1. Origine,
portée et objectifs du rapport
1. Conformément à la proposition
de résolution, le présent rapport souligne que «les communautés
à l’étranger sont une richesse pour l’Europe, pour le pays d’accueil
comme pour celui d’origine. Elles créent de précieux flux économiques
et humains. Elles sont un pont indispensable entre les cultures
de l’Europe et entre celles-ci et le reste du monde. S’il est rare
que les communautés à l’étranger jouissent d’une représentation politique,
elles sont souvent organisées autour de structures associatives
puissantes, qui sont particulièrement actives dans le domaine éducatif
et culturel. Elles offrent un cadre social grâce auquel les migrants
peuvent trouver des voies d’intégration dans leur pays de résidence,
tout en préservant les liens avec le pays d’origine».
2. Il a été par conséquent suggéré dans la proposition de résolution
de «réfléchir sur les actions concrètes qui pourraient être mises
en œuvre au niveau national et/ou européen pour venir en soutien
à ces réseaux associatifs, éducatifs et culturels et mieux s’appuyer
sur leur contribution au dialogue interculturel et à la paix sociale».
3. Dans ce rapport, je poursuis les travaux importants entrepris
par notre collègue M. Carlos Costa Neves dans son rapport intitulé
«Identités et diversité au sein de sociétés interculturelles» (
Résolution 2005 (2014) et
Recommandation
2049 (2014)). Le présent rapport s’inscrit également dans le cadre
des activités du Conseil de l’Europe visant à promouvoir les compétences
interculturelles et à élaborer des politiques et des instruments
dans le domaine de la diversité
, ainsi que de l’action menée de
longue date par la commission des migrations, des réfugiés et des
personnes déplacées, concernant les diasporas de migrants
.
4. Je m’efforce de compléter ces travaux extrêmement utiles en
envisageant les diasporas sous l’angle de la culture. J’examine,
notamment, comment les réseaux associatifs et culturels des communautés d’Européens
à l’étranger peuvent aider les personnes à vivre leur culture, à
la préserver et à la transmettre – c’est-à-dire à acquérir un sentiment
d’appartenance à une communauté – tout en réussissant leur intégration dans
leur pays de résidence – à savoir en favorisant l’inclusion, la
participation à la vie sociale et publique et la citoyenneté démocratique.
5. Compte tenu de l’objet de ce rapport, il est important d’établir
une distinction entre les migrants de première génération, arrivés
récemment en Europe, et une diaspora plus établie, regroupant la
première, la deuxième, la troisième, voire la quatrième génération.
6. Le concept de «diaspora» est relativement flou. Les diasporas
sont généralement éparpillées, diffuses, non représentées et en
grande partie invisibles. D’après la publication de l’OCDE «Resserrer
les liens avec les diasporas: panorama des compétences des migrants»,
le terme désigne (en théorie) toutes les personnes qui entretiennent
une certaine forme d’attachement à un pays d’origine spécifique
en relation avec leur passé migratoire. Je rappellerai également
la définition de la diaspora donnée par M. Gérard-François Dumont (définition
également retenue par le rapport de l’Assemblée parlementaire sur
«La participation démocratique des diasporas de migrants» (
Doc. 13648)), qui la décrit comme «un ensemble d’individus vivant
sur un territoire et ayant en commun la certitude ou le sentiment
d’être originaires, eux-mêmes ou leur famille, d’un autre territoire
avec lequel ils entretiennent des relations régulières». Ces personnes
peuvent être des migrants ou bien les enfants ou les petits-enfants
de migrants. Certaines ont acquis la nationalité du pays en question; d’autres
ont plusieurs nationalités ou seulement la nationalité de leur pays
de résidence. Dans la pratique, en raison du manque de données,
les analyses quantitatives sur les diasporas sont aujourd’hui peu
nombreuses et se limitent généralement à la première génération
de migrants.
7. Il existe peu de statistiques pour les 47 Etats membres du
Conseil de l’Europe. Les données disponibles pour les pays de l’Union
européenne montrent que près de 17,9 millions de citoyens de l’Union
européenne vivent dans un autre pays de l’Union européenne, soit
près de 3 % de la population totale. Environ 15 % des mariages contractés
dans l’Union européenne sont des mariages mixtes. En Suisse par
exemple, environ 30 % des nouveau-nés ont une double nationalité.
8. Dans le contexte de la mondialisation et de la mobilité accrue
des citoyens européens, la notion de diaspora liée à un lieu de
résidence permanente telle qu’elle prévalait au XXe siècle
a évolué; pour beaucoup de personnes (bénéficiant souvent d’un niveau
élevé d’éducation et de qualification), vivre à l’étranger est parfois
synonyme de résidence provisoire, de déplacement de pays en pays
pour poursuivre des études, rechercher un emploi ou mener une carrière
à l’international, ou passer sa retraite dans un lieu adapté. Les formes
plus «traditionnelles» de diasporas subsistent toutefois, voire
se développent, mais leurs attentes ne sont plus les mêmes; en effet,
l’évolution rapide et la disponibilité des technologies de l’information
et de la communication et la baisse du coût des transports font
qu’il est aujourd’hui beaucoup plus facile de maintenir le lien
avec les pays d’origine.
9. En dépit des ces évolutions positives, j’ai la conviction
que, dans la plupart des pays européens, le rôle majeur joué par
les réseaux associatifs et culturels des diasporas dans le développement
d’un sentiment d’appartenance à une communauté et le rapprochement
des différentes cultures n’est pas suffisamment compris, reconnu
ni mis à profit. S’agissant notamment de l’élaboration de stratégies
locales et nationales visant à renforcer la cohésion sociale et
la philosophie du «vivre ensemble», très peu de recherches sont menées
au niveau national et européen pour évaluer l’impact culturel et
social des diasporas sur les sociétés locales. Il s’agit pourtant
d’une urgence politique pour la plupart des pays européens, face
à la montée des tensions, de l’incompréhension et de l’insécurité
dans la société – des tendances anxiogènes qui ne font malheureusement
qu’accentuer les clivages linguistiques, culturels et religieux
entre communautés.
2. Intégration des diasporas dans le pays
de résidence
10. L’intégration des diasporas
dans le pays de résidence est une question politique importante
au cœur des travaux de la commission des migrations, des réfugiés
et des personnes déplacées. Du point de vue des droits politiques,
cette commission a souligné la nécessité d’associer davantage les
migrants à la vie politique et de renforcer ainsi leur capacité
à promouvoir et à diffuser les valeurs démocratiques et a recommandé
aux Etats membres d’élaborer des politiques migratoires qui encouragent
le rôle institutionnel des diasporas. C’est un point de vue auquel
j’adhère sans réserve, étant moi-même député des Français de l’étranger.
A titre d’exemple, dans son dernier rapport adopté en mars 2015
(
Doc. 13648), M. Rigoni a traité de la participation démocratique
et du droit de vote des membres de diasporas de migrants.
11. C’est pourquoi j’adopterai un angle différent pour mon rapport,
analysant les options qui s’offrent aux pouvoirs publics du pays
de résidence (à l’échelon local, régional et national) pour améliorer
leurs politiques d’intégration grâce à une coopération plus étroite
avec les réseaux éducatifs et culturels des diasporas résidant dans
le pays. Les structures associatives constituent un repère important
pour les communautés, en raison de leur caractère moins bureaucratique
et plus informel.
12. Je pense qu’une coopération plus étroite et plus institutionnalisée
avec les structures associatives des diasporas peut permettre aux
pouvoirs publics de toucher plus largement les première et deuxième générations
d’immigrés, et ce d’une manière plus directe et susceptible de créer
un socle pour l’instauration de relations et d’une confiance durables.
Je ferais par ailleurs remarquer qu’il appartient aux pouvoirs publics d’associer
activement les organisations de diasporas non seulement à la mise
en œuvre des politiques, mais aussi à leur élaboration.
2.1. Rôle
et fonctions des organisations de la diaspora
13. Avant de détailler les divers
domaines de coopération possibles, permettez-moi de rappeler les principales
composantes du processus d’intégration du point de vue d’un individu.
Ce processus comprend une intégration structurelle (acquisition
de droits, accès à l’emploi, à l’éducation et au logement), une intégration
culturelle (acquisition des éléments de base et des compétences
de la culture de la société hôte), une intégration sociale (établissement
de relations) et enfin une identification (sentiment d’appartenance)
.
Les organisations de diasporas soutiennent et favorisent généralement
l’intégration dans l’ensemble de ces domaines tout en cultivant
des liens avec le pays d’origine.
14. Cependant, les approches et buts des associations de diasporas
ne sont pas figés, ils évoluent au fil du temps. Ils suivent la
dynamique de l’intégration dans le pays de résidence et les changements
dans leurs relations avec leur pays d’origine. Lorsque l’installation
de la diaspora est un phénomène récent et que la plupart des migrants
sont de première génération, les organisations font en sorte de
satisfaire aux besoins et aux priorités essentiels. A mesure que
la communauté s’intègre dans le pays de résidence, les besoins et
les priorités changent, amenant les organisations à modifier leurs
rôles et leurs structures.
15. De plus, la façon dont les organisations et les réseaux contribuent
à l’intégration et à l’établissement de relations sociales au-delà
des frontières est très variable, chaque groupe de diaspora agissant
en fonction de son histoire, de son approche politique ou culturelle,
des caractéristiques individuelles des personnes et de leur perception
d’elles-mêmes.
16. Les activités de conseil et d’assistance, ainsi que la médiation
avec les pouvoirs publics, présentent une importance toute particulière
pour les nouveaux arrivants. Les organisations associatives, du
fait de leur structure informelle, sont d’un abord plus facile que
les ambassades et les consulats et servent souvent de point de contact
initial. Elles fournissent des informations utiles et mènent des
activités de mise en réseau. Leur rôle est essentiel non seulement
pour mettre en contact les personnes, mais aussi pour renforcer
les liens communautaires. Aujourd’hui, les sites web et les médias
sociaux sont autant d’outils d’information et d’activités en réseau.
17. Rombel, une association de Roumains en Belgique
, a lancé en 2009 le «Guide du Roumain
en Belgique», un ouvrage de 120 pages très utile visant à faciliter
l’intégration des expatriés, mais aussi à préserver des liens culturels
avec la Roumanie. Le guide en ligne a été téléchargé 80 000 fois
et 5 000 exemplaires imprimés ont été distribués. L’association
met à disposition une plateforme web détaillant tous les aspects
de la vie sociale en Belgique et promeut la mise en réseau pour
toucher les petites communautés isolées d’expatriés. La plateforme
accueille près de 120 000 visiteurs par an.
18. Albinfo, Actualités des Albanophones en Suisse
, créée en 2009 sous la forme d’un
site web trilingue, se définit comme «une plateforme d’informations,
de contacts, d’échanges et de services». En mai 2015, le site cumulait
1 055 109 visites, avec un fort impact dans les médias suisses et
des Balkans. Albinfo propose divers services, dont la mise en contact
des expatriés avec les autorités et les entreprises, le téléchargement d’une
base de données d’associations, d’entreprises et de services, des
réponses à un grand nombre de d’interrogations individuelles, etc.
La plateforme coopère avec trois institutions fédérales suisses
s’occupant des migrations: le Département fédéral de justice et
police – Secrétariat d’Etat aux migrations, la Direction du développement
et de la coopération et la Commission fédérale pour les questions
de migration. L’association œuvre à l’intégration des migrants en
Suisse, en partant du principe que l’identité n’est pas exclusive
et que les médias ont un rôle déterminant à jouer pour faire évoluer
l’identité. Albinfo fait en sorte de faciliter la communication
entre les «deux réalités» des migrants (le pays de résidence et
le pays d’origine), coopère avec d’autres communautés d’expatriés
et organise régulièrement des conférences
, dans le but d’inscrire la diaspora
dans le débat politique du pays de résidence.
2.2. Pouvoirs
publics: approches politiques de l’intégration
19. Pour de nombreux Etats, l’intégration
a traditionnellement été associée à l’assimilation, qui mène à une dissolution
progressive des liens avec le pays d’origine, ou au pluralisme,
permettant la coexistence de différentes identités collectives au
sein d’une même société et n’imposant pas de changement d’identité
ou d’appartenance culturelle. Aujourd’hui, les approches politiques
de la plupart des pays européens évoluent en cherchant à s’adapter
à de nouvelles formes de mobilité et à l’explosion des flux migratoires.
Le défi consiste à bâtir une cohésion sociale sur la base de la
diversité culturelle et à créer des interactions positives entre
des personnes d’appartenances culturelles différentes et souvent
multiples. Cette démarche ne va pas à l’encontre de la préservation
des liens avec le pays d’origine.
20. En fonction de la structure de l’Etat, la question de l’intégration
des communautés d’immigrés peut relever de la compétence du pouvoir
central (structure centralisée) ou des pouvoirs locaux ou régionaux (structure
décentralisée). En France par exemple, les institutions nationales
jouent un rôle prédominant. Dans d’autres pays, tels que l’Italie,
les politiques d’intégration des immigrés sont essentiellement gérées
par les autorités locales et régionales. Par ailleurs, les institutions
locales peuvent plus facilement coopérer avec les organisations
et les réseaux de diasporas, dont la plupart déploient leurs activités
au plan local.
2.3. Exemples
de coopération entre les pouvoirs publics et les organisations de
la diaspora
2.3.1. Conseils
consultatifs locaux en Italie
21. Des conseils municipaux de
ressortissants étrangers ont été créés dans de nombreuses villes
italiennes afin d’offrir une forme institutionnelle de représentation
aux étrangers qui ne disposent pas du droit de vote. Les conseils
d’immigrés sont des organes consultatifs dont les membres sont directement
élus par les résidents étrangers ou désignés dans les rangs des
représentants d’organisations de diasporas.
22. Ces conseils consultatifs ont en particulier pour rôle: 1)
de donner aux ressortissants d’Etats non membres de l’Union européenne
les moyens de faire entendre leur voix; 2) de promouvoir et de soutenir
les activités des organisations de diasporas; 3) d’encourager les
initiatives et les projets visant à l’intégration des ressortissants
étrangers et à l’élimination de toutes les formes de discrimination;
4) d’établir une passerelle entre les institutions locales et les
diasporas; 5) de recueillir et d’examiner les problèmes et les besoins
des ressortissants étrangers et de les intégrer au processus d’élaboration
des politiques en matière d’emploi, de santé, de logement, d’écoles,
de transports publics, etc.
2.3.2. Coopération
décentralisée en Allemagne
23. En Allemagne, les organisations
de diasporas peuvent contribuer à l’intégration au plan national
en participant aux sommets sur l’intégration organisés par la Chancellerie
fédérale et en collaborant avec la Commissaire fédérale à l’intégration
à l’élaboration de la stratégie nationale d’intégration et du plan
d’action national pour l’intégration. La plupart des Länder allemands, notamment ceux
qui accueillent une forte proportion de migrants, consultent régulièrement
les organisations de diasporas. Ils les invitent par exemple à des
conférences annuelles sur l’intégration (Rhénanie du Nord-Westphalie,
Hesse, Sarre) et s’assurent de leur participation à la conception
des politiques. Les moyens permettant aux associations de migrants
d’influer sur la politique et les décisions ne sont pas toujours
précisés. Les grands Länder proposent
des programmes de soutien (financier) spécifiques aux organisations
de diasporas (c’est le cas par exemple de la Rhénanie du Nord-Westphalie),
d’autres tentent de les intégrer à des mécanismes de financement
réguliers (Hesse). Cependant, les Länder ne
sont pas tous en mesure de soutenir financièrement ces organisations,
en raison d’obstacles juridiques ou de restrictions budgétaires
(par exemple le Schleswig-Holstein). La plupart des commissaires
à l’intégration des Länder allemands,
ainsi que les pouvoirs locaux et les centres d’intégration, travaillent
en étroite collaboration avec les associations de diasporas, même
si leur coopération n’est pas institutionnalisée.
24. L’initiative prise par le ministère de l’Intégration de Sarre
pour tenter d’institutionnaliser la coopération avec les organisations
de diasporas peut être considérée comme un exemple de bonne pratique
dans le contexte allemand. Le ministère a préparé une «Déclaration
sur la politique d’intégration en Sarre» qui a été signée par les
associations de diasporas, les institutions religieuses, les chambres
de commerce, les associations caritatives et les conseils locaux.
Le ministre consulte et rencontre régulièrement les organisations
bénévoles pour démontrer l’intérêt qu’il leur porte, mais aussi
leur expliquer la politique d’intégration du Land et
ses programmes de soutien, et encourager les associations à établir
des réseaux entre elles. La plupart des associations font preuve
d’une grande ouverture et soutiennent une approche interculturelle.
Le ministre du Land joue un
rôle essentiel dans la réduction du risque d’isolement des associations
de migrants qui s’enferment trop sur leur propre identité, les encourageant
à devenir une passerelle entre la diaspora et la population majoritaire.
25. Depuis les changements intervenus dans les politiques migratoires
allemandes à la fin des années 1990, on a pu observer une évolution
manifeste, les diasporas isolées et fermées se transformant progressivement
en organisations bien intégrées, cherchant le dialogue et l’interaction.
Beaucoup d’associations ont élargi leurs activités pour mener des
projets d’intégration, créé de puissantes organisations faîtières
et cherché à coopérer avec les autorités et les institutions.
2.3.3. Modèle
suisse
26. Le modèle suisse de coopération
avec les organisations de diasporas est fortement institutionnalisé.
La Confédération helvétique a adopté une approche interministérielle
transversale, basée sur une coordination bien rôdée entre le Département
fédéral de justice et police, chargé de l’intégration, et le Département
fédéral des affaires étrangères, qui traite des flux migratoires
en appuyant des projets dans les pays d’origine. Une coopération
est également établie avec d’autres départements responsables de
certains aspects spécifiques de l’intégration (par exemple le Service
de la culture, le Département de la santé).
27. Cette coopération transversale et stratégique se reflète également
dans le financement des organisations de diasporas. Les projets
ne sont pas simplement soumis pour financement, ils sont négociés avec
les pouvoirs publics compétents afin que l’ensemble de la société
profite des résultats. Les associations de diasporas exposent leurs
idées aux pouvoirs publics, puis un plan concret est élaboré en
commun et les attentes sont harmonisées avec les stratégies et les
structures d’intégration générales.
28. Comme exemple de bonne pratique, citons le Service de consultation
pour les étrangers GGG de la ville de Bâle
, qui fournit informations, conseils
et médiation dans 15 langues sur diverses questions juridiques et sociales
et aide les étrangers à contacter les pouvoirs publics, les institutions
et les employeurs. Les consultations peuvent porter sur l’emploi,
le permis de séjour, la naturalisation, les assurances, le logement, les
impôts, les finances, la famille, l’école, la santé, etc. Le Service
organise aussi régulièrement des séminaires d’information dans les
locaux d’associations de diasporas.
29. Par ailleurs, le Service de consultation pour les étrangers
encourage la coordination des pratiques dans divers pays. Une plateforme
a ainsi été créée pour échanger les bonnes pratiques, les sources
d'inspiration et des idées. La coopération concerne non seulement
les organisations de diasporas mais aussi les organisations locales/autochtones
participant à des projets d’échange avec des pays voisins (Allemagne
et France).
3. Préservation
et transmission de l’identité culturelle du pays d’origine
«Si
l’on ne donne pas une patrie aux jeunes immigrés (...), ils se créeront
dans leur tête une patrie imaginaire. L’intégrisme et le fanatisme
feront le reste: au bout de l’exclusion, on trouve souvent la délinquance
et parfois le terrorisme.» Michel Rocard
30. Si la présence de communautés
de différentes origines soulève la délicate question de l’intégration
dans les pays de résidence, pour diverses raisons d’ordre personnel,
politique ou historique, de nombreux expatriés ont parfois des difficultés
à préserver leur identité, à maintenir un lien culturel et linguistique
avec le pays d’origine et à le transmettre aux générations suivantes.
Ces enjeux sont interdépendants, le processus d’intégration dépendant
largement de la capacité de la personne à structurer sa propre identité.
Je suis persuadé que le fait de cultiver une identité plurielle
et des liens culturels avec le pays d’origine n’implique nullement
un refus de s’intégrer à la vie du pays de résidence; au contraire,
cela renforce l’identité (plurielle) de chacun et établit une base
solide pour une intégration réussie.
3.1. Deuxième
et troisième générations
31. Les besoins des membres des
deuxième et troisième générations diffèrent grandement de ceux de
la première génération. Le défi consiste à concilier une intégration
pleine et entière dans le pays où ils sont nés et où ils grandissent
et la préservation des liens avec le pays d’origine de leurs parents
ou grands-parents, de parvenir à un juste équilibre entre deux cultures
et, dans certains cas, entre plusieurs cultures.
32. La deuxième génération peut être définie comme les enfants
nés de parents immigrés ou nés dans le pays d’origine et ayant migré
avec leurs parents dans le pays de résidence avant l’âge de six
ans
.
Ils peuvent préserver la culture et la langue chères à leurs parents
tout en s’intégrant et en tissant des liens avec le pays de résidence,
qui est leur patrie. La question de savoir où placer la «patrie»
semble être au cœur du problème, notamment si la «société hôte»
n’est pas suffisamment ouverte pour accepter pleinement les deuxième
et troisième générations comme des citoyens égaux.
33. Leur intégration représente un grand défi et une mutation
pour les sociétés européennes. Cependant, cette intégration n’est
pas toujours couronnée de succès et les problèmes de marginalisation
et d’exclusion prennent de l’ampleur dans de nombreux pays européens.
Une identification faible, tant à la société hôte qu’à la diaspora,
fait naître un sentiment d’aliénation dans les rangs des deuxième
et troisième générations, en particulier chez les jeunes en quête
d’identité et d’appartenance, qui peuvent facilement succomber au fondamentalisme,
à l’extrémisme et au racisme.
34. Dans leur quête d’une identité forte, beaucoup sont conduits
à adopter une identité imaginaire, en utilisant des références au
passé et à des racines communes dont ils ont une image déformée.
Cherchant à satisfaire leur besoin d’appartenance, ils se concentrent
sur les différences et tracent des frontières qui les séparent de
la société. Ce profond malaise et cette ségrégation peuvent aisément
déclencher des affrontements culturels.
3.2. Vivre
ensemble: la perspective d’identités composites ou hybrides
35. Le rôle des organisations et
des réseaux de diasporas est de ce fait crucial pour promouvoir
de manière positive la perspective d’identités composites ou hybrides
et surmonter la prévalence d’une approche nostalgique, voire régressive,
de l’identité et des valeurs du pays d’origine. Pour les individus,
la construction de sens et de valeurs est largement influencée par
des codes culturels partagés avec leurs groupes d’appartenance.
Des organisations de diasporas ouvertes et prospectives peuvent
jouer un rôle décisif en cultivant des «identités composites», qui
ne se limitent plus à des identités collectives prédéfinies propres
à des groupes ethniques ou religieux particuliers.
36. Beaucoup d’organisations de diasporas travaillent avec les
deuxième et troisième générations, mettant l’accent sur la communauté
et le travail en réseau, les activités culturelles, l’éducation
et l’enseignement de la langue.
37. L’association «A ta Turquie» est un bon exemple de petite
association indépendante, aux ressources limitées, parvenant à promouvoir
des rencontres entre les cultures et les valeurs turques et françaises
et à établir ainsi un terrain d’entente. L’association a été créée
en France en 1989 dans le but de promouvoir la culture turque auprès
du grand public mais aussi auprès des jeunes d’origine turque. La
laïcité est l’un des traits marquants de l’organisation, qui revendique
une neutralité absolue vis-à-vis de la Turquie et des questions
politiques, religieuses et ethniques. L’association diffère des
autres organisations turques, sachant que la plupart des personnes
d’origine turque se tournent plutôt vers des organisations aux positions
politiques et/ou religieuses clairement tranchées.
38. L’association vise à faire connaître la Turquie (au-delà des
stéréotypes) et à encourager et valoriser la production artistique
et littéraire de jeunes migrants talentueux. Elle édite un magazine
bimensuel bilingue,
Oluşum/Genèse,
et administre un site web
publiant régulièrement des actualités
générales et des informations relatives à des projets ou à des événements
à venir. L’association mène également des recherches sur la communauté
turque en France et en Europe, axées pour l’essentiel sur l’intégration.
L’un de ses grands projets a été une étude des activités de médiation
à mettre en place pour la diaspora turque.
39. En Allemagne, les Turcs préfèrent aujourd’hui se définir eux-mêmes
comme une minorité ethnique allemande plutôt que comme des immigrés
ou une diaspora. Le principal objectif de leurs associations bénévoles
est d’établir des passerelles entre l’Allemagne et la Turquie et
de créer une identité biculturelle positive, en nouant des relations
sociales étroites avec le pays de résidence sans perdre pour autant
les liens avec le pays d’origine et sa culture. A cet égard, elles
adoptent une approche transnationale ouverte, plaidant en faveur
d’identités inclusives multidimensionnelles, par opposition au concept
traditionnel d’intégration.
3.3. Ecoles
du samedi et plurilinguisme
40. Le plurilinguisme est une richesse,
tant pour les personnes que pour la société. A mon sens, les pays de
résidence ne peuvent s’enrichir au plan culturel et économique qu’en
renforçant le plurilinguisme. Les associations de diasporas jouent
un rôle important dans l’enseignement informel de la langue pour
les deuxième et troisième générations. Cependant, elles manquent
généralement d’appui institutionnel, de financement et dans certains
cas de compétences professionnelles pour assurer cet enseignement linguistique.
41. Les «Ecoles du samedi» est une organisation faîtière créée
en 1990 au Royaume-Uni. L’objectif principal des 22 écoles du samedi
est d’enseigner l’allemand à des enfants d’origine allemande vivant
au Royaume-Uni. Cet apprentissage est important pour eux, car les
enfants des familles allemandes vivant au Royaume-Uni sont moins
amenés à pratiquer l’allemand à la maison et risqueraient de perdre
leurs compétences linguistiques sans un enseignement spécial. Les
écoles fonctionnent essentiellement sur la base du bénévolat, même
si elles bénéficient d’un appui de la part de l’ambassade allemande
et de l’Institut Goethe. Du fait de l’absence de financement régulier,
le système n’est pas pérenne, des écoles ouvrant et fermant fréquemment.
Mais l’organisation comble un vide laissé par l’Allemagne, qui n’a
pas mené au Royaume-Uni de politique rigoureuse pour assurer le
rayonnement de la langue allemande et enseigner l’allemand aux expatriés.
42. A l’inverse, au Royaume-Uni, les pays dont l’histoire a été
marquée par l’émigration sont plus enclins à investir dans l’enseignement
de la langue, car ils tablent sur le retour de leurs expatriés.
Les enfants espagnols et portugais, par exemple, peuvent suivre
plusieurs heures d’enseignement linguistique gratuit dans de nombreuses
écoles londoniennes, grâce à des accords de coopération entre les
institutions et les organisations de diasporas.
43. J’estime que l’enseignement de la langue native assuré par
des organisations de diasporas pourrait se dérouler de manière plus
institutionnalisée dans le cadre du système d’enseignement national.
Si la promotion du bilinguisme et du plurilinguisme est un objectif
partagé, la mise en œuvre ne peut pas incomber aux seules organisations
de diasporas et requiert la participation active des institutions
de l’Etat. Des partenariats plus forts devraient être noués entre
les institutions du pays de résidence (gouvernement, administration
scolaire), les ambassades et d’autres institutions du pays d’origine
(centres culturels ou linguistiques) et les organisations de diasporas,
afin de financer les enseignants, le matériel pédagogique et les
locaux adéquats indispensables pour enseigner la langue et d’intégrer
cet enseignement dans le système éducatif national (établissements
primaires, secondaires), en y associant des enfants de la population
locale/des ressortissants nationaux. Cette étape est essentielle
pour parvenir à construire des sociétés plurilingues en Europe.
44. Il conviendrait de mieux soutenir l’enseignement de la langue
native et de le considérer comme une ressource non seulement pour
la diaspora mais pour l’Europe toute entière, car c’est un outil
extraordinaire pour instaurer des conditions plus propices à la
compréhension mutuelle et au vivre ensemble. Une politique linguistique
européenne cohérente en matière de promotion et de soutien des langues
des communautés, d’accès aux qualifications linguistiques appropriées
et de reconnaissance officielle des compétences linguistiques (examens)
pourrait être liée au Cadre européen commun de référence pour les
langues.
45. Le bilinguisme est un moyen de surmonter la présomption d’un
choix à faire entre identification avec la culture du pays de résidence
et préservation de la culture du pays d’origine. Bien au contraire,
en encourageant activement le bilinguisme, voire le plurilinguisme,
les gouvernements peuvent aider les deuxième et troisième générations
à construire des appartenances multiples.
3.4. Les
politiques en faveur de la participation des diasporas
46. Avec le développement mondial
de l’économie, du commerce et l’accroissement de la mobilité, les gouvernements
et les institutions des pays d’émigration se soucient désormais
davantage des communautés de diasporas. Ils ont commencé à adopter
divers outils pour maintenir les relations avec les expatriés, y compris
la double nationalité. Le soutien de l’intégration dans les pays
d’accueil a lui aussi été renforcé, comme le prouvent la présence
et le rôle des ministères, agences et services ministériels spécialement
mis en place à cet effet.
47. En Turquie par exemple, le Premier ministre a créé en 2010
une Présidence des Turcs de l’étranger et des communautés apparentées,
organisation faîtière chargée de coordonner la structure complexe
des organes institutionnels turcs traitant avec la diaspora. Certains
pays ont mis en place des stratégies et des fonds pour assurer une
représentation institutionnelle de la diaspora.
48. Il importe cependant de souligner que beaucoup d’associations
de diasporas tiennent à préserver leur indépendance et refusent
de dépendre d’institutions pilotées par le gouvernement dans le
pays d’origine ou d’y être associées, de peur d’ingérences politiques.
Cette dissociation est plus apparente lorsque le pays de résidence
et le pays d’origine diffèrent substantiellement par leur histoire
culturelle, religieuse ou politique. Il convient de reconnaître
le caractère hybride des communautés expatriées modernes: elles
sont attachées à leurs origines tout en étant tournées vers l’avenir.
Ce ne sont pas des citoyens qui peuvent être «gouvernés» comme une
extension extraterritoriale de la population nationale. Ce sont
au contraire des sociétés civiles et des associations avec de multiples
allégeances culturelles qui nécessitent de ce fait des formes particulières de
partenariat pour que le climat de confiance perdure.
49. Dans ce contexte, l’Organisation des Suisses de l’étranger
(OSE) est à mon sens un bon exemple. Cette organisation représente
depuis près d’un siècle les intérêts des ressortissants suisses
vivant à l’étranger. Bien que politiquement indépendante et neutre,
elle entretient des liens étroits avec l’Etat et se veut avant tout
un organe consultatif, habilitée à publier des résolutions, des
lignes directrices et des avis. Son secrétariat (25 personnes) est
en contact régulier avec des organisations faîtières dans les pays
de résidence et assure quatre missions principales: informer (essentiellement
au moyen d’un magazine bimestriel et d’une lettre d’information);
conseiller les ressortissants suisses vivant à l’étranger et favoriser
leurs rencontres; développer un programme pour les jeunes à l’étranger
(en leur proposant des activités dans leur pays d’origine ainsi
qu’un service d’orientation scolaire); et mener des actions de lobbying
pour défendre les intérêts des Suisses à l’étranger. Le principal
défi auquel est confrontée l’organisation est de montrer que les
Suisses vivant à l’étranger sont un atout potentiel pour la Confédération
helvétique.
50. Le magazine «Revue suisse» informe les Suisses vivant à l’étranger
des thèmes d’actualité dans leur pays d’origine et fournit des informations
spécifiques pour les votes et les élections. La Revue suisse propose également
à intervalle régulier des pages régionales synthétisant les informations
relatives à des pays ou à des groupes de pays spécifiques. Le magazine
est publié en quatre langues: français, allemand, anglais et espagnol.
Une fois par an, l’organisation organise une convention réunissant
quelque 400 participants autour d’un thème d’intérêt commun pour
eux et pour les représentants gouvernementaux des pays de résidence. Depuis
2010, l’OSE a mis en place un réseau social
, fort de plus de 30 000 membres.
51. L’organisation réalise des projets spécifiques en faveur des
jeunes, qu’il s’agisse d’activités de loisir ou de formations. Elle
donne également aux jeunes la possibilité de participer au parlement
fédéral et d’assister à un séminaire d’une semaine consacré au thème
du Congrès des Suisses de l’étranger. L’OSE entretient des relations
étroites avec «educationsuisse» pour soutenir les jeunes Suisses
vivant à l’étranger et souhaitant étudier en Suisse.
52. L’OSE est reconnue comme le porte-parole des Suisses de l’étranger.
Elle mène des activités de lobbying au sein du parlement et exerce
son influence sur l’action législative par l’intermédiaire du Conseil
des Suisses de l’étranger, composé de 120 délégués de l’étranger
et de 20 membres de la diaspora vivant en Suisse. Un autre point
de référence est l’intergroupe parlementaire «Suisses de l’étranger»,
qui regroupe une centaine de parlementaires fédéraux et se consacre
à des thèmes concernant les Suisses de l’étranger.
3.5. Les
centres culturels en tant qu’espaces de rencontres interculturelles
53. Les centres culturels peuvent
aussi jouer un rôle stratégique dans la promotion du dialogue interculturel, de
l’intégration, du plurilinguisme et du pluriculturalisme, en associant
les organisations de diasporas d’une manière moins bureaucratique.
Les centres culturels, tels que l’Institut Goethe, l’Institut Dante
Alighieri, l’Institut français et le British Council, ont été créés
à la fin du XIXe siècle afin de préserver
et de promouvoir la langue, l’identité et la culture nationales
de ressortissants vivant à l’étranger, notamment dans les colonies.
Au XXe siècle, ces centres sont passés
de l’impérialisme culturel à la diplomatie culturelle.
54. Aujourd’hui, les centres culturels poursuivent divers autres
objectifs, parallèlement à la promotion de la culture nationale
à l’étranger. Visant entre autres à étendre l’usage de leur langue
et à maintenir des liens avec les diasporas, ils peuvent potentiellement
devenir des espaces de rencontres interculturelles et organiser
des activités associant la diaspora et des citoyens du pays hôte.
Ces activités contribuent à la visibilité des diasporas et à leur
reconnaissance par la société hôte, leur donnant ainsi l’occasion
de présenter et de valoriser la culture de leur pays d’origine et
d’interagir de manière créative avec les autres cultures
.
4. Perspectives
d’avenir
55. Permettez-moi de m’associer
à M. Costa Neves qui, dans son rapport sur «Identités et diversité
au sein de sociétés interculturelles» concluait que la diversité
culturelle devient un état de fait inhérent à la société humaine
en raison non seulement de la mobilité accrue et de la migration
transfrontalière, mais aussi des effets culturels de la mondialisation.
C’est pourquoi, à l’avenir, la plupart des sociétés européennes
seront inévitablement composées de nouvelles générations dotées
de références culturelles multiples et d’identités composites, non
limitées à une identité collective homogène. Ce scénario n’est pas
celui de sociétés multiculturelles, dans lesquelles coexistent des
identités collectives, mais celui d’identités composites ou hybrides,
où la diversité coexiste au cœur des individus.
56. Je partage la forte conviction de M. Costa Neves que ce profond
changement sociétal exige de reconsidérer en urgence les processus,
mécanismes et relations nécessaires à la lutte contre le racisme
et l’intolérance et au renforcement du pluralisme et de la démocratie
au sein des sociétés européennes.
4.1. Reconnaissance
politique: la diaspora comme passerelle entre les cultures
57. A cet égard, la première et
particulièrement les deuxième, troisième et quatrième générations
des populations de diasporas – qui portent en elles des références
culturelles diverses – peuvent engager une action décisive en tant
qu’acteurs clés du changement culturel. Non seulement ces générations
représentent une passerelle entre les cultures, mais elles peuvent
également enrichir la société en en synthétisant de nouvelles. Cependant,
pour agir positivement, elles ont besoin d’un soutien et d’une juste
reconnaissance. Au plan politique, il nous appartient de valoriser
le rôle des diverses cultures dans le développement des identités nationales
et d’une identité européenne. Aujourd’hui, ces identités sont en
évolution et doivent se caractériser par la diversité, le pluralisme
et le respect des droits de l'homme et de la dignité.
4.2. Financement,
durabilité et résilience
58. Le rôle des associations et
des réseaux de diasporas dans le rapprochement des cultures et la construction
d’une société cohésive (vivre ensemble) n’est pas encore suffisamment
compris, reconnu et encouragé.
59. La plupart des organisations reposent sur le travail bénévole,
un fort enthousiasme et l’engagement de quelques individus. Elles
cherchent activement des voies de coopération, mais ne disposent
généralement pas des structures adéquates, des financements suffisants
et pérennes et des ressources humaines indispensables. Elles sont
de plus en plus chargées de missions importantes en matière d’intégration, d’éducation
et de culture, mais elles manquent désespérément de soutien financier
et luttent pour leur «survie». Certaines ont même cessé d’exister.
60. Beaucoup sont dans l’obligation de consacrer beaucoup de temps
à la recherche de financements de base et à la promotion de leurs
projets. Par voie de conséquence, il leur est difficile de trouver
le juste équilibre entre le temps passé sur les projets et celui
consacré au plaidoyer. Du fait des coupes budgétaires importantes dans
les dépenses publiques de la plupart des pays européens, elles dépendent
de plus en plus de financements internationaux, qui s’accompagnent
de procédures lourdes et d’exigences jugées souvent trop complexes
et chronophages. Les petites associations déplorent un manque d’information
à propos des programmes de soutien et des mécanismes de financement
de l’Union européenne et des autres institutions supranationales
et manifestent leur découragement face aux procédures bureaucratiques.
61. Je pense que dans les stratégies nationales et locales en
faveur de l’intégration, les pouvoirs publics devraient proposer
aux associations de diasporas des programmes adéquats de soutien
financier afin de tirer au mieux profit de cette ressource essentielle
et de toucher plus efficacement les diasporas. Une forme plus systématique
de coopération et de financement permettrait d’améliorer la coopération
entre les associations, les aiderait à professionnaliser leurs activités,
à prévenir la fragmentation et à mieux structurer leurs initiatives et
activités communes.
4.3. Coopération
entre les organisations de diasporas et les pouvoirs publics
62. Les pouvoirs locaux sont souvent
les partenaires clés des principaux associations de diasporas. Cependant,
dans la plupart des cas, ces partenariats restent informels. Pour
les rendre pérennes et durablement efficaces, il conviendrait à
mon sens de leur conférer une forme plus institutionnalisée. La
mise en place de conseils consultatifs et l’élection de représentants
des diasporas dans les conseils locaux pourraient par exemple en
être les moyens.
63. Tous les représentants d’organisations de diasporas s’accordent
sur la nécessité d’un renforcement du rôle des pouvoirs publics
dans la valorisation et le soutien de leurs activités et dans la
promotion des politiques d’intégration grâce une coopération plus
étroite avec les réseaux éducatifs et culturels des différentes communautés.
64. Les organisations de diasporas pourraient jouer un rôle important
de médiateurs entre les diasporas et les pouvoirs publics. La création
d’une interface publique, d’une plateforme d’échange entre les autorités
et les associations de diasporas, constituerait un point de référence
et rendrait ces partenariats plus structurés, plus transparents
et plus efficients. De telles plateformes seraient en même temps
une occasion de développer des synergies au plan local entre les
diverses diasporas.
65. De même, une interface publique (plateforme) pourrait être
établie à l’échelon national afin de permettre aux divers ministères
et institutions spécialisées de travailler de manière transversale
et de faciliter l’élaboration et la mise en œuvre des stratégies
nationales d’intégration via un dialogue permanent avec les organisations
reflétant les intérêts et opinions des différentes diasporas dans
le pays de résidence. Un problème essentiel reste toutefois à régler:
celui de la représentativité. En effet les associations de diasporas diffèrent
grandement en ce qui concerne leur positionnement politique et les
systèmes de valeurs qu’elles défendent, les thèmes qu’elles abordent
et les services qu’elles assurent. Il est important également d’éviter de
renforcer la position d’organisations qui ne disposent pas d’une
réelle assise populaire et ne reflètent que les intérêts ou les
opinions personnels de quelques-uns.
66. En raison de l’accroissement de la mobilité, beaucoup de pays
européens deviennent aujourd’hui à la fois pays d’émigration et
pays d’immigration, et doivent assurer l’intégration des diverses
diasporas résidant dans le pays tout en préservant leurs liens avec
les communautés d’expatriés vivant à l’étranger. Ils seront de plus
en plus amenés à coordonner un grand nombre de politiques et d’initiatives
diverses et variées pour approfondir l’intégration au plan national
en instaurant un dialogue plus systématique avec les diasporas tout en
aidant, en parallèle, les deuxième et troisième générations à établir
des liens avec les pays d’origine de leurs parents, susceptibles
de devenir des opportunités et des atouts pour le pays de résidence.
67. Il appartient par ailleurs aux gouvernements de développer
des politiques et des partenariats avec les organisations d’expatriés.
Les représentants élus des diasporas (ressortissants nationaux ou
personnes ayant une double nationalité) auprès des parlements nationaux
peuvent constituer une solution viable pour faire entendre la voix
des communautés vivant à l’étranger. A titre d’exemple, en France,
en Croatie, en Italie et au Portugal, la législation prévoit une
représentation politique des citoyens vivant à l’étranger au sein
des parlements nationaux.
4.4. Synergies
au niveau européen
68. Au plan européen, les concepts
de «diaspora» et d’«expatriés» devraient être totalement intégrés
dans les politiques européennes. Une solution envisageable pourrait
consister à désigner des commissaires chargés des relations avec
les diasporas à l’échelon national et européen, suivant en cela
l’exemple du Commissaire suédois chargé des expatriés européens.
69. Une plateforme européenne pour les associations de diasporas,
chargée de la coordination et de l’échange de bonnes pratiques,
pourrait jouer un rôle stratégique. Plusieurs organisations sont
d’avis que des contacts réguliers entre organisations de diasporas
sont d’une importance particulière, car elles sont toutes confrontées
à des problèmes et questions similaires. La conférence annuelle
des organisations faîtières scandinaves d’expatriés pourrait servir
de modèle pour une conférence plus large organisée à l’échelon européen.
70. Le dialogue et la coopération devraient être davantage promus
grâce à l’organisation de réunions au niveau national et européen
et des échanges réguliers via des plateformes en ligne, faciles
d’accès et économiques, consacrées au partage d’informations, à
la tenue de débats et à l’échange de bonnes pratiques. Les plateformes
en ligne pourraient proposer des informations générales sur le financement
et les exigences des associations, du matériel à intégrer aux programmes
culturels ou encore des études de cas accompagnées d’expériences
de diasporas spécifiques. Le partage d’informations et une meilleure communication
pourraient aussi inciter les diverses diasporas locales à travailler
ensemble, en mettant par exemple sur pied des événements et des
projets conjoints transnationaux.
71. Le Conseil de l’Europe pourrait faciliter la coordination
et promouvoir l’échange de bonnes pratiques dans les domaines éducatifs
et culturels. Je suis persuadé que les informations fournies au
niveau de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe pourraient
aider les expatriés et d’autres citoyens à mieux connaître leurs
droits et les possibilités qui s’offrent à eux et contribuer à promouvoir
une image positive de la diversité culturelle.
5. Conclusions
72. Aux prises avec les tensions
dans la société et pressés de réagir rapidement, les pouvoirs publics réexaminent
aujourd’hui leurs politiques et font des choix politiques cruciaux:
faut-il renforcer l’intégration et l’identité nationale? Ou bien
asseoir la cohésion sociale sur la diversité culturelle et une interaction
positive? Comme l’a déjà fait valoir M. Costa Neves dans son rapport
sur le thème «Identités et diversité au sein de sociétés interculturelles»,
la diversité culturelle est une réalité sociale dans une grande
partie de l’Europe et, par conséquent, une tendance inévitable.
Reste à savoir comment l’envisager de manière positive. Comme lui, je
pense que, dans cette nouvelle ère culturelle, il nous faudra innover
et multiplier les «laboratoires d’échanges culturels» pour cultiver
la diversité culturelle et, peu à peu, développer un espace culturel
européen propre à encourager l’expression créative de multiples
appartenances et identités culturelles.
73. La participation des réseaux associatifs et culturels des
diasporas à ce processus sera dès lors cruciale. Ces réseaux jouent
un rôle majeur en matière de soutien, de solidarité et d’entraide;
ils font le lien avec la culture d’origine et donnent accès à de
multiples appartenances culturelles; ils cultivent le plurilinguisme;
ils animent la vie culturelle et sociale; ils apportent un soutien
culturel et éducatif aux enfants et aux jeunes des deuxième et troisième
générations; ils valorisent de manière positive la «différence»
des identités plurielles; grâce aux activités sociales et aux manifestations
culturelles, ils peuvent s’ouvrir à la société locale, élaborer des
projets communs et créer des possibilités d’interaction.
74. Toutefois, à côté des nombreux atouts que présente le rapprochement
des cultures, il existe également le risque d’une ségrégation, d’attachements
aux «valeurs anciennes» qui n’ont pas toujours évolué avec les sociétés
contemporaines, ainsi que celui d’une montée de l’extrémisme, du
fondamentalisme et de l’intolérance. La question qui se pose alors
est celle du type de politique qu’il convient de mettre en place
dans le domaine de la culture, de l’éducation et de la jeunesse
aux niveaux local, national et européen pour faire en sorte que
les chances soient supérieures aux risques. Comment créer des synergies?
75. Les pays de résidence devront, selon moi, joindre leurs efforts
pour recueillir des données quantitatives et qualitatives plus précises
sur les diasporas (qui permettront de mieux les connaître) pour
instaurer un dialogue avec elles afin de créer des mécanismes et
des partenariats adaptés permettant d’associer les diasporas de
manière plus systématique et structurée. A la section 4, j’ai examiné
quelques mesures pratiques qui pourraient être prises à l’échelon
local, national et européen.
76. De même, le renforcement des liens avec les communautés expatriées
pourrait aussi grandement servir les pays d’origine, en permettant
d’établir des relations culturelles, économiques et politiques plus
étroites avec d’autres pays et de favoriser le développement socio-économique
des pays d’origine, grâce aux investissements, aux transferts de
connaissances, aux nouveaux modèles culturels et aux nouvelles compétences
apportés par les expatriés. Notons l’importance grandissante des
jeunes de la deuxième, voire de la troisième génération, qui sont
plus mobiles, jouissent d’une double culture, y compris linguistique,
et sont prêts à établir un lien avec le pays d’origine de leurs
parents. Leur participation dépendra toutefois largement des conditions
économiques, sociales et politiques du pays d’origine ainsi que
du type de partenariat et de l’ampleur du soutien qui leur sera
fourni.
77. Aujourd’hui mon pays, la France, se trouve contrainte de réagir
rapidement à la suite des massacres terroristes perpétrés à Paris
le 13 novembre 2015. Parallèlement au problème de sécurité et à
la nécessité de lutter contre le terrorisme à court terme, il nous
faut également penser à la prévention à long terme. Je suis fermement
convaincu que la priorité politique en France, mais aussi dans toute
l’Europe, est d’engager une action plus concertée, de dresser le
bilan des politiques d’intégration et des bonnes pratiques existantes, d’échanger
les expériences, de mutualiser les ressources et de coopérer plus
intensivement pour développer des synergies plus efficaces avec
le secteur associatif des diasporas au plan national, au plan bilatéral
entre les pays d’émigration et d’immigration, et au plan multilatéral
à l’échelle de l’Europe.