1. Introduction
1. L’immunité parlementaire, en
ses deux aspects – irresponsabilité et inviolabilité –, est une
garantie démocratique aussi ancienne que fondamentale, qui procède
de la nécessité de préserver l’intégrité des parlements, leur fonctionnement
et leurs actes, ainsi que de sauvegarder l’indépendance de leurs
membres dans l’exercice de leur mandat. Compte tenu de leurs traditions
et de leur culture politique, le régime de l’immunité parlementaire
varie considérablement selon les Etats européens. Par ailleurs,
et indépendamment des immunités dont ils peuvent jouir au niveau
national, les membres de l’Assemblée parlementaire sont couverts
dans l’exercice de leurs fonctions à l’Assemblée par un régime spécifique
d’immunité européen, établi par l’Accord général sur les privilèges
et immunités du Conseil de l’Europe de 1949 et son Protocole additionnel
de 1952 (STE nos 2
et 10). Ce régime consacre également le double principe d’irresponsabilité
et d’inviolabilité parlementaires et prévoit la libre circulation
des membres de l’Assemblée sur le territoire des Etats membres.
3. L’existence de l’immunité parlementaire découle d’abord et
avant tout de la nécessité de protéger le principe
même de la démocratie représentative. L’immunité se justifie dans
la mesure où elle est adaptée et nécessaire à l’exercice effectif
de leurs fonctions démocratiques par les élus, sans crainte de harcèlement
ni d’ingérences indues de l’exécutif, des tribunaux et des adversaires
politiques. Cette protection est particulièrement importante pour
l’opposition parlementaire et les minorités politiques. Historiquement,
la notion d’immunité parlementaire est liée au principe de la séparation
des pouvoirs: une séparation stricte doit empêcher l’exécutif et
la justice de s’ingérer indûment dans le fonctionnement démocratique
du pouvoir législatif.
4. Toutefois, ces dernières années, diverses affaires sont venues
remettre en cause le périmètre traditionnel des privilèges et des
immunités dont jouissent les membres de l’Assemblée, tant au niveau
national qu’au niveau européen. Certains Etats membres ont réduit
l’étendue de l’immunité afin de combattre l’impunité parlementaire,
souvent dans le cadre d’efforts de lutte contre la corruption.
5. Telles sont les raisons qui justifient que l’Assemblée établisse
un nouveau panorama du régime des immunités parlementaires en Europe,
le dernier rapport d’envergure qu’elle ait examiné sur la question remontant
à 2003
. La commission du Règlement doit
donc dresser un état des lieux du régime actuel des immunités de
ses membres, tant au niveau national qu’européen. A cette fin, la
rapporteure a adressé un questionnaire au Centre européen de recherche
et de documentation parlementaires (CERDP)
,
ainsi qu’une demande d’information complémentaire aux délégations
nationales
.
6. En examinant l’évolution récente des régimes d’immunités parlementaires
dans les Etats membres, la commission du Règlement a pu évaluer
les tendances actuelles et formuler des recommandations.
2. Les immunités parlementaires en mutation?
7. Par immunité parlementaire,
on entend l’ensemble des dispositions du statut des parlementaires
qui leur assurent, dans certains cas et afin de préserver leur indépendance,
un régime juridique dérogatoire au droit commun dans leurs rapports
avec la justice.
8. Ainsi que l’a résumé un parlementaire national au cours d’un
séminaire organisé par l’Union interparlementaire en 2005, «pour
pouvoir accomplir nos fonctions, nous devons pouvoir nous exprimer librement
sans crainte de représailles, d’où qu’elles viennent. C’est une
condition sine qua non pour garantir l’indépendance du parlement
même et la séparation des pouvoirs. L’immunité parlementaire sert
cet objectif. (…) les différents systèmes d’immunité parlementaire
(…) ont en commun la protection absolue de la parole prononcée à
la tribune ou en commission, et du vote exprimé»
.
2.1. Observations
générales sur les tendances récentes
9. Il existe une grande variété
de régimes d’immunité parlementaire dans les Etats membres, mais
presque tous distinguent deux grandes catégories d’immunité: l’irresponsabilité
et l’inviolabilité. De nature très différente, elles sont différemment
réglementées et appliquées. Presque tous les pays démocratiques
ont mis en place des régimes d’irresponsabilité des parlementaires,
mais avec de légères variantes. Quant à l’inviolabilité, elle donne
généralement lieu à de plus nombreuses exceptions et peut toujours
être levée.
10. En théorie et par principe, l’irresponsabilité a un caractère
absolu, permanent et perpétuel et, de ce fait, elle ne peut pas
être levée. Elle soustrait les parlementaires à toute poursuite
judiciaire pour les votes ou les opinions exprimés dans le cadre
du parlement ou de l’exercice de leurs fonctions parlementaires.
Elle les protège contre toute action judiciaire, pénale ou civile
motivée par des propos ou des actes qui, s’ils étaient accomplis
hors du cadre d’un mandat parlementaire, seraient passibles de sanction
pénale ou pourraient engager la responsabilité de leur auteur (diffamation
ou injure, par exemple).
11. Cela dit, le caractère absolu de l’irresponsabilité a lui
aussi été remis en cause, étant donné les questions qu’il soulève
au vu du contenu de certaines déclarations ou des enquêtes sur l’achat
de votes
. Aussi
est apparue la notion d’irresponsabilité relative. S’agissant de
la liberté d’expression, cette nouvelle notion suppose que ce droit
soit mis en balance avec d’autres aspects de l’intérêt général – tels
que les droits d’autrui, en particulier le droit à l’honneur – ainsi
qu’avec le respect dû à certaines institutions publiques
. Par conséquent, certains
pays ont limité la portée de l’irresponsabilité afin que celle-ci
ne couvre pas l’insulte, la diffamation, le discours de haine, les
propos à caractère raciste et les menaces ou l’incitation à la violence
ou au crime. Dans certains pays, les outrages au chef de l’Etat,
les critiques formulées à l’encontre de juges, la divulgation de
secrets d’Etat ou les propos considérés comme une trahison sont
également exclus du champ de la protection.
12. En dehors du souci croissant d’équilibre entre intérêt général
et droits d’autrui, la nécessité de l’irresponsabilité absolue s’est
également amoindrie avec le développement du système général de
protection des droits de l’homme. A ce jour, le champ d’application
matériel de l’irresponsabilité des parlementaires est largement
couvert par l’article 10 de la Convention européenne des droits
de l’homme (STE no 5) et par d’autres
traités internationaux dans le cadre de la protection accordée au
débat politique public. Reste que, pour l’heure, la Commission de
Venise s’est déclarée en faveur du maintien des régimes nationaux d’irresponsabilité
parlementaire.
13. L’inviolabilité tend à éviter que l’exercice du mandat parlementaire
ne soit entravé par certaines actions judiciaires visant des actes
accomplis par les députés en tant que simples citoyens. Elle réglemente
les conditions dans lesquelles s’exerce l’action judiciaire pour
des propos ou des actes étrangers aux fonctions parlementaires.
Il s’agit d’une protection juridique spéciale dont jouit un parlementaire
accusé d’avoir enfreint la loi, qui le prémunit contre toute arrestation,
détention ou poursuite sans le consentement du parlement dont il
est membre, sauf en cas de flagrant délit ou de condamnation définitive.
Souvent, elle s’étend aussi aux mesures d’enquête telles que les
perquisitions ou les écoutes téléphoniques, voire aux poursuites
pénales en général.
14. En règle générale, la Commission de Venise estime qu’un régime
d’inviolabilité parlementaire n’est pas nécessaire dans une démocratie
moderne. Dans un système politique qui fonctionne bien, les parlementaires jouissent
d’une protection adéquate par le biais d’autres mécanismes et n’ont
pas besoin de ce type d’immunité spéciale.
2.2. La
remise en question de la portée de l’immunité parlementaire
15. Le modèle traditionnel d’immunité parlementaire
se trouve aujourd’hui remis en question. Plusieurs pays (Estonie,
République slovaque et Ukraine) ont choisi d’aller vers une réduction
importante, voire la suppression, de l’inviolabilité. Ce faisant,
ils rejoindront un certain nombre de pays où l’inviolabilité traditionnelle
n’existe pas (Pays-Bas, Royaume-Uni) ou fait l’objet d’une interprétation
restrictive (Suède). Qui plus est, l’irresponsabilité traditionnellement
absolue se rétrécit elle aussi, tandis qu’une nouvelle culture du débat
parlementaire voit le jour.
16. La Commission de Venise observe que le principal argument
contre l’immunité parlementaire est le principe de l’égalité de
tous les citoyens devant la loi, l’un des fondements de l’Etat de
droit: «Toute forme d’immunité parlementaire signifie par définition
que les parlementaires reçoivent une protection juridique spéciale
dont ne jouissent pas les autres citoyens. Pour le bon fonctionnement
de la démocratie, il est extrêmement important que les membres du
législatif respectent eux-mêmes strictement la loi qu’ils imposent aux
autres, et qu’il puisse leur être demandé raison de leurs actes
sur le plan politique comme juridique. L’immunité parlementaire
y fait obstacle, et peut donc être détournée à des fins d’abus ou
d’entrave à la justice. Son existence même peut aussi saper la confiance
du public dans son parlement et jeter le discrédit sur la classe
politique et le système démocratique»
.
17. De surcroît, le renforcement des liens entre la majorité parlementaire
et le gouvernement a généralement réduit le risque de harcèlement
des institutions parlementaires par l’exécutif. C’est plutôt au
tour de l’opposition parlementaire de se trouver menacée par des
pressions excessives. Aujourd’hui, les régimes d’immunité parlementaire
fonctionnent essentiellement comme une garantie pour les minorités.
D’autant que, généralement, la plus grande indépendance de la justice
a réduit le recours abusif aux tribunaux par l’exécutif contre les
adversaires politiques. Par ailleurs, face à l’extension des droits
individuels de tous les citoyens, la nécessité de recourir à une
protection parlementaire spéciale a diminué. Enfin, l’aspiration
à une plus grande transparence de la vie politique a ouvert un débat
sur la réduction de l’inviolabilité.
18. Néanmoins, si l’on se réfère aux arguments ci-dessus, il convient
d’établir une distinction entre les «nouvelles» démocraties et celles
qui ont atteint un certain niveau de maturité et de stabilité. Si
les parlements des «vieilles» démocraties bénéficient d’autres modes
de protection adéquats, en revanche, les parlementaires des «nouvelles»
démocraties ont encore besoin de mesures d’immunité pour être protégés contre
les fausses accusations. D’un autre côté, ce sont souvent les nouvelles
démocraties qui se trouvent particulièrement exposées à la corruption
politique et à l’abus d’immunité par les parlementaires eux-mêmes.
3. Evolution
des régimes nationaux d’immunité
19. S’agissant de l’étendue de
l’irresponsabilité, l’examen des régimes d’immunité existants dans
les parlements nationaux de 32 Etats
permet
d’établir le panorama suivant: dans 13 Etats
,
les parlementaires sont couverts au titre des opinions exprimées
durant les débats parlementaires, en plénière ou en commission, y
compris dans les questions écrites; 19 parlements
ont
défini une protection plus large, qui inclut les opinions exprimées
dans l'exercice de leurs fonctions parlementaires, y compris en
dehors du parlement. L’inviolabilité varie en fonction des pays,
offrant une protection totale contre la détention et le lancement
des poursuites pénales sans l’autorisation du Parlement (18 Etats
) ou une protection partielle, qui ne
couvre pas les parlementaires contre les écoutes ou interceptions
de communications, enquêtes, et/ou interrogatoires, en cas d’arrestation,
et/ou contre les actions civiles, etc. (14 Etats
).
L’inviolabilité n’existe pas aux Pays-Bas.
3.1. Modifications
apportées aux législations nationales
20. Ces dernières années, la question
du régime des immunités parlementaires a fait l’objet d’une réflexion dans
les parlements de plusieurs Etats membres, conduisant parfois à
une modification de la législation ou de la constitution nationales.
Dans certains de ces pays, les débats ne sont pas clos et se trouvent
même parfois sous les feux de l’actualité.
21. En Autriche, un long
débat s’est tenu l’an dernier sur l’abolition de l’article 57.3,
de la Loi constitutionnelle fédérale qui habilitait le parlement
à décider si, oui ou non, il existait un lien entre l’infraction présumée
et les fonctions parlementaires. En définitive, la formulation de
l’article a été conservée moyennant, toutefois, la suppression de
deux exceptions à l’immunité – la diffamation et les délits passibles
de sanction en vertu des lois sur l’information.
22. En Bulgarie, le statut
de l’immunité parlementaire n’a pas été modifié depuis 2006, lorsque
les députés ont obtenu la possibilité de donner leur consentement
écrit à la levée de leur immunité.
23. A Chypre, un amendement
à la disposition constitutionnelle pertinente a été déposé en mars
2016 afin de définir plus précisément et de façon plus restrictive
l’étendue de l’immunité parlementaire, de façon à protéger les parlementaires
contre la responsabilité pénale et civile uniquement dans l’exercice
de leurs fonctions parlementaires et, plus spécifiquement, pour
les votes ou opinions exprimés. Pour d’autres délits sans lien avec
les fonctions de député, le régime judiciaire est le même que pour
les citoyens ordinaires. L’amendement est en cours d’examen.
24. En Géorgie, à la suite
de la modification du règlement du parlement adoptée en 2012, une
proposition d’enquête à l’encontre d’un parlementaire sera adressée
au parlement par le procureur général, et non plus par le ministre
de la Justice comme c’était le cas précédemment. Par ailleurs, en
2014, un amendement au code de procédure pénale a été voté, supprimant
la disposition conditionnant l’ouverture d’une procédure pénale
à l’encontre des députés à l’autorisation préalable du parlement.
25. En Estonie, d’importants
changements ont été apportés au régime d’immunité en 2015. De nouvelles clauses
ont été ajoutées au statut des membres du parlement (Riigikogu), dont l’impossibilité
expresse d’invoquer l’immunité pour des actes sans lien avec le
libre exercice de leur mandat ou pour échapper à une responsabilité
pénale (article18.3), la possibilité pour un député d’accepter de
se soumettre à certaines procédures (article 18.4), la suspension
du délai de prescription de l’infraction pendant la durée du mandat
du député (article 181), la possibilité
de soumettre un député à une contrainte directe dans la mesure cela
s’avère nécessaire pour établir les faits constitutifs de l’infraction
(article 182.1).
26. En Lettonie, le parlement
a voté, le 19 mai 2016, la modification du régime d’immunité parlementaire afin
de pouvoir lever l’immunité sans le consentement du parlement en
cas d’imposition de sanctions administratives.
27. En République de Moldova,
il y a eu plusieurs tentatives de modification de la législation
visant la limitation de l’immunité des membres du parlement depuis
2013. En 2013, un groupe de parlementaires a soumis une initiative
pour modifier les articles 70 et 71 de la Constitution. Les amendements
à l’article 70 visaient à supprimer l’immunité des parlementaires.
Dans ce contexte, le projet de loi proposait la suppression des
mots «et des immunités», et le retrait du paragraphe 3, selon lequel
«un parlementaire ne peut pas être détenu, arrêté, recherché, sauf
en cas de flagrant délit, ou poursuivi sans consentement du Parlement,
après son audition». Dans le même temps, la loi proposait de spécifier
et définir dans l’article 71 – qui stipule qu’«un parlementaire
ne peut pas être poursuivi ou tenu juridiquement responsable pour
les votes ou avis exprimés dans l’exercice de ses fonctions de parlementaire»
– les moyens d’expression d’avis par l’insertion du mot «publiquement»
après le mot «exprimé». En 2014, cette loi n’a pas obtenu le nombre
de votes requis et la législation demeure inchangée. En avril 2016,
un nouveau projet de loi portant amendement de l’article 70 de la
Constitution de la République de Moldova a été déposé.
28. En Pologne, à la suite
d’une modification apportée en 2015 à la loi sur l’exercice du mandat
de député ou de sénateur, les parlementaires peuvent à présent se
voir infliger des contraventions pour infraction routière et payer
des amendes en conséquence.
29. En
Roumanie ,
en 2015, la procédure de levée de l’immunité a été clarifiée et
la possibilité d’appeler un parlementaire à comparaître comme témoin
a été introduite.
30. En République slovaque,
l’inviolabilité parlementaire a été largement réduite. L’immunité
pour les infractions administratives a été supprimée depuis le 1er mars
2012, de même que l’immunité contre les poursuites pénales depuis
le 1er septembre 2012. A l’heure actuelle,
les parlementaires ne sont donc plus exonérés de poursuites pénales.
L’accord du Conseil national est toujours nécessaire pour placer
un parlementaire en détention provisoire. A ce jour, les parlementaires
jouissent uniquement de l’irresponsabilité.
31. En Suède, deux affaires concernant des enquêtes
pénales sur des parlementaires pour allégation de corruption dans
une transaction commerciale (1994) et pour infraction présumée à
la loi sur le droit d’auteur (2000) mettent en lumière la position
du parlement: la levée de l’immunité n’est pas requise si l’infraction
n’est pas étroitement liée aux fonctions parlementaires.
32. En Turquie, le 12 avril
2016, une proposition visant à amender la constitution par une clause
temporaire a été présentée par le Parti de la justice et du développement
(AKP) au pouvoir. La proposition vise à suspendre l'application
d’une des dispositions de l'article 83 de la Constitution («Aucun
député accusé d'avoir commis un délit avant ou après les élections
ne peut être arrêté, interrogé, détenu ou jugé sans décision de l'Assemblée»),
aux membres du parlement impliqués dans des affaires en cours. Même
si la proposition est applicable sans distinction à toutes les demandes
de levée d'immunité en cours d'examen à la Grande Assemblée nationale,
le principal concerné serait le Parti démocratique des peuples (HDP),
qui fait l'objet de la moitié de quelque 667 dossiers et a récemment
été visé pour son soutien présumé au Parti des travailleurs du Kurdistan
(PKK) interdit. Cette proposition a été approuvée par la commission
constitutionnelle le 2 mai 2016 et par l’Assemblée plénière le 20
mai (par 376 voix, soit au-delà de la majorité des deux tiers requise
pour modifier la constitution). 138 parlementaires se trouvent ainsi
privés de leur immunité (soit un quart des 550 membres de la Grande
Assemblée Nationale). La mesure affecte de manière disproportionnée
les membres de l’opposition, puisque 53 des 59 membres du HDP et
51 membres (sur 133) du Parti républicain du peuple (CHP) sont concernés,
y compris au moins quatre membres de l’Assemblée parlementaire.
27 membres (sur 316) de l’AKP et 9 membres (sur 40) du Parti d'action
nationaliste (MHP), tous deux dans la majorité au pouvoir, se trouveraient
également privés de leur immunité.
33. En
Ukraine, un nouveau
projet de loi en cours d’examen pourrait entraîner la suppression
de l’inviolabilité parlementaire. A cette occasion, la Commission
de Venise a déclaré que l’inviolabilité constituait sans aucun doute
un obstacle à la lutte contre la corruption. Cependant, «l’Etat
de droit n’est encore pas assez solidement implanté en Ukraine pour
qu’il soit possible d’y supprimer totalement l’inviolabilité des parlementaires»
.
34. En Israël, plusieurs
membres de l’opposition ont déposé un amendement visant à augmenter
la majorité requise pour lever l’immunité.
35. Au
Kirghizstan, le
mouvement pour l'abolition du privilège parlementaire, soutenu par
les principaux partis politiques, a été lancé en 2015 avant les
élections législatives d’octobre 2015. Des amendements constitutionnels
ont été présentés visant à permettre l’ouverture de la procédure
sans l’accord du parlement et permettant à celui-ci, à l’initiative
de deux tiers des députés, de s’opposer à la procédure pénale visant
un député a posteriori. La Commission de Venise a critiqué lesdits
amendements, notamment en raison de l’impossibilité du système proposé
de prévenir les persécutions politiquement motivées de l’opposition
au motif que les deux tiers des députés appartiendront nécessairement
à la majorité gouvernementale
.
Entretemps, les amendements ont été retirés. Seule la proposition
de se passer de l’accord du parlement en cas d’ouverture d’une procédure
pénale pour des faits antérieurs à l’élection demeure.
36. Au vu des informations fournies, il apparaît que l’Estonie,
la République slovaque, l’Ukraine (projet) et Chypre (projet) ont
largement réduit la portée de l’inviolabilité ou envisagent de le
faire par une révision des dispositions juridiques concernées. La
Lettonie et la Pologne, également, ont légèrement réduit le champ
de l’inviolabilité. En Roumanie, l’autorisation de la Chambre n’est
pas requise pour comparaître comme témoin. Au contraire, la Knesset
semble vouloir renforcer la garantie de la protection parlementaire,
bien qu’il ne s’agisse pour l’instant que d’une proposition législative.
Au demeurant, une légère tendance à restreindre la portée de l’inviolabilité
en Europe pourrait être formellement établie puisque, sur 47 Etats
membres, près de 14 pays ne prévoient pas l’inviolabilité ou en
ont largement réduit l’étendue.
37. Par ailleurs, la majorité des régimes parlementaires sont
inscrits dans les constitutions nationales. Dans de rares cas, les
deux types d’immunités parlementaires pourraient trouver leurs sources
dans des textes de nature et de portée différentes. C’est le cas
de la République de Moldova ou de la Suisse où l’irresponsabilité relève
d’une disposition constitutionnelle et l’inviolabilité de la loi
ordinaire
.
A l’inverse, dans la Fédération de Russie, l’inviolabilité est inscrite
à l’article 98 de la Constitution alors que l’irresponsabilité est
délimitée dans les lois relatives à chaque chambre parlementaire
.
3.2. Inviolabilité
– quel enjeu?
38. Il est à noter qu’une condamnation
pénale peut emporter d’importantes conséquences sur un mandat parlementaire.
39. Dans la presque totalité des Etats membres du Conseil de l'Europe,
une condamnation entraîne la révocation du mandat parlementaire
mais une condamnation
pénale ne déclenche pas l’abrogation du mandat en Suisse, en République
tchèque et en Allemagne (
Bundesrat)
.
40. En ce qui concerne le Parlement européen, l’exercice du mandat
parlementaire est en principe compatible avec une condamnation pénale
en l’absence de toute référence spécifique dans l’Acte du 20 septembre
1976 portant élection des membres du Parlement européen au suffrage
universel direct. La législation de l’Union européenne n’empêche
pas une personne condamnée qui est élue député européen de conserver
son siège. Reste que la législation nationale pourrait s’y opposer
dans la mesure où l’article 7.3 de l’acte susmentionné autorise
les Etats membres à étendre les incompatibilités applicables sur
le plan national à un député européen. En outre, l’article 13 mentionne
la déchéance du mandat parlementaire lorsqu’elle est prévue par
la législation nationale. En conséquence, si une incompatibilité
existe au niveau national, le mandat d’un député européen peut être
révoqué conformément à ces règles. Ainsi, le mandat d’un député
européen du Royaume-Uni n’a pas été révoqué après condamnation pour
fraude à une peine d’emprisonnement de neuf mois, du fait que la
législation nationale exige une condamnation à au moins 12 mois
d’emprisonnement pour qu’un mandat national soit révoqué.
41. Au Royaume-Uni, la loi de 2015 sur la révocation des députés
(Recall of MPs Act 2015) a
introduit un processus de destitution. Si une pétition de destitution
est ouverte et qu’au moins 10 % des électeurs éligibles la signent,
le siège du député concerné devient vacant. Le processus de destitution
est lancé dans trois circonstances: si un membre du parlement est
condamné à une peine d’emprisonnement de 12 mois ou moins (il est
tenu de libérer son siège s’il est condamné à plus d’un an d’emprisonnement);
si un membre est exclu temporairement de la Chambre des Communes
(à la suite d’un rapport de la commission des normes) durant au
moins 10 jours de séance ou 14 jours; ou si un membre est condamné
pour une infraction au titre de l’article 10 de la loi de 2009 sur
les normes parlementaires (Parliamentary
Standards Act 2009) (délit de diffusion d’informations
fausses ou mensongères pour obtenir une indemnité).
3.3. Analyse
des demandes de levée d’immunité
42. Au vu des chiffres aimablement
transmis à ma demande par les parlements nationaux de 23 pays, il semble
que les parlements de la Bosnie-Herzégovine, du Luxembourg, du Liechtenstein,
de la Géorgie (depuis 2012), de la Finlande (depuis 1979), de «l’ex-République
yougoslave de Macédoine» (au cours des quatre dernières années)
et de la Norvège n’aient connu aucun cas de levée d’immunité. Aux
Pays-Bas, aucun cas n’a été examiné par le parlement du fait que
l’inviolabilité n’est pas accordée aux parlementaires de ce pays.
43. La levée de l’immunité a été accordée dans tous les cas examinés
par les parlements de la Lettonie (29 demandes entre 2012 et 2016),
du Portugal (172 demandes au total dont 14 concernaient des inculpations pour
infraction pénale et 158 des citations à comparaître en qualité
de témoin) et de la Slovénie (21 demandes depuis 2012 pour des infractions
diverses: diffamation, fraude commerciale, faux signalement d’infraction, abus
de pouvoir).
44. Au Danemark, le parlement n’a eu à examiner qu’un seul cas
qui a entraîné une levée d’immunité pour infraction routière. Depuis
2012, le Parlement suisse a examiné au fond quatre demandes pour
des cas liés à des propos racistes ou à des relations avec des lobbyistes;
l’immunité a été confirmée dans tous les cas. En Suède, la question
de l’immunité a été soulevée deux fois: en 1994 (corruption) et
en 2000 (violation de la loi sur le droit d’auteur). Dans les deux
cas, les infractions ont été jugées sans lien avec les fonctions parlementaires.
45. Les procédures engagées ont abouti à la levée de l’immunité
dans presque tous les cas en Autriche (22 cas sur 27), à Chypre
(5 cas sur 6) et en Lituanie (8 cas sur 10 entre 2012 et 2016).
46. En Pologne, entre 2001 et 2015, le Sejm a
reçu 155 demandes. Dans 115 cas, les parlementaires ont consenti
à faire l’objet de poursuites judiciaires. L’examen de 23 demandes
a abouti à cinq levées d’immunité.
47. En République de Moldova, au cours de ces quatre dernières
années, une seule procédure de levée d’immunité a été engagée. Le
15 octobre 2015, le parlement a adopté une décision pour lever l’immunité
d’un parlementaire.
48. L’immunité des députés a été levée dans environ la moitié
des cas par les parlements suivants: Belgique, Chambre des représentants
(depuis 1997, 8 cas sur 15: une demande partiellement acceptée, deux rejetées,
deux déclarées irrecevables pour des raisons de procédure et une
encore pendante), Croatie (12 demandes sur 30 entre 2011 et 2015),
Grèce (78 sur 128 durant la 15e législature,
et 4 sur 9 durant la 16e législature),
Sénat français (14 sur 21 depuis 1995) et Ukraine (6 sur 12).
49. Entre 2012 et 2016, le Parlement monténégrin a levé l’immunité
dans seulement trois cas sur neuf demandes, et le Parlement hongrois
dans 12 procédures sur 68. Depuis 2012, la Douma d’Etat de la Fédération
de Russie a levé l’immunité de six députés, principalement dans
des affaires relatives à des détournements de fonds et des infractions
connexes.
50. S’agissant de la nature des poursuites judiciaires donnant
lieu à la demande de levée d’immunité, un nombre important concerne
des cas de diffamation et de calomnie ou des infractions routières.
Ensuite viennent diverses infractions telles qu’acceptation d’avantages,
détournement de fonds ou abus de pouvoir. Presque toutes les actions
ayant donné lieu à des demandes de levée d’immunité au Sénat français concernaient
des infractions portant sur des biens. Un cas de corruption est
signalé en Lituanie, en Grèce, en Croatie et en Ukraine. Au Monténégro,
quatre demandes étaient motivées par des cas de sédition et d’attaque contre
une personnalité officielle.
51. Des demandes de levée d’immunité au niveau national ont concerné,
sur différentes périodes, des membres de l’Assemblée parlementaire
appartenant aux délégations de l’Autriche (trois membres), de la Lituanie
(trois membres), de la Lettonie (deux membres, les deux cas portant
sur des infractions routières), de la Hongrie (un membre; mais l’action
en justice était engagée avant la nomination du membre auprès de
la délégation de l’Assemblée), de la Pologne (trois membres, infraction
routière) et du Portugal (dix membres).
4. Immunité parlementaire
dans le cadre européen
52. Les membres de l’Assemblée
parlementaire sont couverts par un régime d’immunité spécifique,
qu’ils partagent avec les membres du Parlement européen. Ce système
remonte à la période où le Parlement européen n’était pas directement
élu mais se composait, de même que l’Assemblée parlementaire, de délégués
issus des parlements nationaux. En conséquence, les deux institutions
avaient mis en place un même régime d’immunité. Après l’introduction
des élections directes, en 1979, le Parlement européen a tenté de
changer le système. La proposition de révision du Protocole sur
les privilèges et les immunités formulée dans les années 1980 a
échoué. Au cours des différentes révisions ultérieures des traités,
la formulation des dispositions concernées est restée en l’état
et le régime d’immunité demeure identique à celui des membres de
l’Assemblée parlementaire.
53. Ces dispositions ont permis la création d’un «droit» parlementaire
européen commun concernant les immunités. Cette immunité a un caractère
autonome, étant distincte et indépendante de l’immunité parlementaire
nationale dont les députés peuvent jouir par ailleurs sur le territoire
de leur Etat.
4.1. Fondement
juridique identique
54. Les membres de l’Assemblée
parlementaire sont couverts par un régime d’immunité établi par
un ensemble de dispositions tirées du Statut du Conseil de l'Europe
,
de l’Accord général sur les privilèges et immunités et son Protocole
et du Règlement de l’Assemblée.
55. Aux termes de l’Accord général sur les privilèges et immunités
du Conseil de l'Europe, conclu en application de l’article 40 du
Statut, les membres de l’Assemblée parlementaire bénéficient de
trois formes de protection:
- l’irresponsabilité
parlementaire, garantie par l’article 14 de l’Accord général, qui
les soustrait à toute procédure judiciaire – pénale mais aussi civile
et administrative – en raison d’une opinion ou d’un vote émis dans
l’exercice de leurs fonctions parlementaires, et qui vise à protéger
l’indépendance des parlementaires et à garantir leur liberté de
jugement, d’expression et de décision;
- l’inviolabilité parlementaire (article 15 de l’Accord
général), qui les protège contre toute arrestation, détention ou
poursuite judiciaire sur le territoire de tout autre Etat membre,
et ce en plus de l’immunité nationale dont ils jouissent dans leur
propre Etat; cette immunité ne peut être levée que par l’Assemblée parlementaire,
à la demande d’une «autorité compétente» de l’Etat membre concerné
(article 67.2 du Règlement);
- la libre circulation (article 13 de l’Accord général).
56. En ce qui concerne le Parlement européen, le système est basé
sur des dispositions identiques énoncées dans le Protocole no 7
du Traité sur l’Union européenne: l’article 8 prévoit l’irresponsabilité,
tandis que l’article 9 autorise une combinaison des deux régimes
d’inviolabilité, national et européen.
4.2. Portée
de l’immunité parlementaire européenne
57. Vu le nombre de cas traités
par l’Assemblée parlementaire, il est difficile de mettre en évidence
une approche spécifique de la question. En revanche, les rapports
rédigés par les commissions compétentes du Parlement européen permettent
de dégager un certain nombre de tendances et de principes. Ces principes ont
été en partie précisés par la Cour de justice de l'Union européenne
(CJUE) et la Cour européenne des droits de l'homme.
58. Il est intéressant de noter que, outre la levée de l’immunité,
le Parlement européen ainsi que l’Assemblée parlementaire ont introduit
la possibilité de défendre l’immunité des membres
.
59. Si la levée de l’immunité d’un député européen est expressément
prévue dans le Protocole du Traité sur l’Union européenne, la possibilité
de défendre l’immunité d’un membre procède de la réglementation
interne du Parlement européen. La CJUE a reconnu la défense de l’immunité
seulement dans les cas où, en l’absence de demande de levée de l’immunité,
l’inviolabilité est compromise, notamment, par «l’action des autorités
de police ou des autorités juridictionnelles»
. «La défense
de l’immunité constitue ainsi une manière pour le Parlement [européen]
de s’interposer, à la demande d’un député au Parlement, lorsque
les autorités nationales violent ou s’apprêtent à violer l’immunité
de l’un de ses membres»
.
S’agissant de l’Assemblée parlementaire, le Bureau a déjà sollicité
l’avis de la commission concernée sur des cas où l’immunité ou la
libre circulation de membres de l’Assemblée étaient violées
ou
sur le point de l’être.
60. Depuis 1974, le Parlement européen a traité un certain nombre
de demandes de levée d’immunité. D’après des statistiques, entre
1979 – date des premières élections directes au Parlement européen –
et les élections de 2009, 157 cas d’immunité ont été examinés en
séance plénière. Dans 45 cas, l’immunité a été levée ou non défendue
.
61. A ce jour, sur 14 demandes de levée d’immunité examinées depuis
le début de la 8e législature, seules deux
ont été rejetées, l’une et l’autre en vertu de l’article 8 du Protocole
no 7 (irresponsabilité), les opinions exprimées
relevant des fonctions officielles des députés européens concernés
.
4.3. Approche
adoptée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en
matière d’immunités
62. A ce jour, seuls deux cas ont
été examinés par l’Assemblée parlementaire au titre de l’article 67
du Règlement (levée de l’immunité). Toutefois, celle-ci a adopté
dans ses rapports ordinaires un certain nombre de positions tant
sur le régime des immunités de ses membres
que
sur des questions qui leur sont liées.
63. Parmi les principaux rapports touchant à ce sujet, citons
ceux sur «La discipline des membres de l’Assemblée parlementaire»
et
«Assurer une protection contre les atteintes à l’honneur et à la
réputation des personnes»
. Les deux
rapports font suite à des incidents survenus dans l’hémicycle et,
par conséquent, visent à décrire les comportements et les déclarations
acceptables de la part des membres de l’Assemblée parlementaire
dans l’exercice de leurs fonctions, et, partant, à déterminer si
de telles actions sont ou non couvertes par leur immunité européenne.
64. En avril 2012, la mission «Etat de droit» menée par l’Union
européenne au Kosovo (EULEX) avait adressé au Président de l’Assemblée
parlementaire une lettre officielle demandant la levée de l’immunité parlementaire
de M. Dick Marty – ancien membre de l’Assemblée parlementaire et
rapporteur de l’Assemblée sur le traitement inhumain de personnes
et le trafic illicite d’organes humains au Kosovo – et sa comparution en
qualité de témoin au procès dit de la clinique Medicus. La commission
du Règlement avait alors considéré, dans un avis adressé au Président
de l’Assemblée (document AS/Pro (2012) 10 def), que M. Marty jouissait de
l’immunité garantie par l’article 14 de l’Accord général sur les
privilèges et immunités, laquelle revêt un caractère absolu, permanent
et perpétuel et, en conséquence, qu’elle ne pouvait être levée ni
par l’Assemblée parlementaire ni par un parlement national. La précédente
demande de ce type remontait à 2001 – demande de levée de l’immunité
de M. Silvio Berlusconi, présentée par la Cour suprême espagnole
(document AS/Bur (2001) 028). Aucune décision n’avait été prise,
M. Berlusconi ayant déjà démissionné de l’Assemblée parlementaire.
65. Par ailleurs, la commission du Règlement a été consultée sur
certains cas individuels de parlementaires, s’agissant de la protection
que le Statut du Conseil de l'Europe et l’Accord général sur les
privilèges et immunités pourraient leur accorder, en relation avec
leur liberté de circulation dans les Etats membres. La commission
a ainsi clairement rappelé que, quel que soit leur régime national
d’immunité, les membres de l’Assemblée sont protégés contre toutes
mesures de détention et toute poursuite judiciaire lorsqu’ils exercent leurs
fonctions en qualité de membres de l’Assemblée ou lorsqu’ils sont
en mission officielle pour l’Assemblée, que ce soit à l’intérieur
ou à l’extérieur de leur pays (article 15 de l’Accord général).
S’ils n’exercent pas d’activité au sens défini et s’ils ne sont
pas en mission pour l’Assemblée, en application d’une décision prise par
un organe compétent de l’Assemblée, seul leur régime d’immunité
nationale s’applique (dans leur pays)
. De même, en vertu de l’Accord
général sur les privilèges et immunités (article 13), tous les Etats
membres du Conseil de l'Europe se sont engagés à garantir le libre
déplacement des membres de l’Assemblée; ainsi, dès lors qu’un Etat
membre accueille une réunion ou une manifestation officielle organisée
par l’Assemblée, celui-ci doit faciliter la participation des membres
de l’Assemblée, et délivrer les visas nécessaires à l’entrée sur
son territoire. Conformément aux principes du droit international,
un Etat partie à un traité ne saurait déroger aux obligations qu’il
a contractées ni se prévaloir de dispositions de son droit interne
pour justifier le non-respect de ses obligations internationales
.
4.4. Examen
par le Parlement européen des demandes de levée d’immunité
66. Le Parlement européen a élaboré
ses propres règles et références qui, peu ou prou, constituent une «jurisprudence».
La CJUE a reconnu au «Parlement un très large pouvoir d’appréciation
quant à l’orientation qu’il entend donner à une décision faisant
suite à une demande de levée d’immunité ou de défense de l’immunité,
en raison du caractère politique que revêt une telle décision»
.
67. Ces règles, inspirées de décisions adoptées dans le cadre
de demandes de levée d’immunité, créent une notion cohérente de
l’immunité parlementaire européenne, celle-ci étant globalement
indépendante des diverses procédures parlementaires nationales.
Du fait de l’application de ces principes, les décisions du Parlement
européen présentent des constantes, devenues des critères de base
chaque fois qu’une demande de levée de l’immunité est présentée.
Parmi ces critères, citons l’existence du fumus persecutionis,
c’est-à-dire la présomption que les poursuites pénales ont été engagées
dans l’intention de nuire à l’activité politique du membre. Un autre
critère, depuis longtemps établi, est le lien entre les poursuites
judiciaires et l’activité politique du membre. Il a été clarifié
par la CJUE, qui s’est alors inspirée de la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l’homme.
4.4.1. Portée
ratione temporis
4.4.1.1. Irresponsabilité
68. La formulation des deux articles
pertinents – Article 14 de l’Accord général sur les privilèges et immunités
du Conseil de l'Europe et Article 8 du Protocole no 7
du Traité sur l’Union européenne – est sans ambiguïté. Même si la
protection prévue peut dépasser la durée du mandat, les membres
ne peuvent en bénéficier que si les votes ou les opinions ont été
exprimés durant leur mandat et dans l’exercice de leurs fonctions.
Pour l’heure, la protection accordée aux parlementaires des deux
institutions couvre tous les types de propos.
69. Toutefois, il serait impensable de permettre aux parlementaires
de faire mauvais usage de l’immunité par des propos diffamatoires,
attentatoires à la dignité humaine ou incitant à la discrimination.
Faute de pouvoir lancer une action externe à l’encontre d’un député
européen ou d’un membre de l’Assemblée en raison de ses opinions
ou de ses propos, les institutions concernées peuvent – comme c’est
le cas dans la plupart des parlements nationaux – lui infliger des
sanctions disciplinaires internes. Selon la Commission de Venise,
ces sanctions se justifient tant qu’elles sont pertinentes et proportionnées,
et non utilisées à mauvais escient par la majorité parlementaire
pour entraver les droits et les libertés des adversaires politiques.
70. Les deux institutions ont prévu des dispositions exigeant
une conduite caractérisée par le respect mutuel et fondée sur les
valeurs et principes démocratiques
. Différentes sanctions peuvent être
imposées si ces conditions sont enfreintes
. Ainsi, en 2010, un député
européen du Royaume-Uni s’est vu infliger une amende pour attaques
verbales contre le Président de l’Union européenne.
4.4.1.2. Inviolabilité
71. En ce qui concerne l’inviolabilité,
les deux institutions prévoient une protection durant toute la durée
de l’année parlementaire, y compris entre les parties de session,
compte tenu du caractère permanent des activités parlementaires.
Dans les faits, cela revient à la durée des pouvoirs des membres
dans le cas de l’Assemblée parlementaire
et à la durée du mandat des
membres dans le cas du Parlement européen
. Si des élections législatives ont
lieu en cours de session, les membres de l’Assemblée parlementaire
concernés continuent de jouir de l’immunité accordée par l’Accord
général sur les privilèges et les immunités jusqu’à la désignation
d’une nouvelle délégation, qui intervient au plus tard six mois
à l’issue des élections. De même, les deux institutions reconnaissent
que ce type d’immunité est applicable pour les actes commis avant
le début du mandat
.
72. Même si l’inviolabilité s’applique à des actions antérieures,
l’analyse des cas les plus récents montre que le Parlement européen
ne maintiendra pas nécessairement l’immunité si l’action en justice
est liée à des propos ou à des actes antérieurs à l’entrée en fonctions,
même s’ils procédaient de l’intérêt général
ou émanaient
d’un responsable politique national
,
à condition qu’il n’y ait pas
fumus persecutionis.
73. Par exemple, une déclaration sur un sujet d’intérêt général
faite par un journaliste avant son élection au Parlement européen
concernant la probité de certains membres du personnel pénitentiaire
«n’a visiblement pas de lien avec les fonctions de (…) en tant que
député au Parlement européen, mais (…) elle est liée à son poste
précédent de reporter télévisé ». Autre exemple, où l’on voit que
le Parlement fait une distinction entre la fonction d’un député
européen et ses activités politiques antérieures: «(…) les chefs
d’accusation sont clairement dénués de tout lien avec la fonction
de (…) en tant que député au Parlement européen et résultent de
sa fonction de président du parti national-démocrate».
4.4.2. Fumus persecutionis
74. Le fumus persecutionis est
la présomption qu’une action judiciaire a été engagée dans l’intention
de nuire à l’activité politique d’un membre. Il y aura suspicion
de fumus persecutionis lorsqu’une
action en justice est fondée sur des accusations anonymes ou sur
des requêtes faites longtemps après les faits allégués, ou bien
lorsqu’une affaire impliquant un parlementaire n’est pas traitée
de la même manière que si elle impliquait un citoyen ordinaire.
Dans tous les cas, des arguments supplémentaires, ainsi que l’indépendance
de la justice ou la couverture médiatique, seront examinés.
75. Ainsi, l’immunité d’un député européen français accusé notamment
de commerce illicite d’armes et de trafic d’influence a été maintenue
au motif que l’autorité compétente ne fournissait pas d’informations
assez précises sur les «endroits et personnes concernés»
. Une seconde demande soumise à
l’occasion de la même action en justice a également été rejetée
pour soupçon de
fumus persecutionis, étant
donné la couverture médiatique de l’affaire et le fait qu’entre-temps
le juge d’instruction était lui-même devenu l’objet d’une enquête
.
76. Dans une autre affaire, un député européen italien a conservé
son immunité alors qu’il faisait l’objet de poursuites pénales pour
ses déclarations accusant un ancien parlementaire d’appartenir à
une organisation criminelle. Le Parlement européen a estimé que,
vu l’acquittement rapide de ce dernier sans que soient analysées
les accusations portées contre lui par le député, la plainte visant
le député était entachée de
fumus persecutionis .
77. Un député européen allemand a vu son immunité maintenue alors
qu’il faisait l’objet de poursuites pénales pour non-déclaration
d’un montant de € 5 000. Le Parlement européen a estimé qu’il avait
été «inculpé pour un montant et dans des circonstances qui, dans
le cas d’un citoyen ordinaire, n’auraient donné lieu qu’à des poursuites
administratives». En outre, le procureur avait veillé à ce que l’affaire
bénéficie d’un large écho dans les médias, causant ainsi un préjudice
maximal au député concerné. En conséquence, l’affaire est apparue
comme un cas de
fumus persecutionis .
78. Un cas de
fumus persecutionis a
également été établi dans une affaire où une action pénale privée
à l’encontre d’un député européen polonais avait été engagée par
son rival politique plusieurs années après les faits contestés et
avec l’objectif politique manifeste d’empêcher l’élection de ce
député au Parlement européen
.
79. En revanche, le Parlement européen a récemment rejeté le
fumus persecutionis dans une affaire
où un député européen hongrois (faisant l’objet d’une enquête concernant
une allégation d’espionnage pour le compte de la Russie) prétendait
que la loi de 2013 criminalisant l’espionnage contre les institutions
de l’Union européenne avait été adoptée dans le seul but de rendre
son comportement punissable. Il a été indiqué que, au moment de
la demande, le député européen n’était pas officiellement inculpé
et que les autorités nationales avaient donné les garanties qu’une
enquête indépendante serait menée
.
De même, le Parlement européen n’a pas défendu l’immunité d’un député
européen lituanien qui affirmait que la fausse accusation à son encontre
s’inscrivait dans une conspiration gouvernementale visant à ce qu’il
quitte le pays en raison de ses liens avec les services secrets
russes. Le Parlement européen a souligné, entre autres, la possibilité
de défendre effectivement sa position devant les tribunaux nationaux
.
80. Pour conclure, lorsqu’il examine s’il y a présence de fumus persecutionis, le Parlement
européen prend en compte la situation générale du pays considéré
en matière d’Etat de droit. La lecture de la dernière décision montre
que le Parlement européen part du principe que les institutions
concernées fonctionnent efficacement dans les Etats membres de l’Union
européenne.
4.4.3. Activité
politique
81. Normalement, l’immunité ne
doit pas être levée si un membre est accusé d’actions relevant de
son activité politique, sauf dans les cas suivants: si elles sont
jugées constituer une menace à l’encontre de personnes ou de la
société démocratique (soutien à des personnes coupables d’actes
terroristes, appartenance à une organisation criminelle, trafic
de drogue, etc.); s’il s’agit de diffamation et que la partie insultée
a été dénigrée en tant qu’individu; s’il y a violation manifeste
du droit pénal ou de dispositions administratives sans lien avec
une activité politique
. Par conséquent,
une activité politique inclut «l’expression d’opinions (…) émises
lors de manifestations, de réunions publiques, dans des publications politiques,
dans la presse, dans un livre, à la télévision, par la signature
d’un tract politique et même devant une juridiction»
.
82. Une attention particulière est accordée aux rapports entre
l’activité (ou la déclaration) du membre et ses fonctions. Ainsi,
dans l’affaire Bruno Gollnisch, l’immunité du député européen a
été levée au cours de l’action judiciaire intentée contre lui pour
haine raciale, du fait que les déclarations en jeu avaient été faites
en sa qualité de conseiller régional.
5. Contrôle
juridictionnel : vers une approche fonctionnelle des immunités parlementaires
en Europe
83. La question de l’immunité parlementaire
a été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme et par
la CJUE. Bien que chacune ait procédé dans les limites de ses compétences
et selon sa propre échelle de référence, toutes deux ont adopté
une même approche établissant un rapport étroit entre l’immunité
et les principales fonctions parlementaires
.
5.1. La
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme
84. La Cour européenne des droits
de l’homme examine la question de l’immunité parlementaire essentiellement
du point de vue des obstacles qu’elle engendre pour accéder à la
justice (article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme).
Depuis le précédent rapport de l’Assemblée sur les immunités parlementaires,
en 2003, la Cour a eu l’occasion de préciser davantage dans sa jurisprudence
la portée admissible de l’immunité dont jouissent les parlementaires.
85. La Cour a déclaré que «les garanties offertes par l’immunité parlementaire,
en ses deux aspects (irresponsabilité et inviolabilité), procèdent
de la même nécessité, à savoir assurer l’indépendance du Parlement
dans l’accomplissement de sa mission», soulignant que l’immunité
dont jouissent les membres du parlement a un caractère absolu, est
applicable aux procédures tant pénales que civiles et vise à protéger
les intérêts du parlement dans son ensemble et non ceux des députés
à titre individuel.
86. S’agissant de l’irresponsabilité, la jurisprudence de principe
montre
que la Cour accepte le caractère absolu de l’immunité accordée au
discours parlementaire prononcé dans une chambre législative, en
tant que tradition constitutionnelle existant dans la plupart des
Etats membres, ainsi que des privilèges accordés aux représentants
de l’Assemblée parlementaire et aux députés européens. Elle conclut
qu’une règle d’immunité parlementaire ne saurait en principe être
considérée comme imposant une restriction disproportionnée du droit
d’accès à un tribunal. Toutefois, si les déclarations sont émises
en dehors de la chambre législative
,
y compris lors d’une réunion électorale, il faut que soit clairement
établi leur lien avec une activité parlementaire pour que l’irresponsabilité
soit proportionnée.
87. Contrairement à l’irresponsabilité, l’inviolabilité a une
portée limitée à la durée du mandat. Malgré son caractère temporaire,
la Cour s’est montrée critique à l’égard de cette forme d’immunité
même si elle reconnaît qu’elle «contribue à permettre cette pleine
indépendance en prévenant toute éventualité de poursuites pénales inspirées
par l’intention de nuire à l’activité politique du député
(fumus persecutionis), protégeant
par là même l’opposition des pressions ou abus de la majorité»
.
Dans l’affaire
Tsalkitzis c. Grèce ,
la Cour a examiné l’impossibilité de poursuivre en justice un parlementaire,
ancien maire de Kiffisia, pour un délit de corruption qui aurait
eu lieu avant son élection au parlement. En évaluant la restriction
du droit d’accès à un tribunal imposée par l’immunité parlementaire,
la Cour a observé que l’infraction alléguée s’était produite trois
ans avant l’élection de l’ancien maire au parlement et n’avait aucun
lien avec la fonction parlementaire du député. En outre, le délit
présumé avait un caractère particulièrement immoral. Par conséquent,
la Cour a appliqué son habituel critère de proportionnalité avant
de conclure que, étant donné le manque de lien manifeste avec des fonctions
parlementaires, la restriction due à l’immunité parlementaire violait
l’article 6.1.
88. L’approche adoptée par la Cour s’est confirmée dans une autre
affaire contre la Grèce concernant une procédure pénale engagée
par le requérant contre son ex-épouse, membre du parlement, qui
lui refusait le droit de voir son enfant
.
Cette affaire a également mis en lumière un autre problème lié à
l’égalité des armes du fait que la possibilité dont bénéficiait
un député d’engager une procédure contre un citoyen ordinaire créait un
déséquilibre de traitement. Avec cette affaire, la Cour a consolidé
son approche fonctionnelle de l’immunité parlementaire: il est légitime,
en principe, que les Parties contractantes protègent leurs corps législatifs
au moyen d’un régime d’immunité qui assure aux parlements la possibilité
de remplir leurs fonctions constitutionnelles en étant à l’abri
de toute influence indue. Mais plus un membre s’éloigne par son
acte de sa fonction centrale, plus l’interprétation du concept de
proportionnalité doit être restrictive
.
89. Par ailleurs, la Cour a développé une ample jurisprudence
sur la liberté d’expression des représentants politiques élus dans
l’exercice de leurs fonctions parlementaires, déclarant dans plusieurs
arrêts que, «précieuse pour chacun, la liberté d’expression l’est
particulièrement pour un élu du peuple» et soulignant le principe
selon lequel seuls des «motifs impérieux» peuvent justifier une
atteinte à cette liberté
.
Pour autant, les déclarations d’un parlementaire doivent contribuer
à un débat public. Dans l’affaire
Keller
c. Hongrie ,
le requérant, un parlementaire de l’opposition, avait attaqué un
membre du gouvernement concernant l’absence d’enquête sur des questions
de sécurité nationale, alléguant notamment que le père de ce membre
entretenait des relations avec un mouvement national d’extrême droite.
Le membre concerné avait intenté des poursuites en dommages et intérêts
et obtenu gain de cause. La Cour a jugé la Requête manifestement
dénuée de fondement, compte tenu notamment du raisonnement approfondi
et équilibré de la juridiction nationale. Mais elle a ajouté que
le parlementaire ne s’était pas limité à attaquer son adversaire
au parlement et que, durant le débat parlementaire, ses propos étaient
relativement difficiles à cerner; bref, que de telles insinuations publiques
ne bénéficiaient plus du privilège accordé au débat parlementaire.
A la lecture du cas susmentionné et d’affaires plus anciennes –
Castells c. Espagne , Cordova (n° 2) c. Italie et
Féret c. Belgique –
on voit que les déclarations doivent non seulement s’inscrire dans
le discours politique, mais aussi être respectueuses du droit d’autrui,
qu’il s’agisse de citoyens, d’étrangers ou d’adversaires politiques.
90. Enfin, il est à noter que les décisions de levée ou de non-levée
de l’immunité à la demande d’un membre relève de la marge d’appréciation
nationale
.
5.2. La
jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne
91. Les principales affaires traitées
peuvent se résumer comme suit.
92. Dans l’affaire
Marra,
un député européen italien avait diffusé plusieurs tracts critiquant
le système judiciaire italien et certains de ses juges. Une action
civile a été introduite contre lui. La Cour suprême de cassation
italienne a saisi la CJUE d’une demande de décision préjudicielle.
La CJUE a déclaré qu’il incombait au juge national de statuer sur
la portée de l’irresponsabilité européenne, sans toutefois définir
elle-même cette portée
.
93. Il a fallu attendre 2011 pour obtenir davantage d’indications
sur ce que la CJUE jugeait être une opinion émise dans l’exercice
des fonctions parlementaires. Dans l’affaire
Patriciello,
un député européen italien avait accusé un fonctionnaire de police
de conduite illégale et, de ce fait, avait fait l’objet de poursuites.
La CJUE a déclaré que, pour bénéficier de l’irresponsabilité européenne,
le lien entre l’opinion exprimée et les fonctions parlementaires
devait être direct et évident
.
94. Le critère de «lien évident» a été confirmé dans un arrêt
ultérieur (
Bruno Gollnisch ), dans lequel la Cour a déclaré
que l’immunité européenne n’était pas censée couvrir des actes commis
par un député européen en sa qualité de conseiller régional.
95. Les cas susmentionnés permettent simplement de mettre en évidence
l’approche adoptée par la CJUE en matière d’irresponsabilité. Il
semble qu’il appartienne au tribunal national de décider si l’irresponsabilité
d’un député européen peut être ou non invoquée. Toutefois, la CJUE
invite à examiner si les propos en jeu ont un «lien direct et évident»
avec les travaux du membre au sein du Parlement européen.
6. L’immunité
parlementaire aux frontières de l’impunité
96. L’immunité parlementaire constitue
la garantie que les parlementaires exercent le mandat qu’ils ont
reçu des citoyens sans entrave et en toute indépendance, sans crainte
de pressions, d’accusations injustifiées ou de représailles en raison
des opinions et votes exprimés. Si l’immunité parlementaire trouve
son origine, sa raison d’être et sa légitimité dans un contexte
politique où les démocraties, naissantes ou balbutiantes, n’avaient
pas atteint leur plein développement, et où la justice elle-même
ne s’était pas affirmée comme pouvoir indépendant, l’époque actuelle,
avec des institutions démocratiques consolidées et matures, met davantage
en exergue l’autre face de l’immunité: en étant susceptible de faire
obstacle au cours de la justice, de compromettre le déroulement
efficace d’une enquête pénale ou de permettre un abus non susceptible
d’un recours, l’immunité apparaît comme un des privilèges décriés
d’hommes et de femmes politiques dont le statut juridique les place
au-dessus des citoyens ordinaires. L’immunité parlementaire en tant
que telle est sur la sellette, et l’actualité politique dans certains
Etats membres est venue relancer le débat sur la protection offerte aux
parlementaires.
6.1. La
popularité des partis nationalistes et le discours de haine
97. Dans plusieurs Etats européens,
les élections législatives ont ouvert les portes du parlement à
des partis politiques nationalistes ou extrémistes, sur fond de
mécontentement des citoyens alimenté par la crise économique et
la situation sociale, la mondialisation et la dilution de l'identité
nationale, et plus récemment la crise des migrants. Au moins 12
pays européens ont vu des partis d'extrême-droite ou nationalistes
faire leur entrée au parlement. L’adhésion de l’électorat européen
est très variable, de 4 % en Italie à 29 % en Suisse. Au Danemark,
la coalition au pouvoir dépend du soutien du parti populaire danois
qui a atteint 21 % lors des dernières élections
. Même si ces partis représentent un large
spectre de vues politiques, certains d’entre eux, comme par exemple
l’Aube dorée ou le parti populaire «Notre Slovaquie», contribuent
activement aux rhétoriques discriminatoires. Dix de ces partis ont
également des représentants à l’Assemblée parlementaire.
98. En 2014, lorsque plusieurs représentants de partis politiques
d’extrême-droite ont été élus au Parlement européen, des associations
se sont inquiétées du mauvais usage que pourraient faire certains
d’entre eux de leur immunité parlementaire (notamment de l’irresponsabilité)
pour se soustraire à des procédures judiciaires, comme cela avait
été le cas en 2009 lorsque l’immunité parlementaire avait protégé
un député européen français d’extrême-droite contre des poursuites
pénales pour négation de la Shoah. Récemment, en mars 2016, un membre
du parti d’extrême-droite grec Aube dorée a été exclu d’une séance
plénière du Parlement européen pour propos racistes contre le peuple
turc. Des voix se sont élevées, s’interrogeant sur la portée limitée
de sanctions internes, étant donné la gravité de la déclaration.
Aussi peut-on imaginer une évolution du concept d’immunité parlementaire
pour s’adapter au contexte politique particulièrement sensible au
discours de haine.
99. Les deux Cours ont déjà examiné des affaires portant sur l’incitation
à la discrimination par des parlementaires. La Cour européenne des
droits de l’homme a jugé, après application de son habituel critère de
proportionnalité, que la restriction de la liberté d’expression
imposée par un tribunal à un politicien en campagne qui distribuait
des tracts défendant des politiques anti-immigrants, à contenu généralement xénophobe
et discriminatoire, ne violait pas la Convention. «La qualité de
parlementaire du requérant ne saurait être considérée comme une
circonstance atténuant sa responsabilité. A cet égard, la Cour rappelle
qu'il est d'une importance cruciale que les hommes politiques, dans
leurs discours publics, évitent de diffuser des propos susceptibles
de nourrir l'intolérance (…). Elle estime que les politiciens devraient
être particulièrement attentifs à la défense de la démocratie et
de ses principes, car leur objectif ultime est la prise même du pouvoir»
. Il ressort également de l’arrêt
de la CJUE dans l’affaire
Bruno Gollnisch
c. Parlement européen que la décision du Parlement européen
de ne pas maintenir l’immunité prévue à l’article 9 (inviolabilité)
en cas d’incitation à la haine n’était pas à remettre en cause.
100. Une solution possible serait de sortir de tels propos du champ
de l’irresponsabilité, même s’ils sont exprimés dans le cadre de
fonctions politiques. Une approche semblable a été adoptée dès 1979
par l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme, qui
avait refusé d’appliquer l’article 10 de la Convention sur la liberté
d’expression à des actes «visant à la destruction des droits et
des libertés reconnus dans la (…) Convention», conformément à l’article 17
. La Communication interne no 11/2003
du Parlement européen, compilation des pratiques décisionnelles
de [l’ancienne] commission juridique et du marché intérieur en matière
de levée de l’immunité, indique également que «l’expression d’opinions
ne peut constituer une incitation à la haine, une diffamation ou
une violation des droits fondamentaux de la personne ou une attaque contre
l’honneur ou la réputation de groupes ou d’individus».
101. Autre possibilité: mettre en place une procédure spéciale
pour la révocation d’un mandat en cas de violation constante des
principes et valeurs démocratiques. L’Assemblée parlementaire a
déjà examiné cette question en 2005, estimant alors que l’adoption
d’une procédure permettant «de contester à titre individuel les pouvoirs
de parlementaires nationaux accusés d’activités ou de déclarations
violant avec persistance les principes fondamentaux du Conseil de
l’Europe, présenterait un risque d’abus. L’Assemblée n’a nullement intérêt
à devenir le théâtre de luttes politiques internes». Néanmoins,
en 2013, revenant sur cette question à l’occasion de la contestation
des pouvoirs de deux membres
, elle a admis qu’il fallait trouver
une solution. Toutefois, après avoir à nouveau débattu de la question
dans le cadre du rapport sur l’«Evaluation de la mise en œuvre de
la réforme de l’Assemblée parlementaire»
, la commission
du Règlement a décidé, à une courte majorité, de ne pas proposer
d’introduire une telle procédure dans le Règlement.
6.2. La lutte contre la corruption
102. Dans l’environnement politique,
économique et social actuel, le régime des immunités parlementaires devrait
concourir à la promotion d’institutions démocratiques fortes et
efficaces et, dans ce cadre, en particulier, ne pas faire obstacle
à la lutte contre la corruption. Celle-ci est un argument de poids
en faveur de la restriction de l’inviolabilité parlementaire. D’un
autre côté, la lutte contre la corruption fait également figure,
ces dernières années, d’arme privilégiée comme moyen de pression
sur les opposants politiques, quand la justice se saisit de cas
isolés.
103. Dans certains Etats membres, des affaires souvent largement
médiatisées ont révélé le fait que, nonobstant la gravité des allégations
qui pesaient sur eux, qu’elles se soient révélées fondées ou non,
– et quelles que soient les appartenances politiques des personnes
mises en cause – des parlementaires ont été dépouillés de leur immunité
parlementaire dans des circonstances plutôt inhabituelles, parfois
en violation des procédures internes. On citera l’exemple de M.
Igor Mosiychuk, membre du Parti radical (d’extrême-droite) d’Oleg
Lyashko qui s’est vu retirer son immunité par le parlement ukrainien,
en septembre 2015, dans des circonstances inhabituelles
. Même si les faits présentés
pouvaient apparaître comme des motifs sérieux pour la levée de son
immunité, le non-respect de la procédure parlementaire interne,
y compris l'impossibilité pour l'intéressé de présenter ses observations,
a nourri des critiques visant une justice sélective dont les efforts pour
lutter contre la corruption étaient dirigés uniquement contre les
membres de l'opposition. On citera également le cas de M. Vlad Filat,
ancien Premier ministre de la République de Moldova, arrêté par
la police en octobre 2015 après que son immunité avait été levée
par le parlement pour corruption passive et trafic d’influence,
dans des conditions procédurales ici aussi inhabituelles. Cette
décision avait été critiquée par certains observateurs comme viciée
par des irrégularités juridiques et procédurales
.
104. Au contraire, dans un certain nombre de scandales de corruption
qui ont secoué la Roumanie en 2014
, la
Direction nationale anti-corruption en charge des enquêtes a scrupuleusement
suivi toutes les étapes prescrites de la procédure, y compris le
dépôt des demandes de levée d’immunité des députés qui auraient été
impliqués. En outre, les enquêtes menées par la Direction visaient
sans distinction des représentants de tous les partis politiques
roumains
ce qui
a contribué à la perception de la sincérité des efforts de la lutte contre
la corruption.
105. La tentation de réformer le régime d’immunité parlementaire,
parfois de manière radicale, apparaît parfois comme un moyen approprié
de répondre à un scandale politico-financier mettant en cause détournements
de fonds publics, abus de pouvoir, conflits d’intérêt, trafics d’influence
ou encore dissimulation de revenus. Mais dans certains systèmes
politiques où la démocratie est fragile et où la corruption est répandue
dans le système judiciaire, la suppression de l’inviolabilité parlementaire
pourrait tout au contraire compromettre le fonctionnement démocratique
et l’autonomie du parlement
.
106. La Commission de Venise souligne ainsi que l’inviolabilité
«ne devrait jamais empêcher une enquête préliminaire, pour autant
que cette dernière soit menée sans harcèlement du parlementaire
qui en fait l’objet. L’enquête peut en effet être indispensable
à l’élucidation des faits, elle doit avoir lieu alors que ces derniers sont
encore récents, et non pas des années après, à l’expiation de l’immunité»
.
7. L’immunité parlementaire : un régime
protecteur de la minorité politique?
107. Le bénéfice de l’immunité parlementaire
est assorti d’un principe général très clair: conçue comme la garantie
de l’indépendance de l’institution parlementaire en tant que telle
dans l’accomplissement de sa mission, l’immunité ne vise pas à protéger
les intérêts des parlementaires à titre individuel ni à couvrir
leurs actes en toutes circonstances. Cependant, cette affirmation
doit être nuancée: la réalité contemporaine conduit à admettre que
l’immunité joue (ou devrait jouer) en pratique comme un élément
protecteur de l’activité politique des partis représentés au parlement
et de leurs élus lorsque ces partis relèvent de la minorité politique.
Il y va du bon fonctionnement de la démocratie. Par conséquent,
l’existence d’un régime d’irresponsabilité parlementaire limité,
tout comme les tentatives, dans certains Etats membres, visant à réduire
l’inviolabilité des parlementaires, sont un sujet de préoccupation.
7.1. Poursuites des membres de l’opposition
ou de la minorité politique
108. Comme l’a souligné la Commission
de Venise, c’est moins souvent le parlement lui-même mais bien plutôt
l’opposition parlementaire qui risque de subir des pressions de
la part de l’exécutif et qui, de ce fait, pourrait avoir besoin
d’une protection spéciale. En effet, historiquement, le modèle «français»
prônait la stricte séparation des pouvoirs et une protection spéciale
des députés contre l’exécutif. Aujourd’hui, la majorité parlementaire
et le gouvernement partagent souvent la même couleur politique.
Par conséquent, le régime d’immunité parlementaire fonctionne aujourd’hui
comme un droit de la minorité politique. Cela est d’autant plus vrai
des démocraties nouvelles où la culture de l’alternance politique
a parfois du mal se concrétiser. La volonté des gouvernements en
place d’asseoir leur pouvoir se traduit notamment par des changements
successifs de la législation électorale et des modifications de
la constitution, qui visent ainsi à affaiblir l’opposition.
109. Consciente de cette problématique, de nombreuses démocraties
nouvelles ont opté pour une inviolabilité relativement étendue.
Il s’agit clairement de garantir l’autonomie effective de l’institution parlementaire.
110. Les abus à l’encontre de parlementaires par le biais de l’ouverture
d’une procédure pénale demeurent une réalité dans plusieurs pays
européens. Il n’est pas rare que des mesures juridiques soient prises
pour faire taire des parlementaires un peu trop critiques. L’ouverture
ou la réouverture de poursuites contre des parlementaires ou des
membres de leur famille pour des questions fiscales ou autres font
partie des méthodes de pression politique courantes. Il convient
d’ajouter que, dans un certain nombre de pays, une condamnation peut
entraîner la perte d’un mandat et/ou l’inéligibilité et donc la
fin d’une carrière politique.
111. Citons quelques exemples. L'immunité du député russe Ilya
Ponomarev a été levée en avril 2015 pour permettre une enquête pénale
concernant des allégations de détournement de fonds du centre de
l'innovation d'Etat Skolkovo, un centre de recherche et de développement
russe financé par l'Etat. Toutefois, compte tenu des circonstances
de l'affaire (le principal centre d'attention était le député, poursuivi
pour complicité, et non comme auteur principal présumé) et de la
personne visée (M. Ponomarev était un participant actif aux manifestations
publiques de l’opposition en 2011-2013 et le seul député russe à
avoir voté contre l'annexion de la Crimée), la levée de l'immunité
a été considérée par les détracteurs du Kremlin comme une tentative d'étouffer
la dissidence politique. Vladimir Markin, porte-parole du Comité
d’investigation, a rejeté les allégations selon lesquelles l'affaire
contre M. Ponomarev était motivée politiquement. L'immunité d'un
autre député russe (du Parti communiste) a également été levée pour
avoir tenu une réunion non autorisée avec les électeurs avant son
élection au cours de laquelle un affrontement avec la police avait
eu lieu. Le député concerné a affirmé que l'enquête était un «cas
d’exemple» pour l'opposition.
112. En 2014, le Parlement géorgien a voté un amendement au code
de procédure pénale supprimant la disposition conditionnant l’ouverture
d’une procédure pénale à l’encontre des députés à l’autorisation
préalable du parlement. L’amendement en question aurait eu comme
unique objectif l’ouverture d’une procédure pénale à l’encontre
d’un membre de l’opposition qui, par la suite, s’est vu retirer
son immunité. Bien qu’il ait été ultérieurement relaxé par les tribunaux,
son procès a porté atteinte à son image politique.
7.2. Poursuites des membres des partis
autonomistes ou séparatistes
113. Les mouvements d’autodétermination
qui aboutissent à la création de partis politiques et à leur émergence
sur la scène parlementaire ne sont pas une nouveauté dans l’histoire
européenne. Si certains mouvements fondent leurs espoirs d’aboutissement
et assoient leur légitimité sur les processus politiques démocratiques,
d’autres s’inscrivent dans la rupture avec l’ordre constitutionnel,
recourant parfois à des moyens radicaux – violence, guérilla, terrorisme
– et misant sur la déstabilisation des populations et des institutions.
Des parlementaires pourraient tout à fait être mis en cause du fait
de leur appartenance – effective ou alléguée – à de tels mouvements
d’où la nécessité d’identifier quelques principes.
114. Comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’homme,
«l’une des principales caractéristiques de la démocratie réside
dans la possibilité qu’elle offre de résoudre par le dialogue et
sans recours à la violence les problèmes que rencontre un pays,
et cela même quand ils dérangent». Dans un contexte normal, «une formation
politique ne peut se voir inquiétée pour le seul fait de vouloir
débattre publiquement du sort d’une partie de la population d’un
Etat et se mêler à la vie politique de celui-ci afin de trouver,
dans le respect des règles démocratiques, des solutions qui puissent
satisfaire tous les acteurs concernés»
.
115. La Cour a confirmé cette position dans l’arrêt
Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden en
ce qui concerne l’interdiction de réunion pacifique d’une minorité
macédonienne en Bulgarie
. Notamment,
la Cour a déclaré que le fait d’«exiger des changements territoriaux
dans des discours et manifestations ne s’analyse pas automatiquement
en une menace pour l’intégrité territoriale et la sécurité nationale
du pays»
. La
position subséquente de la Cour dans l’arrêt
Gorzelik
et autres est
devenue plus nuancée. Dans cette affaire, qui portait sur le refus
des autorités polonaises d’octroyer des avantages électoraux à une
association qui s'était constituée pour promouvoir une «nationalité»
silésienne et dont les statuts indiquaient comme objectifs «d'éveiller
et de renforcer la conscience nationale des Silésiens», la violation
de l’article 11 n’a pas été constatée.
116. Cette jurisprudence a été élaborée il y a plusieurs années.
Depuis, des changements considérables sont intervenus, marqués par
les attaques terroristes à Paris, Bruxelles, Ankara, Istanbul, le
conflit en Ukraine ou encore la reprise des hostilités au Haut-Karabakh,
et font reconsidérer les risques découlant des idées et des déclarations
de certains mouvements politiques. Par ailleurs, les nouveaux modes
de communication et l’utilisation des réseaux sociaux ont considérablement
modifié l’impact et le poids de la parole.
117. Dans ce nouveau contexte, il convient de rappeler qu’il appartient
à chaque Etat, conformément à l’article 1 de la Convention européenne
des droits de l’homme, de reconnaître et de faire garantir de manière efficace
aux personnes relevant de sa juridiction les droits et libertés
consacrés par la Convention, grâce au bon fonctionnement de ses
structures internes: le maintien par l’Etat d’un juste équilibre
entre, d’une part, la libre expression des idées politiques, en
particulier par les représentants élus, y compris la promotion d’aspirations
autonomistes ou séparatistes ou la revendication d’un droit à l’autodétermination,
et d’autre part l’ordre constitutionnel ou la sécurité du pays et
de sa population, devrait dès lors respecter les stipulations de la
Convention et s’inspirer de la jurisprudence de la Cour.
8. Conclusions
118. Dans leur quasi-totalité, les
Etats membres du Conseil de l’Europe reconnaissent à leurs élus
nationaux une immunité parlementaire, sous deux formes: irresponsabilité
et inviolabilité. Toutefois, malgré une tradition constitutionnelle
commune, le régime des immunités parlementaires est fortement imprégné
des traditions et de la culture politique propres à chaque pays.
Ce régime varie, parfois considérablement, selon les Etats, que ce
soit quant à sa nature, sa base juridique, sa portée ou quant aux
pratiques parlementaires existantes.
119. Le régime de l’irresponsabilité reste,
en règle générale, d’une grande stabilité dans les Etats membres. L’irresponsabilité
demeure le pilier incontestable du régime de l’immunité parlementaire,
avec toutefois des nuances: un nombre d’Etats accordent la protection
aux propos émis uniquement pendant les débats parlementaires, alors
que d’autres protègent la fonction parlementaire au sens large.
Par ailleurs, les propos insultants ou diffamatoires, l’incitation
à la haine ou à la violence, ou les propos racistes peuvent, dans
certains Etats, échapper au cadre de l’irresponsabilité.
120. La protection absolue des actes et des paroles des parlementaires
pose en effet problème dans le contexte actuel – notamment la recrudescence
du terrorisme et la crise migratoire – pour ce qui est plus spécifiquement
du discours de haine. Une solution possible serait d’exclure du
champ de l’irresponsabilité les discours visant à la destruction
des droits et des libertés démocratiques, ou la révocation du mandat parlementaire
en cas de violation persistante des principes et valeurs démocratiques.
121. En revanche, limiter la portée de l’irresponsabilité en excluant
les propos considérés comme un outrage au chef de l’Etat, ou comme
une trahison, une critique formulée à l’encontre de magistrats,
ou la divulgation de secrets d’Etat suscite des préoccupations inverses:
en effet, ces infractions pénales sont souvent invoquées pour entraver
l’exercice du mandat des élus.
122. Quant à l’inviolabilité, elle n’est plus considérée comme
une protection impérieuse. On observe une légère tendance, dans
les Etats membres, à en restreindre la portée. Toutefois, elle continue
de jouer un rôle important dans les pays qui n’offrent pas d’autres
moyens adéquats de protection des parlementaires, notamment en raison
des garanties insuffisantes offertes par le système judiciaire et
la justice pénale. Elle constitue d’une manière générale une sauvegarde
importante pour la minorité politique.
123. Il existe toujours des divergences non négligeables entre
Etats membres quant à la nature et au degré de protection offerte
aux parlementaires par le biais de l’inviolabilité. La majorité
des pays l’ont intégrée dans leurs constitutions respectives, même
si le règlement du parlement intervient parfois pour étayer davantage
la procédure de levée de l’immunité.
124. La Cour européenne des droits de l’homme accepte l’immunité parlementaire
comme une norme constitutionnelle légitime tout en reconnaissant
qu’elle restreint les droits consacrés par la Convention. Lorsqu’elles
servent véritablement à protéger le libre exercice de la mission
du parlement, les immunités constituent une restriction justifiée
de l’accès à la justice, mais lorsqu’elles dépassent cette nécessaire protection,
leur application viole la Convention. Par conséquent, puisque l’irresponsabilité
se rapporte à des actes accomplis dans le cadre de l’exercice immédiat
du mandat parlementaire, la Cour la considère comme une restriction
légitime. A l’inverse, l’inviolabilité se rapportant à des actes
sans lien matériel avec le mandat parlementaire ne saurait constituer
en principe une restriction légitime. Ce dernier point remet plus
ou moins en question le concept même d’inviolabilité: or, celle-ci
vise pourtant explicitement à protéger les parlementaires contre
toute action judiciaire à motivation politique visant des activités
menées en dehors du parlement.
125. Enfin, si un Etat membre envisage de réviser le régime des
immunités protégeant ses parlementaires, il serait souhaitable qu’une
telle révision fasse l’objet d’un vaste débat public, prenne en
considération toutes les variables, et s’inspire des bonnes pratiques
existant ailleurs en Europe, en gardant à l’esprit le principe fondateur
de ces immunités, notamment la nécessité de préserver les droits
et l’intégrité des membres de la minorité politique durant et après
le mandat parlementaire.