lorsqu’il est en scène et pour transposer les méthodes
utilisées par les acteurs de théâtre dans le traitement des personnes
atteintes d’un handicap mental

.
3.7. Politiques
des médias
46. L’évolution contemporaine des
médias a des effets ambivalents sur la culture et les arts. Le système
des médias est généralement considéré comme un système dual comprenant
à la fois le secteur public et le secteur privé. Cependant, même
le secteur public est soumis à des pressions accrues en faveur de
la commercialisation et de la diffusion auprès d’un très large public.
Cela contribue à accroître la marginalisation de la culture et des
arts. La télévision publique autrichienne a cherché à compenser
cette évolution en créant une nouvelle chaîne de télévision exclusivement
consacrée à la culture et aux arts, qui permet aux personnes intéressées
de consommer des produits artistiques et d’être informées des développements
artistiques et culturels. Le grand public, cependant, n’est pas
en général exposé à la culture et aux arts alors que, dans le passé,
les productions artistiques et culturelles faisaient partie de l’offre
télévisuelle normale et réussissaient donc à atteindre un large
public. D’un autre côté, on peut considérer que la mise en place
d’une chaîne spéciale pour la culture et les arts est un moyen de
donner au public de télévision la possibilité de faire ses propres choix,
en ouvrant effectivement l’espace des médias à la culture et aux
arts. Un exemple en est la chaîne culturelle européenne ARTE qui
diffuse des émissions culturelles favorisant la compréhension entre
les Européens et rapprochant les individus

.
47. Il n’est pas tout à fait exact de parler de système dual.
Dans de nombreux pays existe en effet un troisième secteur de médias
non commerciaux et non étatiques sous la forme de radios libres,
de télévisions locales et de journaux et magazines alternatifs avec
leurs sites internet respectifs. Ces médias remplissent une fonction
essentielle, notamment en promouvant l’expression de groupes minoritaires
et de communautés particulières (définies sur la base de l’appartenance
ethnique, l’affiliation politique ou l’orientation sexuelle, par exemple).
En Irlande, la station de radio
Raidió
na Life offre, par exemple, «un service de radio complet
en gaélique dans la région du grand Dublin sur une base éducative
et communautaire». Cette radio fournit un service culturel et favorise
la sensibilisation et l’intérêt pour la langue irlandaise

.
48. Enfin, l’impact des médias sur la vie des individus semble
diminuer à cause des médias sociaux qui sont interactifs et permettent
de choisir individuellement des contenus. Ces nouveaux médias peuvent
paraître problématiques du point de vue de la cohésion sociale dans
la mesure où ils conduisent à séparer les communautés locales et
régionales dans un espace virtuel; d’un autre côté, cependant, ils
créent de nouveaux liens transnationaux pouvant être utilisés à
des fins d’échange culturel. Les producteurs culturels peuvent aussi
se servir d’internet pour attirer un public, l’informer et rester
en contact avec lui.
49. Le système politique peut soutenir les producteurs culturels
et les artistes dans leurs efforts pour attirer le public via internet
et d’autres médias. Cela peut être fait au moyen d’aides infrastructurelles
et financières. Le rôle de la législation est crucial à cet égard,
notamment en ce qui concerne l’internet. La réglementation du droit
d’auteur doit être conçue de façon à soutenir les producteurs culturels
et les artistes au lieu de favoriser les intérêts financiers de
grandes entreprises commerciales. D’autre part, le public devra
réacquérir une certitude juridique, afin de pouvoir utiliser les
contenus internet sans craindre d’être poursuivi. La législation, par
conséquent, devrait être adaptée aux nouvelles possibilités technologiques;
la meilleure solution serait sans doute d’introduire une redevance
fixe qui légaliserait les activités des utilisateurs et permettrait d’indemniser
financièrement les créateurs de contenus.
50. Il convient de signaler pour finir que la culture, les arts
et la créativité en général occupent depuis plusieurs décennies
une place plus importante dans les politiques économiques. On peut
soutenir que «les arts et la créativité peuvent contribuer à renforcer
la croissance économique dans les sociétés fondées sur le savoir».
Cela est sans doute vrai mais, dans ce cas, la question se pose:
quelle est la fonction de la culture et des arts?
51. Les diverses initiatives évoquées dans cette section visent
à illustrer notre propos. L’intégration de la culture et des arts
implique d’évaluer toute mesure politique du point de vue de ses
conséquences culturelles et aussi de déterminer si la production
artistique ou culturelle peut être utilisée de manière fructueuse
pour favoriser la réalisation des objectifs prévus d’une mesure.
4. La
vitalité culturelle et son impact sur la démocratie
52. La culture est une source de
renouveau intellectuel et de développement humain. Elle englobe différentes
formes d’activités créatrices – depuis les beaux‑arts jusqu’à la
culture populaire – qui, toutes, alimentent la créativité, la réflexion
et le débat social. L’exposition à la culture dès un âge précoce
et la participation active à des activités culturelles nous permettent
non seulement d’acquérir des connaissances, un esprit critique et
une compréhension plus large du monde qui nous entoure en l’envisageant
de différents points de vue, mais nous aident aussi à utiliser nos
capacités créatives à des fins d’expression personnelle, acquérir
ouverture et confiance dans les relations avec autrui, acquérir
une voix propre et définir notre rôle au sein de la société.
53. Il est aujourd’hui nécessaire de reconnaître le rôle que doivent
jouer différentes cultures, y compris les cultures minoritaires
et immigrées, dans la construction de l’identité nationale, et leur
aptitude potentielle à permettre aux nouvelles générations de transcender
les frontières nationales et de définir peu à peu une identité européenne
fondée sur la diversité, le pluralisme et le respect des droits
de l’homme et de la dignité humaine. Cependant, la domination des
industries culturelles, avec leur capacité à diffuser une «culture
de masse», pèse fortement sur le développement d’une «culture publique»
et menace d’éroder la spécificité des cultures et des identités
nationales et régionales. Pour contrecarrer l’évolution mondiale
vers une «consommation culturelle» passive, nous devons mobiliser
les énergies créatives au sein de nos sociétés afin de soutenir
des formes de vie diverses et dynamiques sur le plan culturel.
54. La création et le maintien des conditions nécessaires à l’activité
et au réseautage culturels au niveau local, régional, national et
européen sont donc décisifs. En outre, les coproductions européennes,
les partenariats et les tournées transnationales exposent les artistes
à de nouveaux publics, stimulent l’échange d’idées et de pratiques
et impulsent le développement artistique, tout en permettant des
économies d’échelle et le partage des coûts. De tels échanges culturels
et projets en réseau, cependant, sont rarement viables à long terme
car le financement favorise généralement les projets ponctuels.
55. Mesurer la vitalité culturelle des Etats membres et son impact
sur la démocratisation de la société devrait constituer un outil
important pour les hommes politiques, en leur permettant de tenir
leurs engagements et de maintenir les investissements dans la sphère
culturelle à tous les niveaux (local, régional, national et européen).
J’approuve à cet égard l’initiative prise par le Conseil de l’Europe
de développer un Cadre d’indicateurs pour la culture et la démocratie
(CICD), qui est en cours suite à la 10e Conférence
des ministres de la Culture du Conseil de l’Europe tenue à Moscou
en avril 2013 sur le thème de «La gouvernance de la culture: promouvoir
l’accès à la culture».
56. Dans le rapport intérimaire publié en mai 2015, le Comité
directeur de la culture, du patrimoine et du paysage (CDCPP) examine
plusieurs hypothèses extrêmement pertinentes dans l’optique du présent
rapport. La première suppose que l’existence d’«institutions politiques
reposant sur des droits légaux et des libertés fondamentales [a]
un impact sur la participation culturelle de certains groupes de
la société» et le rapport confirme cette hypothèse en prenant l’exemple
des droits des femmes et de la participation culturelle des femmes.
Un exemple intéressant à ce sujet est celui du conseil des cultures
de Palerme, qui représente tous les habitants de Palerme qui ne
disposent pas des droits d’un citoyen (ressortissants ou non de
l’Union européenne, personnes apatrides et personnes sans papiers).
Le conseil de Palerme leur donne la possibilité d’influencer la
législation municipale les concernant et soutient des projets économiques
et culturels mis en œuvre par les personnes qu’il représente. Le
conseil n’est pas un organe de décision politique mais ses propositions
doivent être discutées par le conseil municipal de Palerme

.
57. La deuxième hypothèse suppose que la participation culturelle
contribue à renforcer la participation politique. Il faut, certes,
soutenir encore les études visant à recueillir davantage de données
sur cette hypothèse; néanmoins, elle corrobore l’analyse faite au
chapitre 2 du présent rapport sur le rôle de la culture dans l’éducation
politique. Une autre hypothèse porte sur la corrélation entre la
participation culturelle et la confiance dans la société. Les recherches
menées tendent à prouver que la participation aux activités culturelles
est étroitement liée à une confiance accrue dans les autres. Les
pays où les taux de participation culturelle sont élevés sont également
ceux où l’on observe des niveaux élevés de confiance interpersonnelle au
sein de la population.
58. Ces hypothèses ne sont que des exemples préliminaires d’utilisation
possible du CICD. Ce cadre devra être complété par des études qualitatives
approfondies et par la poursuite d’une réflexion politique normative. Néanmoins,
il semble devoir constituer dès à présent un outil précieux pour
analyser la relation réciproque entre culture et démocratie, ainsi
qu’aux fins de la prise de décision politique en matière de politiques
et de financement culturels.
5. Conclusions
59. Un système démocratique qui
ne s’accompagne pas d’une culture démocratique n’est qu’une coquille vide.
Le néolibéralisme mondialisé a conduit à une érosion à la fois de
la démocratie et de la culture en réorganisant les relations sociales
sur la seule base des principes économiques, en ne prenant en compte
que les intérêts des acteurs commerciaux mondiaux et en oubliant
le besoin de «liberté, égalité et fraternité». En outre, la plupart
des pays européens sont aujourd’hui confrontés au défi de mouvements
migratoires massifs. Ces deux facteurs contribuent à la précarisation
croissante de la démocratie et des droits de l'homme, un nombre
croissant d’individus ne disposant pas de droits politiques et n’ayant
pas accès à l’aide sociale.
60. Les craintes et le manque de confiance des individus constituent
un terreau fertile pour les partis politiques antidémocratiques
et xénophobes qui cherchent à radicaliser et à diviser plus encore
la société, en mettant gravement en danger la démocratie en Europe.
Une société dans laquelle la vie politique devient de plus en plus
conflictuelle et polarisée, où les minorités ne sont pas respectées
et où la liberté d’expression et la pensée critique sont subjuguées
présente inévitablement un déficit de culture politique.
61. C’est pourquoi je défends dans ce rapport l’idée qu’il faut
aujourd’hui accorder une place essentielle à la culture dans l’élaboration
des politiques. Je suis fermement convaincue que le Conseil de l’Europe
a un rôle de premier plan à jouer pour faire reconnaître la culture
comme un élément à part entière du processus démocratique. L’une
des leçons principales que nous avons peut‑être apprises au cours
des soixante années écoulées depuis l’entrée en vigueur de la Convention
culturelle européenne est que la voie de la paix et de la stabilité
passe inévitablement par l’éducation et la culture.
62. Je souhaite rendre hommage au travail que mène de longue date
le Conseil de l’Europe dans le domaine de la culture et de la démocratisation.
Je renvoie en particulier ici aux travaux détaillés et stimulants de
nombreux artistes, intellectuels, chercheurs culturels et décideurs
de haut niveau, tels que décrits dans le rapport du Conseil de l’Europe
La culture au cœur publié en 1997

. Deux priorités intimement liées
étaient au cœur de ce rapport: réintégrer dans la société les millions
d’Européens déshérités qui se trouvent marginalisés, et faire de
la politique culturelle, elle aussi marginalisée, une des lignes
de force de la gouvernance. Ce rapport demeure extrêmement pertinent
aujourd’hui et il est regrettable de constater que, malgré l’urgence,
ses recommandations n’ont pas encore été suivies de mesures concrètes.
63. En ce qui concerne les politiques nationales, je suis fermement
partisane de l’intégration de la culture à la gouvernance. Une réflexion
stratégique sur la prise en compte des ressources culturelles dans
une gamme étendue de domaines de responsabilité des pouvoirs publics
devrait avoir lieu au niveau interministériel, afin d’intégrer la
culture à d’autres secteurs tels que l’économie et l’emploi, la
recherche et l’innovation, les services sociaux, la santé, l’éducation
formelle et l’apprentissage tout au long de la vie, les prisons
et les programmes de réhabilitation des détenus.
64. L’exposition à la culture dès un âge précoce et la participation
active aux activités culturelles peuvent aider les individus à acquérir
des connaissances, un esprit critique et une compréhension plus
large du monde. Elles peuvent aussi aider les individus et, en particulier,
les jeunes à utiliser leurs capacités créatrices à des fins d’expression
personnelle, acquérir ouverture et confiance dans leurs relations
avec autrui, acquérir une voix propre et définir leur rôle au sein
de la société.
65. L’éducation culturelle est aussi une question clé. Les politiques
d’éducation devraient être revues et devenir un élément moteur dans
le monde actuel qui évolue rapidement en entraînant une complexification croissante
des relations économiques, sociétales et culturelles. Le défi majeur
pour les systèmes éducatifs aujourd’hui n’est pas seulement de permettre
aux jeunes d’acquérir les connaissances et les compétences requises
pour répondre à la demande du marché de l’emploi dans un environnement
qui change très vite mais aussi, ce qui est tout aussi important,
de les aider à acquérir des comportements et des valeurs leur permettant d’envisager
l’avenir avec une confiance, une ouverture et une créativité plus
grandes. Le défi est de renforcer le sens du respect, la solidarité
et la cohésion de la société. La culture peut être un véhicule d’intégration
pour toutes les personnes qui se sentent de quelque manière exclues
et vulnérables, en leur permettant de développer des compétences
nouvelles et de trouver un enracinement à la fois en elles‑mêmes,
à l’intérieur de la communauté locale et au sein de la société.
Favoriser le contact précoce des enfants et des jeunes avec la culture
et les arts, ainsi que l’apprentissage tout au long de la vie, est
donc d’une importance cruciale.
66. Nous devons aussi reconnaître le rôle de plus en plus important
que jouent les autorités locales dans la promotion et la mise en
œuvre des politiques culturelles et des initiatives pilotes en ce
domaine, et réexaminer les mécanismes existants qui visent à rapprocher
le plus possible des citoyens les processus de prise de décision
concernant ces politiques et leurs mise en œuvre, en améliorant
la coordination entre les différents niveaux de gouvernement. Des
investissements en faveur de l’infrastructure culturelle des villes,
en particulier dans les ghettos urbains et les lieux d’exclusion
et de marginalisation, sont aussi nécessaires pour en faire de nouvelles
plateformes culturelles.
67. La participation du public à la définition des politiques
culturelles devrait être renforcée en démocratisant les institutions
culturelles et en élargissant les partenariats afin d’y impliquer
activement les citoyens et les ONG. Le Cadre d’indicateurs pour
la culture et la démocratie du Conseil de l’Europe constitue un
outil important qui permettra à l’avenir de mesurer la vitalité
culturelle et d’évaluer son impact sur la démocratisation de la
société, en tant que moyens d’évaluer les politiques et d’assurer
la poursuite du financement de ce secteur.
68. En conclusion, je suis fortement persuadée que l’investissement
humain à long terme dans la culture et l’éducation doit recevoir
une priorité égale à celle de l’investissement dans l’économie,
l’infrastructure, la sécurité et d’autres domaines jugés essentiels
aux fin de la compétitivité économique mondiale et de la stabilité de
l’Europe. La question qui se pose aujourd’hui à nous, responsables
politiques, n’est pas seulement de faire le meilleur usage de ressources
limitées, mais aussi de faire en sorte que la culture et l’éducation
soient dûment reconnues en tant que priorité politique durable.